Rendez-vous au Jardin - Bibliothèque René Pechère
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Rendez-vous au Jardin - Bibliothèque René Pechère
Belgique - België P.P. - P.B. 1090 BRUXELLES X BC30582 TRIMESTRIEL N°23 juin - juillet - août 2012 BIBLIOTHÈQUE RENÉ PECHÈRE BIBLIOTHEEK Art des jardins et architecture du paysage - Tuinkunst en Landschapsarchitectuur Rendez-vous au Jardin Éditeur responsable : Jean-Luc QUOISTIAUX - rue de l’Ermitage, 55 - 1050 Bruxelles - P701396 Bibliothèque René Pechère Bibliotheek CRBDUAP ASBL - BGCDSL VZW Membre du CIVA / Lid van CIVA 55 Rue de l’Ermitage / Kluisstraat 1050 Bruxelles / Brussel T. 02 642 24 84 - F. 02 649 73 95 E-mail : [email protected] Site : www.bvrp.net Vue du Jardin de l’Institut Redouté-Peiffer (Bibliothèque René Pechère, Avril 2012) Dans un environnement urbain des plus banals, les massifs luxuriants du jardin de l’Institut Redouté-Peiffer, insoupçonnables depuis la rue, semblent conjurer la fadeur du ciel bruxellois. Editorial Ouverte en 1913, l’école qui porte actuellement le nom d’Institut Redouté-Peiffer accueille depuis 1922, aux environs du Parc Astrid (Anderlecht), les étudiants en horticulture et en culture maraîchère. Dimanche 23 septembre, l’école révélera aux visiteurs de Jardins en Fête son superbe jardin de rocaille, dont la généalogie nous conduit au début du siècle dernier, dans le sillage du grand paysagiste français Edouard André et de son disciple belge, Jules Buyssens (1872-1958). Conçu en 1958 par le directeur de l’Institut, Paul Dewit, ce jardin de rocaille superbement préservé témoigne en effet d’un épisode majeur de l’histoire esthétique des jardins en Europe, et constitue le chant du cygne de l’esthétique dite «pittoresque» qui a tant marqué l’art des jardins en Belgique. Il s’agit sans nul doute de l’un des hauts lieux de la sélection de cette cinquième édition de Jardins en Fête. D’autres découvertes aussi passionnantes vous attendent également dans ce programme très ouvert qui comprend 40 parcs et jardins spécialement sélectionnés pour leurs qualités esthétiques et architecturales. Rappelons que, selon le rituel désormais éprouvé, l’accès aux jardins et les visites guidées sont gratuits, mais les inscriptions obligatoires sur le site spécialement dédié à l’événement : http://jardinsenfete.bvrp.net. Comité de rédaction : Joseph De Gryse - Roxane Batsleer - Hugo Martin - Eric Hennaut - Gaspard Jedwab - Jean-Luc Quoistiaux JARDINS EN FETE 2012 Des reliefs alpins à la vallé généalogie d’un jardin de ro Vue du Jardin de rocaille de l’Ecole Anderlecht en 1969 par Paul Dewit. Avec l’aimable autorisation de Jean-Pierre Dewit et d’Antoinette Timmermans. 40 Cover JardinOuvert 2012 V2:607 Jardin 2011 14/08/12 13:57 Page 1 jardins et parcs ouverts au public tuinen en parken open voor het publiek JARDINS EN FÊTE TUINEN IN FEESTTOOI une initiative de - een initiatief van BIBLIOTHEQUE RENÉ PECHÈRE BIBLIOTHEEK Dimanche 23 septembre Zondag 23 september Vues du Jardin de l’Institut en avril 2012 (Bibliothèque René Pechère, 2012) «Ce qui manque à tant de nos jardins belges, c’est ce petit coin de poésie, c’est une heureuse combinaison de certains éléments décoratifs qui fait d’un massif de plantes vivaces, d’une petite mare reflétant un peu de ciel, d’une rocaille envahie de plantes alpines, d’un enchevêtrement de plantes grimpantes fleuries, autant d’adorables petites scènes à peindre, autant de tableaux naturels pleins de couleurs, de grâce et de charme». C’est en ces termes que «La Tribune horticole»1 présentait en 1912 l’acte de foi d’une association naissante, «Le Nouveau Jardin pittoresque», fondée par les paysagistes belges Jules Buyssens et Louis Van der Swaelmen. L’association donnera lieu dès 1914 à une publication éponyme qui paraîtra, après une interruption due à la guerre, de 1923 jusqu’en 1939. Composée de personnalités issues des milieux artistiques, littéraires et scientifiques belges, l’association entendait diffuser de nouvelles pratiques esthétiques et, ce faisant, promouvoir des plantes inconnues jusqu’alors en Belgique (plantes de montagne, vivaces, aquatiques, exotiques…) auprès des créateurs de jardins. Le courant procédait d’influences précises, au premier rang desquelles celle du paysagiste Edouard André (18401911), l’auteur des Buttes Chaumont (Paris), chez qui Buyssens avait fait ses classes comme directeur de travaux (voir «Rendez-vous au Jardin» n° 19). Edouard André et l’esthétique «pittoresque» En rupture avec les canons trop géométriques du jardin à la française, le grand paysagiste français du XIXe conçoit l’art des jardins comme une discipline «indissociable de la peinture». Artiste à part entière, le paysagiste se doit de disposer du sol comme d’une toile, «les arbres, les fleurs et les gazons» étant «ses couleurs.» «Son but», précise-t-il dans son Traité2 dédié à l’esthétique pittoresque, «est de charmer nos regards et d’émouvoir doucement notre âme en empruntant à la Création ses plus agréables scènes, en ajoutant à son harmonie et à sa variété, en faisant valoir ce qu’elle a de plus beau, en supprimant ou en dissimulant ses défaillances.» (…) «A mon sens, conclut-il, pour embrasser l’art des jardins dans toute son étendue, il faut être à la fois peintre, poète, architecte et jardinier».3 Le Nouveau Jardin pittoresque L’association de Jules Buyssens s’inscrivait clairement dans ce courant : l’utilisation de roches brutes, à l’imitation des reliefs accidentés alpins, de plantes sauvages et colorées à même de s’y développer, la présence de ruisseaux de même que la référence au jardin japonais constituaient la syntaxe de ces créations (voir «Rendez-vous au Jardin» n°15 sur les «Roches fleuries»). En ce sens, le mouvement exprimait et respectait le «caractère» et la «force naturelle du paysage» tels qu’Edouard André entendait les recréer. Dans le même temps, le «nouveau pittoresque» entendait aussi produire des espaces utilitaires et fonctionnels, une spécificité belge dans la mesure où il s’agissait d’intégration paysagère. Le créateur du Parc d’Osseghem (réalisé lors de l’Exposition universelle de 1935) et du Jardin Van Buuren communiquera sa passion et son credo à Paul Dewit, qui comptait alors, au même titre que René Pechère ou René Latinne, au nombre de ses disciples. En 1935, il envoie le jeune bruxellois en stage auprès du pépiniériste suisse Henry Correvon (1854-1939), le père des jardins «alpins», auprès duquel Buyssens enrichit sa palette de longue date4, ainsi qu’en Angleterre, pour y étudier le jardin anglais. 1. «Le Nouveau Jardin pittoresque», in «La Tribune horticole», n°337, 7 décembre 1912, p.763-764. Cité par Odile DE BRUYN in Jules Buyssens (1872-1958) (II), Regard inédit sur sa vie et son œuvre, in «Demeures historiques & Jardins», n° 173, mars 2012. 2. Edouard ANDRE, «L’Art des jardins. Traité pour la composition de parcs et jardins», Paris, Masson, 1879. Réédition : Lafitte Reprints, Marseille, 1983. Disponible sur le site de la BNF. 3. Cité par Michel BARIDON, «Les Jardins. Paysagistes-Jardiniers-Poètes», Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1998 p.1038-1039. 4. Grand diffuseur et protecteur des plantes alpines, dont la théoricienne des couleurs dans les jardins, Gertrude Jekyll, était grande amatrice, Henry Correvon est une figure saillante du mouvement pittoresque. ée de la Meuse : ocaille Le jardin de l’Institut Redouté - Peiffer à Anderlecht La «Vallée des fleurs» d’Huizingen et l’Institut Redouté-Peiffer Fort de ces références, Paul Dewit deviendra l’un des principaux héritiers spirituels de Jules Buyssens qui lui offrira en retour la direction d’une pépinière comprenant de nombreuses plantes alpines. Sans se désolidariser de son maître, Paul Dewit, grand amateur d’histoire de l’art, suivra toutefois une voix très personnelle en devenant un acteur essentiel de l’enseignement horticole et paysager en Belgique (voir notre encadré) et en diversifiant ses références. Portrait de Paul Dewit. Avec l’aimable autorisation de Jean-Pierre Dewit et d’Antoinette Timmermans Paul Dewit en quelques dates Il lui reviendra toutefois d’accomplir le souhait émis des années plus tôt par Henry Correvon de voir la Belgique se doter d’un vaste jardin de rocaille d’inspiration «alpine». Nous sommes alors en 1958. Paul Dewit, enseignant actif et conférencier renommé, très lié au monde artistique belge, accède à la demande du gouverneur du Brabant de créer, dans la foulée de l’Expo’ 58, un jardin dans sa Province. Ce sera le désormais célèbre Bloemendal – ou Vallée de fleurs – situé dans le domaine provincial d’Huizingen : un jardin de rocaille d’une longueur de 330 mètres et d’une dénivellation de 36 mètres où ont été rassemblées des tonnes de roches en provenance des Ardennes et de la vallée mosane : une réalisation unique en Europe. Inauguré peu après, c’est la même année que verra le jour, selon les mêmes codes esthétiques, le jardin de l’Institut RedoutéPeiffer dont il est directeur, jardin qu’il réalisera avec le concours de Charles Coorde, son chef de culture, et de ses étudiants5 afin de donner aux élèves une possibilité de parfaire leur connaissance des plantes. On retrouve, dans ce jardin asymétrique, un mélange subtil de minéral et de végétal, des allées sinueuses, labyrinthiques par endroits, et un relief propice aux mouvements de l’eau apporté par des successions terreuses et des strates de pierre. Le chant du cygne d’un mouvement Comme le note H. van den Bossche dans une remarquable étude6, si la syntaxe pittoresque est bel et bien présente dans ces réalisations qui constituent une sorte de «revival» pour l’époque (y compris à travers les allusions au jardin japonais7), elle permet aussi et surtout à Dewit de donner libre cours à sa passion pour les plantes et l’horticulture. Il déclare en effet, dans le dossier de presse lié à l’inauguration d’Huizingen, avoir voulu créer un jardin «écologique»8 composé de communautés végétales, en tenant compte des • 1914 : naissance à Vilvorde le 24 mars • 1932 : sous le parrainage de Jules Buyssens, rentre à l’Ecole d’horticulture de Vilvorde (A2, technicien horticole). • 1935-1940 : travaille chez Jules Buyssens. Effectue différents stages en Angleterre, aux Pays-Bas (pépinière de Felix en Dijkhuis à Boskoop), en Suisse (pépinière de plantes alpines chez Henry Correvon). Successivement responsable des plantes vivaces et alpines pour le jardin privé de Buyssens ; chef de cultures des pépinières ; chef du service d’entretien de jardins ; chef de création de parcs et jardins. • 1940-1950 : commence à travailler à l’Ecole de Vilvorde (chef de culture de la section Arboriculture Fruitière et d’Ornement). • 1940-1955 : professeur d’un cours de perfectionnement pour adultes donné à Vilvorde et d’un cours d’architecture de jardins à l’Ecole Provinciale d’Horticulture d’Anderlecht (futur Institut Redouté). • 1948 : professeur à l’Ecole d’Anderlecht niveau A3. • 1950-1956 : donne à Vilvorde tous les cours liés à l’architecture de jardins, section A2. • 1954-56 : à la demande de l’ONDA, participe à un livre collectif sur les arbres fruitiers ; réalise tous les dessins des détails morphologiques des fruits (tige, fruit, feuilles). L’ouvrage sera publié en 4 langues. Création, à Vilvorde, du niveau supérieur A1 d’une section Architecture des jardins et du paysage. Il en est un des principaux fondateurs. • 1956-1979 : directeur de l’Ecole Provinciale bilingue d’Anderlecht, devenue Institut Redouté. Il y crée en 1957 la section A2, puis A1 en 68. • 1979-2007 : quitte définitivement la Belgique pour un domaine en Dordogne. Il y vit près de 30 ans auprès de sa femme, en communion avec la nature. Il s’adonne à son amour des plantes et à la peinture. Tous nos remerciements à Joseph De Gryse, Herman van den Bossche, Jean-Pierre Dewit et Antoinette Timmermans pour le précieux concours qu’ils ont apporté à cet article. 5. Les versions divergent à ce sujet. 6. Herman van den BOSSCHE, De Alpentuin «Het Bloemendael» in het provinciaal domein van Huizingen. Apotheose van een tuinbeweging en beschermd monument, in “Monumenten & Landschappen”, 22/4, Juli-Augustus 2003. 7. Une influence qui ne s’est jamais démentie. Dès le premier numéro du NJP, il est question des Roches fleuries à Genval, un jardin «ardenno-japonisant» d’Ernest Van den Broeck. 8. Où l’on soulignera que la notion de jardin écologique a depuis fortement évolué. besoins physiologiques des plantes. Malgré la très grande richesse lapidaire qui caractérisent ces deux jardins, la rocaille y est en effet presque débordée par la surabondance des végétaux, les plantes alpines, les cyprès du japon côtoyant les azalées, rhododendrons ou les camélias dans une superbe luxuriance. Paul Dewit, peintre lui-même et auteur de très nombreux dessins (voir son ouvrage sur les pommes), disait à ce sujet se livrer à de la sculpture végétale. 2012 La serre attenante au jardin de l’Institut, qui abrite de très nombreuses plantes tropicales, sera quant à elle terminée dans les années 60. Entretenu selon les vœux originaux de son créateur, qui en avait fait aussi un outil pédagogique, ce jardin méconnu porte un magnifique témoignage de l’histoire esthétique des jardins en Belgique. Gageons que sa sélection au cœur de Jardins en Fête constitue une promesse de pérennité et ravive l’intérêt des chercheurs pour l’œuvre et la figure de Paul Dewit. Pour en savoir plus : Henry CORREVON, «Flore alpine», Neuchâtel, Paris, Delachaux & Niestlé,1951. Michel BARIDON, «Les Jardins. Paysagistes-Jardiniers-Poètes», Paris, Robert Laffont, 1998. Odile DE BRUYN, Jules Buyssens (1872-1958) (I) et (II). Regard inédit sur sa vie et son œuvre, in «Demeures historiques & Jardins», Trimestre IV, 2011, n° 172, «Demeures historiques & Jardins», Trimestre I, 2012, n° 173. Herman van den BOSSCHE, De Alpentuin «Het Bloemendael» in het provinciaal domein van Huizingen. Apotheose van een tuinbeweging en beschermd monument, in «Monumenten & Landschappen», 22/4, Juli-Augustus 2003. Joseph DE GRYSE, Evocation des paysagistes belges et de leurs œuvres du 19è siècle à l’aube du 21è siècle, in « Conversations paysagères 2004-Métiers du paysage », 13 octobre 2004, Gembloux, 9-10. La collection complète du «Nouveau Jardin pittoresque» est accessible sur le site de la BVRP, section «Livres précieux». LITTÉRATURE ET ART DES JARDINS Le palmarès du Prix P.J. Redouté 2012 En hommage au plus célèbre peintre de fleurs, un prix littéraire a été créé en l’an 2000 pour couronner les meilleurs livres de jardin et de botanique parus en langue française dans l’année. Organisé par l’Association des Jardins du Maine (JASPE), en partenariat avec l’Institut Jardiland, le Prix Pierre-Joseph Redouté est remis chaque année le 1er week-end de juin au Château du Lude, lors de la Fête des Jardiniers par un jury éclectique : Martine Gérardin (directrice des rédactions Rustica), Jacques Garcia (architecte décorateur), MarieAnne Chazel (comédienne), JeanNoël Burte (ancien conservateur des jardins du Luxembourg), Maryvonne Pinault (amateur de jardin), Olivier Colin (botaniste), Diane de Belder (une Belge au jardin), Jean-Louis Remilleux (producteur de films) et Louis Benech (paysagiste). Le Prix P.J. Redouté revient cette année à Hugh JOHNSON pour son livre «Arbres : une encyclopédie», reparu en 2012 chez Delachaux et Niestlé dans une édition totalement renouvelée, qui résulte de quarante ans de recherches et d’observations dendrologiques. 4 autres ouvrages ont également séduit le jury : Prix pratique : Dominique COUSIN, Frank BOUCOUR, «Taille de la transparence et autres tailles simples des arbres et arbustes», Paris, Ulmer, 2011. Prix littéraire : Jorn de PRÉCY, «Le Jardin perdu», Arles, Actes Sud, 2011. Prix botanique : Dans la collection «L’indispensable Guide des fous de nature» (Editions Belin). Gérard GUILLOT, Jean-Emmanuel ROCHE, «Guide des fruits sauvages», 2011. Christian BOCK, «Guide des plantes de bord de mer», 2011. Marie MARQUET, «Guide des teintures naturelles», 2011. Prix Coup de Cœur et Prix du Public : Cédric POLLET, «Ecorces. Voyage dans l’intimité des arbres du monde», Paris, Ulmer, 2008. Administrateurs de la BRP- CRBDUAP : Jean-Luc QUOISTIAUX, Président, Jean Noël CAPART, Président d’honneur, Philippe CIESLAK, Secrétaire, Fabrice DEGREZ, Trésorier Collaborent également au développement et à la gestion de la Bibliothèque René Pechère : Roxane BATSLEER, Odile DE BRUYN, Joseph DE GRYSE, Nicolas de VILLENFAGNE, Nicole d’HUART, Bernard FIERENS, Bernard FIEVEZ, Catherine GERNAY, Paul GROSJEAN, Francis HAMBYE, Eric HENNAUT, Gaspard JEDWAB, Hugo MARTIN, Valérie MONTENS, Yaron PESZTAT, Pascale RASE, Joseph ROGGEMANS, Marie-Laure ROGGEMANS, Pierre-Alain TALLIER, Marie WABBES, Thierry WAUTERS RÉGION WALLONNE www.rectoverso.net JARDINS EN FETE
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