Le génocide des Herero et Nama dans le Sud-Ouest Africain

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Le génocide des Herero et Nama dans le Sud-Ouest Africain
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mémoire
LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 909 - juin 2016
Le génocide des Herero et Nama
dans le Sud-Ouest Africain allemand
Si la colonisation européenne
a beaucoup tué dans le monde,
le génocide en Namibie
« allemande » en 1904 reste
une exception.
C
’est le dernier quart du 19e siècle qui
vit les puissances européennes se
ruer sur l’Afrique (entre autres) et
rivaliser dans les efforts de « civilisation »
prétendue, pour s’assurer tous les avantages
économiques supposés que pourrait apporter la domination sur ces territoires. Plus de
la moitié de la population du Congo devenu
« belge » disparut, et du nord (Maghreb) au
sud du continent, les populations payèrent
un lourd tribut. De même, l’Asie pourrait
figurer sur cette liste.
« Races sauvages »
Beaucoup d’Européens considéraient les
populations d’autres continents, à la peau
colorée, comme inférieurs, et proches des
races animales. D’innombrables écrits
déve­loppent cette position raciste et inégalitaire. Darwin, pour qui il n’existe
qu’une seule race humaine, plaisante
sur les élucubrations de ses contemporains, dont il énumère les théories aboutissant à « deux, trois, quatre, cinq, six,
sept, huit, onze, quinze, seize, vingt-deux,
soixante ou soixante-trois espèces ou races
différentes ». Pourtant il se laisse aller à
imaginer que, quelques siècles plus tard,
certaines « races sauvages » ont toutes
chances d’avoir été éliminées.
En Allemagne aussi, la discussion était
vive, les philosophes Kant et Hegel, par
exemple, peuvent être considérés comme
racistes, et la notion de « race » a été introduite dans la langue allemande par Kant.
Il faut aussi mentionner l’existence d’associations, de sociétés et groupements divers,
qui répandaient des notions de supériorité raciale et défendaient les conquêtes
territoriales au mépris des habitants d’origine, et dont l’activité se poursuivit largement au cours du 20e siècle, préparant le
­terrain à Hitler.
Des penseurs, souvent moins connus, ont
défendu des thèses inverses. Il faut ­citer au
moins le nom de Georg Gerland, un anthropologue allemand, pour qui la colo­
nisation européenne est mortelle pour les
populations des pays ainsi conquis. Il parle
des occupations britannique et néerlandaise
comme d’« affreuses dominations arbitraires », d’« asservissement », de « ­rapines ».
Dans l’Allemagne de la ­seconde moitié du
19e siècle, l’ensemble des nations colonisatrices européennes est souvent mal vu.
Bien sûr, le pays n’avait pas encore de colonies à l’époque… Pourtant, il faut noter
que les expéditions coloniales espagnoles,
portugaises ou britanniques comportaient
pratiquement toujours des scientifiques,
chercheurs, missionnaires ou commerçants allemands, et cela dès le milieu du
16e siècle, et que l’idée de créer des colonies allemandes se fit jour dès le milieu
du 17e siècle, la première réalisation se situant au Ghana actuel, avec le comptoir de
la « Côte de l’Or », en 1683. La compagnie
commerciale qui s’y installa pratiqua le trafic d’esclaves, environ 30 000 de sa création à son abandon en 1717. Dans la seule
année 1693 elle en vendit ainsi 6 000, soit
pour cette année-là plus que la France, la
Grande-Bretagne et les Pays-Bas réunis !
Symbole du colonialisme allemand, la statue du « Cavalier du Sud-Ouest »
à Windhoek en Namibie, fut érigée en 1912, face à l’église luthérienne, pour
honorer les militaires et civils allemands morts durant « la guerre » contre les
Herero en 1904-1907. Ignorant les dizaines de milliers de Herero sciemment
massacrés par les colonisateurs, le monument est relégué depuis 2013 dans la
cour intérieure d’un ancien fort allemand.
« Sud-ouest africain
allemand »
On peut dater de 1884 le début de l’activité
coloniale de l’Allemagne. C’est l’année où
des commerçants avisés, aidés par un missionnaire, achetèrent à un roitelet local une
baie et une importante zone côtière au sudouest de l’Afrique. Une somme relativement
minime (600 livres sterling) et 260 fusils ouvraient ainsi un territoire d’autant plus étendu que le traité définissait les dimensions
de la zone cédée en
milles géographiques
(7,4 kilomètres), fort
différents des milles
anglais (1 853 m), seuls
Les résultats catastrophiques des premières
implantations coloniales posèrent parfois des
connus des chefs loquestions morales aux responsables, et c’est ainsi que
caux. C’était le début
le roi d’Espagne Charles-Quint interdit provisoirement
de ce qui deviendrait
les conquêtes coloniales en avril 1550. Une commission
le « Sud-Ouest Africain
devait décider de leur légitimité, mais ne parvint à
allemand », Namibie
aucun résultat, et la colonisation fut poursuivie.
­aujourd’hui. Bismarck
Pour prendre un exemple dans une toute autre région
accorda le 24 avril 1884
du monde, on peut citer la grande île de Tasmanie, au
large du sud-est de l’Australie. En 1803, un contingent
le statut de protectorat
de colons anglais accompagnant un petit groupe de
à ce territoire, occucondamnés à la déportation criminelle et de soldats
pé essentiellement par
pour les garder, partirent à la conquête de l’Ile,
des populations d’ethdépossédant les habitants (5 000 à 10 000 personnes),
nies Herero et Nama,
les parquant dans des zones arides, et tuant au hasard.
en même temps qu’au
De plus en plus nombreux, les colons « ratissèrent »
Cameroun. Par la suite,
l’île en 1830, à la recherche d’aborigènes survivants.
Il n’en restait plus que 300, et la dernière mourut en
l’Allemagne acquit ou
1876.
conquit d’autres terriS’agissant de l’Afrique, qui tiendra la place principale,
toires, Tanganyika en
on note les premiers contacts par des explorateurs
1885, Togo en 1894,
néerlandais dans la région du Cap, en Afrique du Sud,
Rwanda puis Burundi
au milieu du 17e siècle, et le transfert d’esclaves libérés
à partir de 1896, sans
des Etats-Unis dans ce qui devint le Libéria en 1822.
compter des comptoirs
La conquête européenne de « l’au-delà des mers »
C’est bien avant Christophe Colomb que des
navigateurs européens ont commencé à tenter de
découvrir d’autres continents, que des contes et
légendes situaient vaguement « au-delà des mers ».
En 1312 le Gênois Malocello découvrit Lanzarote,
mais la première expédition à rallier les Canaries
n’y parvint que près d’un siècle plus tard, en 1402.
Cet archipel était déjà habité par un peuple, les
Guanches, sans doute d’origine berbère, au nombre
d’environ 80 000, qui y avaient développé un mode
de vie organisé. Il ne fallut qu’environ un siècle et
demi de présence des « colons » d’Europe pour
saccager l’environnement, exproprier les habitants et
les décimer, certes involontairement, surtout par les
diverses maladies qu’ils avaient apportées avec eux.
Très peu d’autochtones survécurent. Pour en revenir
à Christophe Colomb, qui découvrit les Antilles
en 1492, ouvrant ainsi la porte à une expansion
européenne sur l’ensemble du continent américain,
on estime que 90 ou 95 % des quelque 70 millions
d’habitants d’origine, du nord au sud des Amériques,
ont disparu dans les trois siècles suivants par suite des
maladies, de la malnutrition, des conditions de travail
inhumaines et d’assassinats purs et simples.
ou des territoires ­divers en Asie et dans le
Pacifique. Mais pour en rester au territoire
qui nous intéresse, le Sud-Ouest africain,
le calme y régna longtemps, la présence
coloniale se faisant à peine sentir à travers
une présence réduite de fonctionnaires alle­
mands (jusqu’en 1885, trois personnes !) et
une activité commerciale sans effets nocifs.
C’est seulement au début des années 90 que
la présence croissante de fonctionnaires, de
soldats et de colons commença à entraîner
des réactions de rejet.
La décennie 1893-1903 vit augmenter
la fréquence d’incidents entre les ethnies
­locales et les occupants, de plus en plus nombreux. Durant cette période le nombre des
Allemands présents dans la colonie passa
d’environ 300 à près de 3 000, dont quelque
2 000 militaires actifs ou de réserve. Les vols
de bestiaux, les occupations illégales de terrains agricoles, les brutalités, les viols surtout, de plus en plus fréquents, prirent peu à
peu une importance considérable aux yeux
de la population, et les bagarres, puis les
luttes armées devinrent fréquentes.
En 1897, une épidémie de peste bovine
décima le bétail des indigènes, alors que les
colons allemands, grâce à l’emploi de vaccins, parvenaient à sauver leur propre bétail
dans une grande proportion. La survie économique des ethnies locales devenait problématique, les colons devenaient de plus en
plus exigeants, l’administration avait institué
de lourds impôts, et cherchait à en obtenir le
paiement par tous les moyens, même par la
force. Le mépris racial des Blancs se traduisait pour les autochtones par des b
­ rimades
mémoire
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arbitraires et des brutalités de plus en plus
insupportables.
Pour donner un exemple de ce que les
Africains avaient de plus en plus de mal à
supporter : porter plainte en justice contre
des Blancs était très rarement suivi d’effet,
et une association colonialiste allemande
réclamait que, le cas échéant, le témoignage
d’un Blanc ne puisse être contesté qu’au
minimum par celui de sept indigènes ! Les
Africains se sentaient véritablement réduits
en esclavage, et p
­ rivés de tous droits.
Vengeance et punition
Il n’est donc pas étonnant rétrospectivement que les Herero, sous l’impulsion entre
autres d’un certain Samuel Maherero, se
soient soulevés en janvier 1904. Pourtant
les Allemands furent surpris, d’autant plus
que le gouverneur se trouvait justement à ce
moment dans le sud de la colonie à la tête
d’une grande partie de ses troupes pour réduire par la force un conflit local avec les
indigènes Nama. Les Herero prirent le pouvoir en quelques jours dans tout le centre
du pays, occupant les lotissements des colons et les fermes isolées, et les pillant au
passage. Contrairement aux bruits qui se
répandirent aussitôt parmi les Allemands,
si 123 colons furent tués dans ces combats, les Herero avaient systématiquement
épargné les femmes, les enfants et les missionnaires, de même que les Anglais et les
colons d’origine hollandaise. Bien entendu,
des troupes de renfort ne tardèrent pas à
débarquer. Vengeance et punition étaient
les mots d’ordre, et en même temps l’idée
qu’il y avait là une ­excellente occasion de
régler définitivement en faveur des colons
les questions de propriété et de territoires.
Les déclarations incendiaires et les appels
à une élimination intégrale des populations
locales prenaient une ampleur inquiétante.
En Allemagne même, les évènements ne
passaient pas totalement inaperçus, et le
député August Bebel protesta vivement en
mars 1904 contre « les méthodes de guerre
barbares » en Afrique.
Le gouverneur de la colonie, Leutwein,
avait jugé indispensable d’adresser en
­février 1904 un message à la « Section
colo­niale » du ministère, pour tenter d’éviter un massacre imminent : « En dehors
du fait qu’on ne peut détruire aussi facilement une population de 60 000 à 70 000
âmes, je considèrerais cette mesure comme
une grave erreur économique. Nous avons
­encore b­ esoin des Herero comme petits éleveurs et surtout comme main d’œuvre ».
Leutwein tenta même de négocier avec
le chef r­ ebelle Samuel Maharero, mais
les indigènes n’avaient pas l’intention de
­céder, et les Allemands encaissèrent de
­sérieux revers.
Guillaume II releva Leutwein de ses fonctions et nomma à sa place un militaire, le
général Lothar von Trotha, qui avait déjà
fait ses preuves dans les territoires « allemands » d’Afrique orientale de 1894 à 97,
et en Chine, où il avait mis fin à la révolte
des Boxers en 1900. Il avait la réputation
d’être « sans pitié », et était connu pour ses
« méthodes de guerre brutales ».
C’est au mois d’août 1904 que Trotha put
lancer son attaque décisive contre le gros
de la population Herero, rassemblé dans
la zone montagneuse du Waterberg où ils
se croyaient à l’abri avec femmes, enfants
et troupeaux. La zone qu’ils occupaient
était trop étendue pour permettre aux
troupes alle­mandes de les encercler, comme
cela avait été envisagé. Mais Trotha avait
prévu cette situation, et il mit en oeuvre
une solution particulièrement cruelle,
qui ­consistait à laisser une seule voie possible aux Herero pour échapper à la destruction directe : la fuite en direction de
la zone désertique d’Omaheke, où il était
évident qu’ils ne pourraient, aussi nombreux, ­survivre ­longtemps avec leur bétail.
Le plan, tel qu’il fut résumé dans un docu­
ment officiel de l’Etat-Major général allemand en 1906 était simple : « Si les Herero
tentaient une percée dans la seule direction
laissée dégarnie, cette solution ne pouvait
paraître que très désirable aux yeux du commandement allemand, puisque l’ennemi se
précipitait volontairement vers sa destruction. Les vastes étendues de sable dépourvues d’eau ne pouvaient que les mener à la
mort de soif ».
Anéantissement
du peuple Herero
Non content de cette perspective, ­jugée
insuffisante, Trotha décida de lancer, deux
jours seulement après la bataille, une poursuite des populations en fuite, pour les
écarter systématiquement des points d’eau
utilisables. Le même document de l’EtatMajor de 1906 est clair : « On n’épargna aucun effort, aucune privation, pour retirer à
l’ennemi le dernier reste de sa force de résistance, poursuivi de point d’eau en point
d’eau comme un animal demi-mort, jusqu’à
ce qu’il finisse, victime résignée de la nature
de son propre pays. L’Omaheke dépourvu d’eau devait faire aboutir ce qu’avaient
commencé les armes allemandes : l’anéantissement du peuple Herero ».
Ces perspectives ne suffisaient sans doute
pas, et il aurait fallu attendre trop longtemps
le résultat final. Un mois et demi seulement
après la bataille de Waterberg, le général von
Trotha édicta le 2 octobre 1904 un document
connu comme « Ordre de tir », ou « Ordre
d’anéantissement » (Vernichtungsbefehl) :
tous les Herero étaient interdits de séjour
dans leur pays, les contrevenants seraient
abattus, même les femmes, une prime de
1 000 marks est promise à qui livrera des
responsables du soulèvement, et même 5 000
marks pour Samuel Maharero.
Toute résistance des colonisateurs « raisonnables », comme le gouverneur Theodor
Leutwein, était vaine. Début novembre 1904,
alors que des dizaines de milliers de Herero
étaient encore en train de lutter contre la
mort dans le désert où ils avaient été poussés, le « vainqueur » von Trotha écrivait à
Leutwein : « Je connais bon nombre de races
en Afrique. Elles se ressemblent toutes en
ceci qu’elles ne cèdent qu’à la force. Exercer
cette force par une terreur brutale et même
avec cruauté, a toujours été et reste ma politique. Je détruis les groupes rebelles dans
des flots de sang et des flots d’argent. C’est
seulement sur ce terreau que peut apparaître quelque chose de neuf, qui ait de la
substance ».
Quant aux soldats, jeunes en général, qui
étaient ainsi lancés dans des campagnes
meurtrières, ils se sentaient tenus à accom­
plir les ordres les plus cruels, toute hésitation risquant de leur coûter cher. Les colons,
quant à eux, « au bénéfice » ­desquels ­l’armée
prétendait agir, étaient sous ­l ’emprise de la
peur, et de la haine d’autochtones qui les
considéraient (à juste titre) comme des voleurs de terres et de bétail. Dans son immense majorité, si elle ne participait pas, la
population métropolitaine fermait les yeux
sur les ­horreurs, considérant que tout ce qui
réduisait la place des indigènes était positif.
La volonté de Trotha d’éliminer physiquement la population entière ne choquait
pas les responsables allemands, mais il leur
sembla bientôt que le but était hors de portée. Le chef de l’Etat-Major, le maréchal
Schlieffen, intervint en ce sens auprès du
chancelier von Bülow, qui obtint de l’empereur l’annulation de l’« Ordre de tir » en
décembre 1904, remplaçant le massacre par
la création de « camps de concentration »
(KZ), première apparition du terme dans
un document allemand !
Camps, guérilla,
et anthropologie raciste
Ce type de camps avait été mis au point
par les Espagnols à Cuba, moins de dix
ans auparavant, et développé plus récemment par les Anglais en Afrique du Sud.
Contrairement aux camps de prisonniers
de guerre, ces camps voyaient entasser, avec
les hommes adultes, également les vieillards,
les femmes et les enfants, tous mis au travail autant que possible, sous-alimentés,
battus sauvagement, et les femmes violées.
La mortalité se situa autour de 50 %, et
même près de 70 % pour les détenus du KZ
dit « Camp de l’Île aux Requins », obligés
de construire des voies de chemin de fer.
Pendant ce temps, l’autre grande ethnie
nami­bienne, les Nama, étaient entrés dans
la lutte. Avertis par la défaite des Herero, ils
se concentrèrent sur une tactique de guérilla qui dura trois ans, jusqu’à leur abandon
désespéré de la lutte en mars 1907, après
que leurs chefs aient été tués.
Vaincus, les Herero survivants étaient livrés au libre arbitre des occupants allemands,
bien que pour certains de ceux-ci l’élimination progressive d’une force de travail indispensable soit totalement contreproductive.
Par contre, l’abondance des cadavres de
Herero réjouissait une coterie particulière :
les « anthropologues », qui cherchaient à
étayer des théories raciales démontrant
la « supériorité » des Blancs sur toutes les
autres créatures, auxquelles ils refusaient
la qualité d’êtres humains. Les crânes des
Herero morts devenaient des objets « scientifiques » en vue de « recherches » racistes.
C’est ainsi qu’un de ces « chercheurs », Eugen
Fischer, auquel Hitler se référa plus tard
parmi d’autres, a « examiné » 778 crânes de
Herero et Nama provenant des camps. Sa
conclusion, évidente, démontrait l’infériorité de ces « races », qu’il considérait comme
« animales ». On pourrait citer d’autres
noms de « chercheurs » qui se sont illustrés
à l’époque dans ce domaine, sans oublier
les « collectionneurs » anonymes qui ont
également manipulé, vendu, échangé des
crânes de malheureux indigènes victimes
des camps ou morts au combat contre les
conquérants germaniques.
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Ordonnances
sur les indigènes
Les camps de concentration furent fermés
en janvier 1908, et une « Ordonnance sur
les indigènes » définit les nouvelles règles
auxquelles ceux-ci devraient dorénavant se
plier : ils ne pourraient posséder ni terre,
ni bétail ; ils devraient habiter dans des
petits regroupements ne dépassant pas 10
familles. Soumis à un « contrôle total »,
chacun ­devrait porter de façon visible
une marque d’identification (Passmarke),
­correspondant à un registre central, et cette
marque devait être présentée sur simple demande, non seulement aux membres des
forces de police, mais à « tout Blanc » qui
en ferait la demande.
Les punitions corporelles devenaient
­légales, et furent employées sans mesure.
Enfin les phantasmes de domination ­totale
et d’élimination de toute présence indigène
prirent des formes à peine imaginables,
­a llant de l’idée d’une transplantation de
l’ensemble des Herero et Nama, les uns vers
le sud, les autres vers le nord, par exemple
vers d’autres colonies allemandes, ou même
en Nouvelle-Guinée. On alla même jusqu’à
évoquer un rationnement alimentaire des
indigènes. Ce mépris des populations locales atteignait un point extraordinaire, et
pourtant il faut noter qu’à aucun moment
la résistance ne cessa au sein des ethnies
colonisées.
Les auteurs de l’ouvrage dont nous retirons la description de ce génocide colonial
ont tenté de mettre au jour les facteurs qui
ont joué dans un drame resté relativement
exceptionnel.
Bien entendu la recherche de territoires
exploitables, le racisme faisant voir les habitants d’origine en quasi-animaux dont
l’existence ou la suppression ne tiraient pas
à conséquence, les théories pseudo-scientifiques visant à démontrer pourquoi il était
légitime pour les colonisateurs d’avoir tous
les droits et d’user de tous les pouvoirs,
contribuaient à effacer chez les colons le
sentiment d’injustice, quoi qu’ils fassent.
À la longue, il y a selon les auteurs un phénomène d’« habituation » aux situations les
plus violentes. L’impunité, voire les encouragements, sont des éléments susceptibles
de modifier le comportement d’individus
ordinaires, privés de principes bien ancrés de comportement, et de les conduire
à l’imitation des pires attitudes.
Le comportement des militaires et des colons dans la Namibie de la fin du 19e siècle
a réduit, entre 1884 et 1911, le nombre des
habitants Herero d’environ 60 000 à 80 000 à
juste un peu plus de 15 000, et cela essentiellement par la manœuvre ­génocidaire
de 1904.
C’est en 2004 qu’une ministre de la RFA
viendra enfin exprimer les regrets et les
excuses allemands.
Jean-Luc Bellanger
FISCHER, Nemad CUPIC, Die
Kontinuität des Genozids, Die europäische
Moderne und der Völkermord an den Herero
und Nama in Deutsch-Südwestafrika, (La
continuité du génocide, L’Europe moderne
et le génocide des Herero et Nama dans le
Sud-Ouest Africain allemand), Editions
AphorismA, Berlin, 2015 (non traduit).
n F lorian