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Histoire, économie & société
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L’organisation politique du duché et du royaume de Prusse du XVIIe au
XVIIIe siècle
Klaus Malettke
Histoire, économie & société / Volume 2013 / Issue 02 / June 2013, pp 71 - 78
DOI: 10.3917/hes.132.0071, Published online: 16 October 2013
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Klaus Malettke (2013). L’organisation politique du duché et du royaume de Prusse du XVIIe au XVIIIe siècle. Histoire,
économie & société, 2013, pp 71-78 doi:10.3917/hes.132.0071
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L’organisation politique du duché
et du royaume de Prusse
du XVIIe au XVIIIe siècle
Klaus Malettke
Résumé
De 1525 à 1773, on peut distinguer trois phases dans l’évolution politique et institutionnelle du
duché et du royaume de Prusse. Dans un premier temps, les États du duché exercèrent une influence
prépondérante. Puis, le Grand Électeur fit de son mieux pour réduire la position politique des États et
établir sa souveraineté. Enfin, avec l’établissement de la monarchie absolue, l’ancien duché se trouva
complètement intégré dans l’ensemble territorial du Roi de Prusse.
Abstract
From 1525 to 1773, three main periods may be distinguished during the political and institutional
evolution of the duchy and later kingdom of Prussia. First the States of Prussia were very influential.
Then the Great Elector did his best to reduce their political importance and establish his own
sovereignty. At last, with the absolute monarchy the former duchy was completely integrated in the
whole Prussian King’s territory.
L’évolution de l’organisation politique et institutionnelle du duché et du royaume de
Prusse s’accomplit en trois phases au cours des siècles en question. La première phase est
caractérisée par l’influence plus ou moins prépondérante des États du duché. La deuxième
est marquée par les efforts du duc pour réduire la position politique des États et d’établir
sa souveraineté. L’établissement du système de la monarchie absolue et l’intégration de
l’ancien duché dans l’ensemble des territoires du Roi de Prusse sont les éléments principaux
qui caractérisent la troisième phase.
L’organisation politique du duché à l’époque de la prépondérance plus ou moins
effective des États
Au XVIe siècle, l’évolution de l’organisation politique et institutionnelle du duché reflète
les hauts et les bas qui caractérisent les relations entre le duc et les États. Cependant, on ne
doit pas négliger un troisième acteur, le Roi de Pologne, qui en tant que suzerain du duc
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pouvait intervenir dans les affaires du duché. Ce furent les États qui, dans leurs différentes
querelles avec le duc, firent assez souvent appel au Roi de Pologne. Et ce fut le triangle de
force formé par le duc en tant que détenteur de l’autorité suprême (Landesherrschaft), par
ses États et par le Roi de Pologne en tant que suzerain qui était constitutif, non seulement
de l’évolution des États, mais aussi de celle de l’organisation politique et institutionnelle
du duché1 . En 1525, le dernier grand maître des chevaliers teutoniques, le margrave Albert
de Brandenbourg-Ansbach, se convertit à la Réforme et transforma du même coup les
possessions de l’ordre teutonique en duché héréditaire de Prusse. Par la paix de Cracovie
du 8 avril 1525, le Roi de Pologne Sigismond (1506-1548) reconnut Albert en tant que
duc de Prusse (1525-1568) à la condition que celui-ci lui rendît foi et hommage. En même
temps, il fut fixé que le duché passerait à la couronne de Pologne si le duc Albert et ses
agnats n’avaient pas d’héritiers mâles2 . Jusqu’en 1618, le duché de Prusse et l’électorat
de Brandebourg restèrent séparés. La mort du duc Albert Frédéric en 1618 qui n’avait
pas d’héritier mâle valut à Jean Sigismond, neuvième prince électeur de Brandebourg
(1572-1619) qui avait épousé, en 1594, la fille aînée du duc Albert Frédéric, d’hériter du
duché prussien. Le duché de Prusse échappait toujours au Saint-Empire, mais devait encore
l’hommage à la couronne polonaise. Cette trace de vassalité ne s’effacera qu’en 1657 :
« Désormais la Prusse souveraine est le sanctuaire de l’indépendance des Hohenzollern. »3
L’acte de 1525 changea la structure de la supériorité territoriale (Landesherrschaft)
et celle des États. À cette époque, ceux-ci se composaient de représentants des trois
ordres. Le premier comprenait « les seigneurs et les landraths (Herren und Landräte) ».
C’étaient, en premier lieu, les évêques et les représentants des quelques familles de barons
qui descendaient de dynasties appartenant à la noblesse jouissant de l’immédiateté de
l’Empire et qui s’installèrent en Prusse au milieu du XVe siècle. Les landraths étaient
des personnes jouissant de la confiance du duc que celui-ci avait déléguées aux États. En
général, ils étaient des grands baillis, donc des chefs de districts administratifs. À cause de
sa composition particulière, ce premier collège revêtait un double caractère. D’une part, il
agissait aux assemblées des États en tant que défenseur des intérêts du duc et, d’autre part,
il se considérait comme protecteur des intérêts particuliers des Herren und Landräte qui
se distinguaient clairement des autres nobles. Dès le début du XVIIe siècle, les barons ne
firent plus partie du premier collège4 .
Le deuxième ordre réunissait « ceux de la chevalerie et de la noblesse » (von der
Ritterschaft und Adel). Il s’agissait de représentants de la petite noblesse. Plus tard, les
deux collèges adoptèrent le nom commun « d’États supérieurs » (Oberstände). Ce fut le
deuxième collège qui défendait le plus les intérêts du pays. Ses représentants étaient élus
par les nobles ayant des seigneuries dans les différents bailliages (Ämter). Ces élections
eurent lieu dans le cadre des audiences des bailliages (Amtstage). Les paysans libres et ceux
1. Voir Udo Arnold, « Ständeherrschaft und Ständekonflikte im Herzogtum Preußen », dans Peter Baumgart
(éd.), Ständetum und Staatsbildung in Brandenburg-Preußen. Ergebnisse einer internationalen Fachtagung,
Berlin, New York, 1983, p. 101.
2. Bruno Schumacher, Geschichte Ost- und Westpreußens, 5e édition, Würzburg, 1959, p. 142 ; Janusz
Małłek, « Die Politik des Herzogtums Preußen gegenüber Polen zur Zeit Herzog Albrechts (1525-1568) », dans
idem, Preußen und Polen. Politik, Stände, Kirche und Kultur vom 16. bis zum 18. Jahrhundert, Stuttgart, 1992,
p. 13.
3. Georges Durand, États et institutions XVIe -XVIIIe siècles, Paris, 1969, p. 202 ; Voir aussi Wolfgang
Neugebauer, Die Hohenzollern, vol. 1, Anfänge, Landesstaat und monarchische Autokratie bis 1740, Stuttgart,
Berlin, Cologne, 1996, p. 160.
4. Bruno Schumacher, Geschichte Ost- und Westpreußens, op. cit., p. 145 ; Udo Arnold, « Ständeherrschaft
und Ständekonflikte im Herzogtum Preußen », op. cit., p. 87.
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disposant de terres accordées selon le droit de Culm, les soi-disant Külmer, participaient à
ces audiences de bailliage et avaient le droit de rédiger des cahiers de doléances et de les
présenter aux représentants élus5 .
Les représentants des villes formaient le troisième collège. Ce furent les conseillers des
trois villes de Königsberg qui y jouèrent le rôle le plus important6 . Ces trois villes étaient
celles d’Altstadt, de Löbenicht et de Kneiphof.
Vers le milieu du XVIe siècle, les structures principales de l’organisation politique et
institutionnelle du duché se présentaient de la manière suivante. La « note de gouvernement » du 18 décembre 1542, la Regimentsnotel, signifiait que quatre conseillers supérieurs
(Oberräte) ainsi que six ou huit conseillers auliques (Hof- und Gerichtsräte) et les grands
baillis de Brandebourg, de Schaaken, de Fischhausen et de Tapiau devaient former le collège de gouvernement proprement dit du duc. En cas d’absence de ce dernier, les quatre
conseillers supérieurs (Oberräte) devaient assurer le gouvernement. Tous les détenteurs
de charges ou de dignités gouvernementales ou administratives devaient être des régnicoles, c’est-à-dire qu’en recrutant ses fonctionnaires le duc était obligé de respecter le
droit de l’indigénat. Les charges des quatre conseillers supérieurs n’étaient réservées qu’à
la noblesse. Une seule exception était possible au cas où aucun des quatre conseillers
supérieurs ne disposerait des qualités et connaissances requises pour pouvoir exercer les
fonctions du chancelier. Dans ce cas, on pouvait recourir à un roturier, mais celui-ci devait
être un homme libre, pieux et savant. À l’exception du chancelier, les membres du collège des conseillers supérieurs (Oberratskollegium) ne devaient être cooptés que parmi les
nobles disposant des quatre grands bailliages (Hauptämter) évoqués ci-dessus. Quant à
ces quatre grands baillis, ils ne devaient être recrutés que parmi les autres grands baillis
(Amtshauptleute). Mais ces charges n’étaient accessibles qu’aux familles disposant d’une
baronnie (Herren freiherrlichen Standes) ou qu’aux personnes appartenant du moins à la
noblesse du pays. En fait, tous les grands baillis devaient être nobles7 .
Les impôts accordés par les États provinciaux étaient perçus et administrés par des institutions dirigées par ceux-ci. A ce propos, le duché avait été divisé en trois circonscriptions
ou districts fiscaux : celui du Samland, au nord, celui de Natangen, au sud-est, et celui de
l’Oberland, du haut pays, situé au sud-ouest. Dans chaque district se trouvait une trésorerie,
la « caisse » (Kasten). La trésorerie générale (Landkasten) installée à Königsberg formait
le sommet de l’administration fiscale des États. La trésorerie générale des États fonctionnait donc à côté de la chambre des finances ducale (fürstliche Rentkammer), à laquelle
la première devait verser une partie de ses recettes8 . Ces quelques données indiquent de
manière assez claire que les États jouaient un rôle important dans l’organisation politique
et institutionnelle du duché à cette époque9 .
5. Bruno Schumacher, Geschichte Ost- und Westpreußens, op. cit., p. 145.
6. Bruno Schumacher, op. cit. ; Udo Arnold, art. cit.
7. Bruno Schumacher, Geschichte Ost- und Westpreußens, op. cit., p. 146 ; voir aussi Ernst Opgenoorth,
Friedrich Wilhelm. Der Große Kurfürst von Brandenburg. Eine politische Biographie, part. I, 1620-1660,
Göttingen, Francfort, Zurich, 1971, p. 62-63.
8. Bruno Schumacher, Geschichte Ost- und Westpreußens, op. cit., p. 147.
9. Ernst Opgenoorth, « Herzog Friedrich Wilhelm ? Das Herzogtum Preußen unter dem Großen Kurfürsten », dans Udo Arnold (éd.), Preußen und Berlin. Beziehungen zwischen Provinz und Hauptstadt, Lüneburg, 1981,
p. 86 ; Jürgen Petersohn, Fürstenmacht und Ständetum in Preußen während der Regierung Herzog Friedrichs
1578-1603, Würzburg, 1963 ; Udo Arnold, « Ständeherrschaft und Ständekonflikte im Herzogtum Preußen », art.
cit., p. 84.
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L’organisation politique à l’époque du grand électeur Frédéric Guillaume
Par le traité de Wehlau du 29 septembre 1657, le Roi Jean II Casimir de Pologne (16481668) reconnut la souveraineté du duché de Prusse10 . Cette souveraineté fut sanctionnée
de manière internationale par le traité de paix d’Oliva du 3 mai 1660. Le grand électeur
Frédéric Guillaume devint donc prince souverain de la Prusse, ce qui devait avoir des
conséquences non seulement pour le triangle de pouvoir formé par le duc, le Roi de
Pologne et les États du duché mais aussi pour les relations entre le duc, devenu souverain,
et ses États ainsi que pour l’organisation politique et institutionnelle du duché. Le grand
Électeur n’avait pas l’intention d’instrumentaliser sa nouvelle position de duc souverain
pour attaquer, par principe, les droits traditionnels des États et de changer complètement
l’organisation politique et institutionnelle du duché. D’une part, une telle politique ne
correspondait pas à ses convictions fondamentales et, d’autre part, il y avait des raisons de
nature tactique qui recommandaient à Frédéric Guillaume de mener une politique de juste
vision des choses. Il savait fort bien qu’il ne pouvait pas résoudre les problèmes survenus
dans le domaine de la politique intérieure sans avoir recours aux États. Et en fin de compte,
sa politique intérieure devait toujours tenir compte de la situation politique extérieure. De
manière générale, le grand Électeur n’envisageait pas d’établir une administration unifiée et
concentrée uniquement dans les mains du prince. Il ne voulait pas supprimer, par principe,
les possibilités dont jouissaient les États de participer aux décisions concernant les affaires
du duché. Il préférait toujours parvenir à un consensus avec les États et éviter dans la
mesure du possible des conflits ouverts avec ceux-ci. Mais il n’acceptait pas qu’ils osassent
mettre en question son autorité de prince souverain. Ses réactions se manifestant dans le
contexte de la longue session des États des années 1661 à 1663 et son attitude à l’égard
de l’opposition du maître-échevin de Königsberg Hieronymus Roth, ainsi que les mesures
très sévères prises contre le colonel Chrétien Louis de Kalckstein entre 1670 et 1672 en
sont la preuve. Le premier fut le délégué de la ville de Kneiphof, une des trois villes de
Königsberg, à la longue diète réunie de 1661 à 1663 à Königsberg et représenta une position
relativement radicale parmi ceux qui argumentèrent que les traités de Wehlau et d’Oliva
n’étaient pas valables parce qu’ils n’avaient été conclus que par le duc et sans que les
États aient été impliqués dans les négociations menées avec le Roi de Pologne. Si Frédéric
Guillaume ne voulait pas risquer une diminution de son autorité de prince souverain, il ne
pouvait pas accepter une telle argumentation et les conséquences négatives résultant d’une
telle position radicale. Par conséquent, le grand Électeur accompagné de deux mille soldats
se rendit à Königsberg en octobre 1662. Roth fut arrêté et condamné. Il finit ses jours en
1678 dans la prison où il avait été transporté en 1663. Le colonel Kalckstein accusé d’avoir
conspiré avec le Roi de Pologne et d’être coupable du délit de haute trahison fut enlevé et
transporté de Varsovie à Memel fin novembre 1670. Son enlèvement fut sans aucun doute
un acte incompatible avec le droit des gens. Kalckstein fut poursuivi en justice, torturé et
condamné à mort. Il fut exécuté en 1672 à Memel.11
10. Voir à ce propos Heinz Duchhardt, Bogdan Wachowiak, Um die Souveränität des Herzogtums Preußen.
Der Vertrag von Wehlau 1657, Hanovre, 1998 ; Voir aussi Wolfgang Neugebauer, Die Hohenzollern, op. cit., vol.
1, p. 160.
11. Ernst Opgenoorth, « Herzog Friedrich Wilhelm ? Das Herzogtum Preußen unter dem Großen Kurfürsten », op. cit., p. 85-92 ; idem, Friedrich Wilhelm. Der Große Kurfürst von Brandenburg. Eine politische Biographie, part. II, 1660-1688, Göttingen, Francfort, Zurich, 1978, p. 2-36, 115-118 ; Janusz Małłek, « Absolutistischer
Staatsstreich in Preußen im Jahre 1663 », dans idem, Preußen und Polen, op. cit., p. 58-68 ; Otto Hintze, Die
Hohenzollern und ihr Werk. Fünfhundert Jahre vaterländischer Geschichte, Berlin, 1915, p. 211-216 ; voir aussi
Wolfgang Neugebauer, Die Hohenzollern, op. cit. vol. 1, p. 161-162.
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Cette politique combinant flexibilité et pragmatisme avec rigueur si les circonstances
l’exigeaient se manifestait aussi dans le comportement de Frédéric Guillaume à l’égard des
États durant toute la session de la longue diète. Sa politique pragmatique, sa volonté de
faire des compromis et sa démonstration de force aboutirent finalement à ce que les États
cédèrent sur le problème principal. Dans la mesure où ces compromis ne réduisaient pas
son autorité souveraine, Frédéric Guillaume confirma les droits et les privilèges des États
dans « l’acte d’assécuration » (Assekurationsakte) du 12 mars 1663. En contrepartie de
cette confirmation, les États reconnurent la souveraineté du duc et lui prêtèrent le serment
de fidélité. Le recès de la diète du 1er mai 1663 devint le fondement légal des relations
futures entre le duc et les États12 .
Le grand Électeur confirma le principe de l’indigénat. Cependant, les États durent
accepter que des candidats de la confession réformée pussent être nommés aux postes
administratifs en Prusse. D’autre part, les États durent aussi se soumettre à l’installation
d’un gouverneur représentant l’Électeur de Brandebourg dans le duché. Dès l’instruction
du 13 octobre 1657 donnée au gouverneur et aux conseillers supérieurs, ces deux institutions étaient chargées d’exercer en commun l’administration et le contrôle de la justice
du duché. Ils formaient donc une nouvelle institution dénommée un peu plus tard « le
gouvernement ». Toutefois, l’installation d’un gouverneur diminua la position politique
des quatre conseils supérieurs. Ceux-ci continuaient à participer à toutes les décisions
concernant les affaires intérieures du duché, mais ils devaient respecter désormais les instructions émanant du grand Électeur et de son conseil d’État secret (Geheimer Rat) établi
à Berlin en 1604. Dans toutes les affaires importantes, les membres du conseil supérieur
(Oberratsstube) à Königsberg devaient s’adresser à l’Électeur. Par conséquent, le régime
tout à fait indépendant qu’ils avaient pu exercer jusqu’à l’installation du gouverneur prit
fin. 13
Pressé par les exigences de la guerre, le grand Électeur engagea aussi une lutte énergique
contre l’administration fiscale des États et parvint finalement à mettre les caisses du duché
sous l’autorité directe de ses fonctionnaires. Dès le début des années 1660, une nouvelle
institution, le « commissariat de guerre » (Kriegskommissariat) apparut dans le duché.
Peu à peu, il réussit à y étendre son contrôle sur l’administration fiscale. Et au début des
années 1680, il y établit son propre appareil de receveurs fiscaux. Finalement, en 1688,
« l’accise », l’impôt indirect de consommation, fut aussi établie dans le duché à l’instar du
modèle pratiqué déjà dans l’électorat de Brandebourg.14
Même si le duché et les autres territoires se trouvant sous la domination des Hohenzollern de Brandebourg restaient juridiquement séparés les uns des autres et ne formaient
qu’une union personnelle dans la personne de leur prince, il ne peut y avoir de doute que le
conseil d’État secret de l’Électeur réussit à étendre son autorité sur le duché de Prusse sous
le règne de Frédéric Guillaume. Même si on n’assiste pas encore à une sorte de « brandebourgisation » du duché, l’évolution de son organisation politique et institutionnelle se
développait déjà dans la direction d’une certaine centralisation et de l’établissement du système de la monarchie absolue. Considérée dans ce contexte, l’année 1663 représente sans
12. Ernst Opgenoorth, Der Große Kurfürst von Brandenburg, part. II, op. cit. p. 26-36 ; Janusz Małłek,
« Absolutistischer Staatsstreich in Preußen im Jahre 1663 », p. 67-68 ; Otto Hintze, Die Hohenzollern und ihr
Werk, op. cit., p. 213-214.
13. Ernst Opgenoorth, Der Große Kurfürst von Brandenburg, part. I, op. cit. p. 369-371 ; idem, Der Große
Kurfürst von Brandenburg, part. II, op. cit., p. 35.
14. Ernst Opgenoorth, Der Große Kurfürst von Brandenburg, op. cit., p. 286-287 ; idem, « Herzog Friedrich
Wilhelm ? Das Herzogtum Preußen unter dem Großen Kurfürsten », op. cit., p. 93-94.
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aucun doute une césure. Cependant, je ne crois pas qu’on puisse interpréter les événements
de cette année comme un « coup d’État absolutiste15 ».
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Le processus de « brandebourgisation progressive » et de l’établissement accéléré du
système de la monarchie absolue s’intensifia à partir de l’avènement au trône de Frédéric
Guillaume Ier , le Roi Sergent. Mais Frédéric Ier , dès 1701 Roi en Prusse, avait déjà pris
des mesures pour intégrer les institutions supérieures de la Prusse dans les institutions
gouvernementales centrales. En 1712, les conseillers supérieurs, c’est-à-dire les membres
du « gouvernement » de Königsberg, reçurent le titre de « conseillers secrets ». Désormais,
ils faisaient partie du conseil d’État secret. D’autre part, leur nombre fut augmenté de
quatre à six. En réalité, leur qualité de membre du conseil d’État secret restait de nature
purement théorique, parce qu’ils ne prirent aucune part active aux travaux de ce conseil.
Cependant, on les considérait comme des « ministres d’État » (Etatsministres) et on
dénommait le « gouvernement » de la Prusse assez souvent aussi « ministère d’État
prussien » (preußisches Staatsministerium)16 .
Le processus de « brandebourgisation », c’est-à-dire de l’intégration des institutions
administratives prussiennes dans les institutions gouvernementales compétentes pour
l’ensemble des territoires et ayant leur siège à Berlin, ne se réalisa de manière effective que
sous le règne du Roi Sergent. Il résulta de ses efforts de réformer l’administration centrale
de tous les territoires soumis à sa domination. La décision la plus importante prise dans ce
contexte fut celle du 20 décembre 1722. L’instruction datée de ce jour établit le « Directoire
général et suprême des finances, de la guerre et des domaines » (General-Ober-Finanz-,
Krieges- und Domänendirektorium) qui, « peu à peu, va éclipser le Conseil d’État secret.
Le roi présidait lui-même ce Directoire, qui réunissait quatre fois par semaine les cinq
ministres dirigeants et un nombre variable de conseillers. Toutes les questions militaires,
financières, économiques relevaient de son autorité. En province, des « Chambres de la
guerre et des domaines » [Kriegs-und Domänenkammern] furent mises en place, qui se
substituèrent [de plus en plus] aux Regierungen [...], et dirigèrent [presque] toutes les
affaires locales »17 . Les affaires étrangères étaient délibérées dans le « département des
affaires étrangères » (Departement der auswärtigen Affären) établi le 8 décembre 1728.
Peu après il fut dénommé « ministère de cabinet » (Kabinettsministerium)18 .
Vers 1740, il y avait sept « ministres d’État prussien » résidant à Königsberg. Il s’agissait des quatre anciens conseillers supérieurs (Oberräte), des chefs des deux « Chambres
de la guerre et des domaines » (Kriegs-und Domänenkammern) et d’un « ministre d’État »
surnuméraire. Toutefois, ces « ministres d’État prussiens » ne se réunissaient pas en collège
15. Janusz Małłek, « Absolutistischer Staatsstreich in Preußen im Jahr 1663 », op. cit., p. 58-68.
16. Bruno Schumacher, Geschichte West- und Ostpreußens, op. cit., p. 197-198 ; Otto Hintze, Einleitende
Darstellung der Behördenorganisation und allgemeinen Verwaltung in Preußen beim Regierungsantritt Friedrichs II. (=Acta Borussica Die Behördenorganisation und die allgemeine Staatsverwaltung Preußens im 18.
Jahrhundert, volume 6, première partie), Berlin, 1901, p. 291.
17. Georges Durand, États et institutions XVIe -XVIIIe siècles, op. cit., p. 204 ; consulter aussi Wolfgang
Neugebauer, « Zur neueren Deutung der preußischen Verwaltung im 17. und 18. Jahrhundert in vergleichender
Sicht », dans Jahrbuch für die Geschichte Mittel- und Ostdeutschlands, tome XXVI, 1977, p. 86-128 ; deuxième
publication dans Otto Büsch et Wolfgang Neugebauer, Moderne preußische Geschichte 1648-1947. Eine Anthologie, tome II, Berlin, New York, 1981, p. 541-597 ; Gerd Heinrich, Geschichte Preußens. Staat und Dynastie,
Francfort, Berlin, Vienne, 1981, p. 165-167 ; Wolfgang Neugebauer, Die Hohenzollern, op. cit., vol. 1, p. 200-201.
18. Fritz Hartung, Deutsche Verfassungsgeschichte vom 15. Jahrhundert bis zur Gegenwart, 9e édition,
Stuttgart, 1969, p. 111.
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pour délibérer. Il ne s’agissait que d’un « gouvernement » théorique car les activités administratives ne relevaient en réalité plus de son autorité. Il était devenu une sorte de bureau de
correspondance et ses activités se concentraient dans la chancellerie. Il est révélateur que
le président de la « Chambre de la guerre et des domaines » de Königsberg, Jean Frédéric
de Lesgewang, se trouvât à la tête de ce soi-disant « gouvernement »19 .
Vers 1740, il y eut deux « Chambres de la guerre et des domaines » en Prusse : celle
de Königsberg et celle de Gumbinnen. En 1724, la « Chambre de la guerre » (Kriegskammer), c’est-à-dire l’ancien « commissariat de guerre » (Kriegskommissariat), l’institution
fiscale suprême de la province, avait été réunie avec la « Chambre du domaine » (Domänenkammer). Douze ans plus tard, une autre « Chambre de la guerre et des domaines » fut
établie à Gumbinnen. Celle-ci était chargée de l’administration fiscale du nord-est de la
Prusse20 . Quant aux caisses de la « Chambre de la guerre et des domaines » de Königsberg,
c’est-à-dire la « caisse des domaines » (Domänenkasse) et la « caisse de la guerre », « la
caisse fiscale proprement dite » (Steuerkasse), elles restaient séparées. Dans leurs activités
diverses, les deux « Chambres de la guerre et des domaines » étaient soumises directement
au « Directoire général et suprême des finances, de la guerre et des domaines » résidant à
Berlin21 .
L’institution du « commissarius loci », du « conseiller fiscal » (Steuerrat), fut établie en
1716 en Prusse. En prenant cette décision, Frédéric Guillaume Ier suivit l’exemple de ce qui
était déjà la réalité dans les autres provinces dès la réforme de l’accise réalisée par le grand
électeur en 1680. Le « conseiller fiscal » était un fonctionnaire dépendant de la « Chambre
de la guerre et des domaines ». Sa circonscription de compétence comprenait six à huit
villes situées dans le district d’une « Chambre de la guerre et des domaines ». Il y contrôlait
l’administration de l’accise. Mais il s’y occupait aussi des questions commerciales et
économiques22 .
Finalement, les grands baillis (Amtshauptleute), le dernier pilier des fonctions administratives exercées par les États, perdirent aussi la plupart de leurs compétences. En 1752,
Frédéric le Grand fit établir les landraths, une institution vaguement comparable aux intendants en France. Ils furent pourvus de la plupart des fonctions des grands baillis dont
l’office ne restait désormais qu’une sinécure démunie de compétences réelles, une sinécure
donnée à des nobles que le Roi désirait récompenser des services que ceux-ci lui avaient
rendus. À la différence des autres provinces, les landraths étaient nommés par le Roi, sans
le concours des nobles disposant de seigneuries dans les cercles (Kreis). En général, ils
étaient recrutés au sein de la noblesse. Les landraths étaient chargés de l’inspection et
du contrôle des seigneuries nobles (adlige Gutsherrschaften). L’impôt principal levé dans
les cercles des landraths était la contribution (Generalhufenschoß). Mais il y avait encore
d’autres personnes exerçant des fonctions au sein des cercles des landraths : les régisseurs
d’un ensemble de domaines royaux (Domänenämter), pour lesquels ceux qu’on appelait
des « officiers » (Beamte) avaient conclu un traité de bail23 .
19. Otto Hintze, Behördenorganisation und allgemeine Verwaltung, vol. 6,1, op. cit., p. 293-301 ; Bruno
Schumacher, Geschichte Ost- und Westpreußens, op. cit., p. 204-205 ; Gustav Schmoller, « Die Verwaltung
Ostpreußens unter Friedrich Wilhelm I »., dans : Historische Zeitschrift 30, 1873, p. 40-71.
20. Otto Hintze, Behördenorganisation und allgemeine Verwaltung, vol. 6,1, op. cit., p. 310-317 ; Bruno
Schumacher, Geschichte Ost- und Westpreußens, op. cit., p. 202-205.
21. Otto Hintze, Behördenorganisation und allgemeine Verwaltung, vol. 6,1, op. cit., p. 310-313.
22. Otto Hintze, Behördenorganisation und allgemeine Verwaltung, vol. 6,1, op. cit., p. 321-323 ; Bruno
Schumacher, Geschichte Ost- und Westpreußens, op. cit., p. 208.
23. Bruno Schumacher, Geschichte Ost- und Westpreußens, op. cit., p. 215.
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“HES_2-2013” (Col. : Revue Histoire, économie et société) — 2013/5/27 — 12:00 — page 78 — #78
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Klaus Malettke
Les structures esquissées ci-dessus de l’organisation politique et administrative de
l’ancien duché de Prusse ne subirent plus de changements fondamentaux durant le règne
de Frédéric le Grand. Cependant, le processus de l’intégration de l’ancien duché dans
l’ensemble des territoires, qui se développait de plus en plus en direction d’un État plus
ou moins centralisé se poursuivait24 . Toutefois, le royaume de Brandebourg-Prusse n’a
jamais été un État vraiment unitaire. Les nouvelles institutions établies en Prusse par le
Roi Sergent avaient démuni les anciennes institutions administratives, jadis soumises de
manière assez effective au contrôle des États, de presque toutes leurs compétences réelles.
Toutefois, ces anciennes institutions ne furent pas supprimées. Elles continuaient à exister,
mais elles n’avaient plus de compétences réelles. L’organisation politique et institutionnelle
de l’ancien duché devenu royaume en 1701 présente sous les règnes du Roi Sergent et de
Frédéric le Grand tous les traits caractéristiques du système de la monarchie absolue. En
avril 1716, réagissant à l’opposition des « ministres d’État prussiens », Frédéric Guillaume
Ier formula dans une lettre adressée à ceux-ci la phrase fameuse : « Je stabiliserai ma
souveraineté et consoliderai ma couronne comme un rocher de bronze25 . » Il a tenu sa
parole.
U NIVERSITÉ
DE
M ARBOURG
24. Voir Wolfgang Neugebauer, « Staatliche Einheit und politischer Regionalismus. Das Problem der
Integration in der brandenburgisch-preußischen Geschichte bis zum Jahr 1740 », dans Wilhelm Brauneder
(éd.), Staatliche Vereinigung : Fördernde und hemmende Elemente in der deutschen Geschichte, Berlin, 1989,
p. 49-106.
25. Cité par Gustav Schmoller, « Die Verwaltung Ostpreußens unter Friedrich Wilhelm I. », op. cit., p. 55.
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