Women in Love Ken russell

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Women in Love Ken russell
Octobre
2010
Ken russell
Aux sources de l’amour
Fiche d’analyse de film
Alan Bates
Glenda Jackson
Jennie Linden
Oliver Reed
Eleanor Bron
Women in Love
Grande Bretagne
• 1969 • Couleurs • 2h05
Scénario Larry KRAMER
d’après le roman de David Herbert LAWRENCE
Photographie Billy WILLIAMS
Musique Georges DELERUE
Montage Michael BRADSELL
190
L’histoire
L’histoire
L’histoire se déroule dans les années 20, au
Nord de l’Angleterre où deux jeunes sœurs,
Gundrun, artiste sculpteur, et Ursula, institutrice,
se rendent au mariage de Laura Crich, fille d’un
riche propriétaire de mines de charbon. Sur le
chemin, elles échangent quelques réflexions sur
le mariage. Gundrun avoue être dans l’attente de
vivre ce qu’elle considère être une expérience
nécessaire même si elle ne croit pas vraiment
à la possible réussite de cette entreprise. De
son côté, Ursula ne semble pas si pressée de
s’engager dans ce qu’elle croît être plutôt un
aboutissement.
L’arrivée en trombe des mariées à l’église
contrarie Gérald Crich le frère de la jeune
épouse qui trouve leur attitude trop fantaisiste
au contraire de son ami Rupert Birkin qui en
apprécie la spontanéité. Durant la cérémonie,
Ursula reconnaît le charmant Rupert qui avait
fait irruption dans sa classe pour l’inspecter. Il est
accompagné de son amante Hermione. Quant à
Gundrun c’est vers Gérald que son regard est
attiré. Ursula lui apprend que le jeune homme a
repris la direction des mines à son père pour la
moderniser.
Quelques jours après, invitées au château
d’Hermione, les deux sœurs retrouvent Rupert
et Gérald. Birkin se fatigue d’écouter les
considérations intellectuelles de son amante sur
l’inégalité ; pendant le déjeuner qui réunit les
convives dans un magnifique jardin, il se lance
dans une description très sensuelle d’une figue
dégustée par Hermione, qu’il compare aux
parties intimes de la femme, créant une gêne
parmi les invités.
Restés seuls, Gérald et Rupert entament
une discussion sur l’amour. Rupert exprime son
aspiration à un amour unique alors que Gérald
émet des doutes sur le fait qu’une seule femme
puisse combler ses désirs et pense que sa vie
sera plutôt axée sur le travail.
Le spectacle de danse préparé par Hermione
et entièrement centré sur sa personne
achève d’agacer Rupert qui coupe court à une
chorégraphie ridicule. La dispute qui suit entre
les deux amants met un terme définitif à leur
relation.
A l’occasion d’un pique-nique géant donné
par la famille Crich dans leur immense propriété,
Ursula et Gundrun revoient une nouvelle fois
Gérald et Rupert. Les deux jeunes femmes
s’isolent de la foule avec une barque qui les
emmène en pleine nature où elles donnent
libre cours à leur fantaisie. Bientôt rejointes par
les deux amis, Gérald s’emporte lorsqu’il voit
Gundrun danser face à un troupeau de bovins.
Après un moment d’affrontement, Gérald avoue
à Gundrun qu’il est amoureux d’elle ; la jeune
femme accueille favorablement cette déclaration
tout en conservant ses distances. Tout est
différent pour Rupert et Ursula qui s’avouent
aussi leur amour mais d’une façon plus poétique,
plus passionnelle et s’abandonnent l’un à l’autre.
La journée s’achève tragiquement avec la
noyade des jeunes époux, Laura et Tibby, qui
plonge Gérald dans une profonde amertume
faute d’avoir pu les sauver. Dans le salon baroque
de la famille Crich, Rupert percevant la tension
de son ami lui propose un exercice de lutte.
Après s’être entièrement dénudés, les deux
hommes combattent dans un corps à corps très
sensuel à l’issu duquel Rupert propose à Gérald
de sceller leur amitié en se jurant fidélité. Mais
Gérald se dérobe.
Tandis qu’Ursula et Rupert projettent de
se marier et de voyager, Gérald s’enfonce dans
une noirceur accentuée par la mort imminente
de son père et la folie de plus en plus manifeste
de sa mère. Torturé, Gérald parle à Gundrun du
vide angoissant qui semble l’aspirer. Une nuit,
peu après l’enterrement de son père, en plein
désarroi, Gérald s’introduit dans la chambre de
Gundrun qu’il fait sienne, animé d’une passion
dévorante à laquelle se mêlent les images de
folie de sa mère.
Quelques temps après, les deux couples
partent en vacances à Zermatt. Ursula et Rupert
se sont mariés et nagent dans le bonheur. Quant
à Gundrun et Gérald, leurs sentiments vont être
vite éprouvés par la rencontre avec un artiste
allemand qui fascine peu à peu Gundrun et la
révèle à elle-même. Leur relation se détériore.
Gérald ne pourra pas supporter la dureté de
Gundrun qui le conduira à un geste fatal.
Pistes
deexion
réflexion
Pistes
de Réfl
Adaptation de l’oeuvre de D.H. Lawrence
« Women in love », le film de Ken Russell
reprend fidèlement les réflexions de l’écrivain
sur l’amour à travers l’histoire parallèle de deux
couples qui vont incarner des visions contraires.
Les premiers, Ursula et Rupert tendent vers une
recherche idéale de l’amour, où s’exprime une
quête d’absolu, dans une unification du corps
et de l’esprit qui donne une place essentielle à
la sensualité. Les seconds, Gérald et Gundrun
révèlent leurs difficultés à aimer posant ainsi de
véritables questions sur ce qu’est l’amour.
C’est dans le cadre magnifique des grandes
propriétés bourgeoises et verdoyantes de
l’Angleterre au début du 20ème siècle que
Russell inscrit les nombreux dialogues qui
tiennent une place essentielle dans son film.
Deux premières discussions, celle entre Ursula
et sa sœur Gundrun puis celle entre Gérald et
Rupert, suffisent à nous faire comprendre les
façons très différentes de chacun d’envisager
l’amour qui se préciseront au fur et à mesure
du film pour s’affirmer dans des choix concrets.
En parallèle, les portraits psychologiques de
chaque personnage vont
permettre de saisir là où
viennent s’enraciner leurs
conceptions. Autrement
dit, où l’amour prend-il sa
source ?
Lorsque
Gundrun
exprime son désir de
mariage, c’est en terme
d’expérience enrichissante,
voire utilitaire, qu’elle en
parle, en mesure d’apporter
un réel changement dans sa vie en manque de
concrétisation. En même temps, elle affirme ne
pas croire à sa réussite et termine son discours
sur une petite phrase lourde de sens : « C’est
impossible par la faute de l’homme !» Accusative,
elle révèle la présence d’un antagonisme chez
la jeune femme qui se retrouvera dans d’autres
situations. Gundrun se montrera une personne
éprise avant tout de liberté et dont les rapports
avec les autres s’établissent souvent sur le mode
de l’affrontement. Sa danse dans la propriété
des Crish en est un exemple. Les mouvements
de son corps, hachés, à la limite parfois de la
violence, expriment un fort besoin de libération
tandis que son face-à-face avec le troupeau de
bovins relève de la provocation, d’un rapport de
force dans lequel elle montre d’ailleurs un vrai
courage. Les reproches de Gérald, effrayé par
son comportement, lui seront insupportables ;
Gundrun supporte mal l’autorité, surtout
masculine, et c’est sur le mode de l’affrontement
que le couple entame leur relation amoureuse.
Les mots sont éloquents : « Vous avez porté un
premier coup » lui dira Gérald après avoir reçu
un soufflet, « Et je porterai le dernier » répond
Gundrun, paroles qui s’avèreront prémonitoires.
Plus tard, elle vivra mal la proposition de vacances
à Zermatt décidée par Gérald, alors qu’elle n’a
pas été consultée.
Gérald vers lequel Gundrun sera
immédiatement attirée, est un jeune homme
sombre, prisonnier d’angoisses. Dès sa première
apparition, Russell nous le montre dérangé par
la légèreté des jeunes mariés. Tout comme
Gundrun, il émane de ses réactions une rigidité
pouvant très vite se transformer en dureté. En
témoigne la scène d’une violence inouïe où il
éperonne son cheval jusqu’au sang pour l’obliger
à affronter la peur, spectacle insupportable
pour les deux jeunes femmes comme pour
les spectateurs. La noirceur du personnage
se retrouve dans les décors : le salon baroque
aux murs sombres recouverts d’armes et de
trophées, la mine, le tunnel où il embrasse
Gundrun.
La découverte de son
environnement familial laisse
entrevoir des souffrances. Un
conflit avec le père auquel
Gérald reproche son hypocrite
gentillesse envers les mineurs
sur le dos desquels il s’est
cependant enrichi. La mort
de Laura et Tibby qu’il n’aura
pas pu sauver, non seulement
l’affecte mais le renvoie à
d’autres épisodes dramatiques ayant touché sa
famille comme un destin funeste s’acharnant sur
eux. Enfin, le comportement névrotique de sa
mère, proche de la folie, est traumatisant pour
Gérald. Ce sont les ricanements de sa mère sur
la tombe de son père qu’il voit et entend lorsqu’il
fait l’amour la première fois avec Gundrun.
Ce portrait de Gérald nous permet de
comprendre combien il lui est difficile d’entrer
dans un rapport de confiance et d’abandon en
particulier avec les femmes. Au moment de la
mort des jeunes mariés, il jette brutalement ces
trois mots : « Elle l’a tuée », dont le sens reste
mystérieux mais que nous pouvons rapprocher
à ceux de Gundrun lorsqu’elle accuse l’homme
d’être l’obstacle à la réussite du mariage.
Chacun semble donc dans le reproche et
nous verrons en effet que la relation de ce couple
évoluera vers un rapport de force blessant.
Devant ce constat une question peut être
posée, et si l’un et l’autre étaient dans l’incapacité
à pouvoir aimer ? Il est en effet perceptible
que la sensibilité de chacun est telle qu’il leur
sera difficile de pouvoir s’abandonner dans
une relation et que comme Rupert finira par
le dire à Ursula : « Gundrun et Gérald sont faits
pour être des amants. » N’est-ce pas d’ailleurs
ce qu’ils pressentent au fond d’eux-mêmes ?
Gérald le formule à Rupert dès leur première
conversation lorsque ce dernier lui demande
« Pour quoi vis-tu ? », il répond « Pour le travail, je
suppose ». Quant à Gundrun, elle le comprendra
plus tard à travers sa rencontre avec l’artiste
allemand qui affirme clairement préférer de loin
une complicité intellectuelle à l’amour.
Ainsi, le film met en perspective les obstacles
qui peuvent empêcher l’amour et la nécessité
de comprendre dans quel manque, blessure,
projection, il s’origine.
La relation d’Ursula et de Rupert vient en
contrepoint de la précédente. Ursula se montre
une femme plus romantique, très classique chez
Russell, qui partagera avec Rupert l’intuition que
l’union entre l’homme et la femme s’inscrit dans
une durée dont le mariage est le point d’orgue.
Tout comme dans l’œuvre de Lawrence, Rupert
Birkin incarne au plus près le personnage de
l’écrivain et ses idées ; il est le plus libre, le plus
fantaisiste, tout en étant un idéaliste exigeant.
Il sacralise le mariage dans lequel il voit la
possibilité d’approcher la perfection dans la
relation humaine entre deux personnes qui
s’engagent l’une envers l’autre. Une condition
s’impose, que cette union soit vécue comme
un élargissement, une sortie hors de « soimême » vers une dimension inconnue de
chaque personne, qui les dépasse, et les amène
à une plus grande ouverture sur le monde. Cela
suppose aussi de la créativité ! Face à cette
haute idée du mariage, Rupert n’hésite pas à
exprimer un véritable mépris envers les unions
étriquées, basées sur des conventions sociales
ou sur l’habitude.
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Ainsi, la pensée de Rupert, alias Lawrence,
s’efforce de distinguer l’amour, un mot trop
souvent galvaudé dira-t-il, d’un sentiment
amoureux, fragile et éphémère. Il lui donne
une dimension spirituelle et éternelle. La
juxtaposition de la scène où Ursula et Gérald
font l’amour la première fois dans les bois, leur
deux corps enlacés, avec celle du jeune couple
de noyés, morts dans les bras l’un de l’autre,
nous transmet visuellement l’idée d’une relation
éternelle.
Cette réflexion sur l’amour s’inscrit aussi
dans une vision unificatrice de l’homme, où
le corps et l’esprit ont une égale importance,
et s’intègre avec harmonie dans la nature.
Les rencontres de Rupert et Ursula sont très
souvent filmées dans un cadre champêtre – le
rêve de Rupert - inondée d’une lumière chaude
et limpide. Leur relation passe par une très
belle sensualité des corps qui évoluent avec
beaucoup de liberté et de poésie au sein de la
nature.
La même liberté existe entre Rupert et
Gérald dans la très belle scène de leur combat où
la proximité de leur corps filmée avec sensualité
exprime aussi l’affection, l’abandon. Elle nous
dit combien la vision idéale de l’amour pour
Rupert trouve la même exigence dans l’amitié.
Complémentaire à la relation de couple, elle lui
est tout aussi indispensable et il éprouve le désir
de s’y engager avec la même intensité, le même
caractère absolu. L’amitié s’exprime également
à travers le corps. Nous retrouvons là toute
la sensibilité de D.H. Lawrence qui déjà dans
une de ses nouvelles, intitulée « Vous m’avez
touché », tentait de dire l’importance que peut
revêtir le contact physique, le toucher, entre
deux personnes.
Cependant, lorsque Rupert offre à Gérald
son amitié qu’il propose de sceller dans un
rituel symbolisant leur engagement respectif,
ce dernier va se dérober. Incapable de
s’abandonner, il se laissera emporter dans
le gouffre de sa relation destructrice avec
Gundrun, ensevelir dans la blancheur glaciale
des neiges de montagne.
Christine Fillette
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