Sociologie des quartiers sensibles Avenel
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Sociologie des quartiers sensibles Avenel
SIMON Lise HK3 FICHE DE LECTURE : Cyprien Avenel, S ociologie des quar/ers sensibles, Armand Colin, coll. 128, 2010 (3ème édiKon) « Ces quar)ers que l'on dit « sensibles » et qui tendent à être définis comme des ghe<os, cons)tuent le problème social et poli)que par excellence de la société française. Exclusion, violences urbaines et délinquance des jeunes, insécurité, repli communautaire, démission des familles... autant de thèmes qui alimentent le discours ambiant. Sur le sujet, les témoignages, de valeurs diverses, abondent, les polémiques foisonnent et les pouvoirs publics tentent de « cibler leur interven)on. » PARTIE 1 : La consKtuKon d'un problème social I. La naissance du « problème des banlieues » L'appariKon des banlieues, soit la construcKon massive des cités de grands ensembles, est le fruit de l'urbanisa/on accélérée que connaît la France de l'après guerre. Si bien que le problème social des années 1950-‐1970 est d'une tout autre nature vis à vis de l'actuel. Il était auparavant lié à l'urbanisme fonc/onnel (problème du logement, du cadre de vie, du mode de vie) : la raKonalité industrielle qui en ressort est alors très criKquée. De graves incidents, avec morts d'hommes, dits racistes, et la marche des « beurs » pour l'égalité sont autant de violences média/sées qui marquent la rupture du début des années 1980. Rupture sans avant et sans après, mais avec une certaine conKnuité : ces incidents ne font que rendre plus visibles des processus déjà idenKfiés. On affirme dès lors alors une « nouvelle pauvreté », mal intégrée. Un lien est fait entre le « problème des banlieues » et celui l'immigra/on. L'idée de ségréga/on apparaît dans les années 1990. La quesKon de l'exclusion est peKt à peKt remplacée par celle de l'insécurité : le terme de « violences urbaines » apparaît. Aujourd'hui, la quesKon des banlieues est très en vogue car elle semble rassembler tout les maux de la société : chômage, délinquance, échec scolaire, immigraKon... Les banlieues françaises sont devenues u n mythe, des « zones de non droit ». La jeunesse des quarKers est totalement s/gma/sée. Parler de « jeune des cités » nous renvoie immédiatement à « jeune à problèmes » alors que ceee jeunesse est très hétérogène. SimplificaKon, généralisaKon, sKgmaKsaKon marquent le discours social au sujet des banlieues. L'uKlisaKon du mot « banlieue » traduit bien une approche généralisante. Ce terme désigne normalement l'ensemble de la périphérie urbaine. Or aujourd'hui il ramène seulement aux cités HLM, o ù vivent 15% de la populaKon urbaine, ayant acquis une réputaKon naKonale, oubliant toute disKncKon avec les zones de loKssements pavillonnaires, ou les zones d'industrie, périphériques. Le problème des banlieues renvoie donc à une muta/on de la société française dans son ensemble. Il ne s'agit pas ici d'expliquer son fondement en retraçant l'actualité. De plus, face à une forte sKgmaKsaKon, à une approche immédiate du phénomène pleine de raccourcis et d'amalgames, le sociologue doit prendre une distance vis à vis des images convenues. Il doit s'éloigner d'idées trop simples de la quesKon, la démythifier et faire ressorKr la pluralité des processus et des facteurs explicaKfs. C'est le passage du problème social au problème sociologique. L'analyse du « problème des banlieues » se fait alors suivant deux approches complémentaires. Le senKment d'insécurité n'est pas seulement une construc/on mentale, sociale, poliKque, mais aussi une situa/on réelle, objecKve. Il s'agit de considérer que les habitants « ont des problèmes et qu'ils sont un problème ». Pour ce faire, deux approches sociologiques sont uKlisées. L'analyse dite « réaliste », « objec/viste », suivant le précepte Durkheimien, complète ici l'approche « construc/viste », qui place au premier plan la concepKon que les individus se font de la société. L'analyse de ces quarKers requiert aussi de les définir. La citaKon de Bourdieu de 1993 : « Les lieux dits « difficiles » sont d'abord difficiles à décrire et à penser », s'applique parfaitement à notre étude. Les noKons de « quarKers défavorisé », « chauds », « en difficulté »... sont fort négaKfs et surtout pas neutres. Ils traduisent le recouvrement incertain entre problèmes sociaux et enclavement géographique. On ne peut pas non plus parler de quarKers populaires où les ouvriers et employés sont majoritaires. Parler de quarKers pauvres reviendrait à s'accorder sur la n oKon relaKve de pauvreté (et la plupart des pauvres ne vivent pas dans ces quarKers). Bref, la réalité probléma/que semble échapper à l'analyse. On constate déjà un décalage entre les images généralisantes et la parKcularité des situaKons locales. Mais le principe de définiKon n'est peut être pas nécessaire pour ce concept, bousculé par l'observaKon empirique. 1) I. La concentraKon spaKale des inégalités sociales La ségréga/on spa/ale, qui assimile la hiérarchie spaKale à la hiérarchie sociale, existe depuis toujours dans les villes. Elle va à l'encontre d'un idéal de mixité sociale. Toutefois se phénomène semble s'amplifier dans les extrêmes et les « laissés pour compte » s'agglomèrent dans certains quarKers. Ces quarKers sont notamment les ZUS (Zones Urbaines Sensibles) : cibles de la poliKque de la ville. Elles sont 751 en France et représentent 7,6% de la populaKon. Elles se démarquent des métropoles dont elles dépendent par l'accumulaKon d'indicateurs de difficultés sociales. Les jeunes de moins de 25 ans, les familles nombreuses ou monoparentales, les individus de naKonalité étrangère y sont beaucoup plus nombreux. De même le taux de chômage, le nombre d'emplois précaires, le nombre d'individus sans diplômes y sont deux fois plus élevés. La catégorie socioprofessionnelle dominante est celle des employés et des ouvriers (56,3%). De ce fait, les ZUS connaissent une grande précarité financière : un ménage sur cinq y vit sous le seuil de pauvreté (contre un sur dix dans le reste de la France), beaucoup sont bénéficiaires des aides sociales. Si ces quarKers concentrent les difficultés, ce ne sont pas des espaces homogènes, ils diffèrent entre eux. Ainsi les anciennes cités ouvrière des villes minières du nord et de l'est ne ressemblent pas aux grands ensembles issus de l'urbanisaKon de l'après guerre. Les quarKers sensibles ne sont pas que des HLM de banlieue mais se trouve aussi au centre des villes. De la même manière, bien que tout les habitants aient des revenus faibles, certains sont issus d'un emploi stable, d'autres ne font que transiter. Notamment chez les jeunes, où, en foncKon de l'origine sociale des parents, on disKngue trois groupes : les socialement « i ntégrés » (emploi stable), les « p récaires » (instabilité de l'emploi, délinquance occasionnelle), les « rouilleurs » (senKment d'exclusion par le chômage et le racisme, délinquance). Les situa/ons par/culières sont donc mulKples et les situaKons extrêmes ne touchent qu'une minorité. La noKon généralisante « d'exclus » ne convient pas. La straKficaKon sociale des quarKers est d'autant plus subKle qu'il existe des « sous quarKers », des formes de microségraga/on jusqu'aux cages d'escalier. « Plus on diminue l'échelle géographique d’observaKon, plus les clivages sociaux entre les populaKons augmentent » nous dit Avenel. En effet les poliKques de peuplement s’appuient sur le principe de mixité. Ainsi les secteurs où «personne ne veut habiter » s'établissent à plus peKte échelle. La ségrégaKon doit aussi être appréhendée de manière qualitaKve. La confrontaKon du global et du local est nécessaire. I. Le système ségrégaKf français Au delà de constater une ségrégaKon spaKale, il faut analyser les mécanismes qui la causent. Pour trouver ces dernières, il s'agit de sorKr des quarKers et de s'intéresser à la société française de façon plus générale. Le « problème des banlieues » a pour origine des facteurs collec/fs et individuels : les processus de l'emploi, des poliKques de logements, de la place des immigrés, et les effets sociaux de leur concentraKon. Le chômage de masse, la précarité de l'emploi, résultants de la crise des années 1970 a touché parKculièrement les ouvriers et employés les moins qualifiés, soit les « quarKers sensibles ». Ce chômage tend à perpétuer une dynamique interne de reproduc/on au sein de ces quarKers. Les individus intériorisent la situaKon de l'emploi : leur rapport à l'emploi est modifié. Les jeunes, notamment, sont privées de perspecKves crédibles d'intégraKon. Le chômage devient pour eux une modalité. Il fi ge ainsi les populaKons et se développe de façon cumula/ve dans le temps et dans l'espace. Les poliKques de logement social menées depuis la Seconde Guerre mondiale ont menées à la construcKon de 195 Z UP (Zones à Urbaniser en Priorité) de plus de 2 millions de logements entre 1958 et 1973. Ces logements bons marché, construits rapidement, en grande quanKté, répondent à la croissance économique et démographique des villes. C'est dès lors une solu/on. L'appartement est symbole de l'amélioraKon du niveau de vie, du confort moderne. Les années 1970 changent la donne en passant à une logique qualitaKve de gesKon du peuplement. La loi Barre (APL, 1977) permet l'accès au logement de ce qui en était auparavant exclus. Ainsi, les familles des classes moyennes laissent leur place à une popula/on plus en difficulté. Le plein emploi rendait le HLM appréciable, emprunt d'un certain confort. Ce dernier devient ensuite un lieu où vivent ceux qui n'ont pas de place ailleurs. Aujourd'hui les « quarKers sensibles » sont assimilés à des « quar/ers d'immigrés ». Le problème des « quarKers sensibles » est il associé à la quesKon de la discriminaKon raciale ? Seulement la quesKon de l'immigraKon ne concerne plus des nouveaux venus. Les familles immigrées sont maintenant intégrées dans la société française, intégrées aux standards de la société de consommaKon. On ne parle plus de « travailleurs immigrés » mais de « minorité ethnique ». Ceee minorité se sent toutefois rejetée de la vie économique et sociale. Et bien qu'en théorie les différences ethniques soient neutralisées, il existe un sur chômage des populaKons immigrées qui sont de ce fait concentrées dans les quarKers d'habitats populaires. L'analyse de la discriminaKon raciale est complexe car elle réside dans des processus indirects. Toutefois, la discrimina/on à l'embauche est certaine et consKtue d'ailleurs le leitmoKv des jeunes des cités. De plus, ces mécanismes de recouvrement entre chômage et discriminaKon raciale peuvent se renforcer avec la concentra/on spa/ale. Le soupçon du gheOo pèse sur les « quarKers sensibles » français. Le terme de gheeo a eu plusieurs significaKons. Il est aujourd'hui assigné à une zone de concentra/on de l'exclusion, à la populaKon ethniquement homogène, formant une microsociété. La comparaison avec les gheeos noirs américains est dès lors très exploitée par les sociologues. Alors que les phénomènes de violences urbaines et de délinquance amènent à un rapprochement, il existe une différence évidente de degré : le gheeo noir américain est mono-‐racial et clos sur lui même, alors qu'en France l'interven/on de l ’État et la poli/que de la ville ne permeeent pas de parler des « oubliés de la France ». Toutefois, l'évoluKon récente des « quarKers sensibles » français est un accroissement de la ségrégaKon et une certaine fermeture sur eux même. La non intégraKon, qui produit une non assimilaKon culturelle, forme elle alors le gheeo ? La quesKon du gheeo doit laisser sa place à celle de l'intégra/on des quar/ers mul/culturels dans la société. I. La sKgmaKsaKon des banlieues La banlieue véhicule une image fort néga/ve. Elle est associée à la délinquance, à l'insécurité... Ceee représentaKon a été construite collecKvement, par l'intermédiaire des médias, et a été renforcée par des travaux sociologiques. Le rôle et l'influence des médias sur la percepKon de la quesKon est difficile à cerner. Ces derniers ont souvent amplifié et dramaKsé le problème. On pourrait ainsi penser que, face à un public amateur d'étrangeté et d'exoKsme, ils s'éloignent du monde réel en proposant une approche spectaculaire des quarKers. La Presse et la télé ne fourniraient alors que des stéréotypes journalis/ques afin d'exploiter commercialement le senKment d'insécurité. Ils « construiraient » ainsi eux même le problème. Toutefois, la banlieue ne serait pas aussi médiaKsée si elle n'était pas le lieu de tant de violence. Les médias ne sont pas neutres, ont leur part de responsabilité dans la diffusion de la peur. Cependant, un problème objec/f ne s'oppose pas à une informaKon subjecKve. Les journalistes font parKe de la réalité qu'ils exploitent à parKr d'images réelles. Ils enregistrent des informaKons faisant écho au débat. Leurs informaKons sont le « symptôme de la réalité sociale ». Le problème des banlieues résulte donc plutôt d'une co-‐construc/on du problème par une pluralité d'acteurs. L'analyse des arKcles de presse parus dès 1981 fait apparaître une évolu/on dans le traitement média/que de la violence et de la délinquance. Dans les années 1980, la quesKon des violences va de paire avec celle de l'intégra/on des immigrés. En 1990, la banlieue se « réveille ». Les arKcles de presse se mulKplient et les quarKers apparaissent comme des territoires à la dérive. Dès 1997, il s'effectue un basculement. Le problème est porté sur la scène publique et prend la forme d'un triptyque « banlieue/ violence/jeunes ». De nombreux acteurs s'en esKment vicKmes : maires, syndicats de la RATP, enseignement, police... Un consensus se crée, les jeunes sont considérés comme « non éduqués ». La nuit de la Saint Sylvestre à Strasbourg accentue le processus et la quesKon des banlieues devient un enjeu poliKque majeur. L'inquiétude morale n'est plus formée par la détérioraKon des condiKons de vie dans ces quarKers mais par la croissance des comportements « anKsociaux » : on passe du « problème de société » au « fait divers ». Médias et débats publiques amènent à la sKgmaKsaKon. Les français éprouvent le plus souvent de la piKé ou de la peur envers les habitants des banlieues. D'autant plus qu'ils n'entreKennent aucun lien avec eux, mis à part la presse. La violence « à distance » fixe alors la s/gma/sa/on. Les historiens, comme Fourcaut, démontrent que les logiques de ségrégaKon et de sKgmaKsaKon sont permanentes dans le temps et l'espace. La mauvaise image des « quarKers sensibles » résulte d'une longue histoire de percep/ons stéréotypées. Dès le XIIème siècle le terme de banlieue apparaît. Il désigne un espace juridique autour de la ville, sur lequel s'exerce le droit de « ban », qui accueille des populaKons marginalisées. Au XIXème, l'industrialisaKon naissante laisse place à l'extension des faubourgs en « banlieues industrielles ». La ségrégaKon ne se fait plus verKcalement mais horizontalement, par quarKers. Paris illustre bien ce phénomène avec ses quarKers populaires des faubourgs et de la banlieues industrielle où se concentrent les ouvriers. Au sein de ces quarKers, la « zone », accueillant les franges les plus pauvres du monde ouvrier, se disKngue. Elle est fortement sKgmaKsée et, encore aujourd'hui, ce mot est uKlisé pour désigner des quarKers marginalisés. Depuis toujours la banlieue pauvre semble consKtuer une menace pour la ville riche. Comme le dit Avenel : « Les problèmes d'inégalités sont transformés en problèmes de déviance, les problèmes sociaux en problèmes de personnalité ». PARTIE 2 : Les stratégies de luee contre la ségrégaKon et la sKgmaKsaKon I. De la sKgmaKsaKon territoriale aux stratégies de disKncKon sociale Les habitants des « quarKers sensibles » ont largement conscience de leur mauvaise réputaKon. Seulement ceee sKgmaKsaKon, intégrée par les habitants, devient ainsi le fruit d'une logique interne. En effet, en plus d'affecter les relaKons aux autres, elle affecte le rapport à soi. Si bien que, lors d'une enquête sociologique, les jeunes garçons auront tendance à incarner de façon caricaturale le rôle qu'ils pensent qu'on aeend d'eux. Cela avant de dénoncer un sen/ment d'injus/ce, et de se placer en vicKme d'une image négaKve diffusée par les médias. En effet, ceee sKgmaKsaKon rend difficile l'accès à l'emploi pour de nombreux jeunes des quarKers. Une forte méfiance s'instaure dans leur relaKon avec le monde social. La violence verbale et comportementaliste prend place, chez certains, face à une violence économique et symbolique. Les adultes aussi dénoncent avant tout la mauvaise réputaKon de leur lieu de vie. Si bien qu'ils semblent s’accommoder de leur cadre de vie. Ils déplorent le fait que les commerces et entreprises ne viennent s'y installer. Toutefois ceee mauvaise réputaKon n'est pas vécu de la même façon par tout les habitants. Les personnes de passage, ayant un emploi stable, ne se reconnaissent pas dans une image dégradée d'elles même. Tandis que pour les personnes en difficultés, la cité est une situaKon non choisie, une chute symbolique. Elles souhaitent quieer le quarKer dès que possible. Elles semblent éprouver de la honte à y vivre. La sKgmaKsaKon résidenKelle engendre des aVtudes ambivalentes. D'une part, elle se traduit par le rejet des lieux, un soucis constant d'y échapper. On se repli sur la sphère privée familiale pour ne pas être associé à son voisinage. Chacun reporte le s/gmate sur l'autre et n'hésite pas à le renforcer pour mieux se démarquer. D'autre part, elle se traduit par une réacKon de défense des lieux. Les individus ont une vision plus posiKve et criKquent une réputa/on injus/fiée. Le quarKer est bien plus dénoncé parce que sKgmaKsant que parce qu'il ne fait pas bon y vivre. Souvent, la famille est présentée comme « l'espace qui permet de résister au senKment de vulnérabilité sociale ». Elle semble garanKr un certain équilibre. En tant que foyer des relaKons affecKves, c'est le lieu d'épanouissement individuel. La famille a un rôle d'amor/sseur important des conséquences du chômage. En effet, la société de consommaKon impose une norme de référence, et ne pas pouvoir s'y conformer provoque le senKment d'être mis à l'écart du système. Ainsi les relaKons sociales se rétractent chez les individus les plus pauvres, au p rofit d'un repli sur la sphère familiale. Toutefois, même au sein de la chaleur inKme du foyer, le chômage et la précarité de l'emploi instaurent une certaine froideur. I. Modes de vie et sociabilité en banlieue Dans les « quarKers sensibles », les individus les plus isolés, économiquement ou socialement, voient leur univers se réduire à leur lieu de résidence. Ils forment alors des liens d'entraide et de sou/en psychologique. Ces derniers se forment en foncKon suivant des critères (âge, sexe, origine) et le rapport à l'emploi. Les habitants les plus pauvres développent des liens de proximité plus intenses. Pour cause, réduits de l'ampleur et de la diversité des relaKons sociales, ils ont une sociabilité « contrainte » au sein de leur quarKers, où leurs rencontres quoKdiennes sont plus fréquentes. Leurs relaKons amicales sont des rela/ons de voisinage. Ces relaKons sont basées sur l'échange de biens et de services concernant la vie quoKdienne. Elles forment une sorte de protecKon et pallient ainsi aux conséquences néfastes du chômage. Un jeu de dons et de contre dons se met en place, dans le même temps qu'un système d'obliga/ons réciproques. C'est alors un jeu de ruptures et d'alliances qui anime les relaKons des cités. Les ragots et les rumeurs deviennent des instruments de régula/on car la réputaKon de chacun consKtue son capital social. Ce dernier hiérarchise les individus. Au delà d'un aspect conflictuel, ce système a un enjeu iden/taire : le jeu des relaKons consKtue une échappatoire à la sKgmaKsaKon. Aussi, les habitants sont souvent très aOachés à leur quarKer. Ils y ont pris leurs habitudes, établi leurs amis. De plus les relaKons de solidarité sont favorisées par l'origine culturelle : un parcours d'immigra/on commun. De la sorte des associaKons diverses existent, qui font œuvre de social pour des acKons collecKves : souKen scolaire, animaKons... Ceee vie de quarKer n'empêche en rien un cheminement d'intégra/on extérieure, comme en témoignent l'amélioraKon des condiKons de vie de la femme maghrébine : hausse acKvité professionnelle, baisse fécondité... En effet, pour les immigrés, il y a un aeachement à la fois au pays d'origine et au pays d'accueil. Les familles se « bricolent » une idenKté, se préservent un univers propre afin de parKciper au maximum à la société d'accueil. Acteurs de leur quarKer, ces ménages sont toutefois souvent qualifiés de « communautaires » par les français. Ces derniers, démunis de relaKons de proximité, les voient comme une menace, comme « du racisme à l'envers ». Certains sont dès lors la source de récriminaKons racistes. Malgré la théorie : une tolérance idéologique, la praKque laisse place à une intolérance dans les vie quoKdienne. Certains prédicateurs musulmans s'établissent en tant que travailleurs sociaux dans les quarKers. Pour certains, l'islam est vu comme un agent de préven/on des désordres sociaux, pour d'autres, comme u n disposi/f idéologique radical, menant à la division. Au delà de ces sKgmates, l'islam n'est pas un courant homogène, c'est avant tout une praKque individuelle. Une pra/que individuelle remise au goût du jour par les jeunes des cités. Cet adhésion s'explique par la volonté de sorKr de l'enfermement, de la marginalisaKon. Elle semble redonner une dignité. L'islam a un rôle de plus en plus idenKtaire. Toutefois l'explicaKon de l'entrée des jeunes en religion ne peut se réduire à la ségrégaKon. La praKque de l'islam est avant tout une quête existenKelle : l'homme devient l'auteur de sa propre vie. La segmenta/on « ethnique » s’intègre même dans les relaKons sociales. Si bien qu'une opposiKon entre « français » et « maghrébins » est constaté aujourd'hui. Toutefois ce racisme ne vise plus un ennemi mais un rival dans la reconnaissance du statut de vic/me. La « race » devient alors un critère qui organise les quarKers. Ainsi les jeunes entreKennent des rela/ons conflictuelles avec la police, le système éducaKf... Une lecture ethnique des problèmes sociaux semble s'imposer. Seulement il ne faut pas confondre « ethnicité », phénomène de mise en avant de ceee catégorie dans la percepKon de soi et des autres, et « groupe communautaire », ou « groupe ethnique ». Ainsi la «culture beur», les «Arabes» ou les «Blacks» reposent sur un bricolage iden/taire, une ressource stratégique afin de retourner le s/gmate vers la fierté. Le terme de « minorité » renvoi plus à l'expérience d'une condiKon sociale qu'à celle d'une culture. D'autant plus que les habitants des « quarKers sensibles » ont la tête dans l'univers culturel des classes moyennes. Ils ne se reconnaissent guère comme une classe sociale à part. Ils aspirent ainsi au même style de vie, basé sur le souci de la personne et la quête de l'autonomie personnelle. Le problème est qu'ils ne disposent pas des moyens économiques d'y parvenir : ils ont les « pieds » dans la précarité économique. L'échec devant l'idéal peut se transformer en senKment de mépris. Les problèmes sociaux se transforment en problème personnel. Pour faire face à des difficultés, une forme de « discrimina/on posi/ve » se met en place dans certains milieux professionnels. On privilégie le recrutement des gens « du milieu ». Bien que cela contribue à renforcer la séparaKon entre les populaKons, ceee logique a permis à beaucoup de sorKr de l'inacKvité. I. Les jeunes des cités L'analyse de Avenel sur le monde juvénile des cités HLM tente de prendre en considéraKon l’hétérogénéité des situa/ons, des parcours, de la mobilité, des individus. Chez les jeunes, l'appartenance à la cité est au cœur de leur iden/té. Cet aeachement, expliqué par le fait les les jeunes s'affirment comme les principaux acteurs, n'est pas anomique mais endémique. Toutefois les modes de sociabilité juvéniles varient selon « la composiKon migratoire du quarKer, la place de ce dernier au sein de la structure d'ensemble de la ville, les modalités de l'intervenKon insKtuKonnelle et les caractérisKques de la vie associaKve ». Ils ne se réduisent pas à l'existence de bandes et à la délinquance. La « culture des rues » est formée par des jeunes qui ont grandi ensemble dans le même lieu, qui ont une vive conscience de la ségrégaKon spaKale. La conduite des jeunes repose sur un fonc/onnement collec/f, reposant sur l'honneur, la réputaKon, la compéKKon : défis plus ou moins violents. L'handicap du sKgmate devient une ressource, une conscience fi ère qui fait la force du groupe. La culture des rues est aussi en parallèle avec la culture de consommaKon et les médias : d'où l'important de la « face », de la marque vesKmentaire... Pour les groupes de jeunes les plus précaires, le quarKer est un lieu de domina/on. Le relaKons sont alors régies par la luee pour être quelqu'un : violence et recherche du gain. Les jeunes des cités cherchent avant tout à s'approprier et protéger leur espace. Dans ces quarKers il y a aussi un fort enjeu des rapports entre les sexes. En effet, la sKgmaKsaKon et la précarisaKon fragilisent les aeributs idenKtaires tradiKonnels masculins. Ils ne s'assimilent en rien à de « bons maris » et les femmes n'ont pas grand intérêt à se marier avec eux. Ainsi pour compenser un manque, ils se raidissent sur leur iden/té virile : ils se construisent eux même comme source d'autorité. Le contrôle des femmes devient alors un enjeu de l'honneur des garçons. Au delà de la coutume culturelle, ceee avtude est une stratégie d'adapta/on. Les garçons « répondent à l'immobilisme social par l'immobilisme spaKal et le contrôle des femmes ». Les statuts des jeunes femmes est dès lors problémaKque. Elles sont sujeees à la s/gma/sa/on des garçons si elles ne rentrent pas dans un modèle de genre tradiKonnel, voir à des agressions verbales et physiques. Certaines filles subissent la situaKon et s'y conforment. D'autres cherchent à masquer leur féminité par l'adopKon de comportements masculins. Elles rentrent ainsi parfois dans la délinquance et la violence. Une dernière catégorie parviennent à Krer leur épingle du jeu. Sans passer par une rupture avec les liens familiaux, elles uKlisent l'invisibilité : tacKque prudente mais résolue, qui leur permet de gagner de l'autonomie. En effet, elles évitent le quarKer en faisant le choix de la réussite scolaire. Les cités sont aussi marquées par l'intensité des pra/ques culturelles et spor/ves. Ainsi né en France, dans les années 1980, la culture « hip hop ». Ce mouvement est composé de trois types d'expression arKsKque. D'une part, le graphisme (tag). Ce dernier relève d'un « désir de visibilité sociale », consKtue un « défi par rapport à la loi et la société », et montre une certaine performance. Le hip hop est aussi caractérisé par une danse, qui exprime avec le corps ce que le rap exprime avec les mots. Ce dernier est un véritable ou/l iden/taire. Il a à la fois une dimension contestataire, animé par une énergie révoltée et militante, et donne des exemples de réussite dans la promoKon sociale. Ceee culture hip hop est une acKon collecKve qui exprime ce que les individus vivent personnellement. Elle fournit une autre alternaKve que celle d'une violence sans objet. Toutefois bien qu'il existe un ensemble de comportements spécifiques aux jeunes des cités, il est difficile de conclure à l'existence « d'un système autonome et stable de normes et de valeurs ». L'unité n'est pas consKtuée de l'intérieur mais bien par l'extérieur. Ces mouvements de groupes apparaissent comme une menace. Les jeunes sont rejetés. Ainsi, bien que le quarKer soit pour eux un lieu de protecKon et de mobilisaKon, c'est avant tout un lieu d'enfermement dont ils espèrent sorKr un jour. Les jeunes ne se limitent toutefois pas au cadre du quarKer, il existe des dynamiques, des déplacements des jeunes dans l'espace urbain. Une première forme de mobilité déplace les jeunes garçons au centre de la ville. Là, ils se confrontent à l'image néga/ve qu'ils renvoient et en jouent. Une deuxième forme de mobilité traduit un soucis d'autonomisa/on. Il s'agit de s'affranchir de la surveillance d'une sociabilité de voisinage. Ces sorKes offrent des occasions de mixité et donc une mobilité psychologique. La volonté de sorKr des murs du quarKer mène aussi à la créaKon « d'espaces intermédiaires » où les jeunes s'engagent dans les acKvité économiques, licites ou non. Tout les jeunes qui s'en sortent on suivi un cursus scolaire. Certains d'entre eux choisissent de s'invesKr dans leur cité, afin de changer son image. Ils se posent comme des « leaders posi/fs » de leur quarKer, comme des médiateurs entre les jeunes et les insKtuKons. Toutefois leurs statuts sont souvent précaires et ils se voient contraints de passer de « militant chez soi » à « professionnel ailleurs ». D'autres jeunes décident, après scolarisaKon, de s'intégrer socialement. Selon eux, leur vie est ailleurs. Ils u Klisent p our cela la socialisaKon familiale et adoptent un comportement volontariste. Ils restent pour toutefois aeachés à leur quarKers. Bien qu'ils ne veulent pas quieer les lieux, il portent un regard sévère sur ceux qui sont en difficulté. Les « dérouilleurs » sont les jeunes, pour la plupart enfants d'immigrés, qui ont réussi leur vie professionnelle. Une réussite « banale », pourtant exemplaire. Ceee réussite s'explique encore par le souKen de la famille, mais aussi une forte audace. Une prise de conscience, souvent par une rencontre, les a conduit à mener une haute luee. Ils ont alors une certaine fierté. Ils ne rompent pas non plus systémaKquement avec le quarKer. « S'en sorKr » ne consKtue donc pas une rupture avec le quarKer, mais seulement avec la « bande ». PARTIE 3 : Les violences urbaines I. Les délinquances juvéniles La délinquance juvénile est marquée par une augmenta/on et un rajeunissement depuis le milieu des années 1960. Les jeunes sont les acteurs de nombreuses « incivilités », qui dérogent aux règles élémentaires de la vie en société : injures verbales, menaces, avtudes provocantes, troubles du voisinage, dégradaKon de bâKment public...Ces dernières échappent en parKe au droit pénal classique, ce qui contribue à alimenter le sen/ment d'insécurité. De plus, deux types de délinquances existent. Une délinquance expressive : bagarres collecKves, affrontement aux policiers... Et une délinquance d'appropria/on : cambriolages, vols, vente de drogues... Depuis peu, la violence expressive s'étend et se détache de la délinquance d'appropriaKon. Ceee violence interpersonnelle est causée par les jeunes des quarKers les plus pauvres de la périphérie, qui en sont aussi les principales vicKmes. Une économie parallèle apparaît dans les banlieues avec la diffusion de la drogue. Ces vingt dernières années, la consommaKon de cannabis explose. Toutefois, les jeunes des cités ne sont pas les principaux consommateurs (qui sont les classes moyennes ou supérieures), ils en sont les principaux revendeurs. Leur bizness ne s'appuie sur un ensemble de produits divers, issus du recel ou du vol. Le dealer vise à se détacher de son quar/er, à se prendre en charge selon l'idée du « self-‐made-‐man ». Il tend aussi à devenir quelqu'un dans le quarKer et une logique de caïdat apparaît. Le lien entre trafic et violences urbaines est très fort.. Ceee économie parallèle sert néanmoins à pallier au chômage d'exclusion : elle permet de se « saper » mais aussi d'accéder à des loisirs. (il ne faut pas croire pour autant que l' « argent facile » soit facile à gagner!) Ces praKques sont alors jusKfiées par la nécessité. De plus, la « carrière » déviante semble résulter d'une construcKon, d'un apprenKssage. En effet, on remarque des phases successives : de 13 à 19 ans, la délinquance démonstraKve diminue au p rofit d'une délinquance tournée vers le p rofit économique, dès 20 ans, ceee délinquance d'appropriaKon diminue pour disparaître à 30 ans. Les dealers restent toutefois une peKte minorité des jeunes des cités. La majorité d'entre eux s'efforcent de s'éloigner de ce modèle. Pour l'opinion commune, la bande est synonyme de menace, déviance, violence. Mais qu'est ce vraiment une bande ? C'est tout d'abord une constante d'adolescence dans tout les milieux, répondant à un besoin de sociabilité. Mais tout les groupes de pairs ne forment pas des bandes. Ces dernières impliquent un certain niveau de structura/on. Elles recrutent principalement les garçons issus des milieux défavorisés d'un même territoire, au dehors du regard des adultes. Elles se créent en parK de l'extérieur, par opposiKon avec les autres groupes. Le lien entre délinquance et gang n'est pas si évident. La délinquance peut être un moyen d'expression pour la bande, elle n'est toutefois pas son fondement. De plus les gangs sont des phénomènes qui semblent éphémères en France. Il y a très peu de groupes bien organisés autour d'un leader charismaKque. Ils se forment plutôt de façon ponctuelle ou aléatoire lors des altercaKons avec la police. Néanmoins, les perspecKves d'entrer dans une bande sont d'autant plus grande aujourd'hui vis à vis de la baisse des perspecKves d'emploi. Le gang offre une alterna/ve iden/taire, surtout pour les jeunes immigrés qui font face à la discriminaKon. D'autre part, le basculement de la délinquance est facilité par l'économie du bizness. Face à toutes ces violences collecKves, la direcKon des renseignements généraux a crée une nouvelle sec/on en 1991 : « violences urbaines » puis « villes et banlieues ». Elle consKtue un instrument de mesure, visant à piloter des acKons de sécurité publique. Ainsi, 800 quarKers à problèmes sont « hiérarchisés ». Cet ouKl révèle une dégrada/on des rela/ons entre les jeunes et les insKtuKons publiques : police, école, transports, médecins, pompiers... Ceee augmentaKon de la violence collecKve est principalement due à une intensifica/on dans les zones repérées depuis 20 ans. Il révèle aussi le déplacement de certains quarKers d'une logique de défi à une économie souterraine. Enfin, les cités HLM de la périphérie, à forte densité, contenant beaucoup de jeunes de moins de 20 ans, pour beaucoup d'entre eux issus de familles nombreuses immigrées, sont les zones générant une plus forte acKvité délinquante et violente. Le chômage n'est donc déterminant dans les phénomènes de violence que s'il est conjugué avec d'autres facteurs. I. Les émeutes de l'automne 2005 L'émeute de 2005 n'est en rien un phénomène nouveau, elle marque seulement le durcissement de processus ségrégaKfs déjà connu. Elle est néanmoins inédite par son ampleur : 3 semaines de violences, 274 communes concernées, 250 millions d'euros de dégâts, 11 500 policiers et gendarmes mobilisés, 10 000 voitures brûlées, 233 équipements détruits ou dégradés... et une couverture médiaKque excepKonnelle. Les quarKers concernés sont des « zones urbaines sensibles » mais aussi des « zones franches urbaines ». Ils sont marqués par des contrastes sociaux virulents et une baisse du secteur associaKf. Les individus concernés suivent le profil suivant : « ni véritablement délinquant, ni chômeur, ni diplômé, mais profil très jeune, mixte culturellement et intégré dans le milieu social d'appartenance ». L'émeute de 2005 ne relève pas d'une délinquance d'appropriaKon, ni d'affrontement entre bandes, mais d'un affrontement avec les forces de police et les voitures brûlées. Il s'agit d'aVrer l'aOen/on pour se faire entendre. Ceee émeute semblait imprévisible, mais pas improbable, si l'on en suit la dureté des condiKons de vie, et la violence qui menace l'ordre social, montrées dans les reportages. Son déclenchement s'inscrit dans un schéma très classique : les jeunes réagissent suite à des événements graves ou controversés. Ainsi, en novembre 2005 : mort de deux adolescents par électrocuKon, violence envers les forces de l'ordre, grenade lacrymogène lancée par erreur dans la mosquée de Clichy-‐Sous-‐Bois... Au delà des relaKons engagées entre les jeunes et la police, il y a aussi des causes sociales. Les émeutes ont un aspect mulKdimensionnel : dimensions locale, socio économique, territoriale, culturelle et insKtuKonnelle. Toutefois un des facteurs déclenchant l'émeute est moins la pauvreté que les écarts sociaux relaKfs. Les émeutes ont donc un aspect largement contestataire. Néanmoins elles adoptent pour certains jeunes un aspect ludique. Ainsi, dans l'émeute, « on trouve toutes les caractérisKques rouKnières des cités, dans une dimension excepKonnelle ». L'émeute de 2005 n'avait pas de lien direct avec l'économie parallèle ou la religion. De même l'éthnicité n'en était pas un fondement. Les jeunes se sont rassemblé sur la protestaKon contre toute forme de discriminaKon. Un senKment d'injusKce et de mépris les a mené à réclamer la reconnaissance, le respect... : l'égale citoyenneté. Ils sont donc rassemblés par rapport à leur condiKon économique, à laquelle se combine ensuite le critère «ethnique ». Il s'agit d'un clivage en terme de classe sociale et de ségrégaKon urbaine. Les émeutes ont souvent une dimension autodestructrice : les services du quarKers sont aeaqués, dégradés. Ceee violence est souvent qualifiée de « gratuite », alors que des explicaKons se présentent à travers un manque de confiance mutuel entre les jeunes et les insKtuKons. En effet, ces émeutes instrumentalisent la violence afin d'interpeller les insKtuKons et les hommes poliKques qui sont en pouvoir d'aeribuer des ressources supplémentaires au quarKer. Technique qui s'est montrée assez efficace. On pourrait aussi penser que les émeutes font preuve d'un vide poliKque. Les ennemis ne sont pas directement idenKfiables, les revendicaKons non clairement formulées. Ainsi, sans adversaires, les jeunes détruisent leur propre univers. La significaKon serait donnée par une interprétaKon extérieure. L'absence d'unité sur la vision du phénomène rend compte de l’hétérogénéité des émeu/ers. Certaines émeutes ont aussi un caractère plus ou moins fes/f, comme en témoigne celle de la Saint-‐ Sylvestre à Strasbourg. Cet événement ressemblait à un embrasement fesKf des symboles de la société de consommaKon. Les jeunes protestent ainsi le fait d'en être exclu. On ne peut donc pas parler de jeunes déstructurés et sans repères. Ils ne manquent pas d'intériorisaKon des règles du jeu, au contraire, ils jouent sur les règles. Ils avrent ainsi l'aeenKon des médias dont ils se sentent habituellement oubliés. De plus, ils font en quelque sorte « ville à part » en brûlant les biens qui assurent la liaison entre centre et périphérie. Ils tentent alors de se posiKonner comme acteurs de leur propre exclusion. I. Comment expliquer les délinquances et les violences ? Les délinquances et les violences urbaines ont une mulKplicité de causes . Pour les saisir il faut s'intéresser aux variables structurelles, aux logiques d'acteur mais aussi aux effets de contexte. L'augmentaKon de la délinquance est inséparable de la crise de l'emploi. Le chômage supprime aux individus le chemin classique pour la réalisa/on de soi. La délinquance surgit dans le grand écart entre aspiraKons individuelles et moyens trop faibles pour les réaliser. La déviance repose en fait sur une volonté d'intégraKon à la société de consommaKon. Toutefois le chômage n’entraîne pas systémaKquement la délinquance. D'autres facteurs interviennent : « l'explosion des opportunités au sein d'une société de consommaKon de masse, l'urbanisaKon et la mobilité spaKale hors domicile des ménages dont les deux conjoints travaillent, la facilité accrue du col étant donné la vulnérabilité des cibles et l'inefficacité de la sancKon pénale ». La délinquance nécessite une distancia/on vis à vis de la norme dominante. Elle implique le goût pour une conduite à risques. Or la société actuelle favorise la prise d'iniKaKve : le risque est encouragé en t ant que mode de réussite. Ainsi, il y aurait une « crise des ins/tu/ons » et une « crise du contrôle par les autres » (environnement, adultes...). Selon ce principe, les « incivilités » sont le produit de l'anomie au sens de Durkheim : affaiblissement des règles collecKves qui contrôlent les conduites individuelles. L'échec scolaire joue un rôle important dans les conduites violentes. L'école, lieu symbolisant la progression sociale, semble ségréga/ve. Ainsi les problèmes scolaires (échecs) se transforment en problèmes individuels (perte du respect de soi même). S'installent alors des comportements an/-‐ scolaires. Afin de préserver un minimum d'esKme de soi, les comportements rejetés par la société sont valorisés selon une « culture néga/viste ». Le modèle social proposé et auquel les jeunes aspirent semble inaccessible. C'est pourquoi il refusent les normes de l'insKtuKon. La famille joue un rôle indirect dans le mécanisme d'entrée dans la déviance. Elle consKtue seulement un terrain favorable par un manque de ressources et un isolement social. En effet, les jeunes issus de familles nombreuses sont plus touchés par la délinquance. De même, un déficit de supervision parentale, par l'absence du père par exemple, crée un déficit d'autorité qui peut jouer un rôle non négligeable. Toutefois, l'apKtude des parents à préserver leurs enfants de la délinquance dépend avant tout des inégalités socio-‐économiques. On constate une hausse des viols individuels depuis une vingtaine d'années. Comme vu précédemment, une certaine norme de virilisme s'installe chez les jeunes des cités. La libéraKon des femmes, leur meilleure réussite scolaire et le poids du chômage contribuent à radicaliser ceee norme, et provoque ainsi une « crise de la masculinité ». Ceee crise serait alors à l'origine de ce phénomène. Les viols collec/fs restent eux un fait extrêmement rare. Toutefois ils sont l'objet d'une forte médiaKsaKon, ce qui contribue à augmenter la sKgmaKsaKon des jeunes des cités. Ils ont un caractère prémédité et répé//f qui marque un système d'inKmidaKon et de menaces. La vicKme est contrainte de garder le silence. S'en suit la poursuite des actes. Les viols collecKfs ne résultent en rien d'une misère sexuelle, les garçons refusent de se considérer comme des violeurs. Ces actes sont plutôt l'expression extrême de la posi/on dominante des hommes dans les cités. C’est avant tout « une concepKon hiérarchique des rapports entre les sexes, associée à une forte solidarité masculine ». L'école de Chicago expliquait la violence comme résultante de la croissance des villes et des écarts sociaux grandissant entre des quarKers pauvres et des quarKers riches. Une « sécession » de la populaKon donne lieu à la concentraKon du chômage. Or le chômage consKtue une transmission culturelle des modèles de la délinquance : la délinquance aurait un caractère « appris ». La déviance ne se fait donc pas par affiliaKon personnelle mais par affiliaKon du groupe de pairs. La délinquance devient un « fait de socialisaKon ». D'autant plus que le racisme, produit de la violence d'une société, engendre des réacKons violentes dans les quarKers. Les violences urbaines résultent donc directement de condi/ons sociale des jeunes. Face à la montée en puissance du processus d'individualisa/on, ils se sentent privés de toute possibilité. La violence est dès lors un moyen d'exister. Cela relève d'une certaine domina/on sociale. Les jeunes sont dominés à la fois sur le plan économique et au niveau idenKtaire. Même le rapport à soi est dominé par le regard d'autrui. Un « nouveau rapport de classes, sans classes » semblent s'installer. PARTIE 4 : La poliKque de la Ville et les poliKques sociales I. La poliKque de la Ville contre la ségrégaKon Les insKtuKons publiques et privées sont très présentent dans les « quarKers sensibles » à travers diverses mesures. La première logique d'intervenKon des insKtuKons a été dans un premier temps la mise en place de la sécurité sociale, soit de l'assurance, puis dans un second temps de l'aide sociale, soit de l'assistance. La deuxième logique d'intervenKon est territoriale. Une série de « disposiKfs » font suite à l'été 1981. Au départ provisoire, ils s'inscrivent maintenant dans la poliKque de la Ville. Seulement, paradoxalement, les habitants se sentent abandonnés. Dans les années 1980, un certains nombre de rapports sur les quarKers remeeent en cause les poliKques sociales tradiKonnelles. Dès lors, les poliKques de la ville s'appliquent à des territoires délimités. Elles foncKonnent par « contrat » entre l’État et les collec/vités locales. On ne fait plus une poliKque « au nom » du territoire mais « à parKr » du territoire. Ces poliKques ont ainsi une diversité d'intervenKons, notamment dans la réhabilitaKon des logements et l'urbanisme, l'acKon sociale et culturelle et la prévenKon de la délinquance et la sécurité. Tout cela dans le but de moderniser les services publiques, afin d'instaurer plus de proximité dans les rapports entre le pouvoir local et le niveau central, mais aussi afin de cibler des populaKons spécifiques. On passe d'une « logique d'égalité à une logique d'équité ». L'objecKf est désormais de réduire les écarts entre les territoires, de rééquilibrer l'espace urbain. La solidarité naKonale laisse place aux solidarités territoriales. La loi de programmaKon pour la ville et la rénovaKon urbaine (2003), en annonçant la revitalisa/on des quar/ers, vise à meere en œuvre une nouvelle poliKque de peuplement, à produire une mutaKon urbaine en profondeur. Elle vise aussi à rétablir la « mixité sociale », soit le brassage des populaKons. Ainsi sont mis en place l'Agence naKonale de rénovaKon urbaine (ANRU), l'Agence naKonale de la cohésion sociale et de l'égalité des chances (ACSE), de nouveaux contrats urbains de cohésion sociale (CUCS). Tout cela défini plus clairement la méthode d'interven/on de l’État et ses moyens. Ces derniers sont plus importants mais assis sur de plus nombreuses condiKons. Toutefois, un débat a lieu sur la redéfiniKon géographique des intervenKons. Certains souhaiteraient cibler les quarKers les plus en difficulté, quiee à ce qu'ils soient moins nombreux. D'autres sont pour une intervenKon à l'échelle de la Ville, pour justement ne plus la diviser en quarKers. En définiKve, toutes ces poliKques, en plus de redonner confiance aux acteurs locaux, sont une opportunité excep/onnelle afin de transformer les condiKons de vie des habitants. Le bilan des poliKques de la Ville est difficile à établir. Déjà, sa mise en place est différente selon le contexte local. De plus, elles ne disposent que d'à peine 1% du budget de l’État. Les réalisaKons sont loin d'être négligeables : mises en place de nouveaux méKers (chef de projet, agents d'inserKon...), qui iniKent à la concertaKon, ZUS mieux équipées... Seulement, ces mesures ne semblent pas avoir agit sur les causes de la ségrégaKon. Le chômage s'est aggravé, les ZEP ou encore la loi SRU n'ont pas répondu à leurs objecKfs. Selon une vision Bourdieusienne, les poliKques de la Ville ne sont qu'un « saupoudrage de mesures symboliques pour des quarKers mis sous perfusion ». D'autres criKquent de nouvelles régulaKon au niveau d'une citoyenneté locale introuvable. De plus, la complexité de ces poliKques est un constat récurent. Les objecKfs sont formulés de façon trop général pour parvenir à idenKfier leur réalisaKon. Les disposiKfs s'empilent les uns aux autres, selon une terminologie floue : le souKen du monde poliKque et administraKf semble limité par une tendance bureaucra/que. D'autant plus que, paradoxalement, les habitants sont dépossédés des décisions les concernant par le rôle important du chef de projet. « Le processus s'est transformé en procédure », dit Avenel. I. Les habitants dans les poliKques de la Ville S'interroger sur les poliKques de la Ville revient à en étudier la récep/on par les populaKons concernées. Le premier constat est la faiblesse générale de la parKcipaKon des habitants dans ces poliKques. Beaucoup semblent même en ignorer l'existence. De plus, la « discrimina/on posi/ve » mène indirectement à la sKgmaKsaKon. Les individus ne veulent pas se définir comme des « gens à problèmes » ou même rejoindre ces derniers Les poliKques de la Ville sont limitées par le fait qu' « un public en chasse un autre ». Les praKques de ségrégaKons semblent d'autant plus fortes que l'on parle de mixité des populaKons. La parKcipaKon des habitants est aussi freinée par le fonc/onnement compliqué des poliKques. On peut parler d'une nébuleuse réglementaire qui rend incertaine leurs lisibilité. Ainsi les populaKons recourent à des travailleurs sociaux pour en bénéficier. Ils se sentent dès lors dépendants d'une sorte de « poliKque sociale ». De plus, les disposiKfs ne cohabitent pas de façon cohérente. La spécialisaKon des modes d'intervenKon implique la consKtuKon de dossiers, la délégaKon de suivis... La bureaucra/e rend l'aide complexe. Face à un senKment d'abandon, une demande de reconnaissance, un désir de transformer un regard sKgmaKsant, les associa/ons sont nombreuses et acKves dans les quarKers. Elle sont crées par de jeunes acteurs, légiKmes par leur proximité avec le terrain. Ces associaKons forment un relai avec les ins/tu/ons mais se heurtent à certaines limites. D'une part, les associaKons se forment à l'échelle des cages d'escalier, rassemblant une populaKon assez homogène. Ainsi leurs iniKaKves avantagent une tranche spécifique des habitants. En résultent des tensions entre les différentes associaKons. De plus les iniKaKves sont bien souvent repliées sur le quarKer. Le manque de ressources, matérielles et humaines, limite aussi considérablement leurs acKons. Les jeunes militants semblent alors amers. Ils ont le senKment d' « avoir été beaucoup plus serviable que servi ». Les poliKques de la ville sont donc privées d'un point d'appui important par la déconsidéraKon des iniKaKves. Bien que les poliKques de la Ville encourage une démocra/e par/cipa/ve, elles ne semblent pas vraiment y croire. Un rapport de méfiance s'instaure entre les habitants et les insKtuKons. Un soupçon de « communautarisme » pèse sur les associaKons. Ainsi la poliKque de la Ville développe un lien paternaliste avec les habitants. Ces derniers sont seulement consultés, uKlisés pour gérer les désordres sociaux, mais pas encouragés à intervenir. La populaKon se sent alors abandonnée et considère la poliKque comme inefficace. En résulte un recul de l'invesKssement poliKque : haut niveau d'abstenKon, moindres inscripKons sur les listes électorales. Une forte implicaKon militante sur le terrain contraste avec une non représenta/on au sein des instances poliKques. I. L'installaKon d'un rapport de dépendance Face au problème majeur de l'emploi, les poliKques sociales adoptent une aVtude assez paradoxale. D'une part, elles subsKtuent au chômage des acKvités qui permeeent plus l'occupaKon du temps libre que l'ouverture à la vie professionnelle. Loin de fournir une transiKon professionnelle, elles permeeent l'apprenKssage d'emplois marqués par une instabilité permanente. Les individus sont « insérés permanent », ils connaissent un chômage récurent entre deux emplois précaires. Seuls les plus qualifiés intègrent l'économie ordinaire (cf Duvoux). D'autre part, avec la mise en place du RMI notamment, les bénéficiaires sont contraints à se prendre en charge. Ils doivent se reconnaître responsables de leur propre parcours. La crédibilité des insKtuKons se retrouvent alors affectée. En résultent des conduites d'agressivité, de mépris. « Plus les aides s'éternisent et sont nombreuses, plus elles éKqueeent l'individu comme personnellement incapable de ne pas pouvoir s'en sorKr ». Or l'enjeu dépasse ici la simple relaKon populaKon/insKtuKons. De nombreux ménages passent d'une catégorie sociale à une autre et, dans l'incapacité d'assumer les charges minimales, elles sollicitent les poliKques sociales ou les insKtuKons. Le rapport des individus avec le système d'aide est individualisé : l'aide est accordée en foncKon de l’évaluaKon d'une situaKon et de la volonté de de s'en sorKr. Il est aussi stratégique : l'opacité du système offre des possibilité de débrouillardise raKonnelle. Les ménages gardent alors une marge de manœuvre afin de ne pas basculer dans une mise sous contrôle. Ils échappent ainsi au senKment de dépendance. Toutefois seule une minorité parvient ainsi à gérer leur situaKon. La majorité est dépassée par l'incompréhension des démarches administraKves et animée d'un fort sen/ment d'inégalité de traitement. En effet, les critères d'aeribuKon paraissent souvent flous, contradictoires. Il s'agit de Krer son épingle du jeu. Or, cela dégrade les liens collecKfs et instaure une rivalité entre voisins. La relaKon d'aide est vécue de manière ambivalente. Les demandeurs d'aide ont l'impression de devoir se plier à des postures misérabilistes, en faisant l'exposé de leur problèmes, de leur vie privée. Et q uand même cela ne suffit plus, certains ont le senKment que leur dernier recours est d'« aller pleurer ». D'autres instrumentalisent la violence. Les jeunes parKculièrement, profitant de leur réputaKon , l'uKlise comme stratégie pour être entendu. Stratégie qui s'avère souvent efficace car la réponse à la violence se fait par des mesures d'inserKon, des équipements ou des offres de loisirs. Il semble que l' « o n crée les condi/ons de reproduc/on de la violence ». Ainsi, dans certains cas, les jeunes se comportent comme de simples vic/mes. Mais la criKque de l'intervenKon insKtuKonnelle ne doit pas faire de l'économie la cause de tout les problèmes. Les services sociaux occupent une place importante dans la luOe contre la pauvreté. Ils ont un rôle de socialisa/on par l'aide matérielle et l'instauraKon de travailleurs sociaux. Les individus en difficulté ne sont pas laissés sans ressources. Malgré t out, les aides semblent malheureusement aménager la pauvreté. Le senKment de dépendance persiste et, dans une société où les individus se réclament les auteurs de leur propre vie, cela provoque le ressen/ment et la violence, notamment chez les jeunes les plus en difficulté.