Texte Musiques du Bresil

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Texte Musiques du Bresil
1 - INTRODUCTION
Je suis musicien, guitariste, contrebassiste et compositeur, passionné par les
musiques brésiliennes depuis près de 30 ans. Mon point de vue est donc surtout
pratique, mais mon intérêt pour ces musiques a fait que j’ai toujours cherché à
m’informer sur leurs origines sans cependant comparer mon travail à celui d’un
musicologue : je pratique principalement la musique alors qu’un musicologue l’étudie
et l’analyse.
Ce qui m’a frappé dès mon premier voyage au Brésil, en 83, c’est la diversité et la
richesse des styles musicaux brésiliens. Comme beaucoup de musiciens européens,
je connaissais surtout l’existence de la samba, le courant bossa-nova, un peu de
musique du Nordeste, et j’appréciais particulièrement l’oeuvre de cinq personnalités
du monde musical brésilien, d’ailleurs sans vraiment me rendre compte de leur
importance :
- le compositeur Villa-Lobos,
- le guitariste et compositeur Baden-Powell,
- le compositeur Antonio Carlos Jobim (plus connu sous le nom de “Tom” Jobim),
- le “sorcier”, multi instrumentiste et compositeur Hermeto Pascoal,
- le pianiste, guitariste et compositeur Egberto Gismonti
Depuis cette époque, j’ai accumulé les enregistrements, partitions, rencontres,
concerts et ouvrages liés à la musique brésilienne et curieusement je remarque que
ces cinq noms gardent leurs places dans mon panthéon personnel. D’autre part j’ai
peu à peu pris conscience de toutes les influences qui étaient présentes dans leurs
oeuvres respectives, oeuvres qui représentent autant de cas particuliers de
métissage musical, comme c’est d’ailleurs le cas pour quantité de compositeurs.
Le métissage au Brésil est devenu presque un cliché, mais toute personne
découvrant ce pays est frappé par la richesse produite par cette rencontre de
cultures, d’ailleurs dans beaucoup d’autres domaines que la musique. (Le Brésil
n’est évidemment pas le seul pays d’Amérique du Sud où l’on rencontre ce
phénomène, mais, c’est probablement celui où la variété des créations est la plus
grande)
Etant donnée l’immensité du Brésil aussi bien en superficie qu’en diversité culturelle
et le fait qu’il s’agit d’une culture extrêmement vivante et donc perpétuellement
changeante, il est évidemment difficile d’en donner ici plus qu’un aperçu ! J’espère
cependant vous montrer des pistes pour vous permettre d’explorer par vous-même
cette extraordinaire richesse de la musique brésilienne, que ce soit en écoutant, en
jouant ou même en allant là-bas !
Henri GREINDL – [email protected]
2 - BRESIL : METISSAGE ET FUSION
Si nous en exceptons les Indiens qui, hélas, sont maintenant devenus une minorité
ethnique, le Brésil fut, essentiellement une terre d'immigration. Les traditions
culturelles les plus différentes s'y sont accumulées ou y ont laissé leurs traces et
continuent à le faire. Musicalement et à cause de l'abondance de ces diverses
influences et traditions, on peut comparer le Brésil à certaines régions de l'Europe
centrale, qui furent des terres de rencontre et de passage, où les cultures musicales
les plus diverses, latines, germaniques, slaves, tziganes, byzantines, etc. se
confrontèrent et finirent par constituer un alliage original et formidablement vivant. Au
Brésil ce phénomène fut accéléré par une caractéristique typiquement brésilienne : le
métissage. Et ce métissage qui, si l'on se place sur le plan sociologique et politique
est une raison de la quasi non-existence des conflits raciaux au Brésil (contrairement
à ce qui s'est passé et qui se passe aux Etats Unis), ne doit pas être compris
seulement dans son sens biologique ou génétique. On l'observe aussi comme une
forme de synthèse, de symbiose des cultures et donnant lieu, peu à peu, à la
naissance de formes d'art originales. Par exemple certaines traditions africaines
existent encore dans un état presque pur au Brésil dans les cérémonies du
Candomblé. Mais ces mêmes traditions africaines, transformées, adaptées,
mélangées subsistent aussi dans une grande majorité des formes de la musique
populaire brésilienne, à commencer par la fameuse Samba.
Pratiquement on peut distinguer principalement trois grands héritages :
Premièrement celui des populations indigènes présentes avant la colonisation,
deuxièmement celui des populations “déplacées” de diverses régions d’Afrique Noire
et troisièmement celui des colonisateurs européens (principalement portugais, mais
aussi hollandais ou français). À ces trois courants, on peut rajouter des influences
moyennes orientales au Nordeste du Brésil ou hispaniques aux frontières sud.
Les musiques des immigrants colons ou esclaves se sont fortement influencées
entre elles, mais semblent curieusement être restées à l'écart de l'influence indienne,
du moins sous ses aspects les plus spécifiques, probablement du au fait que les
indiens ont toujours eu une certaine réticence à se mêler aux nouveaux arrivants.
Il y a bien sur toujours des cas isolés comme celui d’Egberto Gismonti ou de la
compositrice et chanteuse Marlui Miranda qui non seulement intègrent des éléments
indigènes dans leur musique mais travaillent aussi activement avec des
communautés indiennes.
2.1) L’héritage indigène - percussions et chants
Dans les années qui suivirent la découverte du Brésil, la musique des indiens fût
considérée comme un tout, sans que soient discernées des différences pourtant
substantielles. Le premier document que nous possédons décrivant cette musique
est dû à un Français, Jean de Lery qui écrivit en 1585 une " Histoire d'un voyage faict
en la terre du Brésil ". En réalité, la musique notée par Jean de Lery se rapporte à
une seule ethnie, celle des Tupis dont le peuple occupait une grande partie du sudest du pays et, notamment, la région où se trouve maintenant la ville de Rio de
Janeiro. En allant plus à l'ouest, les européens qui étaient les premiers colons
devaient découvrir une seconde civilisation indienne, celle des Guaranis, encore
vivante surtout au Paraguay.
Bien que les peuples indigènes présentent une trop grande variété d’ethnie et de
tribus ayant chacune ses traditions culturelles pour pouvoir réellement généraliser,
on peut remarquer qu’il existe une nette différenciation de la musique indienne
suivant qu'elle est vocale ou instrumentale. Les instruments se ramènent presque
tous à deux types seulement : percussions et vents ; et, pour les vents, malgré une
très grande ingéniosité de facture, le nombre de notes disponibles reste limité,
limitant donc les possibilités mélodiques. En ce qui concerne les instruments à
percussion, il faut surtout signaler, outre les divers tambours, les innombrables
"chocalhos" que nous appelons maracas.
Exemples à écouter :
-
le label français OCORA RADIO France et de nombreuses productions
locales brésiliennes…
Egberto Gismonti : « Sol do meio dia » pour les influences des musiques
indigènes
la chanteuse-compositrice Marlui Miranda
2.2) L’héritage africain - rythmes et percussions
2.2.1 - généralités
L’héritage africain le plus fort au Brésil est bien sûr présent dans la musique et dans
la danse. On y trouve un nombre important de danses apportées par les esclaves :
Le batuque, qui désigne aussi une danse, mais aussi le carimbó, le bambelô, la
samba de roda, le jongo, le caxambu, la umbigada (danse du nombril). Ces danses
sont souvent encore pratiquées au Brésil. Une quantité importante d’instruments sont
aussi d’origine africaine. En plus du berimbau et du agôgô, le atabaque, le marimba,
le timbau, le caxixi, le ganza.
Dans les chansons qui évoquent les racines africaines, les termes utilisés montrent
que, en plus des coutumes et des croyances, les peuples africains ont bien sûr
ramené au Brésil leurs langues et que ces langues comme le Yoruba par exemple,
sont encore utilisées, plus de 100 ans après la fin de l’esclavage, surtout dans les
rituels du Candomblé. Mais aussi, dans le lexique de la langue portugaise
brésilienne, plusieurs termes africains et expressions existent : cachaça, moleque,
caçula, cachimbo, fuzué, axé, abadá, saravá.
Même dispersés dans le territoire brésilien, en fonction des cycles économiques, les
africains ont réussi à préserver une partie de leur culture et à la transmettre. Cette
culture leur a permis de conserver une partie de leur identité et de résister à
l’esclavage. Les exemples de résistance sont nombreux à travers les quilombos et
les quilombolas dont le plus connu est le quilombo de Palmares, dirigé par Zumbi,
qui est devenu aujourd’hui un vrai mythe. Un quilombo était une cité, une institution
politique, défendue par des guerriers, qui abritaient les esclaves fugitifs.
C’est à Bahia que se sont organisés les principaux mouvements afro-brésiliens ( Ilê
Ayê, Araketu, Filhos de Gandhi), les premiers groupes de musique afro-brésilienne (
Olodum, Ilê Ayê), les premiers afoxés (groupes carnavalesques) qui ont, par leur
persistance, réussi à imposer leur présence au carnaval de Bahia. Carnaval dont ils
sont aujourd’hui le vrai symbole.
“Quoique que répandues dans tout le pays, les traditions africaines sont surtout présentes dans
les états où l'importation des esclaves a été la plus forte donc, essentiellement, dans l'Etat de
Bahia. Les plus intéressantes et les plus riches sont celles qui sont liées à la religion, c'est-àdire aux cérémonies du Candomblé ou du Batuque. Comme dans le Vaudou haïtien, il s'agit
d'une mythologie dans laquelle diverses entités païennes, riches en symbolisme, sont aussi
revêtues d'attributs appartenant à l'hagiographie chrétienne. Mais, à la grande différence du
Vaudou, le Candomblé est toujours doux et bienveillant et les transes de possession n'y ont pas
l'aspect épileptique et effrayant qu'elles ont dans le Vaudou. L'officiante principale est toujours
une femme : la " Mère du Saint " et elle est entourée d'un choeur d'autres officiantes qui
chantent et dansent. En revanche, l'orchestre, formé d'instruments à percussion est composé
d'hommes et, parmi eux, peut figurer un enfant qui s'initie aux rythmes complexes qui sont
utilisés. La figure rythmique principale est toujours confiée à un jeu de cloches de fer fixées
rigidement soudées à une tige tenue par l'exécutant et frappée avec une baguette, également
de fer, tenue avec l'autre main. Voici, très résumé et très simplifié, tel qu'il me fut expliqué par le
Pr. Napoleão Figueiredo, de l'Université Fédérale de Belem, l'esprit de cette cérémonie qui dure
quelquefois une nuit entière.
Au ciel, il y a les divinités et les saints. Sur terre, ici-bas, les hommes et dans une zone
intermédiaire, les " enchantés ". C'est par l'extase et la possession par l'esprit d'un saint que l'on
parvient à cet état d'enchantement proche du ciel. Quand la cérémonie commence, les esprits
sont invoqués et, peu à peu, jusqu'à environ les deux tiers ou les trois quarts du temps de ladite
cérémonie, les hommes s'élèvent vers le ciel, rejoignent les saints, deviennent enchantés ; puis,
dans l'apaisement, doit s'effectuer le retour vers la terre où l'on revient meilleur. Un détail
important doit être signalé : il n'existe pas, dans cette mythologie, de divinité véritablement et
inexorablement maléfique ; car les esprits les plus dangereux deviennent, sinon bienveillants,
du moins inoffensifs à l'aide de dons appropriés parmi lesquels l'alcool de canne à sucre, la "
pinga " tient une place de choix. D'ailleurs, les notions de bien et de mal se mêlent parfois d'une
manière très équivoque, comme dans la complexe et indéfinissable personnalité du dieu Exu.”
Michel Philippot - 1983
2.2.2 - Yorubas (Sud Nigeria - “la côte des esclaves”)
Le sud du Nigeria était un centre important de trafic d’esclave du temps de la
colonisation. Le plus grand contingent fut introduit au Brésil à Salvador de Bahia,
mais aussi à Recife, dans l’état de Minas, à Rio ou São Paulo. Une des
caractéristique des musiques Yorubas est l’utilisation de certains rythmes qui ont
influencé notamment la musique cubaine (la “clave”, en “ternaire” ou “binaire”). Les
instruments provenant de cette culture sont les tambours “atabaques” (l’équivalent
des “congas” à Cuba) utilisés dans le candomblé, les cloches “agogô”, les “afoxés”
(ou “cabassa”).
La religion et la mythologie du monde Yoruba ont influencé fortement la culture
spirituelle brésilienne à travers un panthéon de divinités principales et intermédiaires
(les “orixas”), que l’on retrouve encore une fois à Cuba d’ailleurs, à travers aussi une
collection de sacerdoces et de rites hautement organisés. Tout ceci se manifeste
encore largement et de façon très vivante actuellement dans les “candomblés” de
Bahia, les “xangos” de Recife, les “batuque” de Porto Alegre, les “macumbas” du
centre et enfin dans les rites “umbandas” de la région de São Paulo. La musique des
cérémonies religieuses est vocale (“toada”) et instrumentale (dénommée “toque” jouée par les tambours sacrés “atabaques”), chaque divinité ayant notament un
rythme qui lui est associé.
exemples : toadas de Bumba-meu-boi sur le label Nucleo Contemporaneo
(Cette représentation théâtrale dansée est l'une des expressions culturelles les plus
diffusées dans le brésil, après le carnaval. L'origine du bumba-meu-boi remonte au
18e siècle, résultant de la relation inégale entre esclaves et seigneurs, il reflète les
conditions sociales vécues par les noirs et les indiens.)
2.2.3 - Bantous (Angola - Congo - Mozambique)
Les représentants de ce groupe, dont l’unité culturelle est assurée principalement par
la langue, comprend les africains originaires d’Angola, du Congo, du Mozambique
qui étaient embarqués à Luanda, capitale de l’Angola et furent répartis sur tout le
territoire brésilien. Les instruments originaires de cette région sont notamment de
nombreux tambours, les marimbas, et on peut distinguer deux instruments qui sont
devenus très utilisés au Brésil : la “cuica” (“puita” en Angola) et le “berimbau” (arc
musical pourvu d’une corde et d’une calebasse résonnante). De la culture spirituelle
bantoue on rencontre au Brésil des manifestations présentant des syncrétismes avec
la culture Yoruba, mais aussi catholique ou indigène dans les “macumbas” de Rio de
Janeiro et du Minas Gerais et dans les cérémonies de “umbanda” de São Paulo.
L’invocation des esprits se fait à l’aide de cantiques particuliers appelés “ponto”,
accompagnés de battements de mains et de percussions (tambours et idiophones).
D’autres traces de la culture bantoue sont présentes dans des jeux athlétiques
comme la capoeira, des danses, dans la samba, le jongo ou le lundu, le maracatu,
de nombreuses manifestations carnavalesques et encore dans beaucoup d’autres
danses et rythmes traditionnels.
2.3) L’héritage européen - harmonie & instruments occidentaux
L’influence du colonisateur Portugais est évidemment prédominante, ils furent les
premiers, firent les premiers contacts avec les Indiens, ont géré les problèmes de
métissage avec les Africains pour ouvrir finalement les bras vers le monde entier,
accueillant tous ceux qui étaient désireux de travailler au Brésil.
Il semble que les premiers colons provenaient principalement du centre et du sud du
Portugal, ensuite des Açores ou de Madère et finalement du reste du Portugal. (Ils
apportèrent avec eux de nombreux types de guitares et notamment le cavaquinho.)
Ils se mélangèrent ensuite aux indigènes, aux Africains, aux Français (écoles :
« frère Jacques », quadrilha), aux Espagnols (« fandango », rondes enfantines,
carnaval), aux Italiens (accordéon), aux Hollandais (Nordeste), aux Allemands etc.…
De telle façon qu’il devient actuellement très difficile de retracer les origines précises
des différentes manifestations culturelles brésiliennes.
De manière générale l’apport européen fut caractérisé par l’usage de la musique
polyphonique et donc de l’harmonie, par l’introduction des instruments à claviers et
finalement tout les instruments de l’orchestre symphonique ou des fanfares. La
musique traditionnelle de Recife, par exemple, est notamment caractérisée par le
« Frevo », sorte de galop joué par des fanfares dérivées des musiques militaires. En
effet dans une ville portuaire comme Recife la présence militaire a été longtemps très
importante.
3 - QUELQUES EXEMPLES DE METISSAGE.
3.1) Le choro
Le choro est une musique instrumentale née à la fin du XIXe siècle dans la classe
moyenne et métisse de Rio de Janeiro. Il s’agit au départ d’un jeito, d’une manière
d’interpréter les nouvelles danses venues d’Europe et notamment la polka en y
introduisant la vivacité rythmique et les instruments de percussions afro-brésiliens.
Très populaire, le choro devient un genre à part entière dans les premières années
du XXe siècle. Il se caractérise par une formule rythmique proche du tresillo cubain
et la part essentielle accordée à l’improvisation. Souvent comparée à celle du jazz,
l’histoire du choro traverse le siècle avec ses pères fondateurs – les compositeurs
Chiquinha Gonzaga et Ernesto Nazareth – et ses enfants terribles – le flûtiste
Pixinguinha, le joueur de bandolim Jacob do Bandolim, le saxophoniste et
clarinettiste Paulo Moura et autres interprètes virtuoses.
Exemples :
Pixinguinha, E. Nazaré, Garoto, Luperce Miranda, Jacob do Bandolim, Waldir
Azevedo, Altamiro Carrilho, Dino Sete Cordas, Rafael Rabelo, Paulinho da Viola
La jeune génération : Yamandu Costa, Hamilton de Hollanda
Voir aussi le film : « Brasileirinho »
3.2) La samba
La samba est probablement le rythme brésilien le plus connu au monde et est
largement - et abusivement - identifiée à toute la musique brésilienne, alors qu’il
s’agit d’un terme générique qui regroupe de multiples genres musicaux.
Samba est un terme masculin au Brésil. Le mot dérive probablement du quimbundo,
dialecte afro bahianais d'origine bantoue, où samba désigne le "coup du nombril" (ou
de ventre) par lequel un danseur soliste dans une ronde choisit celui qui va lui
succéder.
La samba est né au tournant du XXème siècle sous la forme de couplets et refrains
accompagnés par les battements de mains et les ensembles de percussion qui
constituaient alors l'essentiel des musiques de divertissement et de danse des
classes populaires et afro-brésiliennes.
Les groupes de musiciens ont commencé à s’organiser sous forme d’écoles de
samba qui sont devenues de nos jours, à Rio ou à Salvador principalement, de
véritables institutions ayant souvent un rôle social très important dans les quartiers
pauvres. Les défilés que l’on voit notamment lors du Carnaval ne sont que la partie
visible de l’iceberg. En effet autour de la préparation du défilé de Carnaval se sont
greffées toutes sortes d’activités annexes, de la fabrication des instruments et
costumes jusqu’à la scolarisation des enfants des rues ou la mise sur pied de
systèmes d’aide sociale.
Les journaux annonçaient les premiers défilés d’écoles de samba, au début des
années 30, comme quelque chose de très mystérieux, surtout en vertu de l’exhibition
“d’instruments barbares”. En effet la plupart des instruments de percussions propres
à la samba, comme la cuica, n’étaient connus que du peuple noir qui habitait les
banlieues ou les bidonvilles. Peu à peu les “batteries” des écoles de samba ont
commencé à intégrer d’une part des instruments provenant des cérémonies
religieuses (agogo par exemple) ou bien même à en inventer comme le surdo à
l’école de samba Mangueira. Et alors que d’une part le nombre de musiciens
augmentait jusqu’à parfois 200, les instruments se standardisaient, un peu comme
dans notre orchestre symphonique, et la samba adoptait des formes et des rituels de
plus en plus élaborées inspirées à la fois par les traditions africaines du soliste
alternant avec le groupe et par les traditions européennes de la musique
symphonique.
La samba - différents styles :
- La samba de partido-alto, né au début du XXème siècle, combine d'anciennes
formes musicales bahianaises avec la danse et la percussion batuque. De partidoalto signifie littéralement "de haut niveau", car il n'était pratiqué que par les vrais
connaisseurs du genre mais aussi de toute la culture qui y était associée. Il se
compose de longs couplets entrecoupés de refrains. Dans les années 40, il intègre
les écoles de samba et met l'accent, plus que sur la danse, sur l'improvisation
poétique et vocale individuelle.
- La samba de roda, originaire de Bahia, associe la danse et le batuque de la
communauté dite Angola à l'art de la capoeira (danse et art martial) dont il reprend
l'instrument emblématique : l'arc musical berimbau.
- La samba raiado importé à Rio par les femmes bahianaises au début du XXème
siècle, est une variante du samba de roda, accompagné de battements de mains et
des stridulations des couteaux râclés sur le bord des assiettes.
- La samba carnavalesque composée pour le Carnaval. Les groupes de quartier
(blocos) s'organisèrent bientôt en "écoles de samba" se succédant pendant le défilé.
- La samba de breque né dans les années 30, doit son nom aux interruptions
(breaks) pendant lesquelles les chanteurs se livrent à des commentaires
humoristiques.
- Le samba-canção, apparu dans les années 20, de rythme assez lent où l'on
privilégie les thèmes romantiques voire sentimentaux.
- Le samba-choro inspiré par le choro, musique de chambre instrumentale qui était
l'apanage des classes blanches et aisées au XIXème siècle.
- La samba de gafieira, généralement instrumental, était joué dans les années 40
par les orchestres de salons de danse (gafieiras) ; les arrangements orchestraux à
base de cuivres dénotaient une forte influence de la musique commerciale nordaméricaine de l'époque.
- La samba exaltação, créé par Ary Barroso (1903-1964) et dont les arrangements
symphoniques exaltaient la thématique patriotique et nationaliste.
- La samba de morro au rythme vif. Accompagné par les tambourins pandeiro et
tamborim, la timbale cuíca, et le grand tambour à deux peaux surdo, il fut créé et
diffusé dans le Rio des années 30 par les compositeurs qui participaient aux rondes
de samba d'Estácio.
- Le samba-enredo créé à partir des années 30 par les compositeurs des écoles de
samba de Rio de Janeiro, et dont le texte résume le thème choisi par l'école pour sa
représentation lors du défilé. Au début, les sambas-enredo étaient uniquement
chantés lors du défilé des écoles de samba sur la fameuse Praça Onze à Rio : à
partir des années 40, les chanteurs professionnels s'y sont intéressés à leur tour.
- La samba de quadra ou samba de terreiro, composé par les compositeurs des
écoles de samba, pour animer les lieux de répétition (les quadra) des sambistes, en
dehors de la période de préparation du carnaval.
- La samba Batucada, Musique de carnaval - Au Brésil, le Batucada est
essentiellement la musique de percussions jouée pour les parades et pour les
concours organisés à l’occasion des Carnavals. C’est dans les années 1960 qu’un
large mouvement de Batucada naît à Rio, au sein des groupes de Samba qui font
alors des expériences et des improvisations sur les rythmes du Batuque (rituel et
musique de danse afro-brésilienne), qu’ils accélèrent pour créer une Samba plus
rapide. Les rythmes de Batucada sont traditionnellement joués pour toutes sortes
d’occasions festives, y compris lors des parties de football.
Artistes à écouter : (compositeurs/interprètes…)
Ary Barroso, Lamartine Babo, Noel Rosa, Dorival Caymmi, Cartola, Nelson
Cavaquinho, Clementina de Jesus, Elza Soares, Carmen Miranda, Alcione, Clara
Nunes, Martinho Da Vila, Elizeth Cardoso, Paulinho da Viola, Beth Carvalho, Paulo
Cesar Pinheiro
La jeune génération : Teresa Cristina e grupo semente
Ecoles de Samba:
Portela, Salgueiro, Mangueira, Beija-Flor, Mocidade Independente, Vila Isabel
Les voix...
Carmen Miranda, Silvio Caldas, Orlando Silva, Dolores Duran, Maysa, Inezita
Barroso, Francisco Alves, Cyro Monteiro, Mario Reis, Elizeth Cardoso, Miltinho, Leny
Andrade, Jair Rodrigues
3.3) Le courant « bossa-nova »
Le nom est dérivé d'une expression en vogue dans les années 40, signifiant une
nouvelle manière de faire une chose et ce courant musical est probablement devenu
avec la samba une des images de marque de la musique brésilienne. On a tellement
écrit sur ce courant que je ne vais pas m’étendre outre mesure, mais disons
simplement qu’il est né dans les années 50, dans la classe moyenne et aisée de Rio
de Janeiro. Il est intéressant de constater qu’il s’agit d’un mouvement « conscient »,
ce qui n’est pas très fréquent dans le domaine musical. En effet un groupe de jeunes
musiciens se sont mis à mélanger les harmonies issues du jazz nord-américain avec
les rythmes brésiliens dans l’idée de renouveler leur musique. C’est le chanteur João
Gilberto qui a concrétisé ce courant avec sa manière douce et suave de chanter, en
opposition totale avec le style de l’époque caractérisé par les voix amples au vibrato
prononcé.
Le 21 novembre 1962 est une date historique pour la bossa-nova puisqu’a eu lieu un
concert mémorable à New-York, au Carnegie Hall, avec Tom Jobim, Sergio Mendes,
Roberto, Menescal, João Gilberto, João Donato, Baden-Powell, Vinicius…
Exemples : João Gilberto, Tom (Antonio Carlos) Jobim, Dick Farney, Vinicius &
Toquinho, Baden Powell, Luis Bonfa, Johnny Alf, Don Salvador, Roberto Menescal,
Marcos Valle, Os Cariocas, Edu Lobo, Nara Leão, Carlos Lyra, Ronaldo Boscoli, Lela
Pinheiro, Celso Fonseca…
3.4) La musique du nordeste
3.4.1 Le plateau intérieur aride - le "Sertão"
Le baião Originaire du "Sertão" - région rurale pauvre couvrant plusieurs états et
fréquemment soumise à la sécheresse - le baião constitue le troisième grand courant
de la musique populaire brésilienne. (! Ne pas confondre avec Bahia!) Un des styles
les plus exportés après la samba. C’est un terme se referant à l'origine à un
intermède instrumental entre les parties chantées des "défis" (->repentistas) entre
improvisateurs. Le genre a été popularisé par Luis Gonzaga (accordéoniste et
compositeur) à partir de 1946 et est caractérisé par une formule rythmique et une
gamme particulières.
De ce rythme naîtra l’ensemble des musiques traditionnelles rurales du Nordeste,
une région qui s’étend de l’État de Bahia au sud à celui du Maranhão au nord. Terre
de la faim, des grands seigneurs et des caboclos– métis de blancs et d’Indiens–, le
Nordeste est le lieu de nombreux syncrétismes. La musique y rythme la vie des
hommes : elle anime les bals, accompagne le travail, égaye les marchés quand les
repentistas, héritiers des troubadours du Moyen-Âge, improvisent de longs récits
historiques au son de la viola, une petite guitare à cinq cordes. Longtemps ignorées
du reste du pays, ces musiques parviennent sur le devant de la scène brésilienne
dans les années 1940 grâce à Luiz Gonzaga.
A écouter : Luis Gonzaga, Dominguinhos, Jackson do Pandeiro, Osvaldinho
Forró - Style le plus populaire du Nordeste brésilien, le Forró est une musique simple
et dansante. Dans sa forme traditionnelle, le Forró se joue avec un accordéon, un
triangle et une percussion. Dans sa forme plus moderne, il utilise toujours
l’accordéon, mais avec guitares, basse, batterie et clavier. Le Forró doit sa naissance
au métissage des solos instrumentaux européens, des chants indiens et des rythmes
africains. Les textes parlent de la vie de tous les jours, du travail, et bien sûr d’amour
et de sexe. Musique des travailleurs du Nordeste, c’est l’un des styles les plus
intéressants de la musique d’accordéon.
3.4.2 La zone côtière
C’est la région des plages tropicales à l'économie plus forte, on y trouve de grandes
villes comme Recife, Natal, João Pessoa. Il s’agit d’une région stratégique
caractérisé autrefois par une présence militaire.
Frevo
Base du carnaval à Recife / racines dans les polkas 19ième - tradition des brass
bands militaires / tempo rapide - intense - sautillant rappelle les danses cosaques
Ecouter : Capiba, Lourenço da Silva, Maestro Duda, Mathias da Rocha
Marcha Rancho (= aussi "frevo-canção")
Egalement originaire de Récife, mêmes origines, tempo lent et majestueux
("marche"!) - conclusion des festivités du Carnaval
Ecouter "As Pastorinhas" de Noel Rosa…
Maracatu (Recife)
Racines religieuses, Le Maracatu rend hommage à une sainte catholique : Nossa
Senhora do Rosario. Rythme très syncopé!
Afoxé
Rythme originaire de Bahia, racines dans le "candomblé" (syncrétisme afro-chrétien dans les cérémonies on invoque et appelle les divinités à travers des danses et des
rythmes hypnotiques - les instruments traditionnels sont les trois tambours : lé - aigu,
rum - moyen, & rumpi - grave)
Exemples dans la « MPB »: certains morceaux de Gilberto Gil, Djavan, Caetano
Veloso…
4 - MPB & PANORAMA ACTUEL
Un terme général - "MPB" / Música Popular Brasileira - caractérise la musique
brésilienne depuis les années 60 et inclus une grande diversité de styles et de
genres (samba, pop, rock, funk, bossa-nova). L'impossibilité de définir précisément
un style de musique précis est en fait une preuve du métissage tellement
caractéristique de la musique brésilienne qui aboutit régulièrement à de nouveaux
styles…
Les autres "classes" de musiques étant la musique traditionnelle ou folklorique, la
musique dite "instrumentale "regroupant aussi bien le jazz que d'autres genres où le
texte chanté n'est pas présent, et la musique dite "érudite" ou classique
Les courants musicaux actuels - Hors de tout mouvement organisé, les courants
musicaux actuels s’élaborent sous le signe de la diversité. À la fin des années 1960,
le tropicalisme de Caetano Veloso et Gilberto Gil annonçait déjà : tout est permis !
Les guitares électriques, le kitsch de Carmen Miranda, les rythmes du baião et du
rock’n’roll… Aujourd’hui le mélange est à l’honneur dans le mangue beatde Chico
Science, la bossa-nova électro de Bebel Gilberto, la samba-rap de Marcelo D2 et
d’autres encore. Chaque musicien entend mener ses recherches dans la direction
qui lui est chère. Tous pourtant se rejoignent dans une réappropriation de l’Histoire.
La musique actuelle se tourne vers ses racines, plonge dans la tradition. Mais la
démarche n’est ni nostalgique, ni passéiste : l’étude de la musique brésilienne dans
tous ses états et tous ses temps permet aux artistes de mieux se comprendre et se
redéfinir après les années de chaos de la dictature et de la crise économique.
Le tropicalisme - Gilberto Gil et Caetano Veloso inventent une musique
psychédélique qui mixe rock et musique traditionnelle brésilienne : le tropicalisme.
«Je mélange le chewing-gum avec les bananes», déclara Gilberto Gil. - Le coup
d’État de 1964 instaure un régime autoritaire au Brésil : les opposants politiques sont
poursuivis et la censure est à l’ordre du jour. Dans un premier temps, la musique
populaire semble y échapper. Elle devient une prise de parole en faveur de la
démocratie lors de festivals de la chanson organisés par les chaînes de télévision.
Aussi, les premières années de la dictature sont paradoxalement une époque
d’innovation musicale. Tout en conservant ses racines, la Musique Populaire
Brésilienne s’ouvre aux horizons pop et rock. Le tropicalisme de Caetano Veloso,
Gilberto Gil, Gal Costa et Tom Zé prône une certaine esthétique de la citation ;
l’heure est à l’exubérance, signe de résistance et de liberté. Le mouvement se brise
en 1968, lorsque les militaires imposent l’acte institutionnel no 5 qui suspend les
droits civiques et renforce le pouvoir du généralprésident. Caetano et Gil sont
emprisonnés puis contraints à l’exil, alors que Chico Buarque mène le combat du
verbe contre les censeurs.
L’année 1984 marque la fin de la dictature. Le combat reprend pour que le retour à la
démocratie se fasse à travers des élections directes. Et à nouveau, les musiciens
s’engagent. Chico Buarque, Martinho da Vila, Fagner, João Bosco et d’autres
mettent leur voix, leurs chansons, leur notoriété au service de cette cause.
Artistes à écouter :
Elis Regina, Edu Lobo, Chico Buarque, Gilberto Gil, Caetano Veloso, Gal Costa,
Milton Nascimento, João Bosco, Rita Lee, Tim Maia, Djavan, Filo Machado, Alceu
Valenca, Luis Melodia, Lela Pinheiro, Celso Fonseca, Marisa Monte, Chico Science,
Tom Zé, Lenine, Guinga (reconnu comme LE compositeur actuel dans le milieu des
musiciens au Brésil)
La jeune génération : Ed Motta, Mônica Salmaso, Céumar, Chico Pinheiro, Chico
Saraiva, Maria Rita (file de Elis Regina !)…
5 – EN GUISE DE CONCLUSION
Au Brésil la musique, populaire ou traditionnelle, agit pour le peuple comme un
facteur de fierté et de cohésion nationale. Il existe peu de pays où la musique
populaire soit si riche et si variée. Elle continue à s'enrichir et à évoluer malgré
l'omniprésence mondiale du courant pop anglo-saxon. Mais le succès des vedettes
populaires, vite connus et vite oubliés, laisse souvent dans l'ombre un grand nombre
d'artistes de qualité. Cependant la vitalité de la musique traditionnelle fait que de
nombreux musiciens y trouvent une source d’inspiration, particulièrement dans la
musique instrumentale (classique ou jazz) qui réussit d'une manière exceptionnelle la
symbiose entre tradition et modernité mais souffre comme partout d’un manque
d’audience provenant notamment de la frilosité des médias et des compagnies de
disques.
La musique brésilienne occupe une place importante dans le monde et influence des
artistes de partout mais la taille du pays et du marché local font que nous n’avons
l’occasion que d’apercevoir la partie immergée de l’iceberg de cet immense monde
musical !
J’espère vous avoir ouvert quelques pistes dans ce rapide aperçu qui forcément a
laissé de côté de nombreux artistes, courants ou styles… (Il faudrait encore parler de
la région Sud et des influences du Paraguay ou de l’Argentine, de l’Amazonie, du
Centre…)
Henri Greindl – Août 2008