ceo - PwC

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ceo - PwC
ceo*
Le magazine des décideurs. juin/août 2004
La Russie, puissance économique. De nouveaux leaders. Une nouvelle solidité.
Kuoni. Comment tirer une nouvelle force des crises. Récit d’une navigation.
Christian Eschler AG. La maille futée. Ou quand la concurrence rend inventif.
Grand Hôtel Victoria-Jungfrau. Le bien-être se mesure. Le succès aussi.
Éditeur: PricewaterhouseCoopers SA, magazine ceo, Stampfenbachstrasse 73, 8035 Zurich
Rédacteurs en chef: Alexander Fleischer, [email protected], Franziska Zydek, [email protected]
Directeur de la création: Dario Benassa, [email protected]
Concept, rédaction et conception: purpur ag, publishing and communication, Zurich, [email protected]
Photos: titres Tesarek/laif, page 3 Bertschi, page 5 Russland Biskup/laif, page 13 Schulze, page 42 Pache
Lithographie: CMS Sticher AG, Impression: Sticher Printing, Lucerne
Copyright: magazine ceo PricewaterhouseCoopers. Les opinions exprimées par les différents auteurs ne correspondent pas forcément à celles de l’éditeur.
Le magazine ceo paraît trois fois par an en français, en allemand et en anglais. Tirage: 40 000 exemplaires
Commande d’abonnements gratuits et changements d’adresse: [email protected]
Les effets de la réglementation croissante concernent
aussi bien nos clients que notre secteur d’activité.
Nous devrions donc tous ensemble nous mobiliser
pour que les mesures de réglementation n’entravent
pas la croissance de l’économie suisse.
Markus R. Neuhaus, Administrateur-délégué
PricewaterhouseCoopers, Suisse
Vous avez entre les mains le premier numéro
de notre nouveau magazine ceo. Le concept
a été revu et adapté à l’évolution des besoins
de nos lecteurs: à l’avenir, le contenu
s’adressera aussi davantage à tous ceux qui
ont directement à faire avec le patron, en
particulier le conseil d’administration et les
cadres supérieurs d’une entreprise. Dans
notre forum, des personnalités de premier
plan s’exprimeront régulièrement sur des
sujets d’actualité. Il s’agit cette fois
des interactions entre «créativité et contrôle».
Le contrôle revêt une importance croissante,
y compris dans notre secteur, car nous y
observons une évolution fulgurante dans le
domaine de la réglementation.
Les effets de cette réglementation concernent aussi bien nos clients que notre secteur
d’activité. Nous sommes convaincus qu’en
Suisse, les entreprises et les sociétés d’audit et de conseil ont un intérêt commun
dans le bon fonctionnement du marché des
capitaux. C’est pourquoi nous devrions
tous ensemble nous mobiliser pour que les
mesures de réglementation créent des
conditions de base fiables sans entraver
simultanément la croissance de l’économie
suisse.
Pour ouvrir le débat, j’aimerais vous présenter
les positions de PricewaterhouseCoopers
à propos de la réglementation de l’économie.
La croissance reste au premier plan
des préoccupations
Une réglementation supplémentaire de
l’économie doit agir sur le marché des capi-
taux comme sur celui des ventes et de
l’approvisionnement de manière à créer la
confiance. Une réglementation décidée dans
son propre intérêt ou comme sanction est
nuisible.
Pas de croissance sans confiance dans
le marché des capitaux
Pour connaître l’expansion, les entreprises
ont besoin du marché des capitaux au sens
large du terme. Ceci est valable pour les
PME comme pour les grandes entreprises.
En règle générale, les investisseurs et autres
partenaires importants ne peuvent pas se
faire directement une idée du soin avec
lequel leurs capitaux sont gérés ou leurs
relations commerciales entretenues. C’est
pour cette raison que la confiance joue un
grand rôle. La confiance se mérite par les
preuves de résultats apportées par la direction de l’entreprise. Cependant, elle est
aussi assortie de règles du jeu dont le
respect est vérifié et évalué. Le travail des
auditeurs est un autre maillon important de
la chaîne des mesures instaurant la confiance. Au cours des trois dernières années,
nous avons vu combien a souffert la confiance accordée à l’économie et combien
étaient nécessaires d’autres mesures instaurant la confiance. Les actionnaires et
d’autres groupes de pression demandent
aujourd’hui aux sociétés de faire davantage
pour étayer la crédibilité des informations
qu’elles transmettent.
La transparence crée un climat de confiance
L’économie suisse vit dans une large mesure
du commerce international. Les règles qui
ont été adoptées en Suisse doivent donc
pouvoir supporter la comparaison internationale. Cependant, même des règles détaillées ne servent à rien si le comportement
d’un acteur est guidé par un manque d’intégrité. Une intégrité manifeste, une plus grande disposition à la transparence et à la
traçabilité, ainsi que la reconnaissance de la
nécessité de rendre des comptes au marché
des capitaux constituent un investissement
gage d’économies futures.
L’auditeur porte une responsabilité
Le fait est que là où la réglementation oblige
l’auditeur à des tâches supplémentaires,
celles-ci ne peuvent être accomplies qu’au
prix d’un supplément de temps passé. L’excès de réglementation existant aux EtatsUnis signifie, pour nous également, des
coûts supplémentaires lourdes à supporter.
En tant que numéro un de notre branche,
nous militons activement en faveur d’une
simplification du contrôle des PME suisses,
qui ne peut que servir la croissance de l’économie suisse. Notre ambition est d’occuper
la position de leader du secteur également
dans le développement et la mise en œuvre
intelligente de technologies et de méthodologies, et de parvenir ainsi à une amélioration constante de notre efficacité. Nos prestations doivent présenter le maximum
d’avantages pour nos clients.
Markus R. Neuhaus
ceo/éditorial 03
Leader. Pourquoi les hôtes se sentent-ils
mieux traités au Grand Hôtel VictoriaJungfrau d’Interlaken que dans d’autres
établissements de premier ordre?
Rosmarie et Emanuel Berger, directeurs,
s’expriment sur la mesurabilité du bien-être
et le Total Quality Management.
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expertise pwc
Transmission d’une entreprise. Remettre à
temps, entre de bonnes mains, l’œuvre de
toute une vie constitue un véritable défi.
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Trend. Des voitures plus rapides, des ordinateurs plus performants, des chaînes de
télévision dont le nombre ne cesse d’augmenter: que faire avec tout cela?
Gerhard Schulze, professeur de sociologie,
propose, simplement, de respirer à fond…
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Imposition de produits financiers structurés.
Comment éviter que le fisc frappe encore
après la survenance d’une perte.
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La place fiscale suisse. Quand il se justifie,
pour un Suisse fortuné, de consulter un
conseiller fiscal.
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Cinq minutes pour apprendre. Bâle II,
Leveraged Buy Out, Fairness Opinion,
délits économiques et PCAOB.
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Des recettes à succès pour transactions
M&A. Garder sous contrôle les points critiques dans chaque phase de la procédure.
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Evénements, études et analyses.
Abonnements et adresses. Comment
accéder au savoir de nos experts.
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Business en Russie: un rapport sur le difficile chemin
qui conduit du communisme au capitalisme.
Interlocuteurs: Oleg Kiselev, président de la banque
d’investissement Renaissance Capital, et Alexander
Abramov, PDG du groupe sidérurgique EvrazHolding.
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PricewaterhouseCoopers Global.
Collaboration avec le Global Fund: lutte
contre la malaria au Burundi.
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ceo1/04. juin/août sommaire
Forum1. Thomas Held, Avenir Suisse, sur le
thème de la créativité et du contrôle. Pourquoi
la crise menant à plus de productivité dans
les entreprises ne conduit pas forcément à
des réformes dans le domaine politique.
Forum2. Peter Wüst, Valora, sur le thème de
la créativité et du contrôle.
Pourquoi l’une des tâches les plus importantes du patron consiste à créer un climat
créatif à tous les niveaux de l’entreprise.
Forum3. Franziska Tschudi, Wicor Holding,
sur le thème de la créativité et du contrôle.
Pourquoi des erreurs, si elles sont corrigées
à temps, peuvent déclencher une poussée
créative.
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Christian Eschler AG. Que faire si l’on veut survivre là où d’autres
ferment? Avoir toujours une longueur d’avance! Peter et Alex
Eschler s’expriment sur les niches globales, la flexibilité et la stratégie de succès de leur entreprise textile d’Appenzell.
Kuoni. Terrorisme, guerres, débâcle de Swissair et maladies sont
sources de stress dans le monde des vacances. Comment Hans
Lerch, le patron, et son équipe ont profité du marasme pour développer de nouvelles visions et lancer une offensive massive.
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ceo/sommaire 05
forum1. créativité et contrôle
Thomas Held, directeur d’Avenir Suisse:
La crise qui mène à plus de productivité et de
croissance dans le monde de l’entreprise
ne déclenche pas impérativement des réformes
libérales dans le domaine politique.
Depuis le 1er janvier 2001, Thomas Held, 58
ans, est directeur d’Avenir Suisse, Think Tank
for Economic and Social Development.
La génération précédente a vu une grande
partie du monde occidental confrontée
au diagnostic de stagflation. En Angleterre,
Margaret Thatcher avait engagé un tournant
pour plus de marché et de compétition qui
a amorcé la plus longue période de croissance des temps modernes. Un commentaire du «Frankfurter Allgemeine Zeitung»
intitulé «Angela Thatcher» le rappelait récemment. En dépit de leur expérience, beaucoup placent leurs espoirs dans les «policy
angels» pour les sortir du blocage des réformes soumises aux défis du bouleversement
démographique et de la mondialisation.
Depuis le 10 décembre 2003, la Suisse ellemême espère ces «nouveaux politiciens».
En collaboration avec Avenir Suisse, l’économiste Thomas Straubhaar a récemment
décrit dans son ouvrage «L’économie de
la réforme» (Ökonomik der Reform) les exigences envers ces nouveaux politiciens qui
doivent tout d’abord briser le «corset du
consensus» au début du processus de
réforme. Ils doivent (1) créer les conditionscadres pour ouvrir une brèche donnant à
chacun plus de liberté d’action et de
responsabilité, (2) rechercher un bénéfice
politique dans les innovations plutôt que
dans le maintien des structures établies,
(3) remettre leur propre position en jeu
pour imposer ces réformes et générer ainsi
la crédibilité vis-à-vis du public.
06 ceo/forum
Les politiciens de cette trempe n’ont jamais
été légion. Et le système suisse de concordance et d’égalisation est conçu justement
pour empêcher ce type d’élan créateur.
Quoi qu’il en soit, les processus créatifs de
la politique et de l’économie ne peuvent
être comparés que dans une certaine mesure. Dans le monde de l’entreprise, le
processus de «destruction créatrice» génère de nouvelles créations d’entreprises,
tandis que d’autres acteurs du marché
disparaissent. Richesse et emploi sont
perdus. Mais seule cette joute impitoyable
permet de créer de nouvelles richesses
et des emplois à plus long terme. La créativité d’entreprise crée ce que les contrôles
nationaux n’obtiendront jamais par la protection, l’intervention et la subvention. Ce qui
est une énorme chance pour le gagnant est
une catastrophe pour le perdant – mais
seulement dans l’intervalle considéré. La
prochaine fois, tout sera différent.
Cependant, cette «destruction créatrice»
ne doit pas se propager à l’Etat: celui-ci ne
peut ni ne doit disparaître. Au pire, il glisse
dans la crise ou se fige. Quand bien même
l’obstacle aux réformes semble extrêmement élevé, les intérêts privés triomphent
sur l’intérêt économique commun à la
compétition. Les instances nationales n’ont
aucun intérêt à s’amputer elles-mêmes. Il
en résulte une augmentation permanente
des tâches et des dépenses de l’Etat et – en
cas de stagnation de la croissance – une
part plus importante de contribution fiscale
au produit intérieur brut. La crise menant à
une «destruction créatrice» dans le monde
de l’entreprise, à des bonds de la productivité et à une croissance plus élevée ne
déclenche donc pas automatiquement des
réformes libérales dans le domaine politique. Malgré les exemples de réussite en
Angleterre, en Finlande, au Danemark, en
Suède notamment, les réactions tendent
aujourd’hui, dans les principaux pays européens et surtout en Suisse, à un renouveau
de contrôle portant des titres avantageux
tels que «primauté de la politique» ou
«service public». La forme la plus dangereuse de ce contrôle est le protectionnisme.
Mais il convient de ne pas sous-évaluer non
plus l’intervention, petite sœur du protectionnisme: dès qu’un «problème» surgit, on
exige l’intervention de l’Etat et, si possible,
on demande une loi. L’illusion de plus de
sécurité par une meilleure réglementation
ne s’harmonise pas avec l’idée fondamentale de la «destruction créatrice». Le souhait
illusoire de toujours tout contrôler conduit
non seulement à des coûts inacceptables
mais limite surtout de plus en plus la créativité sociale et politique.
Actuellement, dans le contexte mondial,
les indicateurs oscillent plutôt en faveur du
contrôle que de la créativité. On peut difficilement modifier cette tendance. Mais
c’est justement la raison pour laquelle nous
devons veiller à ce que, dans le domaine
politique, facile à influencer, et surtout en
politique économique, la réglementation –
et l’excès d’autoréglementation! – ne soit
pas jugulée, de sorte que le potentiel de
créativité déjà menacé ne soit pas davantage réduit.
Photo: Mathias Braschler
forum2. créativité et contrôle
Peter Wüst, PDG de Valora: La créativité
sans contrôle ne fonctionne pas. Et le contrôle
sans créativité est la mort d’une société.
Il appartient donc au patron de créer des
structures pour les processus créatifs – et
de canaliser les idées sur l’objectif visé.
En 2003, Peter Wüst, 51 ans, est devenu
responsable du secteur Sourcing & Marketing du groupe Valora et a été nommé président de la direction la même année. Avec
12 220 employés dans 14 pays, l’entreprise
bernoise a réalisé en 2003 un chiffre
d’affaires de plus de 3 milliards de francs et
fournit 1,5 million de clients par jour.
La créativité est toujours payante. Toutefois,
la faisabilité de chaque idée doit être vérifiée afin de pouvoir l’appliquer pour le bien
de la société: en définitive, l’innovation
doit augmenter le chiffre d’affaires. Pour
assurer le succès à long terme d’une entreprise, il est essentiel d’inventer et de modifier les processus dans tous les domaines
et de les appliquer de manière créative.
Je prends personnellement beaucoup de
plaisir à tester les nouveautés et à considérer les choses sous tous les angles. Les
workshops «incubateurs» d’idées nouvelles
m’ont permis de recueillir de nombreuses
expériences positives au cours de ma carrière. On invite des professionnels, des individualistes, des fournisseurs et des profanes
à une réflexion commune pendant quelques
jours: qu’est-ce qui n’existe pas encore?
Comment peut-on améliorer ce qui existe
déjà? Que souhaitent vraiment les clients?
Dans notre secteur par exemple, la branche
kiosque, nous avions sous-évalué le potentiel des prestations de service électroniques
et nous avons dû faire face à l’urgence de
développer des nouveautés présentant des
08 ceo/forum
avantages décisifs pour la clientèle. Nous
avons abordé le thème sur plusieurs fronts
et invité des groupes internes et externes
de compositions différentes, dont un groupe de jeunes de 14 ans, à développer des
idées sur ce thème. Des suggestions applicables en sont sorties et nous pourrons à
l’avenir offrir plus de services électroniques
via notre propre réseau de points de vente,
et donc élargir notre offre de marchandises
et de prestations.
Cette année, nous abordons aussi notre
plan d’activité sous deux angles: conventionnel et créatif. Le plan d’activité sera
établi selon les règles habituelles dans l’équipe traditionnelle. Parallèlement, nous avons
invité dix jeunes collaborateurs à développer leur vision de l’avenir de notre entreprise dans le cadre d’un groupe de travail.
Finalement, nous comparerons le plan d’activité classique avec les idées des jeunes
talents et nous prendrons le meilleur des
deux mondes. Nous espérons ainsi créer
de nouvelles impulsions – voire, dans l’idéal,
de véritables innovations.
Bien sûr, les idées générées doivent être
analysées en termes de faisabilité et de
coûts. En règle générale, sur cinq propositions exploitables, seules deux sont véritablement réalisables. Nous sommes parfois
surpris de leur simplicité: par exemple, nous
avons constaté que pratiquement personne ne comprend le mode d’emploi de
son appareil photo numérique. Face à
ce constat, nous proposons désormais des
cours d’utilisation de ce type d’appareil –
avec beaucoup de succès. En Finlande,
nous avons développé un concept permet-
tant de fabriquer soi-même des timbres
avec ses propres photos par un procédé
électronique et de donner ainsi une note
personnelle à sa correspondance. Ce procédé est agréé par l’Etat et souvent utilisé
par les firmes comme élément de Corporate Design, par exemple. Une idée un peu
folle mais, malgré tout, réalisable, ce qui
prouve que beaucoup de choses sont
possibles!
Je suis convaincu que la créativité peut
surgir à tout moment et partout. Pas seulement dans les workshops mais à tous les
niveaux de la hiérarchie, dans tous les services d’une société. De nombreux collaborateurs – des personnes possédant des
connaissances professionnelles et un
don d’observation – ont des idées remarquables dans leur domaine. Ils doivent
prendre conscience de l’importance d’exprimer ces idées. La routine rend parfois
difficile le transfert de motivation. Il faut que
les supérieurs hiérarchiques soient à
l’écoute et sans préjugés. Parfois, de
bonnes idées se perdent car un supérieur
s’est considéré comme le garant des
traditions. C’est un grand risque car une
entreprise qui ne génère aucune nouveauté
pourra difficilement conserver ses clients,
sans parler d’en acquérir de nouveaux.
L’une des tâches principales de la direction
consiste à créer un climat propice à une
culture créatrice.
Photo: Mathias Braschler
forum3. créativité et contrôle
Franziska Tschudi, PDG de Wicor Holding AG:
Un chef d’entreprise qui présente chaque
jour une idée nouvelle surmène son équipe.
Inversement, s’il réduit sa fonction à un
simple contrôle, il démotive son personnel et
conduit son entreprise à la stagnation.
Appartenant à la 4ème génération, Franziska
Tschudi, 45 ans, dirige l’entreprise familiale
Wicor (groupe Weidmann) avec 3700
employés environ et 450 millions de francs
de chiffre d’affaires. L’entreprise, leader
dans le domaine de l’isolation haute tension
pour la construction de transformateurs, a
son siège social à Rapperswil et des filiales
dans le monde entier.
En fin de compte, les nouvelles idées se
mesurent à leur succès sur le marché. Le
travail débute avec l’innovation. Je
comprends le contrôle au sens anglosaxon de «controlling» – c’est-à-dire non
seulement surveiller, mais diriger. Les
nouvelles idées et leur «controlling» sont
tous deux nécessaires.
Moi-même, je ne suis pas très créative.
Les gens et leurs interactions m’intéressent.
Je sais négocier et je suis ouverte aux
innovations. Je ne recule pas devant les
décisions, je fais volontiers évoluer les
choses et préfère être le moteur et l’initiatrice qu’une simple accompagnatrice.
Ma tâche est de permettre la créativité et
de l’encourager. Nous travaillons avec
des équipes internationales de spécialistes
dans lesquelles non seulement diverses
nationalités doivent cohabiter, mais aussi
différents caractères. C’est comparable
à une équipe sportive: un coach ne peut
10 ceo/forum
pas lui-même marquer les buts. Il doit faire
des joueurs des éléments d’équipe et leur
attribuer les positions adéquates pour avoir
du succès.
Appliqué à notre business, cela signifie être
plus rapide que les autres et mieux contrôler les coûts. Le moment où la question de
la rentabilité des innovations est posée
est décisif. Trop tôt, je tue les bonnes idées.
Trop tard, cela coûte cher. Cet exercice
permanent de haute voltige constitue ma
responsabilité.
Dans une firme comprenant de nombreux
techniciens, il faut ajouter que la communication est souvent oubliée et notamment
le transfert des connaissances.
Pour y remédier, nous organisons non seulement des groupes de travail institutionnalisés mais aussi des endroits informels où
les échanges sont possibles. Dans notre
entreprise, les hiérarchies sont peu
marquées, ce qui facilite beaucoup de
choses. Notre site suisse ne possède pas
de système de propositions primées. La
réflexion fait partie du travail. Nous posons
les jalons lors du choix du personnel.
Les innovations ne sont pas l’apanage des
départements high-tech et développement, mais doivent également exister en
assurance qualité ou dans le domaine
des finances. Notre firme n’existerait pas
depuis de nombreuses décennies sans
un développement permanent.
Nous sommes sous-traitants et nous devons
offrir à nos clients de nouveaux composants de matière synthétique ou systèmes
d’isolation là où ils les réclament – et ce
avec des processus optimisés. Là aussi,
la créativité est nécessaire. Actuellement,
nous créons deux nouvelles usines dans
le domaine de la technologie du plastique
pour l’industrie automobile, en Allemagne
et aux Etas-Unis. Les gros clients désirent
nous avoir sur place.
Les délais sont très courts. Des erreurs
peuvent se produire. C’est inévitable.
J’accepte les erreurs. Cette tolérance est
primordiale car souvent les erreurs sont
source d’élan pour les nouveaux développements indispensables. Ce qui importe,
c’est de les reconnaître rapidement et de
les corriger en allant de l’avant.
Simultanément, nous devons être en mesure de gérer nos ressources humaines
et financières. C’est la raison pour laquelle
nous coopérons avec des concurrents.
Ainsi, nous pouvons unir nos forces. Une
collaboration génère souvent de meilleurs
résultats – elle motive et stimule à la fois.
Dans le domaine de la technologie médicale, nous avons la chance de fournir en
systèmes une grande firme pharmaceutique
avec un de nos partenaires et concurrents.
Il est impossible d’appliquer toutes les
innovations que nous concevons. Tant que
cette situation durera, je ne me fais aucun
souci pour notre entreprise. La difficulté
surgit uniquement du manque d’idées.
Photo: Christian Schnur
ceo/forum 00
trend. Objectif atteint. Que faire ensuite?
Des voitures plus rapides, des ordinateurs plus performants, des chaînes de
télévision dont le nombre ne cesse d’augmenter. La spirale du «toujours plus» qui
caractérise notre époque nous entraîne continuellement vers de nouveaux superlatifs. La question qui se pose est alors: que faire avec tout cela? Le professeur
Gerhard Schulze1 propose, simplement,
de respirer à fond…
Interview: Belinda Grace Gardner
Gerhard Schulze, sociologue allemand et
auteur de best-sellers, a observé chez
l’homme, individuellement, un besoin accru
d’expériences personnelles vécues avec
intensité. Dans ce cadre, nous privilégions
aujourd’hui la qualité de certaines rencontres exceptionnelles plutôt qu’une quantité
excessive de sollicitations. Le professeur,
qui enseigne à Bamberg, nous parle de cette
ébauche de mutation sociale et de ses
conséquences.
ceo: Professeur Schulze, dans votre bestseller «La société événementielle» vous avez
décrit la conscience de vivre telle qu’elle
existait avant le changement de millénaire.
Comment cette période apparaît-elle
aujourd’hui?
Gerhard Schulze: La société événementielle
des années 90 a engendré un modèle que
l’on peut qualifier de «rationalisation de l’ex-
1
Le professeur Gerhard Schulze, né en 1944, a fait
ses études à Munich et à Nuremberg et enseigne
à Bamberg. Schulze exerce également une activité
de conseiller auprès de groupes industriels, de
partis et d’autres organisations. Dans son livre «Die
beste aller Welten» (Le meilleur des mondes possibles), le sociologue se penche sur la manière dont
la société va évoluer au 21ème siècle. Dans «Die
Erlebnisgesellschaft» (La société événementielle),
il a analysé la conscience de vivre des années
80 et 90.
12 ceo/trend
périence». On croyait pouvoir augmenter
l’intensité de l’expérience subjective de la
même manière que l’on améliore le fonctionnement des machines ou la capacité de
rendement des surfaces agricoles. Un tel
mécanisme d’augmentation est très
perceptible à la télévision, où les prises
de vue sont cassées en séquences toujours
plus courtes, avec des changements de
perspectives de plus en plus rapides, pour
offrir au public le maximum d’expériences
dans le minimum de temps.
Quelle est pour vous la conséquence de
cette ivresse de la vitesse?
Nous nous rendons compte maintenant
très clairement que la vie intérieure de
l’homme ne fonctionne pas selon les critères
auxquels nous a habitués le monde technologique, dans lequel on peut être certain
d’arriver à ses fins en ayant recours à tel
ou tel moyen. Notre attitude par rapport aux
voyages, par exemple, révèle cette nouvelle prise de conscience: de plus en plus d’individus en arrivent à la conclusion que ce
n’est pas nécessairement en entreprenant
des voyages toujours plus lointains vers des
destinations toujours plus extrêmes qu’ils
augmenteront leur expérience, mais que
jeter un regard depuis son balcon constitue
déjà une expérience pleine d’intensité.
La question n’est pas tellement ce que l’on
regarde, mais bien plus la façon dont
on regarde. Ceci reflète un changement
progressif du mode de pensée de l’homme.
Voyez-vous des parallèles avec la situation
économique stagnante de nombreux pays?
En général, dans les pays industrialisés, on
observe un net ralentissement de ce que
l’on appelle la croissance: s’il en allait autrement, cela conduirait à des situations parfaitement absurdes. Nous distinguons déjà,
aujourd’hui, les excès de la diversification
toujours plus grande dans l’industrie cosmétique, par exemple. On va jusqu’à proposer
des lotions capillaires pour différentes tranches d’âge. Sans parler bien sûr de l’informatique et des télécommunications: les logiciels sont surchargés de fonctions jamais
utilisées. Des téléphones portables si petits
qu’il devient presque impossible de téléphoner avec arrivent sur le marché. L’augmentation de l’offre est souvent devenue en
contradiction manifeste avec
l’accroissement des avantages pour les
consommateurs.
A votre avis, la spirale de la croissance
s’est-elle freinée d’elle-même?
Les sociétés industrialisées sont sur la voie
de la croissance depuis très longtemps
déjà. Il est donc de plus en plus difficile de
maintenir cette dynamique au même niveau,
car certains objets sont tout simplement
allés déjà très loin dans leur évolution, voire
arrivés au terme de cette évolution.
«Nous vivons à une
époque où il existe
deux axes complètement
différents pour penser,
agir et trouver ses objectifs. L’axe du «pouvoir»,
offrant toujours plus
de choix d’actions, et
celui de l’«être», où il
s’agit de se comporter
de manière judicieuse
dans le cadre des
possibilités offertes.»
Et qu’attendez-vous pour la suite?
Si la croissance cesse progressivement
d’être l’objectif principal d’une société,
se pose alors la question: existe-t-il d’autres
objectifs tout aussi importants pour nous?
A l’époque où nous vivons, il est manifeste
qu’il existe deux axes complètement différents sur lesquels se place l’homme pour
penser, agir et trouver ses objectifs. L’axe
du «pouvoir», de ce que l’homme peut
accomplir, offrant toujours plus de choix
d’actions, et celui de l’«être», où il s’agit
de se comporter de manière intelligente et
judicieuse dans le cadre des possibilités
offertes.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement?
Dans la pratique, cela s’exprime d’une
manière très variée selon les secteurs.
Pensez, par exemple, à l’évolution du
secteur automobile au cours du 20ème siècle.
Au début, le produit fabriqué faisait certes
sensation, mais il présentait encore de très
nombreux défauts. Aujourd’hui, les voitures ne rouillent plus et elles peuvent rouler
beaucoup plus vite que ne le permettent
les conditions de circulation et la vitesse de
réaction des conducteurs. Il existe encore
d’autres potentiels de croissance, notamment en matière d’efficacité énergétique,
mais il viendra un moment où, là aussi, la
limite aura été atteinte. Avec un tel produit,
ce qui importe avant tout maintenant – et
ce changement est très perceptible actuelle-
ment dans le paysage automobile – c’est le
confort de la voiture, le plaisir de la conduite,
l’expression de son identité personnelle
au travers de son véhicule, l’esthétique. Il
s’agit d’un mode d’utilisation de la voiture
qui n’est pas centré sur ses performances
extérieures, mais sur la possibilité offerte
à chaque individu de profiter intrinsèquement de sa voiture. Si la façon d’être de
l’homme dans sa voiture devient peu à peu
plus importante que les capacités de son
véhicule, le constructeur sera dans l’obligation de se préoccuper autrement des individus pour lesquels il fabrique ses produits.
Cela veut-il dire que les objets eux-mêmes
prennent une nouvelle dimension?
C’est parfaitement évident dans la perception des clients. De nos jours, ils ne s’enquièrent plus des avantages objectifs d’une
voiture, devenus naturels, mais vont plutôt
l’examiner pour déterminer si elle déclenche
en eux une réaction subjective, s’ils se
sentent bien dans cette auto. Aujourd’hui, ce
que recherche intellectuellement l’homme,
c’est manifestement une forme d’esthétique,
que la notion de «rencontre» décrit sans
doute le mieux: la rencontre d’une œuvre et
d’un observateur individuels. Cette idée peut
être reprise pour tous les produits de
consommation: mieux se passe la rencontre,
plus il est possible de réussir à faire du
produit, même de masse, un objet tout à fait
personnel.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir?
Imaginez une sorte de système de coordonnées avec deux axes. Dans ce système,
tout ce que vous faites, les objectifs que
vous vous fixez, sont proches soit de l’axe
du pouvoir, soit de l’axe de l’être. L’une
des tâches décisives de notre époque
consiste à reconnaître le caractère bidimensionnel du pouvoir et de l’être. Ce caractère
bidimensionnel concerne aussi bien le
fabricant d’un produit que les clients
auxquels il est destiné. Le fabricant doit
tenir compte du fait que ses clients souhaitent tirer un certain avantage objectif de
son produit, mais veulent aussi le rencontrer
de façon subjective.
«Pouvoir» et «être» se conditionnent-ils
mutuellement?
L’homme est fait pour exploiter les deux
concepts: créer des possibilités et en tirer
parti. Il serait donc aberrant de dire: l’époque du pouvoir est révolue, ne nous en
préoccupons plus dorénavant. Le pouvoir
sans l’être est absurde, et l’être sans le
pouvoir est tout simplement impensable.
ceo/trend 13
La
maille
futée.
Ou quand la concurrence rend inventif.
En Asie orientale, on produit pour 70 centimes
de l’heure. Un secteur entier délocalise.
Que faire si l’on préfère rester en Suisse?
L’entreprise textile Christian Eschler AG, située
dans le canton d’Appenzell, montre la voie.
00 ceo/eschler
Depuis 1996, les deux frères Peter (à g.) et Alex Eschler dirigent l’entreprise Christian Eschler AG.
ceo/eschler 15
Les ateliers de broderie et de bonneterie ultramodernes de Münchwilen. En dépit du parc de machines high-tech, de nouveaux emplois ont pu être créés.
Texte: Bernhard Raos
Photos: Roth & Schmid
C’est un rien d’étoffe arachnéenne, douce et
agréable au toucher. Peter Eschler en est
légitimement fier: «Ces dernières années,
ces fonds à broder sont, en quelque sorte,
devenus notre nouvelle économie textile»,
dit, en faisant glisser un tube de tissu très fin
entre ses doigts, le copropriétaire et responsable du marketing de Christian Eschler AG,
dont le siège social se trouve à Bühler.
C’est avec des fonds à broder made by
Eschler que des marques de lingerie
tendance comme Chantelle, La Perla et
Triumph confectionnent leurs luxueux
tangas, strings, soutiens-gorge et bodies.
Luxueux égale onéreux, et une part de
ce rentable gâteau revient donc aussi au
fabricant de tissus.
Mais quelle recette se cache derrière un tel
article de grande diffusion pour qu’il soit
encore produit en Suisse, pays où les coûts
sont au plus haut? Un pays où les entreprises textiles doivent fermer les unes après
les autres (voir l’encadré en page 18)? La
réponse de Peter Eschler est simple: «Il faut
16 ceo/eschler
innover et, sur ce marché de niche, avoir
un volume de production suffisant pour s’y
retrouver.»
L’innovation, dans les fonds à broder, c’est
la technologie de production. Alors que
les machines à broder sont de plus en plus
rapides, sollicitant donc davantage l’étoffe,
la mode exige des matériaux toujours plus
fins et plus légers. Il faut donc des tissus à
la fois vaporeux et résistants. Les techniciens d’Eschler produisent le fil approprié,
et font ainsi partie des trois fabricants qui
dominent le marché mondial des fonds à
broder. Pour l’instant. En effet, la concurrence a elle aussi découvert ce marché lucratif.
La chaîne italienne Intimissimi et la maison
allemande de VPC Tchibo diffusent par
exemple des dessous brodés à des prix très
bas. Pour Eschler, cela se traduit par une
pression accrue sur les marges.
Répondre aux besoins du marché
On a réagi, entre autres, en créant une
coentreprise en Thaïlande, où des fonds à
broder sont produits à Petchburi depuis
deux ans. 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et
pour des salaires horaires plus de dix fois
en dessous du niveau helvétique. Cette
délocalisation partielle – on continue aussi à
produire des fonds à broder en Suisse – n’a
pas seulement été motivée par une maind’œuvre moins chère. «Si nous ne voulons
pas perdre le marché, nous devons être
proches de nos clients», déclare Peter
Eschler. Ces dernières années, les grandes
entreprises de broderie ont presque toutes
délocalisé leurs sites de production en
Extrême-Orient. Ceux qui n’ont pas suivi
sont depuis longtemps devenus sous-traitants. Et l’usine thaïlandaise contribue à la
préservation des emplois en Suisse. Ces
deux dernières années, Eschler a créé environ 30 nouveaux postes sur ses sites de
Bühler et de Münchwilen.
Pour Eschler, flexibilité et haut degré d’intégration verticale constituent un avantage
sur la concurrence. La firme produit de très
petites quantités dans les plus courts délais
et ne se contente pas de tricoter et de
broder des tissus, mais elle teinte et apprête. Eschler peut ainsi être présente dans les
collections et les premières séries des grandes maisons de lingerie, telle l’américaine
Victoria’s Secret. Généralement, le mélange
de matériaux reste inchangé par la suite et
la firme d’Appenzell est donc bien placée
pour emporter alors le marché. Elle fixe les
«Il faut se précipiter sur chaque ouverture du marché.»
tendances tout en étant, comme le dit Peter
Eschler en plaisantant, le «pharmacien du
secteur», faisant ainsi allusion aux petites
quantités, comparativement produites à
doses homéopathiques. La raison: «Il faut se
précipiter sur chaque ouverture du marché.»
Prévoir les besoins
Les fonds à broder, qui représentent environ
40% du chiffre d’affaires total de 46 millions
de francs (2003), sont toujours l’un des
piliers de l’activité de Eschler AG. Le
sportswear, premier support d’image, représente également un volume important.
Lorsque, à chaque printemps, revient la
fièvre du VTT, la plupart de ceux qui pédalent à travers champs pour garder la forme
sont assis sur une protection Eschler. Sous
la marque Swisspad, Peter Eschler fournit à
Descente, Gonso ou Nike les différents
modèles de garniture pour fond de cuissard, véritables objets précieux avec leur
structure à nervures longitudinales sur la
surface de contact, leur système de circulation d’air à quatre canaux ou leur dispositif
d’absorption des chocs spécifique: «Une
garniture de cuissard doit être confortable,
solide et respirante, tout en ne retenant pas
la transpiration.»
Cela requiert des compétences dans différentes disciplines, notamment médicales:
coureurs cyclistes et vététistes de sexe
masculin imposent en effet beaucoup à la
partie la plus sensible de leur anatomie.
Non seulement des chocs, mais aussi un
fort échauffement. Au-delà d’une certaine
température, les spermatozoïdes humains
capitulent, entraînant une stérilité momentanée. Cela peut être évité grâce à Coolpad,
une garniture de cuissard à micro-capsules
intégrées renfermant de la paraffine, laquelle se liquéfie à haute température et absorbe la chaleur, produisant ainsi un effet réfrigérant. C’est largement plus qu’un gag de
marketing bien trouvé, comme l’a confirmé
une étude médicale de l’Institut des sciences sportives de l’Université de Bayreuth.
Miser sur les mailles rapides
Lance Armstrong et des athlètes comme
Marion Jones ou Cathy Freeman portaient
déjà, lors de leurs victoires, des tenues
recouvrant tout le corps, fabriquées dans
des tissus Eschler. Mais ce sont leurs «mailles rapides» qui ont rendu mondialement
célèbres les «bricoleurs» de génie d’Appenzell: depuis bientôt 30 ans, Eschler fournit
le tissu pour les tenues de compétition des
skieurs suisses. Les tissus Hightex sont taillés directement sur le corps chez Descente,
au Japon. A partir de la saison prochaine,
quand les champions autrichiens se glisseront eux aussi dans des «peaux de compétition» Eschler, l’entreprise suisse occupera
de facto une position de monopole.
Environ 10 000 tenues de compétition en
tissu stratifié multicouches sont actuellement
confectionnées chaque année. C’est surtout
l’aérodynamique superficielle qui fait l’objet
de tous les soins. Des tests en soufflerie ont
ainsi révélé que des tenues structurées sont
plus rapides jusqu’à 70 km/h, tandis qu’audelà de cette limite, des matériaux lisses
autorisent une vitesse supérieure.
Mais être leader n’est pas de tout repos
dans le monde ultrasensible du sport de
haut niveau. Si les skieurs suisses, la saison
passée, sont la plupart du temps arrivés
derrière la concurrence, il devait bien y avoir
des raisons. En recherchant les causes de
ces contre-performances, les spécialistes
de la descente, conduits par Didier Cuche,
ceo/eschler 17
«Sans idées originales, nous aurions sans doute disparu depuis longtemps.»
ont mis en cause les nouvelles tenues de
compétition, certains préférant alors faire
confiance aux mailles de la saison passée.
Les Suisses ne sont pas allés plus vite pour
autant. Entre-temps, Peter Eschler a pris ce
psychodrame vestimentaire avec philosophie: «C’est un problème mental», estimet-il, car «compte tenu de leurs propriétés, les
anciennes tenues ne peuvent pas être plus
rapides que les nouvelles.» Un test objectif
effectué dans les conditions de la compétition doit confirmer cette appréciation.
Eschler réalise environ deux tiers de son
chiffre d’affaires en sportswear avec les
sports d’hiver, mode ski pour des marques
comme Bogner, Belfe et Prada incluse.
A vrai dire, à l’origine de cette importante
contribution aux résultats, il y a une douloureuse expérience du responsable d’alors
de l’entreprise, Kurt Eschler, au début des
années 80. En faisant du ski de fond, il fut
victime de coliques néphrétiques, et il en
rendit responsable ses vêtements trempés.
De là naquit la marque déposée EschlerErgonomic-Clothing-System EEC, une
gamme de vêtements de sport respirants
conçus pour aller les uns avec les autres
selon le principe de l’oignon: une couche
intérieure de sous-vêtements fonctionnels,
absorbant la sueur, la répartissant sur une
grande surface et transmettant le reste
d’humidité à la couche intermédiaire. Cette
couche tampon, la plupart du temps en
laine polaire, constitue un vêtement chaud
ou une isolation. La couche extérieure
protège le sportif des intempéries et des
influences mécaniques.
18 ceo/eschler
La chaîne de production verticale Eschler
prouve également son intérêt dans le sportswear. Selon leurs besoins, les clients choisissent les trois couches, ou ils achètent
seulement, par exemple, la polaire. La position de Peter Eschler est claire: «Tant que,
dans un secteur déterminé, nous faisons
partie des fournisseurs les plus importants,
nous avons une chance. Sinon, il vaut mieux
arrêter.»
Démultiplier les bons concepts
Pour Peter Eschler, l’innovation consiste
aussi à étendre la niche sportive aux vêtements de travail et d’entreprise (Corporate
Wear). Avec environ 5% du chiffre d’affaires,
ce secteur en est encore à ses balbutiements. Le personnel hospitalier constitue là
un groupe-cible: comme, dans les salles
d’opération, les peluches des vêtements en
coton bouchent les climatiseurs, certains
hôpitaux demandent à leurs chirurgiens de
porter des sous-vêtements jetables, chose
inacceptable tant pour des raisons de
confort que d’écologie. Entre-temps, les
retours d’un hôpital cantonal de Suisse
orientale ont rendu Peter Eschler optimiste:
depuis que des sous-vêtements en tissu
Eschler y sont distribués, les nouvelles
commandes pleuvent. Les médecins
portent aussi ces vêtements en dehors de
l’hôpital.
Un projet de recherches, mené par Eschler
en collaboration avec l’armée suisse et le
Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et
de recherche LFEM de Saint-Gall, montre
comment démultiplier un bon concept: des
vêtements à quatre couches portant le nom
évocateur de «Sweatmanagement» ont été
testés avec succès à partir de 2002 au
centre d’instruction de combat en montagne d’Andermatt. Eschler a obtenu pour
son produit le label de qualité «approved by
armasuisse». A Bühler comme à Münchwilen, on espère maintenant que la comman-
Saignée dans l’industrie suisse du textile
L’industrie suisse du textile est en
crise. Si, en 1992, le nombre total
d’employés dans les industries du
textile et de l’habillement s’élevait à
40 700, il n’était plus que de 18 100 fin
2003. En une décennie, le secteur a
ainsi vu disparaître plus de la moitié
de ses effectifs. Et la saignée continue. Début 2004, deux filatures centenaires, Streiff, à Aathal, et la filature
de l’Uznaberg, ont annoncé leur fermeture. 300 emplois supplémentaires
vont disparaître. Seules les entrepri-
ses de broderie ont pu, dans une
certaine mesure, sauver leur production, alors que pour les filatures,
elle a diminué de quatre cinquièmes
en 20 ans. La mondialisation pousse
un secteur entier vers l’ExtrêmeOrient, où aujourd’hui, en Chine, on
produit, pour des salaires horaires
de 70 centimes, 30 fois moins cher
qu’en Suisse. Seuls des entrepreneurs
innovants qui trouvent des niches
rentables peuvent survivre en Suisse.
Eschler est spécialisée dans des tissus répondant aux exigences les plus sévères, de la tenue de compétition aux dessous brodés les plus délicats.
de de nouvelles tenues militaires ne sera
pas annulée et qu’un fabricant s’approvisionnant chez Eschler obtiendra le marché.
Susciter l’émotion
Peter Eschler, 45 ans, ne manque pas
d’idées: «L’innovation est notre moteur et,
sans idées originales, nous aurions sans
doute disparu depuis longtemps.» Il parle
des chemises aux extraits d’Aloe Vera et de
textiles techniques pour le bâtiment ainsi
que des chiffons de nettoyage absorbant la
poussière. Ou d’une série de tests avec le
LFEM, qui doivent prouver l’effet positif des
vêtements sur l’analyse sensorielle tactile.
Les tissus de «bien-être» promettent des
marges confortables, en parfait accord avec
la devise de la société: aucune réduction
sur l’émotion.
Alors que Peter Eschler est plutôt le visionnaire, démontrant aussi dans la conversation sa capacité à s’enthousiasmer rapidement, son frère Alex, de trois ans plus
jeune, contrôleur de gestion et directeur
pour la Suisse, est plus le garçon patient
qui tient les rênes. Ils ne sont pas toujours
du même avis, s’opposant sur certaines
décisions. Mais tous deux affirment que
leurs tempéraments et leurs méthodes de
Les innovations font partie d’une tradition familiale vieille de 77 ans
Depuis 1996, les deux frères Peter
(45 ans) et Alex Eschler (42 ans), de la
troisième génération, dirigent l’entreprise Christian Eschler AG. Peter
assure la direction commerciale, Alex
est à la tête des deux entreprises
suisses de Bühler AR (teinturerie,
apprêt, contrôle des produits finis
notamment) et Münchwilen TG (tricotage, bonneterie). Leur cousin
Matthias dirige l’usine Eschler de
Balingen (Allemagne), qui produit des
textiles techniques. Depuis 2002,
une partie de la bonneterie est fabriquée en Thaïlande dans une jointventure. Le directeur est un beaufrère d’origine malaise, donc aussi
membre de la famille. Au total, sur
ses quatre sites, l’entreprise compte
230 employés. La succession a été
réglée de manière à ce que l’entreprise ne soit pas morcelée.
La deuxième génération n’a plus
aucune responsabilité opérationnelle,
mais avec Christian et Kurt Eschler,
elle joue encore un rôle au CA. Trois
autres membres, sans lien de parenté,
participent au gouvernement d’entreprise.
L’entreprise a été fondée en 1927 par
Christian Eschler, un passementier
originaire du sud de l’Allemagne, qui
avait alors 23 ans. En remontant dans
l’histoire de l’entreprise, qui vient de
fêter ses 77 ans, on trouve plusieurs
innovations dans le domaine du textile, telles que rayonne mate, nylon
pour chemises, tissu élastique bouclé
par chaîne pour draps de dessous,
tissus respirants pour vêtements de
sport sur le principe de l’oignon et
premières tenues de compétition une
pièce des champions de ski suisses
Russi et Colombin.
direction différents se complètent bien.
Ils habitent tous deux à Teufen et sont attachés au canton d’Appenzell. Ainsi, il y a
deux ans, ils n’ont pas réfléchi longtemps
lorsque le ruisseau qui traverse le village de
Bühler a inondé leur entreprise, causant
pour 15 millions de francs de dommages.
Avec le personnel, ils ont retroussé les
manches, utilisant la somme versée par
l’assurance pour rénover entièrement le
bâtiment en y ajoutant un montant considérable d’investissement sur fonds propres.
Aujourd’hui, en parcourant les halls de
production de Bühler, vous découvrirez une
entreprise «top». A l’avenir, le taux d’investissement, qui représente 10% du chiffre
d’affaires, sera également maintenu.
Où sera Eschler dans cinq ans? Toujours
sur son site principal, en Suisse, avec la
possibilité de produire en outre dans des
pays stratégiquement importants, répondent, unanimes, les frères Eschler. Simultanément, il y a la volonté de renforcer prestations de service, service après-vente et
intégration verticale. Et d’ici là, Eschler sera
peut-être présente sur le marché sous sa
propre marque.
Une production peu polluante au standard Bluesign
En matière de production durable,
avec notamment sa dernière collection de lingerie, Christian Eschler AG
se situe au premier rang du secteur.
Les qualités de cette lingerie et une
grande partie de la collection sport
sont conformes au standard industriel
Bluesign, qui préconise d’éviter le
plus possible l’utilisation de substan-
ces nuisibles et de recycler biologiquement et techniquement tous les
composants. Des organisations de
protection de l’environnement aussi
critiques que Greenpeace et le WWF
considèrent qu’avec Bluesign un pas
a été fait dans la bonne direction.
ceo/eschler 19
Bon voyage. En dépit de la tempête
et du marasme.
Le 11 septembre 2001, l’action Kuoni a plongé. Depuis, dans le secteur
du voyage, rien n’est plus comme avant: terrorisme, guerres, interdictions
de vol et maladies sont sources de stress au quotidien. Comment, pour
un leader, maintenir le cap de son navire dans une période agitée?
Récit d’une navigation.
ceo/kuoni 20
Hans Lerch, président de la direction: il est
resté maître de la situation en période
de crise et a donné une nouvelle impulsion
à l’entreprise.
Texte: Corinne Amacher
Photos: Hans Schürmann
Au soir du 11 mars 2004, on a recommencé
à trembler. Des bombes avaient explosé
dans la gare centrale de Madrid; le terrorisme islamique faisait violemment son entrée
en Europe occidentale. Les jours suivants,
dans son classique bureau directorial, tout
de verre et de cuir, Hans Lerch, le directeur
de Kuoni, consultait son ordinateur avec un
peu plus d’impatience que de coutume.
Chaque matin, l’écran le renseigne sur les
réservations de la veille, classées par
produit et par destination. Pour Lerch, un
chiffre d’affaires de cinq millions de francs
pour la Suisse est un «maximum» et avec
trois millions il est «satisfait». Que les recettes baissent pendant plusieurs jours, voire
plusieurs semaines, et le voilà inquiet.
Heureusement, cela n’a pas été le cas
après l’attentat terroriste de Madrid. Pour le
15 mars, le système annonçait des réservations à hauteur de 4,1 millions de francs.
Il est encore trop tôt dans l’année pour s’extasier. Toutefois, Lerch espérait que le
tassement de la demande allait enfin cesser
et se traduire par des réservations, ce qui
semble se confirmer. 2004 a nettement
mieux débuté que les deux années précédentes, avec une hausse de 25% du chiffre
d’affaires dans les quatre premiers mois.
L’envie de voyager semble peu à peu l’emporter sur la peur du terrorisme. «Les
hommes s’habituent à tout», déclare Lerch,
«ils constatent que la sécurité absolue
n’existe pas.»
Des catastrophes tous les mois
Après ces anni horribiles au cours desquelles le chiffre d’affaires de Kuoni Suisse est
tombé sous la barre symbolique du milliard
de francs, Hans Lerch a préparé le plus
important voyagiste suisse pour la reprise,
annonçant son retour avec des prix plus
bas, des catalogues attrayants et une vaste
campagne de publicité pour les trois
marques Kuoni, Helvetic Tours et Reisen
Netto.
Depuis le 11 septembre 2001, pratiquement
tous les mois, un événement s’est produit
remettant en question l’affaire de Lerch.
Swissair a implosé – Kuoni était son principal client – et les attentats de Djerba et de
Bali ont suivi. Ensuite, ont commencé le
chantage à la guerre contre l’Irak, puis la
22 ceo/kuoni
guerre elle-même. L’épidémie de pneumopathie SRAS s’est déclarée. Et maintenant,
le terrorisme règne partout dans le monde,
y compris en Europe occidentale. Bien que
Lerch parle de «facteur d’accoutumance»,
chaque nouvelle bombe ou épidémie suscite aussitôt un regain d’attention au siège
social de Kuoni à Zurich.
Comme à l’époque où deux avions ont
foncé sur le World Trade Center, tuant des
milliers de personnes. Ce jour-là, Lerch était
à quelques miles seulement du lieu de la
catastrophe. Il s’apprêtait à lancer une
campagne de promotion à partir de New
York avec Max Katz, le directeur des finances. Lorsqu’il a allumé la télévision à l’hôtel,
après son jogging et sa douche, le reportage sur l’attentat commençait tout juste.
Lerch a pris son portable pour s’enquérir du
cours de l’action Kuoni et n’en a pas cru
ses oreilles: comme tous ceux du secteur
touristique, le titre avait plongé. «C’est là
que j’ai compris qu’il s’était passé quelque
chose qui avait secoué le monde», dit-il.
Des coups de téléphone à Zurich l’ont
confirmé: dans tout le groupe, c’était le
calme plat au niveau des réservations et les
annulations pleuvaient.
De retour à Zurich, il a tenu une réunion de
crise avec le management. La procédure à
suivre était claire. Pour endiguer les pertes,
il fallait d’abord baisser les coûts, en particulier aux Etats-Unis, où les affaires étaient
complètement paralysées. Les effectifs aux
Etats-Unis ont été réduits de moitié. Des
emplois ont également été supprimés
ailleurs, comme par exemple en France, en
Italie et en Scandinavie, plusieurs centaines
en tout dans le monde entier. «Pour être
insensible aux licenciements, il faudrait être
sadique ou masochiste», déclare Lerch,
un homme pourtant peu suspect de sentimentalisme. Au cours des trois dernières
années, pour l’ensemble du groupe, le
nombre des employés est passé de 8301 à
7931.
De plus, pour le cas probable d’une période
de vaches maigres, Lerch avait besoin d’une
nouvelle limite de crédits. Les hauts représentants des banques habituelles, invités
d’urgence à une réunion du conseil d’administration, ne l’ont cependant pas entendu
de cette oreille. Après les attentats, ils
avaient sans tarder adapté en conséquence
le profil de risque des groupes du secteur
touristique. Plutôt que d’injecter de l’argent
dans cette branche de l’économie, a-t-on
entendu au cours des négociations, mieux
vaudrait tenter sa chance à la roulette.
Plus les semaines passaient sans que la
demande ne reprenne, plus Lerch s’inquiétait. Kuoni disposait certes d’un bilan solide,
mais l’argent baissait dans les caisses. Fin
novembre 2001, Lerch préférait ne plus
regarder les réservations: «Cela ne servait à
rien car de toute façon, il n’y en avait presque pas.» Même le patron de Kuoni, qui
en avait vu d’autres, est devenu nerveux. Il
se rappelle avoir dit à Max Katz, le directeur financier: «Max, si la situation ne
s’améliore pas, nous devrons déposer le
bilan au mois de mai.» Le groupe coûtait
alors 80 millions de francs par mois et il en
restait 400 dans les caisses.
Vaches maigres et nuages noirs
La manière dont peut se dégonfler un matelas financier en apparence solide s’est
révélée dans toute son acuité. Pour Hans
Lerch, l’impasse financière qui menaçait
constituait une expérience nouvelle, les caisses de Kuoni ayant toujours été pleines à
craquer. Elles le sont à nouveau aujourd’hui.
Fin 2003, le groupe disposait de liquidités à
hauteur de 617 millions de francs. Lerch est
toujours à la recherche de sociétés à racheter
dans ce secteur, mais la plupart des offres
sur le marché sont de qualité médiocre.
C’est justement vers la fin 2001, alors qu’il
avait déjà assez à faire avec les conséquences du 11 septembre, que le patron de
Kuoni a dû payer les frais d’une telle acquisition. Le voyagiste Apollo et la société de
charters Novair, que Lerch avaient approchés en Scandinavie, avaient besoin d’être
assainis. L’expansion dans le grand Nord et
les pertes enregistrées par les autres sociétés nationales ont été à l’origine de coûts de
restructuration élevés. Lerch s’est lancé
Pour Hans Lerch, l’impasse financière qui
menaçait a constitué une nouvelle expérience:
les caisses de Kuoni avaient toujours été pleines
à craquer. Elles le sont à nouveau aujourd’hui.
Les réservations par Internet s’amplifient
Pour la distribution, la stratégie de Kuoni
utilise plusieurs canaux. Outre les agences
de voyages classiques, les voyages sont
également vendus par téléphone et Internet.
Lentement mais sûrement, les ventes en
ligne gagnent en importance au sein du
groupe Kuoni. Les réservations effectuées
par Internet constituent 3% du chiffre
d’affaires de Kuoni Suisse, et 4% de celui
du groupe.
Les stratèges de Kuoni ont apporté leur
propre réponse à la question de savoir
comment, pour un voyagiste de la vieille
école, vendre au mieux ses voyages en ligne.
Ils ne se contentent pas de numériser les
catalogues pour les mettre sur le Web, mais
proposent une offre en ligne en plusieurs
parties. Le client internaute type réserve des
vols secs, des nuits d’hôtel ou des voitures
de location. Financièrement, les ventes réalisées au comptoir numérique sont intéressantes pour Kuoni car il n’y a pas de
commission pour les agences de voyage.
Cependant, pour des voyages plus
complexes, le client devrait, à l’avenir, continuer à s’adresser à son agence de voyages.
A long terme, Kuoni estime la part du chiffre
d’affaires en ligne à 15 à 20% au maximum.
«Je ne connais personne qui réserve son
voyage de noces par Internet», déclare
Thomas Stirnimann, responsable pour la
Suisse.
Thomas Stirnimann, responsable pour la Suisse:
il a acheté à des conditions intéressantes.
ceo/kuoni 00
Satisfait de la réussite de sa campagne:
Gianni Moccetti, responsable du marketing.
00 ceo/kuoni
Les nouveaux catalogues Kuoni se présentent
sous la forme d’élégants magazines, avec des textes
soignés et des photos parlantes. A lui seul, le
catalogue de vacances balnéaires Kuoni a été tiré à
plus de 190 000 exemplaires.
dans une vaste opération de restructuration,
inscrivant à l’exercice 2001 des pertes de
282 millions de francs. Il a ainsi pu repartir
sur de nouvelles bases pour l’année 2002.
La crise a créé des opportunités
Lorsque l’espoir a refleuri, à la fin provisoire
de la guerre en Irak, le SRAS s’est déclaré.
Plus personne ne voulait monter dans un
avion. Le vacancier allait en voiture à Adelboden, celui qui devait effectuer un déplacement professionnel négociait par vidéoconférence avec son patron à l’autre bout
du monde. Chez Kuoni, à Hong-Kong, les
bureaux étaient désinfectés quatre fois par
jour. Hans Lerch s’est demandé s’il devait
encore réduire les effectifs, bien qu’il les ait
déjà ramenés au niveau minimum. «Nous
nous efforcions de nous adapter à la situation», dit-il, «et nous avions l’impression que
le monde réagissait de façon excessive.» La
décision qu’il a prise venait des tripes et
était «dictée par l’espoir», comme il l’a luimême dit. Hong-Kong n’a pas été fermé. Le
site a même été revalorisé: Lerch a saisi
l’occasion pour porter à 100% la part de
Kuoni dans le capital du voyagiste local
P&O, «à un prix très intéressant».
Kuoni a également appris que les crises
pouvaient offrir des chances dans un autre
domaine: l’achat de chambres d’hôtel et
de places d’avion. Thomas Stirnimann,
responsable de Kuoni pour la Suisse et
homme de confiance de Hans Lerch, est
responsable de ce secteur sensible. «Au
cours des deux dernières années, en Méditerranée orientale et en Egypte, les hôteliers
ont sévèrement souffert», explique-t-il.
Lorsqu’au printemps 2003, avec ses acheteurs et ses producteurs, il a élaboré l’offre
pour la saison 2004, les choses se sont
passées comme dans les bazars turcs.
«Nous avons pu acheter à des conditions
intéressantes», dit-il. En moyenne, les prix
catalogue ont diminué de 10%. En lançant
son offensive sur les prix, Stirnimann veut
regagner les parts de marché perdues. Il
espère en outre, de la sorte, vendre davantage de voyages au tarif normal dès le
début de la saison au lieu de les brader en
dernière minute. Les clients ne sont pas les
seuls à bénéficier de ces réductions. Le fait
que la marge brute de bénéfice de Kuoni ait
atteint l’année dernière la valeur record de
28,3% tient principalement à l’amélioration
des conditions d’achat.
Les catalogues de l’été 2004 devaient être
mis en chantier au printemps 2003, au
milieu de la guerre en Irak, alors que le
secteur était au creux de la vague. «Il était
difficile d’avoir une vision précise pendant
une telle période», déclare Stirnimann. Mais
ils y ont réussi. Au début de l’année, lorsque
les catalogues sont arrivés dans les agences de voyage, la concurrence a été
désagréablement déconcertée et la clientèle agréablement surprise: les nouveaux
catalogues Kuoni se présentent sous la
forme d’élégants magazines, avec des
textes soignés, une mise en page généreuse et des photos parlantes. A lui seul, le
Concentration sur les voyages de vacances
Avec un chiffre d’affaires de 3,3 milliards de
francs, dont 0,9 milliard en Suisse, Kuoni est
de loin le voyagiste le plus important du
pays. Après l’exercice 2001, fortement déficitaire, les résultats augmentent de nouveau
depuis 2002. En 2003, le groupe a réalisé un
bénéfice de 65 millions de francs. En Suisse,
avec les marques Kuoni, Helvetic Tours et
Reisen Netto, le voyagiste couvre tous les
domaines d’activités: la marque Kuoni
propose de luxueux voyages individuels,
Helvetic Tours est spécialisé dans les voyages à prix forfaitaire plus intéressant, notamment les vacances balnéaires familiales, et
Reisen Netto offre des vacances en vente
directe aux prix les plus bas. Kuoni souhaite
se concentrer sur les voyages de vacances,
et se défaire petit à petit des domaines d’activités qui ne font pas partie de ses compétences principales. C’est ainsi par exemple
qu’en décembre 2003, il a vendu le secteur
des déplacements professionnels.
catalogue de vacances balnéaires Kuoni, un
pavé de 368 pages, a été tiré à 190 000
exemplaires. On trouve déjà ces catalogues
dans les cabinets dentaires et sur les tables
des salons. Pour la création de son instrument de marketing principal, Kuoni dépense
environ neuf millions de francs par an; à
l’avenir, l’insertion de petites annonces doit
permettre de rentrer en partie dans les frais.
Pour la première fois depuis trois ans, Hans
Lerch a également octroyé des budgets
plus importants pour la publicité classique.
Le directeur du marketing, Gianni Moccetti,
se réjouit d’avoir «un bon million» à sa
disposition pour attirer l’attention sur la
multinationale du voyage au moyen d’affiches et de petites annonces et, qui plus
est, pour la première fois, à nouveau au
profit des trois marques Kuoni, Helvetic
Tours et Reisen Netto: «Nous avons longtemps économisé sur la publicité. Cette
année, nous voulons de nouveau être considérés comme le numéro un, y compris pour
ce qui est de la publicité.»
De l’énergie pour de nouvelles offensives
L’alerte n’est pas encore levée, mais depuis
que ses coûts ont été réduits et que son
image a été rafraîchie, Kuoni a de bonnes
chances de repartir rapidement de l’avant si
la demande continue d’augmenter durablement. Hans Lerch veut abandonner le rôle
de l’éternel optimiste et ne livrer que des
faits lorsqu’il quittera son poste de directeur
général en mai 2005 pour se retirer au
conseil d’administration.
Le patron de Kuoni est un battant opiniâtre,
à la tête des mêmes troupes depuis des
années. A la fin des années 80, alors qu’il
était responsable de la production, il a
rassemblé autour de lui une demi-douzaine
d’hommes de sa trempe. Afin de souder
l’équipe, Lerch l’a sans cesse soumise à de
nouvelles épreuves, par exemple en 1993,
lorsque ce passionné de courses d’endurance a participé au marathon de New York
avec presque tout son staff. Il est convaincu
que ce genre d’entraînement est un ciment
pour son équipe. Il peut donc aussi tirer des
trois dernières années, les plus difficiles de
ses 34 ans de carrière chez Kuoni, un bilan
absolument positif: «Elles ont constitué un
‹team-building exercise› idéal», dit-il, «les
périodes de difficultés me motivent, car
dans les moments faciles, on n’a pas
besoin de moi.»
ceo/kuoni 25
ceo1/04.expertise pwc
Planification de la succession: Entre émotion et calcul. Page 27
Imposition de produits financiers structurés: Comment éviter l’imposition après la survenance d’une perte. Page 30
La place fiscale suisse: Comment un particulier fortuné peut-il faire des économies d’impôts? Page 32
Cinq minutes pour apprendre: Rappel sur des termes du monde de l’économie. Page 33
Des recettes à succès pour les transactions M&A: Garder sous contrôle les points critiques dans chaque phase de la procédure. Page 34
Evénements, études et analyses: Comment accéder au savoir de nos experts. Page 37
26 ceo/expertise pwc
Planification de la succession:
Entre émotion et calcul.
Remettre à temps, entre de bonnes mains, l’œuvre de toute une vie constitue
un véritable défi. Pour trouver la bonne solution, il faut une compétence
rationnelle dans les domaines de la fiscalité, du personnel, des finances et du
droit – mais aussi une bonne dose de compétence émotionnelle.
[email protected]
[email protected]
Le plus grand défi pour un entrepreneur
consiste à planifier sa succession à temps
et avec succès. En effet, on veut que ce
que l’on a mis tout son cœur à construire et
que l’on a développé à la sueur de son
front continue de subsister avec beaucoup
d’attachement. L’expérience montre que
nombre de patrons ont du mal à se détacher de leur entreprise. Personne n’aime
être confronté avec son remplacement, le
fait de vieillir, l’abandon de ses responsabilités, l’estimation réaliste des capacités
de son successeur ou l’examen de variantes de succession. Ces thèmes, que l’on
ressent souvent comme désagréables, sont
volontiers repoussés et le quotidien reprend
le dessus. L’urgent devient alors rapidement
l’ennemi de l’important.
Les émotions, un obstacle
La planification de la succession s’accompagne souvent d’émotions négatives:
abandon du pouvoir et du contrôle, perte
du statut de chef d’entreprise et de chef
de famille, peur du «trou noir» par la suite.
On ne peut régler une succession avec
succès que si ces obstacles émotionnels
sont surmontés et que si le chef d’entreprise adopte une attitude positive face à
toute cette procédure. Il y parvient notamment s’il a élucidé son avenir personnel,
que ce soit en se réjouissant d’une retraite
bien méritée ou en trouvant, en dehors –
ou à l’intérieur – de l’entreprise, d’autres
champs d’activité qui donnent un sens à
sa vie.
Des aspects rationnels
S’il existe des obstacles émotionnels à surmonter, les aspects organisationnels,
1
Peter Schmid est associé, Conseil juridique et
fiscal, PricewaterhouseCoopers, St-Gall, et
responsable d’Ambition PME, Markus Langenegger
est manager, Zurich, Ambition PME.
économiques, financiers, juridiques et
fiscaux devront eux aussi être analysés. On
élaborera pour ce faire un concept incorporant également la sphère privée du chef
d’entreprise. Indépendamment de la variante
de succession retenue, les divers aspects
devront être abordés suffisamment tôt et les
variantes possibles examinées minutieusement avec leurs conséquences fiscales et
juridiques.
Exemple 1
Ulrich Jüstrich Holding AG: du blocage
à la scission
Hansueli Jüstrich, président du Conseil
d’administration d’Ulrich Jüstrich Holding
AG, insiste sur le fait qu’il n’est jamais
trop tôt mais bien souvent trop tard pour
commencer à régler sa succession. Fort de
ce principe, c’est ce qu’il a fait à l’âge de 42
ans déjà. Auparavant toutefois, il a dû s’occuper des structures historiques de la société. En 1930, son grand-père, Ulrich Jüstrich,
a posé à Walzenhausen la première pierre
de l’entreprise familiale qui s’est spécialisée
dans les produits de soins naturels. A l’époque, il avait réglé sa succession en répartissant, à parts égales, les actions de l’entreprise entre ses trois enfants. Après le décès
de leur sœur, les deux fils, Ernst et Hansruedi, se sont partagé la part de cette dernière.
Peu de temps après, Ernst Jüstrich a remis
sa part à ses deux fils, Hansueli et Marcel.
C’est ainsi que la seconde et la troisième
génération ont détenu des parts dans l’entreprise et y ont travaillé en partie activement.
Les deux branches familiales ont bientôt
reconnu que si elles poursuivaient les
mêmes objectifs, elles voulaient les atteindre par des voies différentes. Les stratégies divergentes ont entraîné une situation
de blocage. Les propriétaires ont dès lors
décidé, d’une part, de réorganiser la société
(professionnalisation du conseil d’administration, gérants externes) et, d’autre part,
d’examiner des solutions possibles pour
surmonter cette situation. Les variantes
sérieusement envisagées à cet égard ont
été l’IPO (Initial Public Offering), la vente
et la scission. Après avoir beaucoup pesé le
pour et le contre, mis sur la table tous les
intérêts en jeu et procédé à une analyse
scrupuleuse, les deux branches familiales
ont finalement opté pour une scission. C’est
là que de nouvelles questions ont surgi
autour des conséquences fiscales, du financement et des nouvelles structures.
La nécessité de faire appel à des experts
est alors apparue, et notamment dans les
domaines suivants:
- évaluation;
- fiscalité;
- financement.
Les branches familiales ont entamé la
discussion en janvier 1999 pour n’aboutir
à une succession réglée avec succès
qu’en juin 2002. C’est là que l’on constate
une fois de plus l’importance du facteur
temps. De bonnes décisions méritent un
examen minutieux, et donc du temps.
L’histoire de l’entreprise familiale Ulrich
Jüstrich Holding AG montre aussi qu’il
peut être préférable de ne pas toujours
choisir la voie la plus facile. Hansueli
Jüstrich souligne à quel point il est important que le patron ait le courage de prendre
des décisions en fonction des aptitudes
individuelles. Il est convaincu que ce sont
les successeurs capables d’assumer aussi
la gestion active qui doivent participer à
l’entreprise.
Exemple 2
Kilchenmann AG: des détours pour parvenir
à une solution optimale
Klaus Kilchenmann, vice-président du
Conseil d’administration de Kilchenmann AG,
ceo/expertise pwc 27
Berne-Kehrsatz, société spécialisée dans
les techniques de communication, la télématique et les médias électroniques,
voyait initialement ses fils lui succéder à la
tête de l’entreprise qu’il avait lui-même
reprise de son père. Le bouleversement
subi par la branche durant les années 90
et les nouvelles voies empruntées l’ont
contraint à repenser la stratégie actuelle et
à rechercher une nouvelle solution pour
la succession à la tête de l’entreprise familiale. Après en avoir longuement et ouvertement débattu avec Herbert Wenger, son
collaborateur de longue date, Klaus
Kilchenmann a pu envisager assez tôt une
solution de MBO (Management Buy Out).
C’est ainsi qu’il a été décidé en 1998 de
vendre l’entreprise aux cadres dirigeants.
Durant cette phase, Herbert Wenger a pris
pour la première fois conscience qu’il était
placé dans une situation tout à fait nouvelle
vis-à-vis de son employeur. D’employé, il
s’était transformé en acquéreur de l’entreprise, un événement-clé pour l’administrateur-délégué en poste.
Au moment de la réalisation du MBO,
Herbert Wenger a mis l’accent sur les trois
domaines suivants:
- business plan;
- financement;
- équipe.
Pour Herbert Wenger, il est important d’établir un business plan sérieux, même dans
le cadre d’un MBO, et donc de pouvoir estimer de manière objective les perspectives
et les risques. Mais c’est surtout la faisabilité pour l’équipe MBO qu’il convient d’examiner aussi. La capacité et les possibilités
de financement ont dû être analysées et
des variantes examinées. Une telle phase
absorbe les capacités de gestion et exige
beaucoup d’engagement de la part de tous
les cadres. Des défis élevés sont imposés
à l’équipe, aussi bien sur le plan humain
que professionnel. La proximité de la clientèle et la fidélité des collaborateurs ne
doivent en aucun cas en pâtir. En outre, des
connaissances du secteur technique et
entrepreneurial, tout comme la gestion des
finances et des coûts, doivent être disponi-
28 ceo/expertise pwc
bles ou, à défaut, il faut les acquérir.
Pour pouvoir remplir toutes ces exigences,
l’équipe MBO a organisé des cours de
communication et d’information de la clientèle ainsi qu’une formation supplémentaire destinée à tous les collaborateurs, plus
particulièrement axée sur la gestion,
le travail en équipe et la vente. En outre,
l’équipe MBO a également fait appel à
un conseiller externe qui a aussi bien
accompagné l’équipe comme coach, fourni
des connaissances professionnelles que
participé à la construction de la «nouvelle»
Kilchenmann AG. C’est ainsi qu’il a été
possible d’organiser une succession fiscalement avantageuse et d’obtenir un financement. Herbert Wenger compte sur le fait
que la procédure de MBO, y compris le
remboursement des prêts, sera achevée
en 2007.
Planification de la succession:
aspects à prendre en compte
Exemple 3
4B Holding AG: des perspectives prometteuses pour cible
Hans-Ruedi Kronenberger représentait la
quatrième génération à la tête d’une entreprise familiale saine et prospère: Kronenberger AG à Ebikon, spécialisée dans la
construction de façades. La famille ne
comptait aucun successeur possible. Dans
l’intérêt des clients et des collaborateurs,
Hans-Ruedi Kronenenberger avait toutefois
à cœur de ne pas vendre son entreprise à
n’importe quel investisseur n’ayant pas
manifesté clairement ses intentions.
Pour Hans-Ruedi Kronenberger, trois
points étaient particulièrement importants:
- la reprise devait avoir un sens stratégique;
- le successeur devait prouver qu’il avait
réussi et avoir des capacités de gestion;
- les cultures d’entreprise devaient
concorder.
La société 4B Holding AG, Hochdorf, en
pleine expansion, avait quant à elle procédé
à une analyse du marché et, sur la base
de celle-ci, pris la décision stratégique de
se lancer dans l’activité «façades». C’est
là que se sont croisés les chemins de HansRuedi Kronenberger et des frères Mark
Bachmann, président de la direction, et Ivo
Bachmann, président du Conseil d’administration de 4B Holding AG. Des points
communs ont rapidement été décelés:
entreprises familiales prospères se récla-
mant d’une longue tradition et de philosophie et de culture d’entreprise similaires,
fournisseurs de qualité sur leurs marchés,
avec des dimensions faciles à cerner. Ces
conditions communes ont rapidement
conduit les deux parties à décider d’entamer des négociations.
Les deux sociétés ont alors été présentées
à leurs actionnaires respectifs, les négociateurs désignés et le mandat d’évaluation
confié. Une première offre de reprise sans
engagement a été faite à Kronenberger AG.
La réglementation de la succession s’est
ainsi globalement divisée en trois phases:
négociation, Due Diligence et conclusion du
contrat. La Due Diligence avait été demandée dès le départ par 4B. Elle avait donné
une vue d’ensemble complète de l’entreprise à reprendre, ce qui a débouché sur l’offre
de reprise définitive et la conclusion du
contrat.
Aspects
personnels/familiaux
Aspects
juridiques
Planification de la succession
Aspects
entrepreneuriaux
Aspects
fiscaux
Aspects
financiers
Mark et Ivo Bachmann n’ont jamais eu l’intention de «fusionner» avec Kronenberger
AG, ce que traduit le fait que cette dernière
continue de fonctionner comme filiale indépendante même si certaines unités ont été
regroupées conformément au business
plan. Pendant toute la procédure, les deux
frères ont été conscients qu’une telle reprise, et donc l’extension stratégique de leur
secteur d’activité, ne pouvait fonctionner
que si les personnes-clés étaient définies,
intégrées dans la procédure et la poursuite
de leur collaboration réglée par contrat. Ces
étapes ont pu être réalisées jusqu’ici avec
succès. Mark et Ivo Bachmann estiment que
la procédure n’est pas encore totalement
achevée et comptent sur deux années
supplémentaires pour l’intégration complète.
Planification, compétence et organisation,
des facteurs de réussite
Ces trois exemples très différents de réglementation réussie d’une succession
montrent clairement ceci: les facteurs de
succès d’une planification de la succession
résident dans les domaines calendrier des
opérations, compétences et organisation du
projet.
Il faut en général compter entre deux et cinq
ans pour qu’une succession puisse être
réglée avec succès. On peut même aller audelà des cinq ans si un successeur doit
encore être mis en place ou s’il faut envisager d’autres variantes. Une planification de
la succession ayant des répercussions dans
les domaines les plus divers, il est nécessaire de disposer de compétences en fiscalité,
en ressources humaines, en finances et en
droit. La compétence émotionnelle est,
elle aussi, requise: tant celui qui transmet
une entreprise que celui qui lui succède
doivent être capables de faire un pas en
arrière et d’examiner avec soin toutes les
options. Ce qui est évident n’est pas
toujours ce qu’il y a de mieux, que ce soit
pour l’entreprise, le chef d’entreprise, la
famille ou le successeur. Les exemples qui
viennent d’être évoqués ne sont pas les
seuls à montrer qu’un examen approfondi
de toutes les solutions possibles requiert
beaucoup de temps; tout chef d’entreprise
qui s’est déjà penché sur ces questions
le confirmera aussi. Il est évident qu’une
telle procédure doit être organisée en
conséquence. Le plus grand défi réside
toutefois dans la nécessité de trouver
la voie entre la raison et le cœur, mais aussi
entre l’émotion et le calcul.
Pour de plus amples informations sur ce thème,
se référer à l’ouvrage de PwC «La planification de
la succession dans l’entreprise», à commander
auprès de [email protected].
ceo/expertise pwc 29
Imposition de produits financiers structurés:
Comment éviter l’imposition après la survenance d’une perte.
Comme les investisseurs et les émetteurs des produits structurés, les gérants
de fortune et les conseillers en placements doivent connaître le régime d’imposition
complexe des instruments dérivés, ce qui devrait permettre aux investisseurs de
réaliser un rendement optimal après impôts, avec protection du capital.
[email protected]
Au contraire des gains en capital, les
rendements de la fortune sont imposables.
Néanmoins, la distinction entre les deux
devient très difficile en raison de l’opacité
de la pratique fiscale suisse dans ce
domaine. Lors d’un changement de situation sur les marchés financiers nécessitant la création de nouveaux instruments
financiers, il est impératif de s’interroger
sur les règles d’imposition qui les régiront.
Produits à capital garanti
Nombre de produits structurés offerts sur
les marchés financiers garantissent un
remboursement minimal. De plus, de tels
instruments associent une composante
de placement à faible risque avec une
composante à risque plus élevé. La question déterminante concernant leur imposition est de savoir si ces deux composantes
sont négociables séparément, si elles
peuvent être distinguées sur le plan analytique (imposition comme «produit transparent» ou «produit non transparent»). L’accroissement de valeur des «produits non
transparents» est en principe entièrement
soumis à l’impôt sur le revenu (au titre de
rendement de la fortune), y compris la part
représentant les gains en capital. Pour les
investisseurs, cette règle n’a aucun avantage. Les émetteurs doivent dès lors s’efforcer de démontrer la possibilité d’une imposition comme «produit transparent» afin de
préserver l’attrait des produits qu’ils offrent.
Si les deux composantes sont négociables
séparément ou peuvent être distinguées sur
le plan analytique, l’accroissement de valeur
relatif à la part risque est considéré comme
un gain en capital exonéré. En revanche, la
1
Andreas Risi est associé, secteur Conseil juridique
et fiscal, PricewaterhouseCoopers, Zurich.
30 ceo/expertise pwc
part représentant les rendements de fortune
versés au remboursement du titre demeure
imposable. Cependant, lors de la vente d’un
instrument financier, seul un montant est
versé à l’investisseur (prix de vente). Du fait
de l’imposition de la part représentant les
rendements de fortune, l’intérêt couru sur
cette part jusqu’à la vente doit être déterminé. A cet égard, les émetteurs doivent
garantir avec Telekurs la mise à disposition
de la valeur de la part représentant les rendements de la fortune, et ce pour chaque
jour où le titre est négociable. Ceci permettra à la banque chargée du décompte d’établir une pièce justificative à l’attention de
l’investisseur.
L’inconvénient de l’exonération des gains
en capital résultant des produits financiers
combinés «transparents» est le suivant: les
intérêts reçus par l’investisseur sont soumis
à l’impôt sur le revenu bien qu’il puisse être
amené à subir une perte sur la part risque.
A titre d’exemple, un investisseur peut ne
recouvrer que les 90% garantis de son
investissement initial (donc subir une perte
de 10% non déductible) et être malgré tout
imposé sur la composante «intérêt». De
nombreux investisseurs sont trop peu
conscients de ce double risque (perte en
capital non déductible/imposition de la
composante «intérêt») lorsqu’ils acquièrent
un produit, en apparence sûr.
En période de faible volatilité, le risque lié
à l’investissement est faible, raison pour
laquelle les produits combinés avec une
garantie du capital connaissent actuellement un regain de popularité. Le choix judicieux des instruments financiers ainsi que la
connaissance de la pratique fiscale en la
matière sont absolument nécessaires lorsque l’investisseur souhaite profiter d’un
rendement optimal après impôts, avec
protection du capital.
Instruments comportant le versement d’une
somme en cash ou la remise de titres
L’Administration fédérale des contributions
(AFC) exonère de l’impôt sur le revenu les
primes d’options attribuables à la fortune
privée. Cette pratique est importante surtout
pour les produits dits «Reverse Convertibles»
ou «Discount» (p. ex. REVEXUS, BLOC,
GOAL, TORO, etc.) pour lesquels l’investisseur reçoit un titre à l’échéance lorsque le
cours boursier de l’action sur laquelle repose
l’opération est inférieur à un plancher. Lorsque le cours boursier dépasse cette valeur,
l’investisseur reçoit un montant fixe en cash.
De son point de vue, sur le plan économique
et suivant la façon dont on considère l’opération, cela représente une combinaison
entre un placement en capital et une émission d’options Put ou encore une combinaison entre un achat et une vente de différentes options Call. Ainsi, l’investisseur vend
pour ainsi dire la volatilité du sous-jacent. En
période de grandes incertitudes, il peut donc
profiter des fluctuations de cours escomptées et réaliser un rendement plus élevé ou
acquérir, avec un escompte, le titre à la base
de l’opération.
La pratique de l’AFC distingue les instruments dits Reverse Convertibles à court
terme d’une durée égale ou inférieure à un
an des Reverse Convertibles à long terme
d’une durée supérieure à un an. Les bénéfices sur les Reverse Convertibles à court
terme sont considérés comme des gains en
capitaux. En effet, l’interprétation économique de la combinaison entre l’achat et la
vente de différentes options Call l’emporte.
Les Reverse Convertibles à long terme sont
considérés comme des obligations, interprétation qui ne laisse d’étonner car l’investisseur n’a aucune garantie quant au remboursement d’un montant fixe. Pour les produits
à long terme tels que REVEXUS, l’émetteur
ventilera les revenus annuels du produit en
deux composantes, la composante «intérêts» et la composante «primes d’option».
Seule la première est soumise à l’impôt sur le
revenu.
Bénéfice et perte pour les placements en actions et les Reverse Convertibles
1200
1000
800
600
400
200
0
-200
-400
Bénéfice/perte placements en actions
Bénéfice/perte Reverse Convertibles
-600
Cours des actions à la fin de la durée des
Reverse Convertibles
-800
Certificats sur indices et sur paniers
d’actions
Les certificats sur indices et sur paniers
d’actions correspondent, sur le plan économique, à un investissement sur les
marchés des actions (certificats sur indices), sur des paniers d’actions (certificats
sur paniers d’actions) ou, plus récemment,
sur d’autres valeurs de base tels les métaux
précieux. Du point de vue fiscal, les bénéfices provenant de l’aliénation de certificats
traditionnels (dits «classiques») constituent
un gain en capital exonéré chez l’investisseur privé. En revanche, les paiements
compensatoires (de même qu’un escompte
d’émission et un agio de remboursement)
sont considérés comme des rendements de
la fortune. L’émetteur de certificats classiques sur indices et sur paniers d’actions ne
garantissant pas le remboursement d’un
montant fixe, le produit n’a pas la caractéristique d’obligation. Au contraire des certificats traditionnels sur indices ou sur
paniers d’actions, l’émetteur gère les certificats dynamiques.
En dépit du changement de composition de
l’indice ou du panier d’actions pendant la
durée de vie de l’instrument, on considère,
du point de vue fiscal, qu’il s’agit d’un
«certificat classique» lorsque les conditions
suivantes sont remplies cumulativement:
- les actions, matières premières, métaux
précieux, etc. contenus dans l’indice ou
le panier sont sélectionnés et gérés selon
des critères objectifs et fixés d’avance;
- les critères déterminants doivent être
consignés dans les spécifications et sont
immuables pendant la durée de vie du
certificat;
- la durée de l’indice ou du panier d’actions n’est pas limitée et l’indice ou le
panier d’actions est enregistré comme
une marque auprès de l’office des brevets
compétent.
Les certificats dynamiques qui ne remplissent pas les conditions précitées sont en
principe qualifiés d’actifs analogues à un
fonds de placement, avec les conséquences que cela entraîne en matière de fiscalité
et éventuellement de surveillance. Les certificats sans durée fixe sont considérés,
selon les principes ci-dessus, comme des
certificats classiques ou dynamiques, lors-
que l’investisseur bénéficie d’un droit de
dénonciation annuel. La prudence est de
mise pour les certificats sur paniers d’actions portant sur des obligations et des
fonds de placement. Dans le cas des certificats sur obligations, le détenteur du certificat ayant les mêmes opportunités et les
mêmes risques qu’un porteur ordinaire
d’obligations, les certificats sur obligations
sont traités comme des obligations et dès
lors soumis, par analogie, aux prescriptions
d’imposition de ces dernières. Pour les
certificats sur fonds de placement, on se
référera également au traitement fiscal des
valeurs sous-jacentes, c’est-à-dire que le
certificat sera traité fiscalement comme une
part de fonds de placement.
La vigilance est payante
Les gérants de fortune, les conseillers en
placement, les investisseurs et les émetteurs de produits structurés doivent être
familiarisés avec cette matière complexe
qu’est le mode d’imposition des instruments dérivés. Le risque de réaliser des
pertes et de devoir néanmoins payer des
impôts est effectif.
ceo/expertise pwc 31
La place fiscale suisse:
Comment un particulier fortuné peut-il faire des économies d’impôts?
A quel point notre pays est-il encore attrayant pour quiconque dont la fortune
ou les revenus sont supérieurs à la moyenne? Quand vaut-il la peine de consulter
un conseiller fiscal? Réponses de Matthias Schweighauser1.
La place fiscale suisse est-elle encore
attrayante pour les particuliers suisses fortunés – ou ceux-ci sont-ils désavantagés
par rapport aux étrangers fortunés au bénéfice d’un régime spécial?
A quelques exceptions près, la place fiscale suisse peut encore être qualifiée d’attrayante pour les particuliers suisses fortunés en remarquant toutefois que le choix
du domicile joue un rôle central. On ne peut
pas dire non plus que les Suisses soient
désavantagés par rapport aux étrangers
fortunés. Il arrive certes que la charge
fiscale de certains étrangers fortunés soit
nettement moins élevée que celle de
Suisses. Cela s’explique par l’application de
l’«imposition selon la dépense», qui est
réglée par la loi. On entend par là l’application d’une base de calcul spécifique pour
les impôts et non d’un régime spécial. Une
telle imposition ne peut toutefois s’appliquer qu’en présence de certaines conditions et c’est justement pour cette raison
qu’elle ne pourrait pas convenir sans autre
pour nombre de citoyens helvétiques.
La charge fiscale résultant de l’imposition
selon la dépense est en outre toujours
assez élevée en chiffres absolus, ce que
l’on a tendance à oublier.
Quand vaut-il la peine de consulter un
conseiller?
Face à des structures de fortune et de revenus complexes, dans le cas de situations
intercantonales et internationales ou, d’une
manière générale, en cas de charge fiscale
marginale élevée. Le recours à un expert est
particulièrement recommandé lorsque l’on
s’attend à d’importants changements de
la situation personnelle, tels que la modification de l’état civil, la succession à la tête
d’une entreprise, l’abandon de l’activité
lucrative ou le transfert du domicile à
l’étranger. Par ailleurs, il ne faut pas seulement s’assurer que la charge fiscale est
aussi réduite que possible mais également
que l’investisseur satisfait à ses obligations
de contribuable de manière intégrale et
dans les délais.
Que peuvent attendre les investisseurs
fortunés du conseil fiscal?
En premier lieu, une optimisation souple et
à long terme de la charge fiscale en minimisant les risques fiscaux éventuels. Tant la
situation individuelle que les objectifs à
moyen et à long termes du client doivent
être analysés dans le cadre d’une planification financière globale et les mesures en
vue d’abaisser la charge fiscale seront
adaptées en fonction de cette analyse.
Le fisc suisse s’efforce de combler toutes
les lacunes fiscales. Cela signifie qu’il existe
toujours moins de possibilités légales de
faire des économies d’impôts. Que peut
encore faire le conseiller fiscal dans ce cas?
Une stratégie à long terme d’optimisation
des impôts ne peut pas reposer simplement
sur l’utilisation à court terme de lacunes
fiscales. Une planification minutieuse et
axée sur l’avenir pourra également permettre de réduire la charge fiscale, même
sans lacune fiscale.
Jusqu’où le conseil fiscal peut-il aller?
Où rencontre-t-il ses limites?
La législation fiscale, qui permet souvent en
Suisse une interprétation différenciée, fixe
automatiquement les limites. Des solutions
32 ceo/expertise pwc
conduisant à une soustraction possible
d’impôts sont taboues. Le conseiller fiscal
doit dès lors informer ses clients des
risques fiscaux éventuels que peut comporter une solution. Le client devrait donc
savoir où il est possible que le fisc qualifie
une situation ou une solution autrement
que ce que ferait le contribuable ou son
conseiller.
Faut-il donc s’attendre à voir la charge
fiscale augmenter encore en Suisse ces
prochaines années?
L’évolution conjoncturelle joue un rôle
important à cet égard. La forte croissance
de la quote-part fiscale doit sans doute
aussi être considérée en relation avec l’extension des dépenses et des prestations
publiques au cours des dix années écoulées. Par conséquent, la volonté des
décideurs politiques est décisive pour un
revirement de tendance. Compte tenu
de la constellation actuelle, je suis relativement optimiste quant à l’avenir et espère
que les décideurs opteront pour une imposition modérée de façon que la Suisse
demeure attrayante pour les entreprises,
les chefs d’entreprise et les particuliers.
1
Matthias Schweighauser est associé,
secteur Private Clients du Conseil juridique
et fiscal, PricewaterhouseCoopers, Bâle,
[email protected].
Cinq minutes pour apprendre: Rappel sur des
termes du monde de l’économie.
Leveraged Buy Out (LBO)
Achat d’une entreprise financé par un crédit
accordé par un groupe d’investisseurs,
lequel investit peu ou pas du tout de capitaux propres. En lieu et place, il accorde
par exemple des prêts (Junk Bonds) jusqu’à
hauteur du prix d’achat, les intérêts et
les amortissements étant payés à partir des
recettes courantes ou de la vente de
parties de l’entreprise acquise. Le Leveraged Buy Out sert en règle générale à
réaliser aussi rapidement que possible un
bénéfice par la revente de secteurs d’entreprise encore bénéficiaires. En revanche,
la reprise, financée par crédit, par la propre
direction (Management Buy Out [MBO])
doit permettre d’assurer à long terme la
pérennité de l’entreprise.
Délits économiques
Bâle II
Désignation courante de la nouvelle version
de l’Accord de Bâle sur les fonds propres
de 1992 (Bâle I) édité par le Comité de
contrôle bancaire siégeant à Bâle. Ce comité se compose de représentants des
banques centrales ainsi que des autorités
de contrôle bancaire des pays suivants:
Allemagne, Belgique, Canada, Etats-Unis,
France, Grande-Bretagne, Italie, Japon,
Luxembourg, Pays-Bas, Suède et Suisse.
Le but de cet accord consiste à mieux
saisir que par le passé les risques économiques inhérents à l’octroi de crédits. Par
exemple en introduisant une nouvelle procédure de notation qui permet de définir et
de vérifier la solvabilité des entreprises. En
outre, des obligations élargies doivent
être introduites dans différents domaines
de la profession bancaire. L’élaboration
de l’Accord de Bâle II a débuté en 1999 et
doit s’achever fin 2006 par sa mise en
vigueur. Bâle II est très important, notamment en matière d’octroi et de conditions
de crédit, pour les PME dont les besoins
de crédits sont supérieurs à la moyenne.
Au cours de ces deux dernières années,
37% de toutes les entreprises du monde
ont été victimes de fraudeurs, ce qui a
occasionné des dommages moyens de
plus de 2 millions de dollars US. Les champions en matière de criminalité économique
sont l’Afrique, avec 51% d’entreprises
concernées, et l’Amérique du nord, avec
41%. En Suisse, 24% des entreprises ont
été victimes de tels délits. Pour les cinq
prochaines années, la majeure partie des
entreprises s’attend à une recrudescence
des cas. A l’heure actuelle, 35% des
entreprises du monde et 39% des entreprises suisses considèrent que le plus
grand risque de fraude réside dans l’abus
de biens sociaux.
PCAOB
Le Sarbanes-Oxley Act (SOA) a créé un
organe officiel de surveillance de la révision, le Public Company Accounting Oversight Board (PCAOB). L’objet de la surveillance est constitué par les exigences
strictes en matière de qualité des comptes
annuels ainsi que d’indépendance de l’organe de révision. Toute société d’audit
d’une entreprise cotée à la bourse américaine doit se faire enregistrer au PCAOB et
est dès lors soumise à ses contrôles de
qualité.
Fairness Opinion
Un rapport dans lequel un prix offert pour
des parts de fonds propres ou un rapport
d’échange fait l’objet d’une vérification
du point de vue financier pour savoir s’il est
approprié. Le résultat de ce rapport est
la qualification de fair – ou unfair. La Fairness Opinion s’adresse la plupart du temps
au conseil d’administration, lequel la met
à la disposition des actionnaires. Elle est
établie par des experts indépendants, principalement en relation avec des décisions
d’entreprise stratégiques, telles que les
fusions et acquisitions. Alors que ce sont
les valeurs absolues qui sont décisives pour
les acquisitions ou les ventes, c’est l’égalité
de traitement – et donc les valeurs relatives
– qui jouent un rôle décisif pour le rapport
d’échange dans l’appréciation des fusions.
La Fairness Opinion constitue une base de
décision pour les organes de gestion. Pour
les tiers, elle permet de faire la transparence
pour la prise de décision. D’importants
travaux d’évaluation sont nécessaires pour
pouvoir délivrer une Fairness Opinion.
ceo/expertise pwc 33
L’approche intégrée des
transactions M&A
Stratégie
Evaluation
Importance stratégique de la
transaction
Due Diligence
Identification des entreprises-cibles
(acquisition)
Quantification synergies
réalisables
Modèle d’évaluation
Quantification coûts et synergies
Letter of Intent
Des recettes à succès pour transactions M&A:
Garder sous contrôle les points critiques dans chaque phase de la procédure.
Une procédure M&A dûment structurée et documentée est à la fois un élément
décisif de la responsabilité en matière de gouvernement d’entreprise et une
contribution essentielle au succès d’une acquisition.
[email protected]
[email protected]
[email protected]
Au cours des années et mois écoulés, un
certain nombre d’entreprises tant internationales que nationales ont fait la une de
la presse par suite de débâcle ou de graves
difficultés financières. A l’origine de ces
difficultés, on trouve en général le manque
ou encore l’échec de stratégies d’acquisition ou l’absence de gouvernement d’entreprise lors de l’exécution de la transaction.
1
Philipp Hofstetter (Corporate Finance),
Amity Forrest (Transaction Services),
Barbara Brauchli (Tax M&A), associés,
PricewaterhouseCoopers, Zurich.
34 ceo/expertise pwc
Cela pourrait expliquer aussi pourquoi on
rencontre depuis quelque temps de nouveau
plus de sérieux et de professionnalisme dans
l’analyse de transactions anticipées. Les
transactions sont devenues toujours plus
délicates, complexes et soumises à la
concurrence. C’est ainsi que, dans la
procédure de vente publique, des acheteurs
stratégiques sont en concurrence avec des
établissements de Private Equity, lesquels
ont déjà de l’expérience en matière
de transactions. Celui qui gagne la procédure court le risque de payer vraisemblablement un prix (trop) élevé pour la prime,
ce qui, dans un environnement de transparence croissante sur les marchés internationaux des capitaux, sera passé au crible
par les autorités, mais aussi, et de plus en
plus, par les propres actionnaires.
Les décisions relatives aux fusions, acquisitions, alliances et ventes d’entreprises
ou de parts d’entreprises font dès lors partie
des étapes les plus délicates engagées
par les entreprises. Il est donc particulièrement important que de telles décisions
ne soient prises dans un environnement de
contrôle efficace qu’après une analyse
approfondie des répercussions de la transaction prévue sur les activités présentes
et futures de l’entreprise. En raison des
risques financiers de la transaction, la qualité des bases de décision et la gestion des
procédures revêtent une importance fondamentale.
Conclusion
Intégration
Surveillance
Négociation (sur la base des
résultats de la Due Diligence)
Application de la stratégie d’intégration
Surveillance et appréciation
du résultat de la transaction
Consolidation plus-values
Fixation des conditions
Walk-away
Contrôle des résultats
Ex-post Assessment
(déroulement, coûts et synergies)
Sauvegarde des clauses de garantie
Les cinq phases d’une transaction M&A
Une transaction M&A peut en principe se
subdiviser en cinq phases pour pouvoir
bénéficier d’une procédure structurée et
réplicable:
1. Stratégie
Cette phase doit permettre de déterminer les
objectifs visés – et la façon de les atteindre.
S’il ressort de cette procédure (présentée ici
de manière simplifiée) que la croissance ne
saurait être atteinte sans acquisitions stratégiques, la prochaine étape consiste à identifier les entreprises-cibles appropriées qui
doivent faire l’objet d’un examen minutieux.
Il convient de déterminer l’importance stratégique de la transaction pour l’exécution de
la stratégie d’entreprise et le développement des affaires. Cela nécessite d’élaborer
un White Paper documentant, sur le plan
formel, les objectifs stratégiques à la base
de la transaction et la liste de chiffres-clés
financiers clairs comme critères de base du
résultat de la transaction. Les coûts et les
synergies éventuelles devront en outre être
quantifiés. Le cas échéant, des Deal Breakers, envisageables dès cette phase,
devraient entraîner logiquement une interruption de ce scénario de transaction parti-
Indicateurs d’une procédure M&A mal engagée:
- le pouvoir de décision à l’intérieur de la société n’est pas clairement défini et les
équipes et individus engagés dans les différentes phases n’ont pas le savoir-faire ou
l’expérience nécessaires pour garantir une exécution professionnelle de la transaction;
- le directeur général et le directeur financier s’engouent pour une transaction «boiteuse»
et profitent de l’absence de gouvernement d’entreprise ou de sa défaillance (p. ex.
supervision par le conseil d’administration) pour conduire cette transaction à son terme;
culier. Une telle procédure permet de déceler
à temps des variantes possibles.
Il ne faudrait pas aborder dans le détail la
phase d’évaluation d’une transaction avant
que la stratégie et une première estimation
du résultat de la transaction n’aient pu être
expliquées clairement au comité d’investissement. Il conviendrait néanmoins de
procéder à une évaluation sommaire pour
déterminer si l’on peut s’offrir la société
visée. Si tel est le cas, on pourra commencer
à négocier une lettre d’intention sans engagement (Letter of Intent – LOI) pour documenter globalement les conditions de la
transaction avant de procéder à une Due
Diligence formelle.
2. Evaluation
Un contrôle de Due Diligence standardisé,
réplicable et non soumis aux influences
est réalisé durant la phase d’évaluation. Il
offre la possibilité de comprendre les activités et les éléments qui ont un impact
positif sur la valeur, de vérifier la qualité des
informations historiques. Il offre aussi la
- l’évaluation de la transaction (Due Diligence et évaluation) n’est pas exécutée avec la
compétence nécessaire.
ceo/expertise pwc 35
possibilité de réaliser des synergies ainsi
que d’identifier les opportunités, les risques
et les Deal Breakers avant de conclure et
d’exécuter la transaction.
Un responsable de projet chargé de la
direction opérationnelle de la transaction,
y compris de la Due Diligence, et de la
réalisation des objectifs préalablement définis doit être désigné (l’idéal serait qu’il le
soit à plein temps).
Un modèle d’évaluation réalisable aide à
déterminer et à négocier un prix d’achat ou
de vente avantageux. En règle générale,
ce modèle comporte au minimum un scénario de base et un scénario de synergie
tenant compte des coûts d’intégration.
Les résultats obtenus à l’issue du contrôle
de Due Diligence et les secteurs à problèmes identifiés doivent être quantifiés et intégrés au modèle d’évaluation car c’est ainsi
seulement que l’on garantira un prix approprié pour la transaction.
3. Conclusion
de la transaction
La phase d’évaluation est suivie par la
phase de conclusion, dans laquelle la priorité est donnée à l’application effective
des résultats issus du contrôle de Due Diligence, à la négociation d’une transaction
avantageuse avec des paramètres de
risques acceptables ainsi qu’à la définition
de conditions Walk-away. En aucun cas,
il ne faudrait, pour régler les problèmes
identifiés dans la phase d’évaluation, attendre jusqu’à la conclusion de la transaction.
Dès lors, on procédera soit à une rectification du modèle d’évaluation, soit à la formulation d’une position de négociation tenant
compte de ces problèmes ou encore, on
couvrira les problèmes identifiés autant que
possible au moyen de clauses de garantie
dans le contrat de vente.
Il faudrait éviter de dévoiler une transaction
au public trop tôt durant le processus de
négociation car on pourrait aussi risquer de
perdre une part importante de la marge de
négociation. Une publication prématurée ne
devrait être envisagée que si elle entraîne
des avantages indéniables.
36 ceo/expertise pwc
4. Intégration
La stratégie d’intégration doit être appliquée de manière ciblée, à l’aide de responsabilités et de jalons clairement définis,
afin de pouvoir atteindre les synergies attendues dans les délais prévus. Des retards
dans la mise en application peuvent conduire en fin de compte à l’échec de l’acquisition ou à une perte substantielle de plusvalue.
5. Surveillance
Enfin, on procédera à une surveillance et
à une appréciation critiques du résultat
effectif de la transaction en la comparant
avec les attentes initiales et les valeurs
prévisionnelles préalablement définies. Pour
ce faire, on établira de manière indépendante une analyse et une évaluation de l’activité-clé et des facteurs d’influence quantifiables de la transaction effectuée. Les
corrections nécessaires seront signalées et
apportées.
Conclusion
Une procédure M&A formalisée et réplicable aide à faire des économies de temps, de
coûts et de nerfs, à augmenter la qualité
des décisions et leur transparence et, bien
après la réalisation de la transaction, à fournir la preuve que toutes les parties ont
satisfait à leurs engagements de responsabilité accrue dans l’environnement actuel à
l’égard des parties prenantes.
Etude «PwC Swiss wide survey on
Merger Law»: les responsables M&A
saluent la nouvelle loi sur la fusion.
88% de tous les responsables M&A sont
convaincus que la nouvelle loi sur la fusion
offrira davantage de souplesse pour les
réorganisations et les transactions M&A.
Tels sont les résultats de l’étude «PwC
Swiss wide survey on Merger Law» pour
laquelle PricewaterhouseCoopers a interrogé les responsables M&A de grandes entreprises suisses. D’après l’étude, la nouvelle
loi sur la fusion est considérée comme une
simplification formelle des transactions
entre sociétés du groupe (transfert de fortune au sein du groupe) ainsi que des exigences juridiques pour les reprises de biens
par transaction. L’étude montre aussi que
les décisions relevant de motifs d’exploitation l’emportent en général sur les critères
fiscaux, et ce même compte tenu du fait
que, dans le cas de quasi-fusions comportant un échange de droits de participation,
des participations avec une quote-part inférieure à 20% peuvent également être transférées en franchise d’impôt. Les allégements relatifs à l’impôt sur les achats et
ventes de titres sont déclarés bienvenus
par 54% des responsables M&A. L’étude
montre en outre que 87% des personnes
interrogées constituent, pour les transactions M&A, des équipes ad-hoc composées
de spécialistes internes et externes. 13%
seulement disposent d’équipes M&A internes fixes.
L’étude «PwC Swiss wide survey on Merger Law»
peut être commandée pour le prix de 250 francs
auprès de [email protected].
Evénements, études et analyses: Comment accéder au savoir de nos experts.
Etudes:
Avant-première:
European Business Forum (EBF) est une
publication qui paraît tous les trimestres et
s’adresse aux cadres du monde entier.
En réunissant des dirigeants d’entreprise,
des universitaires et des conseillers indépendants, EBF se donne pour objectif de
faire entendre la voix de l’Europe dans le
dialogue international sur les thèmes de
management. EBF paraît quatre fois par an
en anglais, 96 pages, 110 euros p.a., sur
facture. Informations:
www.ebfonline.com
Abonnement: [email protected]
Swiss Economic Forum – Best Practice,
vendredi 22 octobre 2004, Thoune
Global CEO Survey 2004 Plus de 80% des
quelque 1400 dirigeants d’entreprise interrogés dans le monde s’attendent à une
première hausse du chiffre d’affaires d’ici 12
mois et à une seconde vague dans les trois
prochaines années. La plus grande menace
pour la croissance réside, à leur avis, dans
la situation concurrentielle de plus en plus
âpre, la perte d’un collaborateur-clé, un
surcroît de réglementation, les fluctuations
monétaires ou le terrorisme. Selon les dirigeants, une gestion rigoureuse des risques
dans le monde est essentielle pour améliorer la rentabilité. La plupart des personnes
interrogées en Europe sont bien conscientes qu’il s’agit de respecter les prescriptions
du gouvernement d’entreprise. L’étude
«Global CEO Survey 2004» peut être obtenue gratuitement auprès de:
[email protected]
Cette manifestation s’adresse aux jeunes
chefs d’entreprise de Suisse et des pays
voisins, qu’ils soient déjà actifs ou en
passe de l’être. Au programme, des exposés de cadres dirigeants combinés à des
ateliers. D’intéressantes manifestations
cadres et soirées networking sont en
outre prévues. Chaque participant peut
composer lui-même son programme
parmi tous les sujets qui lui sont proposés.
Pour de plus amples informations:
www.swisseconomic.ch
BioScience, Business & Health Forum:
The Future of Medicine, Zurich
mardi 21 septembre 2004: Diabète.
mardi 2 novembre 2004: Cancer.
Ces manifestations ont pour but de créer
un réseau de connaissances sur le thème
des sciences médicales d’avenir et
d’informer sur les progrès de cette industrie en rapide croissance. La médecine
moderne entend lutter par tous les moyens
contre les maladies les plus graves de
notre époque. Les forums BioScience,
Business & Health sont organisés par
«First Tuesday».
Informations et inscriptions:
www.firsttuesday.ch
Service lecture:
Pour de plus amples informations sur les thèmes techniques de ce magazine ceo:
directement par Internet auprès des auteurs (l’adresse e-mail est toujours indiquée).
Vous trouverez une liste complète des publications de PricewaterhouseCoopers sous:
www.pwcglobal.com
Commandes des publications de PwC et abonnements auprès de [email protected]
ou fax 01 630 18 55.
Abonnements:
ceo, le magazine des décideurs de PricewaterhouseCoopers qui propose un forum dans lequel des leaders s’expriment sur des thèmes
d’actualité, des portraits d’entreprise et de chefs d’entreprise et de nombreuses informations, paraît trois fois par an (français, allemand,
anglais, 52 pages). Abonnement gratuit. Indiquer la langue souhaitée: [email protected]
Adresse: PricewaterhouseCoopers, magazine ceo, Stampfenbachstrasse 73, 8035 Zurich.
Prière de préciser la langue de correspondance (français, allemand, anglais)
ceo/expertise pwc 37
Alexander Abramov
Nouveaux leaders, nouveau sérieux:
la Russie se redresse.
Des taux de croissance dépassant 6%: la
Russie est en passe de devenir une puissance
économique. La force qui l’anime est celle
d’une nouvelle génération de leaders, parmi
lesquels nos interlocuteurs, Oleg Kiselev,
président de la banque d’investissement
Renaissance Capital, et Alexander Abramov,
patron du groupe sidérurgique EvrazHolding.
Texte: Rolf Hosfeld, Stephan Hille, Photos: Gueorgui Pinkhassov/Magnum Photos, Mia Foster
38 ceo/russie
Oleg Kiselev
ceo/russie 00
Parfois, les choses se
déroulent comme une
partie d’échecs. Un roque, et la
situation change radicalement. Oleg Kiselev
est l’un de ces joueurs d’échecs. Il est assis
dans un bureau fonctionnel sobrement
décoré de l’immeuble inondé de lumière de
la banque d’investissement Renaissance
Capital, en plein centre ville, à proximité
immédiate de la résidence officielle de Youri
Loujkov, le maire de Moscou. Il y a 15 ans,
cet ancien scientifique n’aurait pas osé
imaginer qu’il deviendrait l’un des leaders
économiques les plus importants du pays.
Récemment, Oleg Kiselev s’est vu décerner
pour la deuxième fois le titre de «Banquier
de l’année».
«A vrai dire, je ne vois aucun rapport entre
ma carrière actuelle d’homme d’affaires et
mon passé de scientifique», dit-il en riant,
«sinon peut-être que mes connaissances
mathématiques m’ont appris à penser d’une
manière strictement logique.» Kiselev n’a
jamais étudié les investissements bancaires, mais, dans ce secteur, il est aujourd’hui
40 ceo/russie
plus demandé que quiconque en Russie.
Ce n’est pas un joueur, mais un stratège.
Aujourd’hui, en Russie, des gens comme Oleg
Kiselev sont représentatifs d’une mentalité
misant sur le sérieux. L’effervescence de la
perestroïka et les défis parfois un peu aventureux de la période Eltsine appartiennent
depuis longtemps déjà au passé. «Au début»,
déclare Kiselev, qui fut l’un des premiers
entrepreneurs russes indépendants, «nous
avons eu le sentiment que la perestroïka
n’était qu’un jeu momentané des communistes. Naturellement, la situation a changé en
1991, avec la désintégration de l’Union soviétique. Cependant, ce que sont véritablement
les affaires, quels sont les critères internationalement admis, nous ne l’avons appris
qu’après la crise du rouble, en 1998.» A l’époque – rouble en chute libre et caisses de l’Etat
vides – de nombreux investisseurs ont, du
jour au lendemain, tourné le dos au pays.
Certains sont toutefois restés, et cela s’est
avéré payant.
Aujourd’hui, les spécialistes sont unanimes
à considérer comme prometteur l’avenir de
la Russie en tant que puissance économique. «Nous pensons que l’économie russe
se développe mieux et obtient de meilleurs
résultats que celle de nombreux autres
pays», a déclaré Anne Krueger, directrice
adjointe du FMI, lors d’une visite à Moscou
l’an dernier. Le chef économiste de la
Banque mondiale à Moscou, Christoph Rühl,
a récemment confirmé ce pronostic positif.
Au cours des quatre dernières années, pour
la première fois depuis la fin de l’Union
soviétique, la Russie a connu une période
de stabilité politique et économique.
Les taux de croissance se sont situés, en
moyenne, autour de 6,8%, donc nettement
au-dessus des 4,7% observés ailleurs en
Europe de l’Est. La consommation privée a
Au cours des quatre dernières années, pour
la première fois depuis la fin de l’Union soviétique,
la Russie a connu une période de stabilité
politique et économique.
Une nouvelle classe moyenne émerge en Russie. Ce phénomène a des conséquences sur l’économie: la consommation privée augmente de 8,4% chaque année.
ceo/russie 00
Pour les investisseurs étrangers, le climat s’est nettement amélioré, comme un forum, organisé à Londres
par le magazine russe «Expert», le «Financial Times»
et PricewaterhouseCoopers, a permis de le constater.
même augmenté de 8,4% par an, après avoir
reculé pendant les dernières années de l’ère
Eltsine. Le taux de chômage est passé de
12,5 à 8,8%, le budget de l’Etat est équilibré.
La Russie se redresse à grands pas.
Les secteurs-clés de ses industries traditionnelles font de même. Par exemple, EvrazHolding, le groupe sidérurgique d’Alexander
Abramov, est une conséquence heureuse
de la crise de 1998. A l’époque, Abramov,
qui, à l’instar de Kiselev, a un background
scientifique et universitaire, a assaini des
combinats sibériens en faillite avec
l’aide du groupe international Duferco, de
Lugano, pour les transformer en entreprises
rentables capables de s’affirmer sur le
marché mondial. La philosophie stratégique
d’Abramov: pas de gros investissements
sans management à la hauteur. Lui aussi
incarne le nouvel esprit de sérieux russe.
Pour les investisseurs étrangers, le climat
s’est nettement amélioré, comme un forum,
organisé à Londres par le magazine russe
«Expert», le «Financial Times» et PricewaterhouseCoopers, a permis de le constater au printemps. C’est peut-être le fabricant de meubles suédois IKEA qui envoie
les signaux les plus prometteurs, voulant
investir, au cours des prochaines années,
dans 20 nouveaux magasins entre Moscou,
St-Pétersbourg et Novossibirsk, en Sibérie.
Les Suédois escomptent sept millions de
clients russes et espèrent faire des bénéfices à partir de 2005. Aujourd’hui même,
affirme Lennart Dahlgren, directeur général
d’IKEA pour la Russie, les deux magasins
moscovites existants «font partie des plus
performants du monde».
Cependant, le long chemin de la Russie vers
les délices de l’Occident est, aujourd’hui
encore, semé d’obstacles. Pour l’essentiel,
la croissance des dernières années a trop
été le résultat de circonstances heureuses
dues au prix constant du pétrole. «Maintenant, l’économie doit être sérieusement
reprise en main», estimait l’agence russe
Novosti au printemps, peu après la réélection de Vladimir Poutine. Il y a fort à faire. Le
système bancaire est toujours fragile, la
sécurité juridique n’existe pas partout, la
corruption et l’arbitraire administratif posent
encore de gros problèmes.
La Russie va-t-elle devenir une société
ouverte? L’affaire Ioukos et l’arrestation du
magnat Mikhaïl Khodorkovski ont encouragé le scepticisme, mais Alexander Abramov,
par exemple, est optimiste à long terme.
«Je pense», dit-il, «que l’affaire Ioukos est
plutôt un cas isolé.» La Russie se trouve à
nouveau à la croisée des chemins, mais
aujourd’hui les conditions d’une évolution
positive sont meilleures que jamais. «Cette
fois, il ne s’agit pas seulement de survivre»,
estime l’analyste Leonid Grigoriev, «mais,
à l’heure de la mondialisation, d’augmenter
à long terme la compétitivité de la société
russe.» Plusieurs réformes sont en cours,
du moins dans le domaine de la législation
économique. Des séries de lois visant à
réguler le marché financier et à libéraliser
les marchés de l’électricité et du gaz,
annoncées pour cet été, figurent au premier
rang des préoccupations du président. Ce
serait, selon les experts unanimes, des pas
importants dans la bonne direction.
«En Russie, il règne une atmosphère très particulière.»
Daniel Gremaud,
responsable des projets
russo-suisses.
Le siège social de PwC à Moscou emploie 800 personnes environ – dont une équipe de
20 experts en fiscalité, chargée exclusivement des projets russo-suisses. Cette équipe aide
les clients russes à implanter un commerce international via la Suisse. A l’inverse, ce
réseau est à la disposition des clients suisses qui s’intéressent aux investissements et aux
activités en Russie.
Daniel Gremaud, associé, International Tax Services, PricewaterhouseCoopers Lausanne, se
consacre intensément depuis des années aux relations commerciales avec la Russie.
Il est, entre autres, spécialiste de la législation russe et expert en projets russo-suisses. «En
Russie, il règne une atmosphère très particulière de renouveau et de changement. Presque chaque jour, on assiste à l’apparition de nouveautés qui modifient et bouleversent la
politique et l’économie», déclare Gremaud. Son engagement professionnel et personnel
lui a ouvert des perspectives particulières et permis de nouer des contacts. Ceux-ci se
sont concrétisés par un bureau suisse-russe-ukrainien, dans le cadre duquel les structures
juridiques et économiques pour une coopération internationale sont définies et établies.
Dans ce contexte, une délégation de politiciens suisses, dont le conseiller fédéral Couchepin, a rendu visite en juillet dernier à des politiciens et entreprises en Russie.
Informations et contact: [email protected]
42 ceo/russie
Interview
«La Russie
est un marché
intéressant.»
Oleg Kiselev1 nous parle
de croissance, d’argent et
d’investissements, ainsi
que de l’avenir du secteur
bancaire russe.
ceo: M. Kiselev, vous êtes entré chez Renaissance Capital
cette année, au mois de janvier. Quel est aujourd’hui le profil de
cette société?
Oleg Kiselev: Renaissance Capital est une société mixte, ce qui
n’est pas très habituel en Russie. Nous sommes à moitié russes et
à moitié internationaux. Cela signifie que nous avons adopté les
standards de qualité internationaux et une vision russe de la manière
dont on peut faire des affaires en Russie. Mon rôle principal, et
mes intentions, consistent à combiner plus étroitement les deux
points de vue, l’international et le russe.
Quels seront les défis personnels les plus importants à relever
pour vous?
Il s’agira en premier lieu d’ouvrir de nouvelles branches commerciales, en particulier dans le secteur des investissements bancaires. Cependant, notre premier défi concernera le marché de la
consommation, financé à 100% par nos partenaires. Je souhaite
augmenter la valeur de ce secteur. Développer en notre faveur les
opérations bancaires privées, un secteur qui ne fonctionne pas
bien en Russie, représentera aussi pour nous un défi important.
Jusqu’à présent, quelles ont été vos affaires les mieux réussies?
L’un de nos derniers projets portait sur le placement d’un fonds
de 100 milliards de roubles pour le géant de l’énergie Gazprom,
1
Oleg Kiselev a été directeur adjoint de l’Institut de physique chimique de l’Académie des Sciences soviétique avant de devenir, dès 1989, l’un des premiers
entrepreneurs indépendants russes en fondant Alpa Photo. Il a notamment fait
partie du directoire de l’Impexbank avant d’intégrer celui de Renaissance Capital
au début de l’année. Elu «Banquier de l’année» à deux reprises, Kiselev est
également vice-président de l’Union russe des industriels et des entrepreneurs.
que nous soutenons. C’est, à ce jour, le placement de titres le plus
important réalisé pour une société russe. Auparavant, le plus gros
placement avait été de cinq milliards de roubles, toujours pour
Gazprom. Nous jouons un rôle très important sur ce marché. Nous
surveillons ces titres et sommes impliqués dans des affaires similaires dans différents secteurs.
Les analystes occidentaux accordent une grande confiance au
marché russe des capitaux et à la croissance à en attendre.
Le marché des capitaux va se développer et j’ai parfois l’impression que la croissance y progresse plus rapidement que dans
l’économie elle-même. La Russie est un marché intéressant: c’est
pour cela qu’il entre plus d’argent que ce dont le marché a besoin
ou que ce qu’il peut traiter. Cela crée parfois un effet de bulle, par
exemple sur le marché surchauffé de l’immobilier. C’est pourquoi,
en tant qu’entreprise, nous sommes très prudents avec nos clients.
On dit que la Russie a encore un système bancaire très fragile.
Lorsque les opérations bancaires privées ont commencé en
Russie, nous avions des lois très libérales. Personne ne considérait
que des dispositions plus strictes étaient nécessaires. Avant le
krach de 1998, les banques étaient les principaux acteurs de l’économie russe. A cette époque, l’argent circulait de deux façons.
D’un côté, il y avait le budget de l’Etat et les banques. Ce flux
d’argent s’auto-entretenait. De l’autre côté, nous avions la véritable
économie, où l’argent manquait et où, à la place, on faisait des
ceo/russie 43
«Le marché des capitaux va se développer et j’ai parfois l’impression que la
croissance y progresse plus rapidement
que dans l’économie elle-même.» Oleg Kiselev
opérations de troc, une sorte d’échange en nature: marchandise
contre marchandise ou marchandise contre prestation de service,
et où l’on négociait des titres douteux. Bien entendu, cette situation était intenable. A vrai dire, c’est l’une des principales raisons
qui ont conduit à la crise de 1998. Avec la crise du rouble, tout a
changé. Aujourd’hui, la situation s’est nettement améliorée.
Quelques problèmes vont subsister. Lesquels?
Dans le secteur bancaire orienté vers les consommateurs, nous
avons encore quelques problèmes. Le premier concerne la banque
d’Etat Sberbank et son monopole, que nous espérons abolir.
Toutes les banques doivent bénéficier des mêmes droits. En second
lieu, sur ce marché, les lois sont très insuffisantes en matière d’insolvabilité. Il y a eu des cas où des banques qui étaient déjà en faillite depuis longtemps étaient encore autorisées à effectuer des
opérations. Enfin et surtout, nous devons aussi augmenter le capital
social dont une banque a besoin pour être agréée. Heureusement,
les décisions prises par les spécialistes de la banque centrale
semblent aller dans la bonne direction, même si elles ne sont pas
aussi énergiques que le souhaiterait le monde des affaires.
Qu’avez-vous déjà obtenu?
Beaucoup de paperasses inutiles, de dispositions et de rapports
bureaucratiques régissant les relations entre la banque centrale et
les banques privées ont été supprimés. Des discussions visant à
mettre un terme aux garanties accordées par le gouvernement à la
Sberbank sont en cours. Le relèvement du capital social pourrait
inciter les petites banques à se rapprocher. Actuellement, des
négociations sont en cours pour savoir comment simplifier de tels
rapprochements ou le démarchage de banques.
Que peut-on attendre de telles avancées, en particulier pour un
investisseur étranger?
Tous les changements dans le secteur bancaire vont s’effectuer
lentement. Aux investisseurs et aux banquiers étrangers qui
souhaitent investir, je conseille la chose suivante: je ne crois pas
que les investissements commerciaux dans le secteur bancaire
soient rentables, si l’on compare avec le secteur industriel. La
marge bénéficiaire est très réduite. La rentabilité des banques
russes ne peut pas être comparée à celle du secteur industriel.
Cependant, à l’avenir, peut-être dans cinq ou sept ans, le secteur
bancaire pourrait devenir très intéressant. C’est pourquoi je
conseille aux banques occidentales de s’y préparer.
Que pensez-vous du climat pour les investissements en Russie?
Je suis optimiste: nos prévisions font état de stabilité. C’est pourquoi, pour les investissements, le climat s’améliore de plus en
plus. Il est vrai qu’avant l’affaire Ioukos, j’étais encore plus optimiste. Cependant, je n’en suis pas devenu pessimiste pour autant.
44 ceo/russie
Interview
«Je pense
que nous
sommes sur la
bonne voie.»
Alexander Abramov1
parle des forces et des
faiblesses de l’économie russe – et de son
plus gros potentiel:
les hommes.
ceo: La Russie a-t-elle désormais devant
elle un avenir plus stable?
Alexander Abramov: Absolument. Nous
avons des matières premières, ce qui est
un gros avantage. Par ailleurs, nous disposons d’une main-d’œuvre très qualifiée
dans l’industrie sidérurgique. Au cours des
cinq dernières années, les instances dirigeantes des entreprises privées ont toutes
été remplacées. Notre plus grand défi
consiste maintenant à attirer des individus
nouveaux et à instaurer une nouvelle mentalité, y compris dans les entreprises d’Etat.
EvrazHolding existe depuis 1992. A l’époque, vous êtes entré dans le secteur
sidérurgique et vous avez commencé à
moderniser des entreprises. Quels ont été
vos principaux problèmes?
La plupart des entreprises sidérurgiques
que nous avons prospectées étaient dans
une très mauvaise situation financière.
Nous avons introduit la gestion individuelle
de l’entreprise, élaboré des standards industriels et financiers et consacré beaucoup
de temps à créer chez nos employés une
motivation appropriée. Après seulement,
nous avons investi massivement. Le plus
gros défi consistait à tout mettre en ordre
L’un des problèmes de l’économie russe
est sa dépendance vis-à-vis de matières
premières comme le pétrole ou le gaz. Que
faut-il faire pour apporter de la diversification dans l’économie?
Nous avons choisi la meilleure solution,
mais il faut du temps. Ce n’est un secret
pour personne qu’en Russie des obstacles
administratifs hérités du passé entravent
la marche des affaires, situation qui doit
naturellement changer complètement. Les
finances publiques restent dépendantes
des matières premières, mais il ne faut pas
que cela dure éternellement. Il faut avant
toute chose investir dans les hommes, non
seulement du point de vue financier, mais
aussi en termes de patience, de temps et
dans la manière d’aborder les problèmes de
façon positive. Après seulement, il faudra
penser à investir dans la technologie.
«Ce n’est un secret pour personne qu’en Russie des
obstacles administratifs hérités du passé entravent
la marche des affaires, situation qui doit naturellement
changer complètement.» Alexander Abramov
du point de vue de la gestion. Une fois ces
étapes franchies, Evraz a investi plus d’un
milliard de dollars au cours des cinq dernières années.
Quel est l’état de l’industrie sidérurgique
russe?
Il n’existe actuellement plus de grande différence entre les usines sidérurgiques américaines et leurs équivalents russes, bien que
le mythe selon lequel les Russes disposent
de piètres installations soit encore vivace.
Ce n’est pas vrai, ce sont là des entreprises
modernes du point de vue de la technologie
et de la gestion. Et qui sont très rentables.
Quelle est la particularité d’EvrazHolding?
A la différence de nos concurrents d’Extrême-Orient ou européens, nous occupons
une position importante sur le marché des
produits semi-finis. Ils représentent 60%
de notre chiffre d’affaires. Ils ne sont pas
soumis aux barrières protectionnistes des
marchés étrangers, ce dont nous tirons
profit. Notre avantage par rapport à la
concurrence réside dans le fait que nous
faisons partie des leaders mondiaux dans
le secteur des produits semi-finis, tout en
ayant des coûts de production réduits.
En quoi consistent vos rapports avec
PricewaterhouseCoopers?
A un moment donné, Evraz a décidé qu’il
était temps de rationaliser davantage sa
structure d’entreprise. La meilleure solution
consistait à s’adresser à un conseiller étranger, et nous avons choisi PwC. La collaboration a été particulièrement poussée. PwC
a préparé l’architecture de nos structures
juridiques, organisationnelles et de gestion.
Cette coopération a été très profitable aux
deux parties et je voudrais ajouter que nous
sommes très satisfaits du résultat.
Le marché russe de la consommation est-il
appelé à connaître la croissance dans les
années à venir?
Je l’espère. Ces cinq dernières années, le
pouvoir d’achat des consommateurs a
augmenté. Mais pour la Russie, il est encore
plus important que les hommes deviennent
plus actifs du point de vue économique. Les
industries nationales doivent se développer:
les Russes dépensent trop d’argent pour
importer des marchandises. Les industries
satisfaisant les besoins nationaux disposent
d’un fort potentiel de croissance. La situation
s’améliore chaque année et je pense que
nous sommes sur la bonne voie.
Encore un mot sur la bureaucratie
et la corruption. Et sur le climat pour
les investissements.
La bureaucratie prospère, mais la corruption
a fortement reculé. Aujourd’hui, en Russie,
nous vivons sur une autre planète, comparativement à la situation qui prévalait il y a
huit ans. Concernant le climat pour les investissements, au cours des deux ou trois
prochaines années, EvrazHolding va investir
environ 600 millions de dollars, contre 150
seulement l’année dernière. Ces faits parlent
d’eux-mêmes.
1
Alexander Abramov a débuté sa carrière en travaillant comme physicien et mathématicien à l’Académie des Sciences soviétique. Il est fondateur et
membre du directoire de l’entreprise sidérurgique
EvrazHolding qui, avec 125 000 employés, est l’une
des plus importantes entreprises industrielles
russes. Cet homme, élu «Meilleur manager de l’année 2000» est également membre du conseil
d’entrepreneurs du gouvernement de la Fédération
de Russie.
ceo/russie 45
Les sentiments sont-ils
mesurables?…
Emanuel et Rosmarie Berger, directeurs et copropriétaires du Victoria-Jungfrau
Grand Hotel & Spa à Interlaken, comptent parmi les hôtes les plus prévenants du
monde. Selon le magazine américain «Hotels», ce sont même des «hôteliers
accomplis». Pourquoi les visiteurs du monde entier se sentent-ils si bien chez
eux? Leur secret: le Total Quality Management.
Texte: René Ammann
Photos: Markus Bertschi
Nous sommes tous trois installés dans la
brasserie du Victoria-Jungfrau Grand Hotel
& Spa, à Interlaken. Mon regard se promène sur de fastueuses peintures, de hauts
miroirs, une pièce somptueuse des années
de fondation, un parquet plus que centenaire… «Nous pouvons échanger nos places,
si vous voulez.» – «Pourquoi?» me demande
Emanuel Berger. «Parce que vous n’avez
aucune vue d’ensemble. Je croyais que les
hôteliers ne devaient jamais tourner le dos à
la porte d’entrée!?» – «Non, non, nous
sommes très bien ainsi», dit Rosmarie
Berger. «Autrement, nous ne pourrions pas
nous concentrer sur notre conversation»,
ajoute Emanuel Berger. Ils sourient. Ce n’est
pas un sourire d’hôtelier, qu’un client pourrait deviner immédiatement. Tous deux sont
réellement amusés.
Rosmarie et Emanuel Berger incarnent une
philosophie d’entreprise qui fait de simples
clients des habitués fidèles. «Nous vendons
des sentiments. Nous réalisons des rêves.
Nous préparons un théâtre pour permettre
46
46 ceo/leader
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l’entrée en scène de nos clients», dit Emanuel
Berger. Aucun désir n’est trop fou pour être
exaucé. Jamais les collaborateurs du Victoria-Jungfrau ne vous diront: «Nous ne faisons
jamais comme cela» ou «Nous avons toujours fait ainsi». «Nous essayons toujours
de surpasser les attentes de nos clients,
quelles qu’elles soient», explique Rosmarie
Berger.
Mais une telle philosophie coûte cher. En
2003, l’entretien de cet hôtel de 222 chambres – c’est-à-dire plus de 222 salles de
bain, d’innombrables pièces annexes, salles
et halls, des couloirs interminables recouverts de tapis ou de parquet, des kilomètres
de conduites d’eau, des chauffages conçus
comme pour un village entier – a coûté à lui
seul 7% du chiffre d’affaires.
Résoudre immédiatement les problèmes
Dans un établissement qui reçoit chaque
jour 400 personnes – sans compter les
restaurants (un millier de convives, par
exemple, a été reçu au mois de mai au dîner
de gala du Swiss Economic Forum, en
plus des clients de l’hôtel) –, l’organisation
est déterminante. Comment apparaissent
les problèmes et que peut-on faire pour les
éviter? «Chez nous, les défis sont toujours
imminents et ne peuvent pas attendre», dit
Emanuel Berger. «Nous devons répondre
sur-le-champ aux désirs et aux lubies de
chacun de nos clients. Le temps qui nous
est nécessaire pour résoudre un problème
décide si le client se sent bien chez nous
ou pas. Lorsqu’un client souhaite brancher
son ordinateur dans sa chambre, il veut le
faire maintenant et non pas dans une heure.
Il nous faut donc exaucer chaque désir,
aussi lapidaire soit-il, en quelques minutes.
Cela fait partie de nos prestations.»
Mais comment y parvient-on? «Chacun de
nos collaborateurs est un combattant solitaire», dit Emanuel Berger. «Il représente le
produit dans sa totalité. L’individu est déterminant, quelle que soit sa charge. Un
serveur peut transformer un dîner en une
soirée merveilleuse – ou le gâcher. C’est
pourquoi chacun d’entre nous doit collaborer, reconnaître l’importance de son travail
et assumer ses responsabilités – et ce en
quelques secondes, de manière compétente et efficace.» Pour cela, il est nécessaire
de soumettre tous les collaborateurs à une
formation rigoureuse et systématique. La
philosophie des Berger veut, en effet, qu’on
se sente sûr de soi pour pouvoir jouer son
Rosmarie et Emanuel Berger: satisfaire tous les désirs.
D’une beauté intemporelle depuis 1865: la façade du Victoria-Jungfrau.
Concentration avant l’affluence: formation de la brigade d’accueil.
Quatre des 250 employés: chacun d’eux fait le maximum au service du client.
rôle d’hôte avec joie et aisance. Ainsi, puisqu’il faut «entraîner l’entraîneur», tous les
niveaux de la hiérarchie de l’hôtel se
soumettent en permanence à une formation
continue: des réunions quotidiennes aux
cours de langue facultatifs, en passant par
les cours obligatoires sur l’hygiène et la
protection contre les incendies. La formation est gratuite pour tous ceux qui y participent; les absents doivent payer. C’est un
principe simple mais efficace. Emanuel
Berger explique: «Si vous formez vos collaborateurs de façon professionnelle et les
adaptez au profil de l’établissement, tous
seront disposés à prévoir les pannes et à
les enrayer. Les responsables sont les
directeurs des divers départements et
sections – ainsi que ma femme et moimême. Nous jouons très souvent le rôle des
pompiers. C’est la fonction des patrons.»
Les nouvelles installations thérapeutiques du spa.
L’hôtel en chiffres
Le Victoria-Jungfrau Grand Hotel & Spa dispose aujourd’hui de 222 chambres,
dont 66 suites junior, 18 suites, 9 suites duplex et, le nec plus ultra du luxe, la
«Turm-Suite» sous le dôme. Une vaste zone de thérapie d’une valeur de 17 millions de francs a été ouverte en décembre 2003 dans le spa (lui-même créé en
1991), ainsi que dix nouvelles suites de 56 mètres carrés. Le chiffre d’affaires
s’élevait à 35,4 millions de francs en 2003 (soit 4,7% de moins que l’année précédente) et le nombre de nuitées, après une baisse de 2,1%, à 71 027.
La société Victoria-Jungfrau AG
Le capital social de la société Victoria-Jungfrau AG s’élève à 28 millions de
francs en actions nominatives. Le plus grand actionnaire, le Kuwait Investment
Office (KIO), à Londres, aurait aimé prendre la majorité en 1978, ce qui s’est
révélé impossible en raison de la Lex Friedrich. L’actionnariat se compose
actuellement de KIO London (23,8%), UBS SA (15,11%), Swiss Re (9,82%),
Assuricum AG/Zürich Versicherungen, Emanuel Berger, Banque cantonale
bernoise, F. Hoffmann-La Roche, Galenica, Assurance immobilière Berne,
Novartis, Roche et pas moins de 7142 actionnaires particuliers. La cote de l’entreprise s’élève à 275–280 francs par action. Selon Emanuel Berger, délégué du
conseil d’administration, moins de 3% des actions changent de main chaque
année. En 1997, afin de créer des synergies, la société Victoria-Jungfrau AG a
acquis l’hôtel Palace de Lucerne, autre établissement de première catégorie, et
l’a rénové en 2003. Les dividendes ont été annulés pendant l’exercice 2003
pour permettre les travaux de rénovation à Lucerne.
www.victoria-jungfrau.ch
48 ceo/leader
Le succès n’est pas le fruit du hasard
Le succès peut se programmer, les Berger
en sont convaincus. «Nous avons donc
appliqué un système pouvant garantir un
rendement maximal 24 heures sur 24 et 365
jours par an.» A la base de toutes les activités du Victoria-Jungfrau se trouve un Total
Quality Management (TQM), qui englobe
les différents domaines d’activité et les relie
entre eux. Un plein placard de classeurs
contient, étayée de minutieuses descriptions et de diagrammes, la définition exacte
de tous les processus de direction et de
travail – contrôle financier, aménagement du
jardin, encadrement des apprentis, comportement en cas de réclamation, règles d’hygiène dans le spa… et même une recette de
croissants au beurre. A présent, une grande
partie de l’ouvrage de référence est accessible aux collaborateurs sur l’intranet.
Chacun peut se renseigner sur les chiffres
d’affaires quotidiens de l’hôtel ou sur le
déroulement des activités dans sa section.
«Par exemple, cela permet à chaque collaborateur de contrôler son supérieur lors de
la signalisation des pannes, etc.», explique
Emanuel Berger. «Ce système nous permet
aussi de rester attentifs, car il nous donne la
possibilité de juger notre travail avec un
esprit critique.» Chaque année, l’hôtel
recourt également à des conseillers exter-
Auparavant, le Victoria-Jungfrau prospérait grâce
aux Anglais. De nos jours, un client sur deux est Suisse
et dépense, en moyenne, 500 francs par jour.
nes qui contrôlent les différents domaines
du TQM, en théorie et en pratique, afin
d’actualiser continuellement le système et
de remédier à ses insuffisances. Autre outil
de management, un livre d’un kilo retrace
tous les événements de l’hôtel au cours de
l’année. On y trouve des tableaux avec des
données détaillées sur les recettes et les
dépenses dans tous les domaines d’activité
ainsi que le nombre mensuel de clients
dans chaque restaurant et dans le spa;
même les réclamations sont enregistrées
statistiquement. Cette rétrospective
complète de l’année sert de reporting au
conseil d’administration et d’instrument de
travail à l’établissement même.
Mesurer les émotions
«Ces données de management nous indiquent chaque année si nous avons atteint
nos objectifs et comment. Nous définissons
alors de nouveaux buts pour l’année
suivante», explique Emanuel Berger. Dans
chaque domaine d’activité, de la réception
au service des chambres, les différentes
équipes contrôlent leurs résultats, donnent
leur avis sur les problèmes qui se sont
posés, cherchent des possibilités d’amélioration et définissent de nouveaux objectifs
pour l’année suivante. «Notre produit est
une affaire d’émotions. Et les émotions
sont, très souvent, une question d’appréciation. Mais nous ne pouvons nous améliorer
que si nous rendons nos prestations clairement mesurables. Nous avons donc créé
des instruments qui nous permettent d’effectuer des mesures objectives», dit
Emanuel Berger. Lorsqu’une chose est critiquée deux fois de suite dans l’un des
centres de profits, un processus d’amélioration se déclenche – ce mécanisme se
propageant dans les différentes sections de
l’hôtel.
Pourtant, cet établissement exemplaire
(nommé «Hôtel de l’année» par le guide
gastronomique Gault-Millau 2000) et ses
hôteliers (élus «Hôteliers de l’année 2003»
par 60 000 lecteurs du magazine américain
«Hotels») ont senti, eux aussi, les effets de
la récession, des attentats terroristes et de
l’impopularité croissante de l’avion en tant
que moyen de transport. En 2003, l’hôtel
n’a accueilli presque aucun visiteur d’Extrême-Orient. Les Américains désirent moins
voyager en raison de la guerre en Irak, et les
Allemands n’ont pas assez de temps ni
d’argent. «La clientèle devenant de moins
en moins fréquente, nous avons profité de
cette période pour faire des travaux», dit
Emanuel Berger. Le réaménagement du
luxueux spa, de ses 16 salles de thérapie et
des dix immenses suites a coûté 17 millions
de francs. «En outre, nous avons essayé de
transférer à Interlaken des congrès et séminaires qui devaient avoir lieu ailleurs.»
Tandis que, pendant les périodes plus prospères, les directeurs d’entreprise étaient
tentés d’offrir des séjours exotiques dans
de lointains pays aux participants de leurs
séminaires, ils préfèrent aujourd’hui, depuis
deux ans, la sécurité liée à la qualité et au
luxe. C’est une chance dont bénéficient les
établissements suisses de première catégorie. Le Victoria-Jungfrau propose à ses
partenaires commerciaux de planifier un
séminaire en un seul entretien – et se charge gratuitement de l’organisation complète,
de l’arrivée et du transfert des participants
au décompte final, en passant par les
excursions et les programmes complémentaires. «Pour nous, ce service est un instrument de fidélisation des clients», explique
Emanuel Berger. «Il peut arriver que nous
subissions des pertes financières. Mais,
après tout, c’est justement ce qui nous
permet de nous assurer la loyauté de nos
clients. Ceci est d’une importance déterminante à long terme.»
L’hôtel n’a supprimé quasiment aucun
emploi pendant la récession. Aucun département n’a été transféré, aucune section n’a
été fermée, aucun salaire n’a été diminué.
Le Victoria-Jungfrau est un employeur sûr
depuis plus de 100 ans. Le pourcentage de
collaborateurs suisses augmente depuis
des années. Quant à la coordination des
différentes tâches (portiers, réceptionnistes,
serveurs, chefs de service, F&B, chefs de
rang, chefs de partie, sauciers, commis,
etc.), «c’est le rôle du patron», dit Emanuel
Berger. «Motiver tous les collaborateurs de
façon qu’ils travaillent consciemment, avec
inspiration et productivité, c’est comme diri-
ger un orchestre pour en assurer l’harmonie
et la sonorité.» L’estime mutuelle est
primordiale. «Nous créons des rapports de
confiance, dans lesquels les collaborateurs
sentent qu’on accorde de l’importance à
leurs besoins», dit Rosmarie Berger. Cette
attitude se reflète, par exemple, dans les
confortables appartements que l’hôtel a mis
à la disposition de ses collaborateurs ainsi
que dans leur restaurant, une pièce claire et
accueillante dotée d’une grande terrasse
ensoleillée. Là, les collaborateurs peuvent
et doivent avoir l’impression d’être des invités – ils commandent à la carte, et le menu
est volontairement adapté aux goûts nationaux et individuels. Qu’en est-il des fluctuations au niveau du personnel, un problème
important dans l’hôtellerie? «Les jeunes
doivent connaître différentes entreprises, ils
vont et viennent», explique Rosmarie
Berger. «Chez les cadres, nous constatons
une stabilité qui nous est extrêmement
précieuse.»
Motiver par les expériences passées
Le Victoria-Jungfrau est ouvert 365 jours
par an – «366 jours en 2004», comme le
précise Emanuel Berger. Mais chaque jour
n’est pas un jour de pointe. Comment motiver une équipe pendant la basse saison? «Il
est impossible de motiver qui que ce soit
durant les périodes calmes. La motivation
est un état qui requiert l’engagement de
chaque collaborateur», explique Emanuel
Berger. «Le mieux est de se motiver par les
expériences passées.» Les dates immuables telles que Noël, Pâques et la Fête des
mères sont alors des occasions idéales:
«Nous ne pouvons pas modifier ces périodes de pointe traditionnelles dans l’hôtellerie et la restauration, donc nous nous y
préparons.» A ces dates (l’hôtel et les
restaurants sont alors complets), il arrive
que les hôteliers et leurs collaborateurs
parcourent une distance supérieure à 30
kilomètres à l’intérieur de l’établissement,
ce qu’Emanuel Berger a vérifié lui-même à
l’aide d’un podomètre. Ces chiffres sont –
eux aussi – enregistrés dans les données de
management.
ceo/leader 49
Le Burundi, soutenu par les subventions du Fonds Global, ouvre la lutte contre la malaria: des zones d’habitat entières sont protégées par des insecticides.
Partenariat à l’échelle mondiale: engagement contre la malaria au Burundi.
Près de 2,8 millions de cas de malaria ont
été signalés au Burundi en 2001. Des épidémies locales graves ont pesé lourd sur le
système de santé, enlevant des ressources
à d’autres programmes sanitaires. La gravité
de la situation a été exacerbée par la guerre,
les mouvements de réfugiés et les déplacements de population à l’intérieur du pays.
Néanmoins, le gouvernement burundais a
été l’un des premiers du continent africain à
réaliser la nécessité d’abandonner les traitements antipaludéens existants, d’une inefficacité croissante contre des formes résistantes du paludisme, au profit de nouvelles
thérapies combinées à base d’artémisinine
(TCA/ACT). Dès juin 2001, le gouvernement
burundais a préconisé l’utilisation des TCA
et a en outre exempté de taxes d’importation moustiquaires et insecticides.
Une subvention de 14 millions de dollars US
du Fonds Global soutient un programme
gouvernemental visant à réduire le nombre
50 ceo/global
de cas de malaria de moitié en trois ans
grâce à l’utilisation massive des TCA, un
meilleur dépistage et la distribution de
moustiquaires traitées aux insecticides. Sur
une population globale de six millions, près
de cinq millions de personnes vivant dans
les régions affectées du pays bénéficieront
du programme.
Un tiers des fonds sera consacré à l’acquisition de TCA pour traiter deux millions
de personnes par an. Le reste servira à
renforcer d’autres mesures telles que les
programmes de traitement par pulvérisation
des zones habitées. Avec l’aide du Fonds
Global, le programme anti-malaria burundais est en bonne voie pour atteindre ses
objectifs.
PricewaterhouseCoopers et le Fonds Global
Fondé en 2001 à l’initiative des Nations
Unies, le Fonds Global est un partenariat
public/privé visant à combattre dans le
monde entier le sida, la tuberculose et la
malaria. Le fonds est une organisation
financière qui soutient les projets et les stra-
tégies mis en place à l’intérieur des pays
par les gouvernements et les organisations
humanitaires. Pour veiller à ce que les
moyens soient injectés dans les canaux
appropriés et contrôler les transactions
financières, il engage dans le monde entier
des personnes de confiance, les Agents
locaux du fonds (LFA). PricewaterhouseCoopers a pris en charge cette mission en
Tanzanie, en Ouganda, au Ghana, au Malawi, au Burundi et au Bénin et sera aussi, à
l’avenir, le partenaire du Fonds Global au
Kenya et en Zambie. Par ailleurs, PricewaterhouseCoopers travaille pour le fonds
dans onze autres pays. Avec son réseau
mondial, sa forte présence au niveau local
et sa grande crédibilité, PricewaterhouseCoopers constitue le partenaire idéal pour le
Fonds Global. Les interventions de PwC
sont coordonnées à Genève, où le Fonds
Global a lui aussi son siège.
Photo: Ian Berry/Magnum Photos
ceo*
*connectedthinking
ceo forum/créativité et contrôle
Peter Wüst
«Je suis convaincu que
la créativité peut surgir
partout et en tout temps.
Et pas seulement dans
des ateliers, mais aussi
à tous les niveaux hiérarchiques, dans tous les
services d’une société.»
08
Thomas Held
«Le désir fou d’avoir la
haute main sur tout
n’entraîne pas seulement
des frais insurmontables,
mais surtout limite sans
cesse la créativité sociale
et politique.»
Franziska Tschudi
«Les innovations ne se
réduisent pas seulement
au high-tech et aux services de développement.
L’assurance qualité ou le
domaine financier ont eux
aussi besoin de progrès.»
06
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