Daniel Widlöcher : pour une psychopathologie dynamique et en

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Daniel Widlöcher : pour une psychopathologie dynamique et en
Daniel Widlöcher : pour une psychopathologie dynamique et en perpétuelles voies
de recherche
Alain Braconnier1
Mots clés : Changement, Métapsychologie de l’écoute, Expérience psychanalytique
Keywords: Change, Metapsychology of listening, Psychoanalytic expérience
RESUME
L’auteur insiste sur la conception développement par Daniel Widlocher sur la psychanalyse décrite comme une science humaine et une science naturelle. Les
approches freudiennes sont décrites comme la science du changement et de l’opposition ou la résistance au changement. A partir de la métapsychologie des
significations on peut construire une métapsychologie de l’écoute en décrivant le processus de dévoilement du sens dans l’interaction de deux appareils
psychiques à travers l’expérience psychanalytique.
ABSTRACT
The author insists on the conception developped by Daniel Widlöcher on psychoanalysis as related to human sciences and natural sciences. Freudian approaches
are described as science of change and opposition or resistance to change. From metapsychology of significations, it is useful to build a metapsychology of
listening as describing the process of revealing or unrevealing signification thanks to interactions between two psychic apparatus through psychoanalytic
experience.
L’hommage que je souhaite rendre ici, à l’occasion de ce jubilé, reprend une partie des réflexions que j’ai écrites dans le livre de la collection
« Psychanalystes d’aujourd’hui » consacré à Daniel Widlöcher, (PUF, 2003). Pour moi, les principaux centres d’intérêt et de transmission
que Daniel Widlöcher a présentés tout au long de sa carrière et qu’il n’a jamais quittés s’orientent autour de quatre axes.
1. Les sciences du psychisme et la place épistémologique de la psychanalyse parmi ces sciences humaines et de la nature.
Daniel Widlocher est favorable à l’interdisciplinarité et ce pour au moins deux raisons :
- Le regain d’intérêt pour tous ceux qui s’intéressent aux progrès de la connaissance de la vie de l’esprit liés aux progrès des
neurosciences. Ce souci d’ouvrir un débat est partagé par un certain nombre de neurobiologistes et de psychanalystes ;
- La nécessité sociale pour la psychanalyse de faire reconnaître ses atouts : « Il ne faudra pas attendre encore longtemps pour que la
psychanalyse ait à répondre de ses progrès. Qu’elle se présente comme pratique ou comme science, elle ne pourra pas indéfiniment se
réclamer d’une idéologie de pionnier » (D. Widlocher, 1986).
Plusieurs articles constituent les pierres de touche de ce premier fil rouge : « L’étude des déterminations du comportement humain », article
paru en 1983, la question du parallélisme entre la biologie et la psychanalyse qu’il qualifiera de « parallélisme impossible », (paru en 1986)
et l’article « Psychanalyse et sciences cognitives », écrit en 1991.
2. L’ouverture psychopathologique.
L’intérêt pour l’approche psychopathologique l’amènera à traiter les principales affections psychiatriques et à les aborder en tant que
psychanalyste ouvert aux autres champs d’explication et de traitement des troubles mentaux. Il se penchera essentiellement sur la question de
l’angoisse et de la dépression. Son livre « les Logiques de la dépression » est particulièrement contemporain. Mais son intérêt pour l’hystérie,
pour les états limites et plus généralement pour les Troubles de la personnalité, l’amènera à écrire différents articles tout au long de son
parcours. Seule, sans doute, la psychose a suscite´ pour lui un intérêt plus limité. L’ouvrage collectif « Traité de Psychopathologie » (PUF,
1994), qu’il dirigera en réunissant ses principaux collaborateurs, sera une œuvre aujourd’hui inégalée.
Surtout Daniel Widlocher dirigera pendant plusieurs années, avec Pierre Fédida, la « Revue Internationale de Psychopathologie » qui sera,
pour tous ceux dont j’ai eu la chance de faire partie, un souvenir inoubliable d’échanges, de débats et de réflexions sur la psychanalyse et la
psychopathologie confrontées aux autres champs de l’étude de l’esprit humain.
Ce qui vient singulièrement interroger la question de la psychopathologie repose, pour Daniel Widlocher, sur le fait que nous disposons
d’une pluralité de modèles, qui se référent à une pluralité de pratiques thérapeutiques : « L’existence d’un lien étroit entre la
psychopathologie et les pratiques thérapeutiques est à la fois une idée simple et une question compliquée. C’est une idée simple et même
banale si l’on reconnaît que toute action humaine suppose une certaine forme de connaissance du monde. Déjà moins banal est le fait que la
plupart des modèles psychopathologiques reposent sur une certaine représentation des changements intrapsychiques et des comportements
humains et donc des processus thérapeutiques qui les recherchent. Et comme ces derniers devraient parfois être associés pour assurer la prise
en charge d’un même patient, nous sommes obligés de concilier ou de confronter ou de hiérarchiser différents modèles »
(D. Widlocher, 1996).
3. De la métapsychologie du changement à la métapsychologie du sens pour en arriver à une métapsychologie de l’écoute.
Daniel Widlöcher conçoit la métapsychologie comme une contribution originale à la psychologie. Il tente de la « faire travailler » pour la
rendre toujours vivante. Il proposera d’abord une « Métapsychologie du changement ». Le thème du changement lui permet dés sa thèse de
psychologie, sous la direction de Daniel Lagache, d’aborder la question qui traverse toute son œuvre : en quoi et comment la psychanalyse
pose et tente de répondre à une nouvelle interrogation fondamentale sur le fonctionnement du psychisme et sur l’homme en général ?
Daniel Widlöcher tente de montrer comment toute la démarche de Freud pouvait être comprise comme une étude du changement et des
résistances au changement : « Il n’est pas de changement concevable sans une structure qui l’assimile, l’intègre à son fonctionnement ou
résiste à son empreinte » (D. Widlöcher, 1970). Citons également : « Depuis la constatation princeps que la remémoration est susceptible de
supprimer le symptôme (la première équation thérapeutique de Freud) jusqu’à l’ultime méditation sur les résistances, depuis les concepts de
frayage et de décharge jusqu’à la notion d’instinct de mort [. . .]. On ne peut étudier la manière dont l’être persévère qu’en observant la
manière dont il résiste au changement. »
Daniel Widlöcher en arrive ensuite à proposer une « Métapsychologie du sens « qui est pour lui un discours théorique marquant une prise de
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distance vis-à-vis des faits cliniques, qui décompose les faits cliniques à l’aide d’une analyse sémantique produisant de nouveaux objets de
connaissance, et qui prétend substituer à un langage métaphorique une description de l’activité mentale qui permet d’en approfondir les
règles de fonctionnement.
Ce parcours l’amène enfin a` proposer une « Métapsychologie de l’écoute » : « L’heure est venue, me semble-t-il, pour que se construise, et
se ramifie sans doute, une métapsychologie non du langage mais de l’écoute, c’est-à-dire un processus de dévoilement du sens dans
l’interaction de deux appareils psychiques, une métapsychologie de la rencontre entre deux lieux d’expérience subjective. Cette
métapsychologie ne peut être qu’une théorie de la pensée partagée, de ce que nous avons appelé la « co-pensée, » une métapsychologie qui
pose l’analysant comme la source initiale de cette pensée, et qui décrit la manière dont l’analyste est pénétré, transformé par elle, et comment
le travail interprétatif résulte d’un long et complexe processus de transformation et d’assimilation de l’entendu. »
4. La question de la formation et de la supervision.
Comme pour les points précédents, Daniel Filocher se refuse à fermer le débat sur la formation des cliniciens psychiatres ou psychologues à
l’approche psychanalytique au delà de la seule formation à la « cure-type » sans souligner que cette dernière reste le socle de la connaissance
psychanalytique : « Posons-nous la question de manière strictement méthodologique : peut-on former à une pratique psychothérapique avant
une structure formative à la cure-type, ou nier la pertinence de la question, en nommant toute pratique psychothérapique une psychanalyse
ou, et ce sera la voie que je me propose de suivre, en considérant qu’une formation à la pratique psychothérapique est une étape nécessaire
mais non suffisante pour s’engager dans la pratique éventuelle de la psychanalyse au sens strict ? Pour justifier le choix de cette voie, il nous
faut distinguer la formation à la cure-type et une formation à la psychothérapie et tenir cette avancée non comme une adaptation de la
première mais au contraire, comme une propédeutique. »
La position de Daniel Widlocher est claire et l’amène, en complément à ses importantes responsabilités et activités au sein de « l’Association
Psychanalytique de France », à créer une « Association Psychanalyse et Psychothérapies » (APEP) dont il dirige la formation et les
supervisions avec plusieurs collègues partageant le même point de vue. Cette formation et ces supervisions rencontrent une demande
importante de jeunes et moins jeunes praticiens psychologues et psychiatres.
Tout le parcours après-coup de Daniel Widlöcher confirme une réflexion permanente orientée vers une meilleure connaissance du psychisme
humain et de ses avatars : ses changements sous l’effet de l’approche psychanalytique et les résistances à ce changement qui ne peuvent en
être dissociées, son fonctionnement que seule une démarche interdisciplinaire permet d’entrevoir, à condition de rendre claires les logiques
de chaque approche et donc leurs limites respectives, son déclin si la psychanalyse ne reste pas vivante dans ses approches techniques et dans
ses recherches théoriques.
La pensée de Daniel Widlöcher est le signe d’une grande fidélité à Freud, le souci de comprendre les apports historiques essentiels des
grands noms de la psychanalyse mais également la recherche permanente d’une théorisation contemporaine de l’expérience clinique.
1 Alain Braconnier, Service de psychiatrie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France
Annales Médico-Psychologiques 170 (2012) 423–424,. Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
0003-4487/$ – see front matter _ 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.
http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.06.004