Avis du LFR sur le RGD fixant les conditions du CdR - 3
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Avis du LFR sur le RGD fixant les conditions du CdR - 3
Avis du LFR sur l’avant-projet de règlement grand-ducal fixant les conditions et les modalités générales du régime de rétention du Centre de rétention Le présent avis découle de la pratique des visiteurs des associations membres du LFR qui assurent depuis janvier 2007 des permanences bihebdomadaires dans le bloc réservé à la rétention au P2 de la prison de Schrassig. Le règlement grand-ducal en complément à la loi du 28 mai 2009 Le LFR a noté que la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention (ci-après désignée comme « la Loi ») fait état à 6 reprises du recours à un règlement grand-ducal pour fixer certaines conditions et modalités du régime de rétention qui ne sont pas détaillées précisément dans le texte de la Loi. Nous remarquons à cet égard que les précisions qui devaient être apportées par le règlement grand-ducal manquent parfois dans l’avant-projet. Par exemple, l’article 10 (1) de la Loi indique que «Le retenu dispose de ses affaires personnelles, sauf les limites à l’usage à fixer par règlement grand-ducal ». Or, l’avant-projet de règlement grand-ducal ne donne aucune autre indication sinon que « Le retenu dispose en chambre de ses effets personnels compatibles avec un contrôle adéquat de l’ordre de celle-ci et avec le but de la rétention. » (Article 5 de l’avant-projet de RGD), sans mentionner spécifiquement quelles catégories d’objets pourraient être interdites ou autorisées dans ce cadre. Sans chercher à faire de liste exhaustive, le LFR estime qu’il aurait toutefois pu être utile d’indiquer, par exemple, si les personnes en rétention étaient autorisées à disposer de leurs produits d’hygiène personnels plutôt que d’être obligées de se servir du « set d’objets d’usage quotidien qui est renouvelé mensuellement » (Article 3 de l’avant-projet de RGD). Ce détail apparemment anodin pourrait revêtir une certaine importance en ce qu’il laisse ou non aux personnes une possibilité de choix dans un domaine qui relève directement de leur intimité, étant entendu que certaines personnes ont des exigences particulières en matière de soins et d’hygiène. De même, concernant les visites, les horaires, la fréquence et la durée ne sont pas spécifiées dans l’avantprojet de RGD. Nous sommes bien conscients qu’il est impossible à ce stade de fixer précisément des détails tels que les heures de visite, mais nous insistons pour qu’un minimum de garanties soit assuré dans ce domaine par le règlement grand-ducal. Le LFR apprécie cependant qu’aucune limitation ne soit inscrite, si ce n’est le nombre d’adultes autorisés lors d’une même visite. (Article 22 de l’avant-projet de RGD) Les limites de la prise en charge des frais de communication par le Centre, qui auraient dû être fixées par RDG (Article 14 (3) de la Loi) ne sont pas précisées. Il est seulement dit que « la durée des communications peut être limitée à des proportions raisonnables », «Par égard aux autres retenus ». En revanche, alors que la Loi mentionne seulement une interdiction de l’usage des moyens de communication «S’il y a des indices sérieux quant à la présence d’objets dangereux ou illicites, de risques de fuite ou de mise en danger de la sécurité du Centre » (Article 14 (2) de la Loi), le RGD parle de limitation ou d’interdiction des moyens de communication en cas d’ «abus » (Article 24 du RGD), un terme vague sujet à interprétation. En définitive, les modalités pratiques du fonctionnement du Centre de rétention qui devaient être fixées par règlement grand-ducal sont laissées en grande partie à l’appréciation du directeur qui est chargé de fixer de nombreux aspects non précisés dans l’avant-projet de règlement grand-ducal. En tout, il est fait mention à 10 reprises de conditions « à fixer » par le directeur : Articles 11, 16, 17, 18, 22, 24, 25 (2 fois), 26 et 27. Ceci donne l’impression d’un certain flou sinon d’une marge inquiétante de restrictions qui pourraient s’appliquer selon la volonté du directeur. Dans l’élaboration du règlement d’ordre intérieur, qui fixera de nombreux détails du fonctionnement du Centre, le LFR préconise la consultation de composantes extérieures à la direction du Centre, pour ne pas laisser au seul directeur la charge de décider de ce règlement. Impression générale Dans l’avant-projet de règlement grand-ducal, l’accent est mis sur les règles qui s’appliquent à la vie en collectivité (hygiène, nuisances sonores, entretien et respect de l’état des locaux, comportement qui ne nuit pas aux autres, etc.) plus que sur le respect de l’individu avec ses besoins spécifiques et ses particularités. Le LFR estime qu’il faudrait davantage prendre en compte le fait que les personnes se trouvent dans le Centre contre leur gré et auront souvent des difficultés à comprendre et à accepter les contraintes imposées par une situation qu’elles n’ont pas choisie. A titre d’exemple, dans les motifs de sanctions disciplinaires (Article 29 de l’avant-projet de RGD), la formulation « désobéissance, insubordination ou indiscipline à l’encontre d’ordres ou instructions » nous paraît comporter la notion d’une discipline trop rigide, difficile à admettre pour des personnes qui sont censées jouir de tous leurs droits fondamentaux à l’exception de la liberté de circuler. De même, le LFR préconise une certaine souplesse concernant l’entretien des locaux privatifs, qui doivent rester un espace d’intimité pour les personnes en rétention, sans intrusion exagérée pour vérifier l’hygiène des lieux, dans la mesure où cela ne porte pas préjudice à une bonne cohabitation entre les personnes. A l’inverse, l’information des personnes en rétention nous semble un aspect trop peu développé dans ce règlement grand-ducal, alors que c’est un point essentiel, justement pour faire comprendre et accepter la nécessité de règles de vie dans l’intérêt de tous. A cet effet, le LFR préconise la mention expresse dans le règlement grand-ducal de la mise à disposition d’un guide, en langage simple, précis et non juridique, traduit dans les langues les plus usuelles parmi les hôtes habituels du Centre de rétention, afin d’informer clairement les personnes de leurs droits et obligations, ainsi que des modalités pratiques du fonctionnement du Centre. Parmi les langues les plus utiles, outre le français et l’anglais, le LFR suggère de traduire ce guide en serbo-croate, en albanais, en russe, en chinois, en arabe et en portugais. Ces quelques pages d’informations pratiques devraient être prêtes à être distribuées dès l’ouverture du nouveau Centre de rétention, avec la possibilité de le modifier en fonction de changements éventuels dans l’organisation ou le fonctionnement du Centre. En tout état de cause, toute personne placée en rétention devrait, dès son entrée au Centre, être informée dans une langue qu’elle comprend, au besoin en ayant recours à un interprète, des raisons de son placement dans cet établissement et des recours dont elle dispose. Le LFR s’étonne que l’avant-projet de règlement grand-ducal ne mentionne nulle part le rôle de l’OIM dans l’assistance au retour. Nous estimons qu’un article du règlement devrait expliciter les conditions et modalités d’accès à une aide de la part de l’OIM en cas d’éloignement vers le pays d’origine. Le LFR demande également que soit indiqué expressément que les personnes en rétention ont accès à l’aide judiciaire. Le LFR estime que la sélection et la formation du personnel du Centre sont cruciales. Ce personnel devra faire en sorte de gérer de façon humaine les difficultés inhérentes à la rétention (agressivité, détresse psychologique, différences culturelles, difficultés de compréhension, etc.) et bénéficier d’une bonne supervision d’équipe ainsi que d’une formation aux droits de l’homme. Points de préoccupation Procédure à l’arrivée en rétention – Le LFR note qu’il sera demandé à chaque personne placée en rétention de signer 3 documents distincts: l’inventaire de ses effets personnels (Article 3), l’inventaire des effets personnels dont elle dispose dans sa chambre (Article 5), et l’état des lieux de celle-ci à son arrivée (Article 7). Ces 3 signatures s’ajoutent à celle qui est demandée pour la décision de placement. Quelle sera la valeur légale de ces 4 signatures si l’intéressé ne comprend pas la langue dans laquelle ces documents sont rédigés ? De même, l’article 6 de l’avant-projet de RGD prévoit que la personne qui arrive au Centre soit informée «par écrit de son droit d’en faire avertir ou d’en avertir une personne de son choix ». Pour que ce droit puisse être effectivement exercé, il faudra s’assurer que le document écrit en question soit traduit dans une langue que la personne peut lire et comprendre. Le LFR demande que soit mentionné le droit des personnes retenues à contacter leur avocat dès leur entrée au Centre, outre le droit de prévenir une autre personne de leur choix. Au moment de la sortie du Centre – Le LFR avait demandé dans son avis sur la Loi que « Tous les documents et objets de valeur, dont ceux encore en possession du Ministère des Affaires étrangères, [soient], lors d’un retour au pays, sinon remis, du moins montrés au retenu avant de monter dans l’avion / le train ». Le LFR renouvelle cette demande. Il suggère également d’inscrire dans le règlement grand-ducal la garantie que chaque personne pourra emporter avec elle lors de son retour la totalité du poids de bagage autorisé par la compagnie aérienne et dans tous les cas au moins deux sacs ou valises de dimensions raisonnables (Article 5). Le LFR demande d’inscrire dans le règlement grand-ducal la pratique actuelle que nous saluons de ne jamais laisser une personne sortir de rétention sans argent. Un montant minimum devrait être fixé, par exemple 50 euros, dont toute personne devrait disposer à sa sortie ou lors de son éloignement. Accès aux activités de loisirs (Article 11) – Le LFR voudrait que l’accès aux installations sportives soit garanti au moins deux fois par semaine à chaque personne. Accès aux soins médicaux (Articles 12 et 13 de l’avant-projet de RGD) – Le LFR souhaiterait que les personnes qui ont un médecin traitant ou un spécialiste connaissant leur dossier médical soient autorisées à le contacter et que ce médecin soit consulté par les services médicaux du Centre si le patient en exprime le souhait. De même, un traitement médical prescrit par un médecin avant l’arrivée d’une personne en rétention devrait être pris en compte par le médecin mandaté par le Centre. En cas de nécessité, le médecin devrait pouvoir recourir à l’assistance d’un interprète lors des consultations. Avec l’accord du patient, son dossier médical devrait être transmis à l’avocat qui en fait la demande. Repas (Article 16) –Le règlement grand-ducal devrait mentionner expressément dans cet article, et non pas seulement dans son commentaire : «Il sera veillé à offrir un régime alimentaire équilibré tenant compte, dans la mesure du possible, des commandements dictés par les convictions religieuses des retenus.» Pécule journalier (Article 21) - Le LFR recommande de prévoir expressément de verser le pécule journalier dès l’arrivée au Centre pour ceux qui sont totalement démunis d’argent et de préciser la fréquence des versements qui devra être au moins hebdomadaire et non mensuelle comme actuellement en rétention. Visites (Article 23) – Le LFR espère que la procédure pour rendre visite à une personne en rétention sera simplifiée par rapport au système en vigueur à la prison. Cela n’apparaît pas dans l’avant-projet de règlement grand-ducal. Le LFR souhaiterait que la pratique d’envoyer les autorisations de visite (cartes) par la poste soit abolie, et que la prise de rendez-vous obligatoire soit, sinon abandonnée, du moins simplifiée. Selon l’avant-projet de RGD, dans les lieux prévus pour les visites, aucun « effet » ne peut être apporté. Le LFR souhaiterait qu’une exception soit mentionnée pour les documents écrits que les personnes voudraient montrer à leurs visiteurs pour information ou explications. Moyens de communication (Article 24) – Le règlement grand-ducal devrait préciser dans quelle proportion les communications téléphoniques des personnes en rétention seront prises en charge par le Centre, en spécifiant par exemple le nombre d’appels par semaine autorisés gratuitement. Avec la possibilité d’utiliser les téléphones portables, il est à craindre que les personnes en rétention n’aient à supporter elles-mêmes le coût de toutes leurs communications. Les appels aux avocats devraient rester gratuits au moins une fois par jour. Le LFR souhaiterait voir inscrit dans le règlement grand-ducal la possibilité d’accès à internet qui nous a été signifiée oralement mais ne figure pas dans le texte. L’avant-projet de RGD ne mentionne pas non plus l’abonnement du Centre à des revues et journaux tel que le prévoyait le projet de loi 5947. Accès des ONG au Centre (Article 27 de l’avant-projet de RGD) - Le LFR s’inquiète de l’absence de garanties dans l’avant-projet de règlement grand-ducal que les associations agréées auront un accès facile et étendu aux personnes en rétention. Il nous aurait aussi paru souhaitable d’indiquer qu’un local spécifique serait mis à la disposition des ONG, avec un équipement adéquat. Le LFR propose d’inscrire dans le règlement grand-ducal qu’une convention sera signée entre les associations du LFR et le ministère ayant l’immigration dans ses attributions, afin d’assurer une base légale à la présence des associations auprès des personnes en rétention. Sanctions disciplinaires (Article 29 de l’avant-projet de RGD) – Suite à la publication, le 28 octobre 2010, du rapport du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) relatif à sa visite au Luxembourg en avril 2009, le LFR estime qu’il faudrait tenir compte des remarques du CPT au paragraphe 59 (p. 26 et 27) au sujet des sanctions disciplinaires. Le CPT souligne que « les sanctions disciplinaires ne devraient pas impliquer l’interdiction totale des contacts avec les proches, et que des restrictions ne devraient être imposées que lorsque l’infraction concerne ces contacts. » Or, la Loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention dispose (Art. 20 (5)) que le retenu placé à l’isolement « ne peut […] accéder aux moyens de communication […] ni recevoir des lettres ou des visites ». Le LFR avait d’ailleurs exprimé son inquiétude concernant cette disposition dans son avis sur le projet de loi n° 5947. (Avis du LFR sur l’article 22(4) de la Loi : « Pendant la durée d’une sanction d’isolement, il paraît anormal que la personne retenue ne puisse pas recevoir son courrier ou téléphoner. En coupant ainsi les liens avec le monde extérieur, à l’exception de l’avocat, on risque d’aggraver la détresse et la révolte d’une personne en situation particulièrement difficile. ») Avis d’un médecin sur les sanctions disciplinaires - Le LFR est également d’avis qu’il faudrait tenir compte des remarques du CPT au sujet de l’intervention d’un médecin pour certifier qu’une personne est apte à subir une sanction d’isolement, comme cela est prévu à l’article 20 (3) de la Loi. Le CPT estime en effet (paragraphe 61 du rapport du 28 octobre 2010) « qu’une relation positive entre médecin et patient est un facteur essentiel de préservation de la santé des détenus. Le fait d’obliger les médecins pénitentiaires à certifier que les détenus sont aptes à subir une sanction va à l’encontre de la promotion de cette relation. » Cette remarque, qui s’applique en premier lieu au milieu pénitentiaire nous semble pertinente également s’agissant d’un Centre de rétention. Le LFR préconise donc que le médecin qui signe l’attestation d’aptitude à la sanction soit un médecin extérieur au Centre. 24.11.2010