Farouk Abillama, passionné de peinture libanaise moderne

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Farouk Abillama, passionné de peinture libanaise moderne
CULTURE
COLLECTIONNEURS
Farouk Abillama, passionné de peinture
libanaise moderne
Par Zéna ZALZAL | jeudi, janvier 5, 2012
Farouk Abillama entre un « Portrait de jeune fille » signé Gemayel et une nature morte de Georges Cyr.
Il vit et travaille à Londres. Dans la finance, en bon Libanais qui se respecte. Et,
heureusement d’ailleurs. Car la passion de Farouk Abillama est coûteuse. Une femme ? Non
! Pire qu’une maîtresse exigeante, ce sont les œuvres des grands maîtres de la peinture
libanaise qui mobilisent, depuis une dizaine d’années, le temps libre, l’esprit et les
ressources de ce collectionneur de 36 ans.
Il a hérité son goût de l’art de son père. Et l’amour du Liban coule naturellement dans ses
gènes. Deux facteurs conjugués qui pourraient expliquer la passion – dévorante – que voue
Farouk Abillama à la peinture moderne libanaise des années 40 à 70.
« Il y a des gens qui ont la passion du jeu, des femmes, de l’alcool, moi j’ai celle de la
peinture libanaise », affirme ce jeune homme, dénué de tout vice apparent, pour justifier
cette frénésie qui s’empare de lui chaque fois qu’il repère une belle œuvre à acquérir. Ou,
devrait-on dire, à conquérir. Car – et il ne s’en cache pas ! – il y a chez lui une dimension de
chasseur : une sorte de montée d’adrénaline qui le submerge à chaque « nouvelle recrue »
en vue. La peinture convoitée devient alors son obsession, la pièce indispensable à sa
collection...jusqu’à ce qu’il l’ait obtenue. « Et cela, après maints palabres, voyages,
échanges avec les propriétaires – en général des particuliers qui n’ont pas besoin ou envie
de s’en séparer – pour les convaincre de me la céder », précise-t-il, avec le sourire
jubilatoire du conquérant.
On n’entrera pas dans des interprétations freudiennes, mais une fois acquis, l’objet de sa
convoitise va sagement rejoindre sa collection de près de 80 toiles entreposées dans
l’appartement familial beyrouthin – un quasi-musée envahi par une accumulation de pièces
artistiques orientales parmi lesquelles Farouk Abillama a accroché quelques-unes de ses
peintures préférées.
Comme ces huiles étonnamment avant-gardistes, abstraites et aux couleurs vives de Saliba
Doueihy, qu’il vénère par-dessus tout, ces portraits de « fellah » et de Bédouine, ou cette
scène de baigneuses « renoiresques » de César Gemayel, ou encore cette Nature morte aux
deux poissons de la période cubique (1956) de Georges Cyr, l’un des rares artistes non
libanais de sa collection. Sauf que ce peintre français s’était installé au Liban en 1934, où il
avait acquis une certaine renommée.
Des œuvres parmi de nombreuses autres signées : Youssef Hoyek, Rachid Wehbé, Jean
Khalifé, Farid Aouad, Yvette Achkar, Chafic Abboud, Paul Guiragossian...Et qui constituent le
trésor pictural – et dans une moindre mesure sculptural – de ce collectionneur insatiable.
Lequel les garde, « délibérément », loin de lui, à Beyrouth, où il ne vient que deux fois l’an
à l’occasion des fêtes, « pour rester sur ma faim et me motiver à en acquérir de
nouvelles », dit ce jeune homme dont la projection du bonheur est « une retraite sereine
entouré de mes tableaux ! »
Gemayel et Zogheib à l’IMA
En attendant, Farouk Abillama met toute son énergie et son temps libre à enrichir sa
collection. Ce qui lui vaut parfois des aventures, péripéties et autres coïncidences
surprenantes que ce passionné égrène avec exaltation. Comme cette heureuse histoire qui
lui est survenue dans le sud de la France où, ayant appris qu’un particulier d’origine
libanaise avait peut-être des toiles de la période libanaise moderne, il s’était rendu sans la
moindre idée de ce qu’il pouvait trouver. « Je m’étais dit qu’à défaut de trouver une pièce
intéressante, je pourrais toujours passer un week-end agréable dans la région et, pour cela,
j’avais réservé une voiture décapotable. Par un concours de circonstances, je me retrouve –
fulminant ! – dans un break. Je vais chez ce monsieur qui me reçoit dans un salon défraîchi,
où je n’aperçois aucune œuvre de valeur. Une heure de conversation plus tard, je
m’apprêtais à prendre congé, déçu, lorsqu’il m’entraîne dans sa bibliothèque et me dévoile
un florilège de tableaux de Cyr, Guiragossian et Zogheib. Je suis retourné avec cinq
nouvelles acquisitions que j’ai pu transporter sur-le-champ grâce à mon...break. »
Idem pour une toile de Saliba Doueihy qu’il ira dénicher, lors d’un voyage d’affaires dans le
Connecticut, via un ami d’un cousin du peintre qui avait vécu aux États-Unis.
Sollicité par l’Institut du monde arabe à Paris, qui prépare pour mars ou avril 2012 une
grande exposition sur le thème du « Nu au Moyen-Orient », il a accepté de prêter quelquesunes de ses toiles, dont une Baigneuses de Gemayel et trois autres huiles de Khalil Zogheib.
Ce dernier, « un artiste autodidacte, était, en fait, barbier à Dbayeh. La peinture était son
loisir et il est mort dans la misère. Aujourd’hui, il est considéré comme le peintre naïf
libanais de l’époque », indique ce collectionneur, pas vraiment spéculateur, vu le choix des
artistes qu’il choisit. « Beaucoup sont considérés comme obsolètes et ne battent pas
spécialement des records aux enchères », convient-il. « Ils n’en restent pas moins, à mes
yeux, les maîtres de la peinture libanaise moderne », déclare ce collectionneur dont le rêve
ultime, l’idéal absolu, serait d’ « acheter, comme Peggy Guggenheim, une toile par jour ».