Prostitution :
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Prostitution :
par Cédric Douzant Prostitution : les associations lâchées par l’État « Après les lois sur le racolage passif, les arrêtés municipaux, l’État poursuit sa politique à l’encontre des prostituées en fragilisant les associations de santé communautaire. Au printemps, la ligne dédiée à la prostitution dans les budgets départementaux disparaissait. Avec moins de moyens et une dégradation des conditions de vie des travailleurs du sexe, leur action tourne à la mission impossible. 22 Suppression. Au printemps, les associations ont ainsi découvert la suppression de la ligne dédiée à la prostitution dans les budgets des Directions départementales de la cohésion sociale (DDCS), qui leur garantissait un minimum de financements. Les actions envers les personnes prostituées dépendent maintenant d’un budget plus général, consacré à l’insertion sociale, et se retrouvent comme mises en concurrence avec l’hébergement d’urgence et le Samu social. « Auparavant, ils étaient obligés de nous accorder des financements, explique Florence Garcia, directrice de l’association lyonnaise Cabiria. Aujourd’hui, nous sommes noyés dans la masse et nous sentons bien que l’action auprès des personnes prostituées n’est pas une priorité. » Pour Ippo, cette suppression a entraîné au printemps 2010 une perte de 70 000 euros, sur un budget total de 250 000 euros. « En Aquitaine, nous étions l’association la plus financée pour intervenir auprès de personnes prostituées, expose Anne-Marie Pichon. Au printemps, on a appris que ce financement ne serait pas renouvelé, aucun crédit ne nous a été octroyé. La raison officielle est que le préfet est obligé de cibler ses subventions sur les dispositifs d’hébergement et d’urgence. » Ippo est immédiatement montée au front, alertant l’opinion et les élus locaux, et a demandé des explications à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). En vain, cette dernière ne lui ayant jamais répondu. Incertitude. Pour l’association nîmoise Arap-Rubis, le verdict sur le maintien de ses subventions n’est pas encore tombé et trois de ses actions sont suspendues à une réponse qui n’arrive pas. « L’année dernière, nous avons failli perdre une aide de 50 000 euros, que nous avons obtenue à la dernière minute, raconte Franck Martin, chargé de mission à l’association. Et cela a recommencé en 2010 : nous ne savons toujours pas si nous toucherons 40 000 euros pour nos actions “Protocole conventionnel”, “Lutte contre l’exclusion” et “Communication” auprès des professionnels de santé. De même, nous ignorons si le renouvellement de notre convention Adulte-relais, demandé en juillet, sera accordé. » Autre financement en péril pour ces associations : les subventions allouées par les Agences régionales de santé (ARS). Créées en avril, leur fonctionnement reste flou, évolue, varie selon les régions et met les associations dans l’incertitude. « La mise en place des ARS est compliquée et désorganisée, regrette JeanRégis Ploton. En Paca, nous sommes dans une phase de transition entre l’ancien programme régional de santé et le prochain, qui n’est pas encore défini. Il est difficile de monter un projet sans connaître nos dotations et impossible de savoir si la lutte contre le VIH sera une priorité. Pour me rassurer, je me dis que ce n’est qu’une phase de transition, mais je me demande combien d’associations y survivront… » En attendant, plusieurs baisses de subventions ont déjà eu des conséquences pour l’association, notamment la suspension de deux programmes portant sur la santé des transsexuels et la prévention de l’hépatite C, auparavant financés par l’ARS concernant. Dans la région, l’enveloppe globale destinée à la lutte contre le sida est passée de 4 millions en 2008 à 3,1 en 2010. Orientation. Les associations s’inquiètent également du changement de logique des ARS concernant l’attribution sociale, qui doit payer son hôtel, est contrainte de réaliser un certain nombre de passes. S’il lui en manque, elle cédera plus facilement aux clients qui veulent des rapports non protégés. » La réduction des tournées sur le terrain complique également les liens entre associatifs et personnes prostituées, et rend moins efficace le travail de prévention. « Nous avons moins de contact, moins de suivi, il est beaucoup plus compliqué de faire passer des messages, rapporte Jean-Régis Ploton. Matériellement, c’est devenu difficile d’accompagner des personnes prostituées dans les CDAG. Et notre présence manque aux filles ; elles ont l’impression d’être abandonnées. » « Faire de la prévention, ce n’est pas seulement distribuer des préservatifs, c’est un travail sur le long terme, rappelle Anne-Marie Pichon. Nous rencontrons des personnes venant de dix-sept pays différents, nous devons gérer cette complexité culturelle tout en menant une approche globale, pour que chacun soit acteur de sa santé. En termes de santé publique, la situation de prostitution est une des plus risquées. Ce serait bien qu’on puisse travailler tranquillement, efficacement, sans ces histoires de subventions… » Au moment d’envisager l’avenir, toutes les associations sont pessimistes. À la longue, elles redoutent la disparition de nombreuses structures, lâchées par l’État, contre lequel elles ne cachent pas leur ressentiment. « D’accord, il y a moins d’argent, admet Jean-Régis Ploton. Mais la prostitution n’intéresse pas grand monde et la lutte contre le VIH est moins une priorité, c’est comme si c’était passé de mode. » Franck Martin partage cette impression d’abandon : « Jamais aucune politique n’a aidé à créer des associations dans le domaine de la prostitution. L’État fait des coupes là où il peut et le sort des personnes prostituées n’est clairement pas son problème. » Fragilisation. Des coupes aux conséquences lourdes pour les associations qui sont confrontées à une dégradation des conditions de vie et de travail des personnes prostituées. Entre les dégâts provoqués par la loi de 2003 condamnant le racolage passif et la crise qui a aggravé la précarité et la vulnérabilité des travailleurs du sexe, le nombre de demandes d’aide explose. Et les associations se retrouvent à devoir répondre à une augmentation de leur file active avec moins de moyens. « Nous ne faisons plus le même travail, regrette Franck Martin. Nous sommes moins capables de répondre aux demandes des personnes prostituées, alors que la crise les a fragilisées. La précarité engendre des prises de risque. Une personne prostituée sans couverture Transversal n° 55 novembre-décembre repères Transversal n° 55 novembre-décembre repères On a l’impression qu’on cherche à nous étouffer lentement », soupire Jean-Régis Ploton, directeur de l’association marseillaise Autres Regards. « C’est un travail de dix ans qui a été fichu en l’air », lâche, amère, Anne-Marie Pichon, directrice de l’association bordelaise Ippo. Et tous les acteurs associatifs qui travaillent auprès des personnes prostituées partagent cette révolte et cet écœurement. À l’origine de leur malaise : le désengagement de l’État qui réduit ou supprime, une à une, chacune de leurs subventions. de financements. Avant, ces derniers faisaient suite à des appels à projets, proposés par les associations. Dorénavant, ils dépendront d’appels d’offres, décidés par les ARS. « Si elles ne font pas d’appels d’offres pour des actions destinées aux personnes prostituées, on ne pourra plus travailler, appréhende Franck Martin. Tout dépendra des orientations décidées par chaque ARS. De même, elles peuvent choisir de lancer un appel d’offres à l’échelle de la région. Or nous sommes une association départementale et aucune association ne mène une action similaire dans les départements voisins : nous ne pourrons alors pas répondre. Leur but est de réduire les budgets et de considérer les associations comme des entreprises, en nous mettant en concurrence. » Et les appels d’offres pour 2011 ne seront pas lancés avant la fin de l’année. En Aquitaine, l’ARS, plus prompte à trancher, a déjà décidé de diminuer de près de 40 % l’enveloppe globale destinée à la lutte contre le VIH. Un nouveau coup dur pour Ippo qui n’a réussi à garder, et ce après l’intervention des élus locaux, qu’une seule subvention d’État, allouée par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (Fipd) pour son travail contre la traite des êtres humains. Cabiria est parvenue à sauver 150 000 euros pour la lutte contre le VIH et 150 000 pour l’accompagnement du public précaire, accordés par l’ARS. Mais ses relations conflictuelles avec la préfecture du Rhône et la municipalité lyonnaise qui multiplie les arrêtés antiprostitution lui ont déjà coûté le non-renouvellement de deux subventions de la DDCS (une perte de 100 000 euros) et de l’intégralité des aides de la ville. Faute de moyens, l’association a été dans l’obligation de stopper certaines actions et de réduire ses effectifs. De même, des plages d’accueil collectif ont été fermées et certains accompagnements individuels sont devenus impossibles. Beaucoup d’associations ont ainsi été contraintes de se séparer d’une partie de leur personnel, d’espacer leurs tournées sur le terrain et de réduire leurs horaires d’accueil. © IStock repères 23 repères repères par Cédric Douzant « On a le sentiment d’un immense gâchis » Florence Garcia est directrice de l’association de santé communautaire lyonnaise Cabiria. Entre les arrêtés municipaux antiprostitution, les coupes budgétaires et la précarisation des personnes prostituées, elle tire la sonnette d’alarme et s’avoue découragée. C 24 Ces difficultés influencent-elles les prises de risque ? Les discours sur la prévention sont toujours entendus, mais nous sommes sur le fil. La précarité pousse les personnes prostituées dans leurs retranchements. Quand elles patientent cinq heures sans faire une passe et qu’elles ont besoin d’argent, elles sont plus vulnérables face à un client qui demande un rapport non protégé. De même, les arrêtés municipaux ont éloigné les personnes prostituées et les baisses de budget peuvent nous empêcher de venir à elles. Faute de moyens, nous devons toujours faire des choix entre l’urgent et le très urgent, ce n’est pas une position tenable. Mais les personnes prostituées restent malgré tout porteuses de pratiques positives. Notre ligne d’urgence1 nous renseigne sur ce qui demeure la norme pour elles et nous sommes toujours sollicités après des accidents de préservatifs ou une prise de risque. Face à la suppression de certaines subventions, comment envisagez-vous l’avenir ? J’en ai une vision assez noire. Plein de questions se posent. Est-ce que le département et la région accorderont toujours des financements ? Est-ce qu’il faut tenir L’Afrique face aux nouveaux défis de la prise en charge des enfants Si ces trois dernières années, l’accès des enfants aux traitements et aux soins s’est considérablement amélioré dans les pays en développement, l’Afrique peine à suivre ce progrès. Dépistage précoce, traitement systématique des nourrissons infectés, accompagnement psychologique des enfants : les associations tentent de relever ces nouveaux défis. jusqu’aux élections présidentielles de 2012 pour espérer des changements ou est-on parti pour vingt ans avec ce genre de politique ? Si c’était le cas, il faudrait recommencer à zéro tout ce qui a été mis en place depuis la fin des années 1980 pour lutter contre le sida. Tout cela donne le sentiment d’un immense gâchis. 1 Ligne d’urgence 24 h/24 au +33 (0)6 07 62 26 59. L’État et les personnes prostituées Loi sur le racolage passif : en 2003, la loi sur la Sécurité intérieure crée le délit de racolage passif, avec pour but officiel la lutte contre les réseaux de prostitution. Principale conséquence : les personnes prostituées, contraintes de se cacher, quittent les centres-ville pour travailler à la périphérie. Leurs conditions de travail deviennent plus dangereuses, les associations ont plus de mal à les rencontrer. En termes de démantèlement de réseaux, l’impact de la loi est quasi nul. Des arrêtés municipaux qui se multiplient : depuis 2002, de nombreuses villes ont pris des arrêtés municipaux interdisant la prostitution et renforçant la répression dans certains secteurs de la ville. Parmi elles : Orléans, Troyes, Aix-en-Provence, Lyon ou encore Strasbourg. En 2003, la municipalité de Caen, dont un arrêté ne tolérait la prostitution que dans la rue du commissariat, a vu cette décision annulée par le tribunal administratif. La même année, un représentant de la mairie de Strasbourg a admis lors d’une assemblée de l’Association des maires des grandes villes de France que ces arrêtés n’avaient qu’une vertu : « repousser le problème en périphérie » afin d’apaiser la grogne des riverains. Des financements aux associations de plus en plus rares : déjà confrontées à des coupes budgétaires, les associations ont vu disparaître au printemps 2010 la ligne dédiée à la prostitution dans les budgets des DDCS. « © IStock On a tous tellement cru à l’efficacité des programmes de prévention de la transmission mère-enfant [PTME] qu’on a oublié la prise en charge pédiatrique, dans laquelle on a un retard incroyable », déplore Valériane Leroy, médecin épidémiologiste et chercheuse à l’Inserm. Certes, les organisations internationales, et en premier lieu l’Organisation mondiale de la santé (OMS), se félicitent de l’augmentation du nombre d’enfants traités. Les dernières statistiques officielles, qui datent de décembre 2008, recensent près de 275 700 enfants de moins de 15 ans sous traitement antirétroviral (ARV) dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, ce qui représente un taux de couverture de 38 %. Ils n’étaient que 198 000 en 2007 et 75 000 en 2005. Disparités. Mais lorsqu’on examine les chiffres de plus près, les disparités sont criantes. Alors qu’en 2008, en Asie de l’Est, du Sud et du Sud-Est, plus de la moitié des enfants (52 %) bénéficiaient d’un traitement (soit 30 000 enfants), le continent africain faisait encore figure de parent pauvre du progrès de la prise en charge pédiatrique, avec 225 000 enfants sous ARV fin 2008, soit seulement 35 % des besoins. Pourtant, c’est là que vit la très grande majorité des enfants atteints par le VIH. Et au sein même de ce continent, les inégalités sont frappantes. Si, en Afrique de l’Est et du Sud, les avancées sont notables, avec 44 % des enfants sous traitement, l’augmentation du nombre d’enfants traités en Afrique centrale et de l’Ouest a été très modeste, avec 29 800 enfants sous ARV en 2008 contre 25 500 un an plus tôt. Dans cette partie de l’Afrique, 85 % des enfants ayant besoin d’un traitement n’y avaient toujours pas accès fin 2008, ce qui équivaut, à peu de choses près, au taux de couverture dans l’ensemble des pays en développement… de 2005. Les explications sont nombreuses : carence en ressources humaines formées, problèmes d’approvisionnement en ARV, manque de disponibilité des formulations pédiatriques, retards dans le dépistage… Grandir En 2006, Sidaction, Initiative Développement et Sol En Si se sont associées afin d’améliorer la prise en charge du VIH chez l’enfant en Afrique. L’objectif du programme Grandir est de développer la prévention de la transmission mère-enfant et d’amener les soignants et les associations africaines partenaires à s’impliquer davantage dans les soins et l’accompagnement psychologique et social des enfants séropositifs. Le programme allie information (lettre bimestrielle Grandir Info, fiches pratiques et site Internet – www.grandir.sidaction.org), formation et transfert de compétences, moyens financiers alloués aux associations et plaidoyer ciblé. À travers Grandir, près de 3 500 enfants sont suivis dans quinze associations de neuf pays : Tchad, Bénin, Togo, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Cameroun, Congo et République démocratique du Congo. Transversal n° 55 novembre-décembre repères Transversal n° 55 novembre-décembre repères omment a évolué la situation des personnes prostituées ces dernières années ? Leurs conditions de vie et de travail se sont dégradées. La loi de 2003 et les nombreux arrêtés municipaux antiprostitution font qu’elles sont toujours à la recherche d’une place. Cette mobilité créé des conflits permanents avec la police, les riverains et les autres personnes prostituées. Le harcèlement policier a également une incidence sur leur moral et leur précarité. Comme elles doivent se cacher, elles ont du mal à fidéliser leurs clients et, avec la crise, elles en perdent. Mais il n’y a pas moins de personnes qui travaillent dans la rue ; on en rencontre toujours de nouvelles. La précarité et les discriminations poussent les gens à la prostitution. Beaucoup de nouvelles personnes prostituées viennent d’Afrique subsaharienne, de Roumanie et de Bulgarie. Les lois sur l’immigration ne les ont pas empêchées d’entrer sur le territoire, elles ont juste augmenté les montants exigés par les passeurs, donc accentué leur précarité. par Marianne Bernède 25