La Combe-aux-Loups, une mémoire espagnole

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La Combe-aux-Loups, une mémoire espagnole
La Combe-aux-Loups, une mémoire espagnole
06h00 par Céline AUCHER | Mis à jour il y a 3 heures
À Ruelle, le site de La Combe-aux-Loups a accueilli 2 000 réfugiés espagnols en 1939 avant leur transfert
aux Alliers. Une mémoire revisitée à l’occasion du Rendez-vous avec l’Espagne à partir de demain.
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Concepciòn Gutierrez, Antoine Gomez et Pierre Martin étaient enfants quand ils ont débarqué à La
Combe-aux-Loups en février 1939. PHOTO/(Photo Renaud Joubert)
Il reste peu d’images d’archives des anciens bâtiments. PHOTO/(Repro CL)
Sur le site de La Combe- aux-Loups à Ruelle, route de Champniers, il faut faire gaffe aujourd’hui au tir à
l’arc. "Après ce qu’on a vécu, ce serait dommage de prendre une flèche" , sourit Concepciòn Gutierrez. Une
survivante parmi les quelque 2 000 Républicains espagnols réfugiés ici de février à septembre 1939, dans ce
camp qui préfigurera celui, plus connu, des Alliers à Angoulême. "La Combe-aux-Loups avant et après les
Républicains espagnols", c’est l’exposition initiée par la municipalité de Ruelle avec l’association des
Espagnols de Charente à l’occasion de leur "Rendez-vous" culturel à partir de samedi, après la pose d’une
stèle du souvenir demain (1) . Les anciens baraquements appartenant à la Fonderie n’existent plus depuis
longtemps, sauf en carte postale. Qui le sait? Ici, avant les Espagnols, en 1917, 200 travailleurs indochinois
de l’Annam viennent renforcer le personnel de la Fonderie. Première Guerre mondiale. La France puise dans
le vivier colonial pour remplacer les soldats tombés au front. "Que sont-ils devenus? On n’a pas retrouvé de
traces de ces Annamites" , avoue Karen Dubois, l’adjointe à la...
Sur le site de La Combe- aux-Loups à Ruelle, route de Champniers, il faut faire gaffe aujourd’hui au tir à
l’arc. "Après ce qu’on a vécu, ce serait dommage de prendre une flèche", sourit Concepciòn Gutierrez. Une
survivante parmi les quelque 2 000 Républicains espagnols réfugiés ici de février à septembre 1939, dans ce
camp qui préfigurera celui, plus connu, des Alliers à Angoulême.
"La Combe-aux-Loups avant et après les Républicains espagnols", c’est l’exposition initiée par la
municipalité de Ruelle avec l’association des Espagnols de Charente à l’occasion de leur "Rendez-vous"
culturel à partir de samedi, après la pose d’une stèle du souvenir demain (1).
Les anciens baraquements appartenant à la Fonderie n’existent plus depuis longtemps, sauf en carte postale.
Qui le sait? Ici, avant les Espagnols, en 1917, 200 travailleurs indochinois de l’Annam viennent renforcer le
personnel de la Fonderie. Première Guerre mondiale. La France puise dans le vivier colonial pour remplacer
les soldats tombés au front.
"Que sont-ils devenus? On n’a pas retrouvé de traces de ces Annamites", avoue Karen Dubois, l’adjointe à
la culture de Ruelle, historienne de formation, qui s’est passionnée pour le sujet, interrogeant les enfants
d’hier pour un DVD. Car les souvenirs des Espagnols, eux, sont encore bien vivants dans les têtes.
Témoignages.
L’arrivée au camp
Janvier 1939. Barcelone tombe aux mains des Franquistes, provoquant l’exode d’un demi-million de
Républicains. À Ruelle, ce sont surtout des femmes et des enfants qui arrivent par convois. Le camp de La
Combe-aux-Loups est rouvert en catastrophe par le préfet.
"C’était un soulagement après les épreuves qu’on venait de traverser, les bombes, les balles et même un
naufrage", se souvient Concepciòn Gutierrez, 9 ans à l’époque. "Ma mère a traîné trois gosses à travers les
Pyrénées en plein hiver. On n’avait qu’une couverture, enchaîne Pedro Martin, devenu Pierre Martin. On a
fait des hommes des héros, mais on ne dira jamais assez que nos mères ont été extraordinaires."
Son frère aîné, déjà malade, ne survivra pas et mourra à Angoulême en mai. Lui avait 7 ans, ne parlait ni
français, ni espagnol. "J’étais basque, j’ai appris le français ici avant l’espagnol."
La vie quotidienne
Aujourd’hui, les baudets du Poitou broutent tranquillement sur la butte. "Juste devant, c’était la cuisine, se
souvient Antoine Gomez, déjà 13 ans à son arrivée. Les bâtiments étaient numérotés. Ma mère et ma soeur
étaient dans le 5 et moi j’étais à gauche dans le 6. L’infirmerie était un peu plus haut." "La Croix-Rouge est
venue une fois, dit Pierre Martin. J’ai entendu une bonne-soeur dire “tu leur donnes rien, c’est des
rouges”."
Il fait faim ici en 1939. La Fédération syndicale internationale envoie des tonnes de conserves. "Je peux vous
dire qu’on suçait longtemps les boîtes de lait concentré." Ici, on dort les uns avec les autres, sur la paille. Au
début, il n’y a qu’un ou deux robinets. "L’eau, on la buvait, on ne se lavait pas. La paille était changée tous
les quinze jours, ça n’empêchait pas les parasites: pour combattre les poux, on rasait la tête; pour la gale,
on balançait du soufre."
Les maisons se sont construites le long de la route bien après. "À l’époque, tout était grillagé, mais on
pouvait sortir. C’était beaucoup plus souple qu’aux Alliers", poursuit Concepciòn Gutierrez. Sortir pour
aller travailler - "Les familles bourgeoises venaient y chercher des femmes de chambre." - ou pour aller en
classe, à la Maison des peuples avec les militants CGT de la Fonderie notamment. Des années de misère,
mais aussi de solidarité. "On se serrait les coudes et on avait la chance d’être des enfants. Les enfants
s’adaptent à tout."
L’accueil des Ruellois
Une mère donnant sa montre en or sertie de diamants contre le peigne à poux d’un commerçant profiteur.
C’est le contre-exemple de l’élan de solidarité des Ruellois. Concepciòn Gutierrez se souvient encore "des
pots de confiture donnés par les Français". "J’avais faim, je crevais de faim, c’était le summum pour nous."
"James Delobel, qui tenait l’épicerie, venait nous chercher le dimanche pour manger avec sa famille", se
rappelle Antoine Gomez.
"Un couple de la Fonderie nous invitait souvent chez lui, dit Pierre Martin, qui se souvient de Gérard
Ferrand, recruté pour la cantine du camp. Il m’a permis de monter dans une voiture française, une Juva 4."
Dans cette commune de 4 500 habitants, 142 foyers hébergent des réfugiés.
Après le camp
Le camp de Ruelle est évacué le 1er septembre 1939. La guerre vient d’être déclarée: la Fonderie récupère
ses locaux pour des prisonniers ou des travailleurs réquisitionnés éventuels. Mille huit cents réfugiés sont
transférés aux Alliers. Pas Antoine Gomez, qui s’engagera plus tard dans la Résistance et dont la mère est
embauchée par M. Robin. "C’était le patron de l’hôtel-restaurant “Tout va bien” rue des Trois-Notre-Dame
qui faisait aussi la cuisine dans le camp. Grâce à lui, on a vécu dans le vieil Angoulême."
Pour les autres, la déconvenue est sévère. "On nous promettait un camp tout neuf, mais quand on est arrivés,
il n’y avait même pas de toiture. Pour les toilettes, on a creusé des trous", grimace Concepciòn Gutierrez. "Il
y avait des Tsiganes avec nous. C’est une Gitane qui a soigné ma bronchite avec des cataplasmes", raconte
Pierre Martin.
Ironie de l’histoire, le nord du site de La Combe-aux-Loups est aujourd’hui occupé par l’aire d’accueil des
gens du voyage... Où vit encore Micheline Déchelotte, internée au camp des Alliers à partir de 1940. Le 20
août de cette année-là, 927 Espagnols sont embarqués dans le premier train de l’histoire de la déportation,
d’Angoulême vers le camp de concentration de Mauthausen. Pas tous. "Un photographe chez qui travaillait
mon beau-frère nous a prêté une maison à La Couronne, glisse Concepciòn Gutierrez. Ce train, il ne le
sentait pas..."
(1) Inauguration de la stèle route de Champniers à Ruelle demain à 17h. Exposition du 11 au 23 avril de 10h
à 12h30 et de 14h à 20h au centre culturel de Ruelle. Conférence sur "Les réfugiés républicains espagnols en
Charente" le mercredi 22 avril à 20h30 au théâtre Jean-Ferrat à Ruelle. Gratuit.
Les dates:
1916. La Fonderie de Ruelle acquiert le terrain de La Combe-aux-Loups pour créer un crassier où déverser
ses déchets.
1917. Des bâtiments construits dans la partie basse hébergent 200 Indochinois venus renforcer le personnel
de la Fonderie.
5 février 1939. Les premiers réfugiés espagnols arrivent au camp. Le nombre culmine rapidement à 2 064
personnes, femmes et enfants surtout. Jusqu’à leur transfert au camp des Alliers le 1er septembre 1939.
1940 à 1944. Le camp devient centre de jeunesse sous le régime de Vichy.
1944. Le site est transformé en centre d’apprentissage formant des ouvriers et employés qualifiés. C’est
l’ancêtre du lycée professionnel Jean-Caillaud qui ouvrira à Puyguillen en 1970.
1980. Les derniers bâtiments du site sont démolis. Rachetés par la Ville en 2003, les terrains sont occupés
aujourd’hui par les Archers de la Touvre et la Pétanque ruelloise. Le nord, par l’aire d’accueil des gens du
voyage.