San Shuo – Une Miao au pays des Zhuang San

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San Shuo – Une Miao au pays des Zhuang San
San Shuo – Une Miao au pays des Zhuang
San Shuo prend son vélo pour se rendre au chantier du
nouvel immeuble en construction. Ici, il y a longtemps que
l’on ne lutte plus pour l’égalité des sexes, les femmes font le
même travail que les hommes, surtout quand celui-ci demande peu de qualification.
Levée dès cinq heures, San Shuo prépare le repas du matin pour elle et
son mari. Leur fils est dans une des meilleures écoles de Nanning, la
capitale provinciale, et c’est pour ça qu’ils travaillent si dur. Pouvoir payer
de bonnes études à son enfant est quelque chose de primordial, avec pour
espoir une meilleure vie que la leur.
Le bol de nouilles rapidement avalé, San Shuo prend la route, ou plutôt
le chemin qui va l’amener à Hengzhou. Ce sont d’abord trois kilomètres
qu’il faut descendre à flanc de colline en risquant à tout moment une chute
de plusieurs dizaines de mètres. Cette chute, elle l’a faite l’an dernier. Il
avait plu et le terrain était devenu glissant. Un pied mal assuré et elle avait
dégringolé, sa tête heurtant une pierre au passage. Ce n’est qu’à la nuit
tombée que son mari la trouvera inanimée et ensanglantée.
Plusieurs jours à l’hôpital et de l’argent emprunté à des amis l’ont
sauvée, mais il a fallu ensuite rembourser au prix de sacrifices et de
privations. Aujourd’hui, la chute n’est qu’un mauvais souvenir que San
Shuo essaye d’effacer de sa mémoire lorsqu’elle prend le même chemin,
détournant ses yeux au passage de la pierre qui aurait pu la tuer.
Ce n’est pas qu’elle tienne à la vie, mais elle a une mission qui est de
s’occuper de son mari et de son fils. Elle est née femme et ici les femmes
ont souvent cet unique but dans la vie.
À 35 ans et malgré les aléas d’une vie difficile, San Shuo est belle.
Lorsqu’elle a un peu de temps libre, elle aime se mettre devant l’unique
miroir de sa maison pour s’habiller comme les gens de son ethnie. Cet
habit est sa seule richesse et elle ne le porte que deux fois par an lors du
Nouvel An et de la fête d’automne où elle rejoint sa famille dans le nord du
Guangxi. L’occasion de retrouver ses parents, ses amies, mais aussi de
donner un peu d’argent pour aider ceux de sa famille qui n’ont pas eu la
« chance » de trouver un mari habitant en ville. Son époux n’est pas un
Miao comme elle, mais un Han. Ils se sont connus lors d’une fête et se sont
rapidement mariés. Leur enfant est arrivé l’année suivante et la chance a
été pour une fois de leur côté en leur donnant un fils.
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San Shuo – Une Miao au pays des Zhuang
L’homme se lève et se tourne vers la porte, mais au lieu de se diriger vers
la sortie, il fait le tour de la table en un éclair et plaque San Shuo sur le
canapé. Tout en défaisant la ceinture de son peignoir, il essaye de
l’embrasser de force. San Shuo le griffe à plusieurs reprises et lui mord
violemment les lèvres. L’homme sent le sang couler le long de son visage,
mais ne lâche pas prise pour autant. Il tourne la tête un court instant pour
s’essuyer sur le peignoir de San Shuo et celle-ci en profite pour lui arracher
de ses dents un morceau d’oreille.
Sous l’effet de la douleur, il lâche prise ce qui permet à San Shuo de se
réfugier dans sa chambre. L’homme a toutefois le temps de passer son pied
dans l’entrebâillement de la porte qu’il pousse violemment. San Shuo ne
peut résister à la violente poussée et se retrouve projetée sur le lit. Il a le
visage en sang et des gouttes tombent sur le visage de San Shuo. Elle hurle
de toutes ses forces, mais la maison est isolée et personne ne peut
l’entendre. Un violent coup de poing assomme San Shuo qui sent ses
forces s’évanouir malgré sa volonté de résister à son agresseur. L’homme
lui arrache son peignoir et contemple sa proie enfin à sa merci.
Alors qu’il s’apprête à s’allonger près de San Shuo toujours
inconsciente, il se sent soulevé de terre par une force alors inconnue et se
retrouve contre le mur. Il n’a pas le temps de se relever qu’un coup de pied
l’atteint en pleine figure.
C’est Genshe qui est revenu à la hâte après avoir croisé Shin qui lui a
indiqué qu’un homme était venu rendre visite à San Shuo. Loin de se
douter de ce qu’il allait trouver, il a quand même fait rapidement le
chemin, n’ayant aucune confiance en cet homme dont il connait les
antécédents. Il tient à présent la tête de l’homme dans ses mains et ne cesse
de la lui taper contre le mur.
San Shuo reprend légèrement connaissance :
— Arrête, arrête, tu vas le tuer.
— Oui, je vais le tuer, il ne mérite que ça.
— Non, laisse-le, il n’en vaut pas la peine.
San Shuo se relève et tout en titubant et s'agrippe à Genshe :
— Non, laisse-le.
Genshe finit par le lâcher tout en lui proférant une volée d’injures.
L’homme est couvert de sang et ne bouge plus :
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Ruha regarde San Shuo du coin des yeux avec une moue dubitative.
Elle sait que San Shuo ne lui en dira pas davantage, mais sait également
que le manque de sommeil n’est pas le seul coupable.
La matinée se passe calmement, les clients n’étant pas nombreux. San
Shuo tente d’évacuer les images du matin, sans pour cela pouvoir y
parvenir. En milieu d’après-midi Genshe arrive au magasin avec Shun :
— Tu as mangé ?
— Oui, Shin m’avait préparé le repas. Genshe est passé il y a deux heures
et nous sommes allés voir des chantiers. Genshe m’a dit qu’il me
conduirait à Nanning ce soir.
— Il n’en est pas question, tu prendras le bus comme d’habitude. Genshe
a autre chose à faire.
Bien que le ton employé par San Shuo ne laisse guère de place au dialogue,
Genshe intervient :
— C’est moi qui lui ai proposé. Je dois aller à Nanning demain. Que j’y
sois ce soir ou demain ne change rien et cela permet qu’il reste plus
longtemps avec toi.
— Pas question.
Genshe n’insiste pas connaissant le caractère de San Shuo. Ruha
l’appelle dans le bureau pour lui montrer des documents administratifs et
San Shuo aide la vendeuse à déballer des vêtements arrivés le matin.
Genshe entre dans le bureau en compagnie de Ruha qui lui demande de
fermer la porte derrière lui :
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— San Shuo !
— Quoi San Shuo ? Parce qu’elle ne veut pas que je raccompagne son
fils ? Ce n’est pas grave, tu la connais !
— Non, ce n’est pas ça. Elle est arrivée ce matin blanche à faire peur. Je
lui ai demandé ce qui se passait, mais elle n’a rien voulu me dire.
— À quoi penses-tu ?
— À rien, je ne sais pas. Essaye d’en savoir un peu plus.
Bien qu’inquiet pour San Shuo, Genshe hésite sur la stratégie à
employer pour la questionner. Si la manière est trop directe, San Shuo ne
répondra pas, ou du moins ne dira pas la vérité. Il faut donc attendre le bon
moment.
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San Shuo rejoint Li Bing devant la grande vitre. En fin de matinée Genshe
arrive et demande à San Shuo des nouvelles de son amie :
— Li Bing me dit qu’elle a un peu bougé et entrouvert les yeux. Ils lui
ont retiré le respirateur et elle devrait être réopérée cet après-midi
— C’est bien. Tu vas voir, tout va s’arranger pour elle et pour toi aussi.
— À 14 heures je viendrai te chercher pour aller à notre rendez-vous.
Aussitôt après, vous partirez tous les trois. S’il n’y a pas de problèmes
sur la route, vous devriez arriver en début de soirée.
San Shuo est toujours aussi peu emballée de quitter tant Ayen que son
travail :
— Tu crois que c’est réellement obligatoire ?
Pour réponse San Shuo a droit à un regard glacial, ce qui suffit
amplement à lui faire comprendre que la discussion sur ce sujet est inutile.
Genshe s’en va, laissant la jeune femme à ses interrogations. Il revient à
l’heure dite alors qu’Ayen est amenée vers le bloc opératoire. San Shuo
tente de convaincre son patron de ne partir qu’après le retour d’Ayen :
— Non, ça fera trop tard. Je ne veux pas que tu arrives chez toi en pleine
nuit. Tu as prévenu tes parents ?
— Non, pour quoi faire ?
— Penses-tu encore à ne pas y aller ?
— Non, mais je n’ai pas à les prévenir. Ce sont mes parents.
— Et s’ils ne sont pas là ?
— Où veux-tu qu’ils aillent ?
Genshe n’insiste pas, sachant fort bien qu’il n’arrivera à rien. Ce mode
de raisonnement est le même que celui qu’avait sa femme, et il sait donc
très bien que l’impasse est au bout de la discussion. Il donne ses ordres aux
deux anges gardiens de San Shuo et laisse sa voiture sur le parking de
l’hôpital, préférant faire à pied les quelques centaines de mètres qui le
séparent du salon de massage. San Shuo part en voiture quelques minutes
après avec les deux hommes qui la laisseront devant la porte du salon. Ils
iront ensuite se garer assez loin au cas où Fon serait suivie.
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— C’est une Yao.
— Papa, c’est fini toutes ces histoires maintenant.
— Pourquoi fini ? Tu sais très bien de quoi ils sont capables. Je ne veux
pas qu’il se marie avec cette fille.
— Tu lui as dit ?
— Oui, mais il m’a répondu qu’il quitterait la maison si je m’opposais à
cette union. S’il se marie et qu’il part, ça va être très difficile pour ta
mère et pour moi.
— Je suis bien partie moi et mon mari n’était pas un Miao
— Tu es une fille et ton mari était Han, pas Yao. De plus il était
quelqu’un de bien, pas un voleur.
— Mais papa, la fille est peut-être bien et tous les Yao ne sont pas des
bandits.
— Ah non, depuis quand ? Tu te souviens qui nous avait volé un buffle ?
San Shuo ne répond pas à cette dernière argumentation. Convaincre son
père relève déjà habituellement de l’exploit et ce sujet est des plus épineux.
Cette opposition entre ethnies est aussi ancienne que ces peuples et a été
alimentée par toutes sortes de conflits allant de simples querelles de
voisinage à des affrontements proches d’une guerre. Si aujourd’hui le
calme est revenu en apparence, les rancœurs sont tenaces et une simple
étincelle peut embraser non plus la région, mais plusieurs villages. Il y a
quelques années un des buffles du père à San Shuo a été volé.
Malgré le prix et les services rendus par ces animaux, la police n’a pas
été avertie. Par contre les voisins et amis se sont mis à la recherche du
buffle en ciblant particulièrement les fermes occupées par des Yao. Le
malheur a voulu que ce soit un de ceux-ci qui ait eu l’idée de voler le
bovin.
Quelques heures après avoir découvert le lieu où se trouvait le buffle, ce
sont 500 villageois qui sont venus demander des explications au voleur.
Les arguments des Miao n’étaient pas que verbaux puisqu’appuyés par une
multitude de hachoirs et de manches de pioche. Une fois le coupable
passablement amoché, le père de San Shuo a récupéré son bien et organisé
le soir même un grand repas pour remercier ses amis.
Pendant qu’ils étaient attablés, des Yao du village d’à côté sont venus et
ont ouvert toutes les vannes des rizières. Le lendemain, il y avait deux
petites armées qui s’opposaient, ce qui a dû de faire intervenir l’armée.
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La voiture dépasse d’une centaine de mètres la bâtisse :
— Fais demi-tour et éclaire la grange.
La manœuvre effectuée, San Shuo descend de la voiture escortée de
Zhou, qui dans le doute a sorti de sa veste une de ces matraques
télescopiques. En voyant celle-ci, San Shuo lui demande de la lui donner.
Zhou ayant refusé, San Shuo la lui arrache des mains dans un mouvement
aussi violent que rapide. San Shuo est arrivée à quelques mètres de la
grange. Elle s’arrête et ôte ses chaussures à talons :
— Sortez, je sais que vous êtes là. Si vous ne sortez pas, je mets le feu à
la grange.
Si aucune voix n’est perceptible, les respirations le sont et trahissent la
présence du frère de San Shuo et de celle qui l’accompagne :
— Fei, sort de là je ne le répèterai pas.
Malgré ces dernières menaces, personne ne bouge dans la grange. San
Shuo tourne la tête vers Zhou en se doutant que son frère l’observe :
— Bon, tant pis pour toi. Zhou, verse l’essence et allume !
Fei et son amie sortent en courant de leur cachette, le frère de San Shuo
sachant que tout en étant sa sœur, elle est capable de donner un tel ordre.
En étant sorti aussi rapidement, Fei ne se trouve qu’à une cinquantaine de
centimètres de sa sœur. En un éclair San Shuo assène un violent coup de
matraque dans sur le thorax de son frère qui s’écroule en se tordant de
douleur.
La fille s’approche pour le secourir et doit son salut au bras de Zhou qui
retient celui de San Shuo :
— Si tu la touches à la tête, tu la tues.
San Shuo s’approche un peu plus de son frère et lui décoche un violent
coup de pied dans la figure. La fille tente de s’interposer, mais San Shuo
l’attrape par le bras et l’expédie sur un tas de piquets amassés devant la
grange :
— Rends-moi l’argent.
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Fang, qui était partie ramasser son panier quotidien d’œufs, revient telle
une fleur en apportant sans le savoir une partie de la solution :
— La voisine a vu qu’on avait la télévision et demande à Zhou s’il
accepterait de faire la même installation que pour nous ? Ils ne l’ont
pas encore achetée, car ne savent pas trop quoi choisir.
San Shuo et Zhou se regardent et éclatent de rire en regardant Fang. La
jeune femme s’inspecte sous toutes les coutures, pensant qu’un détail
vestimentaire est à l’origine de ce qu’elle prend pour une moquerie. San
Shuo explique à sa sœur les réelles raisons de leurs rires, ce qui n’est pas
sans rassurer Fang dont l’esprit est alors traversé d’une idée qui se révèlera
des plus lumineuses :
— Et si on demandait aux autres voisins s’ils veulent eux aussi que Zhou
leur installe la télévision ?
— Qui va leur demander ?
— Moi, je vais faire le tour du village.
— Oui, tu peux toujours essayer.
Fang, à qui ne sont habituellement confiées que des tâches ménagères et
quelques heures dans les champs, se sent soudainement grandie de
quelques centimètres en se voyant confier cette mission de la plus haute
importance. Telle une tornade, elle file dans sa chambre pour en ressortir
quelques minutes plus tard en ayant revêtu un des corsages achetés à
Guilin, mais aussi la jupe qu’elle avait pensé porter lors de leur descente en
ville :
—
—
—
—
—
Tu vas où là ?
Et bien demander pour les télévisions !
Habillée comme ça, j’aurais pensé à autre chose.
Je ne comprends pas.
Ce sont des installations que tu vas vendre où toi ?
Voyant Wang les yeux rivés sur ses jambes, Fang comprend que c’est
de la jupe dont il s’agit :
— Même habillée correctement, tu vas trouver qui à cette heure ? On
dirait que tu viens d’arriver, tu sais bien que tout le monde est au
travail.
— Ah oui ! c’est vrai, j’irais ce soir.
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Ils apprennent à donner des coups, mais également à en recevoir, ce qui
les rend plus résistants à la douleur et donc plus forts face aux autres.
En grandissant, ils deviennent les propriétaires d’une rue ou d’un quartier
en faisant payer leur protection cette fois à des inconnus. Si les petits
boulots mal payés peuvent en faire rentrer un certain nombre dans le rang,
nombreux sont ceux effectuant de fréquents séjours en prison. Un autre
risque est d’empiéter sur un territoire déjà acquis à un autre, ce qui donne
lieu à des affrontements opposant plusieurs dizaines de personnes armées
de hachoirs et de couteaux. Les victimes sont fréquentes sans être toutes
comptabilisées par les services de police, certains corps disparaissant sans
laisser la moindre trace. Devant ces risques d’une mort précoce, l’ambition
de ces personnes est de monter au plus près du sommet afin de se voir
confiées des missions moins dangereuses.
C’est ce chemin qu’on parcourut Zhou et Wang en parvenant à éviter les
pourtant nombreux obstacles qui se mettaient en travers de leur carrière.
Depuis deux ans, ils sont employés par Wei qui leur a permis de gravir les
derniers échelons. Leur travail n’est plus d’intervenir directement, mais de
donner les ordres pour que d’autres le fassent à la place de leur patron.
C’est exceptionnellement qu’ils accomplissent pour Genshe cette mission
de protection. La raison est l’immense respect de Wei à l’égard de celui qui
est depuis un client.
Les deux hommes pénètrent dans la maison où toute la famille les
attend. Personne là non plus n’évoque l’incident de ce matin, un peu
comme s’il n’avait jamais existé ou avait été gommé des esprits.
L’ambiance est même presque gaie jusqu’au moment où le téléphone
sonne. San Shuo décroche, c’est son cousin policier :
—
—
—
—
Il parait qu’on a tiré ce matin ?
Non, oui, je n’ai rien entendu !
Tu n’as rien entendu, mais les Yao eux l’on vu.
Rien de grave, mais demande à tes amis d’être discrets. Ça n’ira pas
plus loin, mais met les en garde. Si un gros problème survient, je ne
pourrais pas fermer les yeux une fois de plus.
— Oui je comprends, merci.
— De toute façon, les Yao ne reviendront pas. Ils semblent avoir compris
la leçon, ce qui en fin de compte n’est pas une mauvaise chose.
San Shuo raccroche et jette un rapide regard aux deux hommes :
— C’était mon cousin, le policier.
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En un éclair, Wang se jette sur celui qui est devenu un agresseur tout en
hurlant à San Shuo de se protéger, ce qui pousse Genshe à se jeter sur elle
pour faire un rempart de son corps. En entendant Wang, l’homme se tourne
et lui porte un coup de couteau dans le ventre. Cette diversion permet au
cousin de San Shuo et à son collègue de sauter la table pour plaquer
violemment l’homme au sol et à lui passer les menottes. Wang se tient le
ventre de douleur, mais est resté debout.
Zhou lui demande de lui montrer la blessure et en remontant sa chemise
Wang laisse apparaître une entaille de plusieurs centimètres. Elle n’est pas
très profonde, mais il s’en écoule pas mal de sang. Si dans un premier
temps les villageois ne se sont aperçus de rien, la nouvelle de l’agression
s’est rapidement propagée. Ils sont à présent nombreux à entourer cet
homme tenu par les deux policiers.
Un des habitants le reconnait comme étant un des Yao venus l’autre
jour, ce qui a un effet quasi immédiat sur les villageois. Les deux policiers
sont obligés de s’interposer pour que celui qui était venu pour tuer San
Shuo soit lynché.
Fang est aux côtés de Wang en compagnie de sa sœur et de ses parents.
S’il n’y a bien évidemment dans ce village aucun service d’urgences, une
infirmière travaillant en ville en est originaire. Elle a fait allonger Wang sur
une des tables et est en train de lui poser une bande qui doit contenir
l’hémorragie en attendant plus de soins :
— Il faut le descendre à l’hôpital à Guilin. Ça n’a pas l’air trop grave,
mais il a besoin d’être examiné et mieux soigné que je ne peux le faire
ici.
Un des deux policiers s’approche :
— On va vous ouvrir la route en même temps qu’on amène l’agresseur au
commissariat.
Zhou et Genshe partent chercher les voitures et reviennent quelques
instants plus tard. Wang est installé sur la banquette arrière, l’infirmière
prenant place à côté de Zhou. Fang et San Shuo partent avec Genshe, la
voiture de police prenant la tête. Durant le trajet, San Shuo ne cesse de
rassurer sa sœur sur l’état de santé de Wang.
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Shin le fait asseoir et Genshe le rejoint quelques instants plus tard en
compagnie de son cousin :
— Tu peux annoncer à San Shuo que Shuan a été arrêté, mais pas
question qu’elle revienne.
— Pourquoi ?
— On n’est pas encore sûr d’avoir mis la main sur tout le réseau et
certains des amis de Shuan pourraient éprouver le désir de se venger
sur elle. Pour l’instant il mijote dans sa cellule et pourrait avant peu
tout nous lâcher en espérant une contrepartie, aussi minime soit-elle.
Sans Kung on aurait mis bien plus de temps, aussi on va se montrer
généreux avec lui et son frère. Shuan par contre n’a aucune chance de
s’en sortir. Des collègues ont interrogé une de ses relations bien
placées à Nanning et la personne a préféré tout nous dire pour éviter la
prison. Il est limogé, mais ne passera pas au tribunal :
—
— Eh oui, les gens bien placés perdent seulement leur boulot alors que
d’autres vont passer plusieurs années derrière les barreaux ou être
exécutés.
— Je ne suis pas là pour refaire le pays Genshe, je n’en ai pas les moyens
et toi non plus. Il y a encore quelques années une affaire comme celleci ne serait tout simplement jamais sortie.
— Je sais, je ne te reproche rien.
— S’il fallait mettre en prison tous ceux qui sont en faute, il n’y aurait
plus assez de monde pour les construire et personne pour en donner
l’ordre.
— Les enfants qui ont été enlevés ?
— Ils n’ont pas tous été enlevés. Certains ont été vendus, d’autres
réellement kidnappés. D’après le chauffeur qui les a transportés, ils
étaient une quarantaine au départ. On n’en a trouvé que trente, les
autres sont sûrement morts. Les survivants sont en cours
d’identification pour tenter de retrouver leurs parents et mes collègues
comparent leurs photos à celles des enfants déclarés disparus. Avant
de les rendre aux parents, on doit s’assurer qu’ils ne les ont pas
vendus. Si c’est le cas, on ne le leur remettra pas et ils seront placés
dans un orphelinat. Je dois repartir, on a encore beaucoup de travail.
— Et la femme de Shuan, elle peut revenir ?
— Non, pas plus que San Shuo. C’est encore trop risqué.
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Dans bien des cas, le « modernisme » ambiant se révèle être une cassure
entre les générations, les plus jeunes pensant avoir évolué plus vite que
leurs parents nés ou restés à l’époque du collectivisme. Dans les faits, leurs
connaissances sont assez souvent embryonnaires, mais suffisantes pour
penser impressionner un entourage plus âgé. Dès la couche de vernis
grattée c’est un grand vide qui apparait alors que les plus anciens sont
certes plus rugueux en apparence, mais bien plus solides face aux
difficultés quotidiennes.
À 18 heures Li Mei quitte le chantier pour aller faire quelques courses
pour sa mère. Une fois douché, Fei la rejoint devant un des supermarchés
de la ville. Li Mei est en tenue de travail et demande à Fei de
l’accompagner chez sa mère où elle pourra elle aussi faire sa toilette. Les
deux jeunes gens entrent dans l’appartement qui sans être luxueux est
propre, seul la rareté des meubles mettant en lumière la modestie des
revenus. La mère de Li Mei est allongée sur une chaise longue face à un
téléviseur loin d’être de la première jeunesse. En voyant sa fille
accompagnée, elle se lève difficilement :
— Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu venais avec quelqu’un ?
— On ne reste pas, on est invité à manger chez Genshe. Je t’ai apporté
ton repas, je prends une douche et l’on s’en va. Je te présente Fei, il
est le frère de San Shuo.
Li Mei laisse Fei en compagnie de sa mère le temps pour elle de se laver et
de se changer :
— C’est donc toi dont ma fille me parle tant, comment va ta sœur ?
— La dernière fois que je l’ai vue, elle allait bien. Elle devrait bientôt
revenir.
— C’est une fille bien ta sœur.
Fei a beau être quelque peu agacé que la conversation ne tourne
qu’autour de San Shuo, il est toutefois fier que l’on parle ainsi de
quelqu’un de sa famille :
— Pourquoi Genshe vous a-t-il invités à tous les deux ?
— Il a pensé que cela nous ferait plaisir et ma sœur doit téléphoner ce
soir.
— « Il a pensé », cela ne te plait pas d’y aller ?
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— Tu m’as fait peur, j’ai cru un instant que tu étais devenue
sentimentale.
San Shuo hausse les épaules en signe de protestation à cette remarque et
tourne la tête de l’autre côté. Wang et Zhou sont eux au bord de l’éclat de
rire en la voyant ainsi bouder dans son coin, mais se retiennent en étant
conscients des possibles risques de représailles. La voiture parcourt les
derniers kilomètres, entre dans la ville pour se diriger vers la rue où se
trouve le magasin de Ruha.Une fois la voiture garée devant le magasin, San
Shuo en descend aussitôt suivie par Zhou.
Le fait qu’ils soient revenus ne change rien à leur mission et seul Genshe y
mettra fin lorsqu’il le désirera. San Shuo entre dans la boutique en y étant
accueillie par Li Bing. Après avoir pris quelques nouvelles d’Ayen, San
Shuo pénètre dans le bureau où se trouvent Ruha et Li Mei qui à leur tour
lui font part du plaisir à la voir à nouveau ici.
San Shuo n’a pas reconnu Li Mei qu’elle n’a jamais vue qu’en tenue de
travail :
— Tu as une autre vendeuse ?
— Non, Li Mei va t’aider à aménager ton magasin. J’ai eu quelques
soucis avec les livraisons, je t’expliquerai plus tard, mais tout est
arrangé.
Cette rupture due à son éloignement perturbe San Shuo qui se sent mal
à l’aise en ne trouvant plus sa place dans cet environnement. Elle se sent
inutile et cette situation lui convient mal :
— Qu’est-ce que je peux faire pour vous aider ?
— Genshe a demandé à ce que tu restes tranquille aujourd’hui. Il sera là
d’ici trente minutes, veux-tu du thé ?
— Oui, je veux bien.
Ruha et San Shuo s’assoient autour d’une table spécialement conçue à
cet effet, sur différents plateaux sculptés dans la masse d’une souche sont
posés les ustensiles nécessaires. D’un geste très élégant Ruha lève la
bouilloire et verse un peu d’eau sur les feuilles de thé qui aussitôt semble
trouver une seconde vie. Li Mei est restée à l’écart, se considérant comme
une simple employée n’ayant pas sa place aux côtés des deux femmes.
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— Il faut que Li Mei aille au commissariat. Ils ont arrêté plusieurs
suspects après avoir visualisé la vidéo enregistrée par les caméras et
ils veulent qu’elle vienne pour confirmer qu’il s’agit de ceux qui ont
agressé Fei.
Genshe et Li Mei regardent San Shuo, attendant d’elle autant son accord
pour se rendre au commissariat qu’un commentaire quelconque. Celui-ci
ne vient pas et c’est en voyant San Shuo se diriger vers la porte que les
trois autres personnes quittent l’appartement. Durant les quelques minutes
du trajet, pas un seul mot n’est échangé, San Shuo et Li Mei se préparant à
voir ceux qui sont a priori à l’origine de la mort de Fei.
Après avoir patienté quelques instants, un policier en civil arrive dans le
hall et fait signe à Li Mei de le suivre, ce qui semble exclure les autres
personnes. San Shuo ne l’entend pas de cette manière et s’avance pour
suivre la jeune fille :
— Non, tu ne peux pas venir.
— Il s’agit de mon frère et je viens que cela te plaise ou non.
Le policier n’insiste pas, le ton avec lequel San Shuo a prononcé ces
mots ne laissant de doute sur la volonté de San Shuo à être présente.
Le policier fait assoir San Shuo et Li Mei et tourne vers la jeune fille
l’écran de son ordinateur :
— Tu vas regarder les photos et me dire si tu reconnais les personnes.
Elles ont été prises ce matin après qu’on ait plusieurs fois visionnés
les vidéos et amené six des individus que nous avons identifiés
comme étant présents lors de l’agression. Pour tout te dire, avec ton
témoignage en supplément cette histoire est assez limpide en dehors
d’un détail dont on discutera après que tu auras vu les photos.
C’est sans problème autre que les larmes qui viennent troubler sa vue en
voyant Fei, que Li Mei reconnait les personnes dont celle ayant porté le
coup mortel. Cette partie la jeune fille n’y a pas assisté puisqu’était parti
chercher du secours, mais il s’agit bien de celui qui menaçait Fei avant
qu’elle parte.
Le policier montre ensuite plusieurs vidéos à Li Mei, une étant celle de
la camera installée au début de la rue.
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