contribution de caritas internationalis au synode des eveques sur la
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CONTRIBUTION DE CARITAS INTERNATIONALIS AU SYNODE DES EVEQUES SUR LA NOUVELLE EVANGELISATION POUR LA TRANSMISSION DE LA FOI 2012 Siège social: Palazzo della Tipografia, 00120 Cité du Vatican Bureaux: Palazzo San Calisto – 00120 Cité du Vatican Tel: +39 06 698 79 799 Fax: +39 06 698 87 237 Email: [email protected] Website: http://www.caritas.org L’ACTION CARITATIVE ET SOCIALE DE L’EGLISE, DIMENSION CONSTITUTIVE DE LA NOUVELLE EVANGELISATION "Le témoignage de la charité du Christ, à travers des œuvres de justice, de paix et de développement fait partie de l'évangélisation»1. RESUME Nous sommes préoccupés, malgré quelques allusions pleines d'espoir à la charité, par le peu d'attention accordée à l'action socio‐caritative de l'Église dans l'évangélisation telle que présentée dans les documents préparatoires du Synode: les Lineamenta et l'Instrumentum laboris. Nous constatons que n’y est pas reflétée la place du service de la charité dans le contexte et le processus d'évangélisation que l'Église est appelée à mener à bien et qui est l’objet de ce Synode. Ce manque de considération pour le service de la charité nous amène à exprimer quelques préoccupations : - Nous savons que l'évangélisation est en soi œuvre de charité, car nous reconnaissons que la charité ne se réduit pas à l’action socio‐caritative de l'Église, mais nous souhaitons que ce service de la charité soit pris en considération comme élément constitutif de la mission évangélisatrice de l'Eglise. - La crise de crédibilité de l'Église et, par conséquent, la faiblesse de sa mission dans la société actuelle, est un fait. Des enquêtes nous disent que les gens ne mettent pas leur confiance en l'Eglise des vérités, de l'orthodoxie. Par contre, les institutions ecclésiales dédiées à la « diaconie de la charité » suscitent la confiance. Comme si la diaconie de la foi était différente de la diaconie de la charité. La nouvelle évangélisation doit permettre de voir qu'il s'agit d'une seule diaconie aux deux visages. Plus encore, la diaconie de la charité devrait être le moteur de la mission, la porteuse de la vision. - Si le service de la charité n'est pas considéré comme évangélisateur et n'entre pas dans la réflexion du Synode comme élément constitutif de l'évangélisation, l'évangélisation s’appauvrit et le service caritatif est déformé et se réduit à une conséquence éthique de l'Évangile et à une tâche assistantielle. - Les documents présinodaux ne reflètent pas adéquatement l'enseignement du magistère pontifical sur le sujet. Ils ne reflètent pas l'enseignement de Benoît XVI qui nous offre des affirmations claires et lumineuses sur la dimension évangélisatrice du service de la charité qui ne peuvent être ignorées. Ils ne reflètent pas non plus des affirmations claires du Président du Conseil pontifical pour la Nouvelle Evangélisation. 1 Benoït XVI, encyclique Caritas in veritate, 2009, n°15 - - - Si ces lacunes étaient maintenues au Synode, un Synode consacré à l'évangélisation dans toutes ses dimensions – et non seulement à la catéchèse, à l'éducation ou à la pastorale familiale, nous perdrions une occasion unique de donner à la charité la place qui lui revient dans la mission évangélisatrice de l'Eglise et d’apporter à l’annonce de l'Evangile la signification et la crédibilité dont elle a besoin. Il ya beaucoup de chrétiens dans le monde qui, comme bénévoles ou salariés engagés, offrent leur vie et leur contribution à l'Eglise à travers des institutions et des œuvres caritatives. L’Eglise perdrait un grand potentiel pour l'évangélisation si elle n’envisageait pas son engagement social comme un véritable instrument d'évangélisation et si elle ne leur donnait pas de messages de reconnaissance, d’orientation et d'encouragement à ce service. Et serait perdue une occasion unique d'améliorer et de renforcer l’ecclésialité de Caritas et des institutions de l’Eglise dédiées à la charité, car le chemin pour renforcer l’ecclésialité de l’action socio‐caritative consiste à donner à la charité la place qui lui revient dans la mission évangélisatrice de l'Église et dans les structures pastorales de la communauté chrétienne. Prenant tout cela en compte et pour renforcer le dynamisme de la nouvelle évangélisation, nous voulons faire au Synode quelques propositions : 1. Présenter l’action socio‐caritative de l'Église comme une dimension constitutive de l'évangélisation. 2. Reconnaître le rôle central de la diaconie de la charité comme un moyen privilégié d'évangélisation. 3. Miser sur une ecclésiologie de la charité qui évangélise du social dans le social. 4. Considérer l'importance de l'exercice organisé de la charité dans le témoignage évangélisateur de l'Église. 5. Valoriser comme acteurs de l'évangélisation ceux qui exercent le ministère de la charité. 6. Animer la spiritualité exigée par l'exercice de la charité pour qu’elle soit évangélisatrice. 7. Clarifier le fait que proclamer l'Evangile dans l'exercice de la charité n'est pas faire du prosélytisme. La question fondamentale dans la nouvelle évangélisation n'est pas seulement de savoir comment annoncer l'Evangile, mais de nous demander si l'Évangile que nous annonçons est bonne nouvelle pour les pauvres, et si nous, comme Église, rendons crédible cet Evangile. La diaconie de la charité doit être le moteur de la mission et le signe de sa crédibilité. Introduction La lecture des Lineamenta puis de l'Instrumentum laboris sur « La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi catholique » que nous offre la XIIIème Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques nous fournit des allusions nombreuses et pleines d’espérance sur l’importance du témoignage de la charité pour la mission évangélisatrice de l'Eglise dans le contexte culturel, social et religieux actuel. Dans le n° 7 de l’Instrumentum Laboris, il est écrit que dans le 3ème chapitre on fait une analyse des lieux, sujets, instruments et actions à travers lesquels la foi est transmise, et on parle concrètement de trois : la liturgie, la catéchèse, la charité. Dans le n° 71, on reconnaît que « quelques réponses (aux Lineamenta) ont demandé que soit davantage soulignée la charité comme instrument d’évangélisation » et que « le dévouement et la solidarité avec les pauvres vécus par de nombreuses communautés (…) sont vraiment un instrument valide pour annoncer l’Evangile ». Il est même écrit dans le n° 124 que « la charité est le langage de la nouvelle évangélisation, qui mieux qu’en paroles s’exprime dans des œuvres de fraternité, de proximité et d’aide aux personnes qui ont des besoins spirituels et matériels ». Qui plus est, en se référant à des mots de Caritas in Veritate, il est dit dans l'Instrumentum laboris, au n° 130, que « le témoignage de la charité du Christ, à travers des œuvres de justice, de paix et de développement fait partie de l'évangélisation, parce que JésusChrist, qui nous aime, s’intéresse à l'homme tout entier. Ces enseignements importants fondent l'aspect missionnaire de la doctrine sociale de l'Église, comme un élément essentiel de l'évangélisation. Il est annonce et témoignage de la foi. Il est instrument et socle indispensable de la formation dans la foi ». Il est aussi écrit : « Ce sont des questions qui doivent être approfondies dans la nouvelle évangélisation ». Cependant, après avoir lu ces documents, les références à la charité, isolées et diluées, et le manque d’approfondissement de l'importance et du sens de la charité dans la nouvelle évangélisation nous laissent des sentiments mitigés que nous voulons partager et qui nous conduisent à oser présenter quelques apports complémentaires. 1. QUELQUES PREOCCUPATIONS SOULEVEES PAR LES LINEAMENTA ET L’INSTRUMENTUM LABORIS Nous partons du principe que la charité dans la vie chrétienne et ecclésiale est plus que l’action socio‐caritative de l’Eglise. Toute évangélisation est une expression de l'amour de notre Dieu. C’est par amour que Dieu nous a envoyé Jésus, l'Evangile de Dieu. C’est par amour qu’il continue de rendre présente la bonne nouvelle de l'Evangile par l'action du Saint Esprit. C’est par amour que l’Eglise continue d’annoncer, de célébrer et de rendre présente l’action salvatrice de Dieu dans l'histoire. Dans ce sens, la charité est le moteur de l'évangélisation et s’exprime dans l'annonce, la célébration, en particulier dans l'Eucharistie, et dans le service aux pauvres. Cependant, nous pensons nécessaire une plus grande attention au rôle évangélisateur de l’action socio‐caritative de l’Eglise et à la place essentielle que l'exercice de la charité doit également occuper dans l’annonce même de la Parole et dans la célébration de la foi, car la Parole sans la charité sonne creux (cf. 1 Co, 13,1‐13) et la célébration qui n'implique pas l'exercice pratique de la charité est « fragmentaire », comme le dit Benoît XVI2, et même « scandaleuse », selon Paul (cf. 1 Co, 11, 21). Nous pensons également nécessaire de faire mûrir dans le Peuple de Dieu la conscience de la force révélatrice du mystère de Dieu qui contient la charité, ainsi que de révéler la force révélatrice de son action salvatrice dans l'histoire, car c'est l'amour qui sauve3. « Tu vois la Trinité si tu vois l'amour », dit saint Augustin. Dieu se révèle comme amour et dans l'amour, nous dit Saint Jean (cf. 1 Jn 4, 8). Benoît XVI nous dit que lorsque n'est pas possible l'annonce explicite de Jésus Christ, « nous devons laisser l'amour parler »4. De cette optique de base et de la place accordée à l'exercice de la charité dans les documents présinodaux, nous voulons exprimer quelques préoccupations : 1. Nous avons l'impression que l'exercice de la charité n'est pas suffisamment pris en compte ni valorisé comme un élément essentiel et constitutif de l'évangélisation, comme le souligne Benoît XVI dans ses encycliques. En fait, malgré qu’il y soit fait référence à plusieurs reprises, il n’est jamais traité et développé de manière explicite. Par exemple, quand on parle de Jésus évangélisateur (Ch. 1), on ne parle pas de l'option préférentielle pour les pauvres ni de son action avec les pauvres comme signe de son identité. Et quand on parle des instruments de l'évangélisation (Ch. 3), on parle de la catéchèse, de la famille, de la liturgie,… mais la charité est à peine mentionnée. 2. On ne donne pas à la charité la centralité qu’elle doit avoir dans l'évangélisation. La crise de crédibilité de l'Église et, par conséquent, la faiblesse de sa mission dans la société d'aujourd'hui, est un fait. Des enquêtes nous disent que les gens ne mettent pas leur confiance en l'Eglise des vérités et de l'orthodoxie. Par contre, les institutions ecclésiales dédiées à la « diaconie de la charité » suscitent la confiance. Comme si la diaconie de la foi était différente de la diaconie de la charité. La nouvelle évangélisation doit permettre de voir qu'il s'agit d'une seule diaconie aux deux visages. Plus encore, la diaconie de la charité devrait être le moteur de la mission, la porteuse de la vision et le lieu où est enseigné le message chrétien de manière pratique. La « Caritas » devient ainsi, dans une véritable perspective théologique, une clé pour comprendre notre foi, notre morale et notre mission évangélisatrice. 3. L'exercice organisé de la charité n’est pas non plus suffisamment pris en compte comme canal privilégié d'évangélisation dans cette culture sécularisée, en particulier pour les nombreux hommes et femmes non croyants. Qui plus est, il n’est même pas 2 Ibid n° 14 3 Benoît XVI, Encyclique Spes Salvi, 2006, n° 26 4 Benoït XVI, Encyclique Deus caritas est, 2005, n° 31c question de l'exercice de la charité organisée, qu’il s’appelle Pastorale Sociale, Caritas, Secours Catholique ou autres qui sont l’expression organisée de l'exercice de la charité dans les Églises particulières. 4. Parmi les scénarios d’évangélisation présentés se trouvent les migrations, le monde économique et le politique, avec d'évidentes implications sociales, ainsi que les médias sociaux et le champ de la recherche scientifique et technologique, mais nous considérons qu'il est nécessaire d'élargir le spectre à un scénario spécifique aux graves problèmes sociaux du moment. Car c’est là que se vivent la plupart des drames humains, c’est de là que surgissent les questions majeures pour la foi, c’est là où, selon les mots du Pape, se manifeste l’« anesthésie sociale »5 qui nous rend insensibles aux exigences de l'amour fraternel. S’il faut évangéliser à partir des défis socioculturels auxquels nous sommes confrontés, comme on le dit dans ces documents, c’est la pauvreté et l'injustice qui la crée qui sont l’un des plus grands défis. Et c’est dans l'exercice de la charité que se vérifie l'authenticité de la foi que nous professons et annonçons. C’est pour cela qu’il nous paraît nécessaire d’entrer dans le scénario de la réalité sociale, de la pauvreté et des causes qui la génèrent, comme scenario important de la nouvelle évangélisation, parce que la charité commence par ouvrir les yeux sur les autres et prendre en charge les autres, ceux qui sont poussés sur le bord du chemin et les mendiants aux pieds des tables des Epulons, comme nous l’a rappelé avec une clarté éloquente Benoît XVI6. 5. Dans l’exercice de la charité, nous devons accorder une attention particulière à trois éléments : l'animation de la charité dans la communauté chrétienne, l'importance de l’exercice organisé de la charité et le témoignage évangélisateur de ceux qui consacrent leur vie dans l'Église au service des pauvres. Dans les documents présentés par le Secrétariat du Synode (les Lineamenta et l'Instrumentum laboris), il est fait de fréquentes allusions à l'amour fraternel, à l’attention aux pauvres, à l'importance du témoignage, à la nécessité pour l'Église d’annoncer ce qu'elle est et ce qu’elle vit. Mais aucune référence n'est faite à l'exercice organisé de la charité, comme si la charité était une question individuelle, et non une tâche de l'ensemble de la communauté, comme si ce n’était pas la mission de toute la communauté de proclamer l'évangile à partir de l'expérience de la charité. On parle aussi de la catéchèse, de la première annonce, des sacrements de l'initiation, de l'éducation, de la famille, etc. comme moyens nécessaires d'évangélisation à prendre en considération. Mais on ne parle pas de la charité de la communauté, de l'exercice organisé de la charité, comme canal privilégié et dans certains contextes quasi unique, pour rendre présentes l’annonce de l'Evangile et l'expérience chrétienne de la foi. De la même manière, il n’est jamais fait allusion aux travailleurs de la charité, aux bénévoles comme aux employés, comme évangélisateurs au nom de la communauté. 5 Benoît XVI, Message de Carême 2012 « soyons attentifs les uns aux autres pour nous inciter à l'amour et aux bonnes œuvres » (Héb. 10, 24) 6 Ibid. 6. La charité n’est pas prise en considération comme critère de crédibilité pour l'Eglise dans sa mission d'annoncer l'Evangile, bonne nouvelle pour les pauvres. Nous sommes appelés à rechercher des « parvis des gentils » ou des « déserts » où la Parole se fait non seulement audible, mais significative et salvatrice pour l'humanité. Nous croyons que l'un des parvis des gentils ou un des déserts où la Parole est la plus audible, la plus crédible et salvatrice est pour l'Eglise le domaine de la pauvreté. Quand l'Église se rend présente à travers l'exercice de la charité, sa Parole, et lorsque la Parole ne peut être proclamée, son action silencieuse, devient audible, crédible et salvatrice pour l'humanité. C’est pourquoi nous estimons qu'il est nécessaire pour l'évangélisation de renforcer l’animation de la charité dans la communauté et l'exercice organisé de la charité comme critère de crédibilité. 2. QUELQUES CONTRIBUTIONS POUR RECONNAITRE ET RENFORCER LE DYNAMISME EVANGELISATEUR DE LA CHARITÉ A partir des préoccupations ci‐dessus, nous avons quelques propositions à présenter concernant l'exercice de la charité dans l'évangélisation, dont nous pensons qu'il faudrait leur accorder plus d'attention et de considération dans les délibérations du Synode. 2.1. Présenter l’action caritative de l'Église comme dimension constitutive de l'évangélisation Le Synode de 1971 nous a dit très clairement que « l'action pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent clairement comme une dimension constitutive de la prédication de l'Evangile »7. De la même manière, le Synode de 1974 quand il parle de l’exercice de la charité et du travail pour la justice nous a dit que « ils ne sont pas seulement cause de crédibilité pour l'Eglise, mais qu’ils sont partie intégrale de l'évangélisation »8. Benoît XVI nous dit que c'est un service qui appartient à la nature même de la communauté chrétienne : « La nature profonde de l'Église s'exprime dans une triple tâche : l’annonce de la Parole de Dieu (kerygmamartyria), la célébration des sacrements (leiturgia) et le service de la charité (diakonia). Ce sont trois tâches qui s'appellent l'une l'autre et sont inséparables les unes des autres. Pour l'Eglise, la charité n'est pas une sorte d'activité d'assistance sociale qu'on pourrait aussi laisser à d'autres, mais elle appartient à sa nature et est une expression incontournable de son être même »9. Le Président du Conseil Pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Evangélisation nous dit, lui aussi, que « un domaine particulier de la nouvelle évangélisation est, sans aucun doute, celui de la charité », où de nombreux hommes et femmes, fidèles à l’Esprit, présentent de multiples signes concrets qui rendent « visible » et « actuelle » 7 Synode des Evêques, La justice dans le monde, 1971, Introduction 8 Synode des Evêques, L’évangélisation dans le monde moderne, 1974 9 Benoît XVI, Encyclique Deus caritas est, 2005, n° 25 la Parole du Seigneur et offrent un témoignage « dans lequel se joue, de fait, sa crédibilité dans ce qui constitue le cœur même de l’annonce : l’amour »10. Si la charité est constitutive de la nature de l'Église et de sa mission d'évangélisation, et est un champ propre de la nouvelle évangélisation, on ne peut pas la prendre en compte seulement de manière anecdotique dans la réflexion sur la nouvelle évangélisation. Elle devrait avoir une considération et un traitement spécifiques dans son étude. 2.2. Reconnaître la centralité de la diaconie de la charité comme un moyen privilégié d'évangélisation « Voyez comme ils s’aiment ! »11. Ces paroles mises par Tertullien dans la bouche des ennemis de l'Église restent pleinement d’actualité aujourd'hui. Malgré les changements et les transformations sociales et culturelles que vit notre monde, le témoignage de l'amour gratuit, du service désintéressé, reflet de Dieu Amour que l'Eglise offre en Jésus Christ et par la puissance de l'Esprit, ce témoignage est un moyen privilégié d'évangélisation. Il faut se rappeler qu'il n'y a pas de proclamation de Jésus Christ si nous ne sommes pas des témoins transparents de son amour fidèle, dans l'esprit du Bon Samaritain, c'est à dire en regardant avec une attention solidaire les blessés et les rejetés au bord de la route de la marginalisation, en les accueillant, les soignant et leur offrant l'auberge d'une communauté qui les aide à sortir de leur situation. À cet égard, nous apprécions l'affirmation fondamentale faite au n° 130 de l'Instrumentum laboris, dont nous avons déjà parlé : « Le témoignage de la charité du Christ à travers des œuvres de justice, de paix et de développement fait partie de l'évangélisation (...). Il est annonce et témoignage de la foi. Il est un instrument et une source indispensables pour la formation dans la foi. Ce sont des questions qui doivent être approfondies dans la nouvelle évangélisation ». Nous croyons que le développement de ce principe intéressant est très limité et nous proposons que le Synode approfondisse la question de la charité comme vecteur essentiel et privilégié de la nouvelle évangélisation. Ou, en d'autres termes, que « la charité soit davantage prise en compte comme instrument de la nouvelle évangélisation », ainsi qu’il est indiqué dans le n° 71, ce qui ensuite n’est pas repris. La communauté ecclésiale doit être un lieu où « Jésus peut être vécu à notre époque »12. Si nous sommes son corps et qu’il est la tête (Col. 1,18), Jésus doit pouvoir vivre en nous. Sa mission devrait se refléter dans la nôtre. Et la mission de Jésus était, avant tout, la diaconie de l'amour envers les plus démunis : « Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance » (Jn 10,10). La diaconie de la foi doit être de cette « foi opérant dans l'amour » (Gal. 5,6). Les œuvres de miséricorde et de justice rendent crédibles la vie et le message (Mt 24,1 à 10 Rino Fisichella, La nouvelle évangélisation, Santander, 2012, pp. 68 et 69 11 Apologiste, 39, 7, CCL 151 12 Expression du Cardinal Rodriguez Maradiaga, Président de Caritas Internationalis 25,46). Le témoin devient crédible par sa gratuité : « ce que vous avez reçu gratuitement, donnez le gratuitement ». La charité de Jésus n'a pas de frontières, c’est pour cela qu’elle est missionnaire, incluante, dialoguante. Dans le domaine de la diaconie de la charité, l’attention missionnaire au monde de la douleur, la maladie et la souffrance occupe une place toute particulière. Et une vraie évangélisation intégrale nécessite de proclamer le commandement nouveau dans la promotion du développement humain intégral et de la justice et de la paix.13 2.3. Miser sur une ecclésiologie de la charité qui évangélise depuis le social dans le social La tâche de rendre présente la bonne nouvelle de l'Evangile à travers l'exercice de la charité est quelque chose qui appartient à l'Eglise tout entière et à tous dans l'Église. L'expérience et le témoignage de l'amour n'est pas optionnel ou marginal, mais un élément central de la foi que l'Eglise vit et transmet. Il s'agit d'une dimension essentielle, constitutive de notre vie chrétienne et ecclésiale, responsabilité de chacun d'entre nous et de la communauté tout entière. C'est ainsi que le dit Benoît XVI : « L'amour du prochain, enraciné dans l'amour de Dieu est avant tout une tâche pour chaque fidèle, mais elle l’est aussi pour toute la communauté ecclésiale ... L'Église en tant que communauté doit mettre l'amour en pratique »14. Il ajoute : « lorsque l'activité caritative est assumée par l'Église comme initiative communautaire, la spontanéité de l'individu doit être associée à la planification, la prévision, la collaboration avec d'autres institutions »15. L'amour est avant tout une tâche pour chaque fidèle. Elle nous revient à nous tous à cause de notre identité chrétienne. Mais la charité est la tâche de toute la communauté. Et une Église de la charité est une Eglise qui se sent messagère de l'amour de Dieu pour tous les hommes. Mais elle a des destinataires préférentiels établis selon la façon d’agir de Dieu manifesté en Christ. Ces destinataires préférentiels sont les pauvres. L'Église, comme Jésus, a été envoyée pour évangéliser les pauvres. C'est ce que dit l'Évangile de Jésus et l'Église l’a aussi reconnu pour elle‐même16. Proclamer Jésus‐ Christ est le plus grand service que l'Eglise peut rendre aux hommes, à tous les hommes, ceux d’aujourd’hui et ceux de toujours. Et cette annonce de Jésus‐Christ Sauveur doit être dirigée d'une manière privilégiée vers les pauvres. Cependant, ceci n'est pas toujours exprimé clairement et quand cela se fait, cela n’est pas toujours assumé comme responsabilité de toute la communauté. Nous devons reconnaître que l'option préférentielle pour les pauvres n'a pas vraiment été assumée par la communauté chrétienne dans son ensemble, de sorte qu'il n’y a pas de participation suffisante des fidèles dans les diverses actions socio‐caritatives qui 13 Paul VI, lettre apostolique Evangelii Nuntiandi, 1975, n° 31 ; Jean Paul II, encyclique Centesimus Annus, 1991, n° 58 14 Benoît XVI, encyclique Deus caritas est, 2005, n° 20 15 Ibid. n° 31b 16 Lc 4,18 ; Lumen Gentium nn. 8.23.41.42 paraissent alors non pas comme des options ecclésiales mais des engagements de certains groupes ou individus qui ont un attachement particulier à ces questions. Dans un Synode sur l'évangélisation, il est nécessaire d'affirmer clairement que : - nous sommes une Eglise sacrement de communion des hommes avec Dieu et de tous les hommes entre eux - nous sommes une Eglise envoyée pour évangéliser les pauvres - nous sommes appelés à nous laisser évangéliser par les pauvres - les pauvres doivent trouver une place privilégiée dans l'Eglise - l'Eglise doit être une Eglise pauvre et pour les pauvres Les pauvres interpellent l'Église en permanence l'invitant à se laisser convertir et évangéliser elle‐même. Dieu parle à l'Eglise à travers les pauvres. S’il y a dans les pauvres une présence spéciale du Seigneur, l'Église doit être particulièrement attentive à leurs cris. L'existence des pauvres témoigne de ce que la fraternité humaine n'est pas réelle et que ce monde n'est pas le Royaume de Dieu attendu. Leur présence et leurs cris sont un appel à la conversion de l'Eglise, pour qu’elle soit signe réel et visible de la présence du Royaume. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas vivre loin de ce monde injuste et peu solidaire que nous avons construit, loin du drame de ceux qui sont sans emploi, des entreprises vouées à réduire leur activités ou à fermer leurs portes, loin des familles avec tous leurs membres au chômage, loin des jeunes exclus du marché du travail. Nous ne pouvons pas non plus être insensibles aux salaires exorbitants des dirigeants des institutions financières soutenues par des fonds publics ni aux millions et milliards de bénéfices que déclarent certaines entreprises alors qu’elles licencient leurs employés et réduisent les salaires. Tout comme nous ne pouvons pas être aveugles et vivre le dos tourné au génocide des peuples autochtones, à la faim, à la violence, au manque de soins et d'éducation, au trafic des armes et des personnes ni à l’exploitation dont sont victimes tant de millions d’hommes et de femmes dans notre monde. Comme l’a dit Jean‐Paul II : « nous devons agir pour que les pauvres, dans chaque communauté chrétienne, se sentent comme à la maison. Ne seraitce pas là la présentation la plus grande et la plus efficace de la bonne nouvelle du Royaume ? Sans cette forme d'évangélisation réalisée grâce à la charité et au témoignage de la pauvreté chrétienne, l'annonce de l'Évangile, qui est la première charité, court le risque d'être mal comprise ou de se perdre dans l'océan de mots à laquelle nous expose tous les jours la société de communication d'aujourd'hui. La charité des œuvres soutient la charité des mots »17. C’est là un grand défi pour l’Eglise d’aujourd’hui : pour son identité et pour la crédibilité de son message. 2.4. Prendre en compte l’importance de l’exercice organisé de la charité pour le témoignage évangélisateur de l'Eglise Pour que le service aux personnes défavorisées soit ordonné, mobilise la communauté, réponde aux besoins de chaque moment historique et social et soit en 17 Jean Paul II, Lettre apostolique, Novo Millenio Ineunte, 2001, n° 50 même temps témoin évangélisateur de l’être de la communauté chrétienne, il faut une organisation. C'est ainsi que le dit le Saint‐Père : « L'amour a aussi besoin d’organisation comme présupposé pour un service communautaire ordonné »18. Par conséquent, « à la spontanéité de l'individu doivent également s’adjoindre des programmes, des prévisions, des collaborations avec d'autres institutions similaires »19. Et ce, non seulement pour des raisons d'efficacité, mais aussi pour des raisons de communion ecclésiale, car c'est seulement ainsi que l’action caritative et sociale de l'Église sera signifiante et expression communautaire de l'amour préférentiel pour les pauvres et du visage samaritain de l’Eglise. Ce service organisé pour les pauvres n'est pas un service ou une mission de plus parmi les diverses missions complémentaires de l'Eglise, c'est une mission que nous considérons comme primordiale, permanente, générale et indispensable. Et elle doit être également la mission qui marque et configure l'Église dans toute sa structure, ses traditions et son organisation comme Eglise de la Charité20. Par conséquent, nous pouvons affirmer que « l'Église ne peut jamais se dispenser de l’exercice de la charité en tant qu'activité organisée des croyants »21 et qu'il n'y a pas de vraie communauté chrétienne là où il n'y a pas et où l’on ne voit pas – parce que nous sommes sacrement – l’exercice organisé de la charité. Le service de la charité est celui de l'Église toute entière, de tout le monde dans l'Eglise et il a besoin d'être ordonné, organisé, planifié. Par conséquent, la pratique de la charité exige de construire une bonne communauté, et une bonne communauté ne peut pas ne pas s’exprimer dans un exercice organisé de la Charité. L'Église doit structurer et visibiliser l'exercice organisé de la charité et celui‐ci doit structurer l'Église en Église de la charité. Cela implique, ad intra, d’accroître la communion dans nos communautés et la coordination entre les différents groupes ou communautés et les différents services pastoraux22 pour que la charité soit assumée par tout le monde dans la communauté et que nous soyons vraiment une Eglise communion. Ad extra, nous avons besoin d’une pastorale de la Charité très ouverte et sensible à la situation sociale, capable d'analyser la réalité à partir de l'Evangile et avec la médiation des sciences sociales, et qui nous mène à la dénonciation des causes de la pauvreté et de l'oppression et à promouvoir des actions de transformation des personnes et des structures.23 2.5. Reconnaître comme agents de l'évangélisation ceux qui exercent le service de la charité dans l'Église 18 Benoît XVI, Encyclique Deus caritas est, 2005, n° 20 19 Ibid n° 31b 20 Ibid 21 Ibid n° 29 22 Instrumentuml Laboris, n° 80 23 Ibid n° 56 Nous avons déjà parlé du fait que aussi bien dans les Lineamenta que dans l’Instrumentum laboris, on mentionne de nombreux agents de l'évangélisation sans inclure parmi eux les travailleurs de la charité. Nous considérons les agents de Caritas, bénévoles comme employés, comme un véritable instrument de l'annonce chrétienne. Le bénévolat est souvent considéré comme une activité louable et admirable, gratuite et généreuse, et elle l’est. Mais, pour cette raison, elle possède une force particulière pour proclamer et professer la foi. L'amour inconditionnel des pauvres, la reconnaissance et le respect de la dignité de chaque personne, la gratuité de l’engagement, le travail pour un monde meilleur qui participe à la construction du Royaume, le témoignage caché et discret que suppose la conscience d'aimer et de servir Jésus Christ lui‐même dans la personne des plus démunis font du bénévolat une proclamation authentique de l'Evangile et une excellente façon de rendre visible la foi dans le contexte de la nouvelle évangélisation. Mérite également considération et encouragement le travail d’un grand nombre de personnes embauchées qui font de ce service un choix de vie et leur champ d’engagement chrétien au service de l'évangélisation, fidèles au projet de Dieu dans leur vie et mettant au service des pauvres leurs dons et talents, leurs connaissances professionnelles et leur vocation personnelle. Avec un tel horizon, « le signe du volontariat acquiert également une consistance comme vrai message chrétien » affirme le président du Conseil pontifical cité ci‐ dessus.24 Et ce qui se dit du volontariat s’applique aussi au personnel salarié. Lorsque le ministère de charité est exercé avec un esprit évangélique, le service lui‐même est vraie proclamation de l'Evangile. Il serait donc bon pour la nouvelle évangélisation de présenter le travail avec les pauvres comme un chemin de découverte et de rencontre de Jésus Christ. Caritas est certainement l'Eglise dans l'exercice organisé de la charité, du commandement d'amour que le Seigneur nous a donné. Et pour ceux qui sont en recherche spirituelle et de la foi, ce doit aussi être un chemin de découverte et de rencontre avec Jésus Christ. Dans l'esprit de l'apôtre Pierre dans sa Lettre, nous pourrions dire à certains de nos frères : Si tu ne peux toujours pas croire dans le Christ, reste à son service dans les pauvres, là où il est présent ; et si tu ne peux toujours pas faire le pas de la foi ou te sentir membre à part entière de l'Eglise, regarde le visage du Seigneur en celui du pauvre, et atténue grâce à ton engagement sa souffrance et sa pauvreté (1 Pe 4, 8). Tous ceux qui travaillent dans l’action caritative et sociale de l'Église, évêques, prêtres, religieux et laïcs, ont besoin de grandir dans le témoignage de la charité pour que son exercice soit mené en conformité avec les exigences de l'Évangile et de la doctrine sociale de l’Eglise. Pour cela, il est nécessaire de consacrer des gens et des ressources à la formation et à l’accompagnement des travailleurs de la charité et à l'information et à la sensibilisation de toute la communauté. 24 Rino Fisichella, o.c. p. 70 Ce serait bien, d'autre part, qu’en plus d’appeler à la cohérence personnelle ceux qui mettent la charité en pratique, l'Eglise en tant qu'institution envisage un signe public et visible qui montre son désir sincère de conversion et de charité envers les plus pauvres. Un geste communautaire, « institutionnel » qui invite à rendre crédible son engagement envers les plus pauvres comme condition première de la nouvelle évangélisation. Un synode universel offre une bonne occasion pour cela. 2.6. Animer la spiritualité exigée par l'exercice de la charité pour qu’elle soit évangélisatrice Dans l'exercice de la charité, nous devons être très attentifs à l'esprit qui l'anime et l’enrichit, car la charité ou bien est basée et inspirée par le Saint‐Esprit ou elle n’est pas charité, parce que dans le langage chrétien, il ne peut y avoir plus de spiritualité que celle qui vient de l'Esprit Saint. Caritas existe parce que nous avons été oints par l'Esprit pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. « Le même Esprit qui a oint Jésus pour l'envoyer annoncer l'Evangile aux pauvres conduit ses disciples à la mission de poursuivre le travail du salut parmi les plus abandonnés »25. « L'Esprit est aussi la force qui transforme le cœur de la Communauté ecclésiale afin que le monde soit témoin de l'amour du Père, qui veut faire de l'humanité, dans son Fils, une seule famille »26. Nous tous, avec la force du Saint Esprit qui nous engage dans cette mission, nous pouvons faire nôtre la proclamation de Jésus dans la synagogue de Nazareth : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, / parce qu'il m'a oint / pour annoncer aux pauvres la bonne nouvelle / il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération / et rendre la vue aux aveugles / donner la liberté aux opprimés et / proclamer une année de grâce du Seigneur ». (Lc 4,18 à 21). Plus d'une fois dans l'Eglise, nous avons été tentés d’opposer la vie active et la vie contemplative, l'engagement et la prière, et en particulier, nous avons considéré la lutte pour la justice sociale et la vie spirituelle comme deux réalités non seulement différentes – ce qu’elles sont effectivement quant à leur objet immédiat – mais indépendantes et même contraires, quand elles ne le sont en aucune façon, car elles sont complémentaires et reliées, interdépendantes. Il serait important que le Synode nous donne les clés de la spiritualité d’une charité évangélisatrice, car la charité, quand elle est animée par l'Esprit est en elle‐même évangélisatrice. Par exemple : - elle est évangélisatrice quand elle est enracinée au cœur de notre Dieu et se transforme en transparence de l'amour de Dieu et en source de fraternité - elle est évangélisatrice quand elle relie les uns aux autres et les fait se prendre en charge mutuellement - elle est évangélisatrice quand elle nous aide à découvrir le visage de Dieu dans le visage de chaque être humain et nous conduit à promouvoir son développement intégral 25 Caritas Espagne, Réflexion sur l’identité de Caritas, 1977, p. 21 26 Benoît XVI, Encyclique Deus caritas est, 2005, n° 19 elle est évangélisatrice quand elle dénonce l'injustice et transforme les personnes et les structures - elle est évangélisatrice quand elle mise sur les faibles, les personnes fragiles, les derniers là où la culture ambiante est celle de la réussite et de la rentabilité - elle est évangélisatrice quand elle se vit comme un don et aide à dépasser la logique du marché avec la logique du don et de la gratuité - elle est évangélisatrice quand elle se vit en communion, quand elle contribue à former une Église samaritaine et serviteur des pauvres et conduit au partage des biens et services - elle est évangélisatrice quand elle sait discerner avec l'Esprit ce que Dieu nous demande ici et maintenant et quand elle répond sur cette base aux défis sociaux et culturels du moment - elle est évangélisatrice quand elle transmet la force et l'espérance nées de Pâques - elle est évangélisatrice quand elle se fait vie librement donnée, nourrie et célébrée dans l'Eucharistie - elle est évangélisatrice quand elle nous rend simples et pauvres pour être disponibles à Dieu et aux pauvres - elle est évangélisatrice quand elle fait de nous des témoins d’une expérience d'amour dont nous sommes devenus les acteurs et quand elle ouvre, à travers des actes et des paroles, des chemins qui permettent l'expérience de la rencontre avec Dieu en Jésus Christ Toutes ces manifestations de la charité sont évangélisatrices, car elles font partie des étapes d'un processus d'évangélisation tel que nous l’a présenté Jean‐Paul II 27: - - - elles sont les témoins de l'amour de Dieu et de la communauté chrétienne et le témoignage est la première étape de l'évangélisation elles sont révélatrices des mots et des attitudes de Jésus et constituent une première annonce de sa personne et de son message elles sont un appel à la conversion, à nous conformer au Christ et à la transformation des personnes et des structures si elles se réalisent dans le cadre d’un vrai accompagnement, elles offrent la possibilité d'une annonce explicite sur les motivations et le sens de notre service : la Foi et la suite de Jésus.28 et si elle sont œuvre de la communauté chrétienne, elles sont une invitation à l'intégration dans la communauté fraternelle qui est l'Eglise. 27 Encyclique Redemptoris missio, 1990, nn 42‐46 Le chapitre V nous offre les éléments d’un processus d’évangélisation. 28 Instrumentum Laboris, nn 28‐32. Le but ultime de toute action d'évangélisation est la rencontre personnelle avec Jésus‐Christ, car il est l'Evangile, la bonne nouvelle de l'amour de Dieu dont l’être humain a besoin. Elle doit être, autant que possible et sachant que la foi se propose et ne s’impose pas, le but ultime de toute action socio‐ caritative de l'Église. Cela signifie que nous devons être très attentifs à « une confusion croissante qui conduit certains à ignorer et à rendre inopérant le commandement missionnaire du Seigneur (cf. Mt 28, 19). On pense souvent que toute tentative de convaincre les autres sur des questions religieuses est une entrave à la liberté. Il ne serait légitime que d'exposer ses idées et inviter les gens à agir selon leur conscience, sans favoriser leur conversion au Christ et à la foi catholique : il est dit qu’il suffit d’aider les hommes à devenir plus humains ou plus fidèles à leur propre religion, qu’il suffit de bâtir des communautés capables de travailler pour la justice, la liberté, la paix, la solidarité. En outre, certains soutiennent qu'on ne devrait pas annoncer le Christ à ceux qui ne le connaissent pas, ni encourager l'adhésion à l'Église, car il serait possible d'être sauvé sans la connaissance explicite du Christ et sans intégration formelle dans l'Eglise »(Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale sur certains aspects de l'évangélisation, 2007, 3). En d'autres termes, nous avons besoin de grandir dans la conscience de ce que l'action caritative et sociale de l'Eglise peut être évangélisatrice de nombreuses manières : par ce que nous faisons et la façon dont nous le faisons, par la motivation et le sens de ce que nous faisons, par les effets de ce que nous faisons, par ce que nous dénonçons et pour les changements que nous promouvons, par l’accompagnement que nous faisons, par le message de l'Evangile que nous proclamons dans ce que nous faisons. De manière toute particulière, elle doit être évangélisatrice par la spiritualité qui l'anime. Une spiritualité trinitaire, profondément enracinée dans le mystère de notre Dieu, et une spiritualité eucharistique, parce que l'Eucharistie est le sacrement du don : don de Jésus et don de nous‐mêmes.29 2.7 Annoncer l’Evangile dans l’exercice de la charité n’est pas faire du prosélytisme. Lorsque l'on considère la dimension évangélisatrice de l’action socio‐caritative, on attire parfois l’attention sur le risque d'instrumentaliser la charité pour faire du prosélytisme. Ce risque peut exister, mais il ne doit pas nous inviter à renoncer à la mission évangélisatrice de la charité.30 Il y a des principes inaliénables. L’un d’entre eux est que la mission de l'Eglise est d'évangéliser, que nous sommes tous en Eglise appelés à évangéliser31, et tout dans l'Église, y compris l'exercice de la charité « qui ne prend tout son sens que quand il se transforme en témoignage, provoque l'admiration et la conversion, et devient prédication et annonce de l'Évangile de la part de l'Église et de tous les baptisés »32. L’universalité de la charité est également fondamentale. Nous sommes au service des pauvres, de tous les pauvres, sans distinction de race et de confession religieuse. Maintenir ces principes, comme nous l’avons dit dans un point précédent33, nous conduit à distinguer évangélisation et prosélytisme, comme l'a fait Benoît XVI : « La charité ne doit pas être un vecteur de ce que l'on appelle aujourd'hui prosélytisme. L'amour est gratuit, on ne le pratique pas à d'autres fins. (...) Celui qui pratique la charité au nom de l'Église ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi de l'Eglise. Il est conscient que l'amour, pur et généreux, est le meilleur témoignage du Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer. Le chrétien sait quand le temps est venu de parler de Dieu et quand il est préférable de ne rien dire, de laisser parler l'amour seul »34. Une autre question est de savoir distinguer quand il est temps de parler et quand il est temps de se taire, mais le témoignage sera toujours évangélisateur. Il y a des cas où nous pourrons expliquer les raisons pour lesquelles nous faisons ce que nous faisons et, quand cela est possible, nous ne pouvons pas renoncer à l’annonce explicite de l’Evangile. 29 Benoît XVI, encyclique Deus caritas est, 2005, n° 13 30 Nota y cita n°28 31 Paul VI, exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, 1975, n° 13 32 Ibid 15 33 Cf pt 2.6 34 Benoît XVI, encyclique Deus caritas est, 2005, n° 31 La dimension spécifique de l’action socio‐caritative dans le champ de l'évangélisation est le témoignage et l’appel à être et à vivre différemment, mais pas seulement. Si possible, nous témoignerons de nos motivations et du sens de ce que nous faisons. Et là où c'est possible, nous annoncerons explicitement Jésus et son Évangile comme le meilleur service que nous pouvons offrir à nos frères, et en particulier aux pauvres. Enfin, il est bon de noter que si annoncer l'Evangile présente le risque du prosélytisme, ne pas l’annoncer présente le risque de devenir une ONG. CONCLUSION L’exercice de la charité est un élément constitutif de la nature de l'Église et de sa mission d'évangélisation, et tous dans l’Église sommes impliqués. Ceci devrait être bien clair dans le Synode. La nouvelle évangélisation doit montrer que la diaconie de la foi et la diaconie de la charité ne sont pas séparées et indépendantes, mais qu’il est question d’une seule diaconie avec deux volets. Même plus : le moteur de la mission, la porteuse de la vision devrait être la diaconie de la charité. La charité, par conséquent, doit être un élément structurant de la nature même de l'Eglise si elle veut être évangélisatrice. Il vaut la peine que le Synode lui donne la place qui lui revient dans la réflexion sur la nouvelle évangélisation et qu’il encourage et renforce son dynamisme évangélisateur. La Charité vécue dans l'Esprit non seulement nous rend missionnaires, mais nous évangélise nous‐mêmes. Et aujourd'hui, nous reconnaissons avec joie qu’ils sont nombreux, tous les jours plus nombreux, les ouvriers de la charité, bénévoles et employés, qui font de leur travail dans l’action socio‐caritative de l’Eglise le champ explicite de leur engagement dans l'évangélisation. Nous aimerions qu’ils aient une place parmi les sujets traités sur la manière dont la foi chrétienne est transmise aujourd'hui. Nous reconnaissons que l'exercice de la charité est l'un des signes de la crédibilité de l'Eglise. Nous constatons que souvent, dans nos Caritas, des frères et sœurs qui viennent à nous de l'indifférence, de l'agnosticisme ou de l'incroyance, à travers le service socio‐caritatif découvrent ce que signifie la joie de croire et de mettre sa vie en phase avec Jésus‐Christ au sein de l'Eglise. Nous aimerions que soit reconnu le caractère évangélisateur que portent en elles‐mêmes un grand nombre des actions qui se réalisent au service de la charité et la façon de les exécuter. Cela ne veut pas dire que nous ne reconnaissions pas le besoin de soigner à la fois la dimension évangélisatrice de la charité et notre formation en ce domaine afin que nous sachions faire en sorte que notre service soulève des questions sur la motivation et le sens de ce que nous faisons, invite à la conversion et facilite l’annonce de Jésus et de son Evangile. Tout comme nous devons cultiver la spiritualité qui peut donner de la consistance au caractère évangélisateur de la charité. Le Synode fournirait un bon service à la nouvelle évangélisation s’il nous donnait des orientations positives sur le soin à apporter à la formation et à la spiritualité dans l'action caritative qui permette d’aviver en elle sa force évangélisatrice. Nous vivons un moment privilégié, un vrai moment de l'Esprit, pour que l'exercice de la charité nous évangélise et fasse de nous toujours plus des évangélisateurs. Vivons cela avec un cœur reconnaissant et généreux, et faisons de notre vie, comme Marie, un hymne au Seigneur qui a exprimé dans notre faiblesse sa force évangélisatrice et libératrice en faveur des plus pauvres et des opprimés (Lc 1, 46‐55). Et ne permettons pas, autant que faire se peut, que l'exercice de la charité soit exclu de la mission évangélisatrice de l'Eglise ou relégué au second plan. Nous rendrions un mauvais service à l'évangélisation et l’ecclésialité de la charité. La question fondamentale dans la nouvelle évangélisation n'est pas seulement de savoir comment annoncer l'Evangile, mais de nous demander si l'Évangile que nous annonçons est bonne nouvelle pour les pauvres, et si nous, comme Église, rendons crédibles cet Evangile. Le service de la charité doit être le moteur de la mission et son signe de crédibilité. Cité du Vatican, septembre 2012