Domaines prioritaires pour l`instauration de la gouvernance en Tunisie
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Domaines prioritaires pour l`instauration de la gouvernance en Tunisie
United Nations Department of Economic and Social Affairs - UNDESA INNOVATION IN PUBLIC ADMINISTRATION IN THE EURO-MEDITERRANEAN REGION MRABET Noureddine Expert en Management Public Tunis-Juillet 2004 DOMAINES PRIORITAIRES POUR L’INSTAURATION DE LA GOUVERNANCE DANS LES ORGANISATIONS PUBLIQUES DE L’ETAT EN TUNISIE La dernière décennie du deuxième millénaire de notre époque a connu deux évènements majeurs : - Une explosion des télécommunications et une montée irrésistible des performances des technologies de l’information. « L’accouplement » de ces deux technologies a enfanté à partir des années 1990 un support géant d’information et de communication à l’échelle planétaire appelé « réseau des réseaux » ou « Internet » annonçant ainsi l’entrée de l’humanité dans la société mondiale de l’information. - La chute du mur de Berlin dans les années 1990 a sonné le glas à la mission providentielle de l’Etat. A l’Etat providence s’est substitué l’Etat arbitre. L’instauration du nouvel ordre économique mondial avec ses deux corollaires la mondialisation et l’ouverture économique ont accéléré le processus de remise en cause des procédés de gestion des affaires publiques. Les concepts du management public de connotation anglo-saxonne ont fait leur apparition même dans les pays de culture francophone habitués aux règles du formalisme juridique et de l’organisation hiérarchisée. Ce brassage des cultures managériales et des systèmes de gestion a « sécrété » un nouveau mode de gestion des affaires de l’Etat appelé la gouvernance. Depuis son accession à l’indépendance en 1956, la Tunisie a mené avec succès une politique ferme et continue de promotion économique et sociale où l’Etat a joué un rôle clé, tirant le pays de la pauvreté et du sous développement économique et social en dotant le pays d’institutions modernes et efficaces. L’Administration a été au cœur de cette œuvre et a également joué un rôle de garant de la pérennité des institutions de l’Etat lors des plus graves crises qu’a traversé le pays à savoir la collectivisation de l’économie aux années 60 et lors la vacance du pouvoir pendant la maladie du président Bourguiba. Le changement politique intervenu en 1987 a accéléré le rythme de développement économique et social du pays hissant la Tunisie au rang des Etats économiquement émergeants avec comme palmarès selon les indicateurs fournis par les institutions spécialisées des Nations Unies, l’éradication de la pauvreté avec un niveau de développement humain (éducation et santé) très appréciable et l’atteinte d’un stade de développement économique respectable. La Tunisie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins pour sauter le « gap » qui la placera parmi les pays développés. A cet égard, l’Etat Tunisien se trouve aujourd’hui confronté à trois types de défis : - alors que l’Etat est invité à parachever l’œuvre du développement entamée depuis un demi-siècle par l’élimination irréversible des derniers goulots d’étranglement et handicaps qui gênent encore les efforts de rattrapage des pays développés, il est appelé, aujourd’hui à se dégager en faveur de l’initiative privée encore à l’état de maturation et de recherche. Le relèvement de ce défi dépendra de la nature du compromis entre les deux impératifs de l’interventionnisme et du désengagement. - Le deuxième défi découle de la taille de l’espace géographique et démographique de la Tunisie caractérisé par une exiguïté du marché ne favorisant pas la constitution d’opérateurs économiques privés dotés d’une taille d’économie d’échelle leur permettant d’affronter avec succès la forte concurrence des opérateurs étrangers tant sur le marché local que sur les marchés extérieurs notamment européens, rendue de plus en plus rude avec l’élargissement de l’Union Européenne aux pays de l’Europe de l’Est et avec l’agressivité commerciale dont font preuve les pays du SudEst Asiatique. Le textile et le tourisme Tunisiens sont directement menacés. Le relèvement de ce défi dépendra inéluctablement du positionnement des entreprises tunisiennes sur les créneaux d’activités porteurs et de leur capacité à s’étendre au-delà des frontières nationales. - Le troisième défi réside dans la maîtrise des technologies modernes et dans l’innovation sans lesquelles les performances attendues de l’économie seraient évanouies dans les méandres de la bureaucratie et des cloisonnements du formalisme administratif. Pour répondre valablement à l’ensemble de ces défis, l’Etat Tunisien a développé des stratégies et des politiques de management public tendant progressivement à rapprocher les organisations publiques des modes de gestion privée concourant ainsi à la fixation des contours d’un système spécifique de gouvernance des affaires publiques. Il n’est pas superflu à ce stade d’apporter quelques lumières sur la délimitation des contours de la notion de gouvernance qui pourrait être formulée comme étant l’ensemble des règles et des bonnes pratiques et des comportements judicieux observés par les différents intervenants dans la mise en œuvre des politiques publiques en vue de la réalisation des objectifs d’efficacité et d’efficience des programmes gouvernementaux. Malgré le caractère vague de cette définition, la science administrative appuyée par les outils à base de technologies de l’information est parvenue à élaborer des indicateurs d’appréciation de la qualité de la gouvernance et d’évaluation de ses performances. Les contours d’un tel système se préciseront encore mieux par la réalisation d’une série d’actions de rénovation profonde à la fois audacieuses et soutenues qui peuvent être focalisées autour des domaines prioritaires suivants : Première Domaine de priorités pour l’instauration de la gouvernance : La transformation des cadres juridiques et institutionnels Il est incontestable qu’une matière abondante a été élaborée dans ce sens durant cette dernière décennie, De textes juridiques ont été publiés et un nombre important d’institutions et de structures ont été assises. Comme principales dispositions juridiques nous citons principalement: - au niveau de la facilitation des rapports administrations et usagers, les décrets n° 89 –377 du 15 mai 1989 et le décret n° 93-981 du 3 mai 1993. - en matière de modernisation et de rationalisation de l’action administrative, le décret n° 96-49 du 16 janvier 1996 relatif au plan de mise à niveau de l’administration publique ainsi que les textes portant simplification des circuits, allégement des formalités administratives et les textes relatifs à la création des unités de gestion par objectifs ; - en ce qui concerne le renforcement de la décentralisation, la loi organique n° 89 –11 du 4 février 1989 et la loi n° 93-119 du 27 décembre 1993 relatives aux conseils régionaux et la loi organique n° 73-33 du 14 mai 1975 relative aux communes telle que modifiée par la loi n° 95-68 du 24 juillet 1995. - dans le domaine de la promotion de l’usage des TIC et spécifiquement des applications e-gov, le gouvernement Tunisien a pris l’initiative d’élaborer une série de textes législatifs et réglementaires destinés à favoriser l’usage des TIC et couvrant notamment les aspects suivants : - la valeur juridique du document électronique ; - la preuve des échanges électroniques ; - la valeur juridique de la signature électronique ; - la certification ; - la protection des données personnelles ; - l’archivage des documents électroniques administratifs ; Parmi les textes juridiques élaborés dans ce cadre, on peut citer : - La loi numéro 1-2001 du 15 janvier 2001 relative au nouveau code des télécommunications ; - La loi cadre numéro 2000-83 du 9 août 2000 relative aux échanges et au commerce électronique qui a traité de l’échange électronique des documents, de la certification électronique, des conditions de conservation et de restitution des documents électroniques, de la signature électronique et des moyens de paiement électronique ; - La loi n° 2001-50 du 3 mai 2001 relative à la création des parcs technologiques suivie des décrets portant création et fixant les modalités de fonctionnement des pôles technologiques - Le décret numéro 98-268 du 2 février 1998,fixant les conditions et les modalités d’octroi et de retrait des agréments pour l’exercice d’activités dans les domaines d’étude et d’entreprise de télécommunication ; - Décret n° 98-202 du 26 janvier, fixant les conditions et les modalités d’exploitation des centres publics des télécommunications et des centres publics des postes. - Décret n° 1233-99 du 31 mai 1999 relatif aux modalités de contrôle technique à l’importation et à l’exportation des produits informatiques. Un nombre élevé d’organismes et de structures ont été crées à cet effet dans différents domaines d’activités : les réformes administratives, les ressources humaines de l’Etat, la formation et le recyclage des cadres, la décentralisation administrative et économique, les relations avec le citoyen, la médiation et la justice administrative, les technologies des télécommunications et de l’Internet, la certification électronique, la sécurité informatique etc.… La richesse des dispositifs juridiques et institutionnels établis dans ce cadre n’est pas contrebalancée par des réalisations cohérentes et efficientes ayant un impact significatif sur le terrain à la mesure des attentes des acteurs économiques et du citoyen. Le bilan au niveau de l’application de ces dispositifs juridiques et institutionnels est largement mitigée car d’une part ces dispositifs juridiques orientés vers la gouvernance et la modernité ne présentent pas une allure structurée, cohérente et exhaustive et ne renferment pas en leur sein leurs mécanismes d’exécution et d’évaluation. D’autre part, la multiplicité d’institutions et d’organismes chargés de la mise en place de la gouvernance fonctionnent sans programmes d’activités préétablis, rigoureusement définis et sans mécanismes d’évaluation et de coordination entre eux. Des processus intimement liés comme les réformes administratives, la décentralisation, l’informatique, l’Internet, le paiement électronique, la certification ou la sécurité informatique sont traités pratiquement isolément par des organismes relevant de tutelles différentes. Cet émiettement d’activités constituant un tout car procédant d’un même processus transversal n’est pas de nature à favoriser les meilleures conditions d’efficacité dans la réalisation des objectifs souhaités dans ce domaine. Certains pays ont réglé le problème de la coordination interdépartementale en faisant superviser l’ensemble de ces structures et de ces fonctions par un ministère chargé de la modernisation du service public. La poursuite des projets de révision des cadres institutionnels et légaux dans le sens de leur adaptation aux impératifs majeurs du développement et de modernisation de l’économie et aux exigences de la nouvelle mission de l’Etat en tant qu’arbitre entre les opérateurs économiques, régulateur des mécanismes de l’économie du marché et garant de la pérennité des institutions devrait s’inscrire dans le cadre de la cohérence et de l’efficacité compte tenu de l’ampleur des mutations envisagées dans la structure de la société et dans la mission de l’Etat dont le rôle se limiterait à ses fonctions classiques liées à la souveraineté, la sécurité et à la représentation ainsi qu’à celles de l’investisseur des grands projets d’infrastructure économique et sociale. A cet égard, le recours aux services d’un observatoire juridique veillant à la prospection des innovations juridiques et légales, à leur formulation à leur mise en cohérence et à leur évaluation serait fortement recommandable. Deuxième domaine: l’optimisation des ressources humaines Il est évident d’affirmer que la réussite de toute mutation d’importance reste tributaire de la qualité des hommes qui la mettent en œuvre. La bonne qualification professionnelle des ressources humaines de l’Etat constitue une condition indispensable pour la mise en place des systèmes de gouvernance. Cette qualification est appréciée d’abord à l’entrée dans la fonction publique mais surtout le long de l’activité. Elle est conditionnée à la fois au niveau de la formation de base par la production de profils adaptés découlant d’une formation d’origine adéquate et ensuite d’une formation continue pertinente et ciblée mais également induite des comportements individuels. La Tunisie dispose d’un nombre important d’écoles de formation pour les services publics tels que l’ENA mais les programmes de formation et les profils formés par ces écoles doivent s’adapter de plus en plus au rythme de la vitesse des mutations économiques, culturelles et technologiques que connaît le monde évolué. Par ailleurs, les programmes de formation continue demeurent limités et à faible impact. Bien que les différents budgets publics prévoient systématiquement une rubrique destinée à la formation, sa proportion demeure insignifiante et négligeable et la capacité des donneurs d’ordre pour « consommer » les crédits y afférents reste hypothétique. La réussite de cette composante clé des systèmes de la bonne gouvernance publique passe par la mise en œuvre des programmes de qualification professionnelle et de formation continue de grande ampleur, systématique et régulière. Troisième domaine :Le renforcement de la décentralisation administrative et économique de manière à la rendre plus effective au niveau régional et local. Pour y parvenir, la Tunisie doit s’investir pour : - doter les structures décentralisées des ressources humaines à la fois qualifiées et dévouées. - réaliser un bon compromis entre les besoins d’autonomie des entités décentralisées induisant en leur faveur de larges marges de manœuvre et les besoins de centralisation pour garantir la cohérence et l’harmonie dans la formulation, l’exécution et l’évaluation des politiques nationales de développement. Les techniques de la remontée de l’information et des tableaux de bord nationaux à base d’outils TIC favorisent la réalisation de tels compromis. - favorisés le recours aux outils modernes de gestion à base de TIC tels que les systèmes de gestion par objectif et les techniques d’évaluation. Quatrième domaine : La transparence et l’observation de l’éthique professionnelle par les cadres dirigeants en adoptant une charte de bonne conduite et en imposant le respect des principes qui en découlent et peuvent conduire les autres à suivre l’exemple. La clarification des missions et la professionnalisation de la fonction publique par la mise en œuvre des pratiques d’élaboration et d’évaluation des programmes d’activités annuels pourrait contribuer à la réalisation de cet objectif. L’usage des systèmes de comptabilité analytique, des techniques d’évaluation, le recours aux missions d’inspection à connotation évaluative et préventive approfondirait de plus en plus les exigences de l’Etat de Droit et des institutions ainsi que l’utilisation à grande échelle des systèmes d’information ouverts à base d’outils TIC favoriserait une bonne transparence de l’action publique. Cinquième domaine de priorités : La mise en œuvre des programmes e-gouvernement : ou e-administration en tant qu’outil de modernisation des services publics et de l’économie et en tant que véhicule de la participation du citoyen à la vie publique. Une bonne mise en œuvre des programmes de e-gov est à même de fournir notamment : - une meilleure qualité des services rendus aux citoyens ; - une bonne transparence des transactions administratives ; - une mise en œuvre judicieuse de la décentralisation ; - une réduction des coûts de fonctionnement de l’administration ; - une bonne coordination des missions de l’Etat et un décloisonnement de ses services ; - un accroissement de l’efficacité et de l’efficience de l’action publique ; - la réduction du fossé numérique entre les différentes classes à l’intérieur de la société et vis à vis des pays étrangers. La Tunisie a identifié dix (10) projets dans le domaine du e-gov ou eadministration à savoir : . le e- paiement . l’école virtuelle . l’université virtuelle . la constitution des entreprises en ligne . l’état civil en ligne . la télé déclaration fiscale . le e-tourisme . la liasse unique . la sécurité sociale . le paiement électronique . la télé facturation Pour le pilotage de ce programme, une commission technique de l’administration communicante a été instituée au niveau du Premier Ministre ainsi qu’une commission interministérielle présidée par le Premier Ministre. Malgré quelques percées appréciables enregistrées par la Tunisie dans ce domaine, les performances en matière de e-gov demeurent timides et en deçà des ambitions et des attentes du citoyen. Il apparaît clairement que la Tunisie a plusieurs longueurs à rattraper pour combler le retard enregistré dans ce domaine par rapport à d’autres nations que la Tunisie paradoxalement dépasse au niveau des indicateurs de développement économique et humain. A notre avis, ce retard est imputable à une multitude de facteurs endogènes ou exogènes dont principalement : 1- le recours aux TIC ne découle pas souvent d’une logique des besoins des acteurs économiques et de ceux de la société civile. Une problématique de motivation pour le recours aux outils TIC se pose. 2- l’effet « gadget » est perceptible quand il s’agit de la construction des sites web de publication à caractère purement informationnel sans véritable « back office » qui renferment les bases de données utiles à la fourniture de services effectifs et performants au public. 3- le recours aux outils TIC ne découle pas souvent d’une vision du « retour sur investissement » ou d’objectifs de performance. Il arrive souvent que le recours aux TIC génère des surcoûts de fonctionnement n’induisant que de faibles effets de facilitation, de simplification ou de performance. 4- la faiblesse du secteur des sociétés de services et d’ingénierie du logiciel et du « contenu » d’une façon plus générale due à son émiettement et à sa déconcentration. Cette faiblesse pourrait être remédiée d’abord par l’élaboration de dispositions légales relatives à l’éthique professionnelle en matière des projets TIC à l’image des cadres juridiques existants définissant les conditions de réalisation des projets de bâtiments civils et d’infrastructure publique et notamment le partage des rôles entre le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et les bureaux de contrôle et en deuxième lieu par le renforcement du rôle des donneurs d’ordre publics dans le domaine des TIC de manière à les amener à bien identifier leurs besoins, à être capable de les formuer et à disposer d’une capacité de maîtrise et de gestion des projets NTIC. Le secteur des sociétés de service et d’ingénierie « informatique » (SSII) doit pouvoir atteindre un niveau de maturité technique et organisationnelle suffisant pour leur permettre de réaliser les grands projets NTIC avec les niveaux de performance requis. 5- La timidité des refontes institutionnelles de type organisationnel, managériale et comportemental accompagnant les projets NTIC. 6- La faiblesse des mécanismes de coordination, d’interopérabilité et de normalisation des projets NTIC. de maîtrise, Sixième domaine de priorités : La conduite d’une refonte profonde des règles de fonctionnement de l’administration et la reingénierie des processus de travail dans les services administratifs qui doivent accompagner la migration progressive de l’administration des systèmes administratifs francophones formalistes et hiérarchisés vers les systèmes de management public pragmatiques et ouverts inspirés des modèles anglo-saxons. Des paradigmes et des concepts tels que la gestion participative par objectifs, l’organisation mouvante, la gestion de la qualité et de la satisfaction, la réactivité, la transversalité, le travail collaboratif en réseau, les raccourcissements des lignes hiérarchiques, le partage et l’échange, la communication, la gestion de l’image de marque et de la satisfaction, l’efficience, l’intégration des processus, l’externalisation, la dématérialisation, la gestion de la connaissance, la fiabilité et la pertinence des indicateurs, la capitalisation, etc… doivent progressivement entrer dans les mœurs et enrichir la culture managériale des dirigeants et des responsables. Le recours à des techniques et outils comme la planification stratégique et opérationnelle, le pilotage, l’aide à la décision et les tableaux de bord, la comptabilité analytique, les centres d’appels, les services en ligne, les guichets virtuels, les systèmes d’information intégrés, la délégation, les calculs d’impact, le réingéniering des processus etc….doivent être courants. Sans aller jusqu'à prôner la déréglementation chère aux dirigeants républicains des Etats Unis d’Amérique, il n’en demeure pas moins utile d’alléger substantiellement les dispositifs juridiques en vigueur pour en faire des cadres de travail appropriés pour le développement de l’initiative et de la responsabilité et éviter de faire dépendre la vitalité de l’administration du paradoxe de cette administration traversée par un perpétuel conflit entre les règles juridiques formelles qui fixent son statut et son mode de fonctionnement d’une part et leur permanente transgression qui assure les conditions de son équilibre d’autre part. Septième domaine de priorité : l’optimisation des performances de l’infrastructure des télécommunications et de l’Internet et la diffusion de la culture numérique Malgré un effort indéniable dans la couverture territoriale par les réseaux de télécommunications (un tunisien sur trois dispose du téléphone) et dans l’extension de l’usage de l’Internet, certaines insuffisances notamment au niveau du réseau Internet persistent : - la vitesse de la bande passante au niveau de l’internationale est jugée trop faible pour une économie qui se veut ouverte sur les marchés extérieurs particulièrement européens et compétitive par rapport à la concurrence des pays de l’Europe de l’Est et des pays Asiatiques. - les handicaps à l’interopérabilité des systèmes et des réseaux. La mise en réseau de l’information lui donne de la valeur ajoutée en la rendant accessible à un groupe plus large d’individus, d’entreprises, de marchés et de gouvernements tant au niveau local qu’international. Ces réseaux impliquent que les mesures envers l’interopérabilité des systèmes (télécommunications, paiement électronique, back office etc..) deviennent de plus en plus effectives. -La faiblesse du contenu véhiculé à travers ces réseaux : La problématique ne réside pas seulement dans la nécessité de disposer de réseaux de télécommunications performants mais surtout dans les capacités de véhiculer des trafics de contenu proportionné. Rien ne sert à disposer d’autoroutes rapides si l’on ne peut acheminer un trafic de transport de véhicules conséquent. La mise en réseau de système d’informations à contenu pertinent ayant un impact sur les performances économiques et sur les facilitations fournies aux citoyens constitue l’autre facette de la problématique. L’industrie du logiciel et du contenu ne pourrait se développer sans qu’il y ait un besoin exprimé à partir d’une culture numérique et un réflexe de recours aux outils TIC manifesté chez les opérateurs économiques et la société civile. Il est tout à fait admis que la pression en faveur de l’usage des TIC provient soit : - des opérateurs économiques locaux ou extérieurs soumis à de fortes contraintes de compétitivité. - des composantes de la société civile (associations et collectivités) confrontées à des besoins quotidiens de facilitation et de transparence. - de l’Etat représenté par l’Administration. Cette pression pourrait venir à la fois des trois sources précitées. Pour le cas de la Tunisie, le secteur économique autre que celui lié à l’Etat se comporte très souvent d’une manière officieuse et souterraine et fait appel très rarement à ce genre d’outils. Ceci est clairement perceptible dans le secteur du commerce. Une bonne frange de la population locale ignore l’existence même de ces outils. Le rôle des composantes de la société civile dans ce domaine demeure encore faible. Seul l’Etat peut suppléer cette lacune et continuer à promouvoir l’usage de ces outils auprès des opérateurs économiques et du citoyen et favoriser l’émergence d’une véritable culture des TIC à travers des programmes nationaux pertinents et régulièrement évalués et ajustés. La culture de la limitation des naissances et du planning familial dont est imprégnée aujourd’hui la société tunisienne n’a été possible que grâce à l’intervention massive et soutenue de l’Etat. Il en est de même aujourd’hui de l’usage des TIC. La récompense de l’utilisation efficace des technologies de l’information est la croissance rapide aussi bien au niveau local qu’au niveau international et notamment en ce qui concernent les échanges commerciaux. Les cadres d’actions peuvent être similaires pour tous les pays mais l’application est spécifique à chaque pays. Les leçons tirées des expériences des uns et des autres et les bonnes pratiques relevées ici et là peuvent guider les planificateurs et stratèges dans cette œuvre innovatrice. Huitième domaine de priorités : la maîtrise de nouvelles technologies et la promotion de l’esprit d’innovation La structure de l’économie nationale fait de l’Etat le principal donneur d’ordres et le prépondérant investisseur dans le domaine des NTIC. Par conséquent la promotion des nouvelles technologies passe d’abord par la mise sur le marché de projets mobilisateurs et innovants et la réservation d’enveloppes d’investissement conséquentes et ensuite par une bonne structuration des missions chargées des TIC et des innovations domaines intimement liés. Nous citons à ce propos particulièrement l’émergence des fonctions de maîtrise d’ouvrage pour la réussite des projets TIC et la fonction d’infogérance qui assure une externalisation compacte d’une façon partielle ou totale de l’activité informatique y compris dans l’exploitation des systèmes. Cette orientation est particulièrement intéressante pour le contexte tunisien constitué d’entreprises et d’organisations de petite et de moyenne taille qui rend l’appropriation de ressources humaines propres coûteuse et superflue. L’enjeu que représente aujourd’hui les TIC pour l’Administration conduit à repositionner l’informatique au cœur de l’organisation et amène à encourager la participation des responsables informatiques à la définition de la stratégie de l’entreprise. Le passage des structures TIC du statut de centre de coût à celui de centre de profit/investissement traduit un remplacement de la vision comptable par une vision stratégique. Ce changement se manifeste aussi par une réorganisation globale de la fonction informatique. Après un mouvement de décentralisation de l’informatique avec la diffusion des micro-ordinateurs et des réseaux locaux, on constate aujourd’hui une tendance à la recentralisation de la fonction, facilitée par la mise en place de standards et d’architecture de type réseau et « client léger ». Les organisations sont à la recherche d’un équilibre entre la centralisation, la standardisation informatique et la souplesse à laisser aux unités opérationnelles pour adapter les outils à leur contexte et besoins locaux. Au-delà des fonctions traditionnelles de production et d’exploitation, la fonction informatique doit intégrer aujourd’hui de nouvelles missions. La première cible de cette mission pédagogique est l’encadrement. L ’équipe informatique doit lui apporter l’information nécessaire pour le rendre capable de comprendre et d’anticiper les changements en expliquant les évolutions en cours, en montrant l’impact des changements technologiques, en proposant un cadre de développement à moyen et long terme et en les incitant à l’innovation et à la créativité. Ceci suppose que soit menée une activité importante de veille et de diffusion de l’information. Des exemples de mises en œuvre –initiatives de partenaires ou d’expériences étrangères sont les bienvenues pour illustrer les possibilités offertes par les TIC. L’équipe informatique et innovation doit jouer en interne un rôle de facilitateur en encourageant et facilitant les projets TIC innovants : Former les utilisateurs à des démarches itératives d’expérimentation, évaluation, correction-, encourager et organiser la coopération des différents centres de décision autour des projets, mener des actions fortes de communication autour des expériences menées (success story). Ceci implique également une capacité et un effort tout particulier de l’équipe informatique et innovation pour capitaliser les diverses expériences TIC menées. Elle doit être capable de produire des recommandations aux départements souhaitent se lancer dans un projet TIC, en s’appuyant sur les retours d’expérience dans les organismes locaux et étrangers. La fonction système d’information et innovation doit avoir un rôle actif dans le management global de l’information dans l’organisme en lien étroit avec les directions opérationnelles. La fonction « architecture du système d’information » tient désormais une place centrale au sein des structures TIC. Elle a pour mission d’établir et de tenir à jour la cartographie fonctionnelle des applications et des données. Coté études aussi, de fortes évolutions s’opèrent. Les projets TIC requièrent la mise en œuvre, sous le contrôle et en liaison étroite avec la maîtrise d’ouvrage, d’une méthodologie de conduite de projet non traditionnelle en ce sens qu’ils obligent à : - sortir des schémas hiérarchiques classiques par la mise en œuvre d’une véritable démarche projet, par la constitution d’équipes plus réduites mais transversales mobilisant des expertises diverses et complémentaires. - produire vite et avec une bonne réactivité collective - travailler par processus de conception et de développement itératif (le produit final est ajusté progressivement pour tenir compte des réactions et suggestions des utilisateurs. - associer les utilisateurs. Cette contrainte est d’autant moins évidente à prendre en compte qu’une nouvelle catégorie d’utilisateurs apparaît avec l’ouverture des systèmes d’information sur le web : le grand public. Une restructuration profonde dans ce sens des services chargés de l’informatique et de l’innovation dans le secteur public est une revendication d’intérêt majeur. Conclusion : Pour réussir le défi de la bonne gouvernance, la Tunisie dispose d’un nombre appréciable d’atouts tels qu’un bon niveau de développement économique et humain, une infrastructure de base moderne et des ressources humaines qualifiées. Toutefois pour gagner ce pari, la Tunisie doit mettre en œuvre la stratégie de la gouvernance dans un cadre cohérent et avec une approche projet. A cet égard, la démarche de management stratégique et du pilotage opérationnel du projet d’instauration de la bonne gouvernance serait recommandable au gouvernement tunisien. Cette approche purement technique devrait s’enrichir par une bonne animation de la vie publique et s’accompagner par la diffusion des bonnes pratiques auprès des cadres dirigeants et des responsables.