Précarité et relation aléatoire au travail : le cas des agents de
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Précarité et relation aléatoire au travail : le cas des agents de
Précarité et relation aléatoire au travail : le cas des agents de sécurité privée Pierre SIMULA Introduction Le sentiment d'insécurité suscite en France comme ailleurs un accroissement de la demande sociale de sécurité, qui se répercute à son tour sur le volume de l'offre et transforme en profondeur ses structures. Les institutions publiques d'Etat participent à l'évidence au mouvement d'expansion, à travers notamment une démultiplication et un redéploiement des moyens. Plus que jamais, la référence appartient à l'univers des missions régaliennes. La force publique consolide ses positions tout en resserrant ses activités autour des valeurs essentielles du métier. L'important est de protéger ses marges d'action et de renforcer ses prérogatives propres, quitte à laisser filer vers l'extérieur la satisfaction des autres besoins. Facteur de distorsion entre l'offre et la demande, une telle stratégie sollicite la présence d'acteurs différents et désigne indirectement leur terrain d'intervention. Ainsi peut s'expliquer la création des polices municipales. Mais l'espace abandonné à d'autres initiatives est surtout l'affaire du secteur marchand. C'est principalement lui qui gère l'hétérogénéité de la demande. Multiformes, les composantes de l'intervention privée entretiennent des liens de complémentarité qui renforcent leur développement conjoint. Elles sollicitent des réponses aussi diversifiées que la mutualisation des risques à travers l'assurance, l'installation d'équipements de protection et de surveillance, l'organisation au sein même des collectifs de travail d'une fonction sécuritaire et la mise en place de solutions négociées avec des prestataires de service extérieurs spécialisés. Dans une telle dynamique de l'offre privée, nous nous intéresserons exclusivement au sort réservé aux agents de sécurité et de surveillance. Fortement créatrice d'emplois, notamment au cours la décennie 90, cette profession est avant tout ouverte aux jeunes de sexe masculin et cela dès leurs premières années de vie active. Les mouvements qui l'affectent sollicitent dès lors une investigation centrée principalement sur le suivi d'une population débutante. A ce titre, nous utiliserons les données issues de l'enquête génération 92 du Céreq, qui constituent pour notre propos une source particulièrement précieuse. Cela n'exclut pas bien entendu une extension du débat, qu'il convient de replacer dans une perspective plus large (SIMULA, 1999). La profession forme un espace d'insertion pour les jeunes ; elle n'en est pas moins animée par des forces exogènes qui la reconfigurent autrement. De plus en plus, l'externalisation du travail se présente comme une alternative à une organisation fonctionnelle intégrée. De plus en plus, les agents de sécurité appartiennent à des entreprises spécialisées. En se substituant à la dispersion sectorielle, la sous-traitance s'impose comme modèle dominant. Le métier se resserre autour d'une construction plus homogène, en termes d'agencement des systèmes productifs comme en termes d'attributs des personnes recrutées. En même temps, le secteur institutionnalise sa propre fragilité organisationnelle ; son personnel subit en particulier les contrecoups d'une flexibilisation accrue qui l'enferme dans des formes d'instabilité imposées. Paradoxalement, cette appartenance à la sphère de la précarité professionnelle est aussi ouverture, au sens où elle favorise une extension des aires de mobilité sur un marché du travail élargi. Au gré des opportunités, la profession échange avec beaucoup d'autres qui partagent le même réservoir de main d'œuvre. Encart 1 - Génération 92 : populations traitées On compte environ 125 000 agents de sécurité et de surveillance en France. Un peu plus de 4 000 jeunes de la génération 92 occupent cet emploi en mars 1997. L'ordre de grandeur est comparable à celui des policiers et gendarmes issus de la même génération. En termes d'insertion, le partage entre sécurité publique et sécurité privée semble à peu près égalitaire. D'un côté comme de l'autre, les effectifs regroupent environ 1 % de la génération 92 en emploi en 1997. Ils ne sont pas très nombreux. Mais les jeunes passés par l'emploi d'agent de sécurité au cours de la période 1992-1997 le sont bien davantage. Au total, 10 650 individus (1) de génération 92 ont exercé au moins une fois le métier depuis la fin de leurs études scolaires. Seuls 38 % d'entre eux occupent encore le poste en mars 1997. A cette date, 14 % sont en recherche d'emploi et 36 % exercent une autre activité salariée (2). Ces 10 650 individus ont eux-mêmes traversé beaucoup d'emplois différents entre 1992 et 1997. Leur cumul est proche de 36 000. Avec cette population élargie, on change complètement d'échelle par rapport à l'analyse en coupe. EMPLOIS OCCUPES PAR CES INDIVIDUS (35 954) INDIVIDUS Î 13 138 emplois de sécurité OBSERVES (10 637) Ces 10 637 individus ont occupé au total 13 138 emplois d'agent de sécurité entre 1992 et 1997 (seuls 4 022 sont occupés en mars 1997). 10 637 individus ont occupé l'emploi d'agent de sécurité (au moins une fois) entre 1992 et 1997. Î 4 022 individus occupent cet emploi en mars 1997. Î 22 816 emplois différents Ces 10 637 individus ont par ailleurs occupé 22 816 emplois différents (autres qu'agent de sécurité) entre 1992 et 1997. 2 En définitive, ce ne sont plus 4 000 emplois d'agents de sécurité que l'on observe, mais 13 000 (dont 9 000 occupés antérieurement). Et les autres emplois tenus par les même personnes sont bien plus nombreux (23 000 environ). Les agents de sécurité de mars 1997 ne représentent guère que 31 % des emplois d'agent de sécurité observés et que 11 % de l'ensemble des emplois gravitant autour du métier. En moyenne, entre 1992 et 1997, chacun des agents de sécurité a occupé 1,2 emplois de sécurité et 2,1 emplois "autres". Les premiers appartiennent principalement au secteur de la sécurité. -------------------------------------------------(1) Les nombres sont arrondis dans le texte. Par ailleurs, ils sont pondérés. (2) Les autres individus (12 %) se ventilent entre formation, intérim, inactivité, etc. 3 1 - Flux d'entrée et recomposition professionnelle a) Croissance et convergence organisationnelle Historiquement intersectorielle, la profession offre encore de nos jours une configuration éclatée. Les agents de sécurité et de surveillance1 investissent un large spectre d'entreprises de production de biens et de services et d'institutions publiques et parapubliques. Beaucoup échappent au secteur spécialisé de la sécurité et se réclament de structures dont l'activité économique est autre. Ils peuvent par exemple exercer leurs fonctions en tant que salariés d'une entreprise industrielle, de production d'énergie ou de la construction. Mais les plus nombreux appartiennent aux secteurs des services. Pratiquement, un agent de sécurité sur deux émarge dans des entreprises de services marchands (hors secteur de la sécurité) ou dans l'administration publique. C'est dire que, pour une large part, l'espace professionnel de la sécurité privée2 continue à se structurer autour du modèle traditionnel de l'intégration fonctionnelle. La sécurité est une fonction parmi d'autres prise en charge par le collectif de travail. Des entreprises du commerce ou du transport par exemple gèrent leur propre personnel de sécurité. Il en va de même au sein de la Fonction publique. Mais il ne s'agit là que d'une dimension de l'analyse. La situation actuelle juxtapose en fait deux formes organisationnelles fondamentalement différentes. L'une, celle que nous venons d'évoquer, privilégie l'emploi direct. Héritée du passé, elle se manifeste en termes de dilution salariale entre une multitude de secteurs, sans qu'aucun d'eux n'occupe une place prépondérante sur le marché. Le commerce par exemple n’emploie directement que 5 % des agents de sécurité. La part de marché est approximativement la même pour le transport. Cela ne préjuge en rien de l'importance réelle de la fonction dans ces secteurs, qui peuvent par ailleurs avoir également recours à des prestataires extérieurs. C'est justement la systématisation de cette pratique qui caractérise l'autre forme organisationnelle. Avec elle s'établit un lien étroit entre spécialisation professionnelle, externalisation de la main d'œuvre et secteur d'entreprises spécialisées. A défaut de prise en charge directe, on favorise ici la sous-traitance et le développement d'une offre de services externalisée. Les tendances évolutives vont apparemment dans ce sens. Plus précisément, les deux formes de mobilisation de la force de travail évoluent selon des tendances opposées, la seconde se substituant progressivement à l'autre. Loin d'être partagée par tous, la croissance du nombre d'agents de sécurité est principalement tirée par le secteur de la sécurité. En termes de flux de main d'oeuvre, le partage lui est particulièrement favorable3. Et cela d'autant plus que son développement s'est considérablement accéléré depuis la fin des années 80. Au seuil de la décennie, les moyens humains ont fait un bond spectaculaire. En deux ans, entre 1988 et 1990, on assiste à un doublement des effectifs 1 Par la suite, les agents de sécurité et de surveillance seront simplement qualifiés d'agents de sécurité, sans distinction de sens avec l'intitulé complet de la rubrique 5317 de la nomenclature INSEE des PCS. On parlera de même du secteur de la sécurité pour désigner le secteur des enquêtes et de la sécurité correspondant à la NAF 746Z. 2 La sécurité privée est entendue au sens de la rubrique 5317 de la nomenclature INSEE des PCS. Cette rubrique regroupe à la marge des agents sous statut public. Dans le cadre de Génération 92, environ 7 % des agents de sécurité recrutés sont fonctionnaires (ou élèves fonctionnaires), sans appartenir pour autant aux corps institués des emplois publics de la sécurité (policiers ou gendarmes). L'espace professionnel de la sécurité privée désigne en définitive l'univers professionnel échappant aux forces publiques régaliennes. 3 Les deux tiers des jeunes de génération 92 ayant accédé à l'emploi d'agent de sécurité se sont dirigés vers le secteur spécialisé. Par son déséquilibre, un tel renouvellement bouscule la structure des forces en présence et témoigne de la montée en puissance du processus d'externalisation fonctionnelle. 4 dans le secteur4. Cette rupture brutale d'échelle accompagne un bouleversement des représentations sociales de la profession. Elle consacre l'émergence d'un secteur à part entière5, dont la construction se poursuit au-delà. Pendant toutes les années 90, la croissance reste forte ; elle s'effectue à des rythmes sans commune mesure avec ceux du reste de l'appareil économique. Les entreprises de sécurité sont fortement créatrices d'emplois, sans signes d'essoufflement évidents6. On ne peut en dire autant des agents de sécurité employés dans les autres secteurs. Dans l'industrie notamment, le processus d'érosion professionnelle prend des allures vertigineuses7. Ailleurs, l'offre d'emploi internalisée ne parvient pas à suivre le développement de la demande de sécurité. b) Croissance et convergence professionnelle La fonction se détourne vers la sous-traitance, qui s'impose de plus en plus comme forme organisationnelle dominante. En même temps que se restructure l'activité autour d'un secteur spécialisé, la population des agents de sécurité se transforme dans les autres secteurs. Un mouvement de féminisation de l'emploi s'esquisse en particulier dans les services non marchands. Des profils s'estompent, d'autres se reconfigurent. Avec eux se refaçonne la composition sociodémographique de la profession. C'est cependant à la marge que ces tendances renouvellent les attributs de la génération antérieure. Seules inflexions significatives : l'analyse statistique affiche clairement un processus de rajeunissement des personnels ; corrélativement, on accède de moins en moins au métier par reconversion professionnelle interne. Non seulement la place accordée aux anciens diminue, mais la profession cesse pratiquement de s'alimenter au réservoir des carrières finissantes. Liée aux nouvelles pratiques de mobilisation de la force de travail, une telle déconnexion avec la culture d'entreprise a tout pour faciliter à son tour l'externalisation de la fonction. Le processus se nourrit d'une sorte de cohérence qui le rend irréversible et dont profitent les entreprises de sécurité. Principal bénéficiaire des opportunités du marché, le secteur de la sécurité impose non seulement son empreinte au corps des agents de sécurité, mais également ses propres règles d'organisation et ses propres pratiques professionnelles. En ce sens, le mouvement est à la professionnalisation, comprise comme émergence d'un métier d'entreprise et affirmation d'un standard d'intégration aux structures économiques. A la prise en charge directe de l'activité se substitue la mise à disposition d'une force de travail extérieure. Situées à titre principal sur le créneau de la sous-traitance, les entreprises de sécurité puisent paradoxalement leur pérennité dans l'insta4 L'explosion des ressources humaines correspond à la promulgation (tardive) des décrets et de la circulaire d'application de la loi de 1983 relative à l'orientation et à la programmation de la sécurité (LOPS). "La loi du 12 juillet 1983 constitue la cheville ouvrière d'un dispositif de contrôle administratif inédit au sujet du fonctionnement des principales activités de sécurité privée" (OCQUETEAU, 1997). L'auteur souligne que "la structuration du noyau dur des activités de la sécurité privée (…) n'aurait sans doute pas été aussi rapide en France, si elle n'avait pas été finalement puissamment relayée par les pouvoirs publics". 5 D'ailleurs, les taxinomistes de l'INSEE ne s'y trompent pas : la nouvelle nomenclature des activités (NAF), qui verra le jour au début des années 90, isole pour la première fois le secteur des enquêtes et de la sécurité. 6 En pratique, sur la période la plus récente, la progression des effectifs semble s'être ralentie. Aujourd'hui, la mobilisation des hommes trouve un relais dans l'intensification des moyens technologiques. Mais nos observations, et en particulier celles issues de génération 92 (qui portent sur la période 1992-1997), correspondent aux années de forte croissance du secteur. 7 Au début des années 80, un agent de sécurité sur cinq était salarié de l'industrie. Cette part, autrefois importante, était déjà tombée à 13,5 % en 1990 ; elle n'atteint pas les 7 % aujourd'hui. Ensemble, les secteurs primaires et secondaires (y compris l'énergie et la construction) occupent moins d'un agent de sécurité sur dix, contre un sur quatre en 1982. Bien entendu, une telle chute participe de la restructuration générale de l'appareil économique, mais son ampleur la dépasse très largement. 5 bilité sociale, à la conjonction entre le segment de la marginalisation économique et l’intégration précaire des agents d'exécution à la périphérie des emplois permanents. Elles tirent profit de la crise du lien social et de l’emploi, à la fois source d’insécurité, facteur d’accélération de la demande de sécurité et moyen d’y répondre8. La clé de voûte du dispositif repose sur le faible niveau de qualification généralement requis par la profession. Réduits, les coûts d’apprentissage du métier incitent à puiser dans le réservoir des disponibilités en main d’œuvre, et cela d’autant plus que l’offre de travail est structurellement excédentaire sur le marché. Graphique I - Agents de sécurité : flux d'entrée des jeunes par secteurs et sexes (génération 92) Source : Génération 92, Céreq, jeunes occupant un emploi d'agent de sécurité en mars 1997. A elles seules, les entreprises du secteur "enquêtes et sécurité" captent 65 % du marché des agents de sécurité. Les hommes qu'elles Enquêtes etrecrutent sécuritéreprésentent plus de 60 % du total des jeunes embauchés. Les personnels féminins embauchés dans le même secteur ne représentent que 3,5 % des agents en exercice. Dans les services marchands et nonmarchands marchands, la contribution des femmes est sensiblement la même (respectivement 3,2 % et Services 3.1 %), celle des hommes est en revanche beaucoup plus faible (respectivement 16 % et 9 %). Ailleurs, les recrutements sont extrêmement réduits et (dans l'échantillon) exclusivement masculins. Services non marchands Autres activités En tirant la croissance, les entreprises de sécurité infléchissent la norme professionnelle vers leur propre modèle de recrutement qui s'impose fait : celui-ci 0 10 20 de 30 40 se veut 50 avant60tout jeune 70 et masculin. Dans un univers où le recours à la sous-traitance s'affirme de plus en plus, les entreprises spécialisées contrôlent l'essentiel du marché et imposent leurs pratiques en matière de sélection de la main d'oeuvre. A ellesHommes seules, ellesFemmes recrutent deux jeunes sur trois, et pour l'essentiel de sexe masculin. Là, les critères d'employabilité privilégient moins la connaissance du milieu d'intervention que l'affichage traditionnel de la force physique, symbolisée par l'homme dans la force de l'âge. Les profils se resserrent autour de l'image stéréotypée d'une dissuasion virile et en quelque sorte paramilitaire (LEROUX, 1997). Deux entrants sur trois ont moins de 30 ans, un sur deux se situe sous la barre des 25 ans. Massive, cette influence l'emporte largement sur celle des autres parties prenantes à la sécurité privée (graphique I). Le dynamisme est porteur de convergence, et pas n'importe laquelle. Reconstruite sur un creuset différent, la profession se bâtit à coups de ressemblances accrues avec les corps institués de la force publique d'Etat9, un peu comme si le modèle régalien, socialement reconnu et ancré dans les représentations collectives, était le seul à porter les marques de la légitimité. 8 Cela est particulièrement vrai pour les entreprises de gardiennage et de sécurité, qui constituent le noyau dur de l'activité sectorielle. A l'heure actuelle, ce sous-secteur couvre près de 70 % des entreprises existantes, regroupe près de 90 % des emplois salariés et capte plus de 80 % des recettes. 9 C'est ainsi que, notamment en termes d'âge et de sexe, les agents de sécurité privée se rapprochent de plus en plus des gendarmes et surtout des agents de police. Le rapprochement, qui s'étend par ailleurs à d'autres attributs professionnels, est facilité par l'évolution même des corps de fonctionnaires publics : traditionnellement jeunes et dominés par la figure masculine, ceux-ci accusent de leur côté un double mouvement de vieillissement et de féminisation. 6 2 - Flexibilité productive et réservoir de main d'oeuvre a) Une gestion par le marché du travail Une telle inscription dans la sphère productive trouve son efficacité dans une gestion par le marché du travail. Les entreprises de sécurité développent à l’extrême le modèle de la flexibilité quantitative du personnel. La force de travail se gère à coups d’embauches et de licenciements. Aux fluctuations de la demande répondent en écho l’appel et le rejet d’une main d’œuvre sollicitée en fonction des besoins. Aux permanents se mêle un ensemble de personnes qui ne font que passer occasionnellement par le secteur. Autour des titulaires tourne une masse importante de postes pourvus sur courte ou très courte période10. En règle générale, le nombre d'entrées et/ou de sorties au cours d'une année est supérieur au nombre de présents en continu11. Le statut d’entrant est le plus souvent associé à celui de sortant qui lui emboîte rapidement le pas. Et cela est particulièrement vrai chez les jeunes, comme en témoignent notamment les trajectoires de ceux sortis de l'appareil de formation en 1992 : sur dix emplois d'agent de sécurité observés au cours de la période 1992-1997, sept ont disparu à son terme, six ont une durée d'existence inférieure à un an et quatre ne franchissent même pas le cap des six mois d'occupation12. Les politiques d’emploi jouent largement la carte de l’adaptabilité à court terme et donc celle de l’instabilité imposée pour le personnel. Il y a un même rapport d’externalité entre l’activité et l’emploi, comme il existe par ailleurs, au sein de la force de travail, un lien entre les attributs sociaux des personnes et la précarité de leur situation professionnelle. Ainsi se dessine une forme d’homologie structurelle entre la division du travail dans l’appareil économique et la segmentation sociale des comportements dans la population active. La montée en puissance des entreprises de sécurité n’est pas seulement tirée par le volume de la demande. Tributaires de la crise du lien social, ses ressorts sont également structurels. Ils s'articulent autour d'un jeu de cohérences économiques et sociales, en prise avec la progression de nouveaux schémas d’organisation de la production et du travail. Ils se situent au cœur d’un processus de recomposition, qui redéfinit les rapports entre l’interne et l’externe en institutionnalisant la fragmentation productive et en légitimant la précarité des statuts. 10 Dans génération 92, près d'un agent de sécurité sur deux est recruté en CDD, sur des périodes généralement très courtes, le plus souvent infra semestrielles (60 % des cas), voire infra trimestrielles (43 % des cas). Moins de 25 % d'entre eux ont passé le cap de l'année d'exercice en continu. 11 Plus précisément, par référence aux DADS, on compte chaque année 2,5 fois plus de personnes en mouvement que de personnes stables. Il est vrai qu'un tiers de ces entrées/sorties se rapportent à des prestations occasionnelles non assimilables à de véritables emplois (moins de 50 heures de travail). Mais, sans tenir compte de ces interventions ponctuelles, le taux de rotation annuel de la main d'œuvre (flux d'emploi entre t et t+1 / stock d'emploi moyen) est de l'ordre de 110 %. En fin d'exercice, la moitié des embauchés de l'année n'occupent plus leur emploi (… et probablement beaucoup d'autres ne tarderont pas à le quitter !). 12 On se réfère ici aux données de génération 92 sans distinction des contrats de travail. Près des deux tiers des emplois antérieurs (créés et disparus avant 1997) disposaient de statuts précaires (contre 36 % chez les survivants). A l'évidence, les CDI résistent beaucoup mieux que les autres à l'épreuve du temps. Ils se caractérisent par des durées d'occupation d'emploi nettement plus longues. Celles-ci dépassent par exemple l'année dans 64 % des cas (contre 23 % pour les CDD) et les deux ans dans près de 40 % (contre 12 %). 7 Graphique II - Niveaux de formation initiale des jeunes entrants Source : Génération 92, Céreq, jeunes occupant un emploi d'agent de sécurité en mars 1997. N iveau V I N iv. V bis Le recrutement des agents de sécurité privilégie le niveau V de formation initiale (44 % des entrants). Les N iveauVVbis à IV secondaire regroupent 84 % des jeunes. Face à la formation, l'écart est d'importance vis-àniveaux vis des corps institués de la sécurité publique, qui sollicitent un cursus scolaire plus long. Les niveaux de forIV secon d . mation des agents de sécurité privée se rapprochent en revanche de ceux observés sur les emplois les moins qualifiés : les agents de nettoyage par exemple reproduisent, au féminin et en l'amplifiant, le même type de IV su pér. profil. N iveau III N iv.I et II Le secteur 0de la sécurité se1 0 réclame d'un nouveau compromis, fait3 5de flexibilité productive et 5 15 20 25 30 40 45 50 d'avantages concurrentiels liés à la mobilisation récurrente d'une main d'œuvre à la fois jeune, en début de carrière et sans qualification reconnue. La crise du lien social participe indirectement à l’alimentation d’un réservoir de main d’œuvre spécifique, dont l’existence facilite le recours intensif au marché externe du travail et à des formes de mobilisation flexible des ressources humaines. Fragile, l’équilibre d’ensemble repose sur une flexibilité quantitative exacerbée, qui intéresse la plus grande partie des emplois d’exécution. Peu sélectif en termes d'expérience acquise, l'accès à l'emploi ne l'est pas davantage en matière de formation initiale (graphique II). Largement ouverte aux non diplômés et aux cycles courts de l'enseignement technique, la profession ne recrute pratiquement jamais au-dessus du niveau IV secondaire. Au faible niveau scolaire se conjugue une grande sensibilité de l'emploi aux fluctuations du marché. Cette incertitude face au devenir professionnel témoigne d'une précarité socialement construite en amont du travail exercé (APPAY,1997) et s'accrochant semble-t-il davantage à la personne qu'à son métier. b) Un réservoir de main d'œuvre extensif De leur côté, les individus concernés présentent des attributs sociaux comparables. Ils partagent en particulier un milieu d'origine assez voisin, dont la relative homogénéité semble avant tout conforter la prégnance des mécanismes de reproduction sociale. Le plus souvent, le père et la mère se caractérisent par une absence de diplôme et leur vie professionnelle s'attache essentiellement au statut d'employé ou d'ouvrier. En première analyse, ces critères différencient mal la sécurité privée de la sécurité publique. Apparemment, les deux professions prélèvent dans les mêmes couches sociales. Ce qui les différencie fondamentalement, ce sont les conditions d'accès l'emploi et les conditions d'exercice de l'activité13 : elles traduisent un décalage en termes de prestige et agissent à leur tour sur les jugements de considération. L'entrée dans la fonction publique, si l'on tient compte des niveaux de formation des titulaires et du statut social 13 Ces caractéristiques opèrent un clivage important entre la sécurité privée et la sécurité publique. Sur le registre de la stabilité professionnelle, les gendarmes et les policiers se démarquent à l'évidence des agents de sécurité privée. Il en va de même sur le registre de la formation initiale. Les concours de la fonction publique exigent semble-t-il un niveau scolaire plus élevé : près de 75 % des policiers et gendarmes embauchés se réclament du niveau IV. Dans la sécurité privée (graphique II), ils sont moins de 30 % dans ce cas, et encore s'agit-il le plus souvent du niveau IV secondaire (22 %). 8 attaché à leur profession, s'inscrit davantage sur une trajectoire intergénérationnelle ascendante. Du moins, les représentations dominantes vont dans ce sens. Le marché des agents de sécurité se dessine en revanche à l'image du milieu social dont il est principalement issu. Un tel enracinement dans les couches défavorisées de la population trouve un écho important sur un autre registre : en dépit des difficultés de mesure, le privé concentre beaucoup plus que le public les marques d'une sur-représentation de la main d’œuvre immigrée ou du moins perçue comme telle par référence aux origines ethniques apparentes14. A ces attributs sociaux correspondent de fait une fragilité professionnelle marquée par le sceau de l'instabilité. La même impression d'instabilité se dégage en effet de l'ensemble des situations de travail occupées par les jeunes au cours de leur cursus professionnel15. Qu'ils appartiennent ou non au champ de la sécurité, les emplois traversés se distinguent avant tout par leur nombre élevé et par leur courte durée16. On n'a pas vraiment affaire à une population rejetée du monde du travail17, mais à une forme particulière d'intégration sociale qui produit des aller-retour récurrents entre emploi et chômage et suscite des ruptures fréquentes dans la chaîne des activités exercées. La relation à la vie active a la marque du flou, au sens où elle s'accompagne de taux d'entrée et de sortie importants, au sens aussi où elle s'ouvre à un large spectre d'emplois différents. Les trajectoires ayant pour seul point commun le passage par la sécurité privée se caractérisent par leur diversité extrême … et l'expression est bien pauvre pour rendre compte de l'enchevêtrement observé (encart 2). En termes de fréquence, les activités exercées semblent essentiellement relever des aléas d'un parcours hésitant, non finalisé, construit à coups d'opportunités, de positionnements successifs sur l'offre disponible, indépendamment des aspirations sinon des prédispositions associées aux personnes. Mais c'est justement cette indétermination face à l'activité professionnelle et cette déstabilisation de la relation à l'emploi qui constituent à nos yeux la caractéristique essentielle du milieu que l'on cherche à appréhender. 14 La différenciation ethnique produit de la sélectivité, mais à sa façon : en inversant la hiérarchie des signes distinctifs. L'exclusion qu'elle suscite resserre les contours de l'insertion professionnelle sur un segment particulier du marché du travail. Un tel processus de discrimination positive se nourrit d'une forme de socialisation par les pairs, elle-même alimentée par une logique de réseau pseudo communautaire. 15 En termes de durée, les autres emplois occupés présentent les mêmes caractéristiques d'instabilité que ceux de la sécurité, avec une large prédominance des périodes infra semestrielles. 16 Comparativement à l'ensemble des jeunes, les individus concernés (passés au moins une fois par un poste d'agent de sécurité) ont occupé davantage d'emplois, mais sur une période d'activité cumulée moins longue. Entre 1992 et 1997, 58 % d'entre eux ont eu plus de deux emplois (contre 38 % dans génération 92) et 46 % ont eu une durée cumulée d'emploi inférieure à trois ans (contre 20 %). En moyenne, chaque individu a pu bénéficier d'un peu plus de trois emplois ; la période totale d'activité ne dépasse pas de beaucoup les trois ans. Dans l'ensemble de génération 92, on compte pratiquement un emploi de moins et une année de plus. 17 Le taux d'activité salariée en 1997 est comparable à celui observé pour l'ensemble de génération 92. 9 Encart 2 - Aires de mobilité Si l'on s'intéresse à la population des individus passés (au moins une fois) par un emploi d'agent de sécurité entre 1992 et 1997, force est de constater que leurs trajectoires ont rencontré au cours de cette même période plus de 200 professions de nature différente. On se réfère ici à la nomenclature utilisée dans l'enquête (tirée des PCS détaillées) : plus de 200 "professions de nature différente" signifie plus de 200 rubriques différentes de cette nomenclature (qui en comprend au total moins de 550). L'espace professionnel ainsi investi couvre 40 % de la nomenclature. En termes de fréquence, 63,5 % des emplois occupés diffèrent de celui d'agent de sécurité. Bien entendu, ceux-ci ne se répartissent pas uniformément sur toutes les zones de la nomenclature (graphique III). Les catégories socioprofessionnelles indépendantes et de rang supérieur ne sont pratiquement pas concernées ; à quelques exceptions près, le passage par les professions intermédiaires est également exclu. C'est dire que l'univers professionnel de proximité resserre ses contours autour des situations de travail les moins qualifiées. Pour partie, ces activités se réclament des attributs de la force physique. Mais cette dimension est loin de constituer un dénominateur commun évident. La caractéristique première du spectre des professions associées à celle d'agent de sécurité, c'est la diversité. Le milieu environnant se ramifie en direction de domaines professionnels aussi différents que : la manutention, le magasinage et les transports ; le bâtiment ; le nettoyage ; le commerce et la vente ; l'hôtellerie et la restauration ; le tertiaire administratif ; les activités industrielles et agricoles, etc. S'il y a apparemment mélange des registres, on se situe pour l'essentiel au carrefour des petites productions urbaines et des cultures de l'aléatoire (ROULLEAU-BERGER,2000) et donc aux antipodes de l'enfermement dans une spécialité. L'univers des échanges relie des champs d'activité hétérogènes à des niveaux socioprofessionnels homogènes, sans que les conditions d'appartenance à cet espace ne donnent véritablement prise aux savoir-faire, aux pré-requis ou à la valorisation des compétences accumulées. En ce sens, les trajectoires professionnelles opèrent au sein d'un espace largement caractérisé par son ouverture aux jeunes sans qualification reconnue. Ces jeunes déclinent au présent des stratégies d'insertion multiformes, qui se traduisent par une succession d'activités de travail elles-mêmes peu qualifiantes. 10 Graphique III - Voisinage professionnel des agents de sécurité 8 - Employés administratifs divers d'entreprise …………………………………………… 10 - Employés de bureau de la fonction publique …………………………………………… 15 - Employés serv. comptables et financiers ………………………………………………... 19 - Autres agents de service de la FP …………………………………………………….. 23 - Secrétaires …………………………………………………….. A G E N T S D E S E C U R I T E …………………………………………………….. 22 - Policiers et gendarmes …………………………………………………….. 18 - Animateurs socioculturels et de loisirs 4 - Représentants ………………………………….. 6 - Vendeurs ………………………………………. 11 - Employés de libre service …………………………………………… 20 - Caissiers libre service …………………………………………………….. …………………………………………… 12 - Serveurs, commis de café, de restaurant 1 - Manutentionnaires, agents NQ des services d'exploitation des transports ………….. 3 - Ouvriers du tri, de l'emballage et de l'expédition ……………………………... 9 - Conducteurs livreurs …………………………………………… 21 - Chauffeurs routiers …………………………………………………….. 24 - Magasiniers …………………………………………………….. ………………………………….. 5 - Nettoyeurs 2 - ONQ de type artisanal du bâtiment ………………. 16 - ONQ de type industriel du bâtiment ………………………………………………... 17 - OQ de type artisanal du bâtiment ………………………………………………... …………………………………………… 7 - Ouvriers agricoles …………………………………………………….. ………………………………………………... ………………………………………………... 25 - Jardiniers 13 - ONQ de type industriel Mécanique 14 - ONQ de type industriel Chimie, IAA Source : Génération 92, Céreq, autres emplois occupés par les agents de sécurité. Le graphique III présente les 25 professions les plus proches de celle d'agent de sécurité. La proximité est définie par référence à la fréquence d'apparition de chacune de ces professions dans l'itinéraire des jeunes ayant pour caractéristique commune d'avoir occupé la situation d'agent de sécurité entre 1992 et 1997. Audelà de cet emploi, ils en ont occupé beaucoup d'autres : le champ de la sécurité ne représente en effet que 36,5 % de leurs séquences d'activité ; les 25 professions présentées ici en couvrent 43,5 % … et elles ne saturent pas toutes les possibilités d'échange (encart 2). Face au critère de proximité retenu, arrivent en tête les manutentionnaires et les ouvriers non qualifiés du bâtiment, sans qu'aucun de ces métiers ne s'impose vraiment avec force. Les autres ne sont pas très loin derrière et, à partir du troisième rang, les fréquences accusent une décroissance lente et pratiquement continue. Le positionnement des professions s'efforce de respecter cette hiérarchie. Mais pour faciliter l'interprétation, nous avons procédé à des rapprochements par grappes. 11 L'agent de sécurité partage avec beaucoup d'autres métiers l'occupation d'un espace d'échanges interprofessionnels relativement étendu, qui se constitue en enclave d’insertion pour une population de bas niveau scolaire, sans spécialité affirmée18 et sans attache sectorielle particulière. Loin de fuir le marché, la population concernée semble au contraire diversifier ses activités pour se maintenir en emploi. Par là, elle s'érige en volant de disponibilité et en réservoir de main d’œuvre, sans ancrage dans les professions établies. Elle concentre une force de travail peu expérimentée et par suite nettement moins âgée que la moyenne. Ici le trait de la jeunesse est exacerbé19. Au-delà de cette caractéristique, le réservoir de la main d’œuvre est formé d’une population essentiellement masculine, ouverte à des formes de mobilisation sur courte période et utilisée à ce titre comme vecteur principal de la flexibilité productive. C'est là que puisent les entreprises de sécurité, mais également beaucoup d'autres, ayant comme caractéristiques communes de solliciter le même marché du travail et de faire tourner les personnels en fonction des besoins. Ces pratiques repoussent les frontières de la concurrence entre les travailleurs et élargissent le territoire de leurs investigations. Elles fragilisent en sens inverse le statut de la force de travail, notamment en termes de pouvoir de négociation et de reconnaissance des compétences. Conclusion Parce qu'elles recrutent généralement des jeunes peu qualifiés, les entreprises de sécurité forment un espace d’insertion pour une main d’œuvre socialement défavorisée. Le plus souvent cependant - et peut-être à cause de cela -, l'accès aux fonctions d'agent de sécurité ne constitue qu'un épisode unique20 et court dans un parcours haché et largement dépourvu de signes de convergence. En ce sens, il ne s'agit vraiment pas d'un secteur de 'transition', compris comme passage intermédiaire entre l'inactivité et des formes de stabilisation professionnelle. Limitée en interne pour ne pas dire inexistante, l’évolution des actifs relève du changement d’entreprise et du changement d'emploi, lorsqu'elle ne boucle pas purement et simplement sur le réservoir des laissés pour compte et de la main d’œuvre structurellement inoccupée. Pour faire image, on a affaire à 'des itinéraires dont la trajectoire est tremblée' (CASTEL21, 1995). La profession n'entretient que des liens distendus avec les autres métiers : elle n'apparaît jamais comme un débouché naturel, ni comme un passage obligé. En d'autres termes, elle se tient à l'écart des itinéraires professionnels façonnés par la répétition. Il n'y a pas étanchéité, mais perméabilité diffuse et indétermination des règles de l'échange avec l'espace professionnel environnant. D'une certaine façon, les trajectoires épousent la structure de l'offre d'emploi disponible et leur variété est à l'échelle de l'éventail des opportunités accessibles. 18 Le critère de la spécialité de formation n'est en aucune façon discriminant pour l'accès aux fonctions exercées. On notera que 11,5 % des agents de sécurité de 1997 ne préparaient aucun diplôme particulier en 92, que 14,5 % relevaient d'une des séries du baccalauréat général ou technologique et que 10,5 % relevaient d'une spécialité universitaire. Les autres, c'est-à-dire les plus nombreux, se caractérisent par leur dispersion entre les spécialités industrielles et les spécialités tertiaires. On citera, par ordre d'importance décroissante : comptabilité, gestion (16,5 %) ; mécanique (9,5 %) ; électricité, électronique (8 %) ; carrosserie, soudure (4,5 %) ; commerce, vente (3,5 %) ; travail du bois (3,5 %) ; etc. 19 La sécurité cultive cet atout professionnel pour l’ensemble de son personnel, mais moins activement. 20 Entre 1992 et 1997, huit jeunes sur dix n'ont occupé l'emploi qu'une seule fois. 21 L'auteur parle de nouvelle donne contemporaine pour désigner "la présence, apparemment de plus en plus insistante, d'individus placés comme en situation de flottaison dans la structure sociale, et qui peuplent ses interstices sans y trouver une place assignée". 12 Vu du côté entreprises, tout converge en apparence vers des formes organisationnelles instables, instituées sinon légitimées par la transformation des rapports économiques et sociaux. La précarisation salariale est produite par la précarisation des structures productives, elle-même facilitée par le développement de la précarité des statuts sociaux et des statuts d’emploi (APPAY, 1997). La régulation de l'activité repose sur l’extériorisation des risques, ceux du donneur d’ordre, comme ceux, dans le prolongement, de l’entreprise sous-traitante. Ultime sphère de contournement des rigidités salariales, le personnel flexible est soumis à une double dépendance, qui amplifie sa vulnérabilité et donc son instabilité. Si le métier d'entreprise semble se nourrir de ce volant de main d’œuvre appelée et rejetée en fonction des besoins, il s'articule aussi autour d'une logique de pérennisation des compétences. On est en présence d’un système dual, qui conjugue un marché primaire installé dans la durée et un marché secondaire beaucoup plus volatile22. La règle instituée du turn-over concerne surtout les tâches les moins qualifiées et épargne en grande partie les autres personnels. La flexibilité quantitative est ‘segmentée ou ségrégative’ (GADREY, 1991). Elle réduit les contraintes d'adaptabilité fonctionnelle et facilite d'autant l'ancrage des permanents dans un cadre d'emploi stabilisé, doté de ses repères et de ses marques d'identité professionnelle. En dépit du recours massif au marché externe du travail, l’activité se structure autour d’un personnel plutôt stable qui en forme le noyau23. C’est lui qui est porteur de la continuité des savoirs et des savoir-faire constitutifs du métier de l’entreprise. Bibliographie APPAY Béatrice, 1997. – Précarisation sociale et restructurations productives, in Précarisation sociale, travail et santé, sous la direction de Béatrice Appay et Anne Thébaud-Mony, IRESCO. CASTEL Robert, 1995. - Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat. Editions Fayard. GADREY Jean et Nicole (dir.), 1991 - La gestion des ressources humaines dans les services et le commerce. Flexibilité, diversité, compétitivité. Collection ‘pour l’emploi’, Editions L’Harmattan. LEROUX Nathalie, 1997. - Un métier en clair-obscur : les agents de sécurité du métropolitain, Actes du colloque "Divisions du travail et du social", VIèmes Journées de sociologie du travail, Université Libre de Bruxelles, Blankenberg, 5-7 novembre. OCQUETEAU Frédéric, 1997. - Les défis de la sécurité privée. Protection et surveillance dans la France 22 Une telle organisation du travail ne constitue pas une spécificité sectorielle. Ses traits se retrouvent ailleurs avec quelques variantes, notamment dans d’autres activités de service aux personnes et aux entreprises, qui se réclament de politiques d'emploi similaires. 23 Source de pérennité de l’entreprise, la continuité de l’emploi intéresse au premier chef les fonctions d’animation et d’encadrement, occupées de préférence par une génération d'âge mûr. Et ils ne sont pas les seuls à disposer de ce statut privilégié. Celui-ci peut s'étendre également à une frange de personnel récemment sortie de l'appareil de formation. D'une façon générale, il semble caractériser les postes les plus techniques et donc les plus professionnalisés. 13 d'aujourd'hui. Editions l'Harmattan. ROULLEAU-BERGER Laurence, 2000. - Pour une approche plurielle du travail à travers l'épreuve individuelle et collective de la précarité. Séminaire du LEST du 19 juin 2000. Texte d'intervention ronéo. Voir aussi, parmi les nombreuses productions antérieures de l'auteur, son rapport pour la DARES : Entre intégrations et désaffiliations : les jeunes et l'emploi dans les villes américaines et françaises, janvier 1998. SIMULA Pierre, 1999. - La dynamique des emplois dans la sécurité, Collection Etudes et recherches, Editions de l'Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure (IHESI). 14