Les nouveaux risques pour la distribution sélective des produits

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Les nouveaux risques pour la distribution sélective des produits
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ÉTUDE DOSSIER
CONCURRENCE
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Les nouveaux risques pour la distribution
sélective des produits cosmétiques
L’adoption par la Commission Européenne du règlement 330/2010 soulève bien des questions
pour la sécurité judique de la distribution sélective de produits cosmétiques. S’il apporte des
solutions intéressantes, telles que l’affirmation du caractère régragable des restrictions caractérisés, l’instauration d’un double seuil de part de marché alors que la distribution s’est consifdérablement concentrée en 10 ans, pourrait écarter son application aux principales chaines.
Ses lignes directrices réduisent encore la sphère de sécurité des entreprises avec l’interdiction
des restrictions aux ventes sur internet qui en favorisant la vente par correspondance pourrait
être la mort annoncée de la distribution sélective. L’application par l’Autorité de la concurrence sera essentielle pour faire perdurer ou non la distribution sélective.
Étude par
Christine Vilmart
avocat honoraire au Barreau de Paris
1 - L’industrie cosmétique est une des rares industries où il n’y a pas
seulement concurrence entre les produits, entre les marques, mais
aussi entre les circuits de distribution. Elle offre aux consommateurs
une large gamme de produits allant de la grande distribution aux
produits haut de gamme. La distribution sélective a deux types de
réseaux :
• celui des cosmétiques de luxe, qui se distingue par la nature des
produits, par leur environnement de qualité et par un conseil personnalisé au consommateur ;
• celui des produits de soins vendus sous la responsabilité d’un professionnel de la santé ayant un diplôme en pharmacie.
2 - Il me paraît important d’insister sur le fait que le consommateur peut
trouver toutes les catégories de produits cosmétiques dans tous les circuits, mais que, bien entendu, il ne peut pas trouver toutes les marques
dans tous les circuits. En effet, le choix de tel ou tel circuit dépend de la
volonté du fabricant de positionner ses produits en termes d’image et de
prix pour répondre à des besoins différents du consommateur.
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utilité fonctionnelle, ils font l’objet d’une politique de promotion
coûteuse. Leur commercialisation implique: un cadre, une enseigne,
un environnement adapté à l’image de luxe du produit, ainsi qu’un
conseil qualifié susceptible d’identifier pour chaque consommateur
le produit qui lui convient le mieux.
5 - Les statistiques des dernières années montrent que les circuits sélectifs n’ont pas empêché l’essor de la grande distribution, notamment pour les produits d’hygiène et de soins. C’est donc un secteur
où la concurrence inter-marques est renforcée par celle existant entre
les circuits.
6 - On oublie trop souvent que ce sont les parfumeurs qui ont créé
le contrat de distribution sélective. Cette création était destinée à
contourner l’interdiction du refus de vente, qui était un délit pénal
sous les ordonnances de 1945. Il n’était en effet pas très rassurant
pour les chefs d’entreprises de se retrouver en correctionnelle. La
dépénalisation n’est intervenue qu’en 1986. L’interdiction per se du
refus de vente dans l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre1986
n’a, quant à elle, disparu que par un amendement lors du vote de la
loi Galland.
3 - De plus, de nombreux fabricants ont construit leur notoriété dans
d’autres secteurs du luxe, (joaillerie, maroquinerie, bijouterie ou
haute couture), et leur image de marque implique qu’aucun produit
vendu ne soit commercialisé de façon banalisée.
7 - La mise en œuvre de la distribution sélective amène forcément le
fabricant qui a recours à ce mode de distribution à écarter de son réseau tout distributeur ne satisfaisant pas aux critères qualitatifs qu’il
a établis. La possibilité pour un fabricant de recourir à la distribution
sélective est donc étroitement liée à la validité de ses critères de sélection. Pour contourner l’interdiction du refus de vente, il a fallu
que les industriels fixent des critères objectifs de sélection de leurs
revendeurs dans un contrat.
4 - Si les fabricants de produits haut de gamme ont recours à la distribution sélective, c’est parce que leurs produits n’ont pas qu’une
8 - Ce contrat a été validé en quatre étapes. La première d’entre elles
eut lieu en 1965 lorsque la cour d’appel de Paris considéra, dans l’ar-
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rêt historique Guerlain1, que ce contrat créait un effet d’indisponibilité juridique des produits à l’égard des tiers, permettant de refuser la
vente des produits à tous ceux qui ne remplissaient pas les critères.
9 - Avec la naissance du droit communautaire, les fabricants notifièrent à la Commission des contrats qui comportaient des critères de
sélection qualitatifs et quantitatifs. Après avoir imposé la rétrocession des produits entre dépositaires agréés, la Commission a pris une
série de lettres de confort et a estimé que ces contrats n’étaient pas
en contradiction avec l’article 85 § 1 du Traité de Rome. Cependant,
la Commission n’était alors pas habilitée par le Règlement 19/65 à
prendre un règlement d’exemption par catégorie pour les contrats
de distribution sélective.
10 - L’exemption formelle des contrats Yves Saint-Laurent2 et Givenchy3 par la Commission, en 1991 ainsi qu’en 1992, constitue la deuxième étape de la construction juridique de la distribution sélective.
En effet, alors que les lettres de confort n’étaient que des éléments ne
s’imposant pas aux juges ni aux autorités nationales, la Commission
a conforté le système par ces deux décisions formelles qui devaient
servir de cadre de référence pour l’ensemble des entreprises du secteur. Ces décisions furent validées par le TPICE, à la suite de recours
exercés par le Galec et Kruidvat.
11 - La 3e étape de la construction juridique de la distribution sélective est intervenue le 22 décembre 1999 par le biais du règlement
d’exemption 2790/99. Premier règlement « nouvelle génération »
applicable à tous les accords de distribution, et donc à la distribution
sélective, il créait une zone de sécurité pour tous les accords ne comportant pas de clauses noires, limitativement énumérées, des lors
que la part de marché du fournisseur était inférieure à 30 %. L’ancien règlement, en vigueur jusqu’au 1er juin 2011, est applicable aux
contrats qui remplissent cette double condition. Les professionnels
n’ont donc plus que quelques mois pour mettre les contrats 2011 en
conformité avec le nouveau texte.
12 - Le Conseil de la concurrence n’a pas hésité à faire du règlement
2790/99 un « guide d’analyse utile », pour le droit français, avant
d’être obligé, en application de l’article 3 du règlement n° 1/2003, de
l’appliquer directement aux pratiques susceptible d’affecter le commerce entre États membres. Selon le bilan de la Commission, la mise
en œuvre du règlement 2790/99 a donné satisfaction. Appliqué dans
l’industrie cosmétique et aussi dans d’autres secteurs du luxe, il a notamment permis la consécration du contrat de distribution sélective
de Cartier dans le domaine horloger4.
13 - J’ai également obtenu du conseil de la concurrence un non lieu
délicat sur les pièces détachées des montres Jaeger Lecoultre. Il a été
1 CA Paris, 26 mai 1965, Guerlain : Gaz. Pal. 1965, 2, p.
76.
2 Comm. CE, déc. n° 92/33, 16 déc. 1991, Yves SaintLaurent Parfums – J.-P. Viennois, Commentaire de la
décision Yves Saint-Laurent Parfums : Coll. des mémoires du CDRE, Lyon 3, 1992.
3 Comm. CE, déc. n° 92/428, 24 juill. 1992, Givenchy :
JO CE 19 août 1992 à 22. – TPICE, 12 déc. 1996,
reconnu que ces pièces pouvaient être réservées au seul fabricant,
qui n’avait donc pas à les vendre, même à ses distributeurs agréés5.
Les montres étaient vendues par des distributeurs agréés, en magasin agréé, et le fabricant se réservait les pièces détachées pour les
réparer dans ses seuls ateliers. Dans sa décision du 28 juillet 2005, le
Conseil déclare que: « la politique de limitation des ventes de pièces
détachées et de centralisation dans ses propres ateliers de la quasi
totalité des réparations et interventions à caractère technique mise
en place par l’entreprise Jaeger Lecoultre ne visait pas à accroître ses
profits au détriment des consommateurs, mais à promouvoir l’image
et la qualité de la marque. Le niveau de minutie et de précision des
réparations assurées par Jaeger Lecoultre est donc supérieur à celui
assuré par les ateliers de réparation indépendants ».
14 - En conséquence, « il n’est pas établi que Jaeger Lecoultre ait abusé de sa position dominante sur le marché de ses pièces détachées
en refusant d’approvisionner l’entreprise Mouret, qui n’a fait l’objet d’aucune pratique discriminatoire, mais a subi les conséquences
d’une réorganisation du service après-vente motivée par l’amélioration de la qualité des réparations ». Le système est donc légitimé.
15 - L’adoption du nouveau règlement d’exemption 330/2010, qui reconduit le système avec des changements significatifs, constitue la quatrième étape de la construction juridique de la distribution sélective. Si
le règlement est applicable, l’accord est présumé remplir les conditions
du paragraphe 3 et se trouve par conséquent dans la « zone de sécurité »
instituée par l’exemption par catégorie. Cela simplifie l’analyse et rend
inutile le point de savoir si l’accord est ou non restrictif de concurrence.
L’accord est présumé licite et peut développer ses effets. Pourtant, le nouveau régime d’exemption est paradoxal en ce qu’il est à la fois plus souple
et plus contraignant pour les entreprises.
1. Les points positifs du règlement
330/2010
16 - Parmi les aspects très positifs, le principal assouplissement introduit, et il n’est pas négligeable, réside dans le fait que la présomption d’illicéité d’une restriction caractérisée est bien affirmée comme
étant réfragable, dès lors que les entreprises démontrent « l’existence
d’effets favorables à la concurrence en vertu de l’article 101 § 3, [ou]…
établissent que l’accord peut créer des gains d’efficience6 ». Une telle
possibilité renforce le rôle de l’analyse économique et est bien en
conformité avec la position prise par la jurisprudence en matière
de restrictions par objet, notamment dans les récentes affaires de la
viande de bœuf7 et surtout dans l’affaire d’importations parallèles de
médicaments de GlaxoSmithKline8.
aff. jointes T-19/92 et T-88/92, Édouard Leclerc :
Rec. CJCE 1996, II, p. 1875 et 1961 ; Contrats, conc.
consom. 1997, comm. 6.
4 Cons. conc., déc. n° 03-D-60, 17 déc. 2003 : BOCCRF
n° 1, 13 févr. 2004 – V. également CA Paris, 29 juin 2004 :
décision n° 04/01560, JurisData : 2004-247012.
5 Cons. conc., déc. n° 05-D-46, 28 juill. 2005, Sté Jaeger
Lecoultre.
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6 Point 47 des lignes directrices.
7 CJCE, 20 nov. 2008, aff. C-209/07, The Competition Authority c/ Beef Industry Development Society Ltd et Barry
Brothers (Carrigmore) Meats Ltd.
8 CJCE, 6 oct. 2009, aff. C-501/06 P, C-513/06 P, C-515/06
P et C-519/06 P, GlaxoSmithKline Service Unlimited
(GSK) : Contrats, conc. consom. 2009, comm. 291, obs.
G. Decoq.
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17 - C’est un point important. En effet, cela signifie que les entreprises
ayant des éléments objectifs peuvent bénéficier d’une exemption individuelle si elles ont des contrats qui comportent des clauses non
couvertes par l’exemption par catégorie, et ce même si leurs contrats
comportent des restrictions caractérisées. Le règlement d’exemption
n’est donc pas un uniforme rigide. On peut aller au delà si on a des
arguments. L’exemple des pièces détachées des montres Jaeger Lecoultre est là pour vous montrer que si on a des arguments objectifs,
même une restriction de concurrence aussi grave qu’un monopole
peut être validée.
18 - La Commission est allée assez loin : même pour les prix imposés, qui constituent généralement un péché mortel, c’est une des
plus graves infractions au fonctionnement de la concurrence, le
point 225 des lignes directrices précise qu’ils peuvent « entraîner des
gains d’efficience, qui seront appréciés conformément à l’article 101
§ 3… en particulier lorsqu’un fabricant lance un nouveau produit…
les prix imposés peuvent permettre aux distributeurs d’augmenter les
efforts de vente et, si les distributeurs sur ce marché sont soumis à des
pressions concurrentielles, les inciter à développer la demande globale
pour le produit et à faire de ce lancement un succès, dans l’intérêt des
consommateurs également ».
19 - Devant le risque que présentent les prix imposés, je vous
conseillerais de ne pas exploiter cette tolérance, car l’Autorité de la
concurrence n’y a jamais été favorable. On notera d’ailleurs que la
Commission conclut ses lignes directrices en insistant même sur les
éventuels effets anticoncurrentiels des simples prix de vente maxima
ou conseillés, lorsque la position du fournisseur sur le marché est
forte, car les revendeurs peuvent alors estimer difficile de s’en écarter.
20 - Ce qui est important, c’est que la nouvelle exemption crée une
zone de sécurité. Cependant, si l’on a des clauses noires non couvertes par le règlement d’exemption 330/2010 et que l’on a de bonnes
raisons pour les justifier, il est possible de prétendre à une exemption individuelle, même s’il s’agit de restrictions par objet. Ceci n’est
certes pas nouveau puisque la communication de la commission
du 27 avril 2004 accompagnant le Règlement n° 1/2003 disait déjà
que « l’article 81 § 3 n’exclut pas a priori certains types d’accords de
son champ d’application. Par principe, tous les accords restrictifs qui
remplissent cumulativement les quatre conditions du paragraphe 3
bénéficient de l’exemption…9 ».
21 - Le second point positif que je voudrais signaler attrait à la question du territoire de protection des réseaux de distribution sélective.
L’arrêt Metro/Saba du 25 octobre 197710 a posé le principe clair selon
lequel « tout système de distribution sélective implique nécessairement, à peine de n’avoir aucun sens, l’obligation, pour les distributeurs appartenant au réseau de n’approvisionner que des revendeurs
agréés, et la possibilité pour le producteur intéressé de contrôler l’observation de cette obligation ». Cet arrêt précisait donc que l’obliga9 Comm. Commission n° 2004/C 101/07, pt 46.
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tion de ne pas revendre aux distributeurs non agréés, ne violait pas
l’article 81§1 du Traité CE, sans distinguer le lieu où le revendeur
non agréé était installé. L’interdiction est générale.
22 - Or, l’article 4 b iii du nouveau Règlement a étrangement limité
le droit du fournisseur de restreindre les ventes à des distributeurs
non agréés « au seul territoire réservé par le fournisseur pour l’opération de ce système ». Il est permis de s’étonner d’une telle restriction
du territoire de protection par un règlement d’exemption au regard
des principes définis dans deux arrêts fondamentaux de la Cour de
Justice - Metro/Saba11 et Metro/Cartier12. Heureusement, la Commission a pris soin de clarifier au point 55 des lignes directrices, que
l’expression couvre, outre le territoire où le système est appliqué, celui « sur lequel le fournisseur ne vend pas encore les produits contractuels ». J’en conclu donc qu’un fabricant n’est pas obligé de commercialiser ses produits dans tous les pays de l’EEE pour protéger
son réseau : il peut empêcher ses distributeurs agréés de les vendre à
des tiers, y compris dans les territoires où le fabricant n’a pas mis ses
produits sur le marché.
23 - Il est pourtant paradoxal que la Commission insiste sur le caractère réfragable des restrictions caractérisées, tout en créant de
nouvelles restrictions et en restreignant le champ d’application de
l’exemption par catégorie.
2. Les points noirs de la réforme
24 - Jean de la Fontaine a bien malgré lui inspiré la politique de la
Commission. Il a conclu sa fable des animaux malades de la peste
par ce vers célèbre : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les
jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Or, l’exemption, et
donc la sécurité, est écartée si le distributeur est puissant.
25 - En effet, le champ d’application de l’exemption est rétréci par l’instauration d’un double seuil de part de marché. Le seuil de 30 %, au delà
duquel l’exemption par catégorie ne s’applique pas, ne concerne plus
seulement la part de marché du fournisseur mais aussi celle des distributeurs. Cette modification répond au souci d’une meilleure prise en
compte du renforcement de la puissance d’achat de la distribution. Mais
pour la profession, cela crée une véritable difficulté.
26 - Quand le contrat de distribution sélective est né, il y avait une
myriade de distributeurs indépendants qui s’inscrivaient sur une
liste d’attente pour être agréés par les fabricants. Le pouvoir appartenait aux fabricants. En 15 ans, on a assisté à une concentration
spectaculaire de la distribution spécialisée des cosmétiques de luxe,
puisque en France 4 chaines représentent 80 % du chiffre d’affaires
de la distribution sélective. Les deux premières en totalisent à elles
seules plus de 50 %. Douglas a largement dépassé les 30 % en Allemagne et Paris XL doit être proche de 50 % en Belgique. Or, désormais, pour que l’exemption par catégorie s’applique, il faut que
10 CJCE, 25 oct. 1977, aff. 26/76, Métro-Saba : Rec. CJCE
1977, p. 1875.
11 V. supra n° 7.
12 CJCE, 13 janv. 1994, Metro / Cartier, aff. C-376/92 : Rec.
CJCE, I, p. 15.
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la part de marché du distributeur soit elle aussi inférieure à 30 %.
En conséquence, l’exemption par catégorie ne s’appliquera plus en
2011 aux principales chaines de parfumerie, dans des pays aussi essentiels que l’Allemagne, la Belgique et demain la France!
27 - Que feront les autorités nationales de concurrence ? Accepteront-elles d’accorder des exemptions individuelles aux contrats
conclus avec une chaine de parfumerie sélective qui franchit le seuil
des 30 % ? A priori, rien ne s’y opposerait sachant que ces contrats seront identiques à ceux proposés par les fabricants aux autres chaines.
28 - Mais il y a là une totale insécurité juridique pour les fabricants
comme pour les chaines concernées. Même si tous les distributeurs
ne sont pas dans la même situation, on ne doit pas avoir des niveaux
de sécurité variables pour un même accord, selon la part de marché
de l’acheteur, car le fournisseur se voit lui aussi fragilisé.
29 - Les entreprises ont besoin de sécurité juridique. Elles ont besoin
de règles claires et durables. Nous n’avons ni l’un ni l’autre. Il n’y a
pas de durabilité puisque l’on change les règles 10 ans après, tout
en constatant que le système a bien fonctionné. Pourquoi alors le
changer ? Mais surtout, sur un point aussi essentiel que le seuil d’application du règlement et le calcul de la part de marché, personne aujourd’hui ne peut donner une réponse précise qui sécurise le contrat.
30 - Les grands distributeurs qui dépassent ou frôlent les 30 % ne
vendent pas seulement des produits achetés aux fabricants. Une part
non négligeable de leur chiffre d’affaires est faite en MDD (Marque
De Distributeur), sous leur marque. En outre, le chiffre d’affaires
des grandes chaines englobe également des produits qui ne sont pas
nécessairement vendus en distribution sélective. Nous connaissons
tous la communication sur le marché pertinent, son application
pose néanmoins aujourd’hui de réels problèmes pratiques aux parfumeurs pour la détermination de ce double seuil.
31 - Comment doit-on calculer la part de marché d’un distributeur, et
surtout comment le fournisseur peut-il la connaître ? Les panels statistiques existants (NPD en France ou en Italie, ou IRI en Allemagne)
sont bien insuffisants pour permettre aux fournisseurs de savoir, et
de vérifier, si leur principal client est bien en dessous du seuil au delà
duquel le contrat n’est plus sous le parapluie de l’exemption par catégorie. Faudra t-il que chaque fabricant, en préambule du contrat,
fasse affirmer sur l’honneur au distributeur qu’il est en dessous du
seuil ?
les 5 enseignes qui se partagent le marché exercent ou non une position dominante collective. Et je ne vois pas de raison pour qu’elle
sanctionne le franchissement du seuil de 30 % par une chaine de distribution sélective, sauf pour constater la dépendance économique
croissante des fournisseurs vis à vis des grands distributeurs, et la
réduction de concurrence due à la disparition progressive des magasins indépendants.
34 - Mais il est difficile de comprendre pourquoi la Commission a
introduit un double seuil d’application de l’exemption et comment
ce seuil doit être appliqué.
3. L’interdiction des ventes sur Internet : une nouvelle restriction caractérisée de concurrence ?
35 - Alors que la France traverse une période de turbulences sociales,
je me suis rappelée, en écoutant Monsieur Gurin, qu’en mai 1968
les étudiants de la faculté de droit avaient écrit sur les murs « il est
interdit d’interdire ! ». Or, c’est exactement ce que vient de faire la
Commission. L’aspect le plus critiquable de la réforme réside dans
la position dogmatique qu’elle a pris, par de simples nouvelles lignes
directrices, « de considérer comme une restriction caractérisée toute
obligation visant à dissuader les distributeurs de vendre les produits
sur internet ».
36 - Le règlement 2790/99 était intéressant en ce qu’il validait la distribution sélective qualitative et quantitative, en l’absence de clauses
noires strictement énumérées. Le texte du nouveau règlement
330/2010 ne modifie nullement la donne. On cherchera en vain, à
l’article 4, dans la liste des restrictions caractérisées faisant écarter
l’application du règlement, la moindre référence aux ventes sur internet. Le règlement est muet sur ce point. L’interdiction vient donc
de simples lignes directrices, qui prohibent l’interdiction de la vente
sur internet, pour pouvoir bénéficier de l’exemption par catégorie.
32 - Il dépendra donc de la position des Autorités nationales de
concurrence de permettre ou non aux chaines qui auront plus de
30 % de parts de marchés de continuer à faire partie d’un réseau de
distribution sélective. Il est possible en France de consulter l’Autorité
de la concurrence pour avis. Si les seuils étaient dépassés, les professionnels seraient avisés de faire une demande d’avis, plutôt que
d’attendre une éventuelle procédure d’infraction.
37 - Sans doute, la Commission a-t-elle mis quelques gardes fous en
prévoyant au point 54 que « le fournisseur peut imposer des normes
de qualité pour l’utilisation du site internet aux fins de la vente de ses
produits, comme il le ferait pour un magasin, un catalogue, une annonce publicitaire ou une action de promotion en général ». De même
a-t-elle finalement accepté d’exclure les pure players en permettant
au fournisseur « d’exiger de ses distributeurs qu’ils disposent d’un ou
de plusieurs points de vente physiques, comme condition pour pouvoir devenir membres de son système de distribution ». Le fournisseur
peut même exiger un certain pourcentage de chiffre d’affaires dans
le point de vente physique. Il peut aussi exiger que « ses distributeurs
ne vendent pas plus d’une certaine quantité de produits contractuels à
un utilisateur final individuel. Une telle exigence peut devoir être plus
stricte pour les ventes en ligne s’il est plus aisé pour un distributeur non
agréé d’obtenir les produits par internet ».
33 - En France, l’Autorité de la concurrence n’a pas démantelé la
grande distribution alimentaire, bien qu’elle aurait pu examiner si
38 - Je suis étonnée que ce soit par le biais de simples lignes directrices que l’on crée ainsi une nouvelle clause noire. Il est également
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assez contradictoire d’ajouter de nouvelles interdictions, tout en affirmant le caractère réfragable de leur caractère restrictif de concurrence. Cette situation sera source d’insécurité et de contentieux pour
les entreprises.
39 - Mais une question se pose immédiatement : pouvait-on créer
de nouvelles interdictions par voie de soft law, par le biais de simples
lignes directrices ? Je ne le crois pas et je vais vous expliquer pourquoi : Nullum crimen sine lege (il ne peut y avoir de sanctions sans
loi, sans règle) ! En droit communautaire de la concurrence, la règle
c’est le Traité de l’Union européenne. La bible, c’est l’article 81 § 1
devenu l’article 101 § 1du Traité qui interdit : « tout accord ayant
pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu
de la concurrence ».
40 - Dans l’affaire LTM/MBU en 196613, la CJCE a jugé qu’en raison
du « caractère alternatif, et non cumulatif de cette condition », ce n’est
qu’au cas où l’analyse de l’objet du contrat ne relève pas un degré
suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, qu’il convient d’en
analyser les effets.
41 - Dans l’affaire de la viande industrielle de bœuf, la CJCE a rendu
un arrêt important le 20 novembre 200814, où elle interprète la notion de restriction de concurrence par objet de l’article 101§1, en jugeant qu’il faut examiner la finalité de l’accord. Il ne s’agit donc pas,
pour définir l’objet d’un accord, de rechercher l’intention subjective
des parties, ni même les effets du contrat, mais uniquement de rechercher son but même.
42 - On distingue donc :
• d’une part, les restrictions de concurrence par objet qui par leur
existence même créent une présomption de restriction de concurrence: il suffit de constater leur existence, et la preuve est renversée,
puisque c’est l’entreprise qui devra soit prouver l’absence de caractère anticoncurrentiel, soit apporter la preuve que les 4 conditions d’une exemption prévue au paragraphe 3 de l’article 101 sont
remplies ;
• d’autre part, les pratiques qui sont restrictives par leurs effets et
pour lesquelles l’autorité doit démontrer l’effet anticoncurrentiel.
43 - La distinction entre l’objet et l’effet n’est donc pas affaire de
vocabulaire, car de la qualification de la restriction de concurrence
dépend la charge de la preuve. Dans les deux cas, des pratiques susceptibles de violer l’article 101 § 1 du traité peuvent être exemptées
si l’accord répond aux quatre conditions d’exemption fixées par
l’alinéa 3. On distingue les exemptions par catégorie, données par
un règlement d’exemption de la Commission (comme le règlement
330/2010) et les décisions individuelles, données à l’occasion de
l’examen de clauses non couvertes par un règlement d’exemption.
13 CJCE, 30 juin 1966, aff. C–56/65, LTM/MBU : Rec.
CJCE 1966, p. 337.
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44 - C’est le règlement 19/65 du Conseil qui habilite la Commission
à prendre des règlements d’exemption par catégorie. Ce règlement a
précisément été modifié le 10 juin 1999, par le règlement du Conseil
1215/1999 pour permettre à la Commission d’inclure tous les accords verticaux, et donc les accords de distribution sélective, dans
le règlement d’exemption 2790/99. Mais l’article 1er du règlement
19/65 indique seulement que 15 « conformément à l’article 81 § 3 du
Traité, la Commission peut déclarer par voie de règlement que l’article
81, paragraphe 1, n’est pas applicable à :
a) des catégories d’accords qui sont conclus entre deux ou plus de deux
entreprises, dont chacune opère, aux fins de l’accord, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et qui concernent
les conditions dans lesquelles les parties à l’accord peuvent acquérir,
vendre ou revendre certains biens ou services ».
45 - L’habilitation que le Conseil a donné à la Commission de
prendre un règlement d’exemption en matière d’accord verticaux est
donc strictement limitée au seul droit de décréter que l’article 81 §
1 n’est pas applicable à certaines pratiques, c’est à dire d’autoriser
une restriction de concurrence par un règlement d’exemption. En
revanche, l’habilitation donnée par le Conseil à la Commission est
très strictement limitée et la Commission ne peut pas dire par voie
de règlement que telle ou telle clause ou pratique serait contraire à
l’article 81 § 1, devenu l’article 101 § 1 du Traité.
46 - De ce fait, un règlement d’exemption peut seulement autoriser et non interdire : il peut simplement énumérer les restrictions
de concurrence que la Commission estime compatibles avec les 4
critères d’exemption de l’article 81 § 3, devenu l’article 101 § 3 du
Traité, c’est-à-dire qu’il « contribue à améliorer la production ou la
distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou
économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable
du profit qui en résulte, sans imposer aux entreprises intéressées des
restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
et sans donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence ».
47 - L’adoption du règlement 1/2003 n’a pas changé les conditions dans
lesquelles la Commission peut prendre une exemption par catégorie.
Son considérant 10 rappelle que : « Les règlements du Conseil, tels que le
règlement n° 19/65/CEE… confèrent à la Commission compétence pour
appliquer les dispositions de l’article 81 § 3, du Traité par voie de règlement à certaines catégories d’accords… Dans les domaines définis par
ces règlements, la Commission a adopté et peut continuer d’adopter des
règlements dits d’exemption par catégorie, par lesquels elle déclare l’article 81 § 1 du traité inapplicable à des catégories d’accords, de décisions et
de pratiques concertées ». C’est donc très logiquement que le règlement
330/2010 ne crée pas de nouvelles interdictions et qu’il n’interdit pas l’interdiction de vente sur internet.
14 CJCE, 20 nov. 2008, Beef Industry Development Society,
(C-209/07: Rec. p. I-8637).
15 CJCE, 25 oct. 1977, aff. 26/76, Metro c/ Commission :
Rec. CJCE 1977, p. 1875, pt 77.
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48 - Je pose donc la question : puisque le règlement d’exemption
330/2010, au regard des règles du Traité et du règlement 19/65 qui
fixe les limites du pouvoir de la Commission à prendre un règlement
d’exemption par catégorie, ne pouvait pas interdire la limitation des
ventes sur internet, de quel droit de simples lignes directrices, sans
aucune valeur normative, en font une restriction caractérisée de
concurrence ?
49 - Il s’agit d’un renversement dangereux de la charge de la preuve.
En effet, l’article 2 du règlement 1/2003 sur la charge de la preuve dispose que : « Dans toutes les procédures nationales et communautaires
d’application des articles 81 et 82 du traité, la charge de la preuve
d’une violation de l’article 81§1, ou de l’article 82 du traité incombe à
l’autorité qui l’allègue. En revanche, il incombe à l’entreprise qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article 81§3 du Traité d’apporter
la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies ».
50 - En créant par voie de simples lignes directrices une nouvelle
restriction caractérisée de concurrence, la Commission outrepasse
donc, de mon point de vue, l’habilitation que le Conseil lui a strictement donné dans le règlement 19/65, puisqu’elle ne peut légiférer
par voie de lignes directrices dans des domaines ou elle n’est pas autorisée à le faire par un règlement.
51 - Je sais bien qu’en présence de restrictions par objet, présumées
contraires à la concurrence, la présomption posée demeure réfragable s’il peut être prouvé que des gains d’efficience peuvent compenser l’objet anticoncurrentiel de l’accord. Cependant, toute la finalité des lignes directrices, pour qualifier l’interdiction de vendre sur
internet de restriction caractérisée de concurrence, sous-entend que
cette limitation porterait atteinte aux intérêts des consommateurs,
privés de faire la totalité de leurs achats sur internet et de pouvoir y
comparer les prix.
52 - Pourtant, la CJCE a considéré dans l’arrêt Metro I du 25 octobre
197716 que « la concurrence par les prix, pour importante qu’elle
soit... ne constitue pas la seule forme efficace de concurrence, ni celle
à laquelle doit, en toutes circonstances, être accordée une priorité absolue ».
53 - Dans l’arrêt fondamental rendu par la CJCE le 6 octobre 2009,
concernant la limitation du commerce parallèle de médicaments
par GlaxoSmithkline17, la Cour, au point 64, a reproché au Tribunal
d’avoir fait de l’atteinte au bien être du consommateur une condition de la constatation d’une restriction de concurrence par objet.
La Cour a estimé que le Tribunal avait commis une erreur de droit.
54 - Même si la vente sur internet peut effectivement renforcer la
concurrence par les prix, dans cette affaire GlaxoSmithKline, la Cour
a déclaré au point 63 que l’article 81 du traité vise à protéger non
pas uniquement les intérêts des consommateurs, mais aussi la structure du marché en tant que telle. En quoi la structure du marché
16 V. supra n° 5.
serait-elle affectée lorsque l’on observe la vive concurrence entre les
marques et même entre les circuits ?
55 - De plus, est-on bien sûr que l’intérêt des consommateurs de produits cosmétiques de luxe soit d’acheter ces produits sur internet ?
Est-on sûr que la vente sur internet débouche sur une amélioration
des services de conseil ? Est-on sûr que la vente sur internet ne puisse
être comparée à un lieu d’établissement non autorisé, au sens de l’article 4 c) du règlement 330/2010 ? Cet article ne se limite pas aux
seuls points de vente physiques. Pourquoi ne faudrait-il pas agréer le
site internet comme tout autre lieu de vente ?
56 - Au delà du principe, qui me semble contestable, les modalités
imposées par la Commission à la libéralisation du commerce électronique posent également question. Le commerce électronique
pourrait représenter un danger pour les réseaux de distribution sélective, dans la mesure où ceux-ci, comme leur nom l’indique, visent à ne permettre la commercialisation des produits que dans des
conditions bien déterminées, selon des critères qualitatifs précis, et
surtout de manière étanche.
57 - La Cour de justice des Communautés européennes a estimé que
les systèmes de distribution sélective sont conformes à l’article 81 §
1, à condition que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères qualitatifs objectifs, relatifs à la qualification professionnelle du
revendeur, de son personnel et de ses installations.
58 - Si la sélection est seulement qualitative, il n’a pas lieu d’exempter.
On applique l’article 101 § 3, uniquement si le contrat a pour objet
ou pour effet de fausser la concurrence. Or la sélection qualitative des
revendeurs ne viole pas l’article 101 § 1. La CJCE a validé la distribution sélective qualitative. Aussi, je me demande comment la Commission peut la concilier avec une vente sur internet qui n’est qu’une
forme de vente par correspondance.
59 - Dans ses arrêts parfums18, la CJCE a reconnu que « certains produits ont des qualités telles qu’ils ne peuvent être offerts utilement au
public sans l’intervention de distributeurs spécialisés ». La distribution sélective répond donc au critère essentiel selon lequel sa nécessité est dictée par la nature des produits. On aurait pu s’interroger
pour savoir si ces deux méthodes de vente sont complémentaires ou
opposées. Il y a de forts risques que cette libéralisation des ventes sur
internet ne déstabilise peu à peu les réseaux de distribution sélective.
60 - La Commission a accepté que les fournisseurs exigent qu’une proportion des ventes soit réalisée en magasin, en volume ou en valeur
(point 52). Elle écarte cependant de l’exemption le recours à un politique
de double prix qui permettrait d’accorder des remises qualitatives pour
rémunérer le conseil donné dans le magasin ou l’agencement de ce magasin. Cela risque donc de favoriser des ventes sur internet au détriment
des distributeurs qui vendront surtout en magasin, sachant que l’agencement d’un magasin est plus couteux que la vente en ligne.
17 CJCE 11 déc.1980 aff. 31/80 : Rec. p. 3775.
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18 Commission, Communiqué IP/01/713 du 17 mai 2001.
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61 - Il me paraît critiquable que la Commission s’immisce à ce point
dans la stratégie commerciale des fournisseurs et détermine indirectement le niveau de leur image de marque en leur interdisant une
politique duale de prix, qui limite la rémunération du service donné
en magasin. Le droit français, avec la loi LME, fait le contraire, en autorisant les discriminations et encourage les fournisseurs à accorder
des ristournes qualitatives pour rémunérer le conseil.
62 - La suppression de la sélection quantitative a entrainé en peu de
temps une concentration de la distribution. L’interdiction de la limitation des ventes en lignes pourrait bien anéantir les réseaux les
moins puissants et donc réduire à terme la concurrence. Compte
tenu du caractère nouveau de l’interdiction prévue, de l’absence de
jurisprudence communautaire et de l’impact considérable de l’approche envisagée par la Commission, il est anormal que la question
des ventes en lignes, qui concerne tant de secteurs, ait été traitée dans
de simples lignes directrices excluant l’intervention du Parlement et
du Conseil.
63 - En effet, les deux seules procédures officielles ouvertes en la
matière ont abouti à des solutions négociées, adoptées en dehors
de toute qualification de restrictions caractérisées, et dont la seule
publicité se résume à deux communiqués de presse sur le site de la
Commission.
64 - L’affaire Yves Saint-Laurent Parfums19, est une simple décision
d’acceptation d’engagements. En effet, lors du renouvellement de
son exemption individuelle, le fabricant a préféré se placer sous la
protection du règlement d’exemption 2790/99.
65 - L’affaire B&W Loudspeakers20, est également assez particulière, puisque le contrat comportait plusieurs autres restrictions de
concurrence « caractérisées », telles que des prix de détail minima
déguisés sous la forme d’une interdiction de « prix d’appel », et l’interdiction des livraisons croisées entre revendeurs agréés. L’interdiction des ventes à distance n’était donc qu’un élément parmi d’autres.
D’ailleurs, le communiqué de la Commission ne les prohibe pas en
soi, puisqu’en prenant acte des engagements du fournisseur, la Commission constate que « les revendeurs peuvent désormais lui demander d’effectuer des ventes à distance. Le fournisseur ne peut rejeter de
telles demandes que par écrit et sur la base de critères ayant trait à la
nécessité de maintenir intacte son image de marque et la réputation
de ses produits ». Il peut donc encore refuser la vente par correspondance sur internet, s’il a des raisons objectives.
66 - La Commission a aussi classé discrètement une affaire concernant les contrats du leader de l’industrie horlogère de luxe, par une
lettre du 15 janvier 2004, l’entreprise l’ayant convaincue qu’il n’y a
19 Commission, Communiqué IP/02/916 du 24 juin 2002.
20 Cons. conc. Déc. n° 06-D-28, aff. Bose, Focal et Triangle,
Pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution sélective de matériels Hi-fi et Home cinéma : BOCC
2007, p. 418. – V. Sélinsky, Les ventes sur internet en question : RLC 2007, n° 10, p. 14.
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pas d’intérêt pour le consommateur à acheter ses montres sur internet.
67 - Pour revenir aux cosmétiques, en Belgique, la Cour de cassation,
dans un arrêt du 10 octobre 2002, en se prononçant sur l’application
du règlement 2790/99 et le point 51 des anciennes lignes directrices
d’octobre 2000, juge que « cette disposition n’exclut pas qu’un accord
vertical puisse comporter une interdiction catégorique de vendre par
internet, si cette interdiction est objectivement justifiée ».
68 - C’est ce même principe d’acceptation des engagements des
fournisseurs de home cinéma qui avait été rappelé pour le matériel
HI-FI par le Conseil de la concurrence dans sa décision du 5 octobre
200621, où il affirmait que « l’interdiction catégorique de vendre sur
internet ou sur catalogue n’est admissible que si elle est objectivement
justifiée ». Cette affaire a simplement donné lieu à l’expression de
préoccupations du Conseil, puisque les fournisseurs se sont empressés de lui proposer des engagements.
69 - Le Conseil de la concurrence avait eu la même lecture dans sa
décision du 24 juillet 200622 concernant l’interdiction des ventes en
ligne des montres Festina, qui sont de fort bonnes montres, mais qui
n’appartiennent pas au segment du luxe.
70 - Le Conseil n’a pas dévié dans sa décision 07 D 07 du 8 mars
200723, rendant obligatoires les engagements de certains fabricants
de produits cosmétiques vendus sur conseil pharmaceutique. Dans
ces 3 affaires, qui ne sont que des décisions d’engagements sans examen au fond, le Conseil sous entend que seule l’analyse des effets
de la restriction de vendre sur internet peut permettre sa justification objective éventuelle, c’est-à-dire qu’à aucun moment dans ces
affaires il ne l’a qualifié de restriction caractérisée.
71 - Le problème se pose lorsqu’une, et surtout plusieurs entreprises,
prennent des engagements de remédier à une préoccupation de
concurrence de l’Autorité de concurrence. Il est alors plus difficile
aux autres de résister, car elles s’exposent à une procédure d’infraction.
72 - En France, la seule décision d’interdiction formelle adoptée par
le Conseil de la concurrence est la décision Pierre Fabre n° 08-D-25
du 29 octobre 2008. Bien que l’amende fût symbolique, le fabricant
a eu le courage de faire un recours en annulation devant la cour de
Paris, qui a saisi la CJCE d’une question préjudicielle, après en avoir
interdit l’exécution provisoire, l’injonction prononcée risquant de
« modifier substantiellement la consistance et la nature du réseau de
distribution sélective concernée ».
21 Cons. conc., déc. n° 06-D-24, 24 juill. 2006, relative à
la distribution des montres commercialisées par Festina
France : BOCC n° 1, 26 janv. 2007, p. 398 ; Contrats,
conc. consom. 2006, comm. 187, obs. Marie Malaurie-Vignal ; Comm. com. électr., 2006, comm. 145, obs.
M. Chagny. – J.-L. Fourgoux, Internet : le Conseil de la
concurrence soude les nouvelles techniques de distribution
à la vente traditionnelle : Rev. Lamy dr. immat. 2006,
n° 22, p. 26.
22 Cons. conc., déc. n° 07-D-07, 8 mars 2007, Secteur de la
distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle.
23 Cons. concurrence, décision n° 08-D-25, 29 oct. 2008.
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73 - La question posée est précisément de savoir si une interdiction
absolue de vente des produits cosmétiques de la marque sur internet
constitue une restriction de concurrence par objet au sens de l’article
81 § 1, échappant à l’application de l’exemption par catégorie de l’ancien règlement 2790/99, mais pouvant bénéficier d’une exemption
individuelle. On s’étonnera donc que la Commission ait pris une position aussi tranchée, par voie de lignes directrices, avant même que
la Cour de Justice ne se prononce dans l’affaire Pierre Fabre.
tère réfragable de la présomption d’illicéité et indique qu’il appartient aux entreprises de démontrer l’efficience de leurs restrictions
caractérisées pour obtenir une exemption individuelle.
79 - Mais entre sécurité juridique et liberté la porte est étroite et, sans
doute, seuls les plus puissants oseront faire preuve d’audace. Paul Valery disait : « la liberté c’est de pouvoir choisir ses chaînes ». Les entreprises ont encore quelques mois pour mettre leurs contrats en accord
avec les nouvelles règles définies par la Commission.
74 - Dans son avis sur la révision du règlement 2790/99, l’Autorité
de concurrence insiste sur le caractère réfragable des restrictions par
objet et souligne que « les entreprises ont le libre choix de leur stratégie
de distribution ». Elle ajoute, à propos de l’interdiction de vente en
ligne, que « des raisons d’efficacité économique conduisant à vouloir
fermer catégoriquement ce canal de vente peuvent exister, mais elles
doivent faire l’objet d’un examen approfondi au cas par cas, au titre
de l’article 81, paragraphe 3, CE ».
80 - D’ici là, la Cour de Justice aura peut être rendu son arrêt dans la
question préjudicielle posée pour les contrats Pierre Fabre, qui doit
être plaidée le 11 novembre 2010, et de nouveaux rebondissements
pourraient venir si la Cour estimait que certains produits cosmétiques nécessitent un conseil qui ne peut être donné dans des conditions aussi satisfaisantes sur internet.
75 - J’espère donc que l’Autorité de la concurrence appliquera de
façon raisonnable les nouvelles lignes directrices et qu’un fabricant,
ayant des éléments objectifs pour montrer que ses produits doivent
être vendus avec un conseil personnalisé en magasin, ne sera pas
obligé de le vendre sur internet s’il peut justifier qu’une telle restriction est proportionnée à l’objectif à atteindre.
81 - La Cour a rappelé à plusieurs reprises que la distribution sélective est réservée à certains produits « dont la qualité et le bon usage
justifient un tel système » : produits de haute technicité, appareils
photographiques, montres de luxe, parfums, produits cosmétiques
de luxe. Elle a également validé la vente de cosmétiques par le conseil
d’un pharmacien diplômé, des lors que ce type de vente n’est pas
réservé aux seules officines.
76 - La principale difficulté pour les entreprises sera d’apprécier dans
quelle mesure elles peuvent s’écarter des nouvelles lignes directrices
et prendre le risque d’avoir des contrats de distribution dont les
clauses nécessitent une exemption individuelle, puisqu’elles devront
prouver, au cas par cas, l’efficience économique de telles clauses.
77 - Si la restriction de concurrence par objet doit être d’interprétation stricte, c’est bien parce qu’elle renverse la charge de la preuve en
dispensant l’autorité de démontrer les effets anticoncurrentiels des
accords ou pratiques en cause.
78 - Il reste à espérer que les juridictions et autorités nationales feront
preuve d’audace en accordant des exemptions individuelles plus systématiques aux contrats hors du champ d’application du nouveau
règlement 330/2010. Elles y sont invitées par la Commission, qui en
même temps qu’elle augmente les clauses noires, insiste sur le carac-
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82 - La consommatrice que je suis ne voit pas comment on peut tester un parfum ou une crème par internet. Le parfum se respire, et
une crème, produit de maquillage, doivent pouvoir être essayés sur
soi. Quant au conseil personnalisé, comment le donner sans voir la
cliente ?
83 - Pour conclure cette réflexion qui est un plaidoyer engagé pour
que l’on redonne aux professionnels le choix de leur mode de distribution, je rappellerai cette maxime que le polytechnicien Auguste
Detoeuf prête à OJ BARENTON dans son merveilleux recueil des
propos de ce confiseur imaginaire : « la concurrence est un alcaloïde,
à dose modérée, c’est un excitant, à dose massive un poison ! » Je crains
qu’à trop forte dose, à trop préciser les choses, la Commission ne
finisse par tuer le patient, c’est à dire les acteurs du marché que sont
les entreprises.
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