LES MÉTHODES D`INVESTIGATION Une
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LES MÉTHODES D`INVESTIGATION Une
LES MÉTHODES D’INVESTIGATION Une méthode d’investigation est une procédure définie qui permet d’interroger scientifiquement une certaine réalité. Pour appréhender un phénomène, tout chercheur doit faire un choix, parmi différentes méthodes, qui dépend du type de recherche poursuivie et de la nature de l’hypothèse de recherche. Les méthodes sont des procédures de travail; on doit donc d’abord définir ses objectifs et son hypothèse avant de décider de ses méthodes: celles-ci doivent être adaptées aux besoins et non l’inverse. Par exemple, dans certains domaines de recherche on pratique systématiquement l’analyse de discours, mais jamais l’observation participante. Ailleurs, on fera des sondages ou des entrevues. Les chercheurs, dans chaque discipline, ont élaboré ou adapté certaines méthodes qu’ils utilisent systématiquement, car elles conviennent parfaitement aux objets qu’ils étudient. Il y a cependant des choix à faire, car plus d’une méthode peut être utilisée, et chaque chercheur doit déterminer quelles sont les méthodes de recherche les mieux adaptées à sa problématique. Voici quelques-unes d’entre elles. Les différentes méthodes L’observation systématique On parle d’observation lorsqu’un chercheur va sur le terrain et constate par lui-même les faits. Il recueille ses observations en prenant des notes, en tenant un journal de bord ou en utilisant une technique d’enregistrement audio ou audiovisuelle. On dit que cette forme d’observation est systématique car elle ne procède pas au hasard et qu’elle est méthodique. On distinguera l’observation neutre et l’observation participante d’une part, et l’entrevue directive, semi-directive et non directive d’autre part. Le chercheur qui pratique l’observation neutre se fait «le plus petit possible» et assiste en spectateur aux interactions qui ont lieu sur le terrain qu’il choisit d’étudier. À la limite, le chercheur peut être invisible: il utilisera alors une caméra cachée ou se fera passer pour quelqu’un d’autre (par exemple, en se présentant comme un participant au même titre que les autres personnes du groupe); ce type d’observation pose cependant des problèmes éthiques. Un chercheur pourra aussi simplement observer en tentant de «se faire oublier»; il faut alors tenir compte du fait que les gens observés modifient parfois leur comportement. L’observation participante implique que le chercheur tente de s’intégrer au groupe observé tout en avouant ses intentions de chercheur: qu’on pense, par exemple, à l’anthropologue qui vit avec une peuplade primitive pendant un certain temps, qui apprend sa langue, se plie à ses usages, etc. Quand on utilise ces deux formes d’observation, il faut que les rapports de recherche soient complets et systématiques (en fonction des objectifs de la recherche), et qu’on fasse preuve d’une grande perspicacité. Au cours d’une entrevue, on demande à une personne appartenant au groupe que l’on désire étudier de répondre à un certain nombre de questions. Selon le type d’information que l’on cherche, on posera des questions fermées, c’est-à-dire qui ne laissent aucune latitude à la personne interviewée; on parlera alors d’entrevue directive. On peut, au contraire, donner à la personne interviewée toute latitude pour choisir les thèmes ou le © Les Éditions de la Chenelière inc., 2006, Savoir plus : outils et méthodes de travail intellectuel, 2e éd. (Raymond Robert Tremblay et Yvan Perrier) 1 type de réponses; on parle alors d’entrevue non directive. On peut, enfin, laisser une certaine marge de manœuvre à la personne interviewée, mais en insistant pour qu’un certain nombre de questions ou de thèmes soient abordés; on parle alors d’entrevue semidirective. Dans tous les cas, l’intervieweur cherche à avoir un certain nombre de réponses ou de réactions de la part de ses sujets. Il doit donc suivre le canevas d’entrevue qu’il aura préparé, lequel sera plus ou moins rigide selon le type d’entrevue. Il doit aussi choisir, selon ses objectifs, un moyen d’enregistrer les réponses: les noter, faire un enregistrement audio, ou faire un enregistrement audiovisuel. On parle d’histoire de vie lorsqu’à l’aide d’entrevues non directives, un chercheur s’intéresse à la biographie d’une personne, ou d’un petit groupe de personnes. Il collecte alors une grande quantité d’informations à propos de cette personne, ou de ce petit groupe de personnes, en s’intéressant surtout à ses propres perceptions et interprétations des faits. En appliquant divers outils d’analyse — sociologiques, psychosociologiques ou psychologiques — , il cherchera à dégager le sens de cette existence, les mécanismes de justification utilisés par la personne et quelquefois à mettre en évidence son caractère exemplaire par rapport à une certaine catégorie de gens. Les recherches basées sur des statistiques L’avantage des recherches qui se basent sur les statistiques est la rigueur qu’elles permettent. Cependant, les chiffres ne peuvent pas saisir toutes les réalités. De plus, les données qu’on utilise, lorsqu’elles ont été recueillies par quelqu’un d’autre (Statistique Canada, par exemple), peuvent ne pas correspondre exactement aux catégories définies pour les besoins de notre recherche. Voyons en quoi consistent les sondages et les études statistiques. Pour faire un sondage, on doit choisir un échantillon significatif au sein de la population qu’on veut étudier. La meilleure façon de le faire est de constituer un échantillon au hasard et de vérifier ensuite si cet échantillon est représentatif des caractéristiques déjà connues de la population étudiée — distribution par tranches d’âge, sexe, revenus, etc. En appliquant des méthodes statistiques standard, on peut alors conclure que les opinions recueillies auprès de l’échantillon représentent correctement les opinions de la population étudiée. On doit apporter un soin particulier à la confection du questionnaire qui sert à un sondage, de manière à ce qu’il ne soit pas biaisé et qu’il permette bien de recueillir les informations qu’on recherche. Quand on fait une étude statistique, on utilise des chiffres qui ont été compilés par d’autres personnes et dans un autre but que le nôtre. Cette méthode est très accessible et extrêmement économique, et a le degré de fiabilité des sources sur lesquelles elle s’appuie. Il faut sélectionner soigneusement ces sources, car il se peut que les catégories retenues dans d’autres études ne correspondent pas exactement aux catégories qui nous intéressent. Par exemple, les chiffres officiels sur l’économie canadienne ne tiennent généralement pas compte de l’économie souterraine ou du travail non salarié, comme le bénévolat si vous voulez connaître la valeur totale du travail effectué au Canada, il manquera donc deux données essentielles dans les statistiques officielles. En outre, si l’on veut étudier les gens qui ont un revenu qui se situe entre 25 000 $ et 35 000 $ dollars, alors que les chiffres que l’on possède découpent des intervalles de 20 000 $ à 30 000 $ et de 30 000 $ à 40 000 $, il © Les Éditions de la Chenelière inc., 2006, Savoir plus : outils et méthodes de travail intellectuel, 2e éd. (Raymond Robert Tremblay et Yvan Perrier) 2 faudra tenir compte de ces différences: on parle alors de différence de catégorisation. Les méthodes expérimentales On appelle méthodes expérimentales les méthodes de recherche qui permettent aux chercheurs de contrôler un certain nombre de variables afin de confirmer ou d’infirmer une hypothèse. La méthode expérimentale crée une situation relativement artificielle au sein de laquelle l’observation et la collecte des données sont facilitées. On peut faire des expériences en laboratoire, ou des recherches sur le terrain. Au cours d’une expérience en laboratoire, le chercheur contrôle tout à fait l’environnement de l’expérience et les variables impliquées. C’est une situation artificielle où les sujets de l’expérience sont appelés à accomplir certains gestes ou à réaliser diverses performances qui sont observés systématiquement et mesurés avec précision. Généralement, le chercheur tente aussi de vérifier l’exactitude d’une hypothèse en ne faisant varier qu’une seule variable, toutes les autres étant strictement contrôlées. On obtient alors des résultats très sûrs. Cependant il faut disposer de grands moyens pour faire de telles expériences. En outre, plusieurs objets de recherche, notamment en sciences sociales, ne peuvent pas être étudiés en laboratoire. Plusieurs situations «naturelles» ne peuvent pas être reproduites ou alors elles sont tellement transformées que les données recueillies ne sont plus significatives. En psychosociologie, en sciences sociales et en sciences de l’éducation, on pratique souvent une forme d’expérimentation sur le terrain. On peut, par exemple, mesurer l’efficacité relative de diverses formules pédagogiques. On obtient alors des résultats fiables bien que toutes les variables impliquées ne soient pas toujours faciles à contrôler. Les variables parasites sont la principale difficulté des études expérimentales de terrain, précisément parce que le chercheur n’a pas de contrôle sur elles. Malgré tout, bien des problèmes intéressants ne peuvent être étudiés rigoureusement que si l’on a recours à l’expérimentation sur le terrain. Lorsqu’une relation significative est constatée entre deux variables, il se peut que ce lien ne puisse être expliqué par l’impact de la variable indépendante sur la variable dépendante, mais plutôt par l’intervention d’une variable cachée: on appelle «variable parasite» une telle variable (parce qu’elle «parasite» la variable indépendante). Les études sur des archives et des artefacts L’histoire et l’archéologie pratiquent très souvent ces méthodes, car leur objet d’étude appartient au passé; il est par conséquent impossible de rencontrer les acteurs sociaux que vise l’étude. Le travail de terrain s’effectue souvent à partir de certains indices en vue d’en découvrir de nouveaux. Comme ce sont les seules sources d’information, et qu’elles sont indirectes, il faut élaborer des techniques rigoureuses de classification et d’analyse des archives et des artefacts, afin d’en extraire une connaissance solide et utile. L’analyse de discours et les recherches historiques sont des méthodes de ce type. Des artefacts sont des objets, des œuvres, des constructions ou des reliques qui témoignent de l’existence d’une certaine culture en un certain lieu à une certaine époque. L’étude des artefacts est la méthode privilégiée de l’archéologie. L’analyse de discours est une méthode en plein développement. On peut, par exemple, © Les Éditions de la Chenelière inc., 2006, Savoir plus : outils et méthodes de travail intellectuel, 2e éd. (Raymond Robert Tremblay et Yvan Perrier) 3 tenter de comprendre une époque en étudiant ses archives. On entend alors par archives un certain corpus significatif: les romans allemands et français de la période de l’entredeux-guerres, les quotidiens français du 8 mai 1842, les annales médicales de l’Hôtel-Dieu de Montréal au XIXe siècle, les publications du Cercle des fermiers ou les revues de beauté féminine sont autant de corpus intéressants pour étudier une époque et un milieu donnés. En appliquant une certaine grille d’analyse, les chercheurs tentent de faire ressortir des constantes, des indices, des formes de discours ou même une vision du monde à partir de leur corpus. Évidemment, il faut faire attention aux généralisations abusives, car les choses publiées ou diffusées forment des corpus restreints qui ne représentent pas toute la réalité ou qui introduisent un certain biais dans notre compréhension de celle-ci. Moyennant certaines précautions d’usage, l’analyse de discours est une méthode de recherche très valable. En fait, l’analyse de discours est pratiquée depuis longtemps sous la forme d’étude d’archives ou d’analyse de contenu dans les recherches historiques. En archéologie, on essaie de comprendre la vie et les mœurs des peuples disparus à partir d’artefacts ou de constructions que ceux-ci ont laissés sur certains sites. La difficulté de sciences comme l’histoire ou l’étude des civilisations anciennes provient de ce que les chercheurs doivent induire le mode de vie des peuples disparus à partir des traces de toutes sortes que ceux-ci ont laissées. Évidemment, plus ces traces sont nombreuses et explicites, plus la tâche peut être accomplie avec précision. Par contre, il y a toujours une tâche de classification, d’analyse — selon une ou plusieurs grilles — et d’interprétation à accomplir. Il ne peut s’agir que d’une œuvre collective à laquelle chaque chercheur contribue par des études particulières. Le choix d’une méthode Comme on peut le voir, les méthodes de recherche en sciences humaines sont nombreuses et les débutants peuvent trouver difficile de choisir celle qui convient le mieux. Si l’on met de côté les critères qui sont propres à la question et à la population qu’on pourrait vouloir étudier, quels sont, d’un point de vue pratique, les autres critères à retenir pour orienter ce choix? Le premier critère est certainement celui de l’importance des moyens que nécessite une certaine méthode. Il est pratiquement impossible pour un individu ou un petit groupe sans ressources, par exemple, de faire un sondage scientifiquement valable; la recherche historique demande un temps considérable et l’accès à des données ou à des documents rares est réservé aux chercheurs d’expérience. Il faut donc être réaliste: si l’on entreprend de constituer les résultats d’un sondage ou d’une recherche historique, on doit le faire avec les moyens limités dont on dispose et être alors conscient qu’on ne peut véritablement répondre à tous les critères d’une recherche dite scientifique (voir le module «Les méthodes de recherche en sciences humaines»). Le deuxième critère concerne la discipline. En effet, certaines disciplines ont créé des techniques de base incontournables dans leur pratique. En linguistique, on analyse des corpus phonologiques; en psychologie, on pratique beaucoup les entrevues cliniques et les expérimentations en laboratoire; les chercheurs en éducation font souvent des expérimentations de terrain; les anthropologues pratiquent l’observation participante. Il en est ainsi de chacune des disciplines des sciences humaines, même si la plupart utilisent plus d’une méthode. Vous devez donc développer les habiletés requises selon la tradition de recherche du domaine dans lequel vous voulez travailler. © Les Éditions de la Chenelière inc., 2006, Savoir plus : outils et méthodes de travail intellectuel, 2e éd. (Raymond Robert Tremblay et Yvan Perrier) 4 Enfin, le dernier critère concerne la sensibilité personnelle du chercheur. Certaines personnes sont allergiques aux méthodes quantitatives, mais excellentes dans le traitement qualitatif. Certains aiment avoir le nez plongé dans des archives pendant de longues heures, d’autres au contraire ne jurent que par les recherches sur le terrain. Vous devez apprendre à vous connaître pour choisir la discipline qui vous intéresse en fonction de vos aptitudes et vos affinités personnelles dans le domaine des méthodes de recherche. Marche à suivre 1. Définissez les objectifs et l’hypothèse de votre recherche. 2. Examinez les diverses méthodes utilisables en vue de vérifier cette hypothèse. 3. Examinez la possibilité d’appliquer chacune d’elles. 4. Listez les avantages et les inconvénients de chaque méthode utilisable. 5. Choisissez la méthode dont le rendement sera le meilleur dans le contexte de votre recherche. 6. Déterminez les instruments de mesure nécessaires. Exemple Le choix d’une méthode de recherche Voici une figure qui illustre la démarche à faire quand on doit choisir une méthode d’investigation. Figure ci-jointe Exercice 1. Choisissez quatre méthodes de recherche parmi celles qu’on retrouve dans la figure «Le choix d’une méthode de recherche». 2. Formulez une question pertinente sur un sujet quelconque des sciences humaines pour chacune de ces méthodes, de manière à ce que chaque question corresponde correctement à chaque type de recherche. © Les Éditions de la Chenelière inc., 2006, Savoir plus : outils et méthodes de travail intellectuel, 2e éd. (Raymond Robert Tremblay et Yvan Perrier) 5 Plus encore! Existe-t-il une méthode de recherche parfaite? Il n’y a pas de méthode de recherche parfaite. Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients. L’exactitude des méthodes quantitatives, comme la recherche expérimentale, le sondage ou l’étude statistique, ne va pas sans le caractère réducteur de toute quantification. Si l’on recherche la finesse des méthodes qualitatives comme l’observation participante ou l’entrevue non directive, il faut alors tenir compte de l’inexactitude des résultats et du caractère souvent subjectif des conclusions qu’impliquent ces méthodes. La vague actuelle en faveur des méthodes qualitatives est certes intéressante, puisque des sujets nombreux et difficiles qui ne peuvent être étudiés autrement sont désormais objets de recherche. Cependant, dans plusieurs cas, les résultats sont peu solides et il arrive qu’on utilise des méthodes qualitatives non parce que l’objet le requiert, mais par ignorance des méthodes quantitatives. En outre, les méthodes quantitatives déçoivent souvent, car elles donnent l’impression de ramener la richesse du réel à quelques colonnes de chiffres, ce qui est difficile à accepter quand on traite de l’être humain. En sciences humaines il importe de choisir des méthodes fiables et rigoureuses, mais adaptées à l’objet d’étude: on ne prendra jamais trop de soin quand vient le temps de choisir et d’appliquer des méthodes de recherche appropriées. Complément à l’ouvrage Savoir plus, 2e éd. © 2006, Les Éditions de la Chenelière inc. © Les Éditions de la Chenelière inc., 2006, Savoir plus : outils et méthodes de travail intellectuel, 2e éd. (Raymond Robert Tremblay et Yvan Perrier) 6