Dlimitation maritime entre la Barbade et Trinit-et

Transcription

Dlimitation maritime entre la Barbade et Trinit-et
HAGUE JUSTICE JOURNAL I JOURNAL JUDICIAIRE DE LA HAYE
VOLUME/VOLUME 2 I NUMBER/ NUMÉRO 1 I 2007
Délimitation maritime entre la Barbade et Trinité-et-Tobago
Yoshifumi Tanaka 1
1. Historique
Pendant la période allant de juillet 2000 à novembre 2003, La Barbade et Trinité-etTobago ont entrepris plusieurs cycles de négociations bilatérales portant notamment sur la
frontière maritime et les négociations sur la pêche. Néanmoins, les parties n’étaient pas
d’accord sur la question de savoir si ces deux thèmes faisaient partie d’un même processus
de négociation, ou s’il s’agissait de négociations séparées. Par un avis d’arbitrage du 16
février 2004, La Barbade avait donc engagé une procédure d’arbitrage au sujet de sa
frontière maritime avec la République de Trinité-et-Tobago, conformément à l’article 286
et à l’annexe VII de la Convention de l’ONU sur le droit de la mer. Le Tribunal arbitral
était composé de cinq membres : Stephen M. Schwebel (Président), les juges Vaughan
Lowe, Ian Brownlie, Francisco Orrego Vicuña, et Sir Arthur Watts. La Cour permanente
d’arbitrage a fait office de greffe dans la procédure qui s’est déroulée à La Haye.
2. Délimitation maritime effectuée par le Tribunal arbitral
Après avoir conclu à sa compétence à juger de l’affaire, le Tribunal arbitral a établi une
ligne de délimitation maritime en divisant en trois zones distinctes l’espace marin sur
lequel les revendications se chevauchaient.
Tout d’abord, en ce qui concerne la zone ouest, les parties étaient d’accord que la ligne de
délimitation se trouvait sur une ligne provisoire équidistante de leurs côtes respectives.
Cependant, les requêtes des parties portaient sur la question de savoir si la ligne
d’équidistance provisoire devait être modifiée en tenant compte de circonstances
pertinentes. Alors que Trinité-et-Tobago soutenait que la ligne d’équidistance devait être la
ligne de délimitation pour la partie ouest, la Barbade réclamait que la ligne provisoire soit
ajustée en raison de ses activités de pêche traditionnelles. A cet égard, le Tribunal a conclu
1
Maître de conférence en droit, faculté de droit de l’Université de Westminster, Royaume-Uni.
HJJ © 2007
DÉLIMITATION MARITIME ENTRE LA BARBADE ET TRINITÉ-ET-TOBAGO
que la ligne d’équidistance à l’ouest devait être la ligne de délimitation entre la Barbade et
Trinité-et-Tobago (para. 271).
Deuxièmement, le segment central s’étendait du point D de la requête de la Barbade au
point A de la requête de Trinité-et-Tobago. Dans ce court segment d’environ 16 miles
nautiques (mn), les parties ne se sont pas montrées en faveur d’un ajustement de la ligne
provisoire d’équidistance. Par conséquent, le Tribunal a conclu que la ligne d’équidistance
avait été acceptée par rapport à ce segment (para. 294).
Troisièmement, dans la zone Est, les parties n’étaient pas d’accord pour demander une
délimitation aux moyens d’une frontière maritime unique. Bien que la Barbade ait
demandé au Tribunal de déterminer une même frontière maritime pour les zones
économiques exclusives (ZEE) et les plateaux continentaux des parties, Trinité-et-Tobago
soutenait que le plateau continental et la ZEE sont deux institutions distinctes, ce qui
pouvait justifier l’existence de lignes de délimitation différentes pour l’une et pour l’autre.
Sur ce point, le Tribunal déclara qu’il déterminerait tout d’abord une ligne frontière unique
pour la délimitation des plateaux continentaux et de la ZEE dans la mesure où les requêtes
se rejoignaient sur ce point, sans porter préjudice à la question de l’existence juridique
séparée de la ZEE et du plateau continental (para. 298). Dans cette zone, le Tribunal a
déterminé l’emplacement de la délimitation maritime en ajustant une ligne provisoire
d’équidistance, tout en tenant compte des circonstances pertinentes. Ces circonstances
comprennent : (i) les côtes pertinentes et leurs projections, (ii) la proportionnalité, et (iii)
des considérations régionales. Les lignes géodiques de la frontière maritime étaient
indiquées dans la sentence (para. 382), et montrées dans le plan V attaché à la sentence.
Enfin, le Tribunal a appliqué le test de proportionnalité, et a conclu que la courbure de la
ligne d’équidistance reflétait une influence significative des façades maritimes sur toute la
zone de délimitation, en essayant d’éviter les intrusions réciproques qui pourraient
constituer une forme d’iniquité (para. 379).
3. Quelques remarques sur la sentence arbitrale
Il semblerait que, dans l’ensemble, le Tribunal arbitral ait essayé de maintenir une certaine
consistance avec des précédents judiciaires dans le domaine de la délimitation maritime.
Au paragraphe 243 de la sentence, le Tribunal arbitral a explicitement déclaré qu’il était
nécessaire que la délimitation soit en accord avec les principes juridiques établis dans les
affaires déjà jugées, pour permettre que les Etats engagés dans d’autres différends soient
assistés dans leurs négociations pour parvenir à une solution équitable requise par les
articles 74 et 83 de la Convention. À cet égard, trois commentaires peuvent être faits.
Premièrement, étant donné que la Barbade et Trinité-et-Tobago sont parties à la
Convention de l’ONU sur le droit de la mer, les articles 74 (1) et 83 (1) de la Convention
sont, de droit, applicables à la délimitation maritime dans le cas présent. Cependant, ces
58
HJJ I VOL. 2 I NO 1 I 2007
DÉLIMITATION MARITIME ENTRE LA BARBADE ET TRINITÉ-ET-TOBAGO
articles omettent toute référence à une méthode de délimitation en raison de la nécessité
d’un compromis à la 3ème Conférence de l’ONU sur le droit de la mer. A cet égard, le
Tribunal arbitral a conclu au paragraphe 242 que :
« La détermination de la ligne de délimitation suit ainsi une approche en deux étapes.
Premièrement, une ligne d’équidistance provisoire est avancée comme une hypothèse et un
point de départ pratique. Alors même qu’elle constitue un point de départ aisé,
l’équidistance à elle seule n’assurera pas, dans de nombreuses circonstances, un résultat
équitable à la lumière des circonstances pertinentes de chaque cas spécifique. La deuxième
étape requiert en conséquence l’examen de cette ligne provisoire à la lumière des
circonstances pertinentes, qui dépendent du cas, afin de déterminer s’il est nécessaire
d’ajuster la ligne d’équidistance provisoire, afin de parvenir à un résultat équitable. »
En outre, au paragraphe 306, le Tribunal arbitral a déclaré que :
« Alors qu’aucune méthode de délimitation ne peut être considérée obligatoire en soi et
qu’aucune Cour ou aucun Tribunal n’en a décidé ainsi, la nécessité d’éviter toute
détermination subjective requiert que la méthode utilisée se fonde sur un certain degré de
certitude que l’équidistance garantit formellement, pouvant faire l’objet d’une correction
ultérieure si nécessaire. »
Le Tribunal arbitral a ainsi adopté une approche en deux étapes ou l’approche de l’équité
correctrice, bien qu’il n’accepte pas le caractère obligatoire de la méthode de
l’équidistance. L’approche de l’équité correctrice a été adoptée dans de récentes décisions
portant sur des délimitations maritimes dont les affaires : Groenland/Jan Mayen (1993) 2 ,
Erythrée/Yémen (1999) 3 , Qatar/Bahreïn (2001) 4 et Cameroun/Nigeria (2002) 5 . On peut
dire que la pertinence de l’approche de l’équité correctrice a été confirmée dans la présente
affaire 6 . En particulier, il est important de noter que, comme dans l’affaire
Cameroun/Nigeria, le Tribunal arbitral a appliqué cette approche de l’équité correctrice
conformément aux articles 74 et 83 de la Convention de l’ONU sur le droit de la mer.
Deuxièmement, en ce qui concerne les circonstances pertinentes, le Tribunal arbitral a
déclaré, au paragraphe 228, que la recherche d’un critère neutre de caractère géographique
prévalait finalement sur des critères spécifiques à la zone concernée tels que les aspects
2
Cour internationale de Justice : Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen
(Danemark c. Norvège).
3
Cour permanente d’arbitrage : Arbitrage Erythrée/Yémen.
4
Cour internationale de Justice : Délimitation maritime et questions territoriale entre Qatar et Bahreïn.
5
Cour internationale de Justice: Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.
Nigéria; Guinée Équatoriale (intervenant)).
6
Pour une analyse détaillée des méthodes des Cours et Tribunaux internationaux, voir en particulier Y.
Tanaka, Predictability and Flexibility in the Law of Maritime Delimitation (Oxford, Hart Publishing, 2006),
pp. 51-126; Y. Tanaka, « Quelques observations sur deux approches jurisprudentielles en droit de la
délimitation maritime : l’affrontement entre prévisibilité et flexibilité », (2004) Revue Belge de Droit
International, pp. 419-455. Pour un aperçu de cette sentence avec des plans par le même auteur, voir ‘Current
Legal Developments’, (2006) 21 International Journal of Marine and Coastal Law (à paraître).
59
HJJ I VOL. 2 I NO 1 I 2007
DÉLIMITATION MARITIME ENTRE LA BARBADE ET TRINITÉ-ET-TOBAGO
géomorphologiques ou des critères touchant aux ressources, comme la distribution des
stocks de poisson, à quelques exceptions près. En effet, le Tribunal arbitral n’a pas accepté
de considérer les activités de pêche de la Barbade comme des circonstances pertinentes
dans la délimitation de la zone ouest. Ce faisant, il apparaîtrait que le Tribunal arbitral a
accepté la prédominance de facteurs géographiques sur des facteurs non géographiques. Il
semblerait que cette vue fasse l’écho de la récente tendance jurisprudentielle dans le
domaine de la délimitation maritime. En effet, la pratique juridique a montré que la
délimitation maritime a été effectuée par les Cours et tribunaux internationaux sur base,
pour l’essentiel, de considérations géographiques; et que les facteurs non géographiques,
tels les facteurs économiques, la pratique des Parties, les droits historiques, la sécurité
nationale, etc., ont simplement joué un modeste rôle dans les délimitations maritimes. En
ce sens, il peut être discutable que, en ce qui concerne le cas présent, la délimitation
maritime soit, dans son essence, d’une nature plus spatiale qu’économique.
Pour finir, il convient de noter que le différend entre la Barbade et Trinité-et-Tobago a
donné lieu à une question intéressante au sujet de la délimitation du plateau continental au
delà de 200 miles nautiques. La Barbade et Trinité-et-Tobago ont discuté ce sujet de
manière intensive, à l’écrit aussi bien qu’oralement. Alors que le Tribunal arbitral, pour sa
part, a évité d’examiner cette question en tous points, il apparaît que les arguments des
Parties fourniront une idée importante de la question.
Ce texte a été traduit de l'anglais par Marie Delbot et Vincent Pouliot.
60
HJJ I VOL. 2 I NO 1 I 2007