Je déteste perdre. C`est tout simple

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Je déteste perdre. C`est tout simple
29 MAI 2011
INTERVIEW 47
I LeMatinDimanche
Alain Menu, bientôt 48 ans, pilote automobile professionnel chez Chevrolet
«Je déteste perdre. C’est tout simple»
EN
DATES
Il est un des rares Suisses
à gagner sa vie derrière un
volant. Spécialiste des courses
de tourisme, le Genevois parle
des bons et des moins bons
côtés de sa passion.
1963
c Naissance
Le 9 août, à Genève.
1987
c Formule Ford
A découvert la discipline
en France 2 ans plus tôt,
avant de s’expatrier en
Grande-Bretagne. 2e du
festival de Formule Ford,
il est sur la voie royale,
direction la F1.
Jean-Claude Schertenleib
[email protected]
Alain Menu, vous allez sur vos
48 ans, vous êtes père de famille,
à la tête d’une nouvelle entreprise
de peinture, qu’est-ce qui vous fait
encore courir?
1992
c Tourisme
Vice champion
de Grande-Bretagne
de F3000 (1990), Menu,
en manque de soutien,
tourne le dos à la
monoplace. Il va devenir
la valeur référence
en championnat
de Grande-Bretagne
de tourisme.
La passion. C’est difficile à expliquer
avec des mots, mais j’ai besoin de piloter, besoin de me battre en course.
C’est juste un truc qui m’est nécessaire pour vivre.
Une drogue?
Non, même si l’on se sent très bien
lorsque l’adrénaline grimpe. C’est un
vrai besoin. Au début de ma carrière, je
pensais à cela 24 heures sur 24; désormais, je me projette dans la prochaine
course une fois par jour, pas plus.
1995
c Formule 1
Pilote officiel WilliamsRenault en tourisme
anglais, il effectue
à quatre reprises des
séances de tests en F1.
Patrick Head, le chef
ingénieur, est persuadé
que Menu a le niveau,
mais au même moment,
un certain Jacques
Villeneuve arrive.
Mais où est le plaisir? Que veut dire
un pilote lorsqu’il affirme qu’il
éprouve du plaisir en course?
Depuis que je suis gamin, j’ai toujours eu le plaisir d’aller le plus vite
possible. Je me sentais juste bien
quand la vitesse augmentait. L’idée,
alors, n’était pas d’entrer en compétition avec quelqu’un, mais bien de
battre mon propre record, si j’ose
utiliser ce terme.
1997
c Champion
Menu devient pour la
première fois champion
de Grande-Bretagne des
voitures de tourisme. Un
titre reconduit en 2000.
Mais battre l’adversaire, voilà qui
est excitant, non?
2005
c Mondial
Après une expérience
difficile en championnat
d’Allemagne (DTM), il est
engagé par Chevrolet en
championnat du monde
de tourisme. Il en est,
à ce jour, à 12 victoires.
Bien sûr, demandez à ma sœur: une
fois, j’ai détruit un Monopoly; de
rage, j’ai déchiré tous les billets.
Comme c’était mon jeu, j’en ai été
quitte pour faire autre chose.
Vous aimez tant gagner?
Plus que gagner, je déteste perdre,
c’est tout simple.
Et vous avez besoin
continuellement d’un défi. On en
revient donc à l’idée première:
la compétition, c’est une drogue
dont on a du mal à se passer?
Je le crois, oui, car le but de tous, dans
une équipe, c’est de gagner. Alors, si
le mécano a réussi une intervention
parfaite, il a sa récompense. Et puis,
quand tu as goûté une fois à cette vie
de nomade, tu as envie de la poursuivre. Les voyages, les découvertes de
nouvelles cultures, les rencontres, on
est si loin du train-train habituel, du
métro, boulot, dodo.
regarder la TV, ne me pose pas le
moindre problème. Mais si j’ai du
plaisir à prendre du bon temps, c’est
aussi parce que je sais que, le weekend suivant, j’ai une course.
Si on vous suit bien, vous devez
être en permanence sur des
charbons ardents?
Bien sûr qu’il y a eu des moments difficiles. Le sport automobile est mon
métier, je suis payé pour le pratiquer,
j’ai donc des responsabilités. Qui dit
responsabilités, dit pression. Et j’en
ai besoin pour bien faire.
Honnêtement, aujourd’hui encore,
j’ai de la peine à ne plus m’imaginer
pilote. Bien sûr que ma carrière professionnelle approche petit à petit
de sa fin; mais après, il y aura
d’autres défis, d’autres occasions,
d’autres projets.
Pas du tout. D’ailleurs, à la maison, je
peux être très paresseux. Passer un
dimanche entier sur mon canapé, à
Uniquement pour ce fameux plaisir
de piloter?
LE PRINCE WILLIAM
Contrôle qualité
«Il réussit un
pari difficile:
vivre sa vie
tout en étant
conscient de
ce qu’il représente, spécialement pour
les Britanniques. Il est
l’avenir de la
monarchie.»
ROGER FEDERER
«Je ne
comprends
pas qu’on lui
tombe dessus
dès qu’il ne
gagne plus.
Il a tout
dominé,
pendant
des années,
qu’on lui fiche
la paix!»
Parce qu’il ne faut pas croire
que l’on est le meilleur?
Non. Ce jour-là, tu commences à
perdre.
Voilà enfin la sagesse de l’aîné
qui ressort?
On pourrait le penser, à m’entendre.
Mais ceux qui m’affrontent sur les
circuits ne sont pas tous persuadés
que je suis devenu sage (à Monza, il y a
deux semaines, ce fut très viril entre
Menu et son équipier, le champion du
monde Yvan Muller).
L’an dernier, pourtant, on s’est
un peu servi de vous?
Chevrolet, mon employeur, domine
le championnat du monde des voitures de tourisme. Nous sommes trois
pilotes et des détails ont fait qu’après
quelques courses, je me suis retrouvé
le troisième pilote de la marque au
championnat. Alors, on m’a demandé
certaines choses, de jouer notamment de soutien pour mes équipiers.
Je l’ai fait, parce que tel était mon devoir, mais ce n’était pas toujours facile à vivre. Vu de l’extérieur, je
n’étais plus que le numéro 3. Des
journalistes ont commencé de parler
de l’année de trop pour Alain Menu,
alors qu’ils ne pouvaient pas savoir ce
qui se passait au sein de l’équipe.
Vous y avez toujours cru?
Beaucoup ont mis une croix sur ma
carrière. Pas moi, parce que je savais qu’en vitesse pure, je n’avais
rien perdu.
L’âge n’a donc pas de prise
sur la vélocité?
Non, à condition de faire attention.
Chez l’être humain, un cap important
survient entre 36 et 38 ans, lorsque
son métabolisme change. Si tu continues de manger comme avant, tu
grossis, c’est aussi simple que cela.
Mais non, parce que tu découvres chaque fois quelque chose. Quand un nouveau pilote arrive dans ton équipe, il va
t’apporter un autre regard, peut-être
une manière différente d’appréhender
tel ou tel virage; il va t’apprendre des
choses dans la voiture, mais aussi en
dehors, notamment la manière dont lui
vit le sport automobile, comment il
gère ses contacts. Alors après, bien sûr,
soit tu prends, soit tu ne prends pas.
Mais à vous voir, pas de soucis?
Un vieux renard des circuits,
comme vous, il prend?
Oui, mais les courses sont courtes
(environ 25 minutes). Le plus fatigant,
c’est la pression qu’il faut gérer tout
au long du week-end. En fait, c’est
plus un sport cérébral que physique,
même si la chaleur dans les voitures
est étouffante. D’ailleurs, le soir des
courses, j’ai souvent mal à la tête.
Mais j’ai besoin de cela.
JOHNNY HALLYDAY
Michel perret
Même pour un mécanicien qui n’a
pas la compensation de se
retrouver derrière le volant?
On ne se lasse jamais de tourner
en rond, de retrouver chaque douze
mois les mêmes circuits?
CEQU’IL
PENSEDE...
Ian Jones/Gamma
Pas seulement. Le sport automobile
n’est pas la discipline individuelle que
l’on imagine, c’est un vrai travail
d’équipe. Nous avons tous le même
but, de l’ingénieur au pilote, du mécanicien au team manager. Et nous
vivons ensemble une bonne partie de
l’année. Alors imaginer quitter ce milieu, c’est difficile.
On n’en sort décidément pas.
En 26 ans de carrière, vous ne
vous êtes jamais posé la question
existentielle: tout cela est-il bien
raisonnable?
AFP/Miguel Medina
Vous, Alain Menu, un homme à
l’apparence si posée, vous pouviez
vous énerver quand vous perdiez?
Magali Girardin
Bien sûr, et c’est très vite venu. J’avais
en moi une mentalité de gagneur. Et
j’étais très mauvais perdant.
Oui, parfois. Je n’ai jamais pensé que
j’étais le meilleur. Mais je pars du
principe que personne n’est fondamentalement meilleur moi. Et cela
fait une grande différence.
«Aujourd’hui,
j’aimerais
qu’on le laisse
vivre. C’est
fou comme les
gens peuvent
se mêler des
affaires des
autres sans les
connaître.»
Et pourtant, j’adore les douceurs, les
desserts. Physiquement, je fais ce
dont j’ai besoin. Ma passion, c’est le
sport automobile, pas le gymnase, la
salle de force. Mais chaque année,
après les fêtes, je fais un régime pour
être prêt quand commence la saison.
Le championnat du monde
de tourisme, c’est plutôt musclé
avec de nombreuses bousculades?
Donc, pas de retraite planifiée?
Tant que la passion est là, il n’y a pas
de raisons d’y penser. Et je ne pense
pas qu’un jour, cette passion qui
m’anime depuis tout petit, va disparaître. Enfin, comme je n’ai encore jamais été vieux, je ne peux pas dire à
quoi cela ressemble. J’ai croisé récemment Hans Stuck, une légende en
Allemagne: eh bien, à 66 ans, il participe encore à de nombreuses courses.
Et plutôt bien. x