la copie privee numerique

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la copie privee numerique
LA COPIE PRIVEE NUMERIQUE : UN DANGER POUR LA DIFFUSION
COMMERCIALE DES ŒUVRES CULTURELLES ?
Première version, parue sous une forme améliorée dans Réseaux, vol.19, n°106 (numéro
thématique Internet et commerce électronique), pp.149-177
Joëlle FARCHY
et Fabrice ROCHELANDET
ADIS, Faculté Jean Monnet, Université de Paris 11
IGREC-MATISSE, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Résumé
La banalisation de la copie privée grâce aux technologies numériques remet en cause la
logique commerciale de diffusion de contenus protégés par le droit d’auteur au profit de types
d’accès gratuits pour le consommateur. Ce papier analyse les arguments développés dans la
littérature économique afin de mesurer l’ampleur du problème et d’évaluer la pertinence des
différentes solutions réglementaires. Nous faisons apparaître l’absence de solution universelle
au profit de divers arrangements institutionnels adaptés aux situations envisagées. L’adoption
d'une réglementation efficiente suppose la prise en compte de la capacité indirecte
d'appropriation par les éditeurs et les auteurs de la valeur des copies faites de leurs œuvres. Si
celle-ci est suffisamment élevée, la copie privée doit être autorisée et nulle compensation
versée aux titulaires de droits. Dans le cas inverse, une politique de subvention est parfois
préférable à l'application d'un système de redevance.
Mots clés : copie privée, droit d'auteur, industries culturelles, appropriabilité
1
Le commerce électronique de biens culturels se traduit aujourd’hui par la vente à distance de
produits traditionnels (livres, disques, vidéo) et par la diffusion en réseau d’œuvres
dématérialisées. Cependant, en 2000, les ventes en ligne de biens culturels représentent moins
de 1% du chiffre d’affaires total des industries culturelles. Outres les raisons techniques et
celles liées à l’inertie des habitudes de consommation, l’usage non marchand des technologies
numériques par le consommateur explique en partie ce poids encore marginal. Pour l’heure,
les technologies numériques favorisent surtout la circulation gratuite de contenus
habituellement protégés par le droit d’auteur. Des copies rapides, identiques à l’original et
gratuites peuvent être obtenues à partir de supports physiques ou de fichiers disponibles sur
un réseau numérique que les copieurs stockent sur leur disque dur et gravent sur CD. Dans ce
contexte, les producteurs de contenus culturels mais aussi de logiciels (auteurs, éditeurs,
producteurs) mettent en avant les risques de pertes associés au copiage massif. Selon eux, la
copie privée, actuellement autorisée pour le disque et la vidéo, doit être interdite pour tout
type de contenu et assimilée juridiquement à de la piraterie.
A l'instar de la copie privée analogique et contrairement à la piraterie, la copie privée
numérique non commerciale est licite lorsqu'elle a lieu dans un cercle familial 1 . Légalement,
le principe de l'exception au droit d’auteur pour copie privée est appliqué dans la quasi-totalité
des Etats européens. En France, l’auteur ne peut s’opposer aux “copies ou reproductions
strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective”
(art. L.222.5 du Code de la Propriété Intellectuelle) à l'exception des bases de données et des
logiciels 2 . Dans la mesure où le numérique permet une reproduction infinie des originaux,
cette tolérance a été supprimée dans la directive européenne du 14 mai 1991 sur la protection
juridique des programmes d’ordinateurs et dans celle du 11 mars 1996 sur la protection des
bases de données. La question reste entière pour les techniques en réseau, puisque la directive
proposée en 1997 et qui devrait être adoptée en 2001 n’harmonise pas les règles relatives à la
copie privée (Farchy et Rochelandet, 2000).
Deux grandes options sont envisageables : interdire la copie privée ou l'autoriser. Cette
seconde possibilité se décline en trois arrangements institutionnels alternatifs : autoriser la
copie privée sans restriction, autoriser la copie avec application d'une redevance sur les
supports vierges ou l'autoriser avec versement de subventions (plus ou moins ciblées) aux
producteurs de contenus copiés. L'objet de cet article est de comparer ces différentes
réglementations selon le secteur concerné. Nous montrons que l'adoption d'une
réglementation optimale doit tenir compte du niveau d'appropriabilité 3 par les titulaires de
droits de la valeur des copies effectuées à partir des originaux protégés. L'appropriabilité peut
passer par différents moyens (promotions, augmentation des prix, biens et services
complémentaires) ou par le développement de nouvelles techniques (cryptage, traçabilité
électronique ou techniques anti-copie).
1. LA COPIE PRIVEE NUMERIQUE, UNE PRATIQUE CROISSANTE
Les marchés impliqués par la copie privée sont, d'un côté, ceux des supports vierges et des
appareils d'enregistrement, de l'autre, ceux des contenus copiés (disque, jeu vidéo, multimédia
et logiciel).
Les marchés des supports vierges et du matériel
Le marché des supports d’enregistrement est traditionnellement celui des cassettes
analogiques. Il est en régression par rapport aux supports numériques enregistrables destinés à
2
un usage général (CD-R et CD-RW Data) et ceux destinés à la musique (CD-R Audio et Mini
Disc). Le DVD enregistrable devrait remplacer les autres supports et notamment la cassette
vidéo. Le tableau suivant présente les caractéristiques des principaux supports enregistrables.
Classification des CD vierges
Types
Signification
Capacité
Nature des données Matériels
CD-R Data
CD recordable data
650 Mo
audio, vidéo, logiciel
Ordinateur, lecteur CD
CD-RA
CD recordable audio
74'
Audio
lecteur CD
CD-RW
CD rewritable
650 Mo 74'
audio, vidéo, logiciel
ordinateur, lecteur CD
MiniDisc
-
74'
Audio
lecteur de MiniDisc
DVD-R Data
DVD recordable data
4,7 Go
audio, vidéo, logiciel
lecteur informatique
DVD-R Video
DVD recordable audio 180'
vidéo, audio
lecteur de salon
Les ventes de cassettes audio analogiques ont diminué depuis 1994 passant de 53 millions
d'unités à 27 millions en 2000. Depuis 1997, cette baisse est plus que compensée par
l’augmentation des ventes de supports vierges numériques qui est passée de 10 à 154 millions
d'unités en 2000 (source : SNSE). La part des CD-R Audio et des Mini Disc reste minime face
aux CD-R Data compte tenu d’un équipement informatique des ménages largement supérieur
à celui des graveurs de salon et des lecteurs de MiniDisc.
Les ventes de cassettes audio et de CD (source : SNSE 4 , millions d'unités)
1994
1997
1999
2000
cassettes audio
53
42
35
27
CD-R Data et Audio
10
101
154
La diminution constante des prix du matériel et des supports vierges entre 1990 et 1998 ainsi
que leur universalité d'usage peuvent expliquer ces tendances. Le prix moyen d’un CD-R qui
était de 150 francs en 1990, tombe aux environs de 10 francs en 1999 (source : MPO).
L'équipement des ménages en appareils d’enregistrement est lui aussi en forte croissance. Il
faut d'abord souligner le multi-équipement des ménages : en 1998, 86% des ménages équipés
en informatique possèdent une chaîne Hi-fi, 84% sont équipés en magnétoscopes et 43% en
consoles de jeux (source : SESSI). Il existe, on l’a vu, deux sources principales à partir
desquelles sont effectuées les reproductions de contenus musicaux et logiciels : le "gravage" à
partir d'exemplaires originaux et le téléchargement de fichiers par l'Internet. Concernant la
première source, 29% des ménages français possédaient un ordinateur à leur domicile en 2000
(Médiamétrie-ISL) et 49% des ménages avec enfants. Si 60% des ménages équipés ont un
ordinateur multimédia, 25% en possèdent un avec un modem et seulement 15% avec un
scanner (source : SESSI). 5% possèdent un graveur en 2000 contre 2% en 1999 (MédiamétrieISL). En moyenne, un graveur est vendu pour 10 ordinateurs et le prix de ces appareils oscille
entre 1500 et 3000 francs.
3
Quelles copies pour quels copieurs ?
A l’heure actuelle, la copie privée numérique correspond surtout à la reproduction de
contenus édités sur supports. Les œuvres copiées sont essentiellement de la musique et du jeu
vidéo. Sur les 35 millions de CD-R vierges vendus en 1998, le SNEP estime que 5 millions
sont utilisés afin de copier de la musique, soit environ 5% des 120 millions de CD enregistrés
vendus la même année en France. Dans une étude FNAC réalisée en janvier 1999 dans ses
magasins, 81% des personnes interrogées déclarent copier de la musique. Le deuxième type
de données copiées concerne les logiciels (essentiellement des jeux) et les utilitaires
professionnels (58 % des personnes sondées). Dans cette étude, 62% des personnes
interrogées possèdent un graveur, essentiellement un graveur micro. Selon la SORECOP, la
moitié des copies sur CD-R est destinée à la sauvegarde de données personnelles, 23% à des
reproductions d’œuvres musicales et 25% à des jeux vidéo. Les logiciels culturels et éducatifs
seraient quant à eux beaucoup moins copiés.
Caractéristiques du copiage en 1999 (source: Sorecop)
Sauvegarde de données personnelles
Reproduction d’œuvres musicales
Reproduction de jeux vidéo
Autres utilisations
50 %
23 %
25 %
2%
Les copieurs sont, pour beaucoup, des étudiants et des jeunes de moins de 20 ans. En 1998,
plus de 50% des 15-24 ans déclaraient avoir fait copier ou avoir copié au moins une fois un
CD grâce à un graveur (source : SNEP), principalement par souci d'économies, les prix des
œuvres copiées étant trop élevés par rapport à leur disposition à payer. Une étude IPSOS
Music menée auprès de 699 Français âgés de 12 à 34 ans en janvier 2000 montre que 35%
possèdent des CD audio gravés (19 en moyenne) chez eux et cette proportion passe à 46%
pour les 12-24 ans. Comme le montre le tableau suivant, la constitution d'une discothèque
musicale est la première motivation des possesseurs de graveurs, le prix du CD gravé (32
francs) étant nettement inférieur au prix moyen du disque (119 francs).
Destination des CD vierges chez les 12-24 ans en 2000 (source : IPSOS Music)
Constitution d'une discothèque musicale
Stockage informatique
Collection de jeux vidéo
Gravage de fichiers MP3
Gravage gratuit pour des tiers (acte illicite)
74,4 %
54 %
23,5 %
28,2%
30,2 %
En dehors des pratiques accrues de gravage sur supports numériques, la copie en ligne de
fichiers MP3 pose également des problèmes importants aux industries du disque et du
logiciel. Elles sont confrontées à la fois à la piraterie numérique et à l'échange illicite de
contenus avec la multiplication des sites Internet consacrés à la musique (dont le plus
médiatisé est Napster). Il y avait 60 millions d'internautes dans le monde en 1995 (IRISGulliver) et 407 millions fin 2000 (NUA) qui peuvent se connecter à près de 18 millions de
sites Internet en juillet 2000 (Netcraft). En août 2000, 13% des ménages français (soit 8,15
4
millions d'individus) étaient connectés contre 2,4% (2,9 millions d'individus) en 1998
(Médiamétrie). L’étude FNAC de 1999 montre que la copie d'œuvres musicales en ligne est
loin d’être négligeable puisqu'elle concerne 18% des personnes sondées. En mai 1998, le
serveur Yahoo dénombrait 35000 sites musicaux. Selon le BSA, 900000 pages Web
proposent du “ warez ” (copie illégale) dans le monde, dont 9 800 en France. Pour KPMG, un
des principaux motifs de connexion est le téléchargement de logiciels (55% des cas) alors que
le type d'usage le moins répandu est l'achat et le lèche-vitrine en ligne (33%).
Les motifs de connexion (source : KPMG)
Recherche d'informations
95 %
Actualités
55 %
Téléchargement de logiciels
55 %
Courrier électronique
39 %
Commerce électronique
33 %
Cependant, une étude menée aux Etats-Unis par le serveur MP3.com sur 500 personnes
sélectionnées dans 20 Newsgroups se rapportant à la musique montre que seuls 16% des
individus téléchargeant des fichiers MP3 substituent les copies obtenues à l'achat d'originaux,
66% des personnes prétendent l’acheter ensuite. Beaucoup ne le font pas car ils n'apprécient
pas le morceau téléchargé. L'effet promotionnel des réseaux ne doit donc pas être sous-estimé
(voir infra). Plus récemment, un sondage réalisé par IPSOS/Libération/Powow.net en juin
2000 montre que seuls 10% des 682 personnes interrogées déclarent acheter moins de disques
depuis qu'ils téléchargent des fichiers musicaux au format MP3 sur l'Internet 5 . L’essentiel des
lecteurs de salon ne permettent d’ailleurs pas de lire le format MP3 (malgré le lancement
récent de tels lecteurs sur le marché français, notamment par Philips).
Les principaux syndicats professionnels d'éditeurs tiennent pourtant la copie privée numérique
pour principal responsable de leurs récentes pertes de chiffres d'affaires (SNEP, 2000).
Les pertes estimées
Les différents syndicats professionnels d’éditeurs se mobilisent en effet pour annoncer des
pertes élevées de chiffres d’affaires. Dans le domaine du logiciel de loisirs, le SELL estime
que les pertes commerciales seraient de l’ordre de 4,5 milliards de francs en 1998
(l’équivalent du marché des logiciels pour consoles et ordinateurs) contre 1,5 milliard en 1997
(la moitié du marché des logiciels de loisirs). Pour parvenir à un tel chiffre, le SELL se base
sur le nombre de CD vierges destinés à la copie (près de la moitié) qu'il multiplie par le prix
moyen des logiciels les plus piratés. Ainsi selon ce syndicat, une copie illicite circule
actuellement en France pour chaque CD-Rom vendu. Concernant l’industrie du disque, le
SNEP estimait en 1998 les pertes causées par la copie privée numérique à 8 millions de
disques, soit 5% des unités vendues. En appliquant, à la manière du SELL, le prix moyen du
disque (110 francs en 1998) à ce chiffre, on obtient une perte potentielle de 880 millions de
francs, soit 12% du chiffre d’affaires de l’édition phonographique. La baisse du chiffre
d'affaires du disque entre 1998 et 1999 (-2,5%) et entre 1999 et 2000 (-1%) semble conforter
ce constat 6 .
Sans nier la réalité des pertes causées aux industries de contenus par la copie privée, il est
néanmoins possible de relativiser les arguments avancés. Tout d’abord, bien que les jeux
5
vidéo soient les plus copiés, le chiffre d'affaires et le résultat du principal éditeur français
Infogrames a progressé en moyenne annuellement de 73% entre 1997 et 1999. De même, le
CA mondial de Microsoft a augmenté de près de 32% annuellement depuis 1994 et ses
bénéfices nets de 43%. Par ailleurs, la musique en ligne offre aux artistes des opportunités
nouvelles par rapport aux circuits de distribution traditionnels. La distribution par l'Internet
peut ainsi modifier l’équilibre économique de la filière. Pour Ramello et Silva (1997), les
copies illégales dans l’industrie du disque s'interprètent comme une réaction naturelle des
consommateurs sur un marché fortement concentré, où le droit d'auteur protège surtout le
monopole des majors dominant les marchés nationaux. De plus, la copie ne constitue pas une
perte sèche pour les industriels, parce que les majors du disque appartiennent en partie à des
grands groupes qui produisent le matériel ou les infrastructures nécessaires aux copies privées
(Sony ou Vivendi Universal, par exemple). Enfin, les associations de consommateurs
développent l’idée que la plupart des usages faits des supports vierges ne nuisent pas à la
vente d’originaux, mais correspondent plutôt à des usages complémentaires comme la
compilation ou à la reproduction d'enregistrements rares.
2. FAUT-IL INTERDIRE LA COPIE PRIVEE ?
2.1. Les arguments des prohibitionnistes
Une moindre capacité d’appropriation directe des revenus à court terme
Les effets les plus immédiats de la copie privée sans restriction sont essentiellement de priver
les producteurs d’une partie des recettes tirées de la vente d’originaux. La banalisation des
techniques de reproduction amène une partie des acheteurs potentiels à devenir des copieurs.
Ce processus est d’autant plus important que les consommateurs estiment que les copies sont
des substituts parfaits aux originaux. À la limite, le packaging étant reproductible, certains
parlent de “clonage”. Le coût des originaux est supporté intégralement par leurs acheteurs
directs alors que les copieurs ne paient que les coûts de fabrication de copies. La demande
d’originaux se réduit alors dans une proportion dépendant de leur degré de substituabilité aux
copies.
Pour déterminer précisément la nature des dommages subis par les détenteurs de droits, Besen
et Kirby (1989) soulignent que les pertes peuvent s’évaluer par la variation des profits des
producteurs d'originaux avant et après l’introduction du copiage. Nul dommage n’apparaît si
la copie privée ne provoque aucune baisse à court terme de leurs profits ; dans ce cas, aucune
limitation réglementaire ne se justifie. Cependant, selon ces économistes, une définition plus
large des dommages est possible : "(…) les dommages apparaissent si la nouvelle utilisation
réduit les profits en-deçà du niveau qu’ils auraient atteint si le producteur avait été capable
d’exploiter le marché desservi sans autorisation" (Besen et Kirby, 1989, p.273). L'interdiction
ou la mise en place de mesures compensatoires peuvent alors se justifier.
Une moindre diversité des œuvres à long terme
Les effets négatifs de la copie privée libre semblent moins contestables sur le long terme.
Ainsi des profits moindres privent les producteurs de capacités de financement
supplémentaires pour de nouvelles créations. Non seulement les producteurs, mais également
les consommateurs voient alors leur bien-être se dégrader. Pour les premiers, moins d’œuvres
produites signifie moins d’emplois, moins de possibilités d’expression, une moindre
diversification du risque, voire une baisse du nombre de firmes (Johnson, 1985). Quant aux
6
consommateurs, ils ont moins de choix et moins de chances de satisfaire leurs envies.
L’ensemble des effets à long terme du copiage sur le bien-être social dépend selon Johnson
(1985) de trois facteurs : de l’élasticité de l’offre d’œuvres originales (la baisse des revenus
des producteurs due au copiage entraîne une diminution de l’offre d’œuvres et du surplus
collectif, même en cas de dissémination plus large) ; de la valeur de la diversité pour les
consommateurs ; et des effets du copiage sur la demande d’originaux par rapport à ses effets
sur la consommation totale (l’augmentation du bien-être social due au copiage peut être
supérieure à la perte due à la diminution de la demande d’originaux).
De leur côté, Novos et Waldman (1984) montrent qu’un renforcement du droit d’auteur (par
l’interdiction de la copie privée) peut induire une augmentation nette du bien-être social en
termes de productivité et de créativité. Ce renforcement serait d'autant plus nécessaire que l'on
suppose que les producteurs subissent une double contrainte sur leur pratique tarifaire : d'un
côté, ils doivent diminuer leurs prix afin d'amener les copieurs à acheter des originaux et de
l'autre, ils sont confrontés à une diminution de la demande d'originaux de la part d'acheteurs
potentiels non copieurs qui anticipent une diminution des prix 7 . Si l'on se contente de ce type
d'arguments, alors la copie privée devrait être interdite ou fortement limitée.
2.2. Les arguments en faveur de l'exception pour copie privée
Liebowitz (1986) montre que les arguments prohibitionnistes ne prennent en compte que
l'appropriabilité directe des revenus par les détenteurs de droits, alors que le copiage a deux
autres effets potentiels sur leurs revenus, à savoir :
- l’effet d’exposition : la banalisation des technologies de copie accroît la dissémination des
œuvres et la probabilité d’achat d'originaux. L’effet est in fine positif sur les revenus des
titulaires de droits (idée reprise par Takeyama, 1994),
- l’effet de multi-usages : les titulaires de droits peuvent s’approprier tout ou partie des
revenus correspondant aux copies non autorisées en augmentant les prix des originaux
acquis par les acheteurs à partir desquels les copies sont faites (voir également Besen et
Kirby, 1989).
L’impact de la copie sur le revenu des détenteurs de droits est le résultat de ces trois effets :
"L’effet de substitution réduit l’appropriabilité, l’effet de multi-usages accroît
l’appropriabilité et l’effet d’exposition n’a pas d’incidence directe sur l’appropriabilité, mais
influe sur le bien-être des détenteurs de droit d’auteur" (1986, p.191).
Les modèles économiques favorables à la copie privée libre préconisent alors le laissez-faire
dans la mesure où les producteurs de contenus protégés ont les moyens de s’approprier
directement ou indirectement la valeur des copies non autorisées.
La garantie de revenus par le fait d’être le premier arrivé sur le marché
Un premier type d’approche se base sur les analyses de Plant (1934) et de Breyer (1970). Le
droit d’auteur serait une réglementation inutile car le fait d’être le premier à offrir l’œuvre
confère à son producteur un monopole temporaire (lead time), durant lequel il peut fixer ses
prix à un niveau tel qu'il rentabilise rapidement ses investissements. Si cette idée est depuis
longtemps totalement invalidée dans les faits (Tyerman, 1971) 8 , elle est intéressante dans le
cas de commercialisation d’œuvres accompagnée d’une promotion importante : le désir
d’acheter tout de suite peut l’emporter si l'obtention d'une copie prend du temps.
7
L’appropriabilité indirecte et la discrimination par les prix
Une deuxième approche met l’accent sur la possibilité pour les producteurs d’opérer une
discrimination par les prix entre les utilisateurs. Liebowitz (1985, 1986) montre que les copies
peuvent être profitables aux détenteurs de droits s’ils s’approprient indirectement la valeur
correspondant aux copies non autorisées : "Les utilisateurs de copies non autorisées, tout
comme les acheteurs de voitures d’occasion, sont susceptibles de rémunérer indirectement le
détenteur de droit d’auteur pour leurs copies illicites si ce dernier intègre la valeur de
"revente" des originaux lorsque les copieurs initiaux les achètent" (1985, p. 947). En d'autres
termes, l'acheteur initial d'un original accepte de payer un prix plus élevé, car il intègre dans
son calcul les recettes qu'il retirera de la "vente" de copies à des utilisateurs secondaires. Pour
appuyer cette idée, Liebowitz analyse la photocopie d’articles dans les bibliothèques. Aux
Etats-Unis, les éditeurs de revues ont augmenté les prix des abonnements souscrits par les
bibliothèques dans une proportion plus forte que ceux des abonnements individuels.
L'interdiction de la copie privée semble remise en cause par la possibilité de discrimination
par les prix.
La principale critique à cette analyse est sa portée limitée. La reproduction privée d’articles
est un exemple très spécifique de discrimination par les prix praticable et non coûteuse. Dans
le cas de la copie privée analogique, cette pratique est quasiment impossible. Impossible en
effet d'identifier parmi les acheteurs d'originaux les individus désirant faire des copies
destinées à d’autres. Néanmoins, dans le cas de la copie privée numérique, l’analyse peut
s'avérer pertinente, notamment grâce aux nouvelles technologies de codage et d'identification
(Meurer, 1997, Bell, 1998).
L’existence de biens et services liés
Une autre forme d'appropriabilité indirecte est l'existence de biens et services liés. Lorsque
l'utilisation de produits facilement reproductibles est associée à des biens ou des services
strictement complémentaires, le consommateur ne retire aucune utilité de la consommation du
produit seul. Le producteur peut alors espérer récupérer la valeur des copies non autorisées de
deux manières différentes : soit il produit également le produit complémentaire et fixe son
prix à un niveau tel que ses recettes totales couvrent les pertes inhérentes aux copies, soit il
négocie avec le producteur du bien ou du service complémentaire, en bénéficiant
éventuellement d'une mutuelle dépendance entre eux. Novos et Waldman (1988) prennent
pour exemple les logiciels et les ordinateurs nécessaires à leur utilisation. Une firme
produisant les deux biens est incitée à augmenter le prix de ses ordinateurs tout en diminuant
celui de ses logiciels et la perte sociale due à leur sous-utilisation. Cependant, son pouvoir de
marché doit être suffisant sur le marché des ordinateurs, ce qui peut constituer une nouvelle
source de perte de bien-être social, car le nombre d’ordinateurs vendus sera sous-optimal 9 .
Cette approche favorable à la copie privée se révèle pertinente lorsque les éditeurs de logiciels
sont aussi producteurs d’ordinateurs, ce qui est loin d’être vérifié actuellement. De même, les
majors du disque ne sont pas toujours impliquées dans la production de matériel
d’enregistrement, même si certaines font partie de groupes en produisant. Les consoles de
jeux constituent une bonne application de ce modèle, puisque Sony, Sega et Nintendo sont à
la fois fabricants de consoles et éditeurs de jeux. Un prolongement possible de cette analyse
porte sur les logiciels professionnels liés à un service de maintenance : le copiage est rendu
difficile puisque le prix d’achat des logiciels comprend le droit aux services de maintenance
offerts par l’éditeur.
8
Les effets de réseaux
Takeyama (1994) montre que la reproduction non autorisée peut entraîner non seulement des
profits supérieurs pour les éditeurs, mais aussi une amélioration générale du bien-être social.
Si les copies cédées à prix nul ne génèrent pas de revenus à court terme, elles contribuent à
ancrer les habitudes de consommation et à diffuser le produit. Même en l'absence de droit
d'auteur, les profits peuvent augmenter avec la taille du réseau au-delà du niveau qu'ils
auraient atteint sans copiage. Takeyama prend l'exemple des logiciels, où la concurrence
s’assimile à une guerre de standards. En cas de victoire, l’éditeur peut espérer des profits à
moyen terme grâce aux réactualisations de ses logiciels et aux services de maintenance. Pour
un éditeur débutant, la copie privée est perçue comme un moyen de créer d’importantes
“bases installées” d’utilisateurs. En revanche, une fois le logiciel bien “installé”, les éditeurs
dominants prônent la suppression de l’exception pour copie privée.
L’effet promotionnel de la copie privée est beaucoup plus discutable dans le cas des industries
culturelles. Un groupe comme les Rolling Stones n’a pas besoin de créer une base installée de
“fans”, mais de s’approprier les revenus à court terme de son activité. Son objectif est donc de
maximiser la rente tirée de sa notoriété. Pour les groupes de moindre importance, le problème
de la copie privée se pose différemment puisque la majeure partie des disques copiés sont des
productions issues du vedettariat (SOFRES, 1997). Contrairement aux logiciels, la
concurrence entre les œuvres culturelles ne s’assimile guère à une guerre de standards et la
copie privée numérique représenterait donc des pertes élevées.
2.3. Entre copie libre et interdiction totale : les solutions intermédiaires
Au-delà du débat sur l'autorisation ou non de la copie privée, une solution intermédiaire a
généralement été adoptée : autoriser la copie privée en échange d’une compensation versée
aux détenteurs de droits. Dans la plupart des pays européens a été instaurée une redevance qui
consiste à prélever une somme sur le prix des supports vierges et à en redistribuer le produit
aux titulaires de droits 10 . Cependant, avec le développement des technologies numériques,
une solution marchande, sans intervention publique, devrait devenir praticable selon certains
économistes (Meurer, 1997, Bell, 1998, Fisher, 1998). Des négociations entre les agents
privés deviennent possibles à travers le recours aux techniques d'identification et de protection
permettant d'accroître significativement l'appropriabilité. Leur efficience est un facteur décisif
pour déterminer la meilleure solution dans chaque cas.
Les effets attendus de la redevance pour copie privée
La taxation retenue par de nombreux pays est une solution de second rang, si l’on considère,
d’une part, que le copiage a un effet net négatif sur la production d’œuvres et sur les revenus
des détenteurs de droits et, d’autre part, que les biens ainsi taxés servent souvent à des
utilisations autres que la copie d’œuvres protégées. Une solution de premier rang serait
d’appliquer une redevance sur l’acte même de copiage, mais sa mise en œuvre représenterait
bien évidemment des coûts prohibitifs. C’est pourquoi la redevance ne peut être appliquée
qu’aux biens complémentaires à l’acte de copiage.
Le tableau suivant montre les différents taux de redevance en Europe en fonction des
supports. Il faut noter qu'il n'existe aucun système de taxation au Royaume-Uni, en Irlande, au
Portugal et au Luxembourg.
9
Les taux de redevance en Europe (en euros perçus par heure), Le Monde, janvier 2001
cassettes audio
MiniDisc
CD-R Audio
CD-R Data
Allemagne
0,06
0,06
0,06
0,06
France
0,29
0,56
0,56
0,33
Pays-Bas
0,23
0,32
0,52
0,14
Italie
0,04
0,26
0,1
en cours
Danemark
0,43
0,43
0,43
0
Il est nécessaire d'évaluer les effets de la redevance sur le bien-être collectif pour la justifier.
Dans cette perspective, Baker (1992) propose une étude des effets de la redevance pour copie
privée sur l’industrie du disque. Selon lui, l’objectif économique d’une telle redevance est
triple : "(1) récupérer les royalties perdues par les détenteurs de droits d’auteur lorsque les
achats de cassettes vierges représentent une substitution aux achats de disques ; (2) capturer le
‘juste’ revenu en termes de droits perdus lorsque la cassette enregistrable est destinée à la
copie de disques, etc… qui autrement n’auraient pas été achetés au prix complet de détail; et
(3) maintenir la demande de disques et ainsi permettre à l’industrie de disque de soutenir son
activité éditoriale." (p.56) Elle doit être fixée en tenant compte des caractéristiques du marché
du disque : taux de royalties, prix et diversité. Si elle est correctement établie, les revenus des
ayants droit ainsi que le nombre d’œuvres éditées peuvent augmenter au-delà de leurs niveaux
antérieurs à l’apparition de la copie privée. À l’inverse, une redevance trop importante par
rapport au taux de royalties peut réduire le nombre de titres offerts par l’industrie et à terme,
les revenus des artistes.
Besen et Kirby (1989) partent de l’idée intéressante selon laquelle il faut raisonner en terme
d’usage des œuvres. Les originaux ou les copies ne sont que des supports à partir desquels les
consommateurs font une utilisation des œuvres. En prolongeant leur raisonnement, on peut
estimer que les producteurs de supports vierges vendent des usages potentiels aux copieurs et
concurrencent les producteurs d'originaux en possédant un avantage comparatif en terme de
prix. Sur la base d’un tel raisonnement, il serait possible de promouvoir un système de
compensation basé sur le transfert d’une partie du chiffre d’affaires des producteurs de
matériel de copiage vers les détenteurs de droits d’auteur. Besen et Kirby tentent alors de
déterminer une redevance optimale selon les différents cas de figure possibles. Parmi ces
derniers, deux retiennent notre attention : (1) l’appropriabilité directe (la demande pour les
originaux reflète uniquement leur valeur pour les acheteurs directs) avec substitution
imparfaite entre les originaux et les copies et (2) l’appropriabilité indirecte (la demande pour
les originaux reflète la demande pour les copies) avec substituabilité parfaite.
Le premier cas correspond à la copie privée analogique de disques. Les prix des originaux
sont rigides à court terme, le coût d'une copie supplémentaire est constant, l'appropriabilité
indirecte auprès des copieurs est faible et la qualité des copies est inférieure à celles des
originaux. Plus le coût d'une copie augmente et plus le degré de substituabilité entre un
original et une copie est faible, plus la disposition à payer pour l'original augmente. Dès lors,
si la substitution d’achats d’originaux par le copiage peut être compensée par un prix plus
élevé imposé aux acheteurs d’originaux, les producteurs et les consommateurs voient leur
bien-être et leurs profits s’accroître. Mais il est plus vraisemblable que les producteurs soient
obligés de diminuer leurs prix pour amener les copieurs à acheter des originaux. Leurs profits
diminuent et l’effet du copiage sur le bien-être social est alors indéterminé, car seul le bienêtre des copieurs ou des acheteurs s’améliore à court terme. L’introduction d’une redevance
peut dans ce cas se justifier. Le producteur d'originaux devient un monopole multi-produits
10
sur le marché des originaux et sur celui des copies. Sur ce dernier, son "profit" est le produit
de la redevance et il augmente avec le taux fixé sur le prix des supports vierges. Donc, dans le
cas d’une appropriabilité essentiellement directe, fixer une redevance sur les supports vierges
a des effets positifs à court terme sur les profits des producteurs 11 .
Le deuxième cas de figure peut s'appliquer aux jeux vidéo. Les originaux et les copies sont
supposés parfaitement substituables et les copieurs s'organisent en "clubs" au sein desquels ils
partagent le coût d'achat des originaux. Or, la formation de tels clubs constitue une forme
particulière d’appropriabilité indirecte. En effet, le producteur peut s’approprier auprès des
organisateurs de clubs – qui sont acheteurs d'originaux - l’intégralité du surplus généré par les
échanges au sein du club. Pour cela, il peut augmenter le prix des originaux en considérant
que leur coût d’achat est partagé entre les copieurs. La copie privée, loin d’être défavorable
aux producteurs, peut leur permettre de s’approprier le surplus dégagé par le fonctionnement
des clubs et les copies se substituent alors aux originaux trop coûteux. Néanmoins, le coût
d'une copie supplémentaire augmente avec le nombre d’“adhérents” au club : augmenter la
taille du club induit des coûts de transaction croissants entre ces derniers (congestion, risque
de mésententes,…). Dans la mesure où le producteur d’un original peut s’approprier la valeur
des utilisations à la fois auprès des acheteurs et des copieurs, le taux optimal de redevance
doit être alors soit nul, soit fixé à un niveau dissuasif. D'un côté, si cette pratique permet
d’accroître ses profits, le producteur a intérêt à ne pas restreindre le copiage en évitant
d'augmenter le prix des supports vierges avec la redevance. De l'autre, si le surplus dégagé
dans les clubs est insuffisant pour le dédommager (coûts de transaction trop élevés), le
producteur a intérêt à éliminer complètement le copiage en rendant prohibitif le prix des
supports vierges. Dans le cas des jeux vidéo (parfaite substituabilité), la première solution est
la bonne : le producteur n’a aucun intérêt à l’établissement d’une redevance, il cherchera
plutôt à fixer un prix de monopole afin de maximiser ses profits sur les deux marchés et ainsi
s'approprier la valeur totale des utilisations faites de ses œuvres.
Trois critiques peuvent être adressées à l'analyse de Besen et Kirby. Tout d’abord, leur
modèle ne s’intéresse pas à la configuration où les originaux et les copies sont des substituts
parfaits et le coût marginal du copiage est constant, comme la copie en ligne (par exemple,
Napster). Selon eux, le producteur d’originaux ne voudrait alors vendre qu'un seul exemplaire
à un prix tel qu'il s’approprie les "profits" du copieur initial tirés de la “revente” de copies.
Cette hypothèse contestable ne prend pas en compte les coûts de transaction et le fait qu'un
individu ne puisse supporter seul un tel coût. De plus, le producteur d’une œuvre susceptible
d’être diffusée en ligne hésitera à la vendre par ce biais étant donné le risque de dissémination
rapide des copies. Ensuite, leur analyse, établie sur le court terme, ne prend pas en compte les
effets négatifs de long terme comme la réduction de la diversité (voir supra). Enfin, ces
économistes se situent dans la perspective dominante en matière d’économie du copyright, en
assimilant le monopole juridique d'un auteur ou d'un éditeur à un monopole économique. Les
agents sont supposés pouvoir fixer un prix leur permettant de s’approprier indirectement la
valeur des “usages” faits de leurs productions. Cependant, la concurrence entre producteurs
restreint leur liberté en matière de tarification et rend difficile l’appropriabilité indirecte de la
valeur des copies. Ceci peut alors justifier l’interdiction de la copie privée ou l'adoption de
mécanismes compensatoires.
Des critiques de la redevance à la mise en place de solutions alternatives
La redevance donne lieu à de nombreuses critiques. La plus importante est qu’elle pénalise
l’industrie des supports vierges et les consommateurs de ces supports alors que l’utilisation de
11
ces biens ne correspond pas toujours à la copie d’œuvres protégées. De plus, la redevance
profite essentiellement aux gros éditeurs et aux vedettes. Dans le cas de la copie privée
numérique, cette situation s’accentuerait, car les principaux bénéficiaires sont les éditeurs et
artistes qui ont les capacités financières de se différencier à la fois techniquement (dispositifs
anti-copie) et commercialement (en créant l'événement). Enfin, la redevance s'ajoute à des
droits déjà payés : copier un film à partir d'une chaîne de télévision ou par câble revient à
payer deux fois le créateur pour le même programme, une fois par la redevance et une
deuxième fois par la part reversée aux détenteurs de droit du prix d'abonnement ou de la
redevance télévisuelle 12 .
Ces critiques peuvent justifier l’adoption d’autres solutions réglementaires pour atténuer les
effets négatifs de la redevance. Dans la mesure où le rapport entre les prix des originaux et
des copies et leur degré de substituabilité apparaissent décisifs pour le consommateur, il s'agit
soit de diminuer la substituabilité (promotions événementielles, différenciation…), soit de
réduire les écarts de prix. Pour cela, plutôt que de rendre le prix des supports vierges le plus
dissuasif possible en augmentant la redevance, il est possible de diminuer le prix des
originaux par une baisse de la TVA (mesure réclamée depuis longtemps à juste titre par
l’industrie du disque, voir infra) ou par une politique de subvention aux producteurs.
Les subventions, transferts financiers entre l'Etat et le producteur, sont de nature incitative.
Leur avantage immédiat par rapport à la redevance est leur facilité de mise en œuvre et de
contrôle des résultats : coûts faibles d’identification des producteurs d’œuvres copiées et des
relevés de prix. Cependant, Johnson (1985) soulève deux problèmes concernant cette solution.
D'un côté, il faut prendre en compte le coût d'opportunité lié à une telle affectation des fonds
publics. Une baisse d’impôts ou le financement d’une autre activité peuvent être plus
bénéfiques du point de vue social, d’autant qu’une réduction des prix des contenus copiables
ne profitera pas directement à tous les consommateurs. Le second problème est qu’une telle
subvention peut être inéquitable, car les individus à faible demande vont subventionner les
gros consommateurs d’œuvres. Selon nous, il convient d'ajouter trois autres critiques. La
première relève du commerce international. Le système de subvention ne concerne
généralement que les entreprises faisant partie d’une économie donnée et peut donc induire
une distorsion de prix à l’avantage des œuvres subventionnées. Ensuite, des asymétries
informationnelles sont susceptibles d'exister entre l'administration et les subventionnés,
lesquels peuvent adopter des comportements de recherche de rentes. Enfin, subventionner les
producteurs de contenus peut les désinciter à innover et à trouver d'autres méthodes
d'appropriation telles que les systèmes de protection électronique ou de nouvelles méthodes
de commercialisation. En raison de ces différentes critiques, cette solution est difficilement
applicable à tous les contenus protégés, mais elle peut dans certains cas précis se révéler plus
efficace que la redevance.
3. QUELLE REGLEMENTATION OPTIMALE EN MATIERE DE COPIE PRIVEE
NUMERIQUE ?
Deux situations doivent être envisagées selon que les technologies de protection des contenus
s’avèreront efficientes ou, au contraire, vulnérables (voir schéma, infra).
3.1. Technologies efficientes et solutions marchandes
En cas d’efficacité des techniques anti-copiage, l’appropriabilité devient parfaite et
essentiellement directe, puisque la majeure partie des utilisations résulte des achats
12
d’exemplaires originaux ; le copiage disparaît ou devient significativement marginal. Le
résultat obtenu est essentiellement une solution de marché – qui s'imposera certainement sur
les réseaux au bénéfice des auteurs ou de leurs représentants (Farchy et Rochelandet, 2001) 13 .
Un niveau optimal de production peut être atteint, que la réglementation autorise ou interdise
la copie privée. Les supports vierges ne devraient alors servir que pour le stockage de données
personnelles ou d’œuvres non protégées (shareware, œuvres tombées dans le domaine
public). Une solution de marché envisageable sur les réseaux numériques est de présumer la
copie privée autorisée, sauf mention contraire du titulaire de droits notifiée au copiste
explicitement sur le site. Il appartient alors aux ayants droit de faire un arbitrage entre la
rémunération offerte par d’éventuels moyens de protection techniques et celle qu’ils peuvent
percevoir au titre de la redevance pour copie privée. Comme l’interdiction, cet arrangement
plus souple suppose le traçabilité de l’utilisation des œuvres par un dispositif technique adapté
et génère donc des coûts.
Pour de nombreux économistes, les technologies de l'information et de la communication
permettent une réduction importante des coûts de transaction. Ce changement majeur devrait
favoriser une désintermédiation électronique entre les agents. Les échanges marchands
devraient prévaloir sur les formes d'organisation hiérarchiques et l'intermédiation
institutionnelle (Malone et al., 1997). Les marchés de biens culturels tendraient à se structurer
sur ce modèle contractuel. Dès lors, les adversaires du droit d'auteur réclament sa complète
révision en mettant en avant le fait qu'il nuit à la liberté contractuelle et empêche l'émergence
de nouvelles méthodes de distribution et de commercialisation des biens culturels et
informationnels (Meurer, 1997). Cette vision, cependant, ne prend pas en compte le
comportement opportuniste des agents et les coûts élevés de développement et d'adoption des
technologies (Farchy et Rochelandet, 2001, Rochelandet, 2000).
Certaines organisations comme le GESAC (Groupement européen des sociétés d’auteurs et de
compositeurs) se sont déclarées favorables à titre transitoire - en attendant que des dispositifs
techniques soient opérationnels et permettent l’application du droit exclusif – à l’exception
pour copie privée dans le numérique sous réserve de l’extension de la redevance pour copie
privée aux supports numériques. C'est d'ailleurs la solution retenue récemment en France.
Cependant, cette solution nous semble être peu efficace, car elle conduira forcément à des
effets d’irréversibilité et diminuera les incitations des firmes concernées par la copie à investir
dans la recherche de dispositifs anti-piraterie. Pour l’heure, les principaux titulaires de droits
(notamment les majors) et les sociétés de gestion collective en collaboration avec les
gouvernements et organisations internationales ont engagé un travail important visant à lutter
contre la copie par des dispositifs techniques appropriés à travers des comités comme le
SDMI ou le logiciel Digibox développé par Universal Music (Farchy et Rochelandet, 2001).
On peut distinguer deux types de dispositifs visant à lutter contre le piraterie : les mécanismes
de protection des œuvres visant à les protéger contre la contrefaçon en contrôlant à la fois
l’accès et son utilisation et les mécanismes d’identification à travers la mise en place de
compteurs électroniques placés soit sur les sites, soit sur les ordinateurs des utilisateurs. Un
tel système de contrôle de la consultation ne devrait pas être véritablement opérationnel avant
de nombreuses années. De plus, les pouvoirs publics devront veiller au respect de la vie privée
en encadrant l’utilisation faite par les titulaires de droits des données ainsi recueillies. Enfin,
la mise en place de tels dispositifs techniques d'exclusion pourrait avoir des incidences
négatives sur la diversité culturelle en empêchant l'accès le plus large aux œuvres protégées.
3.2. Vulnérabilité des technologies et solutions intermédiaires
13
Supposer l’inefficacité des systèmes techniques est un second cas de figure plus réaliste à
moyen terme en l'état actuel des pratiques de consommation, de la vulnérabilité et la durée de
vie relativement courte des systèmes anti-copiage, ainsi que de la concurrence entre les
constructeurs de matériel d'enregistrement et les groupements professionnels de producteurs.
Dès lors, la redevance ou la subvention demeurent des compromis majeurs. Les solutions
doivent néanmoins être adaptées à chaque situation en tenant compte de deux faits. D'une
part, le CD (bientôt le DVD) s'est généralisé comme support quasi universel : établir une
redevance dans un cas peut apparaître comme une injustice ou une distorsion concurrentielle à
l'encontre des non-bénéficiaires. D'autre part, l'appropriabilité varie selon l'industrie
concernée : elle est à la fois directe et indirecte dans le cas des logiciels et des jeux vidéo alors
qu'elle est essentiellement directe dans le cas des industries culturelles.
La copie privée doit être libre en cas d'appropriabilité indirecte élevée
Dans le cas des jeux vidéo et des logiciels utilitaires, la copie privée devrait être licite sans
donner lieu à des compensations pour les détenteurs de droits d'auteur. L'appropriabilité
indirecte est très élevée : il est indéniable que le copiage non autorisé permet à certains jeux
de s'imposer et donne lieu à des effets de réseaux importants. Etant donné la corrélation
positive entre la dynamique actuelle du marché, le niveau des prix pratiqués et le taux de
piraterie, il est difficile de nier les effets de réseaux et de prétendre que l'autorisation de la
copie privée provoquerait des pertes massives. Un autre argument plaide en faveur de la copie
privée libre : l'existence de biens ou de services complémentaires tels que les consoles, les
produits dérivés et les serveurs pour jouer en ligne. Les éditeurs peuvent ainsi négocier des
pourcentages sur les prix de vente des matériels avec les fabricants et concéder des droits aux
éditeurs de sites de jeux. La segmentation du marché des logiciels utilitaires entre les usages
professionnels et domestiques permet l'établissement d'un système de subvention croisée : les
prix élevés pratiqués sur le marché professionnel permettent de pratiquer sur le marché
domestique des prix tendant vers le coût marginal et concurrençant efficacement les supports
vierges. Ainsi le bien-être des consommateurs augmente et les profits des éditeurs sont
maintenus. Cette solution est d'autant plus efficace que les coûts de contrôle sont supportables
sur le marché des entreprises. Enfin, la pratique fréquente des ventes par paquets (bundles) et
la commercialisation en ligne des mises à jour (updates) permettent aux éditeurs de se
réapproprier une bonne partie la valeur des copies.
Interdire la copie privée ou établir une redevance compensatrice induit alors une diminution
des capacités d'appropriation indirecte en élevant le coût du copiage sans nécessairement
augmenter les recettes liées aux achats d'originaux. Au contraire, la copie libre permet
d'accroître les deux types d'appropriabilité via une série d'effets positifs (promotion,
exposition, produits complémentaires,…).
Des subventions ciblées en cas d'appropriabilité indirecte faible
En ce qui concerne le disque 14 pour lequel, on l’a vu, l'appropriabilité indirecte est très faible,
la copie privée autorisée avec subventions pour les détenteurs de droits les plus fragilisés nous
semble la solution la plus efficace à moyen terme. Bien que les petits producteurs de contenus
ne soient pas les plus copiés si l’on examine la taille globale du marché de la copie (voir
supra), ils peuvent néanmoins se retrouver extrêmement fragilisés par des actes de copiage
contre lesquels ils n’ont aucun moyen de se prémunir.
14
La reproduction numérique étant parfaite et les graveurs de CD-Rom tendant à se banaliser,
les méthodes d’appropriabilité indirecte sont difficiles à mettre en œuvre, à l'exception
notable de l'intégration verticale entre les majors et les fabricants de matériels ou les
producteurs d'infrastructures de réseaux. Une première solution à court terme est une baisse
de la TVA sur les disques bénéficiant aux producteurs en rendant les originaux plus
compétitifs face aux copies (voir supra). Néanmoins, l'effet quantitatif d'une telle politique est
d’autant plus limité qu'elle bénéficierait essentiellement aux majors. Les pertes subies par les
détenteurs de droits d'auteur peuvent être également compensées par des subventions
financées sur le budget général de l'Etat à condition que leurs bénéficiaires ne soient pas
intégrés à un groupe multimédia et que leurs résultats soient effectivement négativement
affectés par la copie privée.
La redevance pour copie privée ou la mise en place de subventions sont plus ou moins des
solutions équivalentes du point de vue des détenteurs de droits d'auteur. Néanmoins, le bienêtre des consommateurs et les intérêts économiques des autres activités éditoriales utilisant le
même support rendent la deuxième solution socialement supérieure. En cas de redevance, le
bien-être des consommateurs diminuerait fortement en raison de la restriction des choix
possibles, achats ou copies. De plus, taxer les supports vierges n’est une solution valable que
si le marché reste un marché de supports et prévaut par rapport aux nouveaux modes de
diffusion de la musique en réseau. La subvention assure parallèlement le maintien des profits
des deux industries de supports enregistrés et vierges, même si elle crée une distorsion de la
concurrence à l'avantage de la première et qu'elle comporte des inconvénients notables
(asymétries informationnelles). La subvention permet de ne pas créer une variété de
réglementations et de ne pas taxer uniformément les supports vierges. Il s’agit au contraire de
cibler les ayants droit dont les revenus sont significativement affectés, de maintenir la
demande de supports aux fins de compilations personnelles et de conserver la liberté des
pratiques culturelles. A plus long terme, les subventions pourraient servir à protéger les
producteurs et les éditeurs de contenus de petite taille en leur facilitant l’accès à des
technologies de protection ou de gestion des droits particulièrement coûteuses, réservées à
présent aux majors (Farchy et Rochelandet, 2001).
Conclusion
Les technologies numériques représentent un danger pour le développement du commerce
électronique de biens culturels en offrant aux consommateurs un accès gratuit au détriment de
la rémunération des auteurs et des producteurs. En même temps, ces technologies fournissent
aux ayants droit des moyens d'exclusion afin d’empêcher la copie non autorisée tout en
facilitant la diffusion des œuvres. Si les technologies de protection s'avéraient infaillibles à
l'avenir, établir une réglementation répressive représenterait des coûts sociaux injustifiés. La
négociation entre les agents privés devenant possible, la réglementation pour copie privée
serait inutile. Cette solution qui s’imposera sans doute sur les réseaux n’est ni simple, ni
neutre. La mise en œuvre de technologies de protection requiert des investissements très
élevés auxquels seules les grandes entreprises pourront vraisemblablement avoir accès,
excluant les fournisseurs de contenu de moindre importance. Pour ceux-là, la subvention reste
une alternative à la redevance actuellement en vigueur.
15
Copie privée numérique et réglementation adaptée
CAS DE FIGURE
SOLUTION REGLEMENTAIRE
Pas de réglementation
technologies de
protection efficientes
Copie privée encadrée par
des mesures techniques
Appropriabilité directe forte
(1)
technologies de
protection vulnérables
Réglementation nécessaire
Appropriabilité
indirecte élevée
Copie privée autorisée
sans compensation
(jeux vidéo,
logiciels utilitaires)
(2)
Appropriabilité
indirecte faible
(disque, vidéo)
16
Copie privée autorisée
avec compensation
- redevance
- ou subventions ciblées pour les
producteurs les plus fragiles
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18
1
La distinction entre piraterie et copie privée est souvent floue. Meurer (1997) préfère pour sa part la dichotomie
piraterie industrielle / partage non autorisé, mais il admet lui-même les limites propres à cette distinction.
2
L'exception pour copie privée en France diffère sensiblement des exceptions américaines réunies sous le terme
générique de fair use. L'objectif du législateur français est plus d'assurer le respect du droit à la vie privée et de
prendre en compte l'impossibilité de contrôler chaque copieur potentiel que de favoriser l'accès le plus large aux
œuvres, la critique ou la découverte. De plus, il est important de distinguer la copie privée en tant que pratique et
l'exception légale que cette expression désigne également et qui autorise les individus à reproduire des œuvres
pour leur propre usage ou celui de leurs proches (cercle de famille). Si les conséquences de l'exception en France
et celles du fair use sont similaires, leurs esprits diffèrent profondément.
3
La littérature économique en matière de propriété intellectuelle admet généralement que l'incitation d'un agent
à innover ou à produire une œuvre nouvelle est fonction du degré selon lequel il pourra s'en approprier les gains.
En d'autres termes, lorsque les concurrents d'un innovateur ou du producteur d'un bien culturel peuvent absorber
une partie des gains à l'innovation ou à la créativité sans qu'il n'y ait de contrepartie pour ces derniers, le montant
investi dans la mise au point de la nouvelle technologie ou dans la production du bien culturel sera supposé sousoptimal. L'appropriabilité est donc la capacité d'un détenteur de droits de propriété intellectuelle à récupérer
directement ou indirectement la valeur des utilisations qui sont faites de la connaissance ou de l'œuvre sur
lesquelles portent ses droits. L'appropriabilité est directe lorsque le détenteur des droits parvient à faire payer
l'utilisateur pour l'exploitation qu'il fait de l'idée ou de l'œuvre. Elle se fonde alors sur le régime légal de la
propriété intellectuelle et sur des techniques d'exclusion. L'appropriabilité est indirecte lorsque le producteur du
bien immatériel réussit à obtenir un montant proportionnel à la valeur des exploitations faites de son idée ou de
son œuvre sans en exclure juridiquement ou technologiquement l'accès aux utilisateurs.
4
Syndicat National des Supports d'Enregistrement.
5
De même, une étude établie par Netvalue en mai 1999 montre que 8% des internautes avouent acheter moins de
CD à cause de la possibilité de téléchargement.
6
Pour autant, les autres marchés du disque n'ont pas connu une telle évolution alors qu'ils sont également
confrontés à la copie privée numérique : en 1999, le nombre de disques a ainsi augmenté de 10,4% aux EtatsUnis, de 1,8% en Allemagne et de 0,7% au Royaume-Uni. Certes, ces augmentations auraient pu être plus fortes
sans la copie privée, mais il n'existe aucune étude établissant une corrélation forte entre le développement de la
copie privée et l'évolution du marché des contenus copiés. D'autres facteurs explicatifs entrent en ligne de
compte tels que l'accroissement de la part du budget affectée à l'achat de biens informatiques et à la téléphonie
mobile, ou encore l'augmentation de la part du temps de loisirs consacré à l'Internet.
7
Cet argument est repris de Takeyama (1997) qui défend par ailleurs la copie privée.
8
Cependant, la copie privée exercerait plutôt une pression à la baisse sur les prix des originaux et ce type
d’argument ne prend pas en compte la concurrence entre les producteurs d’originaux, chaque original
représentant un monopole économique en soi.
9
De plus, du point de vue du droit de la concurrence, il faut savoir si les prix observés des logiciels ne relèvent
pas plutôt d’une logique de prédation.
10
Les sommes ainsi prélevées représentaient en 1995, 120 millions d’Ecus en France et 75 millions en
Allemagne.
11
Le taux de redevance doit néanmoins être tel qu'il n’implique pas de rentes de situation.
12
Ce dernier argument est largement discutable sur une base légale. En fait, il faut distinguer l'acte de regarder
des programmes télévisés et l'acte de les enregistrer sur des vidéocassettes. L'argument ne vaut que si un individu
ne pouvant regarder un programme télévisé le copie pour le regarder ultérieurement et l'effacer ensuite.
13
Les solutions d'appropriabilité indirecte sont insuffisantes pour faire face aux besoins quantitatifs et qualitatifs
dans des industries culturelles caractérisées par des coûts fixes importants. Ce constat est d'autant plus vrai
qu'actuellement, le financement publicitaire sur l'Internet semble en perte de vitesse.
14
Les mêmes arguments devraient s'appliquer à la vidéo à moyen terme.
19