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Le Bihan Constance Rennes, mai 2008 Section Politique et Société La mise en scène de la vie privée des personnages politiques dans les médias : un nouvel espace de politisation? Analyse croisée du traitement médiatique de la rupture des couples Ségolène Royal- François Hollande et Nicolas Sarkozy- Cécilia Ciganer-Albeniz dans les news magazines et dans la presse people Mémoire réalisé dans le cadre du Séminaire Journalisme Sous la direction de Mme Florence Le Cam Je remercie chaleureusement ma directrice de mémoire, Florence Le Cam, pour son encadrement, ses conseils avisés et son optimisme indéfectible. Merci à Roselyne Ringoot et Denis Ruellan pour leurs remarques et leur attention. Une pensée à ma famille et à mes amis, qui m’ont soutenue sans fléchir durant cette année. Introduction .......................................................................................................... 6 Partie 1. Du privé au public : Quelle publicisation des informations privées ?.. 17 1. 1. La rupture sentimentale de personnages politiques : un évènement privé pour des personnages publics.............................................................................................................. 17 1.1.1.Présentation des faits : deux couples dans la sphère publique................................. 17 1.1.1.1. Ségolène Royal et François Hollande.............................................................. 18 1.1.1.2. Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz................................................... 18 1.1.2. Le couple et la rupture mise en scène par les acteurs politiques.............................20 1.1.2.1. Quelle publicisation des informations par les acteurs ?................................... 20 1.1.2.2. La valeur du couple en démocratie et la distribution genrée des rôles............ 21 1.1.2.3. L’émotion légitime et l’informalisation des mœurs politiques........................ 23 1.2. La rupture sentimentale : un évènement public............................................................ 25 1.2.1. La publicisation des informations dans les médias................................................. 25 1.2.1.1. La création d’un évènement médiatique.......................................................... 25 1.2.1.2. La couverture de l’information par les news magazines et les magazines people............................................................................................................................ 28 1.2.2. « Dire et taire » : La sélection des informations et l’énoncé sur les séparations.... 29 1.2.2.1. Entre le devoir d’information et le respect de la vie privée : le dilemme des journalistes.................................................................................................................... 30 1.2.2.2. Les angles : une manière de cadrer le sujet......................................................34 1.2.3. Deux approches de l’évènement en terme de proximité éditoriale : quelle valorisation d’un sujet privé ?...........................................................................................35 1.2.3.1. Le statut accordé à l’information : titres et rupture du contrat de lecture........ 35 1.2.3.2. Les justifications éditoriales : un premier pas vers un ethos catégoriel...........39 1.2.3.3.Le discours réflexif dans les entretiens : vers l’indifférenciation éditoriale..... 42 Partie 2 . Les genres discursifs de l’intime : la séparation mise en scène........... 46 2.1. La mise en récit de la séparation : les idealtypes narratifs ............................................46 2.1.1.Le reportage informatif............................................................................................ 46 2.1.1.1.Un récit « objectif » ......................................................................................... 47 2.1.1.2.La narration interne et externe : l’image du journaliste dans le discours..........47 2.1.2.La « romanciation » du récit.................................................................................... 48 2.1.2.1.La narration omnisciente : l’énonciation désincarnée.......................................48 2.1.2.2.Le pathos et la psychologisation des personnages............................................ 50 2.2. Deux configurations énonciatives ?............................................................................... 52 2.2.1.Nicolas Sarkozy et Cecilia Ciganer- Albéniz.......................................................... 52 2.2.1.1.La mise en scène de la rupture et les images créées......................................... 52 2.2.1.2.Le phénomène rumoral..................................................................................... 54 2.2.1.3.Un schéma énonciatif dynamique : du public au privé .................................... 56 2.2.2.François Hollande et Ségolène Royal...................................................................... 58 2.2.2.1.La mise en scène de la rupture et les images créées......................................... 59 2.2.2.2.Les références aux autres titres et médias : l’interdiscursivité..........................60 2.2.2.3.Un schéma énonciatif dynamique : du privé au public..................................... 61 Partie 3. Une politisation de l’intime ? L’engagement politique au prisme des modalités énonciatives.........................................................................................64 3.1. Entre distance et proximité : le rapport ambivalent au politique................................... 64 3.1.1.La politisation au principe des lignes éditoriales..................................................... 65 3.1.1.1.Les News magazines : une politisation institutionnalisée.................................65 3.1.1.2.Les magazines people : de l’apolitisme à la neutralité......................................68 3.2.La « distance » : une loi du genre............................................................................... 70 3.2.1.Les news magazines : entre proximité idéologique et distance critique.............. 70 3.2.2.Les magazines people : entre proximité stratégique et distance idéologique...... 71 3.2. Les prises de positions dans le discours.........................................................................73 3.2.1.Des choix énonciatifs aux choix politiques .............................................................73 3.2.1.1.La distanciation comme critique ? Le discours réflexif et les ruptures de la narration........................................................................................................................ 73 3.2.1.2. La « romanciation » et le pathos : de la narration à l’argumentation ?............76 3.2.2.Les prises de positions : corollaires des configurations énonciatives...................... 78 3.2.1.1. La distanciation comme une revendication de différenciation........................ 78 3.2.2.2. Un espace critique non partisan ..................................................................... 80 Conclusion...........................................................................................................82 Références bibliographiques............................................................................... 85 Annexe n°1 : Corpus........................................................................................... 91 Annexe 2 : Liste des entretiens ...........................................................................92 Annexe n° 3 : Fiche technique des magazines étudiés........................................ 93 Annexe n° 4: Tableaux........................................................................................ 97 Introduction Le thème de ce mémoire découle de ce qui me semblait être une transformation de la représentation de la vie politique française après l’élection présidentielle de 2007. Alors que le nouveau concept de « pipolisation » faisait florès, les médias paraissaient plus enclins à porter dans la sphère publique des anecdotes sur la vie privée des personnages politiques, en particulier sur celle du président de la République : « potins » sur la soirée au Fouquet’s, « confidences » sur la campagne présidentielle, etc.. La médiatisation de la vie privée du président était alors le fait de l’ensemble des supports : des blogs non officiels au livre de Yasmina Reza1, des images du Journal Télévisé de LCI2 sur les vacances du président, jusqu’à la Une de Libération sur son divorce3, ces informations étaient diffusées autant par des titres « people » que par des médias « sérieux ». Cet état de fait, qui donnait lieu par ailleurs à un intense débat médiatico-médiatique au sein des émissions de « décryptage des médias »4, appelait une série de questionnements simples : Comment expliquer cette mise en visibilité accrue de la vie privée du président par des médias et par des titres extrêmement différents? Ce phénomène est-il imputable à une évolution de la communication politique ou relève-t-il de changements socio-culturels concernant les modes de représentation politique? Ces questions de départ m’ont permis de dresser la toile de fond de la recherche et m’ont incité à recontextualiser mes observations à l’aune de la perspective théorique de l’individualisme démocratique et du mouvement de « publicisation de la vie privée ». En effet, si cette médiatisation de la vie privée de Nicolas Sarkozy m’a interpellée, c’est bien parce qu’elle donnait à voir la porosité des frontières entre sphère publique et sphère privée. Déjà établi depuis plusieurs années par Jürgen Habermas [Habermas, 1962] et par Richard Sennett [Sennett, 1979], le constat d’une indifférenciation croissante des sphères publiques et privées était donc une grille de lecture pertinente pour analyser le phénomène constaté. D’essence délibérative, cette sphère publique saisit les individus comme des êtres capables de raison. Elle s’oppose à une sphère privée, en gestation à partir du XIXe, où les individus sont soumis au règne des passions et des sentiments. Peu à peu, notamment à partir 1 Reza Y., L’aube, le soir ou la nuit, Paris, Flammarion, 2007. LCI, journal télévisé du 4 août 2007 3 Libération du 18 octobre 2007 4 Voir « Revu et corrigé » de France 5, du 22 septembre 2007 et du 20 octobre, ainsi que « J’ai mes sources » de France Inter, du 22 octobre. 2 6 de l’accession des femmes au rang de « sujet politique », ces enjeux dits « privés », comme la contraception, la santé, l’éducation sont saisies par le politique [Mehl, 2002]. Ce mouvement de publicisation de la sphère privée trouve son pendant dans la privatisation de rites, tels le deuil ou le mariage, qui ne sont plus entièrement pris en charge par le groupe social. Le mariage entre sphère publique et sphère privée est dès lors consommé. Pour ces auteurs, ce mouvement dialectique trouve son prolongement dans une transformation des modes d’exercice de la politique. L’espace de la politique, circonscrit tout entier par la sphère publique, s’ouvre alors à des valeurs propres à la sphère privée : l’émotion devient indissociable du débat public, ce qui a pour effet de résoudre l’antagonisme entre la rationalité et la passion, l’esprit et le corps, développé par la philosophie universaliste des Lumières [Bonny, 2004]. Par ricochet, les modes de représentation des personnages politiques, notamment dans les médias, vont se modifier sous le coup de l’informalisation des moeurs de la vie politique [Wouters, 2002] : les acteurs politiques exposent leur vie privée comme gage d’humanité. Dans ce processus, les médias jouent donc un rôle primordial : par le truchement de l’image et des mots, ils rendent présent ce qui est absent, et permettent la relation quasi-personnalisée entre le représentant et le représenté supposée par la démocratie. Mise en scène par des communicants, la vie privée réduit la distance qui sépare les personnages politiques des électeurs, favorise l’identification et finalement l’adhésion à un programme [Ruitort, 2007]. Cette mise en perspective théorique m’a permis de relativiser la nouveauté que constituerait la médiatisation de la vie privée de Nicolas Sarkozy. Comme le souligne Antoine Prost : « Ce qui a changé n’est pas le rapport des médias à la vie privée des vedettes ou des hommes politiques. Mais si les médias ont connu cette évolution, c’est parce que dans notre société toute entière le rapport à l’individu comme valeur suprême, l’individu légitimé dans la diversité de ses goûts, de ses pratiques […]est désormais pleinement légitime et, à la limite, seul légitime», et de conclure « Nous ne sommes plus ici dans l’histoire des médias, mais dans celle du rapport des citoyens au politique à l’ère de l’individualisme triomphant. » [Prost, 2002, p.36-37]. La médiatisation de la vie privée de Nicolas Sarkozy résulterait alors de la transformation des stratégies de communication politique qui sont elles-mêmes révélatrices de changements sociaux plus profonds. Ainsi, les médias semblent être un miroir de la société. La presse magazine, dont la popularité est croissante (97,2 % des Français lisent au moins chaque mois un magazine 5), 5 Le Monde du 12 mars 2008, selon l’étude Audipresse du 11 mars 2007. 7 donne un exemple de cette miniaturisation du monde social opérée par les médias. Hétéroclites et plurielles, les identités éditoriales de ces magazines donnent à voir les goûts, les modes de vie et opinions des lecteurs : ciblés sur des pratiques culturelles (Les Inrockuptibles), des identités religieuses (La vie), politiques (Politis), de genres (ELLE) ou d’âge (Journal de Mickey), les magazines se différencient à l’image de la société. « Le lecteur auquel s’adresse cette presse n’est plus saisi dans la figure totale du citoyen mais à travers une de ces composantes identitaires. » [Neveu, 2001, p. 29]. Deux catégories de magazines permettent d’analyser le traitement médiatique de la vie privée des hommes politiques au prisme de l’interpénétration de la sphère publique et de la sphère privée. La première d’entre elle est formée par la presse « people ». Dans le champ médiatique, nous postulons que cette catégorie de magazine est celle qui incarne le plus la sphère privée 6. Privée par les thèmes sur lesquels elle se concentre : l’amour, la sexualité, la famille. Privée aussi par la nature de ces thèmes ; confidentiels, les secrets d’alcôves et les scandales qui touchent les « stars », sont jetés en pâture contre leur volonté. Le terme anglais « people » renvoie à trois de ses caractéristiques fondamentales : d’une part, le « people », ce sont les gens célèbres autour desquels s’articule le contenu des publications, d’autre part, le terme est une référence au lectorat, traditionnellement populaire, de ses journaux et enfin au succès qu’ils rencontrent. Aussi nommée dans une perspective fonctionnaliste « presse à scandale » ou « presse sensationnaliste », la presse « people » se définit aussi par l’émotion qu’elle est censée susciter notamment par l’utilisation des photos de paparazzi. De Point de Vue, crée par Raymond Aron en 1945 à Closer, les contenus des publications ont néanmoins évolué. Si les premiers titres diffusaient des informations officielles sur les cours royales, cette presse populaire, concurrencée par les magazines d’information générale, s’est orientée à partir des années 1980 vers le traitement d’informations privées non officielles, dévoilant des scandales concernant des « stars » (chantage, adultère). Cette presse se féminise et acquiert peu à peu son caractère illégitime. Les contempteurs de cette « presse poubelle », hérauts de la culture légitime, assoient leur dédain sur les analyses de Harold Lasswell : jouant un effet sédatif telle une « aiguille hypodermique », c’est l’existence de cette presse qui devient elle-même un scandale. Il faut attendre les études interactionnistes de Richard Hoggart pour que la presse people, et la presse populaire en général, ne soit plus seulement considérée comme une presse « abêtissante » pour son lectorat [Jeanneney J.-N., 1996]. 6 Il faut néanmoins souligner que cette hypothèse de départ est nécessairement imparfaite dans la mesure où tout magazine participe à la construction d’une sphère publique. 8 La deuxième catégorie de magazine est formée par les magazines d’actualités ou news magazine. S’opposant à la presse de divertissement, cette famille d’hebdomadaires se concentre sur la publication d’informations politiques, économiques ou culturelles. Traditionnellement masculine, tant par son lectorat que par les personnages qu’elle met en lumière, cette presse aborde des « sujets d’intérêts généraux » et se concentre sur des personnages publics, légitimés par un statut. Ces news magazines, reprenant le modèle britannique du Times, sont aussi caractérisés par leurs appartenances partisanes, calquée sur un schéma gauche/centre/droite. Participant à un espace public fondé en raison, les acteurs, les évènements et problèmes sociaux accèdent à la visibilité de tous. Creuset du débat collectif, ces magazines assurent finalement une médiation entre la société civile et le pouvoir politico administratif qui est au fondement de la démocratie [Mehl D. 2002]. Le traitement médiatique de la vie privée de Nicolas Sarkozy par ces deux familles de magazines matérialise ce « mélange des genres » et donne à voir l’accélération de l’indifférenciation entre sphère publique et privée : les magazines people, en faisant apparaître le président de la République sur leur couverture, donnaient une part nouvelle à un acteur officiel, certainement le plus « politique » d’entre eux. D’autre part, les news magazines, en publicisant des informations privées sur Nicolas Sarkozy, contribuaient à la personnalisation de la vie politique et à la privatisation de ces enjeux. Le couple et la vie sentimentale du président, domaines majeurs de la vie privée, constituaient des thèmes allégrement exploités par ces deux catégories de la presse magazine, et constituaient un sujet de recherche intéressant. Afin de mener l’analyse de manière méthodique, il fallait pourtant dépersonnaliser ce sujet pour éviter les biais liés à la personnalité, à la fonction ou à la stratégie de communication politique du président de la République. J’ai délaissé la solution qui consistait à analyser le traitement médiatique de la vie privée du président à l’aune d’un exemple historique, pour me concentrer sur un personnage politique contemporain : Ségolène Royal. Personnage politique le plus à même de supporter la comparaison avec Nicolas Sarkozy, l’ancienne candidate socialiste aux élections présidentielles est, avec le président de la République, une personnalité politique dont la vie privée a été largement publicisée. Le sujet de ce mémoire s’est précisé grâce à l’actualité: le 18 octobre 2007, un communiqué de l’Elysée annonce le divorce de Nicolas Sarkozy et de Cécilia Ciganer-Albeniz par consentement mutuel. Quelques mois auparavant, le 18 juin, Ségolène Royal avait annoncé sur France Inter sa séparation avec François Hollande, avec lequel elle vivait en concubinage. Si les configurations des deux ruptures étaient différentes, elles étaient suffisamment proches pour être mises en relation. 9 Si, en sciences sociales, la notion de frontière semble être un artefact, l’étude du traitement médiatique de la vie privée des personnalités politiques permet pourtant d’appréhender cette zone frontière où le privé se mêle au public. Néanmoins, l’exercice comparatif n’a pas pour but de constater une énième fois ce qui semble être un fait social avéré. Il ne s’agit donc pas de mesurer le caractère « davantage privé » ou « davantage public » des récits médiatiques sur les ruptures sentimentales des élus. En effet, cette perspective ne peut aboutir qu’à une lecture partisane et accusatrice de ce phénomène qui consisterait à célébrer un âge d’or supposé de la politique, lorsque les news magazines parlaient davantage des réformes que des divorces de personnalités politiques et lorsque les magazines people dévoilaient Madonna en maillot de bain et non pas Nicolas Sarkozy. Au contraire, j’ai souhaité me concentrer sur la manière dont les magazines s’accommodent de cette nouvelle donne de la représentation et étudier en quoi la publicisation d’un événement privé va révéler des positionnements éditoriaux spécifiques. La post-modernité, l’idée selon laquelle « la vision intime du monde s’accroît dans la proportion où le domaine public est laissé vacant » [Sennett, 1979, p.190], plante le décor de la recherche, elle n’en constitue pas le nœud. Car en effet, c’est bien de la mise en scène du spectacle politique dont il est question dans ce mémoire. Représentants du peuple par leur fonction de mandataire du pouvoir souverain, les personnages politiques sont à leur tour représentés dans les médias ; et c’est cette représentation en miroir qui aboutit à la construction de l’ « image » publique du personnage politique. Déformées et travaillées par les médias, ces images du personnel politique sont considérées comme le réel même et produisent par là des effets tout aussi réels. Les mises en scène des ruptures sentimentales des personnages politiques par les magazines ne sont pas pour autant des créations ex nihilo : il convient donc d’étudier les configurations « réelles », « objectives », dans lesquelles ces ruptures prennent place. Si, en amont, les modalités de la publicisation de l’information par les acteurs et les caractéristiques propres au couple influencent les récits médiatiques, ceux-ci sont finalement différents d’un magazine à l’autre. Ce décalage permet de déceler une marge de manœuvre des deux catégories de magazines dans la construction du récit de l’intime. Ainsi, l’enjeu de la recherche est de saisir dans quelle mesure ces récits médiatiques confèrent aux récits intimes imaginés par les personnages politiques - selon des stratégies de communication – une « plus value » politique. Finalement, l’étude revient à s’interroger sur la manière dont les médias produisent du 10 politique en le reproduisant. Dans cette perspective, les médias ne sont donc pas (seulement) soumis à des forces sociales sur lesquelles ils n’auraient prise ou instrumentalisés par des personnages politiques souhaitant impérieusement que soient claironnées conquêtes – et, faute de mieux, déboires sentimentaux. En effet, si le journaliste n’est pas l’auteur du scénario des ruptures sentimentales des personnages politiques, c’est bien lui qui est le maître d’œuvre de la représentation politique. La métaphore du théâtre est un poncif pour décrire le monde politique : prolongeant la tradition « theatrum mundi », elle revient à considérer les personnages politiques comme des acteurs qui évoluent dans un univers factice. Le fait de déclarer les médias parti prenant de cette construction fictive de la réalité, grâce à l’image de la mise en scène, n’est pas une simple pirouette rhétorique. La métaphore nous permet de défricher un espace dans lequel les journalistes auraient, sinon une autonomie totale, du moins la possibilité de décliner une identité multiforme, aussi bien individuelle que collective, en termes narratifs, éditoriaux ou politiques. Finalement, nous essayerons de distinguer si cette production sociale du politique par les médias se réalise de manière différente selon la présence d’un « couple de gauche » ou d’un « couple de droite », et ainsi de constater si la mise en cohérence des ruptures politiques par les magazines répond à des enjeux partisans. In fine, nous interrogerons l’engagement politique du journaliste sur un sujet qui, apparemment, illustre la dépolitisation de la sphère publique. Jacques Lagroye définit la politisation comme « une requalification des activités sociales les plus diverses qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins pour de multiples raisons à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des différents espaces d’activité. » [Lagroye, 2003, p. 360]. Dans ce contexte, la politisation s’impose alors comme un phénomène dynamique et relationnel : « transgression », « requalification », « espace », autant de termes qui nous enjoignent à analyser la production journalistique comme un révélateur des tensions qui traversent le champ médiatique, cet « espace de jeu qui a pour caractéristique le fait que s’y affrontent des champs au sens restreint, avec leurs logiques différentes, leurs principes de légitimité incompatibles voire opposés » [Champagne, 2007, p.50]. La notion bourdieusienne nous convie à considérer que le traitement médiatique de la vie privée des hommes politiques est tributaire d’une certaine géographie du champ, où rivalisent le champ politique, le champ intellectuel et le champ économique. Selon leur position dans le champ, selon les contraintes qui surdéterminent les contrats de communication médiatiques, les magazines s’accommodent différemment de ces 11 tensions et aboutissent à des équilibres différents. La politisation du discours journalistique peut alors être perçue comme un « empiétement » du politique sur le terrain journalistique, ce qui nous contraint à porter une attention particulière aux marques de distanciation, comme d’autant de stratégies de légitimation du champ journalistique comme champ autonome. Audelà du jeu du « paraître neutre », corollaire de la doxa objectiviste qui prévaut dans le champ, nous chercherons à voir dans quelle mesure les configurations objectives des deux séparations amoureuses donnent lieu à des contrats énonciatifs différents qui impliquent un faisceau de sélections et d’interventions interactionnelles ou aboutissent, au contraire, à l’existence de schémas discursifs stéréotypés et de topoï narratifs. Cela nous invitera à prendre conscience des différences caractéristiques entre les personnages en terme politique (droite/gauche), mais aussi statutaire (président/ candidate déchue), genré (homme/ femme), selon la situation personnelle (mariage-concubinage) ou la situation du conjoint (statut politique dépendantstatut politique indépendant). Le sujet étant posé, la problématique se résume sobrement ainsi : En quoi la mise en scène de la vie privée des personnages politiques révèle les stratégies de différenciation narratives, éditoriales et politiques des titres étudiés ? Je tenterai, au fil de ce mémoire, de lire entre les lignes des articles, de disséquer les phrases et de considérer, comme Roland Barthes que « la forme se suspend devant le regard comme un objet, elle est devenue le terme d’une « fabrication », comme une poterie ou un joyau » [Barthes, 1972, p.9]. Le postulat de départ est donc de dire que l’acte d’énonciation, la manière dont est mise en mots la rupture des personnages politiques, révèlent non seulement des identités éditoriales et des situations de communication qui surdéterminent le journaliste, mais aussi des positionnements spécifiques au journaliste [Charaudeau, 1999] 7. Cette perspective constructiviste nous amène à penser que « le discours journalistique instaure la réalité à la fois comme “ matière première” et à la fois comme produit transformé » [Ringoot, 2004, p.94]. L’analyse de discours nous offre une palette d’instruments heuristiques pertinents pour étudier la politisation du traitement médiatique de la vie privée des personnages politiques. Certains d’entre eux ont été privilégiés, comme les politiques d’écriture ou les genres discursifs sur l’intime tandis que les rapports entre l’iconographie et le texte ou l’étude des rubriques complémentaires ont été analysés de manière non systématique. 7 « Si la situation de communication surdétermine en partie le sujet en lui imposant des instructions discursives, celui-ci dispose d’une certaine marge de liberté pour procéder à une mise en scène énonciative qui respecte ces instructions, mise en scène qui d’ailleurs peut avoir, à terme, une influence sur le contrat lui-même. » [Charaudeau, 1999] 12 Mon corpus se compose de trois magazines people, Paris Match, Closer et Gala, et trois news magazines, Le Point, Le Nouvel Observateur et L’Express. Le choix de ces titres s’est imposé rapidement : les trois news magazines choisis sont à la fois les plus institutionnalisés, et les plus représentatifs en terme de ventes8 tandis que les trois magazines people représentent trois positionnements différents par rapport à l’intime. Closer, dernier né de la presse people est certainement le plus controversé et le plus « indiscret », contrairement à Paris Match ou à Gala qui diffusent des informations plus « officielles ». Il semblait judicieux d’inclure le magazine Gala dans la recherche car, à l’inverse de Paris Match, ce titre a assis sa notoriété sur la diffusion d’informations relatives aux cours royales d’Europe. Finalement, cet échantillon constitue un large éventail au sein de cette zone grise de l’interpénétration des deux sphères publiques et privées dans les médias. L’analyse s’articule sur l’examen du discours médiatique, autant de celui qui émane des magazines, que celui – réflexif – qui provient des entretiens. Pour des raisons pratiques liées à l’analyse, j’ai étudié séparément ces deux catégories d’hebdomadaires tout en considérant que cette séparation, à l’image de la distinction sphère privée/ sphère publique, est relativement artificielle. En effet, au-delà des effets historiques d’institutionnalisation et des stratégies de différenciation éditoriale, il est impossible de dessiner les contours qui délimitent les deux types de magazines tant les catégories semblent perméables l’une à l’autre. Selon quels critères objectifs peut-on qualifier Paris Match de « magazine people » ? Ma classification est donc relative et reprend les catégories profanes. Mon terrain se constitue d’une vingtaine de numéros (dix par rupture étudiée), soit un peu plus d’une centaine de pages d’articles, et de sept entretiens. La construction du corpus entraîne une part de choix subjectifs : tous les articles qui pouvaient faire sens pour la recherche ont été inclus. J’ai donc sélectionné des numéros qui étaient temporellement éloignés de l’annonce de la rupture lorsque les articles se référaient explicitement à l’évènement, tel le numéro de Closer qui fait état de la liaison entre François Hollande et Valérie Treirweiler ou le numéro de l’Express qui révèle la séparation entre François Hollande et Ségolène Royal, avant l’annonce officielle. Néanmoins, ces numéros sont intégrés à titre informatif, parce qu’ils éclairent la construction chronologique de l’évènement, mais n’ont pas fait l’objet d’une analyse de discours. Le corpus n’est donc pas une entité rigide. Quatre journalistes travaillant au sein des titres étudiés ont répondu positivement aux demandes d’entretiens : Candice Nedelec, journaliste politique à Gala, Eric Mandonnet, 8 13 journaliste politique à L’Express, Denis Demonpion, journaliste politique au magazine Le Point et co-auteur d’un livre sur Cécilia Ciganer-Albéniz9 et Luc Angevert, directeur du service « News people » et journaliste à Closer. Il était parfois difficile d’obtenir ces entretiens ; certains journalistes ne souhaitaient manifestement pas s’exprimer sur un sujet pour lequel ils sont souvent critiqués (accusation « d’infotaitment », de pipolisation, etc). Par conséquent, les journalistes consultés n’ont pas tous écrit sur le sujet de la rupture. Par exemple, Candice Nedelec, venait d’être embauchée depuis peu par Gala, alors qu’elle travaillait auparavant pour VSD. Néanmoins, il semblait opportun de la rencontrer puisqu’elle était la première « journaliste politique » recrutée par la rédaction de Gala. Après bien des gesticulations auprès des secrétaires de Mondadori, je suis parvenue à contacter par téléphone Luc Angevert. Ce dernier n’a pas souhaité dire quels étaient les articles qu’il avait écrits, tout en soufflant que tous les articles de Closer sont signés sous des noms d’emprunts. Denis Demonpion n’a pas directement écrit dans Le Point sur le thème des ruptures, mais je l’ai interrogé sur les motivations qui l’ont poussé à écrire son livre. Par ailleurs, pour conserver une cohérence dans la mise en relation des deux séparations, j’ai demandé un entretien avec Rafaëlle Bacqué, journaliste au quotidien Le Monde et co-auteur d’un livre sur Ségolène Royal10, le premier à avoir rendu public la rupture du couple socialiste. Cette dernière a pu témoigner sur les conditions de publicisation de la nouvelle. Enfin, j’ai cherché à obtenir un rendez-vous avec des professionnels de la communication politique, entre autres avec la conseillère communication-médias de la campagne de Ségolène Royal, Delphine Batho, et avec Nathalie Rastoin directrice française de l’entreprise de publicité Ogilvy &Mather. Toutes deux n’ont pas répondu aux sollicitations. Deux personnes-sources se sont prêtées au jeu de l’entretien: Erik Neveu, directeur de l’IEP de Rennes et chercheur au CRAPE (sur des thèmes concernant le journalisme, les mouvements sociaux, le genre), et Christiane Restier Melleray, maître de conférence à l’IEP de Bordeaux et chercheur au CERVL (sur le genre, les médias, les campagnes électorales). J’ai essayé de réaliser ce travail méthodiquement, par étapes. Durant les premières semaines, je me suis attelée à prendre connaissance de l’actualité de la recherche en lisant des ouvrages et des revues scientifiques. Après avoir commandé les magazines sur internet, une première lecture m’a permis de dégager des critères qui pouvaient différencier les articles. A la suite de cette lecture préliminaire, j’ai élaboré une grille d’analyse qui s’articulait sur trois 9 Demonpion D., Léger L., Cécilia, la face caché de l’ex-première dame, Paris, Pygmalion, 2008 Bacqué R., Chemin A., La femme fatale,Paris, Broché, 2007 10 14 parties : la première visait à objectiver le sujet ( l’angle, la place du sujet, le personnages central, les photographies), la deuxième à rendre compte des modalités de la mise en récit ( les images créées, les appels à la compassion, l’ethos) et la troisième, à repérer les mécanismes de distanciation et de prise de positions dans les articles. Numéro par numéro, j’ai analysé couvertures, éditoriaux et articles traitant du divorce entre Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz, à l’aide de manuels d’analyse de discours. La grille de lecture m’a permis de mettre en relief quelques éléments saillants, sur lesquels je me suis davantage concentrée pour analyser les magazines traitant de la séparation entre François Hollande et Ségolène Royal. Ensuite, j’ai souhaité me détacher du corpus temporairement pour confronter les résultats issus des deux premières cessions d’analyses. Finalement, des différences notoires entre les deux traitements médiatiques sont apparues. Il a donc fallu émettre des hypothèses, envisager des pistes de réflexion pour comprendre les similarités ou au contraire les divergences patentes de discours, d’une rupture à l’autre. Au cours de cette phase de confrontation, j’ai entrepris de quantifier les deux traitements médiatiques, en élaborant des tableaux statistiques et en repérant les occurrences de mots. Ce travail d’objectivation m’a amené à dégager des configurations énonciatives particulières, pour les deux ruptures, mais aussi pour les deux catégories de magazines. Le plan adopté dans ce mémoire reprend largement la grille d’analyse qui m’a servi pour la recherche : du plus objectif, du factuel, le mémoire s’avance lentement sur la question de la mise en scène de l’intime, pour finir sur le thème de la politisation et de l’engagement partisan. Tout au long de ce processus de recherche, je n’ai cessé de me documenter sur le sujet. Le manque de ressources bibliographiques directement en lien avec le sujet semblait angoissant, puisque rien ne permettait de vérifier l’analyse, à part ma propre relecture. L’interprétation des résultats est donc relativement subjective. Cette recherche n’appelle donc qu’à être critiquée et enrichie. La phase de rédaction m’a donné l’occasion de réaliser une troisième lecture, cette fois en survolant les magazines, afin de prendre un tant soit peu de hauteur. Je me suis toujours efforcée de croiser les deux axes d’études : l’analyse de deux catégories de magazines et l’analyse de deux séparations amoureuses de personnages politiques. Parfois avec quelques difficultés. Cependant, c’est à l’intersection de ces deux axes que se trouve l’intérêt de la recherche et seule l’étude de cet espace permet d’ébaucher une réponse à notre problématique, de saisir la question de la politisation du traitement médiatique de l’intime. Il aurait été pertinent de compléter l’étude par une analyse de réception, afin de percevoir les effets du discours médiatique. Enfin, je tiens à dire que, dans l’adversité de ce mémoire, j’ai pris 15 beaucoup de plaisir à éplucher – sans aucun voyeurisme – mon corpus, et à me pencher sur un objet de recherche aussi sérieux grâce à un sujet aussi léger. 16 Partie 1. Du privé au public : Quelle publicisation des informations privées ? Cette première partie a pour but d’analyser la construction d’un évènement médiatique à partir de l’annonce de la séparation par les personnages politiques. Dans un premier temps nous avons cherché à nous détacher de notre corpus, afin de saisir les modalités de la publicisation de l’information privée par les acteurs politiques et par l’ensemble des médias. Les informations qui nous ont servi à reconstituer la chronologie des évènements ne sont donc pas issues des magazines sélectionnés. La mise en perspective théorique semblait alors nécessaire pour comprendre les problématiques politiques et sociales que soulevait la déclaration publique d’une rupture par des acteurs politiques. La mise à distance temporaire du corpus nous a finalement permis d’aborder le traitement médiatique de la séparation par nos vingt numéros avec plus de fraîcheur. Dans un second temps, nous nous sommes concentrés sur l’analyse du statut du sujet dans les six titres. Il fallait donc déterminer la nature de ce dit journaliste, comprendre quelles informations étaient données au public et quelles informations étaient tues. Nous avons brossé à grands traits les trames des dispositifs d’énonciation des deux séparations. Notre parti pris est donc de ne pas séparer l’analyse de l’énoncé et de l’énonciation. Ainsi, dans cette première partie, nous avons cherché à comprendre comment les modalités de publicisation de la rupture sentimentale par les personnages politiques induisent un traitement particulier de l’information. Notre regard s’est porté à la fois sur les invariants du traitement médiatique des deux séparations, mais aussi sur les points nodaux de divergences entre les deux catégories de magazines. 1. 1. La rupture sentimentale de personnages politiques : un évènement privé pour des personnages publics. 1.1.1.Présentation des faits : deux couples dans la sphère publique 17 1.1.1.1. Ségolène Royal et François Hollande Ségolène Royal et François Hollande se rencontrent en 1980 à l’Ecole Nationale d’Administration. En 1978, Ségolène Royale adhère au Parti Socialiste, suivie un an plus tard de François Hollande. Après la victoire de François Mitterrand, elle est conseillère à l’Elysée pour les questions de santé ; lui, devient directeur de cabinet de deux porte-parole du gouvernement de Pierre Mauroy : Max Gallo et Roland Dumas. Le couple n’est pas marié et vit en concubinage ; en 1984, 1985 et 1987 naissent leurs trois premiers enfants, Thomas et Clémence et Julien. Ségolène Royal est élue députée des Deux Sèvres en 1988, quatre ans plus tard, en 1992, elle entre dans le gouvernement Bérégovoy comme ministre de l’environnement, et donne naissance à sa dernière fille, Flora. François Hollande est élu député de Corrèze en 1988, mais perd son siège en 1993. Il prend la présidence du « Club témoin » crée par Jacques Delors et travaille dans le cabinet d’avocat de Jean-Pierre Mignard. En 1995, François Hollande devient porte-parole du Parti Socialiste, puis Premier secrétaire en 1997. Il est élu député européen en 1999, puis maire de Tulle en 2001. En 2000, Ségolène Royal prend le portefeuille ministériel de la famille et de l’enfance. En 2004, elle conquiert la région Poitou-Charentes, imposant une défaite cinglante à Jean Pierre Raffarin. Tous les deux ont alors le statut de « présidentiable » au sein du Parti Socialiste, même si, à ce moment là, ce titre semble celui de beaucoup de dirigeants socialistes. Le 29 septembre 2006, elle se déclare officiellement candidate pour les élections présidentielles de 2007. Le 16 novembre 2006, les militants socialistes la choisissent à plus de 60 % (contre Dominique Strauss Kahn et Laurent Fabius) pour représenter le Parti Socialiste dans le duel des présidentielles. Elle obtient 25 % des suffrages au premier tour, le 22 avril, puis 46 % au deuxième tour, le 6 mai 2007.11 1.1.1.2. Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz En 1976, Nicolas Sarkozy adhère au Rassemblement Pour la République et devient conseiller municipal de Neuilly. Il obtient alors une maîtrise de droit privé et passe le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat en 1981. En 1982, il épouse Marie-Dominique 11 - Les informations présentes dans cette partie sont principalement issues d’articles de journaux, notamment : Bacqué R., Chemin A., « Royal-Hollande. Vie privée, vie publique », Le Monde, 20 juin 2007 Haski P., « Royal, Hollande, étrange timing pour une séparation officielle », Rue 89, 17 juin 2007 Revault d’Allones D. « Royal, Hollande, qui va garder le parti ? », Libération, 19 juin 2007 18 Culioli avec qui il aura deux enfants : Pierre en 1985 et Jean en 1987. En 1983, il est élu maire de Neuilly-sur-Seine, succédant à Achille Peretti (qui est l’oncle de Marie-Dominique Culioli), mandat qu’il conserve jusqu’en 2002. Cécilia Ciganer-Albéniz n’achève pas ses études de droit et se consacre à ses activités de mannequin et d’attachée parlementaire auprès de René Touzet, sénateur de l’Indre. En 1984, Nicolas Sarkozy marie Cécilia Ciganer-Albéniz à Jacques Martin à Neuilly : ils ont eu filles Judith (1984) et Jeanne- Marie (1987). En 1988, Cécilia Ciganer-Albeniz et Nicolas Sarkozy entament respectivement une procédure de divorce, et se marient en 1996. Ils donnent naissance à leur fils, Louis, en 1997. Nicolas Sarkozy est alors élu député des Hauts-de-Seine, puis réélu en 1993 et 1997, 2002 et 2005. Il est supplée lorsqu’il prend ses fonctions de ministre du budget, en 1993, puis en 2002 lorsqu’il s’installe place Beauvau. Il est nommé ministre d’état, de l’économie et des finances par Jean- Pierre Raffarin (III), en 2004, et prend le poste de président de l’UMP. Dominique De Villepin le désigne ministre d’état à l’intérieur en 2005. A partir de cette date, Cécilia Ciganer-Albéniz travaille comme conseillère technique auprès du ministre. Le 19 mai 2005, le couple Sarkozy se sépare, alors que Cécilia Ciganer-Albéniz rejoint le directeur de Publicis, Richard Attias, à Pétra en Jordanie. Le divorce n’est pas prononcé et le couple se reforme en juin 2006. Le 29 novembre 2006, Nicolas Sarkozy annonce officiellement sa candidature à l’Elysée. Le 14 janvier, seul prétendant à l’investiture UMP, il est désigné par les militants pour être le candidat du parti. A partir de janvier 2007, Cécilia-Ciganer Albéniz dispose d’un bureau au Q.G. de campagne, rue d’Enghein. Nicolas Sarkozy remporte 31 % des suffrages au premier tour et 53 % au second tour, devenant le sixième président de la Cinquième République.12 L’étude sommaire des biographies de nos quatre protagonistes permet d’observer que les deux couples ont été projetés dans la sphère publique, notamment par le biais de fonctions politiques. Néanmoins, le déséquilibre des statuts entre Cécilia Ciganer-Albéniz et Nicolas Sarkozy est nettement plus considérable puisque celle-ci n’a aucun mandat électif. Elle ne représente donc pas un électorat. Par ailleurs, son activité professionnelle et politique est dépendante de celle de son mari : elle est soumise hiérarchiquement à son autorité, autant dans ses fonctions officielles (conseillère technique au cabinet du ministre en 2005), qu’officieuses (dans ses fonctions de chef de cabinet du ministre de l’intérieur ou au Q.G. de 12 Les informations que contient cette partie sont principalement issues d’articles de journaux, notamment : - Ridet P., Bacqué R. « Nicolas Sarkozy, a l’Elysée sans Cécilia », Le Monde, 19 octobre 2007 19 campagne). Enfin, si Ségolène Royal comme François Hollande possèdent des fonctions électives, Ségolène Royal possède un statut symbolique supérieur, dans la mesure où elle est la première femme socialiste à s’être présentée à l’élection présidentielle. 1.1.2. Le couple et la rupture mise en scène par les acteurs politiques. 1.1.2.1. Quelle publicisation des informations par les acteurs ? Le vendredi 8 juin 2007, Ségolène Royal accorde une interview à Christine Courcol et Thierry Masure, deux journalistes de l’A.F.P. qui écrivent un livre sur la défaite socialiste aux présidentielles13. Elle demande aux deux journalistes de ne plus présenter François Hollande comme « son compagnon ». Le livre qui contient ce « scoop » officiel, doit sortir le 20 juin, alors que les deux auteurs, l’éditeur et Ségolène Royal se mettent d’accord pour que la séparation soit annoncée auparavant, par dépêche A.F.P. et de vive voix, grâce à une interview sur France Inter, le lundi 18 juin. L’émission est enregistrée le 17 juin, jour des résultats aux élections législatives et Ségolène Royal y déclare : « J’ai demandé à François de quitter le domicile, de vivre sa vie de son côté». Les déclarations présentes dans le livre sont plus explicites puisqu’elle annonce : « J’ai demandé à François Hollande de quitter le domicile, de vivre son histoire sentimentale de son côté, désormais étalée dans les livres et les journaux, je lui ai souhaité d’être heureux » 14. En supposant que ces déclarations sont honnêtement retranscrites, nous pouvons remarquer que les propos de Ségolène Royal laissent entendre que, d’une part la décision de la rupture lui appartient et que, d’autre part, François Hollande lui a été infidèle. En effet, il n’y a pas eu de communiqué commun et l’initiative de la publicisation de la séparation a bien été le fait de Ségolène Royal. Sans se perdre en conjonctures scabreuses, il semblerait que François Hollande ait consommé le premier cette séparation, dans la mesure où il entretenait une liaison avec une autre femme. La publicisation des informations ne s’est faite que par l’intermédiaire des médias, et non par communiqué ou par un livre qu’elle aurait signé. Il est donc impossible de vérifier les propos rapportés, de distinguer les faits du compte-rendu des faits. La mise en scène de la rupture est donc intrinsèquement médiatique : le discours de Ségolène Royal se confond donc avec celui des médias. 13 Courcol C., Masure T., Ségolène Royal, les coulisses d’une défaite, Archipel, Paris, 2007 Ces faits sont relatés par Pierre Haski, dans un article du 18 juin 2007, paru en ligne sur www.rue89.com et par Rafaëlle Bacqué et Ariane Chemin (Le Monde du 20 juin 2007 « Royal- Hollande, vie privée, vie publique ») 14 20 Le divorce entre Cécilia Ciganer-Albéniz et Nicolas Sarkozy a été rendu public de manière plus officielle, par l’intermédiaire d’un communiqué de l’Elysée annonçant « la séparation par consentement mutuel », le jeudi 18 octobre. David Martinon, alors porte-parole de l’Elysée, confirme qu’il s’agit bien d’un divorce, tandis que l’avocate commune du couple Me Michèle Cahen affirmait le même jour sur Europe 1 que « tout à été homologué dans les termes d’une convention de divorce homologuée par le magistrat »15. Par la suite, Nicolas Sarkozy n’a donné aucune interview, contrairement à son ex-femme qui, le 19 octobre, accorde une interview à l’Est Républicain16, puis au magazine Elle, qui pour l’occasion avance sa parution de deux jours. Dans cette dernière interview, elle confie : « Je me suis entièrement donnée à mes enfants et à mon mari, et je ne le regrette pas. Mais, durant toutes ces années, je me suis mise entre parenthèses. Nous étions un couple ordinaire dans une fonction extraordinaire, soumis à une pression extraordinaire, et nous n’y avons pas résisté. Aujourd’hui, je tourne une page de ma vie. Divorcer, c’est un acte d’honnêteté. » 17 Les déclarations de Cécilia Ciganer-Albéniz aux médias ont suivi l’annonce officielle ; ce ne sont donc pas les journaux qui ont rendu publique l’information. La mise en scène de la rupture par les deux couples a été différente. La publicisation des informations n’a pas pris la même voie et les acteurs ne se sont pas exprimés dans les mêmes proportions. Par ailleurs, nous pouvons noter que l’initiative de la publicisation des informations privées revient dans les deux cas à celui qui a le statut politique (symbolique ou objectif) le plus élevé. Enfin, dans ces deux exemples, seules les femmes se sont exprimées suite à la séparation. 1.1.2.2. La valeur du couple en démocratie et la distribution genrée des rôles Notre précédente partie nous a permis d’observer succinctement que la publicisation d’informations privées autour du couple ou l’annonce d’une séparation peut se faire de manière différente selon les configurations politiques dans lesquelles sont impliqués les acteurs. La mise en scène du couple semble alors partie prenante d’un jeu politique. En effet, dans le cas d’un couple présidentiel, la « première dame » possède un rôle spécifique, même si elle ne dispose pas de mandat électif : elle instaure un lien entre 15 Propos rapportés par l’AFP et Reuters, tirés d’un article du journal Le Monde le 18 octobre 2007. Propos recueillis par Yves Derai, L’Est Républicain, édition du 19 octobre 2007 17 Propos recueillis par Valérie Tronanian, Elle édition du 20 octobre 2007 16 21 la société et l’institution publique. C’est donc une « figurante engagée » dans le jeu politique [Restier Melleray, 1999]: figurante parce qu’elle est bien la « femme du président », et n’intervient pas à proprement parler à la scène politique ; politique, parce qu’elle contribue à renforcer l’illusio18 propre à l’institution présidentielle. Symbolisant une vie privée théoriquement cachée, l’épouse du président est un gage de l’authenticité de la sphère publique, et plus encore, de la moralité des valeurs défendues par son mari. « L’homme public doit ainsi être exemplaire dans sa vie privée non seulement parce que la pacification de ses mœurs est la condition de l’exercice désintéressé du pouvoir, mais aussi en raison de ce que son comportement accrédite aux yeux des individus composant la population, la “valeur” des règles morales » [Poirmeur, 1999, p 140]. Ce schéma est particulièrement vrai pour le président de la République, à cause du pouvoir représentatif conféré par l’élection au suffrage universel direct, mais semble pouvoir s’appliquer à toute fonction politique représentative (maire, député, etc.). Nous ne ferons pas ici une analyse de Gender studies, mais soulignons seulement que ce rôle fonctionnel du couple en démocratie découle de réalités socioculturelles dans lesquelles les femmes, garantes de l’entretien domestique et de l’éducation des enfants, incarnaient l’espace privé tandis que les hommes occupaient l’espace public, selon le modèle patriarcal de « l’un sans l’autre » [Badinter, 1986, p.101]. La mise en scène du couple présidentiel, si elle témoigne d’une incursion déjà ancienne des femmes dans la sphère publique, peut aussi s’interpréter comme une synthèse du partage genré des rôles et de la complémentarité des sexes. Par conséquent, la représentation de la France s’incarne dans un couple plus que dans un personnage [Restier Melleray, 1999]. Le couple formé par Nicolas Sarkozy Cécilia Ciganer-Albéniz s’inscrit dans cette topique traditionnelle alors que le couple formé par Ségolène Royal et François Hollande s’en détache, du fait de l’inversion des rôles politiques. Ce renversement des rôles genrés n’implique pas pour autant que le conjoint de la femme politique, François Hollande, remplisse la même fonction que la « première dame », comme caution morale à la représentation. Cependant, cette nouvelle donne politique ne s’oppose pas à la fonction symbolique du couple en démocratie et à l’utilisation du couple comme un atout maître pour s’imposer dans le jeu politique. Les quatre protagonistes des ruptures n’ont donc pas 18 Nous entendons par illusio : « une croyance fondamentale dans la valeur d’un jeu social dans la valeur des enjeux. La participation des agents sociaux à tout champ implique un illusio, c’est-à-dire une croyance dans l’intérêt du jeu qui interdit la mise en question de la croyance dans l’intérêt du jeu » [Champagne, Christin, 2004, p 162] 22 hésité à mettre en scène la passion, l’amour et le bonheur familial : Retrouvailles sur la Maroni en Guyane (juin 2006), mariage supposé en Polynésie (mars 2007), etc. Pourtant, le divorce et la séparation amoureuse rompent avec ces schémas. Contrairement au couple, la séparation charrie des représentations fondamentalement négatives qui viennent assombrir l’image des représentants. Le soupçon d’immoralité (liaisons extraconjugales), d’incompétences affectives, et donc professionnelles pèse alors sur les ex-amants. Pourtant, il semble que la rupture de cet amour est aussi un sujet qui doit être rendu public et peut aussi faire l’objet de mises en scène. Cela nous invite à relativiser la théorie selon laquelle la publicisation de la vie privée est seulement un outil de communication, servant à présenter positivement les acteurs et finalement à se faire élire. 1.1.2.3. L’émotion légitime et l’informalisation des mœurs politiques « On fait de la politique avec sa tête et non avec les autres parties du corps ou de l’âme. Et pourtant, si le dévouement à une cause politique est autre chose qu’un jeu frivole d’intellectuels, mais une action menée avec sincérité, il ne peut avoir d’autres sources que la passion et devra se nourrir de passion ». Surmontant les apories du dualisme classique entre émotion et raison, cette formule de Max Weber19 illustre la légitimation des passions et des sentiments intimes dans la sphère publique. La publicisation de la vie privée par les personnages politiques ne doit donc pas être interprétée non seulement comme « un manque de pudeur »20 de la part des personnages politiques, mais comme une manifestation d’un nouveau rapport au corps, aux émotions, à la sexualité instauré à partir des années 1960 [Prost, 2002]. Cela nous invite à replacer notre étude dans le contexte d’informalisation des mœurs, du « relâchement contrôlé des contrôles » mis à jour par Cas Wouters, qui prolonge les analyses eliasiennes sur le procès de civilisation. Pour Norbert Elias, la dynamique de l’occident se caractérise par la progression de l’autocontrôle, défini comme une intériorisation des interdits sociaux par les individus [Elias, 1975]. A partir du XVIe siècle, les seigneurs, maîtres dans l’art de la guerre, deviennent des courtisans : de nouvelles mœurs se développent alors. Cette « curialisation des guerriers » [ibid., p.159] se traduit par le refoulement des pulsions et passions et 19 20 Citée par Alain Garrigou [Garrigou, 2003, p.10] Nous pouvons noter à ce propos que le mot pudeur dérive du mot latin pudenda qui signifie «avoir honte ». 23 l’apparition de formes pacifiques d’opposition au roi. La rationalisation et la psychologisation des élites, corollaires d’un nouveau jeu politique21, s’étend à la société entière. L’ensemble de la population, rendue interdépendante par l’effet du commerce et de la centralisation des institutions (création de l’Etat), vit sous le joug des « bonnes manières » ; la pudeur correspond alors à « une peur devant la dégradation sociale » [ibid, p.265]. En effet, si l’effacement de grandes différences entre les couches sociales concourt à une possibilité accrue d’identification entre membres du groupe social, la sensibilité aux écarts de mœurs se déculpe. Selon un processus de formalisation des mœurs, les autocontraintes sont d’autant plus prégnantes ; le refus des passions charnelles, des appétits corporels, s’apparente à un refus du vulgaire et des mœurs qui caractérisaient les classes populaires. Au cours d’un entretien, Erik Neveu a explicité la notion d’informalisation comme suit : « On peut se mettre à dévoiler des choses qui ressortent du désir, des émotions, des affects parce qu’en même temps, on sait qu’on vit dans un monde où globalement les gens sont assez appareillés en maîtrise de leur contrôle émotionnel, pour que dévoiler [ses affects] ne déclenche pas une réaction en chaîne incontrôlable, que de cette manière une femme peut retirer le haut sur une plage parce qu’elle sait que les hommes ne lui sauteront pas dessus. ». L’informalisation ne se borne donc pas au monde politique, mais touche l’ensemble de la société. La monstration de la souffrance en politique, par l’épanchement public sur une séparation amoureuse notamment, fait écho à l’essor de la compassion22 pour les victimes, qui supplante le sentiment de pitié [Boltanski, 1993]. L’informalisation s’impose alors comme une nouvelle étape du procès de civilisation éliasien, dans lequel le code des mœurs reconnaît des attitudes et émotions autrefois censurées. A l’image de la formalisation et de l’uniformisation des mœurs (XVIe –XXe ), l’informalisation contribue à la pacification des sociétés en fonctionnant comme un instrument d’intégration des diverses classes sociales [Wouters, 2003]. Ainsi, quand le personnel politique dévoile avec volubilité des émotions positives ou négatives, il figure le resserrement des interdépendances sociales, notamment entre politiques et profanes23, 21 22 Etymologiquement, le mot compassion signifie bien « souffrir avec ». L’essor de la compassion est une conséquence de l’égalisation des conditions, comme l’avait remarqué Tocqueville au XIXe. 23 « Tout code de mœurs fonctionne comme un régime, c’est-à-dire comme une forme de contrôle social exigeant l’exercice d’un autocontrôle. En règle générale, le code dominant des mœurs sert à préserver une distance sociale entre les groupes établis ou les classes dominantes et ceux qui essaient d’en faire partie ». [Wouters, 1993, p.148] 24 mais participe aussi à ériger en modèle cette nouvelle économie éthique. Nous pouvons aussi ajouter que ce fléchissement des autocontraintes chez les acteurs politiques conduit à une certaine désacralisation du pouvoir. Sans nous attarder sur les effets de la mise en scène de la souffrance sur les spectateurs, il semble que, dans un contexte d’informalisation des mœurs, le spectacle engage celui qui le voit ; il ne s’agit pas seulement d’une « simple » identification, de cette sympathie que procure la projection sur la personne souffrante, mais d’une indignation collective qui oblige ceux qui l’observe : « le collectif réaffirme ses valeurs en stigmatisant l’immoralité d’un coupable isolé » [Boltanski, 1993, p.98]. Les évolutions de la représentation politique, où l’intime et la vie privée sont montrés avec ostentation comme des faire-valoir, sont donc dépendantes de transformations socio culturelles. En effet, la mise en scène de la séparation amoureuse par les personnages publics, et donc de la souffrance, repose sur la légitimation préalable des émotions dans la sphère publique. Enfin, si, pour le quidam, les ruptures sentimentales font parties des vexations qui engagent seulement sa vie privée; vécues par des personnages politiques, elles recouvrent de fait une dimension symbolique, puisque le couple politique possède une puissance symbolique d’incarnation de la société. La rupture sentimentale devient alors un évènement public, qui sera relayé par les médias. 1.2. La rupture sentimentale : un évènement public 1.2.1. La publicisation des informations dans les médias 1.2.1.1. La création d’un évènement médiatique Dans nos deux exemples, c’est la déclaration officielle des acteurs qui va déclencher la reprise de l’information par l’ensemble des médias. Pourtant, les personnages politiques ne maîtrisent pas totalement la médiatisation des informations privées les concernant. Par exemple, lorsque Ségolène Royal annonce sa rupture, il paraît évident que François Hollande ne maîtrisait pas ce dispositif de publicisation. Par ailleurs, la mise en scène de l’annonce de la rupture, a été perturbée par une fuite sur le site internet de Marianne24 qui a incité l’AFP à 24 www.marianne2.fr 25 diffuser une dépêche annonçant la séparation dès le dimanche soir, contre la volonté de Ségolène Royal. L’information est alors relayée par les autres médias, ce qui recouvre partiellement la médiatisation des résultats socialistes aux élections législatives. Cette course visant à s’assurer l’exclusivité de l’information était en réalité assez dérisoire puisque plusieurs médias avaient déjà communiqué l’information bien avant l’annonce officielle. Rafaëlle Bacqué et Ariane Chemin, respectivement journalistes au journal Le Monde et au magazine Le Nouvel Observateur, avaient annoncé la séparation du couple dans un livre paru le 11 mai25. Le premier journal à avoir repris l’information (par des mots sibyllins et déclinés au conditionnel) est le magazine l’Express, dans son édition du 7 juin 2007, au cours d’un article intitulé : « Ségolène Royal, les blessures secrètes ». (L’Express, n°2918) L’examen de la chronologie de l’évènement et de la publication de l’information dans les divers médias questionne l’autonomie des journalistes pour diffuser une information privée tant qu’elle n’est pas rendue publique par les acteurs. Il semble à première vue que les médias sont assez réticents à l’idée de diffuser une information qui n’a pas été avalisée par l’acteur politique concerné26. Néanmoins, cette interprétation doit être relativisée par un autre fait, politique cette fois. Comme le suggère Rafaëlle Bacqué en entretien : « Ca touchait la gauche, donc ça arrivait quand même après le traumatisme de 2002. L’électorat de gauche – comme la presse – avait quelques difficultés à sortir des informations qui puissent déstabiliser la candidate de gauche. Et nous d’ailleurs on l’a [le livre ] sorti après la campagne. Puis 2ème chose, ça touchait une femme, et Ségolène Royal avait fait de l’argument heu “victime des sexistes” un argument de sa campagne et donc effectivement, c’est vrai que … ça pouvait être utilisé par elle ». Le silence des médias sur cette information peut donc être aussi dû aux stratégies politiques du titre. A priori, l’explication de Rafaëlle Bacqué semble assez partielle parce qu’un schéma similaire s’est dessiné lors du divorce entre Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz : la couverture médiatique de l’information s’est déployée après le communiqué commun de l’Elysée. Néanmoins, les enchaînements de la publicisation de l’information par les différents médias présentent quelques différences. Le divorce du président n’a pas donné lieu à la même 25 Bacqué R., Chemin A., La femme fatale, Albin Michel, Paris, 2007 L’information est sortie dans un livre et non dans un journal, ce qui témoigne de la pusillanimité des magazines sur ce sujet. 26 26 course à l’information puisque ce sont les acteurs eux-mêmes qui avaient laissé paraître en public des signes annonciateurs de la rupture. Les médias n’ont donc pas eu de scoop, mais tous ont relayé au même moment les rebondissements de l’histoire amoureuse du couple : dès 2005, Cécilia Ciganer-Albéniz confie dans une interview à Téléstar qu’elle ne veut pas être première dame27, elle arrive tardivement à la soirée au Fouquet’s, prétexte une angine blanche le samedi 11 août pour éviter la rencontre avec les Bush, n’accompagne pas Nicolas Sarkozy en voyage officiel en Bulgarie, le 4 octobre 2007, etc. Les indices indiquant les conflits intimes ont été offerts aux journalistes, soit par le biais d’interviews, soit parce qu’ils sont apparus lors de scènes publiques. Si, le communiqué commun a déclenché une vague médiatique sur le sujet, dès l’élection, il y avait eu pléthore d’articles sur le thème du couple présidentiel. L’étude de la couverture médiatique de l’information intime nous permet de constater la « circulation circulaire de l’information » [Bourdieu, 1996, p. 22] : une fois publicisée par des médias crédibles (Afp, France inter, etc.) l’ensemble des médias reprennent l’information de manière mimétique : la séparation amoureuse de personnages politiques devient donc un « évènement » médiatique. Cet évènement est finalement coproduit par l’action conjuguée des personnages politiques des médias qui relaient l’information: « Il serait naïf de croire que la presse produit à elle seule les évènements, de façon totalement arbitraire et manipulatrice. Il s’agit en réalité d’une production collective dont les journalistes ne sont que les agents les plus visibles. Quelle que soit la manière positive ou négative dont ils en parlent, il est des évènements dont les journalistes ne peuvent pas ne pas parler, sous peine de dilapider leur capital de crédibilité » [Champagne, 1990, p.238]. Néanmoins, la coproduction du phénomène ne suppose pas une participation équivalente de la part des médias et des personnages politiques ciblés. En effet, dans le cas du divorce présidentiel, les informations sont construites sur la base des observations de journalistes présents dans des moments officiels. Concernant la rupture socialiste, la majorité des magazines ont adossé leurs informations sur les déclarations de Ségolène Royal et des proches du couple. Ainsi, seules Rafaëlle Bacqué et Ariane Chemin ont développé l’information sur la base d’observations. La majorité des médias se sont adossés aux déclarations de la candidate pour traiter le sujet. L’étude de la production de l’évènement médiatique ne permet pas de déceler clairement quelles ont été les mises en scène stratégiques des acteurs politiques. Ainsi, nous ne pouvons 27 « Je ne me vois pas en 'first lady'. Cela me rase. Je ne suis pas politiquement correcte : je me balade en jean, en treillis ou en santiags. Je ne rentre pas dans le moule », Téléstar, 7 mai 2005. 27 dire qu’une rupture a « plus » été mise en scène que l’autre. Cependant, il faut noter que la médiatisation de la rupture de Ségolène Royal et François Hollande est davantage conditionnée par les déclarations des acteurs. 1.2.1.2. La couverture de l’information par les news magazines et les magazines people La couverture médiatique des séparations amoureuses de personnages politiques faite par les news magazines et par les magazines people étudiés présentent certaines similitudes. Tout d’abord, les vingt magazines ont choisi de faire écho à l’annonce de la séparation amoureuse pour les deux couples, sans distinction d’ordre idéologique. Au-delà du caractère réducteur qu’implique la sélection des magazines du corpus, le nombre de numéros se référant explicitement au sujet est d’ailleurs le même d’une séparation à l’autre (soit dix numéros). Les déboires amoureux des personnages politiques sont donc des informations que les magazines, quelles que soient leurs lignes éditoriales, se doivent de transmettre. Par ailleurs, le rapport temporel28 à l’évènement est équivalent d’un traitement médiatique à l’autre: c’est l’annonce officielle de la rupture qui déclenche – dans la très grande majorité des cas – la médiatisation de l’information privée. La médiatisation de l’intime s’inscrit donc dans une actualité ; et c’est l’annonce officielle qui crée cette actualité. L’analyse de la relation temporelle à l’évènement appelle ici deux remarques. Premièrement, le fait que certains magazines (l’Express pour le divorce Royal / Hollande et Closer pour le couple Sarkozy/ Ciganer-Albéniz) aient rendu l’information publique avant l’annonce officielle n’a pas provoqué de réaction en chaîne médiatique. Le sujet de la séparation ne se prête pas à une « chasse au scoop », ni pour les magazines people, ni pour les news magazines. Finalement, cela peut signifier que l’information était connue par les rédactions mais que ces dernières ne souhaitaient pas la rendre publique29. L’analyse fait apparaître une première démarcation forte entre les deux catégories de magazines : les magazines people ont tendance à étirer temporellement l’information privée, c’est-à-dire à la recycler plusieurs semaines après l’annonce officielle et donc à la réinvestir hors du cadre de l’actualité, donc à la transformer en « soft news ». Pourtant, le fait que l’espérance de vie de cette information privée soit plus longue pour les magazines people ne signifie pas que la couverture médiatique soit quantitativement plus importante. En effet, si 28 29 Voire Annexe n° 4, tableau n° 2 Cf. Propos rapportés de l’entretien avec Rafaëlle Bacqué dans la partie antérieure. 28 nous tentons de mesurer objectivement la place du sujet, il ne semble pas qu’il y ait une séparation nette entre nos deux catégories de magazines : en nombre de pages consacrées au sujet, proportionnellement au nombre de pages total des différents titres, c’est l’Express qui dédie le plus de place au sujet, suivi de Paris Match et Le Point, tandis que Closer est le plus économe30. Par conséquent, en termes quantitatifs, il est erroné de dire que les magazines people donnent plus d’informations quant à la vie privée des personnages politiques. Il est difficile de quantifier avec précision la place du sujet dans les différents magazines, justement parce que tous les articles ne se concentrent pas réellement sur la séparation mais se servent du sujet comme d’un pivot. Néanmoins, l’espace octroyé à l’information est deux fois plus important dans le cas du divorce présidentiel qua dans le cas de la séparation entre François Hollande et Ségolène Royal, soit quatre-vingt pages d’articles31. Cet écart notable semble en partie du au statut du président. Par ailleurs, les articles ne font pas la même part aux quatre personnages. Ainsi, seuls deux articles se concentrent exclusivement sur François Hollande, alors que nombreux sont ceux qui prennent Cécilia Ciganer-Albéniz comme figure principale. Par ailleurs, force est de constater que les articles dissocient moins volontiers Ségolène Royal et François Hollande tandis qu’ils seront plus enclins à traiter le divorce présidentiel en se concentrant soit sur Cécilia Ciganer-Albéniz soit sur Nicolas Sarkozy. 1.2.2. « Dire et taire » : La sélection des informations et l’énoncé sur les séparations Au-delà de l’étude de la relation temporelle à l’évènement et de la place quantitative du sujet dans les six titres étudiés, il convient d’analyser quels sont les faits que les magazines people et les news magazines portent à la connaissance du public. L’examen des angles nous invite à constater que les titres sont pris dans des faisceaux de contraintes, liées à la situation de communication - notamment en terme d’identités éditoriales – et à la nature privée de l’information. La sélection des informations par les journalistes et la manière dont va être présentée la nouvelle nous renseignent à la fois sur les stratégies de différenciation éditoriale des magazines, mais aussi sur la nature ambivalente de cette information, ni totalement publique, ni purement privée. 30 31 Voir annexe n°4, tableau n° 1. Voir Annexe n° 4, tableau n° 3 29 1.2.2.1. Entre le devoir d’information et le respect de la vie privée : le dilemme des journalistes Comme nous l’avons vu, la majorité des articles transmet des informations qui sont déjà rendues publiques par les acteurs eux-mêmes. Cependant, certains magazines vont être amenés à rendre compte de scènes privées ou à diffuser des informations qui n’ont pas été communiquées publiquement. Ainsi, analyser la sélection des informations par les journalistes permet d’appréhender cette fameuse zone grise qui marque la frontière entre le privé et le public. Le premier indice qui peut nous renseigner sur la teneur moderne de ce domaine « privé » est donné par les déclarations des acteurs politiques : ils rendent publiques certaines informations mais en cachent d’autres. Le deuxième indicateur s’inscrit dans le dispositif juridique de protection de la vie privée, consacré par une loi du 17 juillet 1970 : elle introduit dans le code civil un article qui dispose « Chacun a droit au respect de sa vie privée»32. Les personnages politiques ont donc la possibilité d’attaquer en justice les magazines qui auraient outrepassé les frontières de leur vie privée, et de leur infliger des sanctions prévues par le code pénal, allant jusqu’à la saisie des magazines33. Pourtant, la loi ne définit pas la teneur de cette « vie privée » et seul l’examen de la jurisprudence peut préciser les contours exacts de la notion. La mise en application de l’article 9 achoppe sur deux difficultés et témoigne finalement de l’impossibilité de définir strictement ce qu’est la « vie privée ». En premier lieu, le domaine d’action de cette loi se heurte à une autre loi : celle de 1881, qui garantit la liberté d’informer34. Pour chaque procès, les juges doivent effectuer une pondération entre ces deux libertés, selon le principe de la « balance des intérêts » : « Dans le silence de la loi, il appartient au juge saisi du litige, de ne négliger aucune des considérations de fait et de faire triompher celui de ses deux intérêts opposés qui lui apparaît le plus important et qui présente donc un caractère légitime. Si, en particulier, il estime que la publication litigieuse répond à un besoin légitime d’informer le public, il la considère comme licite. » [Ravanas, 2007, p. 32 Article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée. Ses mesures, s’il y a urgence, peuvent être ordonnées en référé ». (www.legifrance.gouv.fr) 33 Article 226-1 du Code pénal : « Est puni d’an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité d’autrui ». (www.legifrance.gouv.fr). 34 Article 1 de la loi de 1881 : « L’imprimerie et la librairie sont libres ». Articles 5 : « Tout journal ou écrit périodique peut être publié, sans autorisation préalable ». (www.legifrance.gouv.fr) 30 62] La méthode de la balance des intérêts affirme le droit du public à être informé indépendamment de la volonté des personnages publics. Néanmoins, l’appréciation de l’intérêt démocratique du dévoilement de faits privés appartient alors au juge. A ce titre, elle semble éminemment subjective. La publicisation d’une information sur l’état de santé du président de la République est-elle une atteinte à la vie privée ou relève-t-elle d’un droit à l’information ? En quoi possède-t-elle un impact sur la vie publique ? Si l’information sur la maladie des personnages publics est jugée licite au nom de principes républicains, pourquoi une information sur la séparation amoureuse ou le badinage des personnages politiques ne le serait-elle pas ? La jurisprudence privilégie souvent une des deux libertés aux dépens de l’autre, au gré des circonstances historiques et politiques ; elle donne à voir les enjeux de l’entreprise de délimitation de cette « vie privée », mais ne permet pas de comprendre selon quels critères des informations apparemment intimes deviennent publiques. Par ailleurs, la justice ne peut s’autosaisir : c’est aux personnages politiques que revient la démarche de se rendre devant les tribunaux. Là encore, il est difficile de saisir une cohérence dans les procès intentés par les personnages politiques, et plus encore impossible d’en tirer une maxime générale sur les bornes de la vie privée, telle qu’elle serait fixée par les acteurs publics. Dans notre corpus, seul Closer a été attaqué et condamné : suite à la publication de photos avec sa nouvelle compagne (Closer n° 155), François Hollande a porté plainte et a obtenu de Closer le versement de 15.000 € de dommages et intérêts 35. Ségolène Royal s’était indignée de la publication de photos où elle figurait en maillot de bain, dans Closer (n° 109) et dans Paris Match (n°3034). Elle a menacé de porter plainte puis s’est rétractée36. Notons ici que le couple socialiste n’a pas porté plainte contre le magazine l’Express (n° 2918) qui avait pourtant soulevé la question de la rupture avant l’annonce officielle. A l’inverse, le couple avait vivement réagi contre le livre de Rafaëlle Bacqué et d’Ariane Chemin, alors que l’information, même si elle était plus développée, était substantiellement la même37. La tolérance devant l’infraction à la protection de la vie privée est donc variable selon les titres et les médias : à ce jour aucun personnage politique n’a attaqué de news magazines, mais aussi selon le couple étudié : le couple Sarkozy/ CiganerAlbéniz n’a intenté aucune action en justice contre les magazines concernant leur séparation. 35 Closer avait alors avancé de trois jours la parution du numéro (sorti le vendredi 24 août au lieu du lundi 27 août 2007) pour s’assurer l’exclusivité de la publication des photos. Le tribunal de Nanterre a rendu son verdict le 28 août 2007. 36 Ce n’était pas la première fois que Ségolène Royal faisait une couverture en maillot de bain, puisque Closer avait déjà publié en 2006 des photos similaires. Elle n’avait pas porté plainte. 37 Ségolène Royal a retiré sa plainte le 9 avril 2008. Pour information, voilà ce que Rafaëlle Bacqué disait à propos du procès : « J’espère qu’elle [SR] va aller jusqu’au bout [du procès], et je pense que ce sera très intéressant parce qu’on posera justement exactement la règle pour la presse » 31 Au regard de ces exemples, les frontières de la vie privée semblent toujours aussi mouvantes. De manière concrète, elles sont davantage celles que choisissent de tracer les acteurs politiques : dans la mesure où l’infraction est souvent constatée et l’intérêt démocratique des articles peu probant, les procès donnent souvent raison aux requérants. L’ambiguïté des acteurs politiques, qui choisissent « à la carte » de protéger leur vie privée, leur couple ou leur famille est néanmoins contrebalancée par l’ambivalence des journalistes eux-mêmes. Dans un premier temps, les journalistes semblent se donner une « ligne de conduite », qui les amène à hiérarchiser les informations privées qu’ils connaissent, à en publier certaines et à en taire d’autres. Lors des entretiens, ceux-ci ont mis en avant non seulement le principe d’exactitude des faits, au fondement de l’information, mais aussi une éthique de l’information, une responsabilité individuelle dans l’évaluation de l’intérêt de la publicisation d’informations privées. La frontière entre ce qui doit être dit et tû semble alors très claire : «J’ai toujours bien fait la distinction entre vie privée ayant un impact avec la vie publique et vie intime, là qui appartient à chacun. » (Rafaëlle Bacqué, Le Monde). « Je ne fais pas non plus dans le “Closer” dans le trash, dans la vie privée. Je ne parle pas des maîtresses de Sarko. Je ne vais pas là dedans parce que pour moi ce n’est pas intéressant, ça n’a rien à voir avec la politique » (Candice Nedelec, Gala). Se présentant comme des gardefous contre les atteintes à la vie privée, ils invoquent et célèbrent, comme les juges, une information privée rendue publique au service de l’intérêt général. La frontière serait alors celle de la « vie intime »38 - amants, maîtresses et maillot de bain - contre la « vie privée », qui pourrait alors être rendue publique. Eric Mandonnet (L’Express) concède pourtant : « C’est très difficile pour nous de savoir est-ce que parfois on va trop loin. En plus il y a une sorte de pression, il y a internet, une surenchère… ». Excepté Closer, mis au ban de la profession pour les entorses à l’éthique journalistique, les discours s’accordent à dire que l’ambiguïté est avant tout celle des personnages politiques, tandis que la sélection de l’information ne donnerait pas lieu à l’équivoque. Pourtant, l’ambiguïté est un art unanimement cultivé. En effet, certains journalistes font le choix de livrer des informations exclusives dans des livres écrits ad hoc et non dans le titre auquel ils sont rattachés. Cela signifie que les informations qui seront publiées dans les livres n’ont pas pour les titres de référence le statut « d’informations » (soit parce qu’elles sont invérifiables, soit parce que les faits qu’elles révèlent ne correspondent pas à la ligne 38 Cette définition de la vie privée semble rejoindre alors celle de privacy. Le terme anglo-saxon désigne en effet à la fois le « for intérieur », les convictions intimes, et la vie privée vécue qui ne regardent personne d’autre que la personne. 32 éditoriale du journal). Or, tous les titres sont en mesure de s’intéresser à des faits concernant un personnage politique, si ceux-ci possèdent un intérêt pour la chose publique. Finalement, cela montre que les différents titres tracent eux-mêmes les lignes qui délimitent le domaine privé, de ce qui pourra être dit dans le magazine ou non. Comme la signature d’un livre n’engage que celui qui l’écrit (et son éditeur), il semble que la plupart des titres calquent leurs normes sur celles fixées par les personnages politiques, lorsqu’ils concèdent à annoncer publiquement un divorce par exemple. Voici le commentaire de Denis Demonpion qui a révélé le scoop du flegmon de Nicolas Sarkozy suite à son divorce 39: « Après, ils m’ont dit qu’ils auraient pris le risque… Mais bien sûr que non ils ne l’auraient pas pris ! Ils m’auraient dit : “ ton information vaut rien, on va appeler l’Elysée pour vérifier ”. Ils auraient tué l’info. Comme le scoop m’appartenait, à moi et à mon co-auteur, on a pris la décision de le donner ailleurs. C’était un choix délibéré, compte tenu de notre ligne politique, ici, je n’était pas certain que l’information y survive longtemps. ». Le statut accordé à l’information n’est donc pas le même dans un livre ou dans un journal : dans le livre l’information privée non divulguée par l’acteur politique témoignera de la « liberté d’informer » du journaliste, tandis que ne pas la publier dans le magazine, participera au « respect de la vie privée ». Néanmoins, même si les journalistes possèdent une marge de manœuvre pour diffuser l’information jugée légitime, ils se heurtent rapidement au mur judiciaire. La valeur attribuée à l’information est donc dépendante des rapports de force qui structurent les différents médias : d’une part il semblerait que les magazines soient pris dans des logiques politiques qui les conduisent à respecter les limites posées par le personnage politique, d’autre part les personnages politiques eux-mêmes sont conduits, pour des raisons stratégiques, à lâcher du lest, à débrider l’action des journalistes (en s’abstenant de porter plainte par exemple). Le commentaire de Denis Demonpion est alors instructif : « Je pense que si Cécilia avait voulu, elle aurait pu nous attaquer pour atteinte à la vie privée. Mais, làdessus ils n’ont pas intérêt à bouger parce qu’il y a deux ou trois choses qui n’ont pas été écrites dans le livre, parce qu’elles portent très clairement atteinte à sa vie privée, donc… Comme vous le savez, à l’audience, la parole est libre et libre d’être reproduite par les journaux et là on irait à fond la caisse…». Analyser les énoncés sur l’intime, la sélection des informations par les magazines étudiés et les procès qui en découlent revient à mettre en évidence le caractère relationnel de la notion de vie privée : elle représente un domaine stratégique où des acteurs (la presse, les 39 Demonpion D., Léger L., Cécilia, la face caché de l’ex-première dame, Paris, Pygmalion, 2008 33 personnages politiques, la justice) mènent des luttes d’influences pour poser leurs jalons à une notion, et imposer leur définition. 1.2.2.2. Les angles : une manière de cadrer le sujet Pris entre les feux croisés des déclarations des acteurs, des attentes de leurs lecteurs et limité par la justice, le traitement médiatique de l’information privée semble fortement contraint. Le métadiscours journalistique privilégie une vision consensuelle des choix qui conditionnent la publication d’une information privée. Cependant, le discours des magazines, à travers les politiques d’écritures, permet de dégager des différences dans la manière de rendre publique cette information privée. L’angle, sorte de fenêtre de tir à travers laquelle le sujet est abordé, témoigne des choix opérés par les journalistes pour mettre en forme une même nouvelle. Six angles sont fréquemment adoptés par les magazines40. Les angles que nous avons repérés s’articulent autour des causes de la séparation, de l’histoire du couple, des étapes de la séparation, du quotidien des personnages après la séparation, des conséquences (publiques et privées) de la rupture, et enfin de la remise en couple après la séparation41. Cette classification subjective – qui correspond à une déclinaison de l’angle « coulisse », quasi totémique dans nos articles – nous permet de constater une relative cohérence dans les angles utilisés pour traiter des ruptures. De manière logique, la plupart des magazines replacent l’information dans un contexte, l’insèrent dans un « avant » et un « après ». Finalement, il apparaît que le choix des angles dépend davantage du couple que de la catégorie de magazine. En effet, dans le cas de la rupture entre Ségolène Royal et François Hollande, les angles privilégiés sont ceux des « causes » et des « conséquences » de la séparation, annonçant les prémices d’un genre argumentatif (et non plus strictement énonciatif). Tous magazines confondus, ces angles donnent lieu à des articles dans lesquels s’enchaînent logiquement des propositions qui forment un raisonnement, et qui s’achèvent par une conclusion. A l’inverse, les angles choisis afin de relater l’annonce du divorce entre Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz témoignent déjà d’une approche beaucoup plus narrative. Anglés sur le quotidien après la séparation, l’histoire du couple ou les étapes de la séparation, ces articles montrent plus qu’ils ne démontrent. 40 Nous admettons ici qu’un article peut posséder plusieurs angles, c’est-à-dire adopter un angle principal, qui amorce le récit, puis éventuellement dériver sur un autre. 41 Voir annexe n° 4, tableau n°4. 34 A l’image des angles adoptés, les politiques d’écritures des magazines révèlent une certaine uniformité entre les deux catégories de magazines. A minima, tous les articles appartiennent à la même catégorie de discours : si nous les abordons à travers leur visée communicationnelle, tous ont une fonction didactique et informative, si nous les abordons par leur position énonciative, tous se situent dans une zone moyenne entre information brute (dépêche) et le commentaire (chronique). Jean- Michel Adam définit les genres journalistiques comme « des configurations prises entre deux principes contradictoires : un principe de clôture gouverné par des règles (passé, répétition, convention, reproduction) et un principe d’ouverture déplaçant les règles ( futur, variation, et innovation) » [Ringoot, 2004, p.107]. Les contraintes – apparentées au principe de clôture – qui incombent aux journalistes semblent particulièrement dépendantes du contexte dans lequel les faits surgissent. Pourtant, au-delà d’une certaine homogénéité de l’énoncé et des angles choisis, l’énonciation est autant individuelle que collective : le discours du journaliste engage le journal, mais il est aussi conditionné par un ensemble de valeurs qui l’engagent vis-à-vis de son institution. Le discours du magazine est donc révélateur des diverses identités éditoriales. 1.2.3. Deux approches de l’évènement en terme de proximité éditoriale : quelle valorisation d’un sujet privé ? Comme nous l’avons expliqué précédemment, le traitement médiatique sur les divorces ou les ruptures des couples d’acteurs politiques ne diffère pas quantitativement (en nombre d’articles) selon la catégorie de magazine étudiée. La sélection des informations semble obéir aux mêmes principes déontologiques, tout comme les angles, qui sont assez stéréotypés. Le statut de l’information diffère pourtant d’une catégorie de magazine à l’autre, indépendamment du duo concerné par l’article. Ainsi, les contrats de lecture, qui reposent sur une interaction entre le magazine et le lecteur, sont fondamentalement différents. 1.2.3.1. Le statut accordé à l’information : titres et rupture du contrat de lecture En premier lieu, la manière d’annoncer le sujet en couverture – par la valorisation iconographique, spatiale ou par le titre donné au sujet – trahit des divergences dans le traitement de l’information effectué par les news magazines et les magazines people : pour le 35 même contenu les modalités de l’énonciation sont différentes. Par exemple, si tous les numéros consacrent au moins une fois leur couverture au sujet de la séparation amoureuse de personnages politiques (grâce à une photo qui occupe la majeure partie de l’espace), nous pouvons remarquer que seuls Paris Match (n° 3049, n°3031) et Gala (n° 750) font figurer explicitement les mots « rupture », « divorce » ou « séparation » sur leurs couvertures. A l’inverse, les news magazines ont tendance à annoncer la séparation de manière euphémisée, grâce à des titres plus incitatifs, distanciés, comme en témoignent les titres du Nouvel Observateur ou de L’Express : « L’octobre noir de Sarkozy : Grèves, ADN, Rugby, Cécilia…» (Le Nouvel Observateur n° 2241) « L’affaire Cécilia ». (L’Express n° 2937) Par ces énoncés, les news magazines introduisent une relation égalitaire avec les lecteurs : les titres proposent aux lecteurs un jeu où ils se retrouvent dans la complicité créée par le partage de valeurs culturelles. « Chaque titre est une “clé” dont le déchiffrement fonctionne comme preuve de l’appartenance à un univers culturel partagé » [Véron, 1997, p.52]. Par exemple, l’adjectif « noir » semble faire référence à la crise de 1929 et invite le lecteur informé à faire un parallèle entre le « jeudi noir » de la crise économique et le « jeudi noir » du divorce de Nicolas Sarkozy. De même, le substantif « l’affaire » utilisé par l’Express se rapporte aux « Affaires » politiques – Dreyfus, le Watergate, etc. – et confère à l’énoncé une dimension politique. Dans ce dernier cas, la formulation évènementielle du titre participe de l’entreprise de justification de l’article : l’Express va révéler un scandale politique autour de l’information du divorce du président. Le Nouvel Observateur, qui affectionne les titres polysémiques, joue sur l’ambiguïté de l’énoncé : « Le Choc Royal-Hollande » (Le Nouvel Observateur n° 2224) Grâce à ce titre, le magazine se désengage, laisse au lecteur la responsabilité de l’interprétation. Les positions énonciatives de ces titres proposent aux lecteurs de partager la manière de voir du magazine sur le sujet. Finalement, elles permettent au magazine de se rapprocher de leur lecteur et de construire une relation de proximité [Véron, 1997]. Par ailleurs, les titres des news magazines peuvent aussi laisser transparaître des positionnements idéologiques. La proximité se construit alors sur une communion tacite autour de parti pris communs42 : 42 Nous ne présumons pas ici que le positionnement idéologique supposé des news magazines prédétermine l’ensemble des énonciations sur les séparations de personnages politiques. Mais certains titres sont de facto moins positifs selon que l’acteur politique soit « de gauche » ou « de droite ». Nous reviendrons ultérieurement sur ces questions de positionnements idéologiques. 36 « La vérité sur Ségolène Royal par Claude Allègre. Hollande- Royal, la guerre des ex.» (Le Point n°1824) Ce titre semble moins positif pour l’intéressée que ceux de L’Express : « Ségolène Royal, Les blessures secrètes » (L’Express n°2918) « Ségolène Royal- François Hollande, les secrets d’une rupture » (L’Express n°2920). Au contraire, les titres des articles de presse people semblent davantage informatifs et tendent à instaurer une relation pédagogique avec le lecteur. Ainsi, Closer use de titres où le narrateur disparaît derrière le discours rapporté du protagoniste : « Cécilia : “Je ne pars pour rien ni personne(…) j’ai peur” » (Closer n° 124) « La confession de Ségolène Royal : “Quand on aime et quand on est trahie” » (Closer n° 109) Ces énoncés informatifs abolissent la distance propre à la médiation journalistique, interpellent le lecteur et l’invitent à partager les émotions et « confessions » des personnages ciblés : la visée énonciative est alors appropriative et pratique. Enfin ces énoncés confèrent une légitimité au traitement médiatique du magazine, puisque la véracité du discours rapporté ne peut être contestée. Les titres des magazines, qui créent des effets de sens, donnent à voir les positionnements éditoriaux des divers hebdomadaires. Nous pouvons aussi noter que la manière de désigner les personnages ou d’ordonner des noms n’est pas fortuite. Par exemple, s’il existe un consensus autour du fait de nommer Cécilia Ciganer- Albéniz par son simple prénom « Cécilia » – consensus qui peut s’expliquer par la position symbolique de la « première dame »43 – seuls les trois magazines people nomment le président par son prénom « Nicolas ». Il n’en est pas de même pour le couple Royal/ Hollande qui sont toujours désignés par leurs noms et prénoms dans les magazines people. Par ailleurs, seuls Le Point et le Nouvel Observateur inversent la désignation commune « Royal - Hollande » pour désigner l’ex- couple socialiste en la transformant en « Hollande - Royal », ce qui semble a priori surprenant vis-à-vis de la supériorité du statut symbolique de Ségolène Royal sur la scène publique. Cette remarque nous permet de constater que les manières de désigner les personnages politiques tiennent à la fois à des identités éditoriales particulières, mais aussi à la nature du couple. Finalement, tous ces cas pratiques témoignent de la capacité des 43 L’utilisation du prénom, qui implique la familiarité et proximité avec l’épouse du président, suppose aussi qu’elle ne possède pas de rôle propre, autonome sur la scène politique. 37 magazines à s’approprier une information, à la transmettre à un public en la façonnant à l’image du magazine, afin de la rendre identique, conforme à la ligne éditoriale du magazine. Le dispositif énonciatif que nous avons étudié ci-dessus contribue à créer ce « contrat » avec le lecteur : la couverture annonce alors un « programme » qui sera développé dans le cœur du magazine. Pourtant, certains magazines vont rompre ce pacte implicite : la position de l’information dans le magazine ou l’énoncé des articles seront alors en décalage par rapport à la place donnée au sujet sur la couverture (valorisation spatiale et iconographique) ou par l’énoncé du titre. Par exemple, une couverture de Gala (n°751) n’accorde qu’à l’article sur le divorce un emplacement sur l’oreille droite alors que le mariage de Charlene et d’Albert de Monaco occupe l’ensemble de la couverture, avec une photo en pleine page. Pourtant, l’article sur le divorce présidentiel est davantage valorisé, puisqu’il arrive avant l’article sur les Grimaldi. De même, alors que le Nouvel Observateur annonce en couverture : « Le choc Royal- Hollande » (Nouvel observateur, n° 2224), l’ambivalence du titre s’amenuise lorsque le titre de l’article se transforme, au cœur du magazine, en : « Hollande- Royal ; les secrets d’une rupture » (Nouvel observateur, n° 2224) A l’inverse, certains magazines valorisent l’information en couverture, mais ne remplissent pas leur « part du contrat ». Le titre évènementiel de l’Express, « L’Affaire Cécilia » (l’Express n° 2937), laisse entendre que le magazine va révéler un scandale politique, ce qui n’est pourtant pas le cas44. De cette façon, plus les titres sont incitatifs et peu informatifs, plus les ruptures du contrat sont fréquentes. Nous remarquons qu’elles sont davantage le fait des news magazines, même si ces derniers n’en ont pas le monopole. Les ruptures du contrat de lecture font sens puisqu’elles peuvent signifier l’inconfort des magazines devant des informations privées. Au contraire, l’absence de rupture, comme c’est le cas pour Paris Match, indique que l’information correspond exactement à la ligne éditoriale du magazine. Enfin, certains exemples de décalage entre l’annonce de l’article et le traitement réel de l’information font 44 Le constat de la rupture du pacte de lecture peut être nuancé si nous prenons la définition de la notion « d’Affaire » donnée par Luc Boltanski :« L’Affaire est aujourd’hui une des formes sociales qu’ont les gens pour se lier[…] C’est la forme dans laquelle se coule un processus évènementiel prenant appui sur le dévoilement d’une souffrance, lorsqu’il se dévoile sur l’espace public.[…] Pour faire d’un évènement une affaire, il faut disposer d’un malheureux dont la défense constitue la cause pour laquelle des personnes s’engagent, et, par conséquent, autour de laquelle se noue et se dénoue le lien social. » (Boltanski, 1993, p. 95).Néanmoins, nous considérons que le titre de l’Express est connotatif, il mobilise les références culturelles et historiques des lecteurs. 38 parti du contrat de lecture. Par exemple, les articles de Closer ne font pas écho aux titres sensationnalistes qui les annoncent. Dans ce cas, la rupture est constante et concerne tous les articles ; elle est donc constitutive de l’identité éditoriale du magazine.45 1.2.3.2. Les justifications éditoriales : un premier pas vers un ethos catégoriel Selon Dominique Maingueneau et Patrick Charaudeau, l’ethos correspond à l’image de soi que le locuteur donne au destinataire. Cette image du journaliste, vise à légitimer son discours et finalement à rendre crédible le magazine : « le journaliste s’octroie une position institutionnelle par rapport à son savoir, il se manifeste comme un rôle et un statut, mais aussi comme une voix et un corps » [Charaudeau, Mainguenau, 2002, p.229]. Cette image n’est pas créée de toutes pièces mais est déterminée par un ensemble de représentations collectives et de stéréotypes qui assignent aux journalistes, comme aux lecteurs, un rôle prédéterminé. Pourtant, la mise en scène de l’énonciation suppose une pratique réflexive de la part des journalistes ; « le discours sur soi » n’est pas invariable et peut évoluer au gré des circonstances. L’éthos fonctionne alors comme une preuve ; il justifie le discours et les choix journalistiques qui orientent le traitement du sujet [ibid.]. L’analyse des éditoriaux, signés par les directeurs ou les « plumes » des journaux, est une amorce pour saisir l’ethos qui prévaut dans les différents magazines traitant d’une information intime : les éditoriaux, portent la « voix » officielle du magazine et constituent l’un des rares espaces qui dérogent à la sacrosainte règle de l’effacement énonciatif46. Si nous ne devons pas confondre ce discours réflexif avec la ligne éditoriale, il constitue un élément fondamental pour appréhender l’identité du magazine. En effet, les éditoriaux – prototype du genre « caractérisant » – rendent explicitent le positionnement de l’énonciateur en introduisant une relation personnalisée entre le lecteur et le journaliste qui représente le magazine, créant ainsi de la proximité. Le lecteur est invité à s’impliquer dans l’énonciation, à partager l’argumentaire, « le mouvement du dit et du pensé » et les prises de positions, le « mouvement du ressenti »47 du journaliste [Ringoot, 2005, p.79]. 45 Voir Annexe n° 5 : Article Closer n° 115 Ils existent d’autres espaces où le « Je » peux s’exprimer dans le magazine, la chronique et le billet par exemple. Dans ces espaces, l’énonciation est pourtant davantage singularisée, elle engage moins le magazine que son auteur. L’éditorial au contraire, opère le mouvement inverse : d’une signature reconnaissable, le nom de l’éditorialiste symbolise le journal. Le « je » de l’éditorialiste se transforme alors en « nous » et permet de percevoir les positionnements éditoriaux du magazine, comme « personne collective ». 47 Pas nécessairement politique. 46 39 Dans notre corpus, seul Paris Match ne présente pas d’éditoriaux. L’absence d’articles qui mettent en scène le journaliste est en soi significatif : consubstancielle à la ligne éditoriale, elle témoigne de l’engagement à l’objectivité, à transmettre des informations brutes, sans intervention du médiateur48. Au contraire, les cinq autres titres font apparaître de nombreux éditoriaux49, ce qui nous invite à penser que le thème de la séparation amoureuse des personnages politiques exhorte les journalistes à adopter une posture réflexive et les convie à justifier leur choix. Cependant, cette interprétation ne peut être systématique puisque l’absence d’éditorial centré explicitement sur le sujet peut aussi signifier la mise en question de l’identité éditoriale du magazine. Par exemple, les éditoriaux du magazine Le Nouvel Observateur, ne font jamais référence à notre sujet, ce qui peut témoigner du refus d’adosser l’identité éditoriale du magazine sur les positionnements énonciatifs des articles traitant du sujet50. Les éditoriaux n’ont pas pour but premier de justifier les articles, ce qui supposerait une relation de défiance avec le lecteur. La mise en scène du journalisme en train de se faire ne correspond pas explicitement à une analyse « sur soi ». Ce n’est donc qu’en filigrane que l’argumentaire développé dans les éditoriaux donne à voir la politique d’écriture du journal et constitue un « discours sur le discours ». Dans notre cas, les éditoriaux s’attachent en premier lieu à analyser les ressorts de la publicisation d’une information privée par les personnages politiques, à diagnostiquer un phénomène politique : « Il y a quelque chose de changé dans la vie politique française » (Gala, n°733). Ils ne prennent pas directement position sur le phénomène mais visent à convaincre les lecteurs du bien fondé de la publicisation de l’information et les invitent à partager les choix éditoriaux du magazine : « Il faut redoubler de circonspection et commenter seulement, de l’intimité des élus, ce qui a une incidence sur les affaires de la cité, si justement nommée la “Res publica”. Nous regarde que ce qui nous concerne ; pour le reste, se taire » (L’Express, n°2920). Finalement, ces éditoriaux mettent en scène le journalisme en train de se faire, tentant de se démarquer des autres publications, de faire valoir une conception originale du métier et donc d’assumer le traitement de l’information : 48 L’ancien slogan de Paris Match « Le poids des mots, le choc des photos » semble attester de cet « engagement au désengagement ». 49 Voir Annexe n°4, tableau n° 3 50 L’absence d’éditorial sur la séparation des personnages politiques est à corréler avec les stratégies d’euphémisation du sujet en couverture et le nombre important de ruptures du pacte de lecture. En évitant d’adopter un discours réflexif par rapport à la médiatisation de la rupture, le Nouvel Observateur peut alors témoigner une distance par rapport à l’information, une résistance devant l’implication du magazine face au sujet. 40 « D’une apparition supposée de Cécilia à Genève, on a fait un roman de gare […]. Quand les journaux français n’en parlaient pas, on les accusait d’être couards ou tenus par le pouvoir[…]. Mais il y a les faits[…]. De leur vie privée, les Sarkozy ont fait un instrument de conquête.[…] c’est pourquoi on doit parler. ». (L’Express, n°2937) Il s’agit aussi de retrouver une autonomie par rapport aux annonces officielles des personnages politiques, de se mettre en scène comme « sélectionneurs » d’informations, et donc de revendiquer une ligne éditoriale claire. Dans notre corpus, nous avons pu repérer quatre types d’arguments éditoriaux récurrents : le premier est un « argument sociologique » par lequel l’éditorialiste justifie le traitement de l’information en soulignant que les acteurs sont représentatifs de tendances sociologiques : « Ce qui, chez Sarkozy, paraît singulier, c’est qu’il fait comme le bon peuple.[…] Sarkozy est d’une époque où un mariage sur deux se rompt… » (Le Point, n° 1832). L’argument développé par Claude Imbert repose sur l’identification supposée des lecteurs avec les personnages politiques. Il implique aussi que les personnages politiques représentent le « peuple » jusque dans leur vie privée ; l’argument renforce à la fois la légitimité des choix journalistiques du magazine, mais aussi la crédibilité des acteurs politiques eux-mêmes. Le deuxième argument est un « argument people » : utilisé par Closer, il consiste à dire que les personnages politiques sont des stars. La justification constitue une pirouette rhétorique, presque sophistique51, puisqu’elle repose sur une caractérisation inédite et subjective des personnages. Le troisième argument peut être qualifié de « Républicain » [Restier Melleray, 2002, p.127] : les journalistes ont le devoir de diffuser des informations qui peuvent interférer avec la vie publique (et de taire les autres), comme en témoignent les éditoriaux de Christophe Barbier : « Il y avait de solides raisons déontologiques pour ne pas évoquer, la vie du couple Royal- Hollande. Elle n’avait aucun impact sur l’usage d’un quelconque agent public ni sur les orientations politiques du pays. » (L’Express n° 2920). Enfin, le dernier argument utilisé sera commodément nommé « argument de communication politique » – les éditoriaux arguent du fait que ce sont les acteurs eux-mêmes qui ont décidé de rendre publique l’information. Cet argument, repris par l’ensemble des magazines, permet aux journalistes de s’abriter derrière une tendance politique générale, un fait social: 51 Sophisme que nous pourrions formuler ainsi « Nicolas Sarkozy est un “people”.Closer traite l’actualité des “ people”. Closer traite l’actualité de “Nicolas Sarkozy ”. » 41 « La transparence est devenue une exigence […]il n’est donc pas étonnant d’avoir vu nos deux prétendants à la présidence venir confesser leurs problèmes conjugaux » (Gala n° 733) Ces derniers peuvent aussi se protéger derrière la responsabilité des personnages politiques: « A de nombreuses reprises Ségolène Royal est revenue sur sa rupture d’avec François Hollande. Rien ne l’y obligeait. Elle a choisi de le faire ». (Closer, n°115) Cette revendication d’irresponsabilité est parfois amenée de manière critique, lorsque les journalistes soulignent les visées communicationnelles des personnages politiques : « Parce que bon nombre d’élus usent de leur conjoint comme d’un argument marketing : à vouloir rentabiliser la version rose de leur existence, ils s’exposent à voir la version noire jetée en pâture. » (l’Express, n° 2920) Paradoxalement, nous ne pouvons mettre en évidence une relation entre l’utilisation d’un des quatre arguments et l’appartenance à une catégorie de magazine. Ainsi, notre analyse nous contraint à nuancer notre propos originel : le thème des ruptures sentimentales de personnages politiques n’interroge pas outre mesure les identités éditoriales des divers magazines puisque ceux-ci justifient la couverture de l’évènement par une fidélité à la ligne éditoriale traditionnelle du journal (les magazines people arguent que les personnages correspondent à leur ligne éditoriale tandis que les news magazines cherchent à prouver que le sujet est bien politique). Néanmoins, les justifications éditoriales semblent souvent redondantes. La prédétermination de l’éthos dans le discours éditorial, supplante toute possibilité de questionner réellement le traitement médiatique réalisé ; nous assistons donc à un renversement du paradigme classique des éditoriaux : les éditorialistes invoquent l’identité du magazine au principe de l’image de soi dans le discours, plus que leurs discours ne font transparaître un éthos qui réaffirmerait l’identité éditoriale du magazine. Dans ces éditoriaux, l’image discursive de soi est à l’origine même des justifications éditoriales, c’est la mise en scène du journalisme en train de se faire qui permet aux magazines de justifier le sujet. 1.2.3.3.Le discours réflexif dans les entretiens : vers l’indifférenciation éditoriale Lors des entretiens, les journalistes ont mobilisé un argument inédit, absent des éditoriaux . Eric Mandonnet, journaliste politique à L’Express le résume ainsi : « Commercialement Nicolas Sarkozy est un aspect qui intéresse. Et vous ne devrez pas croire 42 ceux qui vous disent que l’aspect commercial n’existe pas parce que c’est une entreprise… et l’indépendance de cette entreprise journalistique passe aussi par une indépendance financière. ». Cet argument économique est présenté par tous les journalistes interrogés : la finalité éthique, de transmission d’information au nom de valeurs démocratiques est assortie d’une autre finalité, commerciale, de conquête du plus large public possible. Par ailleurs, les entretiens font apparaître que « l’argument de communication politique » est toujours utilisé à des fins critiques, alors que ce n’est pas le cas dans les éditoriaux. Voici ce qu’en disent Nicolas Demonpion ( Le Point) et Candice Nedelec (Gala): « Moi, si je me suis intéressé au cas de Cécilia, c’est que j’étais un peu las de la version “papier glacé” de la bonne femme. Et puis, le côté couple… famille recomposée, parfaite… enfin l’excellence quoi ! Qui était bidon[…]. Dans le bouquin, on essaie de montrer comment ils ont utilisé les médias, ils se sont mis en scène, ils ont utilisé le pouvoir et ils y ont pris goût». « Je parle de la vie privée quand ça sert une démonstration[…]. La démonstration c’était de montrer que le chef de l’état communique beaucoup dans la vie privée. Et que dans la mesure où il communique nous on essaie de voir ce qu’il y a derrière. Vous voyez ? Je ne m’intéresserai pas à la vie privée de Dominique Voynet par exemple, parce qu’elle en joue pas de sa vie privée. ». Cet argument revient à dire que la « vie privée » que les personnages politiques rendent publique est en fait mise en scène ; elle ne correspond qu’à une illusion de vérité. Nous rejoignons alors l’analyse d’Antoine Prost « Cette parole qui emprunte un code privé reste publique sous son travestissement » [Prost, 2007, p. 15]. Par conséquent, le traitement du sujet permettrait aux journalistes de faire la lumière sur les stratégies de communication des personnages politiques, en dévoilant par exemple des aspects de la rupture qui n’auraient pas été dévoilés volontairement par l’acteur politique. Il est intéressant de noter que le discours de ces deux journalistes s’inspire de l’argument traditionnel de la presse people pour justifier leur indiscrétion face aux « stars » ; c’est ce qu’explique Luc Angevert (qui considère Ségolène Royal comme une « star » ) lorsqu’il témoigne: « Nous on s’est quand même dit : « Qu’est ce que tout le monde veut savoir d’elle? » Comme tout le monde la voit en tailleur en machin… on dit oui, elle est ceci, elle est cela.. Mais comment elle est en vrai ? Donc essayons de montrer qu’elle se baigne comme tout le monde en maillot de bain que c’est une femme comme les autres. ». Les titres de la presse people, qui utilisent le dévoilement comme un révélateur de ce que le personnage est « vraiment ». Les magazines recherchent donc à saisir la vérité du personnage, au-delà des stratégies de communication des célébrités ou de l’image qu’ils se sont fabriquée. La « transparence » contre les apparences, ou comment déconstruire les stratégies de 43 présentations de soi des « stars ». Alors, la vie privée parle pour la star : au-delà des mises en scène artificielles, celle-ci retrouve son humanité, son naturel. Le procédé est généralement flatteur voire complaisant, mais il peut aussi faire apparaître les contradictions des stars, de montrer l’inauthenticité du spectacle. Finalement, le même ordre d’argument est utilisé par les news magazines qui cherchent à « faire tomber les masques ». La banalité de l’angle « coulisse » témoigne de cette vision de la politique comme jeu de dupes généralisé, dont il faudrait dévoiler l’artificialité. Pourtant, la différence majeure entre les deux arguments tient alors au fait que, dans les news magazines, l’exigence de la transparence se porte sur la vie privée, elle-même supposée être mise en scène. Enfin, le discours réflexif des journalistes fait apparaître un ultime argument, qui cette fois fait débat au sein des deux catégories de magazines : l’invocation d’un effet positif sur le public. Certains journalistiques vont naturellement légitimer la couverture de l’information en se prévalant d’une mission : amener le lecteur à la politique par le traitement de faits privés. Candice Nedelec (Gala) avance ainsi : « Il est important de parler des hommes et de s’attacher à un personnage pour ensuite développer des idées de politiques classiques. ». Cette proposition est reprise par Eric Mandonnet (L’Express), pour qui la publicisation de faits privés concernant les personnages politiques permet : « une forte réhabilitation de la politique par un moyen … heu inattendu. Et c’est vrai que tout ça conduit… à une élection présidentielle où 80 % des Français vont voter. ». L’idée selon laquelle le privé est une porte d’entrée vers la politique «dure» est battue en brèche par Nicolas Demonpion (Le Point): « J’y crois pas une seconde », tandis que Luc Angevert (Closer) tempère : «Closer peut peutêtre amener les gamines de 16 ans à s’intéresser à la politique parce que finalement les filles elles vont aimer Ségolène Royal. Après est-ce qu’elles vont voter pour Ségolène Royal … j’en sais rien ! Enfin, peut-être… mais…c’est quand même les prendre un peu pour des débiles.». Cette justification est transversale, elle n’est donc pas le fait de l’une ou de l’autre catégorie de magazine. Elle témoigne cependant de la problématique essentielle de la représentation que le journaliste a de son public. Nous pouvons finalement penser que cet argument est postérieur au traitement de l’information et qu’il permet aux journalistes d’avoir « bonne conscience » devant des sujets qu’ils considèrent eux-mêmes comme peu légitimes. Il nous semble que cette proposition témoigne d’un certain malaise devant le traitement médiatique des séparations des personnages politiques. 44 Le traitement médiatique des divorces ou séparations de personnages politiques est largement prédéterminé par les configurations imposées par les acteurs politiques, qui elles mêmes témoignent davantage d’évolutions socioculturelles que de différences « politiques » ou « partisanes ». A première vue, les stratégies de différenciation éditoriales légitiment la catégorisation news magazines / magazines people. Le statut accordé à l’information est visiblement différent selon la catégorie de magazine. Pourtant, les stratégies de différenciation éditoriales ne résistent pas devant la relative homogénéité du dit journalistique et des angles choisis pour traiter de sujets privés. La seconde partie sera consacrée à l’étude approfondie des modalités de l’énonciation afin de saisir comment les magazines s’accommodent des contraintes qui conditionnent la publicisation des faits privés. L’examen des positionnements énonciatifs, le choix des genres journalistiques, pourra alors nous éclairer sur les stratégies de différenciations narratives. 45 Partie 2 . Les genres discursifs de l’intime : la séparation mise en scène. Dans cette seconde partie, nous avons souhaité nous intéresser à ce que Patrick Charaudeau nomme « la mise en scène énonciative » du discours sur l’intime [Charaudeau, 1999]. L’acte de mise en scène du discours observe les instructions imposées par la situation de communication52, mais donne à voir la marge de liberté du journaliste pour traiter l’information. L’étude des politiques d’écriture revient alors à cerner les « principes d’ouverture » dont parle Jean-Michel Adam [Ringoot, 2004, p.107]. La mise en scène énonciative correspond à la manière dont sont relatées les ruptures sentimentales : l’intrigue, la succession des évènements, les péripéties, etc. Il s’agit alors d’analyser l’univers du récit comme monde autonome, « fabriquant lui-même ses dimensions et ses limites et y disposant de son Temps, de son Espace, de sa collection d’objet et ses mythes. » [Barthes, 1972, p.25]. « Raconter des histoires, c’est au principe même du journalisme ». Cette remarque d’Erik Neveu en entretien nous a servi de point de départ pour analyser le traitement médiatique de l’intime à l’aune du genre romanesque. Nous avons donc tenté de modéliser les différents schémas narratifs utilisés dans le récit de l’intime, afin de repérer des régularités dans les mises en scènes énonciatives. Deux types de diégèse, deux idéaltypes narratifs, émergent du discours des articles. 2.1. La mise en récit de la séparation : les idealtypes narratifs 2.1.1. Le reportage informatif 52 Patrick Charaudeau définit la situation de communication comme « un cadre fonctionnel instaurant des places et des relations autour d’un dispositif qui détermine : l’identité des sujets en termes de statuts et de rôles selon certains rapports hiérarchiques, la finalité de la relation en termes de visées pragmatiques (de “prescription”, d’“ incitation” , d’“information” , d’“ instruction” , etc.), les circonstances matérielles selon le type de situation locutive (interlocutive/monolocutive) et de support de transmission de la parole (écrit, audio-oral, audio-visuel, etc.) » [Charaudeau, 1999]. 46 2.1.1.1. Un récit « objectif » Notre premièr modèle narratif prend la forme d’un reportage informatif. Ce reportage correspond à un récit qui montre le réel – plus qu’il ne le raconte – selon un principe de mimesis. Le journaliste-narrateur ne fait pas partit de la scène et n’exprime pas sa subjectivité : c’est ce qu’on nomme la délocutivité de l’énonciation ou narration externe, c’est-à-dire que le journaliste prend la place d’une caméra qui relaterait « objectivement » les faits. Gala (n° 751) offre un exemple de ce schéma narratif : « Quant à Cécilia, elle a fiancé sa fille Jeanne Marie avec Gurvan Rallon, le samedi 20 octobre. Déjeuné à L’Avenue et dîné au 154, un établissement du boulevard Haussmann. […]C’est ainsi qu’avec les paparazzis à ses trousses, elle a fait du shopping sans gardes du corps chez Prada, Zadig et Voltaire, Ralph Lauren, Barbara Bui et Dior. ». L’énoncé est factuel et correspond à une volonté de copier le réel et de montrer les choses telles qu’elles sont. Les faits sont alors objectivés grâce aux repères spatio temporels. Les nombreuses photos s’inscrivent dans cette entreprise d’objectivation53. De même, le discours rapporté au style direct, inséré avec des guillemets, est aussi une manière de garantir la position distanciée du journaliste : « Car comme le disait Isabelle Balkany,“elle est pas rebelle pour être rebelle, elle est libre.” » (Closer n°122). L’effacement énonciatif est un mécanisme permettant de conférer au propos plus de réalisme : l’image du journaliste dans le discours est alors réduite à néant, dans les canons du « genre dépersonnalisant ». [ Ringoot, 2005, p. 80]. 2.1.1.2. La narration interne et externe : l’image du journaliste dans le discours Le reportage informatif ne suppose pas nécessairement la disparition du locuteur : celui-ci peut aussi se mettre en scène comme un personnage du récit. Le journaliste prend alors lui-même part aux évènements qu’il narre, il devient un narrateur interne ou homodiégétique. Ainsi, il prend la place de la caméra qui filme la scène. Le lecteur se retrouve alors de plain-pied avec les autres personnages du récit, ce qui produit aussi de la proximité : « Chacun se mettait dans la tête des communicants de l’Elysée, imaginait le bon timing, avant ou – en cas de victoire – après la demi-finale de rugby, pour faire 53 Voir Annexe n° 5 : article de Closer n° 115 47 passer la pilule au français, peut-être jeudi 18 […] ambiance électrique dans les rédactions, supputations, discussions sans fin jusqu’à l’écoeurement. » (Le Nouvel Observateur n° 2241). L’identification se porte autant sur le journaliste que sur les personnages du récit. Le reportage informatif n’est pas intrinsèquement objectif mais il joue le jeu de l’effacement énonciatif. Cependant, certains exemples de narration interne font apparaître des partis pris : « Et elle apparaît, emportée par un essaim de journalistes et d’admirateurs. On se bouscule pour la photographier et le toucher. “La Madone !”, s’amuse, admiratif, un militant posté derrière sa pompe à bière et ses chabichous. » ( Le Point, n°1824). Ce dernier exemple nous permet de comprendre en quoi la mise en retrait de l’énonciateur relève plus d’une doxa journalistique visant à donner de la crédibilité au récit, qu’à une réelle neutralité énonciative, de toute manière illusoire. Roselyne Koren avance : « Ils n’ont pas de mots assez fermes pour exiger la séparation des faits et des commentaires et font donc comme si chaque sujet d’énonciation pouvait choisir librement son camp discursif. Ils semblent ignorer ce faisant qu’il est linguistiquement impossible de séparer la part référentielle de la sémantique de ses dimensions pragmatiques et argumentatives. » [Koren, 1999]. De l’objectivité, le reportage informatif n’en a donc que l’apparence. La ligne de fracture entre les deux schémas narratifs ne se situe pas dans la dialectique « objectivité/ subjectivité », qui se calque sur les deux modèles du genre journalistique : l’« information » et le « commentaire ». Si aucun des deux poncifs narratifs que nous avons relevés n’est intrinsèquement « neutre » ou « engagé », il faut néanmoins signaler que l’éthos dans le discours est révélateur d’un engagement du journaliste. La narration externe, où le narrateur disparaît derrière un compte rendu factuel, se différencie de la narration interne en ce que le narrateur, affichant un « avoir été là », peut exprimer des positionnements particuliers. 2.1.2. La « romanciation » du récit 2.1.2.1. La narration omnisciente : l’énonciation désincarnée Le deuxième idéaltype narratif que nous avons repéré repose principalement sur un changement de positionnement du narrateur. Dans ce schéma, le narrateur abandonne sa position d’extériorité ou de témoin de la scène pour devenir un narrateur omniscient, qui embrasse l’intériorité des personnages. Les exemples de cette narration en focalisation zéro sont abondants : 48 «Madame Royal souffre : femme blessée, conjointe troublée par ce qu’elle devine être une grave entaille au non contrat. Puisqu’elle n’a peur de rien, elle cherche. Et trouve.» ( Paris Match, n°3031). L’effacement énonciatif demeure en apparence : le jeu du paraître neutre est préservé, puisque l’image du journaliste disparaît derrière le récit des états d’âme des protagonistes : « A 50 ans dans un mois, Cécilia sait parfaitement qui elle est, elle hésite seulement sur la décision à prendre » (Closer, n° 122). Pourtant, l’engagement du narrateur est bien présent : cette narration permet au journaliste, sous couvert de connaître les affects profonds et passions des personnages politiques, d’énoncer des propositions fortes qui relèvent d’interprétations et qui ne sauraient être étayées par des faits concrets : « En cet été, Ségolène Royal est gonflée à bloc et elle le montre. Ce n’est pas sa rupture avec François Hollande qui l’empêchera d’avancer ces pions. » (Le Point n° 1824). Finalement, le journaliste en sait davantage que les acteurs politiques eux-mêmes ; il domine la scène et peut, tel un démiurge, créer une fiction avec des personnages réels. La narration omnisciente marque l’entrée dans un autre registre de discours. L’érotisation des situations, l’accélération ou le ralentissement du rythme du récit, la focalisation sur la gestuelle renforcent alors l’impression d’un récit suspendu à la plume de l’auteur : « 16 mai 2007. Nicolas Sarkozy prend ses fonctions[…] Un discours, et c’est le bal des invités qui se pressent pour le saluer. Détournant la tête un instant, il fait un pas vers Cécilia “On a pas respecté le protocole, ça, j’adore”, lui murmure sa femme, entre gratitude et complicité. Le chef de l’Etat sourit, effleure son bras nu. Cette fois, elle ne le repousse pas, elle qui, il n’y a pas deux minutes, esquissait un mouvement de recul à peine perceptible pour éviter le pouce qu’il tendait vers sa joue… ». (L’Express n°2937) Cet extrait mémorable de l’Express illustre l’entrée dans un discours de fiction. Cette narration, traditionnellement propre au genre romanesque nous éloigne des genres journalistiques classiques, notamment du reportage. En effet, si le reportage repose sur une diégèse et possède son univers propre, l’effort pour créer de la proximité et pour « accrocher » le lecteur ne le conduisent pas à nier les codes premiers du contrat de communication linguistique, qui suppose le maintien à distance des personnages. En effet, la narration omnisciente, à la différence de la narration externe ou interne du reportage informatif, tend à déconstruire l’éthos dans le discours : il y a un paradoxe entre l’implication du journaliste face aux protagonistes et son désengagement face aux codes traditionnels qui structurent les genres journalistiques. 49 La tendance à romancer les faits n’est pas nouvelle dans le journalisme, comme le prouve le mouvement du New Journalism impulsé par Norman Mailer ou Tom Wolfe dans les années 1970. En 1975, ce dernier auteur en résume l’esprit: « L’idée était de donner la description objective complète, et en plus une chose pour laquelle les lecteurs avaient toujours du se reporter aux romans et aux nouvelles : concrètement la vie émotionnelle et la subjectivité des personnages » (Neveu, 2001, p.77). Si la « romanciation » est donc aussi au principe du courant journalistique du New Journalism, sa pratique s’articule néanmoins sur des descriptions ethnographiques de situations quotidiennes touchant des individus ordonaires, ce qui nous éloigne de notre sujet. Cette volonté de « fictionner » le réel questionne néanmoins l’impératif de véracité de l’information qui incombe aux journalistes ; en effet, le propre de la fiction, c’est de ne pas être réel. C’est ce que confirment les entretiens lorsque Candice Nedelec (Gala) confie : « C’est dur, comme on est sur du psychologique, d’avoir des certitudes ». Cette capacité à romancer le réel implique donc un changement de visée pragmatique : finalement, nous observons un glissement entre une finalité didactique, informative et une volonté d’émouvoir. 2.1.2.2. Le pathos et la psychologisation des personnages « La mise en scène de la souffrance est l’un des ressorts principaux de la fiction. Le plaisir de la pitié peut être interprété tantôt comme le résultat d’une imagination qui rapporte à soi ce qui arrive à un autre et qui, face aux malheurs d’autrui, jouit de sa propre félicité tantôt, souvent au prix d’une réinterprétation abusive en termes de compassion chrétienne de la pitié aristotélicienne, comme une manifestation de ce que l’on appelle au XVIIIe, la sympathie» [Boltanski, 1993, p.40]. Selon Luc Boltanski, il y a une analogie entre la fiction (ou dans notre cas, la « romanciation » des séparations amoureuses de personnages politiques) et l’émotion produite par le discours. Cette apnée dans le for intérieur des acteurs politiques est en effet le support du pathos : « A froid, maintenant, la douleur des blessures devient lancinante. Quiconque à connu les souffrances d’un chagrin d’amour peut se représenter les étapes. La douleur du désamour. L’horreur de l’adultère qu’on découvre. L’espoir, un temps, de recoller les morceaux » (Paris Match n° 3034). L’exhibition de la souffrance (supposée) des acteurs éveille des sentiments chez le lecteur : pitié, compassion, sympathie. Finalement, l’émotion qui émane de ces articles permet aux lecteurs de se projeter dans la scène, avec les protagonistes. Ce qui est en jeu dans la 50 « romanciation » des récits sur les séparations de personnages publics, c’est donc l’identification du lecteur aux protagonistes. Ainsi, le personnage politique tend à jouer un rôle fonctionnel : il devient un symbole à mesure que son histoire personnelle fait sens pour le lecteur [Braud, 1996]. L’entretien avec Luc Angevert (Closer) nous permet d’expliciter notre propos : «J’ai écrit plein de sujets sur Nicolas Sarkozy… avec…alors, c’est des sujets où on le fait passer plutôt pour voilà… pour le prince charmant ou chais pas quoi… ». Ce qui constitue la valeur du récit, c’est donc sa capacité à mobiliser l’auditoire, à transformer un exemple de séparation amoureuse en une référence normative, un mythe collectif [ibid.]. Nous pouvons alors penser que le potentiel mobilisateur de l’histoire privée du personnage politique est proportionnel à la mise en scène des sentiments dans l’article. Il y a donc une contiguïté entre le pathos et l’identification du lectorat aux personnages politiques. « Pour toutes les stars en général, on va toujours choisir l’angle le plus… heu… identifiant pour les lectrices, c’est-à-dire qu’elles se retrouvent dans la vie de la star ». Le témoignage de Luc Angevert (Closer) valide l’idée selon laquelle le journaliste fait le choix de rendre son récit plus « parlant » grâce à la narration omnisciente, au pathos ou en y adjoignant de nombreux détails sur la psychologie de l’acteur, afin de faciliter l’identification. Pour Richard Sennett [Sennett, 1979], les phénomènes de projection sur les acteurs politiques, corollaires de l’individualisation de la société (et de la personnalisation de la politique) concourent à une déperdition de l’action publique. En effet, le déshabillage du moi devient l’alpha et l’oméga de la vie publique à mesure que les acteurs cherchent à se réaliser individuellement, à représenter des émotions dans la sphère publique censées traduire l’essence de leur personnalité. La société entière, qui devient une personnalité collective, une communauté d’émotions partagées, se voit condamnée à une « gastronomie de l’œil » [ibid, p.160]. L’acteur politique est alors celui qui parvient à maîtriser ses passions, tandis que la majorité des individus en viennent à représenter, à rejouer des émotions afin d’être intégrés dans la communauté politique. Finalement, cette « idéologie de l’intimité »[ ibid, p.190] participe au paradoxe d’une « foule solitaire » [ibid, p.170] qui s’identifie à un acteur politique en terme d’individualité et non d’intérêt. Le jugement public se fait davantage à l’aune des motivations, du charisme de l’acteur politique, de sa capacité à contrôler ses émotions, qu’en fonction de ses résultats concrets. Il en ressort que le moi du personnage politique n’a plus de frontière (absence de vie privée) tandis que la distance entre les 51 sentiments du personnage politique et ceux de son public est inexistante.54 Il apparaît, en effet, que la contraction de l’éthos journalistique dans le discours, par le biais de la narration omnisciente, permet d’abolir la distance propre au spectacle, pour que la mise en scène apparaisse comme le réel même [Baudry, Sorbets, Vitalis, 2002]. Le nouveau slogan de Paris Match « La vie est une histoire vraie » érige ce principe en absolu. Les articles de magazines people sont traditionnellement plus courts que ceux des news magazines. Leurs discours tendent alors davantage vers le « reportage informatif ». Pourtant, nous ne pouvons assimiler l’idéaltype narratif du reportage informatif aux magazines people et celui de la « romanciation » aux news magazines (ou l’inverse). Malgré les stratégies de différenciation des magazines et la divergence des politiques d’écriture, le traitement de l’information de la rupture sentimentale ne fait pas apparaître de grandes divergences narratives entre news magazines et magazines people. A priori, les deux idéaltypes narratifs sont transversaux dans les deux catégories de magazines. De même, ils ne correspondent pas à un divorce ou à une séparation amoureuse en particulier. Pourtant, l’analyse approfondie du corpus dévoile l’existence de poncifs discursifs – c’est ce que nous appellerons une « configuration énonciative » – qui révèlent des régularités, tant sur le plan de l’énoncé que de l’énonciation propre à chaque rupture étudiée. 2.2. Deux configurations énonciatives ? 2.2.1. Nicolas Sarkozy et Cecilia Ciganer- Albéniz 2.2.1.1. La mise en scène de la rupture et les images créées La mise en scène de la rupture par les magazines implique un travail de figuration des acteurs, afin de les rendre présent au lecteur. Les images utilisées pour décrire les personnages 54 J’espère ne pas trahir ici la pensée de Richard Sennett. Il me semble que celui-ci fait une différence entre une sphère publique traditionnelle (représentée par la métaphore du « teatrum mundi ») dans laquelle l’ensemble des acteurs sociaux présentaient leurs émotions à des moments fixés par la convention, et une sphère publique moderne. Originellement, les acteurs pouvaient être comparés à des interprètes, jouant (mal ou bien), à des moments fixés par les conventions, des émotions ressenties par tous. Lorsque l’individu devient une idée sociale, voire une idéologie, (au XIXe siècle), l’acteur public est amené à représenter des émotions authentiques, qui traduisent sa nature profonde. Pour Richard Sennett, cette injonction à l’expression de soi inhibe les acteurs sociaux. C’est donc le passage de la présentation à la représentation d’émotions qui est problématique : elle condamne les acteurs sociaux à être des spectateurs, des voyeurs, et aboutit à un espace public atrophié. [Sennett, 1979] 52 sont souvent récurrentes : Cécilia Ciganer-Albéniz est tour à tour décrite par des qualificatifs relatifs à son caractère – « incontrôlable », « indomptable », « cyclothymique », « capricieuse » ou « rebelle » – sur ces caractéristique socio professionnelles ou familiales – « première dame », « épouse », « mère ». Pourtant, elle est singulièrement caractérisée par son physique : « longiligne », « belle », « ex mannequin », « élégante », « jolie fille ». Le consensus autour de ces qualificatifs (positifs pour la plupart) concernant l’apparence de Cécilia Ciganer-Albéniz, prévaut dans tous les magazines. Cette particularité semble consubstantielle au statut « d’épouse du président », qui incarne les valeurs de la féminité. Nous rejoignons ici l’analyse de Christiane Restier-Melleray qui met en évidence le rôle fonctionnel et esthétique de l’épouse du président comme une « figurante engagée » qui représente des valeurs privées [Restier-Melleray, 1999]. A l’inverse, Nicolas Sarkozy n’est décrit que par des qualificatifs relatifs à sa fonction politique, parfois par des adjectifs sur son état affectif supposé (« triste », « meurtri », « seul ») et plus rarement sur son statut familial (« père »). Il convient de noter que le nombre de qualificatifs utilisés pour décrire Cécilia Ciganer-Albéniz est nettement plus conséquent : cela révèle un déficit d’image lié à un statut particulier, celui de « première dame ». En effet, les images et métaphores fonctionnent comme des codes qui invitent le lecteur à établir une correspondance entre la personne et un référent extérieur (une autre personne, un personnage historique, etc.). Ces métaphores ancrent la représentation d’une personne dans un tissu culturel. Par exemple, la comparaison typique entre Cécilia Ciganer-Albéniz et Jackie Kennedy55 ou Marie Antoinette56 dénote aussi – puisque l’analogie est martelée à longueur d’articles – qu’elle n’est pas évidente. A l’inverse, le statut de Nicolas Sarkozy est suffisamment porteur de sens pour que les journalistes ne soient pas amenés à l’associer à d’autres détenteurs du titre : dans l’imaginaire collectif, la fonction présidentielle s’incarne naturellement sous les traits de Mitterrand, De Gaulle, voire Louis XIV. Par ailleurs, deux images redondantes associées à la rupture caractérisent le traitement médiatique: Nicolas Sarkozy est seul alors que Cécilia Ciganer-Albéniz est libre57. La solitude semble attachée à la figuration traditionnelle du Président de la République. Cette image de solitude n’est pas négative et provoque plus un sentiment de compassion pour les lecteurs. Quand Le Point (n°1832) titre en couverture « La solitude du président » accompagnée d’une photo où Nicolas Sarkozy affiche un air maussade, le magazine contribue (sans comparaison 55 Noter que la comparaison s’est aujourd’hui déplacée sur la nouvelle épouse du président, Carla Bruni. La comparaison avec Marie Antoinette est utilisée dans le corpus de manière positive, ce qui déroge à l’image traditionnelle que l’Histoire nous donne de cette personnalité : une femme mal aimée de son peuple, opposée aux réformes fiscales de 1789, etc. 57 Voir Annexe n° 4, tableau n° 5 56 53 explicite) à fondre Nicolas Sarkozy dans un moule de président : il invite le lecteur à faire luimême la correspondance entre cette solitude là, et celle de François Mitterrand ou de Charles De Gaulle58. Effectivement, la solitude est celle du « président » et non de « Nicolas Sarkozy ». L’image de « liberté » et celle de « solitude » se construisent dos-à-dos (faisant vraisemblablement référence à une même réalité objective) et manifestent une distribution des rôles dans le divorce présidentiel : Cécilia Ciganer-Albéniz part, tandis que Nicolas Sarkozy est délaissé. Certains magazines vont exploiter ce schéma en adossant à Cécilia CiganerAlbéniz une image assez négative : « Soucieuse jusqu’à l’obsession d’éviter les contraintes auxquelles elle ne souhaite pas se plier, elle ignore celles qui sont liées à son rang d’épouse de présidente[…]quitte à confondre liberté et grossièreté. […] Elle n’est plus cette femme dévouée, attentive à bien faire, mais une compagne imprévisible, qui n’a cure des subtilités de communication. » (L’Express n°2937) 2.2.1.2. Le phénomène rumoral. Le phénomène rumoral est extrêmement prégnant dans la mise en scène journalistique du divorce de Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz. Le simple indice de l’importance de ce phénomène est l’utilisation accrue du mot « rumeur » dans les articles : nous avons repéré deux fois plus d’occurrences (soit quatorze apparitions) du mot dans les textes étudiés59. Le couple présidentiel n’a pas l’exclusivité des « rumeurs », pourtant il semble que la mise en scène de la rumeur soit un trait caractéristique des articles sur ce divorce : « Depuis plusieurs semaines, des bruits circulent sur le couple présidentiel. Plusieurs éléments ont ravivé les rumeurs sur une éventuelle séparation. » (Closer, n° 122) Les magazines se muent alors en porte voie des « bruits », « ragots » et autres « révélations », censés parcourir urbi et orbi les salons français. La rumeur se définit comme une nouvelle qui se diffuse dans le public de façon anonyme (sans source ni relais identifiables) et pourvue d’une véracité contestable. Elle constitue théoriquement l’antithèse de l’information journalistique60, puisque l’information est supposée être fondée sur des faits véridiques et provenir de sources identifiables. Alors, l’éthique journalistique sert précisément à circonscrire la rumeur dans un espace privé, à éviter qu’elle se répande [Aldrin, 2005]. La 58 Confère la « traversée du désert » de Charles de Gaulle après sa démission en janvier 1946 de la présidence du gouvernement provisoire ou le livre de Max Gallo (Gallo M., La solitude du combattant, Paris, Robert Laffon, 1999). 59 Voir Annexe n° 4, tableau n° 6. 60 La charte de 1918 stipule : «Un journaliste digne de ce nom tient la calomnie, les accusations sans preuves, l’altération des documents, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles », ce qui semble interdire les journalistes au colportage de la rumeur. 54 rumeur est moralement61 disqualifiée dans la sphère publique et la colporter avilit celui qui la profère. Sa divulgation est donc une déviance : elle transgresse la norme du « dire » convenable en société, elle bafoue les bonnes mœurs, etc. Il paraît donc surprenant que des médias institutionnalisés véhiculent des « racontards », en les présentant explicitement comme des « rumeurs ». Selon Philippe Aldrin, le phénomène rumoral vient traditionnellement combler un déficit d’information, justement quand les médias institutionnels ne remplissent pas leur rôle de pourvoyeurs d’information. « Interroger les rumeurs, c’est interroger les normes et contraintes qui structurent l’économie sociale des informations politique entre des marchés officiels (espace public) et des marchés parallèles. » [ibid, p.78]. La mise en scène de la rumeur par les magazines est paradoxale : cela correspond à nier les caractéristiques premières de la rumeur pour la convertir en information légitime. Cependant, elle contribue à créer une atmosphère de connivence entre le journaliste et le lecteur. Ce paradoxe ne semble être qu’un artifice propre à entretenir la crédibilité de l’angle « coulisse ». Le journaliste ne marque pas de la distance par rapport à l’énoncé puisque l’information est étayée par « des proches du président », « un ami du couple », « un député de la majorité ». Traditionnellement, la rumeur peut être un moyen détourné pour nuire à une personne. Le phénomène permet ainsi à la conflictualité sociale de s’exprimer par d’autres moyens : renforcement de la complicité entre le cercle lié par la connaissance du « potin » et extranéité irréductible de la personne visée par la rumeur [ibid]. La scène politique est particulièrement propice au développement de la rumeur dans la mesure où les ragots servent à disqualifier l’adversaire. Dans le corpus, la rumeur véhiculée ne semble pas remplir cette fonction, puisque l’ensemble du dispositif d’énonciation renforce le sentiment de proximité avec le couple. D’autre part, la rumeur est ici véhiculée, voire créée par les médias eux-mêmes. La mise en scène de la rumeur s’agrège alors à la mise en scène du journalisme en train de se faire : l’image du journaliste est alors celle – positive – d’un émissaire infiltré dans le cercle fermé de la politique. Pourtant, mettre en scène la rumeur, c’est aussi se déresponsabiliser de la publicisation de l’information et marquer une distance vis-à-vis de la nouvelle, en se 61 Il est d’ailleurs intéressant de noter que la rumeur se personnifie avec l’image d’une femme crédule et malveillante : la « commère » : « En France, du premier XIX siècle jusqu’aux années 1950, les manuels d’instruction, les écrits politique ou romanesques rappellent le caractère peu fiable des opinions féminines, du fait de l’esprit simple et fragile des femmes, incapables de comprendre des problèmes complexes de la société. La commère constitue une figure excessive mais signifiante de la représentation sociale de la femme à travers l’histoire récente. » [Aldrin, 2004, p. 26] 55 positionnant comme le relais d’un bruit assourdissant qui ne pourrait se passer d’un écho médiatique. La corrélation des dates de parution des magazines avec la mise en scène des rumeurs nous indique que les magazines utilisent ce levier pour rendre publique l’information avant son annonce officielle, le 18 octobre. Il s’avère que ces rumeurs médiatiques sont donc des informations vérifiées qui ne peuvent être présentées comme telles par les magazines avant qu’il n’y ait eu de confirmation officielle. Finalement, la mise en scène de la rumeur correspond à une voie moyenne entre taire et dire l’information. Cela accrédite l’hypothèse selon laquelle la rupture entre Cécilia Ciganer-Albéniz et Nicolas Sarkozy était un secret de polichinelle, mais que les médias ont été prudent vis-à-vis d’une annonce intempestive. « Si on entend des rumeurs un peu déguelasses sur lui on ne va pas les écrire…On ne veut pas s’attirer les foudres du président, quoi ! C’est un peu dangereux » (Luc Angevert, Closer). Il est étonnant de voir que le couple Royal- Hollande n’a pas été (autant) la cible de ces « on-dits » médiatiques. Même le numéro de l’Express (n° 2918) qui est le premier à s’engager dans la publicisation de l’information ne met pas en scène une quelconque « rumeur »62. Cette différence peut s’expliquer en partie par le fait que la séparation entre François Hollande et Ségolène Royal était véritablement inconnue dans le milieu des journalistes politiques jusqu’aux révélations exclusives du livre La femme fatale63 [Bacqué, Chemin, 2007]. Les magazines n’ont pas transité par cette étape de « publicisation non assumée » qu’est la rumeur en ne relayant l’information qu’une fois que celle-ci ait été rendue publique par Ségolène Royal. 2.2.1.3. Un schéma énonciatif dynamique : du public au privé Au-delà des images spécifiques et de la mise en scène de la rumeur, le traitement médiatique du divorce présidentiel présente d’autres caractéristiques originales qui nous permettent de dégager l’existence d’un schéma énonciatif spécifique au couple. La conjugaison des idéaltypes narratifs et des énoncés sur le divorce fait émerger une configuration énonciative qui semble s’inscrire dans un mouvement allant du public vers le privé. 62 Il faut néanmoins admettre que le ton est assez pusillanime : utilisation du conditionnel, citation du livre de Rafaëlle Bacqué et Ariane Chemin comme source première, etc. 63 Bacqué R., Chemin A., La femme fatale, Albin Michel, Paris, 2007 56 Le traitement médiatique du divorce entre Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz se décline principalement sous trois angles : l’histoire du couple, les étapes de la séparation, la vie quotidienne après la séparation. Ce cadrage invite le lecteur à s’immiscer dans l’intimité des personnages à partir d’une description « informative » de leurs activités quotidiennes, présentes et passées. Les apparitions publiques des acteurs, les faits objectifs permettant d’établir une cohérence dans la vie du couple, sont alors le support d’une psychologisation des personnages. L’ensemble de leur vie publique est scruté à l’aune de leur vie privée. « Pour le reste, l’homme blessé porte beau. Est-ce pour fuir en avant, noyer son chagrin dans l’hyperactivité ?[…]Toujours est-il que ces derniers jours, Nicolas Sarkozy a donné le change comme jamais. Il a fait des projets, monté des stratégies, harangué ses troupes avec une incroyable énergie –celle du désespoir dirons les mauvaises langues ».( Le Point, n°1832) « Lors du sommet européen de Lisbonne, son enthousiasme un peu forcé n’a trompé personne ». (Gala, n°751) Nous remarquons alors que l’idéal type narratif du « reportage informatif » est une amorce vers une narration plus romancée où les appels à l’émotion sont constants. Par ailleurs, il importe de souligner que les articles tendent à dissocier Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz, ce qui se traduit par une séparation physique dans le traitement médiatique (une partie/un article sur Nicolas Sarkozy ; une partie/ un article sur Cécilia CiganerAlbéniz) : l’intimité des personnages est étudiée indépendamment. L’ancrage des articles dans un quotidien se traduit par une « starisation » des personnages, en particulier de Cécilia Ciganer-Albéniz, dont les allées et venues sont épiées, datées et photographiées par les paparazzis.64 Les énoncés rendent lisible sa personnalité, et construisent un personnage auquel peuvent s’identifier les lecteur(-rice)-s. Elle revêt alors le rôle de « patron-modèle » que joue traditionnellement la star, et influence à ce titre le lectorat65 : Comment s’étonner que Cécilia, femme forte, décidée, ait du mal à s’imaginer épouse effacée, future ambassadrice des pièces jaunes ou présidente d’une quelconque fondation ? Est-ci grave de refuser les obligations officielles, dîners ennuyeux, voyages… et de préférer une vie plus anonyme auprès des siens ? (Closer, n°129) De même, Nicolas Sarkozy revêt une « personnalité », plus qu’un statut politique. Il est flagrant que les articles centrés sur Nicolas Sarkozy ne sont pas pour autant davantage 64 Notons que les photos de Nicolas Sarkozy sont toutes des photos officielles, tandis que celle de Cécilia Ciganer-Albéniz sont dans leur majorité des photos de paparazzis. 65 « La star est précisément une star dans la mesure où le rôle qu’elle joue déborde les frontières de l’esthétique. La star élit domicile dans l’esprit de ses admirateurs.[…]La star est essentiellement patron-modèle.[…]Or, le processus d’identification à des patrons modèles affecte le problème même de la personnalité humaine.[…] La personnalité est un masque mais qui nous permet de faire entendre notre voix, comme le masque du théâtre antique. Ce masque, ce déguisement, la star en donne l’image et le modèle ; nous l’intégrons à notre personnalité. » [Morin, 1995, p.121-122] 57 politiques que ceux ciblés sur son ex-femme. Il en ressort finalement des articles où le politique est une toile de fond pour s’épandre sur les sentiments des personnages: « De son déplacement à New York, il est revenu fier et grave. Fier, parce qu'il avait entendu le président américain, George Bush, et son homologue brésilien, Lula, parler de la France dans leurs discours. Grave, parce qu'il se sait dorénavant comptable de cette image-là, bousculée hier à Dakar par ses propos sur l' «homme africain»[…]. Le 18 octobre est déclenché le premier grand mouvement de grève depuis mai - ce sont là les aléas habituels de la fonction.»(L’Express, n° 2937). Cet exemple illustre le propos de Richard Sennett, exposé ci dessus : le journaliste se contente de mentionner des faits politiques et achève son exposé sur les activités politiques de Nicolas Sarkozy par une phrase qui, seule, décrédibilise toute tentative d’analyse 66. Cette amorce permet au journaliste de se concentrer sur ce qui est réellement important : l’intimité du personnage. Pourtant, l’étude des occurrences de mots nous amène à remarquer que le traitement médiatique s’articule autour de la position particulière d’un couple au pouvoir. Pour simple exemple, le substantif « pouvoir » apparaît treize fois dans les articles traitant du divorce présidentiel, contre sept fois dans les articles sur la rupture socialiste. Il n’y a donc pas d’ambiguïté sur le statut des personnages mis en scène. Au contraire, c’est cette particularité qui amène les journalistes à accentuer les traits de personnalité des acteurs qui pourraient les rendre plus « humains » et donc proches des lecteurs. La psychologisation des acteurs politiques, qui tend à les « humaniser » ne pourrait, selon Pascal Braud, être assimilée à la « psychologie politique ». En effet, le traitement de l’actualité politique à l’aune de la psychologie des acteurs donne, selon lui, trop de poids aux mobiles privés dans les choix des personnages politiques et valorise une marge de manœuvre souvent limitée des individus dans l’espace public [Braud, 1996]. Ainsi, les journalistes recomposent a posteriori la cohérence des évènements, privés ou publics, vécu par les personnages politiques67. 2.2.2. François Hollande et Ségolène Royal 66 Cet extrait d’article peut aussi accréditer l’idée de Pierre Bourdieu selon laquelle les médias ont tendance à «cacher en montrant » [Bourdieu, 1996] 67 Nous retrouvons ici un argument clef de justification du traitement de la vie privée par les news magazines : l’étude de la vie privée des acteurs politiques est un moyen d’amener le lecteur à comprendre l’action politique : « Ce qui relève de la vie privée ça a toujours fait parti de la compréhension d’un responsable politique. Ce serait tout à fait idiot de faire une biographie ou d’enquêter sur un responsable politique, sans regarder ce qui, dans sa vie privée permet de comprendre son action. » (Rafaëlle Bacqué). 58 2.2.2.1. La mise en scène de la rupture et les images créées La mise en scène de la séparation entre Ségolène Royal et François Hollande fait endosser aux personnages des rôles spécifiques. Les images créées sont alors légèrement différentes que celles utilisées pour décrire le couple présidentiel. En effet, pour Ségolène Royal comme pour François Hollande les qualificatifs utilisés pour les décrire se rapportent à leur position politique (« ex candidate », « premier secrétaire »), leur situation familiale (« femme de », « père de famille », « mari »), ou à des traits de caractère (« tribun né », « boute-en-train », « indépendante »). Nous ne pouvons constater de différence notoire dans les catégories d’adjectifs utilisées pour décrire les deux personnages, même si les descriptions paraissent plus flatteuses pour François Hollande que pour Ségolène Royal (« autoritaire », « carriériste », « vengeresse », « harpie », etc.). Les images permettant de caractériser les deux personnages doivent être mises en relation avec celles utilisées pour décrire le divorce de Nicolas Sarkozy et Cécilia CiganerAlbéniz. En premier lieu, il faut remarquer que les descriptions de Ségolène Royal incluent très peu des qualificatifs ayant trait au physique ou à l’apparence ( à la différence des portraits de Cécilia Ciganer-Albéniz). Cela infirme l’hypothèse selon laquelle l’image des femmes dans les médias serait uniquement tributaire de qualifications « genrées »68. Au contraire, il existe une correspondance entre l’image de Nicolas Sarkozy et celle de Ségolène Royal en ce qui concerne les qualificatifs « seul » et « libre »69. Comme Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal est présentée comme une femme « seule », tandis que le conjoint est associé à une personne « libre ». Cela confirme l’idée que le personnage politique (ou du moins le personnage qui, symboliquement, est le plus « représentatif ») véhicule une image de solitude, mais aussi l’idée, plus commune, que la personne qui prend l’initiative de la rupture est « libre », tandis que la personne qui est quittée est « seule ». D’autre part, l’exercice comparatif nous conduit à mettre en évidence le fait que les deux femmes sont beaucoup plus décrites, qualifiées et comparées à d’autres personnages que les deux hommes : elles revêtent les habits de divinités, apparaissent sous les traits de personnages de la mythologie et de l’histoire (« Junon », « Cruella », « Messaline », « Ariane », etc.). Ce qui avait été proféré précédemment à propos de Cécilia Ciganer-Albéniz peut donc s’étendre à Ségolène Royal : la profusion des images peut venir combler un 68 Il faut néanmoins nuancer notre propos puisqu’il est patent que les hommes ne se qualifient jamais de manière « relationnelle » : Nicolas Sarkozy n’est jamais décrit comme étant « l’époux de Cécilia », par exemple. 69 Voire Annexe n° 4, tableau n° 5 59 « vide », selon lequel le potentiel de symbolisation des femmes sur la scène publique serait moindre que celui des hommes, compte tenu de leur entrée récente dans la sphère publique. Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que les adjectifs qualifiant les sentiments et émotions relatifs à la séparation amoureuse (« blessée », « trahie », « infidèle », etc.) permettent de qualifier nettement plus le couple Royal/ Hollande que le couple Sarkozy/ Ciganer-Albéniz. Cette particularité nous permet de confirmer nos observations préliminaires : les articles traitant de cette séparation ne désunissent pas les personnages, et le récit s’insère moins dans un quotidien. Les angles adoptés sont alors davantage ceux des « causes » et « conséquences » de la séparation70. 2.2.2.2. Les références aux autres titres et médias : l’interdiscursivité Le phénomène rumoral est nettement moins présent dans la mise en scène de la rupture entre Ségolène Royal et François Hollande71. Pourtant, l’éthos prend une autre forme ; celle de la polyphonie journalistique, avec l’auto citation ou la citation d’autres journaux. Dans le corpus étudié, « l’ interdiscursivité journalistique » [Ringoot, 2004, p. 110] donne à voir le phénomène de « circulation circulaire de l’information » [Bourdieu, 1996]: les magazines citent leurs pairs comme source, de manière à légitimer leurs dires. Ces références tiennent lieu de justification: « On a pas oublié la voix émue de cette femme blessée sur France inter. » (Paris Match n°3034). Nous pouvons aussi souligner que l’ensemble des journalistes donne une part importante au discours des acteurs eux-mêmes, en particulier de Ségolène Royal : « Quelques jours avant son escapade sur l’île de Beauté, elle exprimait sa peine dans le magazine “Sept à huit”, sur TF1 : “Je dois rester solide comme une mère de famille”. Une attitude très Royal. » (Closer n°109). Ainsi, la plupart des magazines amorcent leur article en rapportant les déclarations successives de la candidate socialiste, mais aussi le discours des livres ayant publicisé la rupture du couple : « Et puis un livre est arrivé. Juste au lendemain du 6 mai “La Femme fatale”, livre fatal ».(Le Nouvel Observateur, n° 2224). La polyphonie énonciative – comme la mise en scène du phénomène rumoral – est un de moyen de marquer une distance par rapport aux évènements. C’est aussi l’occasion pour les magazines de mettre en scène la communication politique de Ségolène Royal : 70 71 Voir Annexe n° 4, tableau n° 4 Voire Annexe n° 4, Tableau n° 6 60 « C’est presque en martyre qu’elle se présente : “je n’aurais jamais imaginé subir des attaques aussi féroces, aussi indécentes dans mon propre camp”. » (Paris Match n°3034). Cette particularité énonciative se rapporte donc aux conditions de la publicisation des informations privées sur cette séparation. Ces informations venant pour la plupart d’interviews données par l’ex-candidate elle-même. 2.2.2.3. Un schéma énonciatif dynamique : du privé au public Le traitement médiatique de la rupture entre François Hollande et Ségolène Royal fait aussi apparaître une configuration énonciative spécifique. A l’opposé du traitement médiatique du divorce présidentiel, ce schéma énonciatif paraît s’insérer dans un mouvement du privé au public. En effet, il se dégage un énoncé atypique où le privé explique le public : les bribes (ou les pans) de la vie privée des personnages sont alors réinvesties dans les articles pour expliquer une situation publique et politique des acteurs72. Ces articles s’apparentent alors au genre romanesque : un évènement inattendu rompt l’équilibre de la situation initiale. L’intrigue rebondit au gré des péripéties puis se stabilise par une chute finale. Le poncif énonciatif de la rupture entre Ségolène Royal et François Hollande peut se résumer de la sorte : le couple était heureux jusqu’en 2004, lorsque Ségolène Royal commence à soupçonner François Hollande d’être infidèle. La même année, elle remporte la présidence de la région Poitou- Charente, puis elle annonce sa candidature à l’Elysée, alors que François Hollande lui-même souhaitait avoir cette place. La défaite socialiste s’explique en partie par les dissensions au sein du couple. Subsiste un soupçon : François Hollande a-t-il fomenté la défaite de Ségolène Royal ? Ce synopsis, à peine caricaturé, montre à quel point, les topoï théâtraux sont réinvestis dans la narration de cette rupture : passion, jeu de dupes, vengeance, trahison, ambition73 ; la séparation du couple socialiste est une occasion pour les magazines de (re)donner vie à des histoires autrefois racontées au passé simple74. Ce récit, qui reconstitue les évènements a 72 La différence est subtile. A première vue dans les deux cas, le privé explique le public. Pourtant, dans le schéma énonciatif de la rupture socialiste le point d’aboutissement des articles consiste à montrer l’impact de faits privés sur la vie publique. La finalité est donc d’expliquer par la vie privée, ce qui se passe dans la sphère publique (la vie privée est un moyen). A l’inverse, dans le divorce présidentiel, le journaliste interprète des scènes publiques, et en tire des conclusions sur la vie privée ou sur l’état affectif des personnages. Le privé semble davantage être une fin qu’un moyen. 73 Pour simple information, le terme ambition est utilisé une quinzaine de fois dans les articles concernant Ségolène Royal et François Hollande, contre cinq fois dans les articles sur Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer Albéniz. Voir Annexe n° 4, tableau n° 6 74 Pour Roland Barthes le passé simple est la marque du Roman et signifie la création. « Pour saisir la signification du passé simple, il suffit de comparer l’art romanesque occidental à telle tradition chinoise, par 61 posteriori, se décline de différentes manières selon les magazines. Selon Le Point (n°1814), la candidature de Ségolène Royal s’explique par une volonté de vengeance contre François Hollande, pour le châtier de son aventure extraconjugale. Pour Paris Match (n°3031), cette candidature s’explique par la détresse de Ségolène Royal : elle cherche « l’amour d’un peuple » après avoir perdu « celui d’un homme ». D’après L’Express, François Hollande n’a pas divorcer par amour pour ses enfants : « Mais dans la vie de François Hollande, il y a l’amour, et puis il y a ses enfants. L’intensité de leur douleur, la violence du ressentiment, parfois, paraissent mériter tous les renoncements. ». (L’Express, n°2937) Et enfin, pour Gala: « Au-delà des secrets d’alcôve, c’est une lutte formidable qui se joue pour accéder au pouvoir[…]La guerre est déclarée et Ségolène Royal ne fera pas de quartier. ». (Gala, n° 733). Dans ces exemples, la mise en cohérence de l’histoire du couple résulte d’interprétations en tous genres de la part des magazines. Nous retrouvons partiellement le même schéma que dans les articles traitant du divorce présidentiel : la scène politique est le miroir des soubresauts de la vie intime des acteurs. Pourtant, la grille de lecture de l’évènement est essentiellement politique, comme le souligne Rafaëlle Bacqué : « C’était un conflit entre non seulement un couple, mais entre un chef de parti et une candidate, et que ça expliquait en grande partie des désorganisations et des conflits de la campagne. ». Enfin, il est frappant de remarquer que le pathos et l’émotion n’imprègnent pas ces récits. Les affects des personnages sont alors communiqués par le discours rapporté au style direct : « “Quand on aime et qu’on est trahie, il faut savoir reprendre sa vie en main et dire que ce n’est plus comme ça qu’on voit les choses, que ce n’est plus supportable” » (propos rapportés dans Closer, n° 109). De même, la psychologisation des personnages est moins évidente et le récit n’invite pas le lecteur à s’identifier avec les personnages. Si la souffrance des acteurs est exposée, les angles choisis, qui aboutissent à un discours cartésien sur les évènements (faits, causes, conséquences), rétablissent une distance avec les personnages : cette histoire n’appartient qu’aux acteurs et la force du récit provient du caractère exceptionnel du cadre dans lequel les évènements se produisent : la scène politique, décor inédit de soap opera. Les modes de exemple, où l’art n’est rien d’autre que la perfection dans l’imitation du réel ; mais là, rien, absolument aucun signe ne doit distinguer l’objet naturel de l’objet artificiel : cette noix en bois ne doit pas me livrer , en même temps que l’image d’une noix, l’intention de me signaler l’art qui l’a fait naître. C’est, au contraire ce que fait l’écriture romanesque. Elle a pour charge de placer le masque et en même temps de le désigner ». (Barthes, 1972, p.28) 62 publicisation de la rupture expliquent en partie cela, puisque les évènements ont déjà été mis en scène par Ségolène Royal. Cette dernière a manifestement fourni un scénario « clef en main » qui a été adapté librement par les magazines, selon les contraintes imposées par les diverses lignes éditoriales et selon les choix individuels du journaliste. Finalement, il semblerait que la psychologisation accrue des personnages dans le cas du divorce présidentiel soit un pis-aller pour susciter artificiellement l’empathie, dans la mesure où le divorce présidentiel a moins été commenté par les acteurs. Ces configurations énonciatives semblent particulièrement conditionnées par les modalités de l’annonce publique de la séparation par les personnages publics. D’une rupture à l’autre, ces configurations transcendent le clivage entre magazines people et news magazines : il n’y a pas de renversement du schéma énonciatif entre les deux catégories de magazines 75. A première vue, ces schémas énonciatifs semblent plus ou moins en adéquation avec les identités éditoriales des magazines. Du privé au public, le schéma énonciatif de la rupture Royal/Hollande s’épanouit en particulier dans les news magazines. A l’inverse, les magazines people sont les hérauts du divorce présidentiel. L’adhésion du discours à un idéaltype narratif particulier– le reportage informatif ou la « romanciation » du récit – est alors inégal selon les choix des magazines. L’analyse des prises de positions dans le discours, l’utilisation de mécanisme de distanciation ou du pathos, relèvent donc de choix spécifiques des journalistes. Ainsi, dans cette faible marge de manœuvre éditoriale, l’utilisation d’un idéaltype spécifique peut être un critère discriminant pour noter la politisation des magazines, et finalement la partisanisation du discours sur l’intime. L’étude de la politisation du discours permettra alors de savoir si les stratégies de différenciation éditoriale se répercutent dans des prises de positions explicites. Bien que ces stratégies éditoriales ne donnent pas à voir une réelle différenciation des politiques narratives des magazines, elles peuvent indiquer des tactiques de différenciation politique. 75 En effet, nous aurions pu penser par exemple que la rupture socialiste aurait été traitée par les magazines people de manière plus pathétique, en reprenant le schéma énonciatif du divorce présidentiel (montrer le désarroi des personnages, etc.). Pourtant, même les magazines people reprennent le topos de la rupture entre Ségolène Royal et François Hollande, selon lequel les avanies privées des personnages expliquent la défaite socialiste. Voir Annexe n° 5, article de Closer n° 115 63 Partie 3. Une politisation de l’intime ? L’engagement politique au prisme des modalités énonciatives Cette troisième et dernière partie a pour ambition de repérer l’existence d’un processus de politisation des magazines grâce à une analyse de l’engagement du journaliste dans le discours. Il s’agit dans un premier temps de comprendre quelles sont les relations qu’entretiennent les deux catégories de magazines avec le politique. En effet, les lignes éditoriales induisent une relation particulière au politique : ainsi le positionnement politique est parfois un préconstruit des lignes éditoriales. Ensuite, il sied d’« aller voir derrière le masque de l’effacement énonciatif, celui du positionnement discursif » [Charaudeau, 1999] : l’engagement du journaliste dans les articles sur les ruptures des couples de personnages politiques est alors un révélateur d’une politisation du magazine. Ces indices d’engagement ou de désengagement dans le discours seront finalement mis en perspective avec les configurations énonciatives des deux ruptures étudiées ci-dessus. Ainsi, l’objectif est de comprendre dans quelle mesure les positionnements politiques sont encadrés en amont – par la nature de la nouvelle et les modalités de publicisation de l’information par les acteurs politiques – et en aval – par lignes éditoriales – pour voir si l’intime est un nouveau support pour des prises de position partisanes. Enfin, il convient ici de rappeler que « Dire, c’est prendre position » [Koren, 1999]. Tout récit appelle une mise en mots du réel qui dépend de la subjectivité du journaliste puisqu’il est impossible de séparer la part référentielle du langage de ses dimensions argumentatives. Ainsi, autant « l’éthos neutre » que « l’éthos moral »76 sont suspendus à des logiques argumentatives [ibid.]. Les choix énonciatifs, la mise en scène de la distance et de l’objectivité dans le discours, trahissent alors des choix, sinon partisans, tout du moins politiques. 3.1. Entre distance et proximité : le rapport ambivalent au politique 76 L’éthos moral est ce qui permet au journaliste de prendre position explicitement dans un article. A l’inverse de l’ethos neutre, cette présentation de soi apparaît surtout dans les genres journalistiques du commentaire : la prise de position est « légitime » : le journaliste s’engage au nom d’un impératif moral et non au nom de ses convictions propres. Ces deux formes de l’éthos relèvent des stratégies de présentation de soi dans le discours, et à ce titre elles visent toutes à convaincre les lecteurs. Finalement, cela remet en cause la valeur du dogme journalistique de la séparation entre faits et commentaire. [Koren, 1999] 64 3.1.1. La politisation au principe des lignes éditoriales La politisation peut se définir comme la « production sociale de la politique, de ses enjeux, de ses règles et de ses représentations. » [Lagroye, 2003, p.]. La notion invite à réfléchir sur les frontières du politique, mais aussi sur la nature de cette « chose » qui anime la sphère publique. Cette définition en creux du politique est rendue possible par l’étude des moyens par lesquels la mise en scène médiatique de l’intime confère aux discours une « plus value » politique. Enfin, le processus de politisation s’impose comme un phénomène relationnel, qu’il faut penser en terme de « champ ». La production journalistique est alors considérée comme « un bien symbolique dont la production suppose un certain travail intellectuel, mais qui en outre, doit être économiquement rentable et peut produire des effets politiques, voulus ou non. » [Champagne, 2007, p.51]. 3.1.1.1. Les News magazines : une politisation institutionnalisée Après l’adoption du format news par Le Nouvel Observateur en 1972, Jean Daniel présente son magazine comme un lieu de rencontre pour « tous les hommes qui ont pour patrie commune la gauche » [Bellanger, 1976, p. 401]. Il s’agit alors de se démarquer de la neutralité du magazine Le Point, dernier-né dans le paysage des hebdomadaires français. En réalité, Jean Daniel - comme beaucoup de plumes du « Nouvel Obs » - est un transfuge de L’Express, crée en 1953 par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud. Ce magazine, le premier qui adopte le modèle innovant du magazine illustré, sur l’exemple du Time et du News Week, soutient officiellement Pierre Mendés France, président du conseil en 1954, contre Charles De Gaulle. En 1963, l’aile gauche radicale de l’Express quitte le journal et participe à la refondation de France–Observateur77, alors que Claude Imbert devient rédacteur en chef de l’Express. Quelques années après, le directeur du magazine, JeanFrançois Revel, démissionne et l’Express négocie clairement un virage à droite dans les années 1980 en s’opposant à François Mitterrand. L’académicien Jean François Revel rejoint Le Point, crée par Claude Imbert en 1972 après que ce dernier s’est désengagé de la rédaction de l’Express. Claude Imbert, accompagné de confrères issus du magazine Paris Match78, souhaitait faire du magazine Le Point, un hebdomadaire neutre, sans idéologie ni accointances avec un quelconque parti. Il s’opposait en cela à L’Express, qui cultivait l’ambiguïté avec 77 Dans le registre des illustres collaborateurs de l’Express puis du Nouvel Observateur figurent des noms comme François Mauriac ou Jean Paul Sartre. Raymond Aron, quant à lui, rejoint l’Express en 1977. 78 Dont Georges Suffert. 65 l’affiliation de Jean-Jacques Servan-Schreiber au parti radical-socialiste. Le rédacteur en chef actuel du magazine Le Point est Franz-Olivier Giesbert, ancien directeur de la rédaction du Nouvel Observateur. L’engagement à la neutralité du journal a néanmoins laissé la place à des positionnements politiques de droite. Les « politiques du nom »79[Ringoot, 2004, p.102] des trois news magazines étudiés ne trahissent pas une orientation idéologique et évoquent plus un programme pratique, relatif à la nouvelle catégorie éditoriale qui voyait le jour: les « news ». Un « point » sur l’actualité, une analyse « expresse » des informations de la semaine, une « observation » de la réalité politique… Pourtant, l’étude sommaire de l’histoire de ces titres, et surtout l’examen des relations – via les transferts de journalistes – que les titres entretiennent les uns avec les autres et chacun avec le politique, illustre la faible autonomie du champ médiatique par rapport au champ politique. En premier lieu, il existe une différenciation entre l’espace dans lequel évoluent ces magazines et l’espace du politique : aucun de ces magazines n’est un organe de parti et leur positionnement idéologique a évolué de manière autonome, (par exemple par rapport aux changements de majorité politique). Les news magazines sont alors une composante du champ médiatique, conçu comme un « espace social, relativement autonome, structuré par des enjeux de rivalités dont la limite est une commune adhésion des participants à des enjeux et des valeurs » [Neveu, 2001, p.36]. Cependant, cette famille des news magazines au sein du champ médiatique s’est structurée en miroir avec le champ politique, reprenant la topographie de la scène politique française : bipolaire ou tripolaire (si l’on considère que le centre est un parti). Par conséquent, les engagements politiques des news magazines ne sont pas strictement révélateurs d’un processus de politisation. En effet, la politisation s’apparente à la « conquête » d’objectifs traditionnellement portés par des acteurs politiques institutionnels par un champ extérieur [Lagroye, 2003]. La requalification des activités est donc le fait d’un ensemble d’acteurs, pris dans des rapports de force pour légitimer leurs pratiques et justifier la différenciation des espaces. Ici, l’engagement politique, compris comme une « idéologisation » des lignes éditoriales, traduit la dépendance structurelle du champ journalistique (et surtout de la catégorie des news magazines) par rapport au champ politique. Par les modes de recrutement de ses membres, par leurs origines sociales, par les liens qui les unissent souvent dans des rapports privés, les acteurs qui 79 « En création éditoriale, le nom constitue un enjeu symbolique important, il doit à la fois marquer son identité, évoquer un programme, renvoyer à une communauté d’intérêt, et simultanément marquer une altérité, afficher sa différence par rapport aux autres publications, tout en signifiant l’appartenance à une catégorie éditoriale » (Ringoot, 2004 , p.102) 66 interagissent dans les deux champs partagent souvent le même habitus. Les passerelles entre les deux champs sont donc nombreuses.80 La politisation des news magazines est donc institutionnalisée et est au fondement de leurs lignes éditoriales. Pourtant, l’encensement trop évident d’un acteur politique sera considéré comme un imbroglio néfaste, comme un mélange des genres « du » journalisme politique avec « la » politique (sous-entendue politicienne). Nous retrouvons ici l’analyse bourdieusienne de Patrick Champagne et d’Olivier Christin « La question de la délimitation des frontières du champ est toujours posée dans le champ lui-même et est lui-même l’enjeu de luttes. Car les acteurs travaillent sans cesse à exclure des rivaux potentiels à produire des critères de reconnaissance, des droits d’entrées susceptibles de favoriser leur emprise sur le champ, et pouvoir dire ce qui est légitime ou pas » [Champagne, Christin, 2004, p.148]. Ainsi, des tensions traversent cet espace des news magazines pour définir dans quelle mesure l’engagement politique est « légitime » ou pas. Par exemple, les positionnements des news magazines s’appuient aujourd’hui sur des « tendances » politiques (« centre gauche », « centre droit »…)81 plus que sur des partis ou des idéologies. Les va-et-vient des journalistes entre divers magazines attestent d’un engagement politique vécu davantage comme une « béquille » éditoriale qui ne détermine pas nécessairement un engagement individuel82 : le journalisme de news magazine n’est pas donc un journalisme militant. L’engagement politique est alors instrumental : c’est une norme partagée qui leur permet de s’identifier (les uns aux autres) et de se différencier (par rapport aux autres champs). Finalement, l’exemple des news magazines nous permet de comprendre en quoi le champ médiatique et le champ politique s’autoalimentent et participent l’un et l’autre à renforcer leur légitimité respective ; ils partagent donc le même illusio, c’est-à-dire l’« adhésion immédiate à la nécessité du champ » [Champagne, Christin, 2004, p.150]. 80 La nomination récente de Catherine Pégard, ancienne rédactrice en chef du service politique du magazine Le Point, au poste de conseillère du président Nicolas Sarkozy, en charge de la cellule politique. 81 Il faut néanmoins noter que lors des élections présidentielles, Le Point a par exemple été assez offensif avec Ségolène Royal (même s’il ne se disait pas ouvertement favorable à Nicolas Sarkozy), tandis que Le Nouvel Observateur soutenait assez explicitement la candidate socialiste. Si la position de l’Express semblait assez insondable, il semble qu’il soit légitime de soutenir ostensiblement un candidat. 82 Le positionnement politique est assumé par les journalistes, comme en témoigne Nicolas Demonpion « C'està-dire, le NO roule très à gauche, le Point est plutôt à droite, l’Express il roule… pas au centre… il roule où il peut (rire)…à droite, à gauche. Non, il a une ligne beaucoup plus floue de ce point de vue là. » Cela ne signifie évidemment pas que ceux-ci se positionnent individuellement sur la ligne éditoriale du journal auquel ils sont rattachés. 67 Les lignes éditoriales des news magazines, à l’image de celles de tous les titres et supports constituant le champ médiatique, sont tributaires de logiques économiques : ils sont soumis à la loi du marché et à la sanction du plébiscite [Bourdieu, 1996]. Les positionnements politiques des lignes éditoriales, si elles correspondent aux soubresauts de la vie démocratique, répondent à des enjeux de captation du public83. Cet enjeu crucial est partagé par le champ médiatique et le champ politique. L’adhésion politique des lecteurs à l’un de ses trois courants d’idées renforce la fidélité du lectorat à son magazine, et finalement la rentabilité du titre. Il faut donc souligner que l’absence de news magazines qui embrassent des idées de gauche radicale ou d’extrême droite s’explique aussi par les contraintes financières qui incombent aux titres. Finalement, l’exemple montre que les logiques démocratiques trouvent leur écho dans les logiques économiques des entreprises de presse : la captation d’un électorat correspond alors à la captation d’un lectorat. 3.1.1.2. Les magazines people : de l’apolitisme à la neutralité A l’inverse des news magazines, les magazines people ne se sont pas structurés par rapport au champ politique, mais au contraire semblent particulièrement poreux à des logiques commerciales. La perte d’autonomie se situe donc davantage sur cette façade là tandis que ces titres paraissent relativement éloignés du champ politique. Du groupe Lagardère (Paris Match) à la holding berlusconienne Fininvest (Closer) en passant par Bertelsmann, leader européen de la communication (Gala), l’appartenance de ces titres à des entreprises multinationales témoigne de la prégnance du paradigme du « journalisme de marché » [Neveu, 2001] sur cette catégorie de magazine. Les titres n’ont évidemment pas le monopole en la matière et il serait illusoire de croire que leur lignes éditoriales ne se définissent qu’en fonction de critères économiques. Quoi qu’il en soit, nous pouvons affirmer que les magazines people se démarquent tendanciellement autant par l’absence d’articles sur des sujets politiques que par la non idéologisation des lignes éditoriales. Les titres de la presse people sont alors structurellement peu politisés. Néanmoins, cette catégorie de la presse magazine présente des cas de figure très différents dans le rapport entrentenu avec le champ politique. Un magazine comme Paris Match, développe des sujets politiques par le biais de portraits « intimistes », dévoilant les 83 Les couvertures sur Nicolas Sarkozy (et plus modestement sur Ségolène Royal) peuvent, en partie, s’analyser au prisme de l’enjeu de captation du public. Pour information, en 2007, il y a eu 252 couvertures de news magazines sur Nicolas Sarkozy ; les ventes ont alors augmenté de 6,77 %. Patrick Bartement, directeur général de l’Office de justification de la diffusion estime que « l’effet Sarkozy » à fait vendre 110 millions d’exemplaires de news magazines en plus. (Le Monde, 8 mars 2007) 68 coulisses de la scène politique84. Si les relations entre les différents news magazines et le politique semblent assez unifiées, les magazines people dévoilent un continuum de positionnements éditoriaux plus ou moins liés au politique. Gala, avec le traitement de l’actualité des cours royales nourrit aussi cette ambivalence. Pourtant, à l’inverse des magazines d’actualité générale, ni Gala, ni Paris Match - et encore moins Closer - ne revendiquent une partisanisation de leurs lignes éditoriales. L’apparition d’acteurs politiques « traditionnels» dans les pages de ces magazines les amène à opérer un glissement de l’indifférence politique à un « engagement neutre ». L’émergence d’articles centrés sur des personnalités politiques entraîne une suspicion quant à l’indépendance des magazines par rapport au champ politique. Cet enjeu de démarcation face à un espace politique prend la forme d’un engagement à la neutralité. Les journalistes revendiquent alors l’absence de partis pris idéologiques : « Moi j’essaie d’être le plus objective et le plus neutre possible… Enfin il n’y a pas de ligne politique du journal » (Candice Nedelec, Gala).85 Cet engagement à la neutralité semble être le corollaire de la politisation des magazines people. L’observation de cette évolution au sein des magazines people nous permet d’affirmer qu’il y a en effet une transgression des règles contribuant à différencier les espaces d’activités entre magazines people et politique. Si neutralité il y a, c’est bien en relation (et en opposition) à des activités non neutres, à la fois l’activité politique stricto sensu, mais aussi le journalisme « orienté », celui des news magazines. La rhétorique de la neutralité est donc un « arrangement » des magazines pour dissimuler une transgression, et se bricoler une nouvelle légitimité. Enfin, le recrutement de journalistes politiques86 au sein des rédactions de magazines people est un autre indicateur de la politisation nouvelle de ces magazines. La requalification des activités des magazines people, conçue comme un rapprochement par rapport au champ de la politique institutionnelle doit être mis en parallèle avec l’impératif de rentabilité économique des news magazines. En effet, les logiques commerciales tendent à être plus présentes au sein des news magazines : priorité donnée aux rubriques censées maximiser les publics, emprise des services commerciaux, intégration des 84 Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’équipe rédactionnelle qui a fondé Le Point intégrait des transfuges de Paris Match. 85 Le principe de la neutralité n’apparaît pas dans le discours de tous les journalistes people. Par exemple, Luc Angevert (Closer) : « On peut pas dire Closer est à gauche, Closer est à droite, c’est ridicule. Closer est nulle part. » Le journaliste souhaite se démarquer du champ politique : le détachement face au politique prime sur « l’engagement neutre ». 86 Par Gala et Paris Match surtout. Candice Nedelec a fait l’I.E.P. d’Aix-en-Provence. 69 magazines au sein de groupes industriels…[ Neveu, 2001]. Finalement, ce constat permet de formuler l’hypothèse d’une rencontre des deux catégories de magazines sur un point d’équilibre commun, situé à équidistance des champs politique et économique. Cette évolution au sein du champ, qui témoigne de la convergence de deux logiques médiatiques autrefois différentes, peut aussi témoigner d’une autonomisation croissante du champ médiatique ou d’une cristallisation des normes journalistiques autour d’une référence commune. En effet, l’uniformisation des modes de recrutement des journalistes, l’impérieuse nécessité de la rentabilité économique et le rapport renouvelé au politique, concourent à réunir les acteurs sociaux autour d’un habitus commun, d’autant plus puissant que le nombre d’acteurs à le partager augmente87. La proximité des news magazines et des magazines people par rapport au champ politique est donc avérée, même si cette politisation structurelle ne revient pas nécessairement à une partisanisation des lignes éditoriales. La distanciation est alors un moyen pour les deux catégories d’asseoir leur légitimité et de se constituer en acteurs autonomes. 3.2. La « distance » : une loi du genre 3.2.1. Les news magazines : entre proximité idéologique et distance critique « Pour moi le maître mot pour un journaliste politique, c’est la distance.» (Eric Mandonnet, L’Express). Dans cette catégorie de magazine, la distance se remarque par l’apparition d’un ethos spécifique : le journaliste endosse les habits neufs du politologue, émet un discours de surplomb en utilisant une ressource susceptible de rendre compte « objectivement » des phénomènes politiques : les sondages d’opinion [Ruitort, 2007]. 88. Les justifications éditoriales et les politiques d’objectivation de l’information contribuent à créer 87 Cette réorganisation du champ médiatique possède ses effets sur les lignes éditoriales des magazines. Pourtant, nous ne postulons pas que ce nouvel agencement, cet équilibre commun aboutit à une uniformisation complète des lignes éditoriales, notamment pour des raisons sociologiques et culturelles (question du lectorat à qui est destiné l’article). La phrase prononcée par Laurent Joffrin en 2001 « C’est vrai, on [Le Nouvel Observateur] fait un peu un Gala pour riches », pousse néanmoins à la méditation. (propos rapporté par François Ruffin, Ruffin F., Les petits soldats du journalisme, Paris, Les Arênes, 2002) 88 C’est grâce à cette posture distanciée que le journaliste peut se différencier du communicant. Les journalistes observent une règle déontologique professionnelle. « Un journaliste digne de ce nom ne doit jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » (Déclaration des droits et des devoirs du journaliste, signée à Munich en 1971). Cette célébration de la distance dépasse largement les frontières de la catégorie des news magazines. Pourtant, face à la professionnalisation croissante des activités de communication politique (ensemble de pratiques qui visent à renforcer les liens entre acteurs politiques et les électeurs [Ruitort, 2004]), le journalisme politique doit particulièrement se distinguer de ces sources. 70 cette impression de détachement critique, quelle que soit la personnalité politique. Ainsi, l’engagement politique institutionnalisé du magazine ne se traduit pas par une critique ou un éloge explicite de l’acteur politique, mais par l’utilisation plus ou moins récurrente de mécanismes de distanciation. La mise en scène de la distance prend alors la forme d’une rupture de la narration romancée, par l’accumulation d’images qualifiants les personnages ou les métaphores filées du théâtre et du cinéma : « C’est sa femme qui, malgré les tensions vivent entre elle et les garçons Sarkozy, a imaginé tout le scénario, les tenues des enfants, l’arrivée tous ensembles, sous les flashes du monde entier. Devant la France, la famille Sarko irradie. Le président exulte, Cécilia verse une larme. Et soudain… » (Le Nouvel Observateur, n°2241). Dans cet exemple, le lecteur ne peut adhérer au discours et se laisser emporter par le flot de l’histoire. Au contraire, par ce traitement quasi parodique, il prend conscience du jeu de dupes qui se déroule sous ses yeux. En reprenant de manière détournée les codes du récit, en égrenant des images grandiloquentes, en décrivant la pathétique solitude des acteurs, le récit attire l’œil du spectateur sur l’artifice de la scène. 3.2.2. Les magazines people : entre proximité stratégique et distance idéologique Les magazines people, fraîchement politisés, tentent eux aussi de renforcer leur crédibilité notamment en mettant en scène « objectivement » les acteurs politiques. La distanciation revient à présenter la politique de manière « neutre », en présentant divers arguments qui structurent un débat politique ou faisant le portrait de personnalités d’acteurs « de gauche » comme « de droite ». Dans le cadre d’articles sur la vie privée des personnages politiques, le fait de montrer les stratégies de communication politique des acteurs s’intègre dans cette entreprise de distanciation : « La mise en scène de leur rupture a elle aussi été soigneusement calculée par Ségolène, qui en avait prévu l’annonce officielle dans un livre “Les coulisses d’une défaite” à paraître le 20 juin, soit trois jours après le second tour des législatives. »( Gala n° 733). Comme le souligne Christiane Restier Melleray, les articles oscillent finalement entre « construction de l’intimité et critique de la facticité de cette construction » [Restier Melleray, 2002, p.133]. La mise en scène de la distance est relativement ambivalente dans les deux catégories de magazines. Il ressort de l’analyse des articles une impression mitigée de familiarité et d’éloignement face au politique [ibid.]. En effet, la mise en scène de la distance 71 dans le discours des magazines est contrebalancée par des articles « premier degré », assez complaisants. Albert du Roy89 représente ces relations sous forme d’un triangle aux angles duquel il place les magazines people, les stars et les lecteurs. Le produit éditorial résulte d’une dialectique entre les aspirations des stars – la notoriété – et de celles des lecteurs – la curiosité90. L’ambiguïté provient donc de l’exploitation de deux demandes symétriques, pas toujours compatibles [Du Roy, 1997]. La proximité entre les stars – ou les personnages politiques – et les magazines people est donc une proximité stratégique 91. Les stars ou les personnages politiques usent de cette voie pour se rapprocher des électeurs, tandis que les magazines souhaitent s’attirer la bienveillance des acteurs qui pourront satisfaire la soif de sensationnel du public92. Cette ambivalence de la posture distanciée dans les magazines people est aussi celle les news magazines qui semblent enclins à maintenir cette proximité stratégique avec les personnages politiques, que ceux-ci soient ou non les représentants du courant d’idée qui parcourt leur ligne éditoriale. Dans le discours, la mise en scène de la distance prend souvent les mêmes formes : entre proximité et distance face aux acteurs politiques, la grande majorité des articles alternent entre une narration « au premier degré », plus au moins romancée, et des passages où le narrateur réaffirme sa présence. Néanmoins, il convient de souligner que ces passages réflexifs ne correspondent pas, dans les magazines people, à une analyse politique des causes et conséquences de l’action publique, avec un discours sociologique de surplomb : « On m’a demandé d’enlever une ou deux phrases qu’ils jugeaient trop politiques. Par exemple, j’avais dit qu’aux vœux il[ Nicolas Sarkozy] avait reparlé des quotas d’immigration et que c’était pour séduire l’électorat FN qui était allé se porter sur lui aux dernières élections, et qui se détachaient de lui à causes de ses “frasques ”. » (Candice Nedelec- Gala). La présentation d’une distance dans le discours vis-à-vis du personnage politique ne peut être a priori interprétée comme le signe d’un positionnement partisan du journaliste, 89 Ancien rédacteur en chef de L’Express et du Nouvel Observateur Lorsqu’un magazine comme Closer affronte périodiquement des procès, cela signifie que ses arbitrages aboutissent à satisfaire en premier lieu le client : les articles montrent l’idole sans « complaisance », mènent des enquêtes vont au-delà des images d’Épinal et finalement la rendent humaine – et donc identique au lecteur. 91 L’exemple d’Alain Génestar, ancien directeur de Paris Match, remercié par le groupe Hachette Filipacchi Médias après la publication de photos montrant Cécilia Ciganer- Albéniz et son conjoint Richard Attias (Paris Match du 25 août 2005) témoigne de cette proximité plus stratégique qu’idéologique. Les relations personnelles entre Arnaud Lagardère et l’ancien ministre de l’Intérieur expliquent vraisemblablement le limogeage d’Alain Genestar en juin 2006. 92 Au jeu de cet « intérêt bien compris », les personnages politiques semblent néanmoins des partenaires plus craints que les stars. La non publication des photos de Nicolas Sarkozy et de sa compagne, Anne Fulda, journaliste au Figaro témoigne d’une certaine retenue face aux personnages politiques. 90 72 puisque la distance est un impératif journalistique pour les deux catégories de magazines. Pourtant, c’est dans cette distance que se donne à voir l’engagement du journaliste. En effet, ces derniers investissent alternativement les deux idéaltypes narratifs – le reportage informatif et la « romanciation » du récit – et aboutissent finalement à des équilibres divers entre distance et proximité. Nous pouvons conclure notre partie sous la forme d’une boutade, qui illustre le caractère ambigu de ce désengagement politique: « Jamais on fait de la politique… Non, vraiment pas de politique, pour le coup… si on faisait de la politique, jamais on aurait fait de papiers aussi élogieux sur Ségolène Royal » (Luc Angevert, Closer). 3.2. Les prises de positions dans le discours Le discours sur les séparations amoureuses de personnages politiques développé dans les articles fait apparaître des prises de positions politiques. Il s’agit alors de voir dans quelle mesure les partis pris des journalistes sont liés à la mise en scène de la distance dans le discours. 3.2.1. Des choix énonciatifs aux choix politiques 3.2.1.1. La distanciation comme critique ? Le discours réflexif et les ruptures de la narration La distanciation est un moyen partagé par les deux familles de magazines pour montrer la mise en scène politique de l’intime par les acteurs concernés. L’utilisation récurrente des mécanismes de distanciation peut alors traduire une prise de recul par rapport à la mise en scène politique de la vie privée. Le fait de donner à voir continuellement ce recul peut alors être perçu comme une critique du personnage politique. Pourtant, cette conception de la distance comme critique à l’encontre d’un personnage politique semble peu pertinente pour expliquer l’ensemble des phénomènes de distanciation dans le discours. En effet, la distance peut renforcer la mise en scène première de la rupture. Les images créées sont alors d’autant plus persuasive que le magazine adopte une posture réflexive : « S’il n’était pas amoureux ce jour là, il était envoûté. C’était son Ariane, sa “belle du seigneur”. Il s’approcha d’elle et lui murmura quelques mots à l’oreille. Elle, Cécilia, s’admirait dans les hautes glaces dorées de l’Elysée. Sans 73 un regard pour ce Solal implorant. Romanesque…[…]Les manuels d’histoire retiendront que Nicolas Sarkozy est le premier président de la République à avoir divorcé pendant son mandat, sans que cela semble émouvoir l’opinion » (Le Point, n°1832) Avec l’apparition du mot « romanesque » et la mise en perspective historique, le journaliste joue son rôle de politologue capable de déconstruire la mise en scène politique de la vie privée. Pourtant, la distance ne discrédite pas les acteurs politiques concernés : au contraire, elle rend les images créées à partir de la « romanciation » du récit plus convaincantes : la rupture de la narration amplifie l’image de solitude du président et accroît finalement la compassion du lecteur. Le mécanisme de distanciation renforce l’énoncé du titre93 : le président est vraiment seul. Par ailleurs, la distanciation peut être aussi un moyen de recréer fictivement les conditions d’un discours argumentatif à partir de la mise en scène politique. Alors, les articles donnent à voir des prises de positions qui s’adossent aux images créées dans le récit. Les aventures privées des acteurs politiques sont autant d’arguments qui étayent la thèse du journaliste et lui permette de faire partager son opinion au lecteur. Les magazines se fondent sur la mise en scène du comportement privé des acteurs pour illustrer leurs mérites ou démérites politiques : « En affrontant les difficultés que traversaient son couple en même temps que la campagne électorale, il a appris à en faire son deuil. Avec une force de caractère peu commune. Pour preuve, ce jour du face-à-face télévisé avec Ségolène Royal, s’étant violemment disputé avec Cécilia, qui avait disparu, il a assuré avec la maîtrise que l’on sait. » (Gala, n° 750) Le journaliste donne à voir clairement une prise de position sur Nicolas Sarkozy ; sa capacité à gérer sa vie intime, à faire face à des déconvenues sentimentales, est une preuve de son intelligence politique. Nous retrouvons l’idée selon laquelle la vie privée révèle l’authenticité du personnage politique. Pourtant la prise de position se fait au profit de l’un des personnages du couple et au détriment de l’autre : le caractère idéologique de la prise de position est donc incertain94. Ce recours à la distanciation peut alors être utilisé en faveur du personnage aussi bien qu’en sa défaveur. Enfin, la distance est à la source des articles réflexifs sur la « pipolisation » de la vie politique : 93 « La solitude du président » (Le Point, n°1823) Par exemple, la capacité de Nicolas Sarkozy à maîtriser sa vie privée n’est jamais opposée à celle de Ségolène Royal… ce qui pourrait traduire une véritable recomposition du débat public autour de faits privés. Ici, ce n’est pas le cas. 94 74 « Ce que les esprits chagrins nomment “dérive” n’est peut-être que le vernis criard de la modernité.[…] En se proclamant prince du “peopolitique”, Nicolas Sarkozy a conquis les urnes au-delà des sondages, qu’il a proposé des idées et des débats aux citoyens alléchés par son personnage[…] » (L’Express, n°2937) Cet extrait clos un dossier de l’Express de douze pages sur le divorce. L’article s’apparente à un genre de commentaire : le journaliste s’attelle à analyser les stratégies de communication du couple présidentiel et opte pour une posture de « surplomb ». En cela, l’article prolonge l’exercice réflexif de l’éditorial95 : sa visée est donc davantage persuasive. « Le problème Cécilia est en voie de règlement.[…] Mais la politique, elle, a besoin, pour traverser les périls actuels, de raison et de sang froid, de points fixes sur un horizon cristallin. En cela, la transformation de Nicolas Sarkozy en président solo est une bonne nouvelle pour la France» (L’express n° 2937) La conclusion de l’article est pourtant surprenante, puisque le journaliste prend position sur la vie privée du président. Alors que le lecteur aurait pu s’attendre à une prise de position « pour » ou « contre » la politique de communication du président96, celui prend parti « pour » le divorce (ce qui implique que Cécilia Ciganer-Albéniz serait responsable des stratégies de communication de Nicolas Sarkozy97). Il apparaît que cet article entretient un leurre argumentatif. En effet, contrairement à l’exemple précédent, le journaliste met en place un raisonnement par induction sur la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy 98; son argumentaire ne se fonde pas sur des comportements privés (déjà mis en scène), mais le journaliste prend acte du divorce comme d’un exemple qui trahit un « style politique », des choix de communication de Nicolas Sarkozy. Dans cet article sur la « pipolisation », la mise de la distance franchit une étape : audelà de la posture de surplomb le journaliste s’implique fortement dans son discours et émet une prise de position claire. Et pourtant, l’aboutissement du raisonnement n’est pas une prise de position partisane, mais « morale ». Nous ne nous attarderons pas sur l’utilisation médiatico-médiatique de cette notion de « pipolisation ». Cependant, soulignons qu’à l’image de ses discours réflexifs, la mise en scène de la distance revient souvent à montrer le « journalisme entrain de se faire », à 95 L’article est d’ailleurs signé par Christophe Barbier, éditorialiste et rédacteur en chef du magazine. Il est physiquement séparé des autres articles, qui s’apparentent au genre corporalisant du reportage, l’article renoue donc avec le genre caractérisant du commentaire et ne met pas en scène l’éthos journalistique de « l’avoir été là » (Charaudeau- Mainguenau, 2002, p. ??) 96 Ou bien à un positionnement « neutre » dans lequel le journaliste refuserait l’implication face à son sujet. 97 Nous ne nous attarderons pas sur les assises culturelles, sur les préconstruits idéologiques du discours du journaliste. Notons toutefois que dans cet article, le couple, la vie privée, est associé à la déraison et que les égarements de Nicolas Sarkozy viendraient de l’influence démesurée de sa femme… 98 En substance, le propos du journaliste est de dire que le couple a utilisé la communication comme une arme politique, et qu’il s’est fait prendre à son propre piège. 75 réaffirmer l’éthos du journaliste. Finalement, non seulement le recours à des mécanismes de distanciation ne peut être assimilé à un désaveu politique à l’encontre du personnage sur lequel se concentre l’article, mais il semble étranger à un enjeu politique. En effet, si la distanciation s’intègre dans un genre discursif proche de l’argumentation, la finalité du discours est davantage de justifier un traitement médiatique : lorsque le journaliste de l’Express se prononce « pour » le divorce du président, il légitime avant tout son énoncé selon lequel « Cécilia est un problème ».99 La prise de position est davantage une prise de position « sur soi » (positive donc…) qu’une opinion qui traduirait des prises de positions partisanes : la cinglante conclusion du journaliste paraît largement tautologique. La distanciation dans le discours libère effectivement un espace dans lequel les journalistes affichent des positionnements. Pourtant, la distanciation n’implique pas automatiquement des prises de positions partisanes. Au contraire, il faut remarquer que les engagements explicites des journalistes, qui couronnent un simulacre de raisonnement constituent souvent des rideaux de fumée. Ainsi, les mécanismes de distanciations offrent aux journalistes une échappatoire pour faire face aux apories de l’argumentation sur la vie privée d’un homme politique 100 et permettent la légitimation d’un discours sur l’intime largement imposé par les acteurs politiques.101 3.2.1.2. La « romanciation » et le pathos : de la narration à l’argumentation ? « En analyse du discours se pose la question de savoir quelles relations entretiennent “émotion ” et “raison”. De ce point de vue, les positions adoptées par les analystes du discours consistent à décrire et expliquer le fonctionnement des éléments émotionnels dans le 99 Nous remarquons ici que les « associés rivaux » [Neveu, 2000] des médias et de la politique font alors front commun. Le magazine réaffirme son autonomie, en mettant en exergue sa sagacité pour déceler la mise en scène politique et son engagement moral à prendre courageusement position… pour quelque chose qui ne fait pas débat. Le déshabillage de la communication politique renforce finalement la mise en scène de l’intime par les acteurs politiques. 100 Peut-être les magazines sont-ils contraints d’énoncer des jugements politiques afin de consolider la crédibilité du rôle d’analyste-juge. En effet, il semblerait surprenant qu’un magazine institutionnellement politisé, reste coi et sans jugement face à un acteur politique. Pourtant, il est objectivement difficile de s’acquitter de cette tâche concernant des sujets qui se prêtent aussi peu à l’argumentation.. 101 La question a été abordée en entretien : « Les responsables politiques, et Nicolas Sarkozy notamment, ont déplacé la ligne entre vie privée et vie publique. Forcément, on est obligé d’en tenir compte. Mais, dès lors que c’est lui qui a déplacé la ligne jaune, il ne peut pas ensuite, continuellement selon que ça l’arrange ou pas, la changer. Il a pris un risque il faut qu’il l’assume. ». Le propos d’Eric Mandonnet (l’Express) confirme l’hypothèse de la nécessité pour les magazines de s’adapter aux nouvelles mise en scènes politiques. La réflexion invite aussi à s’interroger sur la nature et l’étendue de ce « risque » couru par les acteurs politiques. Nous le pensons bien inoffensif. 76 discours à visée persuasive sans prétendre offrir des critères d’évaluation. Refusant une théorie de l’émotion comme trouble et désordre, l’analyse de l’argumentation dans le discours part du principe qu’une relation étroite, par ailleurs attestée par d’autres sciences humaines lie l’émotion à la rationalité. » [Charaudeau, Mainguenau, 2000, p 219]. Le choix de sonder l’intériorité d’un personnage n’est pas neutre. Nous avons déjà souligné que la description de la souffrance des personnages invite le lecteur à éprouver les émotions vécues par le personnage politique par un phénomène de projection. La compassion est donc un sentiment qui pousse à l’adhésion aussi bien symbolique que politique. Par exemple, il est significatif qu’un article de Gala (n° 750), étalé sur deux pages, opte pour un style très factuel, très informatif lorsqu’il aborde le personnage de Cécilia Ciganer-Albéniz, tandis que les émotions de Nicolas Sarkozy sont analysées. La prise en considération de la souffrance empêche toute prise de position négative contre le personnage politique: on ne peut critiquer une personne qui souffre. Ainsi, la « romanciation » semble relever d’un genre de discours persuasif : finalement ce choix énonciatif donnerait à voir l’engagement politique du journaliste. Nous rejoignons ici la thèse de Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau selon laquelle le pathos est une forme d’argumentation, à côté de l’ethos et du logos [Charaudeau, Maingueneau, 2002]. Pourtant, il faut nuancer cette affirmation dans la mesure où la psychologisation des personnages peut être utilisée à leur encontre, et les discréditer fortement: « L’ancienne candidate a d’ailleurs prévu un livre d’autocritique.[…] Mais des doutes demeurent sur ses capacités à se remettre en question. Du coup les soutiens s’amenuisent. “Je pense qu’elle est finie, mais je garde de la sympathie pour elle, elle est très seule”, ajoute un artiste. Souvent, désormais, l’évocation de son nom entraîne un double discours, louangeur face aux caméras allumées mais critique dès qu’elles s’éteignent.[…]D’autres craignent qu’elle ne soit pas taillée pour diriger le PS, un parti qu’elle n’a jamais vraiment aimé. »(Le Point, n° 1814). L’adhésion de l’article à un idéal type narratif ne signifie pas l’existence de partis pris : les choix énonciatifs ne peuvent être entendus comme des choix partisans. Si des prises de positions émergent après l’utilisation de mécanismes de distanciation, ces engagements ne remettent pas en cause l’acteur politique. A l’inverse, la « romanciation » du récit ne signifie pas systématiquement un parti pris pour le personnage dont l’intériorité est disséquée, comme le souligne Luc Angevert (Closer): « Pour le coup, voir Nicolas Sarkozy, et le fait que sa vie 77 privée soit étalée, ça ne le rend pas très sympathique »102. A ce niveau de l’analyse, la recherche des indices de politisation dans le discours au prisme de l’adhésion à un idéaltype narratif et de la mise en scène de la distance aboutit à une impasse. Il est en effet impossible d’établir des corrélations logiques entre des choix énonciatifs des journalistes et les prises de position dans le discours. Enfin, la difficulté provient du fait que les prises de position du journaliste, ne sont pas nécessairement partisans103. Ce constat remet en question la définition du politique comme espace de lutte entre forces sociales antagonistes, incarnées par des entrepreneurs de causes prompts à défendre leurs convictions dans l’espace public. Pour éviter d’achopper sur cette délicate entreprise de définition de la politique, nous nous proposons de renverser notre perspective théorique. Nous cherchons alors à voir en quoi les configurations énonciatives qui se dégagent du traitement médiatique des deux ruptures, qui résultent d’une dialectique entre la nature de l’information (et ses modalités de publicisation) et les contraintes liées à la situation de communication, conditionnent les prises de positions des journalistes. 3.2.2. Les prises de positions : corollaires des configurations énonciatives 3.2.1.1. La distanciation comme une revendication de différenciation La mise en scène de la distanciation est différente d’une rupture à l’autre. Les articles qui traitent du divorce entre Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz font intervenir des mécanismes discursifs de distanciation qui cassent le rythme de la narration. Le journaliste qui donne à voir sa prise de recul par rapport à la « romanciation » du récit brocarde le pathos qu’il met lui-même en scène et finalement attire l’œil du lecteur sur la mise en scène politique. Pourtant, à la différence des articles sur la séparation socialiste, la distanciation ne prend pas la forme d’un discours explicite sur les stratégies de communication politique des acteurs. Ainsi, dans le cas des articles traitant du divorce du président, la distanciation ne remet pas en cause l’existence du poncif énonciatif, allant du public vers le privé. La distanciation est alors davantage le fait des news magazines, qui cherchent par ce moyen à renforcer leur légitimité. 102 Nous pouvons en effet appliquer cette phrase à l’article de Closer n° 115, situé en annexe n° 5. Même si l’article ne met pas en scène la distance, même s’il n’est pas ironique, le résultat est assez négatif pour Ségolène Royal, présentée comme une éternelle perdante. 103 Cf les prises de parti pour l’un des deux protagonistes de la rupture et contre l’autre. 78 Au contraire, dans le cas de la séparation entre Ségolène Royal et François Hollande, la distanciation prend la forme d’une mise à nu explicite des stratégies de communication des acteurs. Cette distanciation n’est pas le fait d’un type de magazine, mais est transversale à l’ensemble du corpus. Par exemple, si Gala signale les stratégies de communication politique des acteurs dans le cadre de la rupture socialiste, il n’en est pas ainsi dans le contexte du divorce présidentiel. Finalement, les mécanismes de distanciation mis en place dans les articles semblent être inclus dans la configuration énonciative propre à cette rupture, postulant que les déboires sentimentaux des acteurs expliquent la défaite socialiste et les déconvenues du Parti Socialiste. Comme nous l’avons remarqué auparavant, les angles utilisés pour relater l’histoire de la séparation Hollande / Royal s’inscrivent nettement plus dans un schéma rationnel et déductif. Le fait de montrer les étapes de la publicisation de la vie privée par les acteurs, de rapporter leur propos en les commentant, est alors un moyen de renforcer le discours du journal. L’étude de la mise en scène de la distanciation dans le discours nous permet de comprendre pourquoi, dans le cas de la rupture Royal/Hollande, elle aboutit à des prises de positions explicites des journalistes. Les configurations énonciatives déterminent donc la politisation du discours. Percevoir le mouvement dans lequel s’inscrivent les configurations énonciatives (du public au privé pour Nicolas Sarkozy/ Cécilia Ciganer Albéniz, du privé au public pour François Hollande/ Ségolène Royal) est alors un premier pas pour comprendre les prises de positions dans le discours. De fait, les choix énonciatifs réalisés par les journalistes pour traiter de la séparation entre Ségolène Royal et François Hollande les amènent davantage à adopter une posture critique à l’encontre des acteurs. Puisque les configurations énonciatives sont dépendantes des caractéristiques réelles des ruptures, il s’avère que c’est l’information même de la séparation qui offre aux magazines d’inégales possibilités de réaliser un traitement politisé. « Les différences les plus évidentes liées notamment à la coloration politique des journaux cachent des ressemblances profondes liées notamment aux contraintes imposées par les sources et par une série de mécanismes dont le plus important est la logique de la concurrence »[Bourdieu, 1996, p. 23]. Les déclarations des acteurs, qui constituent la matière première des articles, permettent aux magazines de se démarquer objectivement (par la mise en scène du discours rapporté) le discours du magazine et le discours de l’acteur104. A l’inverse, il semble que la 104 Par exemple, si les articles concernant la rupture socialiste font état des manœuvres politiques de Ségolène Royal, c’est bien parce que celle-ci s’est autorisé à parler de son couple. Il faut rappeler que François Hollande fait très peu l’objet d’articles, et par conséquent, est épargné de cette critique sur la mise en scène politique du 79 psychologisation des personnages dans le cadre du divorce de Nicolas Sarkozy est contraint par le manque premier d’information. 3.2.2.2. Un espace critique non partisan Les partis pris qui apparaissent dans les articles semblent peu liés à des considérations d’ordre idéologique. Les prises de positions explicites, qui flattent les capacités politiques des acteurs sont d’ailleurs extrêmement rares. Le thème de la séparation amoureuse des personnages politiques n’est donc pas un prétexte pour réaliser un article qui déguiserait une volonté délibérée de convaincre le lecteur à s’engager pour un programme politique. « Le discours journalistique, de par ses conditions médiatiques ne peut être confondu avec le discours politique : il cherche à « faire faire » en « faisant croire ». Le discours journalistique, selon ses conditions médiatiques, obéit à une visée d’information, c’est-à-dire de « faire savoir », et non de « faire faire » […]Aussi le discours journalistique est-il conduit, au nom de la finalité commerciale, à glisser vers un discours persuasif, ce qui n’est pas inscrit dans le contrat médiatique.[…] Du même coup, l’énonciateur journaliste est amené à prendre position en se fabriquant une image de dénonciateur, et son discours passe d’une visée de « faire savoir » à une visée de « faire penser »[Charaudeau, 1999]. Le discours médiatique sur les ruptures des personnages politiques ne semble pas pouvoir s’analyser comme participant d’une volonté de « faire penser ». Si l’utilisation de l’éthos ou du pathos s’apparente à une visée persuasive, les articles n’ont pas pour but de convaincre le lecteur de la qualité d’un acteur politique. Si le discours est manipulatoire par essence, le discours journalistique ne l’est pas plus qu’un autre. Les positionnements discursifs ne sont pas partisans, mais relèvent d’une volonté d’asseoir une position dans l’espace social. Les signes d’une prise de position contre Ségolène Royal sont alors de simples figures de rhétoriques : les journalistes adhérent au discours, au « scénario clef en main » livré par l’acteur politique mais réaffirment par la distanciation leur autonomie. A l’inverse, le fait que la distanciation ne soit pas intégrée dans la configuration énonciative du divorce de Nicolas Sarkozy expliquerait l’existence d’articles sur la « pipolisation »105 clouant au pilori les acteurs politiques qui se seraient aventurés dans la voie de la publicisation à outrance de leur vie privée. Le discours couple. Cet indice conforte notre hypothèse : la mise en scène de la distance et les prises de position dans le discours sont conditionnées par les modalités de publicisation de l’information par les acteurs politiques. 105 Ces articles n’apparaissent que dans le cadre du divorce entre Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz, ce qui semble paradoxal puisque les acteurs ont été particulièrement peu diserts. 80 réflexif sur la « pipolisation » semble alors être un moyen de « combler » le vide politique dans lequel s’inscrit l’information. Il reste cependant à dire que, même si les positionnements politiques dans le discours ne sont pas partisans, ils possèdent des effets concrets. Les images collées aux personnages politiques, tributaires d’une construction plurielle de l’information et redevables d’un imaginaire social, apparaissent comme étant réelles. Le dit est alors « performatif », et les évènements privés mis en scène deviennent réellement un révélateur de l’excellence ou de la médiocrité politique de l’acteur. 81 Conclusion La vie privée est aujourd’hui une ressource politique majeure pour des acteurs cherchant à représenter leurs électeurs non seulement en terme d’idées mais aussi à incarner une «personnalité », un style de vie, une identité. La mise en scène de l’intime par les personnages politiques relève donc de stratégies de communication, de présentation de soi : reposant sur l’identification et la projection des citoyens à leur égard, la vie privée témoignerait de l’authenticité de l’acteur politique alors que son image tiendrait lieu de programme. L’intégration dans la sphère publique, dans le discours politique de thématiques liées traditionnellement à la sphère privée, comme le couple, enjoint le sociologue à considérer le politique comme un processus, un univers en perpétuelle recomposition, plutôt qu’une « chose en soi » [Christine Guionnet, Lionel Arnaud, 2003]. Dans ce jeu de la représentation en miroir des élus et des électeurs, les médias jouent un rôle crucial : en montrant le personnage politique, ils rendent présent ce qui est absent ; en donnant à voir les scénarios intimes imaginés par l’acteur, ils participent à son entreprise de recherche de l’onction populaire. Mon hypothèse de départ consistait à dire que le discours médiatique revient à mettre en cohérence un récit formaté par les acteurs politiques. J’ai donc cherché à voir dans quelle mesure le discours des magazines contribuait à la production sociale du politique, en quoi la mise en récit par les médias conférait au discours des acteurs politiques une «plus value » politique. Si la mise en récit des avanies sentimentales des personnages politiques par la presse est largement dépendante des scénarios imaginés par les acteurs, l’analyse des news magazines et des magazines people, montre que ce discours répond à des stratégies de différenciation éditoriales, narratives et politiques. Les effets de catégorisation éditoriale produisent donc des effets concrets sur le discours du magazine, affectant la place ou le statut octroyé à l’information. Pourtant, les justifications au fondement du traitement de l’information privée par les différents titres invoquent l’identité éditoriale comme un totem. Ce culte voué, sur un mode incantatoire, à l’identité éditoriale ne saurait occulter l’homogénéité frappante des discours. Ainsi, le caractère transversal des énoncés, des angles, des stratégies de distanciation et de l’éthos du journaliste dans le discours prouve que les identités éditoriales sont davantage des 82 ressources institutionnalisées de légitimité que des entités rigides qui discriminent le traitement médiatique de l’intime. Finalement, il apparaît que l’identité éditoriale s’auto réalise par le discours du magazine. C’est pour cela qu’il convient de se détacher temporairement du « discours sur soi » des magazines et de l’analyse comparative entre catégories. L’analyse par « configuration » nous a permis de constater les régularités des choix énonciatifs des journalistes, au-delà des deux catégories éditoriales. Ces configurations énonciatives résultent d’une dialectique entre les contraintes liées à la situation de communication du journaliste - l’identité éditoriale, le principe de neutralité, la distance aux sources, etc.- et les caractéristiques concrètes de publicisation de l’information par les acteurs politiques. Selon nous, cette configuration représente un « standard » énonciatif duquel les magazines peuvent s’approcher ou s’éloigner, selon leurs choix énonciatifs spécifiques, notamment par l’adoption d’un idéaltype narratif particulier- la « romanciation » ou le reportage informatif. Cela laisse entrevoir l’espace de liberté des journalistes pour traiter l’information du divorce, et finalement la politisation des discours. Pourtant, les partis pris dans le discours, qui reviennent à donner une image « positive » ou «négative » de l’acteur politique, et qui signalent finalement une proximité idéologique, ne peuvent être corrélés avec un idéaltype narratif particulier. Le fait de « romancer » le récit n’est pas systématiquement un signe d’adhésion politique. A l’inverse, la distance du « reportage informatif », le détachement apparent des journalistes, le caractère ironique et parodique du discours, ne peuvent être vus comme les signes d’une critique « idéologique » ou comme la preuve d’une volonté de disqualifier l’acteur. L’étude des partis pris rend compte de l’ambivalence des positionnements politiques des magazines, qui sont, notamment pour le cas des news magazines des préconstruits éditoriaux. Le discours réflexif sur la « pipolisation du politique » témoigne de l’ambivalence des prises de positions des news magazines : la mise en scène de la distance, l’utilisation d’un genre de commentaire, et les positionnements politiques sont, à l’image de leur identité éditoriale, des leviers par lesquels les magazines vont légitimer leur position dans le champ. La politisation du discours est alors dépendante des stratégies de différenciation politique des news magazines. Au-delà de ce biais, il semble que ce soit davantage la nature de l’information ellemême qui offre des potentialités variées pour réaliser un discours politisé, dans lequel le récit 83 sur le divorce inclut des éléments d’explications « politiques » (comme en témoigne le lieu commun selon lequel la séparation entre Ségolène Royal et François Hollande serait la cause de la défaite socialiste aux élections présidentielles). Ce sont donc les conditions de publicisation – par exemple le fait que Ségolène Royal ait été amenée à mettre en scène médiatiquement ses conflits sentimentaux – qui invitent les magazines à réaliser une lecture plus « polémique » de l’évènement. Pourtant, cette politisation, qui est transversale aux deux catégories de magazines, ne saurait être assimilée à une partisanisation du discours. Si la rupture socialiste a pour décor la scène politique, ce qui est mis en scène par les magazines, c’est bien un conflit entre les deux personnages du couple. De même, le fait que la configuration énonciative propre au divorce présidentiel s’inscrive dans un mouvement du public au privé et que les récits des magazines s’éloignent d’enjeux politiques, n’ampute pas au discours sa dimension politique, puisqu’il contribue à renforcer l’image d’un président « moderne », dont le port relâché du masque laisse entrevoir au spectateur l’humanité. L’argumentation fait place à la persuasion, dont les effets ne sont pas moins réels. Enfin, l’étude montre que les scénarios imaginés par les personnages politiques pour rendre compte d’une séparation induisent que le travail de mise en mot médiatique soit plus « facile » à réaliser pour une catégorie de magazine : les discours des personnages politiques sont plus ou moins conformes aux identités éditoriales catégorielles. Ce constat invite à interroger le caractère politique de la mise en scène de l’intime, et non pas seulement à se satisfaire de la démonstration de l’importance stratégique de la publicisation de la vie privée pour les personnages politiques. L’étude comparée du discours des news magazines et des magazines people sur deux séparations de couples politiques nous amène, en guise d’ouverture, à formuler des réflexions qui nous engagent vers de nouvelles pistes de recherche. D’une part, nous pouvons nous interroger sur le paradoxe des « prises de positions non partisanes » dans le discours. D’autre part, la question d’une mise en scène « stratégique » de la vie privée, tributaire des identités politiques des acteurs, semble être une piste de recherche stimulante. 84 Références bibliographiques Ouvrages : Aldrin P., Sociologie politique des rumeurs, Paris, Presses Universitaires de France, 2005. 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Ressources audiovisuelles : Achbar M., Wintonick P., Chomsky, les Medias et les illusions nécessaires (DVD), Canada, 1993 90 Annexe n°1 : Corpus Closer : n° 109 – 16 juillet n° 115 – 24 août n° 122 – 15 octobre n° 123 – 22 octobre n° 124 – 29 octobre Gala : n° 733 – 27 juin n°750 – 24 octobre n°751 – 31 octobre Le Nouvel Observateur : n° 2224 – 21 juin n°2241 – 18 octobre Le Point : n° 1814 – 21 juin n° 1824 – 30 août n° 1832 – 25 octobre n° 1831 – 18 octobre L’Express : [n° 2918 – 7 juin] n° 2920 – 21 juin n° 2937 – 18 octobre Paris Match : n° 3031 – 21 juin n° 3034 – 12 juillet n°3049 – 24 octobre 91 Annexe 2 : Liste des entretiens Candice Nédelec : Jeudi 7 février Journaliste au magazine Gala. Entretien semi-directif de 42 minutes. Eric Mandonnet : Jeudi 7 février Journaliste au magazine l’Express. Entretien semi-directif de 50 minutes. Denis Demonpion : Jeudi 21 février Journaliste au magazine Le Point Entretien semi-directif par téléphone de 46 minutes. Erik Neveu: Vendredi 7 mars Directeur de l’IEP de Rennes, chercheur au CRAPE Entretien de 45 minutes. Rafaëlle Bacqué : Lundi 17 mars Journaliste au quotidien Le Monde Entretien semi-directif par téléphone de 39 minutes Luc Angevert : Vendredi 21 mars Journaliste au magazine Closer Entretien semi-directif par téléphone de 38 minutes. Christiane Restier Melleray: Mardi 25 mars Maitre de conférence à l’IEP de Bordeaux. Chercheur au CERVL Entretien de 55 minutes 92 Annexe n° 3 : Fiche technique des magazines étudiés Closer : Création : 2005. Closer se définit comme un « féminin people »106. Le titre entier du magazine est Closer People. Mode. Vécu. Télé. Propriétaire : Mondadori (rachat Emap) dirigée par Arnaud de Puyfontaine. Diffusion : 420. 000 exemplaires Abonnements : 2 % des ventes Format :22x 30 cm. Pagination : 80 pages Sommaire : p. 5 Segmentation : p. 5 : éditorial p. 5 ~ p. 30 : « News » p. 30 ~ p. 40 : « C’est leur histoire » p. 40 ~ p. 60 : « Style » p. 60 ~ - : « Closer TV » Gala : Création : Crée en 1995. Hebdomadaire féminin traitant de « l’actualité des gens célèbres » : gotha, vie privée « officielle ». Le rédacteur en chef est actuellement Marc Fourny. Propriétaire : Prisma Presse, dirigée par Fabrice Boé, filiale du groupe Grüner et Jahr appartenant au groupe Bertelsmann (Allemagne). Diffusion : 308.000 exemplaires Abonnements : 11% des ventes Prix au numéro : 2,20 € Format : 23,5 x 32,5 cm. [ fort grammage des pages et papier glacé] Pagination : 105 pages environ Sommaire : p. 7 Segmentation : p. 1 ~ p.11 : « Bloc Notes » : chronique et éditorial 106 93 p. 12 ~ p. 54 : « Actualité » p. 55 ~ p. 60 : « Portfolio » p. 60 ~ p. 65 : « Life Style » p. 65 ~ p. 75 : « Mode » p. 75 ~ p. 80 : « Beautés » p. 80 ~ p.85 : « Voyages » p. 85 ~ p. 88 : « Cuisine » p. 90 ~ - : « Culture buzz », « les Nuits de Gala », « Chuchotements » Le Nouvel Observateur : Création : 1950. Prend le nom de France Observateur, puis de Nouvel Observateur en 1964, relancé par Claude Perdriel et Jean Daniel. En 2008, le Nouvel Observateur s’est transformée en une « société à directoire et conseil de surveillance ». La présidence du directoire et la direction générale de la publication est aujourd’hui confiée à Denis Olivennes. Claude Perdriel est président du conseil de surveillance. Propriétaire : Groupe Perdriel Diffusion 107: 513 000 exemplaires Abonnements : 80 % des ventes Prix au numéro: 3 € Format : 21 x 27,5 cm Pagination : 140 pages environ Sommaire : p. 50 environ Segmentation : p. 0 ~ p. 50 : courrier des lecteurs, chroniques politiques, « débats », documents d’actualité & Interview, « Air du temps » p.50 ~ p. 80 : « Evènements » : éditorial et politique française p. 80 ~ p. 85 : « Monde » p.85 ~ p.100 : « Economie » p. 100 ~ p. 110 : « Notre époque » p. 110 ~ p. 115: « Entreprendre » p.115 ~p. 130 : « Livres » p.130 ~ - : « Arts - spectacle », « le choix de l’Obs » 107 Tous les chiffres de diffusion concernent la diffusion France payée 2006-2007, selon les Procès verbaux diffusés par l’Office de Justification de la Distribution. 94 Le Point : Création : 1972. Crée par Olivier Chevillon et Claude Imbert avec l’aide financière du groupe Hachette. Franz Olivier Giesbert est actuellement le directeur de la publication. Propriétaire : Artemis, filiale de la « Financière Pinault » , dirigée par François Pinault Diffusion :405.000 exemplaires Abonnements : 67 % des ventes Prix au numéro : 3 € Format : 21 x 27 cm. Pagination : 120 pages environ Sommaire : p. 5 Segmentation : p. 1 ~ p. 10 : Chronique ou Editorial, « Laser » : économie, société, politique p. 10 ~ p. 40 : « France » : politique française p. 40 ~ p. 55 : « Monde » : politique internationale p. 55 ~ p. 80 : « Société » : sport, environnement, religion, etc. p. 80 ~ p.85 : « Economie » p. 85 ~ p.100 : « Culture » p. 100 ~ - : « Tendances » : mode, voitures, voyages, technologies L’Express : Création : 1953. Crée par Françoise Giroud et Jean Jacques Servan-Schreiber. Premier magazine à adopter le format « news magazine » en cahier brochés sur le modèle du Time. Soutien Pierre Mendès France en 1954, puis positions antigaulliste sous Pompidou. Christophe Barbier est aujourd’hui directeur de la rédaction. Propriétaire : Roularta média groupe (Belge), dirigé par Rik de Nolfe. Diffusion : 440 000 exemplaires Prix au numéro : 3 € Format : 20 x 26,5 Pagination : 120 pages environ Sommaire : p.10 environ Segmentation : 95 p.7 : éditorial p.11 ~ p.45 : « Entretien », « Indiscrets », « Forum» p. 45 ~ p.60 : « France » : politique française p. 60 ~ p.70 : « Monde » : politique internationale p. 70 ~ p. 85 : « Economie » p. 85 ~ p. 100 : « Société » p. 100 ~ p. 110 : « Livres » p. 110 ~ - : « Arts - spectacles » Paris Match : Création : 1938. Crée par Jean Prouvost sous le titre Match, c’est un journal sportif. La diffusion s’arrête pendant la seconde guerre mondiale. Le titre est repris en 1949 sous le nom de Paris Match est prend la forme d’un magazine d’actualité générale avec une forte présence de photographies. Le directeur de la rédaction est actuellement Olivier Royant. Propriétaire : Hachette Filipacchi Média, filiale du groupe Lagardère, dirigée par Arnaud Lagardère. Diffusion : 632. 000 exemplaires Abonnements : 40 % des ventes Prix au numéro : 2,30 € Format :23 x 29,5 cm. Pagination : 140 pages environ Sommaire : p. 45 Segmentation : p. 1 ~ p. 45: « Match de Paris » : Musique, portrait, expositions, cinéma, tendances [Pas d’éditorial] p. 46 ~ p. 100 : « L’actualité » p. 100 ~ p. 105 : « Match de la semaine » : politique française p. 105 ~ p. 115 : « Match de l’économie » p. 115 ~ p.125 : « Match de la vie » : santé, voyages, etc. p. 125 ~ p. 130 : « Document » p. 130 ~ - : Jeux 96 Annexe n° 4 : Tableaux Tableau n° 1 : La couverture du sujet par les six magazines Proportion du magazine consacrée à la couverture du sujet par Nombre de Nombre de rapport au pages pages nombre total moyen par Nombre de numéro numéros consacrées de pages au sujet (%) Le Point Le Nouvel 154 4 31 5,03 Observateur L'Express Gala Paris Match Closer 140 120 115 164 86 2 2 3 3 5 14 17 15 30 13 5,00 7,08 4,35 6,10 3,02 Méthode de décompte : Les publicités (même celles qui couvraient la page entière d’un dossier) ont été comptabilisées puisque certaines sont intégrées aux articles, sous forme d’un encadré. Je n’ai pris en compte que les articles qui parlaient directement de la séparation. Ainsi, je n’ai pas intégré l’Express n° 2918 dans le calcul, puisque seul un encadré parlait de la séparation. Lecture : Le Point possède environ 154 pages par numéro. 4 numéros traitent du sujet de la séparation entre Ségolène Royal et François Hollande et du divorce entre Nicolas Sarkozy et Cécilia Ciganer-Albéniz, ce qui représente 31 pages d’articles. 5,03 % du volume de pages de ces quatre numéros a été consacré au sujet de la séparation amoureuse des personnages politiques. Tableau n° 2 : La relation temporelle à l’évènement Numéros Numéros 7 Numéros Numéros Numéros Numéros entre 14 & jours et entre entre + 7 jr entre 15 entre 1 97 7 jours moins avant annonce avant annonce annonce officielle et + 14 jour et 1 mois et officielle et jours après mois plus + 7 jours annonce après après annonce Le Point Le Nouvel 2 2 1 annonce 1 Obs L’Express 1 Gala Paris Match Closer 2 1 2 1 officielle 1 2 1 1 1 1 Méthode : Pour le couple Ségolène Royal- François Hollande, la date de l’annonce officielle retenue est le lundi 18 juin 2007. Pour Cécilia Ciganer Albeniz et François Hollande, l’annonce officielle a eu lieu le jeudi 18 octobre 2007. Lecture : Sur les quatre magazines du Point sélectionnés dans le corpus, 2 numéros ont été publiés entre le jour de l’annonce officielle de la rupture et une semaine après. Un numéro du Point dans lequel un article était centré sur le sujet de la séparation amoureuse des personnages politiques a été publié entre une semaine et deux semaines après la date de l’annonce officielle. Le dernier numéro où le sujet apparaît arrive plus d’un mois après l’annonce. Tableau n° 3 : La couverture du sujet selon le couple étudié Ségolène Nombre de page d’article Nombre d’éditoriaux Nombre de photos Hollande total 38 4 34 Royal François Nicolas Sarkozy Cécilia Ciganer Albéniz 80 4 19 Tableau n° 4 : Les angles des articles 98 Le quotidien Les causes Les étapes L’histoire Les La remise en après la de la de la du couple conséquen- couple après séparation séparation séparation ces la séparation politiques de la séparation Ségolène 4 9 5 4 3 1 5 6 4 5 2 0 Royal/ François Hollande Nicolas Sarkozy/Cé cilia CiganerAlbéniz Méthode : J’ai considéré qu’un article pouvait compter plusieurs angles, c’est-à-dire comporter un angle principal qui amorce le récit puis éventuellement dériver sur un autre. Par exemple, l’article de Closer n° 115 situé en Annexe n° 5, est anglé à la fois sur « la remise en couple après la séparation » et « le quotidien après la séparation ». Il a parfois été difficile de faire strictement la différence entre « l’histoire » du couple et les « étapes de la séparation ». J’ai donc tranché selon un critère temporel : lorsque l’article s’articule autour d’ informations récentes temporellement sur le vacillement du couple (un an et moins), l’angle retenu est « étapes de la séparation ». Tableau n° 5 : « Liberté » et « solitude » des personnages : une image genrée ? Seul –e/ solitude Libre/ liberté Ségolène Royal François Cécilia Ciganer Nicolas Sarkozy 8 5 Hollande 1 3 Albéniz 4 14 13 0 99 Méthode : Calcul par occurrences de mots dans le cœur des articles et dans les titres. Les mots dérivés ont tous été comptabilisés, lorsque le sens correspondait. Par exemple « seul(e) », « solitude », « solitaire », m’ont semblé faire partie du même registre. Lecture : Dans tous les articles concernant la séparation de Ségolène Royal, celle-ci a été présentée 8 fois comme « seule ». Ce terme n’a été utilisé qu’une seule fois pour qualifier François Hollande. Tableau n° 6 : Occurrences de mot « ambition », « rumeur », « pouvoir » Nicolas Sarkozy « Rumeur » 14 « Ambition » 5 « Pouvoir » 13 7 14 7 Cécilia CiganerAlbéniz Ségolène Royal François Hollande Méthode : Calcul par occurrence de mot dans les titres et le cœur des articles. Tous les mots dérivés (comme « ambitieux »), ont été intégrés dans le calcul. Les mots synonymes ou les périphrases (« on-dits », « ragots », « puissants », « arrivisme »…) ont été écartés. 100 101 102