Le Coup de coeur de Pierre Thévenin
Transcription
Le Coup de coeur de Pierre Thévenin
Le Coup de cœur de Pierre Thévenin : Gérard Morel, nouvel album Gérard MOREL, ce nom dit sans aucun doute quelque chose à tous ceux qui ont il ya quelques mois découvert cet auteur compositeur interprète au travers de l'article que lui avait déjà consacré Pierre. Compte tenu, qu'ici nous aimons bien le personnage et le chansonnier, Pierre vous offre ce second article à l'occasion de la sortie de son album " Le régime de l'amour ". Il n'y a pas que des nouveautés dans le live. Difficile, quand on s'appelle Gérard Morel, de faire l'économie des GOÛTS D'OLGA, chanson reprise avec un accompagnement tout neuf et une introduction déroutante en forme de bourrée auvergnate. Ils ne sont que trois sur scène (le spectacle s'appelle « Gérard Morel et le Duette qui l'accompagne ») : ses deux complices multi-instrumentistes (c’est le moins que l'on puisse dire) ont pour noms Marie-Claire Dupuy (vibraphone, xylophone, glockenspiel, percussions, etc.) et Alain Territo (contrebasse, bandonéon, mini violon ...), Gérard lui-même se chargeant à l'occasion de l'accordéon et de la guitare. Musiciens de grand talent en même temps que choristes désopilants, par exemple dans LA COMPLAINTE DU MALCHANCEUX où, à « Je suis maudit des glandes » qui revient une fois sur deux en fin de couplet, ils lancent tel un répons à la grand-messe : « Il est maudit des glandes ». Le régime de l'amour est un double CD: - DISQUE 1 (en studio) : Quand tu viendras dans ma maison / J'ai pas fait khâgne / Le nu te va si bien / Flot de paroles / Le régime de l'amour / Les pâquerettes / Lady Tachycardie / Mélodie à quatorze heures / Cantique en toque / Marcia nuziale / Ode à la cornemuse. - DISQUE 2 (en public) : Quand tu viendras dans ma maison / Une muse du tonnerre / Ma Natacha / Il pleut des cordes : la grasse mat' / Hymne à mon beau-frère / Reine de cœur / Des rumeurs et des doutes quant aux fruits et légumes / Jeanne a dit bien sage /Les goûts d'Olga / La java de Claire et Clément / La ballade de Charlotte / la complainte du malchanceux / J'ai pas fait khâgne / Voir ailleurs ... Insatiable gourmand du verbe et de la double croche, il nous offre, là encore, sa plus riche panoplie. Surprise garantie à chaque coin de vers. Comme à son habitude il nous parle surtout d'amour (amour pas toujours déçu, il n'y a pas que la COMPLAINTE DU MALCHANCEUX) mais sans jamais se répéter bien que, souvent, il se plaise à filer la métaphore potagère et vinicole (bon vivant, il n'apprécie pas que les mots et les notes : tout est lié). Un nouvel album de Gérard Morel, c'est toujours une fête, et plus encore quand il y en a deux pour un prix défiant toutes les lois du marketing. Moins de 15 euros à la FNAC de Lyon ! Seules deux chansons se trouvent sur l'un et l'autre CD : -« QUAND TU VIENDRAS DANS MA MAISON » (musique de Romain Didier) avec une orchestration plus sobre en live et plus « flonflon » (soit dit sans la moindre connotation péjorative) en studio. En tout cas ça swingue bigrement et bien insensible qui peut résister à cette invitation à double sens : adressée, au premier degré, à un pote retrouvé après une longue séparation mais aussi façon de dire à chacun des spectateurs : « ma plus belle histoire d'amitié c'est vous ». -« J'AI PAS FAIT KHÂGNE» : rencontre plutôt musclée avec une intello. Témoin la chanson titre, LE REGIME DE L'AMOUR : « Se fair' la poir' tout en doucette / Pour aller cueillir la noisette / Avec un' garnitur' de rêve / Effeuiller son cœur d'artichaut / Batifoler tant qu'il est chaud / Chercher des noix trouver la fève » ; ou encore DES RUMEURS ET DES DOUTES QUANT AUX FRUITS ET LEGUMES (rien à voir avec la prétendue bactérie du concombre !) où il règle son compte en douze vers au péché originel : « Paraît qu'avec un ananas / On peut gagner le nirvana / Alors on m'fera pas croire / A cette invraisemblable histoire / Qu'avec un' pauvr' petit' golden / On se s'rait fait chasser de l'Eden ». Il a même écrit un CANTIQUE EN TOQUE (que je l'ai entendu chanter tout seul et a cappella la dernière fois que j'ai eu le plaisir de le voir sur les planches). La musique est bien de celles dont on fait les chants d'église. Quant aux paroles, elles nous entraînent gaiement à travers les vignes du Seigneur : « Quand pointe le jour / Je prie SaintAmour / Quand tombe la nuit / Saint-Georges. » Et puis il interprète (en studio) deux chansons qui ne doivent rien à sa plume : Là, dans la version studio, il est accompagné par des choristes tous plus pieux les uns que les autres, si j'en juge par la présence de l'anar lyonnais Alain Bert ! - MARCIA NUZIALE : Brassens adapté en italien par Fabrizio De Andrè avec accompagnement, tonton Georges oblige, de Joël Favreau. Lorsque j'ai vu Gérard Morel sur scène, il était en corécital avec Noah Lagoutte* et tous deux (sans Favreau mais avec, entre autres, Frédéric Bobin* à la guitare) avaient interprété, en alternance, cette MARCHE NUPTIALE, l'une chantant dans la langue de Brassens et l'autre dans celle de Fabrizio. Et en dehors de Cupidon et de la tournée des grands ducs, de quoi nous entretient-il ? De musique et de paroles, pardi ! : MELODIE A QUATORZE HEURES (j'avoue, en passant et parce que sans la liberté de blâmer ..., que je n'aime pas beaucoup le titre ; je le trouve tiré par les cheveux, expression que l'on n'estimera guère appropriée en voyant le haut de son crâne sur le boîtier du CD ou sur les photos accompagnant l'article) : « Pourtant ma Belle / Cett' pauvr' rengaine / Cett' ritournelle / Vaut bien certaines / Rossignolades / C' couplet crétin / C' tube à la noix / Cet air idiot / Vaut bien certains / Qu' t'entends parfois / A la radio ». Et, un peu plus loin : « Cett' mélodie / Quand j'serai plus là / Pour l'entonner / Quand j' serai parti / Dernier gala / Dernièr' tournée / Peut-êtr' ma Belle / Qu' tu la chant'ras / De temps en temps / Cett' ritournelle / Qui ne fera / Pas le printemps ». - LES PÂQUERETTES : de Roger Riffard. Dans son album intitulé MON FESTIN, figurait déjà un titre de cet ACI méconnu : LA JAVA DU SOLITAIRE. Ca va peutêtre devenir une habitude, en tout cas je l'espère. L'univers de Riffard est très proche du sien et il existe en tout une bonne trentaine de chansons de ce libertaire, ancien enseignant, ancien cheminot, qui, pour annoncer LES PÂQUERETTES, disait avec l'accent de son Aveyron natal : « En voici une petite rustique et printanière. » Il a toujours l'émotion discrète. Il n'est pas question pour lui de faire pleurnicher Margot. Il s'attendrit, à la dérobée, dans ce seul petit couplet sur son sort de futur disparu. Avec l'espoir timide qu'il demeurera de lui au moins quelques petites notes de musique. Clin d'œil du destin : Roger Riffard est mort le 29 octobre 81 (cette date vous dit forcément quelque chose). Brassens, qui l'avait souvent pris en première partie, a dû lui dire par télépathie : « Vas-y, Roger, je te rejoins dans deux heures ! ». Gérard Morel chante LES PÂQUERETTES en compagnie d'Anne Sylvestre qui a bien connu Riffard au temps des cabarets et qui a enregistré LA MARGELLE, autre œuvre du susnommé. Il est une autre chanson où le rire le cède au serrement de cœur : ODE A LA CORNEMUSE où il rend un hommage sincère, dont l'apparente légèreté ne trompe personne, à Stéphane Méjean, son ami joueur de cornemuse (de cornemuses) et arrangeur : « Moi cell' qui m'remue / Cell' dont j’ suis fan / C'est la cornemu- / -s’ d’ mon Stéphane » Parole fri-friponne / parole fri-fripouille / Parole qu'on chantonne / Parole qui chatouille / Parole fri-frissons / Parole fri-frivole / Paroles de chanson / Chanson de parole (FLOT DE PAROLES). De quoi sont-ils faits, ses textes ? D'expressions argotiques, peu nombreuses mais pas des plus courantes : « croquer la pie » (boire) : QUAND TU VIENDRAS DANS MA MAISON ; « mettre les adjas » (partir) : VOIR AILEURS... Une pincée de verlan dans cette même chanson : « des zincous de vaja ». L'essentiel de son talent réside dans les associations inattendues, imprévisibles, les images téméraires qui suggèrent plus qu'elles ne disent, la poésie se situant dans cette zone incertaine à mi-chemin de l'emphase et de la platitude : « Et ça ventait à perdre haleine / Ca hall'bardait à chaudes lames / Ca grav'lottait comme un' madeleine » : UNE MUSE DU TONNERRE. A l'instar du précédent, cet album se conclut par une chanson d'au revoir : VOIR AILLEURS... : « J' vais pousser le portail / Fair' mon trou dans la nuit /Il est temps faut que j'aille /Voir ailleurs si j'y suis. » Entendu, Gérard, mais n'est qu'un au revoir, et merci pour tout ! (article publié aussi dans la revue Vinyl)