Gestion Michel Noël ltée c.Dallaire, Forest, Kirouac
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Gestion Michel Noël ltée c.Dallaire, Forest, Kirouac
2011 QCCS 1293 COUR SUPÉRIEURE CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE QUÉBEC N° : 200-17-011258-092 DATE : 10 janvier 2011 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE JACQUES BABIN, J.C.S. ______________________________________________________________________ GESTION MICHEL NOËL LTÉE 570, Grande-Allée Est, Québec (Québec) G1R 2K1 -etMICHEL NOËL […], Québec (Québec) […] Demandeurs c. DALLAIRE, FOREST, KIROUAC, COMPTABLES AGRÉÉS 1175, rue Lavigerie, bureau 580, Québec (Québec) G1V 4P1 -etMARC BÉLANGER 1175, rue Lavigerie, bureau 580, Québec (Québec) G1V 4P1 Défendeurs ______________________________________________________________________ JUGEMENT ______________________________________________________________________ JB-3133 2011 QCCS 1293 (CanLII) Gestion Michel Noël ltée c. Dallaire, Forest, Kirouac, Comptables agréés PAGE : 2 [1] Les demandeurs Michel Noël et Gestion Michel Noël ltée (GESTION), poursuivent la firme de comptables agréés défenderesse, Dallaire, Forest, Kirouac (DFK) de même que l'un de ses associés-directeurs, Marc Bélanger, en responsabilité professionnelle pour la production de faux formulaires de roulement à l'Agence du Revenu du Canada (ARC) au nom des demandeurs, ce qui aurait occasionné à ceux-ci des problèmes importants avec le fisc. Ils réclament en conséquence des défendeurs un montant de 834 869,66 $ en dommages. LES FAITS [2] Le demandeur est un homme d'affaires de Québec qui opérait, à l'époque des faits litigieux, plusieurs entreprises dans des domaines variés, dont la restauration, l'hôtellerie, l'exploitation de terrains de golf, la vente de produits électroniques, et autres activités. [3] Il opérait la plupart de ses activités sous le couvert de sociétés, à savoir entre autres Immax Électronique M. Noël ltée, Électronique M. Noël inc., Sélectronique M. Noël inc. et Clé de sol Belvédère inc., dont les actions étaient détenues par sa société de gestion, la co-demanderesse GESTION dont il était l'unique actionnaire et administrateur. [4] Michel Noël, tant personnellement que pour ses diverses compagnies, faisait affaires depuis longtemps, pour la préparation des états financiers et déclarations fiscales de ses entreprises, et les siens, avec la défenderesse DFK [5] Au début des années 1980, c'était plus particulièrement l'associé Paul Forest qui s'occupait des affaires de Michel Noël. Il l'a fait jusqu'en 1994 ou 1995, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il quitte DFK, pour transférer la responsabilité de ce client au défendeur Marc Bélanger. [6] En 1987, Michel Noël était actionnaire d'une compagnie qui possédait une station de radio à Québec, CJMF, qui fut vendue à la compagnie publique Cogeco. [7] Michel Noël a retiré un montant important de la vente de ses 1 321 actions de CJMF, payables en partie en argent et en partie en actions de Cogeco (178 171). [8] Michel Noël a décidé de garder personnellement toutes les actions de Cogeco, et selon la stratégie de planification fiscale élaborée par DFK, il utilisait ces actions tantôt comme levier auprès de ses différentes entreprises et tantôt pour éponger leurs pertes. [9] Car il faut comprendre que si Michel Noël voulait se servir de cet actif important, constitué des actions Cogeco, pour financer ses compagnies qui avaient besoin de liquidités, il avait deux choix. 2011 QCCS 1293 (CanLII) 200-17-011258-092 200-17-011258-092 PAGE : 3 [11] Ou soit il bénéficiait de l'application de l'article 85 de la Loi de l'impôt sur le revenu pour transférer lesdites actions dans l'une ou l'autre des sociétés lui appartenant et qui avait un besoin de liquidités, procédant ainsi à ce que l'on appelle un roulement. [12] Cette technique fiscale, tout à fait légale, pouvait s'avérer alors très avantageuse en ce sens qu'une fois les actions transférées par roulement dans l'une ou l'autre de ses entreprises, par exemple GESTION, celle-ci pouvait vendre les actions sur le marché et appliquer le gain en capital sur des pertes accumulées dans l'entreprise, et ainsi, éviter de payer des impôts. [13] L'application de cette technique de roulement faisait en sorte que Michel Noël, personnellement, n'avait aucun impôt à payer sur la vente de ces actions, se voyant remettre en échange de celles-ci des actions de GESTION d'une valeur équivalente à celle des actions Cogeco transférées. [14] Par contre, pour bénéficier de cette mesure fiscale avantageuse, un formulaire de roulement communément appelé « Formulaire T-2057 » doit être complété, signé et produit à l'ARC. [15] Il ressort clairement de la preuve que cette technique de planification fiscale par roulement était très bien connue et comprise par Michel Noël. [16] Le tribunal tient à souligner que Michel Noël n'est pas un enfant d'école. Il est un homme d'affaires averti qui a opéré de nombreuses entreprises importantes depuis plusieurs années, qui s'y connaît en affaires, et qui a bien réussi dans ce domaine. [17] Cette planification a d'ailleurs été appliquée régulièrement par lui, tel qu'il appert du tableau préparé par les défendeurs concernant le suivi des actions Cogeco qui a été produit au procès. [18] Et cela s'est fait sans problème pendant plusieurs années jusqu'à ce que l'ARC entreprenne une vérification fiscale pour l'année 1987, soit celle où Michel Noël a vendu ses actions de CJMF. [19] À la suite de ce contrôle fiscal, l'ARC a inclus dans le revenu de 1987 de Michel Noël, un gain en capital additionnel de 250 613,00 $ résultant de la vente de 110 actions de CJMF à Cogeco par GESTION parce que Michel Noël n'avait pas procédé par roulement conforme à la loi. [20] Ce dernier prétendait avoir validement cédé les 110 actions à GESTION par roulement avant la transaction avec Cogeco, ce que ne reconnaissait pas l'ARC. 2011 QCCS 1293 (CanLII) [10] Soit il vendait personnellement une partie ou totalité des actions Cogeco, et après avoir payé les impôts sur le gain en capital, il investissait le solde dans l'une ou l'autre de ses compagnies, qui utilisait l'argent pour les fins prévues. 200-17-011258-092 PAGE : 4 [22] Il est intéressant de lire le passage suivant de cette décision: « 18. Dans le cas présent, il m'apparaît que le conseil en matière fiscale donné à l'appelant par monsieur Forest est venu légèrement trop tard pour que sa suggestion puisse être mise en application. Au mois d'août 1987, il analyse la situation financière de l'appelant et réalise que si la transaction avec Cogeco se concrétise, l'appelant pourrait en tirer un bénéfice fiscal. Toutefois, cette transaction avec Cogeco est régie par des restrictions assez sévères compte tenu de l'approbation qui doit être obtenue du CRTC. Pour éviter de retarder la décision du CRTC et même de risquer de faire échouer la transaction avec Cogeco, l'appelant préfère laisser la situation telle quelle et passer aux actes plus tard. Malheureusement pour l'appelant, les documents signés le 10 avril 1988 dans l'espoir de venir entériner une vente qui aurait eu lieu entre lui-même et Gestion, n'avait pour but selon moi que de vouloir donner un effet rétroactif à une transaction qui ne s'est pas, dans les faits réalisée à la date où il aurait voulu qu'elle ait eu lieu. Et une telle façon d'agir rétroactivement n'est pas une planification fiscale valable comme l'ont si souvent dit les tribunaux. On ne peut modifier les conséquences de certaines transactions ex-post facto. » (soulignement ajouté) [23] La juge Lamarre a donc trouvé illégal le roulement des 110 actions de CJMF par Michel Noël en faveur de GESTION pour une transaction qui n'avait pas eu lieu entre eux dans les faits. [24] En conséquence, celui-ci s'est vu dans l'obligation d'inclure dans son revenu de l'année 1987 un gain en capital additionnel de 250 613,00 $. [25] En 1996, il n'y a eu aucun roulement. [26] Par la suite, avec ses déclarations fiscales de 1997, 1998 et 1999, Michel Noël a produit à nouveau, pour chacune de ces années, des Formulaires T-2057 faisant état de la cession par roulement de plusieurs actions de Cogeco à GESTION. [27] C'en est resté là jusqu'au début de l'année 2004, alors que l'ARC a entrepris une vérification des dossiers fiscaux de Michel Noël et de ses entreprises pour ces trois années. L'ARC a perquisitionné chez Michel Noël et dans les locaux de ses entreprises, de même que chez DFK, pour obtenir la preuve que des fausses déclarations de roulement avaient été produites pour les trois années en cause. 1 Noël c. Canada [1995] A.C.I. no. 1620, no. du greffe 93-3477 (IT) G. 2011 QCCS 1293 (CanLII) [21] Le dossier s'est transporté devant la Cour canadienne de l'impôt, et le 11 octobre 1995, la juge Louise Lamarre1 déclarait invalide et inopposable à l'ARC une convention de roulement intervenue entre Michel Noël et GESTION pour l'année 1987. PAGE : 5 [28] Cela a amené au dépôt de 9 chefs d'accusation par l'ARC contre Michel Noël et GESTION, pour avoir produit des Formulaires T-2057 contenant de fausses informations, pour avoir omis de déclarer des avantages imposables, et déclaré de faux gains en capital pour les années 1997, 1998 et 1999. [29] Les demandeurs ont contesté les plaintes pénales déposées contre eux et ont plaidé le tout en septembre 2006 devant le juge Jogues Lavoie, de la Cour du Québec, qui en a disposé par un jugement du 18 décembre 20062, reconnaissant la culpabilité de Michel Noël sur 5 chefs d'accusation, et GESTION sur 3. [30] Les demandeurs devaient porter en appel cette décision du juge Jogues Lavoie, et le 4 décembre 2007 le juge Louis de Blois de la Cour supérieure rejetait ledit appel. [31] Deux ans et demi plus tard, en mai 2009, les demandeurs faisaient signifier aux défendeurs leur requête introductive d'instance en dommages-intérêts, reportant sur eux la responsabilité de leur condamnation. DÉCISION a) La portée du jugement du juge Jogues Lavoie de la Cour du Québec [32] En ce qui concerne tout d'abord ce jugement du 18 décembre 2006, même si celui-ci n'a pas l'autorité de la chose jugée, il n'en demeure pas moins qu'il constitue un élément important dans la preuve soumise au tribunal dans le présent dossier, et constitue un fait juridique qu'il n'est pas possible d'écarter sans explication. [33] Car en effet, conformément à une jurisprudence bien établie, les demandeurs se heurtent à une présomption d'exactitude des constatations de faits du juge Lavoie dans son jugement. [34] Dans Ali c. Compagnie d'Assurance Guardian du Canada3, la Cour d'appel indique à ce sujet: « 30 Le litige pose la délicate question de l'effet d'une condamnation criminelle dans un procès civil. 31 La doctrine et la jurisprudence sont unanimes à reconnaître que la condamnation criminelle ne constitue pas «chose jugée» entre les parties, au sens de l'article 1241 C.c.B.-C. et, en conséquence, qu'on ne peut lui attribuer l'autorité d'une présomption absolue. 32 En revanche, l'admissibilité en preuve d'une telle condamnation dans un procès civil et son effet demeurent des questions controversées. 2 3 Le procureur général c. Michel Noël et Gestion Michel Noël inc., C.Q. Québec, 200-73-005472-058, juge Jogues Lavoie, 18 décembre 2006. Ali c. Compagnie d'Assurance Guardian du Canada, REJB 1999-12678 (C.A.). 2011 QCCS 1293 (CanLII) 200-17-011258-092 200-17-011258-092 PAGE : 6 Le jugement pénal reste cependant un fait juridique important. Il apparaît difficilement concevable qu'un juge civil puisse l'ignorer complètement, ne lui accorder aucune foi, surtout au prix d'une contradiction flagrante entre les deux jugements. Ainsi, il serait curieux d'admettre, après un procès pénal où l'accusé a enregistré un plaidoyer de non-culpabilité, mais a été reconnu coupable et a été condamné, par exemple, pour négligence criminelle, qu'un juge civil déclare subséquemment que l'individu, sur le plan de sa responsabilité civile et à propos des mêmes faits, s'est conduit en personne prudente et diligente. […] 41 Ainsi, en raison de l'analogie se dégageant des fondements des articles 610, 893 et 2563 C.c.B.-C., je suis d'avis qu 'en l'espèce, la condamnation criminelle de M. Ali est admissible en preuve. Celle-ci constitue, en effet, dans le présent dossier, un fait pertinent au litige civil et un élément de preuve important. 42 L'introduction en preuve d'un verdict de culpabilité peut, selon les circonstances, permettre au juge civil de tirer les conclusions qui s'imposent relativement au fait que l'acte reproché a bel et bien été commis. Devant, comme dans le présent cas, un jugement pénal motivé établissant que les Ali ont volontairement mis le feu à leur édifice pour toucher l'assurance, il me semble difficile, en l'absence d'éléments des preuve nouveaux, que le juge civil, ignorant complètement ce fait, réévalue la preuve, par ailleurs, strictement identique, pour en arriver à une solution clairement contradictoire. Je vois mal, en effet, comment un juge civil, devant qui la fraude ne doit être prouvée que par simple prépondérante de preuve, peut conclure que deux personnes trouvées coupables d'incendie volontaire à la suite d'un procès où leur culpabilité doit être prouvée au-delà du doute raisonnable puisse, pour ainsi dire, «rejuger» à l'aide d'une preuve identique et qu'on arrive ainsi à deux décisions contradictoires. Les Ali sont des criminels qui ont volontairement mis le feu parce qu'ils voulaient frauder leur compagnie d'assurance, mais finalement ils n'ont pas mis le feu volontairement pour les fins du paiement de l'assurance; voilà le résultat! 43 Certes, il existe certaines hypothèses où l'accusé, même innocent, peut plaider coupable, notamment pour s'éviter les frais d'un procès. Dans ce cas, le juge civil peut, bien évidemment, et sans contradiction, remettre ce plaidoyer de culpabilité dans son contexte et en tirer les conséquences qui s'imposent. 44 Le jugement pénal est un fait juridique que nul ne peut ignorer, qui est pertinent et qui peut s'imposer quant à sa valeur probante. Le juge civil donc, sans attribuer à la condamnation l'autorité de chose jugée en droit ou en fait, est libre, selon les circonstances, d'en tirer les conclusions et les présomptions de fait appropriées. 2011 QCCS 1293 (CanLII) 33 Pour Jean-Louis Beaudouin, le jugement pénal constitue un fait juridique important qu'on peut difficilement ignorer: PAGE : 7 45 Comme l'a exprimé la Cour suprême d'Ontario dans l'affaire Demeter dont le jugement a été confirmé par la Cour d'appel de cette province, un individu trouvé coupable, à la suite d'un procès équitable et tenu selon les normes strictes de notre droit criminel, ne peut de façon incidente à la faveur d'un procès civil, rouvrir le débat sur la question de savoir s'il a, oui ou non, commis le crime reproché. » [35] Dans une autre décision de 20064, la Cour d'appel réitérait cette position dans les termes suivants: « [46] Lors du procès en Cour supérieure, les parties n'ont pas repris la preuve faite devant la Cour du Québec. S'appuyant sur l'arrêt de la Cour dans Val-Bélair (Ville de) c. Jean, le juge de première instance, à défaut de preuve contraire, motive en partie son jugement à l'aide du contenu factuel de la décision de la Cour du Québec. Cette approche est bien fondée. Les faits constatés dans le jugement de la Cour du Québec constituent un fait juridique «que nul ne peut ignorer, qui est pertinent et qui peut s'imposer par sa valeur probante». C'est le cas en l'espèce, plus particulièrement, en l'absence de preuve contraire et en fonction du jugement de la Cour du Québec qui a subi avec succès le test de la révision judiciaire. » (soulignements ajoutés) [36] Ces décisions furent réaffirmées à nouveau en 2009 par la Cour d'appel dans Association des propriétaires de boisés de la Beauce c. Le monde forestier5, alors que la juge Thibault s'exprimait ainsi: « [27] Sur cette question de présomption découlant d'une décision judiciaire ou quasi judiciaire, l'affaire Ali précitée a provoqué un changement dans l'orientation des tribunaux québécois. Depuis, la jurisprudence considère que toute constatation de fait à la base d'une décision judiciaire ou quasi judiciaire bénéficie de la présomption simple d'exactitude. (…) » (soulignement ajouté) [37] Avec égard pour l'opinion contraire, le soussigné ne peut donc passer outre aux constatations de faits à la base du jugement du juge Lavoie à la suite de la longue preuve qu'il a entendue, pour en arriver à une conclusion différente, sans que des faits nouveaux ou d'autres explications crédibles lui aient été donnés par les demandeurs. [38] Or, ce ne fut pas le cas, la preuve des demandeurs se résumant pratiquement au témoignage de Michel Noël qui n'a apporté aucun élément nouveau au témoignage qu'il avait rendu devant le juge Lavoie. [39] 4 5 Donc, qu'en est-il du contenu de ce jugement Lavoie? Régent Lessard c. Rochefort & Associés et Ville de la Prairie, 2006 QCCA 799. Association des propriétaires de boisés de la Beauce c. Le monde forestier, 2009 QCCA 48 (C.A.). 2011 QCCS 1293 (CanLII) 200-17-011258-092 200-17-011258-092 PAGE : 8 « [12] Comme déjà mentionné, la preuve de la poursuite révèle que quatre formulaires T-2057, à l'origine des accusations, ont été produits conjointement par Michel Noël et Gestion Michel Noël ltée. en annexe à leurs déclarations d'impôt des années 1997, 1998 et 1999; [13] Pour l'année 1997, le formulaire T-2057 indique que Michel Noël a cédé, le 3 décembre 1997, à Gestion Michel Noël ltée., en contrepartie de 138 000 actions de catégorie "C" de cette compagnie, 12 000 actions Cogeco; [14] Pour l'année 1998, le formulaire T-2057 indique que Michel Noël a cédé, le 1er novembre 1998, à Gestion Michel Noël ltée., en contrepartie de 162 513 actions de catégorie "C" de cette compagnie, 8 900 actions Cogeco; [15] Pour l'année 1999, un premier formulaire T-2057 indique que Michel Noël a cédé, le 22 janvier 1999, à Gestion Michel Noël ltée., en contrepartie de 50 000 actions de catégorie "C" de cette compagnie, 2000 actions Cogeco et un second formulaire indique, quant à lui, que Michel Noël a cédé le 27 avril 1999 à Gestion Michel Noël ltée., en contrepartie de 50 000 actions de catégorie "C" de cette compagnie, 2 000 actions Cogeco; [16] Le 3 décembre 1997, ce dernier a autorisé par écrit le transfert de 12 000 actions Cogeco du compte de Club Mont Tourbillon inc. au compte de Gestion Michel Noël ltée.; [17] La poursuivante produit des relevés de la firme de courtage pour le mois de décembre 1997 établissant que la compagnie Club Mont Tourbillon inc. a transféré 12 000 actions Cogeco au compte de l'accusée Gestion Michel Noël ltée., alors que le relevé du compte de Michel Noël à ce même établissement pour le même mois n'indique aucune transaction sur ce titre; [18] Pour l'année 1998, des relevés de la maison de courtage pour les mois de novembre et décembre établissent que Michel Noël a vendu sur le marché public un total de 8 900 actions Cogeco dont le produit de disposition est déposé dans son compte personnel. [19] Le relevé des transactions sur ce titre par l'accusée Gestion Michel Noël ltée., pendant cette même période, établit que toutes ses transactions sur ce titre ont eu lieu entre le 9 janvier 1998 et le 21 avril 1998; [20] Pour l'année 1999, les relevés de la maison de courtage établissent que le 22 janvier 1999, Michel Noël a vendu sur le marché public 2 000 actions Cogeco dont le produit a été déposé dans son compte personnel et établissent également que le 24 août de la même année, Sélectronic M. Noël ltée. a transféré 2 000 actions au compte de Gestion Michel Noël ltée. après que Michel Noël eut fait parvenir à la firme un ordre de transfert par écrit à cet effet; 2011 QCCS 1293 (CanLII) [40] Dans un premier temps, il est intéressant de prendre connaissance de la mise en situation dans les paragraphes suivants qui reflètent bien ce qui s'est passé dans les faits: 200-17-011258-092 PAGE : 9 [41] Le juge Lavoie a pu entendre le témoignage du défendeur Marc Bélanger, et à ce sujet il a écrit: « [22] Marc Bélanger est comptable-agrée et associé depuis 1993 dans la firme responsable de la confection et de la production des déclarations d'impôt des accusés pour les années mentionnées dans les accusations; [23] Il a pris la relève de Paul Forest dans les dossiers des accusés à cette firme à compter des années 1994-95; [24] Il décrit son rôle professionnel en déclarant qu'il fait les investigations requises afin de concilier sur le plan comptable les rapports entre les compagnies et entre Michel Noël et les compagnies et afin de les qualifier sur le plan fiscal; [25] Il est, dit-il, maître des recommandations faites à ses clients qui doivent donner, toutefois, leur aval aux stratégies proposées; [26] Des fiscalistes sont à son service pour l'appuyer dans ses conseils aux clients; [27] Il dit connaître Michel Noël depuis 1987; [28] Il connaît les mécanismes du roulement prévus à l'article 85(1) de la Loi; [29] Il mentionne que l'accusé Michel Noël avait le choix de vendre lui-même une partie de ses actions Cogeco en vue de couvrir financièrement les pertes de ses compagnies et devoir, de la sorte, payer 45% du produit de la vente en impôt ou bien de les faire vendre par Gestion Michel Noël ltée. qui, elle, se servant du produit de la vente pour éponger ses pertes, n'aurait pas d'impôt à payer; [30] À ses yeux, les principes comptables visent à respecter l'intention du client indépendamment des gestes posés par ce dernier dans la réalité; [31] Il rapporte avoir conseillé, en 1996 et en 1997, à l'accusé Michel Noël de transférer à son compte personnel les 12 000 actions Cogeco détenues par erreur par Club Mont Tourbillon inc.; [32] Il mentionne que l'accusé Michel Noël connaît bien ses affaires et décide luimême ce qui est bien pour lui; [33] Même s'il prépare les formulaires T-2057, il ne les produit pas à l'Agence sans le consentement du client; 2011 QCCS 1293 (CanLII) [21] Il est admis par la défense que les écritures comptables des accusés pour chacune des années 1997, 1998 et 1999 sont conformes aux formulaires de roulement produits pour ces mêmes années auprès de l'Agence. » PAGE : 10 [34] Il mentionne, même s'il était alors le comptable de l'accusé Michel Noël et de Gestion Michel Noël ltée., qu'il n'a pas eu connaissance en 1995 du jugement de la Cour canadienne de l'impôt, ni même avoir discuté avec l'accusé Michel Noël à ce moment, de son impact sur le traitement fiscal de ses transactions; [35] Il ressort de la preuve que, le 20 avril 1999, des projets de rapports financiers à produire pour l'année 1998 sont acheminés à l'accusé Michel Noël sans qu'il y soit fait mention d'un roulement en vertu de l'article 85 de la Loi et que, lors de l'envoi des documents finals, quelque dix jours plus tard, un formulaire de roulement T-2057 était produit à l'Agence; » [42] Par la suite le juge Lavoie reprend cette fois-là une partie des éléments importants du témoignage de Michel Noël: « [36] L'accusé Michel Noël déclare devant le Tribunal qu'en 1995, après le jugement de la Cour canadienne de l'impôt, il a discuté de son impact avec Marc Bélanger, son comptable, qui devait ajuster les déclarations fiscales postérieures en conséquence; [37] L'accusé Michel Noël déclare qu'il n'a pas suivi les conseils des comptables Forest, Vachon ou Bélanger à l'effet de transférer ses actions Cogeco dans le compte de Gestion Michel Noël ltée. suite au jugement de la Cour canadienne de l'impôt de 1995; [38] Pour l'accusé Michel Noël, c'était toujours la même stratégie qui devait prévaloir à savoir, que lorsqu'une de ses entreprises perdait de l'argent, il y avait roulement; [39] L'accusé Michel Noël déclare que les actions Cogeco vendues sur le marché public ont toujours servi à cette fin, sauf, peut-être, lors du départ d'un associé; [40] Il ressort du témoignage de l'accusé Michel Noël qu'à ses yeux, ses comptables, à l'époque, avaient la responsabilité de rédiger les documents constatant les roulements, mais qu'il avait, lui, la responsabilité de décider qui disposait des actions Cogeco; [41] Il ressort également de la preuve que les professionnels mandatés par l'accusé Michel Noël ne l'ont pas avisé du danger de faire de fausses déclarations, mais il demeure que ce dernier savait que les transactions dénoncées aux autorités fiscales dans les formulaires de roulement ne reflétaient pas la réalité; » [43] Et après analyse de la preuve, le juge Lavoie rend jugement et statue ainsi: « [42] Le Tribunal conclut de la preuve faite que l'accusé Michel Noël connaissait fort bien le mécanisme et l'utilité des roulements, même s'il peut ne pas avoir une compréhension personnelle des dispositions très techniques de l'article 85 de la Loi, il savait très bien, pour l'avoir utilisé à douze reprises entre 1983 et 1997, dans quelles circonstances le roulement était avantageux sur le plan fiscal; 2011 QCCS 1293 (CanLII) 200-17-011258-092 200-17-011258-092 PAGE : 11 [44] Le Tribunal croit l'accusé Michel Noël quand il déclare avoir discuté, à l'époque de son prononcé, avec son comptable Marc Bélanger de l'impact du jugement de 1995 de la Cour canadienne de l'impôt sur ses transactions futures des actions Cogeco; [45] Le Tribunal retient que l'accusé Michel Noël a fait fi du conseil de ses comptables à l'époque de transférer ses actions Cogeco à la co-accusée Gestion Michel Noël ltée. pour éviter la répétition d'une contestation de ses roulements par les autorités fiscales; [46] Le Tribunal est d'avis que l'accusé Michel Noël imposait à ses comptables, à tout le moins à l'époque des accusations, sa façon personnelle de disposer de ses actions Cogeco en ne leur laissant pas le choix de produire d'autres formulaires que ceux visés par les accusations et d'inscrire dans la comptabilité des accusés, pour les années mentionnées aux accusations, des fausses transactions visant à éluder le paiement de l'impôt ayant normalement dû être versé; [47] Il ressort donc clairement de la preuve que l'accusé Michel Noël était en 1997, 1998 et 1999, un homme d'affaires averti et expérimenté qui n'était pas sans savoir, selon la preuve faite hors de tout doute raisonnable, que les formulaires de roulement produits pour ces années étaient faux et que leur production faisait en sorte d'éluder le paiement des impôts normalement payables; » (soulignements ajoutés) [44] Quant au juge De Blois, en appel, celui-ci entérine le jugement précité, et indique entre autres6: « [9] Le 22 septembre 2006, le comptable Marc Bélanger rend témoignage en défense. Il mentionne ceci: […] Mais c'est sûr que la production, j'ai, ce, ce formulaire de roulement-là ne peut pas avoir été produit à son insu, si on y va d'une extrémité à l'autre. Ça fait que de, de vous dire que toutes les décisions qu'on a prises face à la date, probablement que la date on n'en a pas, on n'en a pas discuté plus que ça. Mais par rapport au fait que là on a produit ce, ce formulaire-là, c'est impossible que je l'ai produit, et comme je vous disais, à l'insu de monsieur Noël … 6 Gestion Michel Noël ltée et Michel Noël c. Sa Majesté La Reine, C.S. Québec, 200-36-001366-079, juge Louis de Blois, j.c.s., 4 décembre 2007. 2011 QCCS 1293 (CanLII) [43] Il usait du capital que représentait la valeur de ces actions Cogeco qu'il possédait personnellement pour financer les besoins de ses entreprises dans certaines circonstances bien précises; 200-17-011258-092 PAGE : 12 [10] La défense des appelants en première instance était qu'ils croyaient sincèrement que les formulaires de roulement étaient produits par le comptable et qu'ils n'étaient pas au courant des faussetés qu'ils contenaient. [11] Ils plaident en appel que le juge de première instance n'a pas considéré ce moyen de défense. Les appelants soutiennent, à tort, cet argument: Il est, en effet, manifeste du jugement entrepris que le juge de première instance n'a tout simplement pas cru en cette croyance sincère. Au contraire, il conclut que les appelants savaient pertinemment qu'ils devaient déposer les formulaires de roulement dans les délais impartis et que les renseignements ne pouvaient être faussés en ce qui concerne les dates et les parties entre lesquelles les roulements ont été effectués, pour ainsi bénéficier de l'allègement fiscal prévu dans ces cas. » (soulignements ajoutés). [45] Ce qui devait l'amener à conclure que le jugement de première instance était bien fondé et que: « [14] Quant à l'intention criminelle, la mens rea, elle s'établit par les circonstances de la production du formulaire de roulement pour donner effet à l'allègement fiscal recherché entre les parties, ce qui permet d'inférer leur intention criminelle et la connaissance du caractère malhonnête de leur geste. Les appelants ont, en conséquence, bénéficié à d'importantes exemptions d'impôt dont ils n'auraient pas eu droit sans la production de ces faux documents. [15] Le juge de première instance a rendu un jugement étoffé et fort bien motivé, et les appelants n'ont pas su démontrer l'existence d'une erreur de droit ou de faits manifeste ou dominante, ni que le verdict est déraisonnable. [16] Dans les circonstances, la preuve établissait l'intention de frauder, et le verdict ne saurait être annulé au motif qu'il est déraisonnable. » (soulignements ajoutés) b) La responsabilité des défendeurs [46] Tout d'abord, il est important de préciser que ce sont les demandeurs qui ont été accusés et déclarés coupables d'avoir produit de fausses déclarations, pas le défendeur Marc Bélanger, ni la défenderesse DFK, contre qui d'ailleurs aucune accusation n'a été portée par l'ARC, que ce soit pour avoir produit de fausses déclarations de roulement ou pour complicité. 2011 QCCS 1293 (CanLII) […] 200-17-011258-092 PAGE : 13 [48] Or, tel que rapporté par le juge Lavoie, et tel que le soussigné a pu le constater à la lecture des interrogatoires qui se sont tenus devant lui en 2006, de même que ceux tenus au préalable dans le cadre du présent dossier, la preuve est irréfutable à l'effet que Michel Noël savait pertinemment que les transactions dénoncées aux autorités fiscales dans les formulaires de roulement litigieux ne reflétaient pas la réalité, qu'elles étaient fausses et frauduleuses. [49] Et non seulement Michel Noël a-t-il permis à ses comptables de produire lesdits formulaires, mais en ce qui concerne ceux portant sur l'année 1999, c'est lui-même qui les a signés, les autres l'étant par Marc Bélanger, avec son autorisation, vu les délais stricts à la production de documents, faisant en sorte qu'il ne lui était pas possible de venir les signer personnellement aux bureaux de DFK. [50] Il ne faut pas perdre de vue non plus la condamnation en octobre 1995, donc à peine 2 ans avant la production des déclarations fausses de 1997, des mêmes demandeurs devant la Cour canadienne de l'impôt, qui aurait dû leur servir d'avertissement sévère. [51] Il est facile après coup de dire que le défendeur Bélanger aurait pu à la rigueur agir autrement à l'époque, en tenant tête à son client, en refusant de produire lesdits documents, au risque de le perdre, lui et ses entreprises, comme clients. [52] Est-ce que le fait de ne pas l'avoir fait le rend aujourd'hui responsable civilement, de même que sa société, des conséquences fâcheuses subies par les demandeurs à cause de leurs propres actes jugés frauduleux? [53] Le tribunal ne le croit pas. Si cela avait été fait à l'insu des demandeurs, ou sans qu'ils connaissent la signification et les conséquences de la production de telles déclarations de roulement, la situation eut été probablement différente. Mais tel n'est pas le cas. [54] Tout d'abord, la preuve des demandeurs recèle une faille importante, eux sur qui reposait le fardeau de la preuve. [55] En effet, même si les demandeurs allèguent que les défendeurs ne se sont pas comportés comme l'aurait fait un comptable normalement prudent et diligent dans les mêmes circonstances, donc qu'il s'est écarté des règles de l'art ou des normes établies et généralement acceptées en semblable matière, ils n'ont produit aucune expertise qui aurait démontré au soussigné, qui n'est pas un expert en telle matière, que tel est le cas. 2011 QCCS 1293 (CanLII) [47] C'est uniquement aux demandeurs que les juges Lavoie et de Blois ont reconnu une « intention de frauder » et la « connaissance du caractère malhonnête de leur geste ». PAGE : 14 [56] Dans une affaire où il avait à traiter de la responsabilité professionnelle non pas de comptables mais de chirurgiens, le juge Carl Lachance7 rejetait l'action des demandeurs entre autres pour une question d'absence d'expertise au soutien de leurs prétentions: « [48] En outre, le Tribunal, en matière de responsabilité professionnelle, ne peut, en l'absence d'expertise prépondérante, en venir à la conclusion que les défendeurs n'ont pas suivi les règles de l'art lors des traitements et opérations sur la personne du demandeur. Les passages suivants de la jurisprudence sont éloquents à ce sujet : « [77] À la différence des faits de l'arrêt Roberge c. Bolduc, précité, qui concernait la responsabilité professionnelle d'un notaire, il s'agit en l'espèce de qualifier la conduite professionnelle d'un psychiatre. Si un juge peut, à certains égards, puiser dans ses connaissances personnelles des règles de l'art de la pratique du droit, vu sa formation juridique, pour apprécier la conduite de la pratique d'un avocat ou d'un notaire, encore que cela ne soit pas sans limites, il ne peut prétendre à une connaissance équivalente du domaine spécialisé de la psychiatrie. » « 6- En matière de traitement médical, pour décider s'il y a eu faute, un juge ne saurait se fonder sur son opinion personnelle à l'encontre de celle des experts. Le juge doit plutôt se demander si l'acte est conforme à la pratique médicale actuelle. Villemure c. Turcot (1973) S.C.R. 716 à p. 719, opinion de M. le juge Pigeon. » « [29] Il est bien établi qu'un médecin a normalement une obligation de moyens et non de résultat et que c'est à la personne qui invoque une faute d'en faire la preuve puisqu'elle doit démontrer que le professionnel de la santé n'a pas agi selon les règles de l'art. [30] Ici, en l'absence d'expertise concluante quant au non respect des règles de l'art par Sabbah, le Tribunal ne peut conclure à une faute de sa part qui entraînerait sa responsabilité. » [Citations omises] […] [60] Aucune preuve experte n'établit qu'un médecin prudent aurait fait passer une radiographie et qu'à la suite d'une telle radiographie, une décision aurait dû être prise par le spécialiste d'enlever toutes les broches et collets. […] 7 Camil Lebrun et als. c. Docteur André Brassard et als., 2009, QCCS 2664. 2011 QCCS 1293 (CanLII) 200-17-011258-092 200-17-011258-092 PAGE : 15 (soulignement ajouté) [57] Même si ici ce ne sont pas des spécialistes de la santé qui sont en cause, il n'en demeure pas moins que ce sont des membres d'une corporation professionnelle, des spécialistes dans une discipline difficile à cerner pour quelqu'un qui n'a pas leur formation académique, comme par exemple un juge appelé à trancher en semblable domaine. [58] Dans une décision rendue en 19908, la Cour d'appel s'exprimait ainsi au même sujet, en traitant cette fois-là de la responsabilité professionnelle de comptables: « Pour ce faire, il faut donc comparer leur conduite à celle qu'aurait eue, dans les mêmes circonstances, une firme de comptables raisonnablement prudente et diligence. » [59] Mais pour comparer, encore faut-il un comparable, donc une expertise. [60] La Cour d'appel était également du même avis en 2007 dans l'affaire Maurice Leduc c. Louis Soccio9, alors qu'elle déclarait: « [81] Si la juge pouvait écarter, comme elle l'a fait, le témoignage des deux experts, tant celui de l'appelant que celui de l'intimé, encore fallait-il, pour évaluer la conduite professionnelle diligente et prudente de l'appelant dans la confection de son rapport complémentaire, qu'elle puisse fonder ses conclusions à cet égard sur une quelconque preuve des règles de l'art de la pratique médicale dans le domaine de la psychiatrie. Faire autrement voudrait dire qu'un juge peut déterminer la norme de comportement du professionnel prudent et diligent de manière purement subjective, sans autres connaissances d'un domaine spécialisé. » (soulignement ajouté) [61] Ceci étant dit, même si une telle preuve par expertise avait été apportée, cela n'aurait rien changé aux conclusions du présent jugement vu le comportement fautif des demandeurs eux-mêmes. [62] En effet, il serait plutôt singulier pour un homme d'affaires averti comme Michel Noël, et très au fait des manœuvres frauduleuses dont il est lui-même l'instigateur pour éviter de payer de l'impôt, et alors qu'il serait le seul à bénéficier d'une telle fraude, avec ses entreprises, de vouloir aujourd'hui en faire porter la responsabilité par son 8 9 Caisse Populaire de Charlesbourg c. Léandre Michaud, AZ-90011568 (C.A.). 2007 QCCA 209. 2011 QCCS 1293 (CanLII) [64] Encore une fois, aucune preuve experte ne démontre que ce fait constitue une faute et la relation de cette faute avec des dommages. Le témoignage du Dr Michaud laisse entendre que le tout est normal. » 200-17-011258-092 PAGE : 16 [63] Il y a lieu de citer à nouveau ce que le juge Jogues Lavoie écrivait en 2006 dans son jugement à ce sujet: « [46] Le Tribunal est d'avis que l'accusé Michel Noël imposait à ses comptables, à tout le moins à l'époque des accusations, sa façon personnelle de disposer de ses actions Cogeco en ne leur laissant pas le choix de produire d'autres formulaires que ceux visés par les accusations et d'inscrire dans la comptabilité des accusés, pour les années mentionnées aux accusations, des fausses transactions visant à éluder le paiement de l'impôt ayant normalement dû être versé; » (soulignements ajoutés) [64] En résumé, le tribunal ne peut faire autrement que conclure que les demandeurs sont les instigateurs de leur propre malheur et qu'ils doivent en supporter les conséquences. [65] Car il n'est pas suffisant de démontrer que les défendeurs auraient commis une faute, encore faut-il que les demandeurs démontrent un lien de causalité entre celle-ci et le préjudice subi. [66] Or, force est de constater que ce lien de causalité n'existe pas, et s'il avait existé, il aurait été brisé par les propres agissements fautifs de Michel Noël. [67] La doctrine et la jurisprudence ont reconnu que de façon générale l'obligation d'un comptable en est une de moyen et non de résultat. [68] À cet effet, dans leur traité sur La responsabilité civile, les auteurs Baudouin et Deslauriers10 indiquent: « La détermination de la responsabilité du comptable est en fonction de l'intensité de l'obligation contractuellement assumée, qui, la plupart du temps, reste une obligation de moyens. Le client doit donc démontrer qu'eu égard aux circonstances, que celui-ci ne s'est pas comporté comme l'aurait fait un comptable normalement prudent et diligent, et donc qu'il s'est écarté des règles de l'art ou des normes établies et généralement acceptées. À cet égard, peu importe que la faute ait été intentionnelle ou lourde puisqu'une faute simple et suffisante peut engager la responsabilité. » [69] Et en ce qui concerne l'obligation de conseil du comptable vis-à-vis son client, les auteurs Baudouin et Deslauriers précisent: 10 BAUDOUIN, Jean-Louis et DESLAURIERS, Patrice, La responsabilité civile, 7e édition, 2007, Éditions Yvon Blais., p. 178. 2011 QCCS 1293 (CanLII) comptable qu'il semble avoir littéralement « embarqué » dans son aventure par l'ascendant qu'il exerçait sur lui. 200-17-011258-092 PAGE : 17 (soulignement ajouté) [70] À cet égard, le demandeur Michel Noël était un client averti et expérimenté, ayant été impliqué dans au moins une douzaine de roulements fiscaux depuis 1983, tel qu'il appert du tableau P-4 produit lors du procès, et tel que l'a reconnu le juge Lavoie. [71] Michel Noël connaissait donc très bien la technique de roulement, et il savait pertinemment que les actions Cogeco devaient être transférées à GESTION avant d'être vendues sur le marché pour bénéficier du mécanisme de roulement et des avantages fiscaux que procure celui-ci. [72] En ce qui concerne cette question de la connaissance personnelle par Michel Noël du fait que son comptable avait produit les déclarations de roulement qui n'étaient pas conformes à la réalité, lorsqu'il est interrogé au préalable dans le cadre du présent dossier le 16 octobre 2009, il déclare: « Q. Ces formulaires-là ont été signés par monsieur Bélanger, vous les avez… monsieur Bélanger vous les a transmis par la suite ou vous les aviez à votre dossier, vous en avez pris connaissance? R. Ça… oui. Q. Bon. Ils n'ont pas été produits à votre insu, là? C'est… R. Non… (p. 154) […] Q. Je comprends. Mais à tout événement, ils ont été discutés avec vous ou… ? R. Oui oui oui, je ne nie pas que ça a été discuté. Q. Donc, c'est ça, ça n'a pas été produit à votre insu, là? R. Exactement. Mais je ne l'accuse pas d'avoir signé des papiers qu'il n'avait pas le droit de signer non plus. […] Q. Un petit retour sur la stratégie fiscale. Vous dites, les… vous m'avez dit, les formulaires de roulement, là, qui ont été présentés étaient conformes à la stratégie qui avait été établie. Elle a été établie quand, cette stratégie-là, exactement? Vous souvenez-vous? 2011 QCCS 1293 (CanLII) « L'intensité de son devoir est toutefois variable en fonction des connaissances propres du client sur le sujet. » (p. 182). 200-17-011258-092 PAGE : 18 R. Bien, «une stratégie», le mot est fort, là, c'est une planification stan… R. Avec… Q. … étaient la planification. R. C'est ça. Parce que stratégie, là, il n'y a pas grand-chose, tu perds de l'argent, tu la prends où pour renflouer? Lorsque… avec monsieur Forest, lorsqu'on a mis les actions au nom de Gestion, c'était… on m'avait expliqué, parce que la… comment fonctionnait un peu le roulement, puis l'avantage que j'avais de… évidemment, garder ça de même, puis.. c'est sûr qu'on aurait pu tout les vendre, les actions là, Cogeco, payer l'impôt, puis j'aurais du liquide, mais on a dit: «Non non, garde-les, puis tu as la possibilité de t'en servir, tu peux les marginer.» Q. Ou éponger des pertes? R. Bien, faire du… via une formule de roulement, les transférer dans… c'est… c'était… quand on parle de planification, c'est une planification très de base, là, il n'y a rien de compliqué dans mes choses, là. » (p. 155-156) (soulignements ajoutés) [73] Michel Noël suivait avec régularité la situation financière de ses entreprises et justement pour pouvoir profiter de l'avantage fiscal du roulement, il demandait régulièrement aux défendeurs de lui transmettre l'état des pertes de ses entreprises aux fins d'application de la stratégie fiscale élaborée avec ceux-ci. [74] De plus, non seulement Michel Noël s'impliquait activement dans la gestion comptable et fiscale de ses entreprises, mais il appert de la preuve qu'à plusieurs occasions il a même fait fi des recommandations de ses comptables. [75] En effet, à un moment donné, avant que les demandeurs soient visés par des plaintes pénales de la part de l'ARC, Marc Bélanger avait recommandé à Michel Noël de transférer par roulement toutes ses actions restantes de Cogeco, de façon à lui éviter justement d'avoir des problèmes de roulement avec le fisc, ce que Michel Noël a carrément refusé, jugeant qu'il serait toujours temps de les transférer. Il n'était pas d'accord avec cette stratégie de son comptable, et il a fait ce que bon lui semblait. S'il avait suivi cette recommandation de Marc Bélanger, il n'aurait jamais connu les problèmes qu'il a eus par la suite avec le fisc. [76] Un autre exemple des problèmes de communication entre Marc Bélanger et son client Michel Noël, qui ne se conformait pas toujours à ses recommandations, est bien 2011 QCCS 1293 (CanLII) Q. Ou la planification, oui, je pense que vos mots… 200-17-011258-092 PAGE : 19 [77] Marc Bélanger a bien vu qu'il y avait eu un tel transfert, sauf que lorsqu'il a reçu les états financiers de Club de golf Mont Tourbillon inc., qu'incidemment il n'avait pas mandat de confectionner, et comme il savait que 25 000 actions avaient déjà été transférées à cette compagnie en 1994, il s'attendait à y retrouver 37 000 actions de Cogeco. Or, il n'y en avait que 25 000. [78] Il communique alors avec Michel Noël qui lui dit qu'il n'aurait jamais dû transférer les 12 000 actions de Cogeco dans Club de golf Mont Tourbillon et qu'il allait les récupérer dans son compte personnel. Sauf qu'il n'en fait rien. [79] L'année suivante, en préparant les états financiers pour 1996, Marc Bélanger constate que le transfert n'a pas été exécuté par Michel Noël, contrairement à ce qu'il lui avait été dit. À nouveau il communique avec lui et lui indique encore de s'exécuter au plus vite. [80] Ce dernier réitère à Marc Bélanger que la situation serait corrigée et que les actions seraient retournées dans son compte personnel pour être roulées dans GESTION. [81] Encore une fois il n'en fait rien. De sorte que Marc Bélanger, croyant que cela avait été fait, produit un formulaire T-2057 pour 1997 faisant état d'un roulement de Michel Noël à GESTION, alors que les actions n'avaient pas été retournées à Michel Noël par Club de golf Mont Tourbillon inc. [82] Cela illustre bien les difficultés rencontrées par Marc Bélanger dans le cadre de l'exécution de son mandat, avec Michel Noël, qui, plus souvent qu'autrement, faisait à sa tête et ne suivait pas les recommandations de son comptable. [83] À ce sujet, lorsqu'il est interrogé au procès en Cour du Québec le 22 septembre 2006, Michel Noël affirme, concernant le transfert de ces 12 000 actions: « Je ne peux pas vous dire qu'elle erreur s'est produite, je vois bien que M. Vachon, le con, con, ne le considérait pas M. Bélanger non plus. Est-ce qu'on m'a dit – sûrement parce qu'il l'a, il l'a mentionné que j'aurais dû – est-ce qu'il y a un mémo dans – j'aurais dû les, les retourner ou je ne sais pas là. Je n'ai pas eu de mémo à nulle part, est-ce qu'on me l'a dit, j'ai oublié, est-ce que c'est une erreur de ma part de ne pas avoir avisé le courtier de corriger ça? Je ne le sais pas, ça duré, ça duré quand même pendant un certain temps là. Je ne me rappelle pas pourquoi c'est, c'est demeuré flottant. » (soulignements ajoutés) 2011 QCCS 1293 (CanLII) illustré par un imbroglio concernant le roulement de 12 000 actions de Cogeco qui auraient été transférées par Michel Noël à Club de golf Mont Tourbillon inc. en 1995. 200-17-011258-092 PAGE : 20 [85] Et dès après, toujours dans son témoignage devant ce dernier, Michel Noël semble reprocher à son comptable de ne pas l'avoir « vraiment brassé » pour reprendre son expression. [86] De l'avis du soussigné, cela n'aurait rien changé. [87] Lorsque Michel Noël a vendu personnellement sur le marché 8 900 actions Cogeco en novembre et décembre 1998, ce qui est à la source de deux autres déclarations de roulement jugées irrégulières, Marc Bélanger lui avait expressément dit qu'il fallait qu'il les roule dans GESTION avant de les vendre. [88] Or, il a encore fait à sa tête et n'a pas suivi cette autre recommandation de son comptable. [89] Pourtant, Michel Noël reconnaît que cette recommandation était bonne, et qu'il savait très bien qu'il devait procéder de cette façon: « R. moi je pense que, les, les actions, pour les vendre, les rouler dans Gestion, je pense que c'est un principe que je n'ai pas à, on a pas besoin d'être un fiscaliste pour le comprendre. » (Interrogatoire au procès du 22 septembre 2006, p. 91 des notes sténographiques). (soulignement ajouté) [90] Et un peu plus loin Michel Noël en rajoute: « Q. Mais vous, vous êtes au courant aussi que on fait une planification qui nous dit, puis qu'on vous avise que toutes les actions qui doivent être vendues doivent être vendues dans le compte Gestion Michel Noël. R. Mais ça, c'est un principe de base, là, je, je n'ai pas à, il n'a pas à me le répéter là, je ne pense pas qu'il me le répète… (p. 101). (soulignement ajouté) [91] Et de toute façon, seul Michel Noël avait l'autorité et le pouvoir de procéder à des transactions sur les actions Cogeco, tel qu'il l'a admis dans sa réponse à la défense des défendeurs au paragraphe 58. Son comptable ne le pouvait pas. [92] En conséquence, il était seul responsable de la réalisation de l'étape manquante à la planification fiscale pour bénéficier des roulements contestés en 1997, 1998 et 1999, qu'il connaissait très bien, et qu'il a omis de respecter sciemment pour tenter de frauder le fisc. Et aujourd'hui il voudrait en faire supporter la responsabilité par ses 2011 QCCS 1293 (CanLII) [84] Le soussigné n'a aucune difficulté à préférer l'affirmation catégorique et non contredite de Marc Bélanger à l'effet qu'il a averti Michel Noël de rétrocéder les 12 000 actions, plutôt que celle, évasive, de ce dernier devant le juge Lavoie. 200-17-011258-092 PAGE : 21 [93] En fait, toute la théorie du demandeur Michel Noël repose sur un aveuglement volontaire de sa part, que le soussigné, tout comme le juge Lavoie en Cour du Québec, ne saurait cautionner. [94] Michel Noël avait tout en mains pour prendre des décisions éclairées et légales, et il n'en tenait qu'à lui de le faire dans le respect de la législation fiscale applicable qu'il connaissait très bien. [95] Il ne pouvait pas être l'instigateur de manœuvres frauduleuses auxquelles il associait son comptable involontairement, et par la suite l'en rendre responsable parce que sa fraude a été découverte. Ce serait trop facile. [96] Donner raison aux demandeurs signifierait cautionner les démarches criminelles d'un contribuable qui sciemment tenterait de frauder l'impôt avec l'aide de son comptable, et qui, en cas de réussite, bénéficierait de sommes importantes soustraites à l'impôt, alors que s'il échoue, il se ferait rembourser ses dépenses, intérêts, pénalités et amendes par son comptable. [97] Dans une décision de 1997, la Cour d'appel11 a entériné une décision d'un juge de la Cour supérieure qui avait rejeté le recours en dommages-intérêts d'une entreprise contre ses comptables, en responsabilité professionnelle, malgré qu'il avait été reconnu que ceux-ci avaient commis une erreur dans la préparation d'une analyse financière ayant amené à une transaction. [98] La Cour d'appel s'exprime entre autres ainsi: « Malgré ceci, le juge conclut que cette classification irrégulière était manifeste et apparente dans l'analyse financière des sociétés intéressant les appelantes qui, conséquemment, n'ont pas été induites en erreur. Au contraire, les appelantes ont manifesté une négligence certaine en omettant d'analyser sérieusement les documents qui leur ont été remis. Se prononçant sur la crédibilité des appelantes, le juge refuse de croire que les appelantes n'étaient pas au courant de la situation financière réelle du Groupe Raymond. » [99] La Cour d'appel a considéré qu'il n'y avait aucune erreur manifeste dans le raisonnement du juge de première instance qui en était venu à la conclusion que les investissements des appelantes avaient été faits en pleine connaissance de cause par des personnes expérimentées et averties, comme c'est le cas ici en l'espèce avec Michel Noël, et cela malgré que le comptable ait commis une erreur. 11 Placements Marcel Lauzon ltée et als. c. Gilles Bolduc et als., AZ-97011526 (C.A.). 2011 QCCS 1293 (CanLII) comptables. Ce serait trop facile de s'esquiver ainsi. Encore faut-il avoir les mains propres pour reprocher ses professionnels. PAGE : 22 [100] Comme l'a reconnu la Cour d'appel dans une autre décision de 200612, un contribuable ne peut pas se limiter à remettre les documents nécessaires à produire des déclarations fiscales, sans faire aucune vérification, et prétendre n'encourir aucune responsabilité à l'égard de cette déclaration. [101] Et de toute façon, si tant est qu'il soit vrai que Michel Noël n'aurait rien eu à se reprocher et que tout cet imbroglio ne soit que la conséquence des erreurs de ses comptables, il aurait pu facilement plaider ce moyen devant le juge Lavoie de la Cour du Québec, car les tribunaux ont déjà reconnu qu'un contribuable de bonne foi victime des erreurs de son comptable puisse ne pas être pénalisé. [102] Le moins que l'on puisse dire, c'est que si cet argument a été soulevé par le procureur de Michel Noël dans sa plaidoirie devant le juge Lavoie, il ne fut pas retenu. [103] Au surcroît, si l'opinion et les conseils que Marc Bélanger a donnés à Michel Noël à l'époque étaient non conformes aux règles de l'art en semblable matière, il semble bien que ce n'était pas si évident que cela, puisque les nouveaux comptables qu'il a embauchés au début de l'an 2000 après qu'il ait remercié de ses services Marc Bélanger, semblent avoir partagé l'opinion de ce dernier. [104] En effet, non seulement Michel Noël a-t-il contesté avec vigueur les chefs d'accusation qui étaient portés contre lui et GESTION, avec l'appui de son nouveau comptable, mais celui-ci, dans une lettre du 5 avril 2006, adressée au chef des appels de l'ARC, affirmait: « Nous réfutons toutes les allégations de l'ARC sur la base qu'il y a bien eu un transfert de 8 900 actions de Cogeco inc. en contrepartie de 112 513 actions de catégorie "C" de GMN et d'une augmentation d'un montant de 50 000,00 $ du compte « Dû Michel Noël », que le formulaire de roulement a été produit dans les délais prescrits et que cette transaction a été correctement présentée dans les états financiers de GMN. De plus, nous nous opposons au fait que l'ARC a appliqué la pénalité prévue au paragraphe 163 (2) de la L.I.R., car Monsieur Noël n'a jamais fait, sciemment, ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans les documents produits pour l'année concernée. » [105] Et le comptable Jocelyn Fortier réitère dans la même lettre ce que ci-dessus mentionné pour l'année 1999 également, et il avait fait de même pour l'année 1997 dans une lettre du 4 mars 2005. CONCLUSION [106] De tout ce qui précède, le soussigné conclut que même si une erreur ou une maladresse avait été commise par les défendeurs et qu'on pourrait la qualifier de faute au sens du Code civil, et qu'il y a preuve d'un préjudice, il n'en demeure pas moins que 12 Sous-ministre du revenu du Québec c. Dea, 2006 QCCA 262. 2011 QCCS 1293 (CanLII) 200-17-011258-092 200-17-011258-092 PAGE : 23 [107] Comme l'indiquait la Cour d'appel en 1990 dans le dossier de la Caisse Populaire de Charlesbourg c. Léandre Michaud13: « Même si les comptables intimés ont commis des fautes donnant ouverture à responsabilité civile, encore faut-il qu'entre ces fautes et le préjudice subi, il soit possible d'établir un lien de causalité suffisant. » (p. 13). (soulignement ajouté) [108] Même en prenant pour acquis que les défendeurs ont commis une erreur professionnelle, le lien de causalité n'existe pas, ou à tout le moins a été rompu par Michel Noël qui savait pertinemment que les déclarations produites ne reflétaient pas la réalité, et il était de son devoir de faire en sorte que lesdites déclarations fausses ne soient pas transmises à l'ARC, ou l'étant déjà, soient retirées de son dossier fiscal avant qu'il ne soit trop tard. [109] Est-il nécessaire de reprendre ce que le juge Jogues Lavoie écrivait à la toute fin de son jugement du 18 décembre 2006: « [47] Il ressort donc clairement de la preuve que l'accusé Michel Noël était en 1997, 1998 et 1999, un homme d'affaires averti et expérimenté qui n'était pas sans savoir, selon la preuve faite hors de tout doute raisonnable, que les formulaires de roulement produits pour ces années étaient faux et que leur production faisait en sorte d'éluder le paiement des impôts normalement payables; » (soulignements ajoutés) [110] Les procureurs des demandeurs ont produit certaines décisions jurisprudentielles pour soutenir leurs prétentions, mais après analyse, il appert que celles-ci ne leur sont d'aucun secours. [111] Tout d'abord, dans aucune de celles-ci les tribunaux ont approuvé des gestes frauduleux pour retenir la responsabilité des comptables. [112] Ils invoquent tout d'abord une décision du 19 juin 2009 de la juge Danielle Blondin14 dans laquelle les comptables des défendeurs admettaient avoir commis une erreur professionnelle ayant eu des conséquences importantes pour leurs clientes. 13 14 Supra note 8, p. 15. Ferme J.R. Carrier inc. et als. c. Faguy Jalbert et Associés inc. et als., 2009, QCCS 3550, 200-17006387-054, 19 juin 2009. 2011 QCCS 1293 (CanLII) les demandeurs, sur qui reposait le fardeau de la preuve, n'ont pas démontré de lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués. 200-17-011258-092 PAGE : 24 [114] Ce passage suivant de la décision de la juge Blondin l'illustre bien: « [85] Un professionnel prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances aurait vérifié que les demandeurs comprenaient bien les notions comptables ou fiscales auxquelles il référait et l’ampleur des dépenses dans laquelle ils s’engageaient. De plus il les aurait avisés que l’impact fiscal dont il leur parlait n’incluait pas les impôts personnels payables par les actionnaires. C’était peutêtre un acquis pour lui mais pas nécessairement pour un citoyen ordinaire qui consultait son expert-comptable et qui, à l’instar de sa compagnie, n’avait pas payé d’impôt depuis plusieurs années. [86] Pour tous ces motifs, le Tribunal retient que le défendeur Faguy a commis une faute en ne se conduisant pas comme un professionnel prudent et diligent oeuvrant dans le même domaine et placé dans les mêmes circonstances. Il a manqué à son devoir de conseil en n’exposant pas à ses clients d’une façon complète et objective la nature et la portée du problème qui lui était soumis et en ne fournissant pas les explications nécessaires à la bonne compréhension et appréciation des services qu’il rendait. » (soulignements ajoutés) [115] Dans la décision du juge Jean Lemelin du 9 juin 200815, celui-ci a accueilli partiellement la réclamation de Marie-France St-Pierre, qui a dû payer au fisc plus de 37 000,00 $ parce qu'elle ne rencontrait pas les exigences pour réclamer l'exemption du gain en capital qu'elle réalisait suite à la vente d'actions qu'on lui avait transférées dans une transaction, ne les ayant pas détenues au moins 24 mois avant la vente. [116] Or, non seulement le comptable a admis son erreur, mais il a même reconnu qu'il ne connaissait pas cette exigence des lois fiscales, faisant dire au juge Lemelin: « [88] André Morisset a reconnu devant le tribunal que cette question lui avait échappé, et qu'il avait commis une erreur. Il a admis qu'il ne connaissait pas cette exigence. Étant une exigence très clairement énoncée dans la loi, le tribunal est d'avis que d'avoir méconnu cette disposition et de ne pas l'avoir pris en compte constitue une faute. Même l'expert Kirouac dit qu'il s'agissait d'une exigence connue et élémentaire. » [117] Dans la décision du juge Raymond W. Pronovost du 11 février 200216, celui-ci a accueilli l'action en responsabilité professionnelle contre les comptables qui avaient commis une erreur et il a rejeté le moyen de défense tenant au fait que comme le 15 16 Normand Lavoie et Marie-France St-Pierre c. André Morissette et als., C.S. Québec 200-17-005704051 et 200-17-005243-043, 9 juin 2008, QCCS 2430. Serge Morency et associés inc. et Serge Morency c. Laberge Lafleur et Christian La Boisonnière et Éric Métivier, C.S. Québec 200-05-002152-952, 11 février 2002. Can LII, 7992 (QCCS). 2011 QCCS 1293 (CanLII) [113] Sauf que contrairement à Michel Noël, ceux-ci n'avaient aucune connaissance et/ou compétence en affaires. 200-17-011258-092 PAGE : 25 [118] Le juge Pronovost n'a pas retenu ce dernier argument, car il a estimé que le demandeur avait pris la peine de retenir les services professionnels d'un comptable agréé pour faire le travail, et s'étant fié à celui-ci, il était justifié d'espérer un résultat positif. Et s'il avait voulu faire lui-même le travail, il n'aurait pas engagé un comptable. [119] Mais contrairement à l'affaire qui nous occupe, le demandeur Morency n'avait pas vu l'erreur de son comptable, et n'était pas, contrairement à Michel Noël, l'instigateur de son propre malheur. [120] Dans la décision du juge Martin Dallaire du 5 juillet 201017, celui-ci a accueilli le recours en responsabilité professionnelle contre les comptables défendeurs, sauf que le demandeur était un simple dentiste, et non pas un homme d'affaires averti comme Michel Noël, et que le professionnel avait mal conseillé son client, ce qui faisait dire au juge Dallaire: « [137] Pour toutes ces raisons, le tribunal y voir là une faute de conseil qu'avait à prodiguer le fiscaliste en raison de son expertise. Ses vérifications étaient complaisantes et faciles. Dans ce domaine c'est fatal. » [121] Enfin, dans la dernière décision citée par les procureurs des demandeurs, rendue par la juge Johanne Mainville le 21 juillet 200818, celle-ci a reconnu la responsabilité professionnelle d'un comptable, sauf qu'en l'espèce, celui-ci avait été d'une négligence et d'une insouciance telle que sa responsabilité ne pouvait qu'être retenue. [122] En effet, il avait pris ombrage du fait que les demandeurs aient retenu également les services d'un avocat corporatif, Me Pierre Lambert, et il s'était senti « tassé » par celui-ci, faisant dire à la juge Mainville: « [113] Charbonneau a développé divers scénarios qui n'ont pas été retenus par les demanderesses. Il est clair que l'arrivée de Lambert dans le dossier n'a pas été appréciée par Charbonneau. Toutefois, Charbonneau a été présent aux rencontres avec Lambert. Il a cependant préféré s'abstenir d'émettre ses commentaires sur les incidences fiscales du scénario développé par Lambert, malgré les occasions et invitations à le faire, se contentant de produire les roulements demandés. Or, les demanderesses ne pouvaient savoir qu’il avait délibérément et sans les avertir, malgré les enjeux, réduit son mandat, parce qu'il se sentait « tassé » par Lambert. 17 18 Christian Ouellet et 9050-9209 Québec inc. c. Gil Demers et Samson Bélair Deloitte Touche, C.S. Mingan, 650-17-000294-054, 2010 QCCS 3480. Gestion Maskimo inc. et als. c. André Charbonneau et Pierre Lambert, C.S. Longueuil, 505-17001545-039, 2008 QCCS 3269. 2011 QCCS 1293 (CanLII) demandeur était lui-même comptable agréé, il aurait dû voir cette erreur, ce qu'il n'a pas fait. PAGE : 26 [114] Malgré son sentiment d'exclusion, Charbonneau ne s'est jamais retiré du dossier, laissant croire aux clients, qu'il poursuivait son mandat. En réduisant unilatéralement son mandat sans jamais en aviser les demanderesses, Charbonneau a été négligent et a fait gravement défaut de rendre les services attendus en fonction de son mandat. [115] Mais, il y a plus. Charbonneau, un fiscaliste d'expérience, ne pouvait ignorer les incidences fiscales de la transaction. Il a assisté à la rencontre du 16 décembre lors de laquelle le scénario du rachat d'actions a été présenté et, sur réception de celui-ci, il le lit et admet avoir porté une réflexion. Or, il décide volontairement de ne pas faire part de cette réflexion à de Villers et à Lambert. Au son retour de vacances, le 6 janvier, il prend connaissance des mémos du 20 et du 23 décembre transmis par Lambert, il choisit de ne pas y répondre. » [123] On n'est bien loin de tout cela dans la présente affaire. [124] Pour toutes ces considérations, le soussigné est d'avis de rejeter la réclamation des demandeurs. [125] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL: [126] REJETTE la requête introductive d'instance des demandeurs. [127] LE TOUT, avec dépens. __________________________________ JACQUES BABIN, J.C.S. Me Raymond Carrier Me Marie-Claude Pichette Procureurs des demandeurs Mathieu Carrier Casier 31 Me Marie-Louise Delisle M. Éric Bédard Woods et Associés Date d’audience : 22 et 23 novembre 2010 2011 QCCS 1293 (CanLII) 200-17-011258-092