De la musique avant toute chose - Association québécoise des
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De la musique avant toute chose - Association québécoise des
DOSSIER : de La musique avant toute chose REFLETS DÉCEMBRE 2014 13 De la musique avant toute chose Par Yves Hébert Rédacteur en chef et éditorialiste invité La musique est omniprésente dans notre monde moderne. Elle se retrouve partout : dans les publicités, les supermarchés, les sonneries des téléphones intelligents, les couloirs des résidences pour personnes âgées et même dans les douches intelligentes. Aurait-on oublié sa fonction première ? Aurait-on oublié ce qu’est l’écoute attentive, qui oblige à s’arrêter pour se laisser imprégner par une ambiance musicale, une interprétation ou une époque ? Sommes-nous en train de banaliser la musique au point d’en faire un bruit de fond ? Nous pourrions vivre un moment historique, car le paysage sonore a complètement changé depuis la mise au point des technologies de numérisation de la musique. Dans notre dossier, l’article d’Yves Laberge montre bien l’évolution des techniques de diffusion de la musique. Certains se souviendront des disques 78 tours en gomme-laque, qui étaient d’une grande fragilité. Notre perception de la musique aurait donc été modulée par un ensemble de facteurs cognitifs, sociaux et culturels. Plusieurs chercheurs s’intéressent aujourd’hui à l’influence de la musique sur notre cerveau. Pourquoi les sons, le rythme et l’harmonie dans les cultures musicales du monde ont-ils une influence sur nos émotions ? Sylvia Bencivelli (Pourquoi aime-t-on la musique ? Oreille, émotion, évolution, Belin, 2009) et Léonard B. Meyer (Émotion et signification en musique, Actes Sud, 2011) donnent des éléments de réponse à ces questions. Dans son livre passionnant Musicophilia, Olivers Sacks aborde quant à lui des phénomènes extraordinaires comme celui de l’amusie, une anomalie du cerveau qui empêche de décoder la musique (harmonie, tonalité, tempo, etc.). De façon générale, la musique serait liée aux émotions. Ce lien entre musique et émotions intéresse de plus en plus les chercheurs qui étudient le cerveau et les intervenants qui ont systématisé un ensemble de savoirs anciens et modernes pour forger le concept de musicothérapie. Celle-ci vise à améliorer entre autres l’humeur et le sommeil et à réduire les troubles de l’anxiété. La perception de la musique et sa découverte sont aussi associées à la transmission des connaissances. À l’époque de la Nouvelle-France, les œuvres de Rameau étaient populaires dans les salons bourgeois. Les jeunes filles appartenant à des familles aisées apprenaient le clavecin, la guitare et la flûte traversière. Au XIXe siècle, l’accès aux instruments de musique et aux partitions musicales devient plus facile à Québec et à Montréal. Comme le rapporte Louise Courville dans son article, les influences musicales anglaises, écossaises et irlandaises se font sentir de plus en plus. Encore aujourd’hui, certains aînés se rappellent de la chanson écossaise Annie Laurie. carnatique, sous forme de raga, accorde une place tout aussi importante à l’improvisation qu’à la structure. On peut aussi donner l’exemple du saxopho niste John Coltrane (1926-1967) ou celui de Miles Davis, qui intègre la cithare dans certaines compositions. L’influence du maître de la cithare Ravi Shankar pour faire connaître la musique de l’Inde n’est pas étrangère à cette ouverture. Deux phénomènes marquent actuellement l’univers musical dans le monde. Le premier découle de la révolution technologique qui s’est opérée à partir des années 1970. Le synthétiseur et le mellotron ont bouleversé l’univers musical. Si, au début, les sons étranges qui sortaient de ces instruments fascinaient toute une génération tout en faisant dresser les cheveux sur la tête des aînés (pensons aux œuvres de Tangerine Dream et de Jean-Michel Jarre avec Oxygène, ou au mellotron omniprésent dans la musique du groupe Harmonium), le son du synthétiseur que l’on entend partout aujourd’hui s’est intégré au paysage musical. Le second phénomène touche à l’explosion des genres musicaux. Devant l’offre abondante de musique, les mélomanes ont tenté de la catégoriser. Il y a d’abord la musique acoustique (percussions, guitare, bois, cordes), qui se divise en plusieurs genres (symphonique, minimaliste, baroque, etc.), puis les musiques électroniques, qui n’en finissent plus d’allonger la liste des souscatégories (lounge, house, ambient, etc.). Et il y a aussi la fusion des styles : jazz, électronique, symphonique et rythmes du monde. Pensons aux Rock-MétalSymphonique. Bref, les créateurs ont aboli les frontières culturelles pour composer des musiques accessibles à tous et pour toutes les occasions. Si nous assistons aujourd’hui à une révolution numérique avec les services de vente en ligne comme iTunes et Spotify, on peut se demander si les arts de la scène en souffrent. Pour 10 $, on peut maintenant se procurer un album de l’artiste canadienne Loreena McKennitt, mais pour assister à l’un de ses concerts, il faut débourser 10 fois ce prix. Les artistes devront-ils se résigner à embarquer dans le monde numérique ? Comme le dit Serge Fiori dans l’une des chansons de son dernier album, offert en disque vinyle, en CD et sur iTunes : « Le monde est virtuel. » C’est dans les couvents et les collèges que l’on a d’abord appris la musique. Le piano, le chant choral et les musiques de fanfare ont dominé un certain temps dans le monde scolaire. L’apprentissage d’un instrument de musique s’est ensuite rapidement démocratisé avec la fondation des Jeunesses musicales, des écoles de musique et des conservatoires. Paul-André Gagnon rappelle, dans l’entrevue qu’il nous a accordée, des moments importants de l’histoire de la formation musicale en guitare au Conservatoire de Québec. illustration : Francis ouellet Notre perception de la musique est influencée par l’univers culturel dans lequel nous baignons. Elle est aussi influencée par des modes. Comme le rappelle dans son article le mélomane Sébastien Desrosiers, la musique rock québécoise de l’époque de la Révolution tranquille a été influencée par une ouverture au monde. Avec les années, on assiste à l’émergence de nouveaux genres musicaux ou d’amalgames s’inspirant de plusieurs traditions culturelles. Par exemple, le jazz s’ouvre aux rythmes de l’Inde – peut-être en raison du fait que la musique Untitled-1.indd 1 14-11-19 13:09 DOSSIER : de La musique avant toute chose REFLETS DÉCEMBRE 2014 14 À la découverte des musiques historiques du Québec L’époque de la Nouvelle-France Par Louise Courville Fondatrice de l’Ensemble Nouvelle-France* Nous possédons un héritage musical unique, constitué à partir des premiers siècles de notre histoire collective. Mais le connaissons-nous ? En voici les grandes lignes, en ce qui concerne l’époque de la Nouvelle-France. Tout débute vraiment avec l’arrivée des premières ursulines et des premières augustines à Québec, en août 1639. Parmi ces femmes, on compte une musi cienne et une compositrice. La musicienne, mère Saint-Joseph, a tenu à transporter avec elle une viole de gambe qui prend beaucoup de place dans ses bagages. Avait-elle prévu d’accompagner les merveilleuses inspirations musicales de notre première grande mystique, Marie Guyart de l’Incarnation ? Ah ! les doux chants de Noël de nos ancêtres. Parmi tous nos souvenirs musicaux d’antan, ce sont les plus tenaces. Et pour cause. Pendant des siècles, nous n’avons pas cessé de les fredonner chaque année, au temps des Fêtes. Venez, divin Messie, Dans cette étable, Çà, bergers, assemblons-nous, etc., font partie de nos classiques, à peine retouchés malgré les usages répétés. Ils vont rejoindre par affinité toutes nos belles chansons folkloriques, égayant la vie et les amours des gens du pays. Dire que certaines d’entre elles remontent au Moyen-Âge ! Heureusement pour nous, de valeureux folkloristes, comme Ernest Gagnon au XIXe siècle et Marius Barbeau au début du XXe, ont parcouru les campagnes du Québec pour retrouver la trace de ces vieilles chansons patri/matrimoniales et les prendre en dictée ou les enregistrer sur cylindre de cire afin de les sauver d’un oubli implacable. Mais que viennent faire des reels et sets carrés dans notre histoire musicale d’une Nouvelle-France d’Amérique ? On voit ici un cas d’intégration à la culture du conquérant, puis une assimilation musicale aux nouveaux arrivants. Dans le Québec d’aujourd’hui, les danses anglaises, écossaises et irlandaises ont remplacé dans l’inconscient collectif le menuet gracieux, les rigaudons et les joyeuses contredanses, ces authentiques danses qui faisaient le bonheur de nos ancêtres francophones des XVIIe et XVIIIe siècles. Puisque nous y sommes ou presque, ajoutons à notre héritage celui qui nous est parvenu de la mère patrie, toutes ces éditions musicales anciennes, florilège des sommets du baroque français. Se sont retrouvés chez nous cantates, opéras, ballets, messes et traités de composition. Les archives du Séminaire de Québec (aujourd’hui au Musée de l’Amérique francophone) en regorgent. Avons-nous gardé en mémoire nos plus glorieux faits d’armes, les belles victoires du temps de la Nouvelle-France ? À vrai dire, rien n’est moins sûr. Et pourquoi donc ? C’est là un cas d’analyse psychosociale sans doute. Pourtant, si nous voulions bien nous en souvenir, nos chants de victoire sauraient attester de l’importance pour nos ancêtres de ces événements décisifs. Commençons par la toute première de nos victoires. Le général anglais William Phips navigue sur le fleuve avec une armada de plus de mille hommes pour défier Frontenac qui, du haut du Cap Diamant, se prépare à lui répondre par la bouche de ses canons. Nous sommes en 1690. Cet assaut nous a donné l’étonnante chanson humoristique Le Général de Flipe. Notre deuxième victoire, celle de 1711, nous la devons à l’intervention directe du Ciel. Le moment est vraiment critique pour notre jeune colonie française. La flotte de l’amiral Hovenden Walker compte 71 vaisseaux à haut bord. Les Anglais sont puissamment armés. Ils s’aventurent dans le golfe avec pour mission de prendre Québec et de s’y installer pour de bon. Ô miracle ! Une effroyable tempête se lève sur le Saint-Laurent. Une partie de la flotte de Walker est projetée sur les rochers de l’île aux Œufs. Québec exulte en apprenant la nouvelle. On compose, on chante victoire sur tous les tons, puis tous entonnent en chœur le solennel Te Deum à l’église de la basse-ville, rebaptisée pour l’occasion Notre-Dame-des-Victoires. Si je fais le compte, après la victoire de fort Duquesne (aujourd’hui Pittsburg), nos victoires en musique célèbrent surtout celles du marquis Louis-Joseph de Montcalm : Oswego en 1756 et Carillon en 1758. Lorsqu’un groupe d’amis de la musique et de l’histoire a voulu faire revivre l’orgue de la cathédrale de Québec, victime des tirs de canons, j’ai applaudi. Comme j’avais retrouvé une pièce descriptive intitulée Siege of Québec, 1759, il m’a semblé que ce serait un beau clin d’œil à l’histoire que de faire jouer cette œuvre par l’instrument même qui avait été détruit lors de cet affrontement mémorable. Et voilà une autre jolie victoire… sur le temps. Notre histoire musicale s’est bien sûr poursuivie au-delà de ce tournant historique, mais en prenant d’autres formes, surtout celles de la résistance et de la résilience. L’héritage musical des pionniers du Québec offre à la fois une belle synthèse de notre histoire et un magnifique reflet de ce que nos bâtisseurs ont vécu et ressenti en construisant le pays. * L’Ensemble Nouvelle-France est en résidence au Musée de l’Amérique francophone. Pour en savoir plus L’Anthologie de la musique historique du Québec, sept disques, par l’Ensemble Nouvelle-France, www.ensemblenouvellefrance.com DOSSIER : de La musique avant toute chose REFLETS DÉCEMBRE 2014 15 Qu’est-ce que le rock’n’roll… québécois ? Par Sébastien Desrosiers Historien de l’art et coordonnateur de recherche pour le Musée du Rock’n’Roll Lorsque le rock’n’roll a commencé à faire des vagues chez nos voisins du sud en 1955 l’onde de choc n’a pas épargné la jeunesse québécoise. Après tout, ses nouvelles vedettes – Elvis Presley, Chuck Berry, Gene Vincent et d’autres – avaient immédiatement conquis les teenagers de tous les coins de l’Amérique. On serait donc tenté de croire que ce nouveau genre musical a trouvé à l’époque un écho immédiat auprès des artistes québécois. Or, dans les faits, la révolution culturelle annoncée par ses rythmes « suggestifs » a été au début bien timide en province. Les premiers exemples probants d’un rock’n’roll typiquement québécois, qu’ils soient anglophones ou francophones, sont présentés sur scène et pressés sur disque dès 1956. Le phénomène est d’abord jugé essentiellement fantaisiste tellement le contraste est marqué avec les autres styles en vogue. À vrai dire, on ne sait trop quoi faire de cette mode, qu’on envisage déjà comme « passagère ». Les premières compositions locales sont d’abord insérées aux tours de chant de vedettes country dans ce que l’historien Richard Baillargeon a justement qualifié depuis de « rock’n’roll laurentien ». Willie Lamothe courtise alors simultanément deux publics avec Rock’n’roll à cheval (1956), Ce qui compte, c’est le rock’n’roll (1958) et Rock, cowboy, rock (1960). Marcel Martel emboîte le pas en proposant son Rock’n’roll du père Noël à temps pour le réveillon de 1957, tout comme Léo Benoit avec son risqué Rock’n’roll dans le lit en 1958. Toutefois, André Lejeune les devançait déjà de quelques longueurs, ayant lancé ce qui pourrait bien être le tout premier album rock’n’roll original francophone du Québec, Qu’est-ce que le rock’n’roll ? (1956). Rapidement, quelques vedettes des cabarets montréalais suivent. Des pionnières insoupçonnées comme Irène « Mademoiselle Rythmes » McNeil (Le rock’n’roll du père Noël, 1957), Michèle Sandry (Le juke-box rock’n’roll, 1957) et Carmen Déziel proposent chacune diverses compositions et adaptations. Déziel, qui nous a quittés en septembre 2014, est fort probablement la toute première chanteuse au monde à avoir adapté en français les succès d’Elvis Presley, publiant dès 1956 Mes souliers bleus (Blue Suede Shoes) et Sois pas cruel (Don’t be cruel). Le genre gagne rapidement la faveur du public à la fin des années 1950, et accroît sa diffusion grâce à la fondation des maisons de disques Fleur-de-Lys et surtout Rusticana, en 1958. Propriété du populaire chanteur country Roger Miron – connu pour son succès À qui le p’tit cœur après neuf heures –, Rusticana s’impose comme une des plus importantes et influentes maisons de disques québécoises, pressant jusqu’en 1967 des centaines d’albums pour des artistes évoluant dans les mondes du country, du folk, du rock instrumental et des chants plus traditionnels. Fin gestionnaire, Miron organise bientôt de lucratives tournées provinciales dans lesquelles ses nombreux poulains sont en vedette. Rusticana révèle aussi à l’époque quelques sensations rockabilly anglophones bien de chez nous, tels Bob Davies et le guitariste Hugh Dixon. L’homme a du flair ! À l’affût des plus récentes tendances américaines, il convaincra des producteurs américains de faire bifurquer par le Québec les spectacles du fameux Chitlin’ Circuit, qui parcouraient le sud et la côte est des États-Unis depuis des décennies et proposaient majoritairement des performances d’artistes noirs. Il recrute ainsi quelques-uns des artistes du Circuit pour ses propres tournées, présentant tous ces nouveaux visages de Montréal à Rouyn. Comme la ségrégation n’est pas un phénomène répandu au Québec, de nombreux artistes prennent la décision de demeurer dans sa métropole, une ville beaucoup plus encline aux métissages culturels, et importent du coup des influences tropicales, R&B, blues, jazzées et rock’n’roll dans un Québec prêt à s’ouvrir au monde. C’est en partie cette ouverture au monde durant la Révolution tranquille qui forge progressivement notre singulière identité rock francophone sur un continent majoritairement anglophone. Si le « rock’n’roll laurentien » n’a pas été un électrochoc entraînant la perturbation profonde des mœurs, ses rythmes ont tout de même touché davantage les jeunes boomers québécois avec la venue du yé-yé vers 1964. Le phénomène est alors sans précédent et la folie, enivrante : plus de 800 groupes répertoriés (un nombre par habitant constituant un record inégalé), une centaine de maisons de disques, des salles de danse tous les coins de rue et des plateformes médiatiques s’adressant directement au public adolescent ! De 1964 à 1968, les yé-yé bouleversent toutes les conventions en confirmant leur règne sur les palmarès de la province. Même le clergé, en pleine mutation depuis Vatican II, surfera sur la vague en adoptant tant bien que mal les messes à gogo1 ! Cette véritable révolution rock québécoise fait l’objet d’une exposition au Musée du rock’n’roll du Québec d’octobre 2014 à mars 2015. Une cinquantaine d’artistes y sont présentés et une foule de documents d’archives y sont accessibles pour la toute première fois. Ne boudez pas votre plaisir : venez vous réapproprier votre patrimoine musical2 ! AVIS IMPORTANT indexation indexation indexation En conformité avec nos règlements généraux, le coût de l’adhésion à l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic (AQRP) sera indexé au 1er janvier 2015 : • la cotisation mensuelle passera de 4,42 $ à 4,50 $ • la cotisation annuelle passera de 53,00 $ à 54,00 $ Cet ajustement est nécessaire afin de maintenir le niveau actuel des avantages liés à l'adhésion à l'Association, dont les régimes d'assurance, les services directs aux membres et les démarches en défense des droits des retraités. 1. Résurrection ! Rock chrétien et messes rythmées du Québec 1964-1978 (Mucho Gusto; 2012). 2. www.museedurocknrollduquebec.com DOSSIER : de La musique avant toute chose REFLETS DÉCEMBRE 2014 16 Entrevue avec Paul-André Gagnon Propos recueillis par Yves Hébert Retraité du ministère de la Culture, titulaire de la classe de guitare du Conservatoire de musique de Québec (CMQ) de 1970 à 2006, professeur à l’Académie musicale du Domaine Forget de 1979 à 2010 et concertiste de guitare classique. Je débutais comme concertiste et je devais prouver que, malgré mon jeune âge, je pouvais former de futurs professionnels chevronnés. Le plus grand défi pour moi était de faire accepter la guitare classique dans un milieu « élitiste » et, disons-le, qui avait des préjugés défavorables sur la guitare. Aujourd’hui, je peux dire « mission accomplie ». La guitare est enseignée dans la plupart des conservatoires et universités du Québec – et j’espère qu’elle le sera toujours. Parmi vos élèves, qui a fait carrière comme guitariste ou musicien ? Il y en a eu plusieurs. Mentionnons les plus connus. Jean Vallières enseigne au Conservatoire de musique de Montréal. Denis Poliquin a obtenu le premier prix en guitare à Québec en 1979, il a enseigné aux conservatoires de Rimouski et de Val-d’Or et a fondé l’Académie de guitare de Montréal. Gabriel Hamel enseigne le jazz à l’Université Laval. Jimmy Leblanc a obtenu des prix en guitare et en composition; ses œuvres sont souvent présentées à la Société de musique contemporaine de Montréal. Paul-André Gagnon À quel moment avez-vous eu la piqûre pour la guitare et pourquoi avoir choisi cet instrument plutôt qu’un autre ? Ma mère était pianiste, diplômée de l’Université Laval. Mon père était contrebassiste professionnel et jouait également de la guitare. À 11 ans, j’ai eu un coup de cœur pour la guitare lors d’un concert du grand maître Andrés Segovia. Dès lors, mon père a commencé à me montrer à jouer de cet instrument. J’ai choisi la guitare classique parce que j’y retrouvais la polyphonie du piano et surtout le côté chantant des instruments à cordes, grâce à l’usage du vibrato. Le grand compositeur Hector Berlioz disait : « La guitare est un petit orchestre. » Durant votre carrière, avez-vous touché à différents styles, comme le jazz ? Au début, je me suis consacré principalement aux maîtres de la guitare classique Fernando Sor et Francisco Tárrega. Mon compositeur préféré a été sans contredit Jean-Sébastien Bach. Je jouais ses compositions pour le luth. Parmi les compositeurs modernes pour guitare, Heitor Villa-Lobos (Brésil) et Leo Brouwer (Cuba) ont souvent figuré dans mes programmes de concert. Le flamenco a aussi occupé une place importante dans ma carrière. D’ailleurs, j’ai suivi des cours en Europe avec le maître Paco Pena. À quel moment êtes-vous devenu professeur au Conservatoire de musique de Québec ? En janvier 1970, j’ai obtenu à 23 ans le poste de professeur de guitare classique au CMQ. À cette époque, l’engouement pour cet instrument était très fort et les postulants étaient nombreux. Après deux ans, j’ai eu la chance d’avoir un poste permanent et de pouvoir vivre de ma grande passion, la musique. Deux facteurs m’ont grandement aidé à obtenir ce poste : primo d’avoir étudié avec Alexandre Lagoya au camp des Jeunesses musicales du Canada (au parc national du Mont-Orford) en 1968-1969, et secundo d’avoir été le premier guita riste classique québécois à me produire en concert. Il y avait maints défis à relever : à cette époque, la guitare classique était un instrument méconnu en Amérique du Nord. Plus récemment, David Jacques fait une brillante carrière internationale et enseigne à l’Université Laval. Michel Angers est membre du Consort Laurentia, un duo formé avec la chanteuse Peggy Bélanger. Et Érick Labbé enseigne au Conservatoire de musique de Rimouski. Dans la musique populaire, Christian Roberge s’est illustré avec le groupe The Lost Fingers. Selon vous, quelles sont vos plus grandes réalisations au CMQ et dans le monde musical en général ? Comme pédagogue, ce dont je suis particulièrement fier, c’est d’avoir formé au CMQ plusieurs guitaristes professionnels reconnus. En 1979 j’ai démarré le stage de guitare classique au Domaine Forget à Saint-Irénée, qui est considéré maintenant comme l’un des meilleurs en Amérique. Chaque été, des virtuoses internationaux parmi les plus grands viennent s’y produire et enseigner. Le stage attire des étudiants de nombreux pays. Comme concertiste, je mentionnerais plusieurs récitals diffusés par RadioCanada, et les participations aux matinées symphoniques de Montréal avec le maître Wilfrid Pelletier et l’Orchestre symphonique de Québec. J’ai fait des tournées de concerts éducatifs pour les Jeunesses musicales du Canada et joué aux États-Unis et en France. En 1975, j’ai été sélectionné pour jouer au premier festival de guitare canadien à Toronto. Vous avez réalisé des arrangements des mazurkas de Chopin pour deux guitares. Quelle place occupe ces arrangements dans votre carrière ? En 1994, j’ai repris ma carrière de duettiste avec Jacques Chandonnet, professeur à l’Université Laval et ami de longue date. Nous avons décidé de transcrire quelques mazurkas de Chopin, car nous adorions cette musique. Ç’a été un coup de cœur, et cette source a alimenté l’essentiel de nos programmes de concerts pendant plusieurs années. Les mazurkas, par leur caractère, leur tessiture et leur style d’écriture, s’adaptent merveilleusement bien pour deux guitares. Pour couvrir le registre, nous avons ajouté une septième corde sur nos instruments. Chopin, qui affectionnait particulièrement la guitare, aurait affirmé que « rien n’est plus beau qu’une guitare, sauf peut-être deux ». DOSSIER : de La musique avant toute chose REFLETS DÉCEMBRE 2014 17 Du 78 tours au iPad : des anciennes techniques aux nouvelles Par Yves Laberge Sociologue et chroniqueur à la revue Cap-aux-Diamants En moins d’un demi-siècle, nous sommes passés du 78 tours au disque vinyle pour ensuite adopter la cassette, puis la cassette huit pistes, destinée principalement aux automobiles. La cassette a maintenu sa présence jusqu’à la fin des années 1990 grâce au Walkman, qui alliait légèreté et mobilité. Par la suite, l’apparition du CD au milieu des années 1980 a fait progressivement disparaître les supports précédents. Plus récemment, la création de l’iPad a bouleversé nos habitudes d’écoute. Bref, notre génération a connu jusqu’à maintenant au moins quatre modes d’appréhension de la musique. visuelle (pochette dépliante avec photographies). Le disque devenait beaucoup plus qu’une suite de chansons : il constituait un concept audiovisuel et un objet d’art. Ce raffinement n’était pas toujours possible à l’époque du 78 tours, qui n’était généralement pas accompagné d’une pochette (sauf une enveloppe protectrice en papier, souvent interchangeable). C’est le disque 33 tours qui, à partir de 1956, a commencé à offrir de l’information (et des images) grâce à sa pochette. Par la suite, la cassette et le CD ont réduit le format des documents d’accompagnement – et le iPad a pratiquement anéanti ces compléments. On se souviendra que des artistes comme Elvis Presley, Charles Aznavour et Jean-Pierre Ferland ont commercialisé leurs premiers enregistrements sous forme de 78 tours même si on trouve désormais leurs œuvres sur CD et sous forme de téléchargements pour iPad. Toutes ces mutations ont été imposées au public en raison de leur côté pratique (miniaturisation) et de leurs améliorations de la qualité sonore. On peut cependant ajouter que la clientèle n’avait pas le choix de se convertir à chaque nouvelle technologie : le 33 tours avait fait disparaître le 78 tours, tout comme le CD a remplacé le disque vinyle entre 1985 et 1991. Bien des gens ont liquidé leur vieille collection de 33 tours et jeté leur tourne-disque sans se douter que le disque conventionnel reviendrait un jour en vogue. En un sens, nous sommes revenus comme à l’époque du 78 tours : avec le iPad, nous achetons désormais des chansons pour les consommer sans rien d’autre et sans connaître précisément les circonstances de leur création (origine exacte, nom des compositeurs et des auteurs, nom des musiciens, date des enregistrements). Bien sûr, tous ces renseignements se trouvent quelque part sur Internet, mais qui voudra prendre la peine de les chercher ? Et où pourra-t-on les emmagasiner et les classer ? En effet, ce n’est qu’après quelques années que certains audiophiles se sont rendu compte que rien ne pouvait vraiment remplacer ni égaler la qualité sonore du disque vinyle, notamment pour le rendu des basses, la définition des instruments et la profondeur du son. Cependant, ces mélomanes pratiquant l’écoute active constituent une minorité, et bien des gens ne voient pas la nécessité d’accorder autant d’importance à la qualité du son, préférant consommer une musique percutante (sur une chaîne audio puissante) pour s’amuser ou pour danser. D’autres consommateurs occasionnels choisissent au contraire d’utiliser la sonorisation uniquement pour diffuser une musique de fond servant à meubler une conversation décontractée entre amis. Parallèlement, il faut considérer la place de la radio comme moyen de découvrir de nouvelles pièces musicales. C’est la radio qui porte à notre attention les pièces que nous écouterons demain et que nous voudrons peut-être acheter. En fait, il est rare qu’on achète un disque d’un artiste qu’on n’a jamais entendu ou d’une formation qui nous est inconnue. Certains mélomanes ont le goût de la découverte, mais compte tenu du prix des disques (ainsi que de l’espace limité pour les conserver), la plupart des gens préfèrent acquérir des œuvres qui leur sont déjà familières. Encore de nos jours, la radio reste le moyen privilégié de découvrir de nouveaux contenus musicaux. La télévision et l’Internet, comme les musiques d’ambiance entendues dans les lieux publics, peuvent aussi contribuer à ces découvertes. C’est pourquoi les compagnies qui produisent et commercialisent des œuvres musicales ont toujours donné systématiquement leurs nouveaux disques à toutes les stations de radio. C’est aussi la raison pour laquelle le gouvernement fédéral tient à imposer des quotas quant au contenu canadien et au contenu francophone – autrement, si on laissait aller les stations de radio, on n’entendrait pratiquement plus d’artistes canadiens sur leurs ondes. Cela dit, le principal impact des nouvelles technologies sur l’écoute de la musique a trait à l’emballage, plus précisément à la pochette. Avec la sortie en 1967 du disque Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, nous avons connu l’âge d’or de la pochette, qui devenait informative (contenant les paroles des chansons), esthétiquement riche et le résultat d’une grande créativité Service d’aide téléphonique Vos droits ne sont pas à la retraite 1 866 497-1548 Gratuit pour les membres de l’AQRP Un service de référence et d’orientation en défense des droits Ce service a été mis sur pied grâce à l’implication de