La beauté comme critère de sélection et de discrimination en phase
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La beauté comme critère de sélection et de discrimination en phase
La beauté comme critère de sélection et de discrimination en phase de recrutement. Constat établi à partir d’un test de correspondances Hélène GARNER-MOYER, Docteur en sciences de gestion Laboratoire CERGORS – Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne 20 allée Georges Récipon 75019 Paris [email protected] Résumé : La beauté est un atout considérable dans les ressources humaines tant les stéréotypes positifs qui lui sont associées sont valorisés dans les sociétés occidentales. Elle modifie les itinéraires professionnels des individus car elle influence leur insertion sur le marché du travail et leur carrière. L’apparence physique des individus doit donc être prise en considération par la gestion des ressources humaines car elle peut agir comme une variable de gestion. Il s’agit dans cette communication de préciser les mécanismes psycho sociaux sur lesquels repose l’influence de la beauté au moment du recrutement, d’évaluer son impact, toutes choses égales par ailleurs, et d’éclairer ces résultats du point de vue de la GRH. Un test de correspondances permettant de calculer des taux d’accès aux entretiens d’embauche a été réalisé afin de mesurer l’ampleur de la discrimination fondée sur la beauté. Les résultats de ce test montrent que non seulement la beauté de la candidate est, toutes choses égales par ailleurs, un critère de sélection des CV mais également un facteur de discrimination lorsque l’on compare les taux de convocation à un entretien obtenus au sein d’un même couple de candidates. Ce constat, dressé quelque soit le degré de contact du poste avec la clientèle, atteste que les critères esthétiques sont largement utilisés par les employeurs pour sélectionner les candidats. Le défi pour la GRH, et également pour l’ensemble de la société, est alors d’assurer concomitamment la liberté de recrutement des employeurs et l’égalité de traitement des candidats sur la base de critères d’évaluation objectifs de leurs compétences. Mots-clefs : apparence physique, recrutement, sélection, discrimination, test de correspondances. Introduction La promotion de standards de beauté uniformisés et idéalisés dans notre société contribue à accroître le poids de l’apparence physique dans la formation du jugement sur autrui. Ne pas respecter ces normes physiques est socialement réprouvé et peut engendrer de l’exclusion sociale. Conscient de cette évolution, le législateur a ajouté, sans la définir explicitement, l’apparence physique comme motif de discrimination prohibé dans la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations sur le marché du travail1. Duflos-Priot (1987) définit l’apparence d’un individu par l’ensemble « de caractères physiques (constants ou variant lentement), d’attitudes corporelles (postures, expressions, mimiques) et d’attributs (vêtements, coiffure, accessoires) » propres à celui-ci. Si l’on considère l’apparence comme littéralement « ce qui se présente à la vue », celle-ci recouvre selon nous ces deux dimensions : l’apparence corporelle, le physique (taille, poids, forme et caractéristiques du visage…), et le look, la façon de mettre en valeur ce physique (tenue vestimentaire, coiffure, maquillage…..). Mais cette définition de l’apparence physique est encore trop large pour être opérationnelle en terme de méthodologie et c’est pourquoi, nous restreignons l’apparence à la seule dimension de la beauté ou de la séduction. Cette restriction se justifie en référence à la théorie de la catégorisation sociale de Tajfel (1981) qui combine catégorisation sociale, identité sociale et comparaison sociale (DeShields, Kara, Kaynak, 1996). Selon cette théorie, le récepteur d’un message évalue l’individu émetteur à partir des catégories les plus facilement accessibles dont la séduction physique. Il se compare ensuite à l’émetteur à travers ces dimensions ; une identification positive avec l’émetteur renvoie une image positive de lui-même au récepteur et influence donc favorablement son jugement à l’égard de celui-ci. Ces critères de comparaison sont construits par le groupe dominant (anglo-saxon masculin blanc aux Etats-Unis par exemple) ; le modèle social dominant d’apparence, celui du beau, est assimilé à la réussite, personnelle et sociale, même s’il n’est pas sûr qu’il soit celui partagé par le plus grand nombre. Le concept de séduction, plus large que celui de beauté, est aussi plus difficile à définir précisément et de ce fait les deux concepts sont souvent utilisés de façon interchangeable ; la séduction est perceptible dans un contexte inter-individuel et s’inscrit dans une perspective relationnelle dynamique, évolutive alors que la beauté est davantage un état. Lorsque nous regardons une photo, c’est la beauté de la personne telle que la photo nous la renvoie qui peut avoir une influence sur notre représentation de celle-ci alors qu’au cours d’un entretien, la dimension séduction va supplanter ce premier effet beauté, soit en le renforçant, soit au contraire en l’infirmant. Les recherches présentées ici sont majoritairement centrées sur la beauté car il est plus aisé d’isoler un état qu’une dynamique pour en mesurer l’importance et les conséquences. Le terme anglais de physical attractiveness, utilisé dans la littérature étudiée, recouvre les concepts de séduction et de beauté, en ce qu’il relie le physique d’un individu à l’attraction qui s’en dégage sans référence explicite et systématique à la beauté. Alors que la société se fait de plus en plus demandeuse d’équité et de justice, la gestion des ressources humaines ne peut être à l’abri de ce mouvement et doit s’interroger sur les outils et méthodes utilisées afin de mettre à jour des processus susceptibles de générer l’exclusion de certains sur la base de critères illégitimes, de la discrimination. Les formes de discrimination dont une personne peut être victime sur le marché du travail en raison de son apparence physique sont multiples : discrimination à l'embauche, discrimination salariale, discrimination dans la 1 Cette loi vient d’être complétée par la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 afin de l’adapter au droit communautaire. 2 promotion à des postes supérieurs, discrimination dans l'accès à la formation continue, lors d'un licenciement, etc. La discrimination à l’embauche présente en outre la particularité d'échapper le plus souvent à la victime elle-même dans la mesure où les raisons d'un refus d'embauche sont rarement explicitées (Piguet, 2001). Si elle existe, la discrimination à l'embauche présente par ailleurs le risque de constituer un cercle vicieux dont une communauté ne peut parvenir à s'extraire qu’avec difficultés. La discrimination à l’embauche subie par les femmes, les seniors, les personnes d’origine étrangère a fait l’objet de nombreuses études en France mais très peu de recherches se sont penchées sur l’apparence physique. Le monde de la recherche en France semble encore réticent à s’intéresser à ce motif alors qu’au Canada ou aux Etats-Unis, il s’en est emparé depuis plusieurs décennies : la première étude d’un psychologue canadien, Springbett, visant à analyser son impact relatif dans la décision d’embauche date de 1958. En France la question de l’impact de l’apparence physique au moment du recrutement a émergé récemment ; elle a été soulevée initialement par J.-F. Amadieu qui a travaillé sur l’impact de l’apparence physique dans différents domaines de la vie personnelle et professionnelle dans son ouvrage intitulé Le poids des apparences (2002) et elle a fait l’objet d’une thèse en gestion des ressources humaines (Garner-Moyer, 2007). Pourtant, au même titre que le genre, l’âge ou l’origine, l’apparence physique doit être prise en considération par la gestion des ressources humaines pour déterminer dans quelle mesure elle est, ou non, un critère de gestion des ressources humaines, et s’il s’agit d’un critère objectif ou subjectif d’évaluation (« the new aesthetics of recruitment »), susceptible de générer de la discrimination. Les questions de recherche attenant à cette problématique sont les suivantes : - pourquoi et dans quelle mesure la sélection des individus dans l’entreprise est-elle influencée par leur apparence physique, et plus précisément, par leur plus ou moins grande beauté ? - quelles explications peut-on apporter à cette influence ? - quelles en sont les conséquences en matière de gestion des ressources humaines ? La psychologie sociale propose un socle théorique permettant de comprendre comment fonctionne dans nos sociétés le stéréotype : « ce qui est beau est bon » et comment il altère notre jugement (partie 1). De cet exposé de la littérature il ressort que l’apparence physique est un critère de sélection des candidats sous certaines conditions. L’objectif de l’expérience présentée dans la deuxième partie de cette communication est de capter les représentations des employeurs à l’égard des individus séduisants et de mesurer la discrimination en leur faveur ; menée sur différents types de postes dont un poste en back office identifié par la littérature comme moins propice à de la discrimination sur l’apparence, cette expérience est la première conduite en France uniquement sur ce critère. La dernière partie de cette communication vise à éclairer les résultats obtenus à l’aune des modèles de compétences en gestion des ressources humaines et à en dessiner les enseignements pour la gestion des recrutements. 1. De nombreux a priori positifs bénéficient aux individus séduisants dans le milieu professionnel L’apparence physique d’un individu constitue, avec son identité sexuelle, sa caractéristique la plus accessible aux autres dans un processus d’interaction sociale. A partir de l’observation des traits physiques d’autrui, l’individu va se forger une impression sur sa personnalité ; c'est ce que l'on appelle une inférence ou la mise en correspondance d'une information tirée de notre observation avec des données issues de nos connaissances ou de nos théories sur les gens, leur personnalité. La psychologie sociale a développé des théories qui permettent de comprendre cette inférence qui relie le caractère de l’individu à son apparence physique extérieure. La principale 3 représentation évoquée par la psychologie sociale est le sentiment que l’apparence d’un individu est révélatrice de sa personnalité, de ses qualités intrinsèques, morales ; le stéréotype « ce qui est beau est bon » associe rapidement beauté extérieure et intérieure et rend de ce fait « attractifs » les individus beaux. La beauté physique induit une « sur-évaluation » des qualités supposées de l’individu de la part de ceux qui l’observent et constitue à cet égard un facteur central de jugement et d’appréciation a priori. Le phénomène n’est pas simple à expliquer car cette éventuelle prime à la beauté n’est que le résultat de croyances individuelles le plus souvent fondées sur des représentations collectives et il apparaît délicat de pouvoir distinguer ce qui relève de la croyance intime et de la représentation collective. Néanmoins, l’apparence est porteuse d’informations qui peuvent être interprétées d’un point de vue professionnel. 1.1 L’apparence comme signal non verbal d’employabilité Dans la concurrence pour l’obtention d’un emploi, chacun perçoit intuitivement, qu’à compétence égale, l’apparence peut être une donnée importante pour une embauche éventuelle (Druhle, 1984 ; Dipboye, Fromkin, Wiback, 1975 ; Quereshi et Kay, 1986). L’apparence constitue en effet une composante de la communication non verbale du candidat lors d’une procédure d’embauche (Knapp et Hall, 1992). Quereshi et Kay (1986) estiment même que l’apparence physique constitue le facteur le plus fort et le plus déterminant influençant les jugements des employeurs. Ces derniers peuvent se fonder sur deux types de signaux non verbaux : des signaux statiques (par le biais de la photo accompagnant le CV notamment) et des signaux dynamiques comme le regard, les attitudes, le ton de la voix (au cours de l’entretien). Nous pouvons donc distinguer deux temps d’analyse de l’impact de l’apparence : avant l’entretien où les stéréotypes et a priori vont se fonder sur la photo accompagnant le CV des candidats, et pendant l’entretien au cours duquel se dégage la première impression sur l’individu, concentré de jugements a priori et en voie de formation sur l’individu à partir de son apparence extérieure. 1.1.1 Premier « contact » avec l’apparence du candidat : la photographie accompagnant le CV Une première sélection des candidats est effectuée à l’issue du tri des CV reçus si l’on se place dans une procédure de recrutement « concurrentiel » c’est-à-dire dans laquelle un grand nombre de candidatures vont être étudiées comparativement. Au-delà des critères objectifs de sélection qui se référent aux critères de recrutement inscrits dans l’annonce (et qui peuvent déjà contenir des éléments discriminatoires), le recruteur peut écarter certaines candidatures sur des éléments subjectifs comme la photographie. L’apparence physique joue alors un rôle de filtre puisque c’est à partir de celle-ci que l’employeur va inférer certaines caractéristiques professionnelles des candidats. La théorie de la réponse cognitive (‘cognitive response theory’) permet d’expliquer l’impact de la photo. Des stimuli conditionnent des réponses automatiques et l’apparence physique constitue un stimulus non négligeable en phase de tri des CV : à un type d’apparence vont correspondre des attentes spécifiques et réciproquement. Marshall, Stamps et Moore (1998) précisent le mécanisme ; les réponses des évaluateurs au signal de l’apparence physique sont d’autant plus nettes, plus profondément ancrées qu’elles sont automatiques, or plus l’évaluateur est pressé ou stressé, plus ce processus de réponse automatique va être activé au détriment d’une démarche plus consciente et objective. Ces auteurs posent l’existence d’un lien entre apparence et prestige de l’emploi à pourvoir qui se mesure selon eux par le degré de relation avec la clientèle. Les individus séduisants, parce qu’ils sont jugés plus crédibles et susceptibles de mieux réussir dans type de poste vont être préférés aux autres ; ainsi, dès l’observation de la photo, des biais en faveur des plus séduisants apparaissent. 4 1.1.2 Entretien et apparence : la formation de la première impression L’entretien de sélection est l’une des techniques de sélection des candidats les plus utilisées en France. Si les stéréotypes vont influencer la formation du jugement de l’employeur, ceci est particulièrement vrai dans le cadre d’un entretien de sélection en raison du fait que celui-ci évalue un grand nombre de dimensions différentes et implique souvent une part de subjectivité (Klein et Pohl, 2007, p. 211). Et lorsque l’entretien est mené par plusieurs individus, le recours aux stéréotypes peut favoriser la prise de décision collégiale car ils constituent des représentations partagées qui facilitent dès lors l’émergence d’un consensus (Klein, Pohl, 2007, p. 225). A contrario, certains auteurs considèrent que la collégialité est un dispositif permettant de lutter contre la discrimination directe à l’embauche du fait de la diversité des acteurs et des jugements qu’elle suppose et de la publicité des débats et des décisions qu’elle assure (Musselin, Pigeyre, 2008). La première impression correspond au jugement formulé par l’employeur lorsqu’il est confronté pour la première fois au candidat, que ce soit de façon indirecte (par le biais de la photo) ou directe (au cours de l’entretien). Un premier entretien avec un employeur potentiel est une séquence où vont être évaluées les compétences d’un acteur individuel pour un poste donné. Mais c’est également le moment où l’employeur, influencé par d’éventuels stéréotypes sur le candidat, inférés notamment de la photo accompagnant le CV, va être confronté à la réalité de la personnalité de celui-ci. Le stéréotype est dès lors susceptible d’entraîner un phénomène de « confirmation perceptuelle » (in Klein, Pohl, 2007, p. 211) : « l’impression que le recruteur se forme du candidat tend à se conformer aux attentes que le recruteur détient à propos du candidat ». La présentation corporelle de soi peut dès lors fonctionner dans certaines circonstances et être reconnue par les individus comme un capital pouvant avoir une influence dans l’évaluation dont ils font l’objet dans cette situation. La préparation de la présentation corporelle peut également être considérée comme affirmation de son identité et de son pouvoir face à un employeur : la situation est perçue comme un rapport de force où, face à l’employeur potentiel qui détient le pouvoir de décision, « travailler » son apparence corporelle est conçu par certains acteurs comme étant sécurisant. Ce jugement sur l’apparence peut être tout à fait conscient de la part du recruteur et faire l’objet d’une notation ; Gautié, Godechot et Sorignet (2004) ont analysé les méthodes d’évaluation des candidats à partir de l’exploitation d’une base de données d’un cabinet de chasseurs de têtes spécialisé dans le ‘high management’. A la suite des entretiens, le consultant consigne dans une base de données ses remarques sur le candidat et donne à l’individu deux notes : une note de ‘valeur professionnelle’ et une note de ‘valeur personnelle’. La première est un jugement sur les qualités professionnelles du candidat dans le cadre du poste offert, tandis que la seconde est un jugement général sur la valeur du candidat. Cette note, variant de 1 à 5, est fortement corrélée avec la présentation du candidat au client. A côté de ces notes, les consultants écrivent parfois des remarques précises étayant leur jugement ; une analyse textuelle de celles-ci permet de comprendre le fondement des notes données. Lorsqu’ils s’intéressent à ce qui sous-tend la note de valeur personnelle, les auteurs de l’étude observent que se mêlent considérations morales et esthétiques ou physiques sur la personne. Ainsi, interviennent des considérations sur l’apparence du candidat (beau/belle, élégant), sur les caractéristiques physiques de taille, de couleur des yeux et des cheveux et sur la manière de se présenter (bonne présentation) montrant que les atouts corporels, même dans les métiers d’encadrement, ne sont pas indifférents pour le chasseur de tête et le client. Il apparaît que « le jugement moral et esthétique complète donc le jugement sur les capacités managériales et sur l’excellence professionnelle » (Gautié, Godechot et Sorignet, 2004). Et être considéré comme « grand, beau ou élégant » est un facteur favorable augmentant la note de valeur personnelle. 5 1.2 Le poids de l’apparence physique dans la décision d’embauche Un certain nombre d’études (Dipboye et al., 1975 ; Dipboye, Arvey et Terpstra, 1977) a établi une relation positive entre physiques séduisants et entretiens d’embauche aboutissant positivement. 1.2.1 Qualités professionnelles associées à une apparence séduisante Une étude menée en 2001 par trois chercheuses canadiennes (Legault, Garcia, Phenix, 2001) confirme cette hypothèse : testant l’impact de l’apparence physique sur la sélection d’une candidate pour deux emplois : un de vendeuse et un d’animatrice de camps d’enfants, elles concluent que la fille la plus jolie a été celle la plus associée aux qualités telles que le dynamisme et la sociabilité tandis que la fille la moins jolie était davantage associée aux qualités de responsabilité et d’organisation. Et la fille la plus séduisante a donc été préférée pour le poste de vendeuse. Cette relation explique pourquoi, dans le domaine de l’emploi, la beauté peut être considérée comme un avantage lorsqu’il s’agit de postes en relation avec la clientèle. Gilmore, Beehr et Love (1986) concluent même que la beauté des candidats a plus d’influence sur la décision d’embauche que d’autres facteurs comme le sexe ou le profil du recruteur ; ils expliquent que les candidats séduisants sont considérés comme ayant a priori une personnalité davantage adéquate au travail, comme susceptibles d’être plus performants et sont donc en général préférés pour le poste. Ils sont également considérés comme plus capables d’atteindre leurs objectifs de carrière et comme ayant moins besoin d’être guidés que les autres (Cash, Gillen et Burns, 1977). Les raisons avancées sont une plus grande maturité perçue, davantage de maîtrise de soi et un plus fort potentiel professionnel. Une personne attirante est perçue comme ayant un locus de contrôle interne2 or cette qualité étant professionnellement valorisée, elle sera préférée à une autre moins séduisante. De nombreuses qualités recherchées sur le monde du travail sont attribuées d’emblée à des individus séduisants ; cependant cet effet est tempéré par le genre des candidats et le type de poste auxquels ils postulent. 1.2.2 Un impact d’ampleur inégale L’impact de l’apparence physique sur la décision d’embauche est complexe et dépend de divers facteurs. - Un courant de recherche soutient l’idée que l’apparence n’influence la décision d’embauche que lorsque la beauté ou la séduction constitue un critère central du poste à pourvoir. Beehr et Gilmore (1982) constatent ainsi que l’apparence physique n’a pas d’impact sur la décision d’embauche à moins que celle-ci soit un élément caractéristique du poste à pourvoir, comme par exemples pour un mannequin ou un comédien. Ils estiment plus généralement que la séduction d’un(e) candidat(e) peut être un avantage pour les postes pour lesquels les recruteurs estiment qu’elle est une dimension caractéristique du poste à pourvoir. La séduction est alors considérée comme une variable descriptive d’un poste. Les raisons pour lesquelles le poste est censé avoir une dimension « séduction » ne sont cependant pas approfondies dans cette littérature. - Un deuxième courant suggère qu’une apparence séduisante influence positivement la décision d’embauche lorsqu’elle est précisément et positivement reliée à un stéréotype de la fonction à pourvoir ; ce courant s’appuie sur la théorie de la personnalité implicite (Rosenberg, 1977) : les individus séduisants seront jugés et perçus de façon plus positive que les individus moins 2 Une personne “interne” a tendance à croire que ce qui lui arrive dans la vie dépend d’elle et qu’elle peut généralement obtenir ce qu’elle veut si elle s’en donne les moyens, Anderson (1978). Il s’agit donc d’une caractéristique de confiance en soi. 6 séduisants. Polinko et Popovich (2001) posent une hypothèse centrale pour comprendre cette influence : les biais liés à l’apparence physique sont fonction de la correspondance perçue entre les compétences sociales requises pour un poste et celles attribuées à un candidat. Les candidats attirants sont préférés aux autres pour un poste requérant de hautes compétences sociales car, conformément à la théorie de la personnalité implicite, des compétences relationnelles supérieures sont d’emblée attribuées aux individus séduisants. Même si la beauté n’est pas une caractéristique objective du poste à pourvoir, les recruteurs vont en faire un critère au regard de l’image qu’ils ont de la position de ce poste. Et plus le poste est en contact avec le public, plus l’apparence joue un rôle important, même si elle n’est pas un critère de recrutement explicite. Ainsi par exemple si la fonction de réceptionniste ne nécessite nullement une apparence séduisante, les stéréotypes attachés à cette fonction sont tels qu’une apparence avantageuse est un critère implicite d’embauche (Quereshi et Kay, 1986). Il en va de même pour la fonction de commercial ; Reingen et Kernan (1993) ont montré que des compétences plus favorables (en termes sociales, intellectuelles, de relations interpersonnelles, d’honnêteté) étaient attribuées aux individus séduisants qui sont mieux perçus par les clients et cet effet joue encore plus fortement pour les femmes. Des études effectuées dans le domaine du marketing confirment cette relation en montrant que les clients sont eux-mêmes positivement influencés dans leur décision d’achat par la beauté de leur interlocuteur (Reingen, Kernan, 1993) ; le mécanisme des prophéties autoréalisatrices semble donc être effectif dans le cas des métiers de la vente avec contact en face-àface avec la clientèle. A l’inverse, des stéréotypes fonctionnels peuvent être désavantageux pour des individus séduisants ; Snyder, Berscheid et Matwychuk (1988) ont observé que la séduction physique pouvait être un inconvénient pour certains postes, comme libraire par exemple. Le même processus de stéréotypisation est alors à l’œuvre : des stéréotypes liés à certaines métiers font que la beauté peut être considérée pour ces derniers comme une marque de légèreté, de futilité ou de manque de profondeur et comme un élément pouvant décrédibiliser le candidat : c’est la « face noire» de la beauté. - Le dernier courant de recherche s’inscrit dans la lignée des stéréotypes sexuels ; une apparence séduisante est un atout si, et seulement si, le poste est considéré comme approprié avec le sexe du candidat. Les femmes séduisantes sont moins facilement embauchées pour des postes de management que les autres (Heilman, Saruwatari, 1979) car des compétences managériales supérieures sont d’emblée attribuées aux hommes (Sczesny, Kühnen, 2004). De Bosscher et Desrumeaux-Zagrodnicki (2002) aboutissent à la même conclusion lorsqu’elles s’intéressent aux effets de l’apparence physique sur les décisions de recruteurs féminins et masculins pour des postes de managers et de conseillers. Elles concluent que l’impact de la beauté varie selon le niveau hiérarchique : pour un poste subalterne, le candidat attirant est préféré, mais pour un poste élevé, la beauté favorise les hommes et défavorise les femmes. Selon elles, le prototype masculin associé à ce type de poste semble être incompatible avec la beauté féminine ; pourquoi ? Elles avancent deux explications : le poste de manager requiert des capacités jugées « masculines » comme « se comporter en leader », « être indépendant », « être sûr de soi » et la beauté des femmes semble être un rappel de leur appartenance au sexe féminin, ou encore le stéréotype « dark side » de la beauté est à l’œuvre. La difficulté est alors de distinguer ce qui relève du fait d’être une femme de ce qui relève du fait d’être séduisante. Si la littérature présentée semble unanime sur l’existence d’une influence de l’apparence au moment de la sélection des candidats à un poste, il ressort cependant que celle-ci diffère en fonction de différents paramètres : le genre du candidat (l’influence est plus marquée pour les femmes) ; le type de poste à pourvoir (ceux en contact avec la clientèle étant plus sensibles à l’apparence physique des candidates) ; le niveau du poste à pourvoir (influence plus importante pour les postes d’employés). 7 Partant de ces constats, nous avons élaboré un test de correspondance visant, grâce à une mesure statistique de l’impact de l’apparence physique via la probabilité d’être convoqué ou non en entretien, à répondre à la question suivante : les postes en relation avec la clientèle sont-ils réellement les plus susceptibles d’être influencés par l’apparence physique des candidats ? Derrière cette question assez triviale se profile celle de la subjectivité croissante des critères de sélection en relation avec les évolutions de structure et de nature que connaît l’emploi en France depuis 15 ans. 2. La mesure de cet impact au moment du recrutement : réalisation d’un test de correspondances La mesure de la discrimination à l’embauche est délicate tant le phénomène discriminatoire est difficile à isoler. Deux types de méthodes sont traditionnellement mobilisés dans la littérature économique pour parvenir à cette fin ; la méthode indirecte, celle du résidu, est basée sur un modèle probit ou logit dichtomique permettant d’identifier les caractéristiques individuelles observables (niveau d’étude, expérience…) qui peuvent affecter la probabilité d’être embauché, la différence entre la probabilité d’être embauché ou non étant ensuite décomposée entre des facteurs imputables aux caractéristiques individuelles de l’individu et le reste, non expliqué, assimilé à de la discrimination. La méthode de l’audit par couples est, elle, une technique directe de vérification d’une discrimination à l’embauche en ce sens qu’elle permet de mesurer simultanément et donc comparativement deux candidatures (within-subject design). Il s’agit d’une expérimentation sociale dans des situations de vie réelle : chaque équipe est composée de deux « candidats testeurs » qui présentent les mêmes caractéristiques productives et ne diffèrent que sur un seul point : leur apparence physique dans le cas de cette enquête avec une candidate très séduisante et une autre mois séduisante. Traditionnellement utilisée dans le cadre d’études économiques et psychosociologiques anglo-saxonnes, cette méthode est absente des ouvrages de méthodologie français, tant en sciences sociales qu’humaines ou de gestion. En France, les travaux de Petit en économie (2003 ; 2004) et d’Amadieu en gestion (2005) se sont appuyés sur cette méthodologie pour mettre à jour des phénomènes de discrimination sur le marché du travail. Essentiellement utilisée pour révéler des comportements ou traitements discriminatoires basés sur des motifs ethniques ou de genre, nous l’avons appliqué pour la première fois à la seule variable ‘apparence physique’ 2.1 Montage du test de correspondances L’une des principales critiques adressées à cette méthodologie est qu’il apparaît impossible d’identifier ou de mesurer toutes les caractéristiques individuelles ayant un impact sur la probabilité d’être embauché (Heckman, 1998). Il apparaît donc quasiment impossible de former un couple de testeurs jugé comme « identique » du point de vue de l’employeur. Une manière de contourner cette critique est de limiter l’audit par couples à sa première étape et de s’arrêter à la convocation ou non à l’entretien : il s’agit alors d’un test de correspondances, c’est-à-dire d’un test d’accès à l’entretien d’embauche. Cela simplifie et accélère grandement la procédure car d’une part il n’y a pas à former d’acteurs pour le passage de l’entretien et d’autre part cela augmente la réalisation ‘toutes choses égales par ailleurs’ de la procédure. En effet, de ce point de vue, l’entretien est une situation à risque car il est très difficile de contrôler toutes les variables d’attitudes et de comportements des acteurs-candidats ; en l’absence du superviseur de la procédure comment s’assurer que les acteurs se comporteront et s’exprimeront de façon identique ? Les études réalisées plaident en faveur de cette limitation (Riach et Rich, 1991). En outre, la discrimination semble essentiellement se situer au niveau de la convocation ou non aux 8 entretiens c’est-à-dire au moment de la sélection sur CV, la dernière phase ne faisant que confirmer l’éventuelle discrimination observée au cours de la première. Il a été choisi de tester l’impact de la variable ‘apparence’ uniquement pour des femmes et, afin de rendre notre test le plus pertinent possible, trois métiers hautement féminisés ont été choisis. Ce choix repose sur deux raisons principales ; d’une part, la quasi-totalité des recherches menées sur l’apparence le sont sur des femmes. Ceci s’explique par le fait que l’apparence est un facteur traditionnellement, culturellement, historiquement, « sociétalement » plus associé au sexe féminin et de ce fait, le jugement de valeur sur une femme intègre beaucoup plus cette dimension que pour un homme (Vigarello, 2005). En reproduisant ce qui s’était déjà fait, nous facilitons la comparaison de nos résultats et leur confrontation avec ceux déjà réalisés ; cette première raison aurait pu être utilisée à l’inverse pour justifier le choix d’hommes dans le souci d’apporter des résultats plus novateurs et de travailler en terre moins connue. Il nous apparaît cependant que, même si les recherches menées sur des populations masculines tendent à montrer que l’apparence joue également pour elles, elle joue toujours moins que pour les femmes et lorsque cela joue, il s’agit moins de la dimension beauté-séduction que de celles relatives aux variables de poids et de taille3. Enfin, la dimension de genre étant étroitement reliée à celles des postes et fonctions occupés sur le marché du travail en France, et compte tenue de la prégnance des stéréotypes fonctionnels et sexuels, il aurait été moins pertinent de mener ce test de correspondances sur des postes de non cadres pour des hommes. Trois types de postes ont été testés : commerciale, assistante de direction et comptable avec pour chacun, deux profils de candidates identiques en tous points (formation, expérience, âge…) excepté leur apparence physique : l’une très séduisante et l’autre moins. Le choix des photos a fait l’objet d’une évaluation par des étudiants de 1ère année en sciences économiques à l’université. Ce protocole expérimental a permis d’une part d’évaluer et de ‘ranger’ des photos selon leur apparence plus ou moins séduisante et d’autre part d’apporter un certain nombre d’informations sur les a priori et stéréotypes dont sont victimes ces étudiants4. Deux CV identiques sur le fond mais différents dans la forme (polices de caractères et présentations différentes) ont donc été construits à partir de CV existants, pour chaque type de poste testé : deux CV d’assistantes de direction, deux CV de commerciales et deux CV de comptables. Chacun de ces CV a été construit à partir de CV réels de personnes ayant été recrutées sur ces CV ; cela permet donc d’assurer qu’ils sont pertinents, crédibles et de qualité au regard des critères activés par des employeurs. Les caractéristiques objectives de chaque candidate étaient les plus proches possibles : même filière de bac, même niveau d’études et de diplôme (BTS), mêmes expériences professionnelles (dans la durée, le type de poste occupé et le type d’entreprise-PME ou plus grandes entreprises), même niveau de connaissance et de maîtrise de langages informatiques et de langues étrangères. L’expérience professionnelle est la variable la plus difficile à ‘copier’ tant les signaux envoyés par celle-ci sont forts. Concernant le poste de commercial notamment, l’expérience antérieure de la candidate, c’est-à-dire le(s) secteur(s) d’activité dans le(s)quel(s) elle a déjà exercé, va avoir une importance particulière car la connaissance préalable d’un secteur d’activité précis peut être un facteur influençant la décision de convoquer la candidate (d’autant plus évidemment si le poste à pourvoir appartient à ce secteur précis). Nous avons donc opté pour des expériences de qualité identique non seulement en termes de durée et de types de postes occupés, mais également de secteurs d’activités expérimentés ; ainsi, toutes deux présentent des expériences, dans un ordre chronologique cependant différent, 3 O. Galland note, à partir des données de l’enquête Histoire de vie, que les garçons qui se plaignent le plus de subir des moqueries au sujet de leur physique sont maigres et plus petits que la moyenne, in Jeunes : les stigmatisations de l’apparence, Economie et statistique, 2006. Voir également sur ce point les travaux de N. Herpin sur l’impact de la taille. 4 Voir Garner-Moyer (2007) pour une description complète de ce protocole d’évaluation des photographies. 9 dans le secteur des boissons, dans le secteur de l’électroménager et dans le secteur paramédical. Répondre à une annonce de commerciale dans l’un de ces trois secteurs ne favorisera donc pas une candidate par rapport à l’autre. Ce souci de réduire au maximum les différences de contenu des CV entre les candidates accroît le risque que l’employeur décèle cette ressemblance mais la scientificité des résultats du test de correspondances en dépend. Les caractéristiques individuelles des deux candidates sont également similaires : âge très proche (29 et 30 ans), mariée ou vie maritale, deux enfants, résidant dans le 19ème arrondissement de Paris, de nationalité française, détentrice du permis B. Au total 686 CV ont été envoyés ce qui correspond à 343 tests effectués. 2.2 La mise en évidence d’une sélection fondée sur l’apparence La sélection correspond à « [l’]action de sélectionner, de choisir les personnes ou les choses qui conviennent le mieux. » (Dictionnaire Larousse, 2008). Dans le cas de la sélection professionnelle, la fin recherchée est le recrutement d’un(e) candidat(e) ; c’est la détermination des caractéristiques déterminées sur lesquelles repose le choix du recruteur qui pose le plus de difficultés de définition. Si certaines sont connues et reconnues comme intervenant quasi systématiquement dans la sélection des candidats comme le diplôme, l’expérience, les qualifications, la maîtrise de certaines techniques ou méthodes, d’autres peuvent être objectivement contingentes au type de poste à pourvoir ou à l’environnement du poste (genre, âge, handicap) ; d’autres encore (origine ethnique, apparence) et parfois les mêmes (âge, genre) peuvent être implicitement définies comme des caractéristiques intervenant dans la sélection. L’apparence physique entre dans cette dernière catégorie de caractéristiques dans le sens où sauf cas particuliers (comédiens, mannequins, modèles), elle n’est pas une caractéristique entrant objectivement dans la sélection et l’évaluation des candidats. Notre test montre que l’influence de l’apparence physique est plus complexe que relevé dans la littérature car si elle peut s’expliquer, selon la littérature et les représentations sociales en vigueur, pour certains postes, par les caractéristiques attachées à ceux-ci (postes en contact avec la clientèle notamment) et être alors considérée comme un critère objectif de recrutement, elle intervient en réalité plus largement comme critère de sélection même pour des postes en back office comme celui testé de comptable. D’après nos résultats, l’impact de l’apparence physique est avéré quelque soient le poste, la taille de l’entreprise et le secteur d’activité testés : sur les 343 annonces d’offres d’emploi testées, le taux de réussite de la candidate séduisante est de 43 % tandis que celui de la candidate moins séduisante n’est que de 29,5 %. Cela est vrai : - par profil de poste : avec écart le plus important pour le poste de comptable : 52% contre 26 % pour la candidate moins séduisante (tableau 1). - par taille d’entreprises : avec écart le plus important dans les toutes petites entreprises (de 1 à 9 salariés) : 43% contre 26% - par secteurs d’activité : avec l’écart le plus fort (20 points) entre les deux candidates dans le secteur : Immobiliers, conseils, services aux entreprises. Tableau 1: Taux de réponse positive par type de poste En % Convocation séduisante Convocation moins séduisante Commerciale 42,20 Comptable 52,38 Assistante de direction 33,72 32,95 26,19 25,58 L’impact de l’apparence dépasse donc l’opposition ‘critère subjectif/objectif’ ; il agit plus globalement sur la qualité de l’évaluation du candidat car même quand l’apparence n’apparaît pas comme une « caractéristique » du poste à pourvoir comme pour le poste de comptable où le 10 contact avec la clientèle n’est pas un élément central du contenu du poste, cet impact joue très fortement. Si l’on admet, comme la littérature nous y incite (Polinko et Popovitch, 2001 ; Quereshi et Kay, 1986 ; Reingen et Kernan, 1993), que pour le poste de commerciale, et plus généralement pour les postes en contact direct avec la clientèle, l’apparence fait partie des qualités rattachées à la définition du poste à pourvoir, alors l’écart de 10 points entre les taux de convocation des deux candidates pour le poste de commerciale confirme cette hypothèse. L’apparence est alors considérée comme un critère objectif de recrutement, c’est-à-dire nécessaire pour pourvoir le poste, et dont les candidats à ces postes doivent être conscients (voir les travaux réalisés par Hidri sur les stratégies corporelles développées par des étudiantes destinées à des métiers commerciaux, Hidri, 2005). Sur le poste d’assistante de direction, l’écart obtenu entre les taux de convocation des deux candidates est légèrement plus faible (8 points) et il est le plus fort pour le poste de comptable pour lequel la candidate séduisante a été deux plus convoquée que l’autre alors que la seule différence entre leurs deux CV était la photo associée. Ces résultats prouvent que l’apparence est un critère utilisé très largement, et de façon quasiment systématique par l’employeur, et pas seulement à des fins instrumentales en vue d’assurer de meilleurs relations avec la clientèle par exemple. En réalité, les attributs relationnels associés à une apparence séduisante relevés dans la littérature (Eagly, Makhijani, Ashmore et Longo, 1991) peuvent être fortement mobilisés pour définir une très large palette des postes qui ne sont pas forcément dans le secteur des services ou ceux en relation avec la clientèle. Une apparence séduisante est donc un facteur pouvant intervenir comme un critère de sélection de qualités subjectives des candidats, qualités qui sont de plus recherchées sur le marché du travail. 2.3 De la sélection à la discrimination fondée sur l’apparence physique L’examen des réponses obtenues aux envois de CV par couple aboutit à une présentation différente des résultats précédents. En effet, nous allons maintenant distinguer les réponses obtenues par les candidates au sein de chaque couple, ce qui va permettre de calculer des taux de discrimination fondée sur l’apparence physique des candidates. Il ne s’agit donc plus de mettre en exergue des différences globales dans les taux de convocation mais des différences par couples. Dans 70 % des cas, le traitement des deux candidates formant un couple a été identique : dans 49 %, aucune n’a été convoquée, et dans 21% des cas elles l’ont été toutes les deux. Par contre, lorsqu’une seule a été convoquée, cela s’est fait davantage au profit de la candidate séduisante : 21,5 % contre 8,5 % pour la candidate moins séduisante. Sur l’ensemble des tests valides (tests pour lesquels au moins une des deux candidates a été convoquée) qui représentent 51% du total des tests, la candidate séduisante a été favorisé dans 42 % des cas (74/175) et l’autre candidate dans seulement 16,5 % des cas (29/175) soit un taux différentiel de 25,71% qui correspond au taux de discrimination au sens du Bureau international du travail (tableau 2). Sur l’ensemble des traitements différenciés (74+29), les employeurs ont donc choisi 3 fois sur 4 la candidate séduisante à CV équivalent. 11 Tableau 2 : Taux de discrimination en fonction du poste Commerciale Comptable Assistante de direction Total Nombre de candidatures total 173 84 86 343 Refus des deux candidatures 86 37 45 168 Nombre de cas utilisables (a+b+c) 87 47 41 175 a) les deux sont convoquées 43 19 10 72 b) seule la femme séduisante est convoquée 30 25 19 74 c) seule la femme moins séduisante est convoquée 14 3 12 29 Discrimination nette 16 22 7 45 Taux de discrimination 18,39% 47,06% 16,67% 25,71% Note : le taux de discrimination est obtenue en divisant le nombre de cas de discrimination nette par le nombre de tests valides, de cas utilisables. Le taux critique ou taux seuil à partir duquel, en vertu des hypothèses présentées dans l’encadré 1, la discrimination est avérée, est de 15 % ; le taux de 25,71 % obtenu ici permet donc de conclure à l’existence d’une discrimination sur l’ensemble des tests pratiqués. Si l’on analyse les taux obtenus par type de poste testé, ces conclusions sont un peu différentes car les échantillons étant de plus petite taille, les seuils critiques sont plus élevés et la discrimination moins avérée. Pour le poste de commerciale, le taux critique de discrimination pour un effectif de cas utilisables de N=87 est égal à 1,96/√ 87 soit 21%. Le taux obtenu pour le poste de commercial est ici de 18,39 %, il est donc un peu inférieur au taux critique attendu ce qui signifie que ce résultat ne permet pas de conclure rigoureusement à une discrimination en faveur de la candidate séduisante. Pour le poste de comptable, ce taux critique est de 28,6 % (1,96/√47) ; le taux de discrimination de 47 % obtenu est donc largement supérieur et permet donc de conclure à l’existence d’une discrimination basée sur l’apparence physique pour les postes de comptable. Pour le poste d’assistante de direction, ce taux critique établi à partir de seulement 41 tests valides est de 30,6% (1,96/√ 41), soit largement supérieur au taux obtenu. Il s’agit donc du poste pour lequel le taux calculé est le moins robuste en terme statistique. Encadré 1 : Validité scientifique de la méthode : la solution préconisée par le BIT Si l’on veut parler de discrimination statistiquement significative, il faut calculer un taux minimum de discrimination à partir duquel cette discrimination est avérée d’un point de vue statistique. Il y a discrimination, estime Bovenkerk (1992), si, sur l’ensemble des traitements différenciés, l’individu appartenant à la majorité est préféré au candidat de la minorité avec un écart d’au moins 15 % ; il y a discrimination si, par exemple, le candidat de la majorité a été favorisé dans 25 % des cas (sur l’ensemble des cas de discrimination) et la minorité a été favorisée dans 10 %. Ce taux de 15 % permet de rejeter l’hypothèse de non discrimination avec un degré d’erreur de 5 % c’est-à-dire que la probabilité que le pourcentage de discrimination observée soit dû au hasard n’excède pas 5 %. 12 La taille de l’échantillon est fonction des hypothèses a priori sur la part des binômes qui ne seront pas retenus. Les offres d’emplois qui seront utilisées sont celles où au moins un des deux candidats est retenu (on écarte celles où les deux candidats sont rejetés). Il y a discrimination si la part d’offres pour lesquelles le candidat blanc est retenu est supérieure à la part pour lesquelles le candidat d’origine étrangère est retenu. Si l’on considère : P : la proportion de discrimination nette dans la réalité, p : la proportion dans notre échantillon alors la différence doit être inférieure à 0.15 σ (σ étant l’unité standard d’une distribution normale) dans (1 – 0.05) 0.95% des tests. Si le nombre total de cas (N) est suffisamment important, une distribution de Bernouilli est identique à une distribution normale. 0.95 (avec un risque d’erreur de 5 %) est alors égal à la z-valeur de 1.96 Prob (P-p ∠ 0.15σ) = 0.95 0.15σ = 1.96 σp Si l’on considère qu’il s’agit d’une distribution normale standard σp=σ/√N alors : 0.15σ = 1.96σ / √N √N = 1.96σ / 0.15σ N ≅ 170 Il est donc nécessaire d’avoir au moins 170 observations utilisables pour être capable de conclure statistiquement à l’existence de discrimination avec un taux critique fixé à 15 %.. Si l’on supposehypothèse discutable, que dans la moitié des cas, aucun des candidats n’est retenu, pour pouvoir conclure à l’existence ou non de discrimination, il faudrait un échantillon d’offres au moins égal au double de 170 soit une taille initiale d’environ 340 cas5. Le taux minimum de discrimination nette (TMDN)- ou seuil critique, en deçà duquel l’hypothèse de discrimination sera rejetée, avec un risque d’erreur limité à 5%, est donc de 15 %. Ce taux minimum dépend en réalité de la taille de l’échantillon, plus celui-ci est petit, plus il est élevé. Quelles sont les explications susceptibles d’éclairer l’ampleur des résultats obtenus dans le test de correspondances ? Pourquoi l’apparence physique des candidats est-elle un critère si discriminant dans les procédures de tri des CV effectuées par les employeurs ? Est-ce un phénomène nouveau et comment l’interpréter ? Qu’est-ce que cela signifie en matière de gestion des emplois et des compétences ? Qu’est-ce que cela change que de prouver cet impact de l’apparence ? 3. La GRH confrontée à l’évaluation de compétences de plus en plus subjectives La gestion des ressources humaines ne peut s’exempter d’analyser l’impact de ce facteur car, à l’heure où la question de l’évaluation des compétences apparaît centrale tant dans ses modalités de mise en œuvre que d’un point de vue normatif, il apparaît central de mieux analyser et comprendre ce qui peut altérer la pertinence, la rigueur et la cohérence des critères d’évaluation utilisés dans le monde du travail. 5 Pour le quantile de la loi normale centrée réduite égal à 1.64 plutôt qu’à 1.96, le nombre de cas utilisables aurait été de 120 et l’échantillon aurait eu une taille approximative de 240 ; la valeur de ce seuil est donc uniquement fonction des hypothèses retenues. 13 3.1 Un contexte favorable à la prise en compte de l’apparence L’environnement du marché du travail et son fonctionnement ont évolué depuis 30 ans et le marché du travail se caractérise aujourd’hui par une pénurie d’emploi qui engendre une offre de travail importante et une concurrence accrue entre les candidats. Face à cette pléthore de candidatures, les employeurs ont affiné leurs exigences et augmenté leur capacité de négociation ; la sélectivité sur le marché du travail s’en est trouvée largement accrûe. 3.1.1 Une sélectivité plus grande sur le marché du travail L’environnement du marché du travail et son fonctionnement ont changé depuis 30 ans et le marché du travail se caractérise aujourd’hui par une pénurie d’emploi, notamment peu qualifiés, et par l’élévation des niveaux de formation initiale des candidats. Deux chiffres attestent de cette tendance ; la durée moyenne de la formation initiale de la population active est passée de 8,1 ans en 1954 à 12,4 ans en 1996, et la proportion des actifs ayant au moins le baccalauréat a été quasiment multipliée par 10 entre 1954 et 2004 (Gadrey, 2007). Ces évolutions engendrent une offre de travail qualifiée importante sur le marché du travail, et une concurrence accrue entre des candidats toujours plus qualifiés. Cette exacerbation de la concurrence sur le marché du travail a rendu nécessaire une plus grande sélectivité de la part des employeurs ; confrontés à une offre de travail massivement diplômée les employeurs ne peuvent plus utiliser le diplôme comme critère central de sélection et ils ont dû diversifier leurs critères d’évaluation des candidats. Les critères purement « méritocratiques » (niveau de diplôme, expérience professionnelle) ne sont plus suffisants mais ils servent de point de départ, le seuil minimal pour entamer le travail de sélection proprement dit qui va consister à rechercher des caractéristiques physiques, des compétences sociales ou psychologiques (DuruBellat, 2007). La prise en compte de critères esthétiques (« the new aesthetics of recruitment ) a été une réponse à cette sur-offre de travail dans la mesure où elle permet de différencier chaque candidature sur un critère idiosyncrasique. 3.1.2 Des mutations dans la structure des emplois La tertiairisation de l’économie est un phénomène commun aux économies occidentales et elle apparaît comme une évolution structurelle depuis une quinzaine d’années liée d’une part à la mondialisation de l’économie et aux spécialisations qui s’en sont suivies, et d’autre part à l’évolution des besoins des consommateurs. La capacité des entreprises à répondre à ces évolutions passe par la mobilisation de nouvelles compétences de leurs salariés. Comme la structure de l’emploi s’est modifiée au profit du secteur tertiaire, le contenu des emplois a évolué vers plus d’activités de services et de formes d’emploi orientées vers la relation client. Cette mutation dans le contenu des emplois, permise et induite par le changement structurel de l’économie et le progrès technique, s’est traduite par une spécialisation de l’activité humaine dans ce qui fait sa spécificité (Perret, 1997), à savoir les compétences relatives à l’individu, à sa personnalité (autonomie, polyvalence, capacités d’adaptation, qualités relationnelles…) et à son comportement : le poids du capital humain, du capital personnel s’en est trouvé renforcé. 3.2 L’impact de l’apparence dans un environnement incertain Les ouvrages de gestion des ressources humaines présentent le recrutement comme un processus linéaire pouvant être simplement décomposé en étapes : description du poste, identification des compétences attachées, définition du niveau de rémunération, choix des canaux, sélection des candidatures reçues, choix du candidat retenu grâce à un certain nombre de méthodes (entretiens individuels, collectifs, mise à l’essai, …) et d’outils (tests, questionnaire, graphologie, jeux….), intégration. Mais à chacune de ces étapes, des choix doivent être effectués qui vont avoir un impact sur la qualité de la procédure toute entière et le recruteur doit prendre des décisions dans 14 un univers complexe où le nombre de possibilités en termes de qualités rattachées au poste, de canaux activables, de critères de sélection, d’outils et de méthodes disponibles s’accroît. Dans nos économies, comme l’a analysé Keynes, les acteurs, et plus encore les entrepreneurs, œuvrent dans l’incertain, sans pouvoir dire avec certitude ce que sera l’avenir et donc quelle décision ils doivent prendre mais ils sont en même temps tenus d’agir : on ne sait pas ce qu’il faut précisément faire mais il faut bien prendre une décision (Ughetto, 2001). Un individu séduisant, du fait des attributs que son environnement va associer à son apparence (intelligence, compétence, sociabilité…), envoie donc à l’employeur un signal qui peut être interprété comme porteur d’informations sur ses caractéristiques intrinsèques. Or ce sont ces mêmes caractéristiques qui sont les plus en adéquation avec la forte demande des employeurs en matière de qualités relationnelles liées aux mutations structurelles et conjoncturelles de l’emploi. Ainsi, une apparence physique séduisante réduit l’incertitude entourant certaines des caractéristiques intrinsèques des candidats relatives à leur personnalité et leur comportement et lui permet de prendre une décision plus rapidement. C’est dans ce sens que l’apparence joue comme un critère permettant de sélectionner les candidats sur la base des qualités subjectives associées à cette apparence. L’ensemble des interactions est résumé dans la figure 1. Mutations du contenu des emplois Tertiairisation de l’économie Elévation du niveau de qualifications Accroissement de l’importance accordée aux facteurs psychologiques (comportement et personnalité des candidats) augmentent Difficultés d’expression des compétences en termes de correspondance aux besoins du poste Difficultés d’évaluation de ces facteurs réduit = qualités recherchées attribuées aux candidats séduisants = critère d’évaluation facilement accessible et interprétable Apparence physique séduisante des candidats Figure 1 : Analyse de l’impact de l’apparence en GRH 3.3 L’apparence : un signal de compétences-clef ? Du point de vue de la gestion des ressources humaines, ces résultats peuvent être interprétés à l’aune du modèle des compétences développé par Zarifian ou Lorino dans les années 1990. 15 Parmi les compétences clefs, celles relatives à la personnalité et aux qualités relationnelles occupent une place particulière. Ces compétences relationnelles recouvrent deux dimensions ; collectives, elles peuvent être définies comme « la capacité de l’entreprise à tisser et entretenir un lien positif et durable avec un acteur clef de l’environnement » (Persais, 2002). En effet, les compétences relationnelles s’expriment dans toute une série de relations avec des partenaires différents : consommateurs, clients, fournisseurs, concurrents…. et la solidité de ces relations est une condition de la survie des entreprises. Cette perspective permet de mieux comprendre l’impact de l’apparence constaté dans notre test de correspondances pour le poste de comptable car même pour des postes en back office, les compétences relationnelles qui vont être utilisées dans le cadre d’interactions avec diverses parties prenantes vont influencer la compétitivité de l’entreprise. La qualité de ces relations constitue donc une partie du capital incorporel de l’entreprise. Les compétences relationnelles ont également une dimension individuelle ; troisième dimension des compétences (avec le savoir et le savoir-faire), les compétences relationnelles recouvrent ce qui est inhérent au caractère de l’individu, à sa personnalité, à son savoir-être. Or le savoir-être est considéré dans le contexte concurrentiel actuel, comme une compétence clef (Segal, 2005). Comme déjà dénoncée par certains chercheurs, la compétence ‘savoir-être’ peut être analysée comme un moyen subtil d’obtenir de la part du salarié un comportement de soumission librement consenti indispensable à l’entreprise (Bellier et Galambaud, 2004). Le savoir-être est en effet une compétence clef particulière car, contrairement au savoir et au savoir-faire, elle est indépendante du contexte de travail et elle s’acquiert en grande partie en dehors de l’école et du marché du travail, plutôt dans la sphère intime. L’apparence physique est une caractéristique individuelle, propre à chacun, qui, par le biais de la théorie de la personnalité implicite et des représentations associées à la beauté, va être interprétée par les employeurs comme le signal de détention de compétences sociales, de savoir-être. En quête de repères, de certitudes pour étayer leurs décisions et leurs choix, les employeurs sont conduits à donner à leurs représentations, leurs croyances, leurs a priori un poids considérable dans leurs processus de décision. Et l’apparence physique des individus qui compte parmi les signaux les plus porteurs de représentations, peut être interprétée comme une réponse à cette recherche de repères. A partir de l’apparence physique d’un individu, l’employeur va anticiper, «extrapoler » son comportement dans la sphère du travail, dans la sphère sociale. Ainsi, une apparence physique séduisante peut être perçue par les employeurs comme renseignant sur les compétences relationnelles des candidats. La beauté agit alors comme un raccourci cognitif permettant de sélectionner les candidats sur la base des qualités subjectives associées à leur apparence. Et c’est en cela qu’elle est susceptible d’alimenter la mécanique de la discrimination. 3.4 Quels enjeux et défis pour la gestion des ressources humaines ? Discriminer sur l’apparence physique revient donc en GRH à favoriser les individus séduisants, au moment de l’embauche mais également tout au long de leur carrière professionnelle. Etymologiquement, discriminer signifie ‘séparer, choisir’ or le choix, la sélection, le tri sont les opérations fondamentales d’une procédure de recrutement. La loi garantit à ce titre à l’employeur la liberté de choisir ses employés et celui-ci dispose d’une très grande liberté en matière d’embauche sous réserve toutefois de respecter les priorités d’emploi ou de réemploi reconnues à certains salariés tels que les handicapés ou les salariés licenciés pour motif économique ainsi que la réglementation propre à certaines catégories, notamment les jeunes et les étrangers. L’employeur est par ailleurs tenu d’observer les règles de non concurrence et de non discrimination, mais la législation actuelle ne permet pas de lutter contre les processus de discrimination indirecte résultat de mécanismes apparemment neutres. 16 Une partie des enjeux est donc de nature implicite et l’absence de transparence des procédures de recrutement, inhérente à la liberté fondamentale de recruter de l’employeur, rend très difficile de repérer les processus discriminatoires à l’œuvre. Cette discrimination peut en outre se révéler être le résultat d’un choix rationnel de la part de l’employeur qui, dans le cadre d’une information imparfaite, croit que sont corrélées l’apparence physique et les caractéristiques productives des candidats ; condamner la discrimination fondée sur l’apparence physique tout en affirmant le principe de liberté contractuelle de l’employeur constitue un exercice intellectuel et méthodologique délicat. 3.4.1 Déconstruire les stéréotypes associés à la beauté La diffusion des résultats des testings organisés par l’Observatoire des discriminations notamment6 a permis de faire prendre conscience à un large public de l’importance des stéréotypes relatifs à l’apparence physique et de leurs conséquences sociales. Les responsables de la GRH en entreprises doivent s’attacher à lutter contre les stéréotypes attachés à une apparence physique séduisante et être de ce point de vue exemplaires car ils sont garants de l’égalité de traitement de tous les candidats et salariés dans le monde de l’entreprise. Mais comment lutter contre ces stéréotypes dont nous sommes tous prisonniers ? Des chercheurs ont montré que lorsque les individus sont incités à « supprimer » leurs stéréotypes (sur instruction de l’expérimentateur dans le cadre d’expériences contrôlées par exemple), ils y parvenaient (Macrae, Bodenhausen, Milne, Jetten, 1994 cité in Klein, Pohl, 2007, p. 44). Mais le revers de cette réussite est qu’en l’absence de consigne visant à inhiber ces stéréotypes, les individus percevaient les individus de manière encore plus stéréotypée. D’autres auteurs ont montré que les individus ayant une motivation particulière à « l’égalitarisme » parvenaient mieux que les autres à faire abstraction des stéréotypes dans leur jugement (Moskowitz, Gollwitzer, Wasel, Schaal, 1999 cité in Klein, Pohl, 2007, p. 45). Il faut alors réfléchir aux moyens d’inciter ou de rendre les individus plus soucieux d’égalité, mais il s’agit alors d’une véritable mission de politique publique ; le rôle des dirigeants politiques et des outils de communication de masse est dans ce cas central : « Il n’y a donc espoir d’intervenir durablement sur le contenu des stéréotypes qu’en adoptant une approche collective plutôt que purement individuelle » (Waroquier, Klein in Klein, Pohl, 2007, p. 49). Il faut donc s’attacher à « déconstruire » les convictions selon lesquelles le groupe des individus séduisants possède effectivement, plus que les autres, des compétences relationnelles, sociales. L’enjeu est alors d’éviter l’influence des stéréotypes en ne percevant pas l’individu qui nous fait face comme membre d’un groupe particulier mais comme une individualité singulière. 3.4.2 Développer des outils susceptibles d’évaluer ces compétences relationnelles Il faut doter les recruteurs d’outils leur permettant d’évaluer, sur la base de critères objectifs et rationnels, les compétences relationnelles, subjectives, des candidats. Interdire la demande de la photographie au moment de l’envoi du curriculum vitae afin de laisser à tous les candidats, quel que soit leur physique, les mêmes chances d’accéder au stade de l’entretien constitue de ce point de vue un moyen de lutter contre la discrimination dont bénéficient les individus séduisants. Même si l’apparence physique du candidat aura un impact sur le jugement de l’employeur au moment de la rencontre physique, de l’entretien, celui-ci sera modéré par d’autres signaux (timbre de la voix, attitude corporelle, tenue vestimentaire…) et cela réduira de facto l’impact de l’apparence. Plus généralement, il faut repenser les procédures de recrutement dans le sens d’une « invisibilisation » de toutes les caractéristiques du candidat non rattachées aux compétences 6 Les résultats de ces testings sont disponibles sur le site de l’Observatoire des discriminations : http://cergors.univparis1.fr/observatoiredesdiscriminationsfd.htm#resultats 17 nécessaires pour le poste. Les démarches d’anonymisation des CV ou de recrutement par simulation répondent partiellement à cette exigence, la première ne s’appliquant qu’à la première étape du processus de recrutement (avant l’entretien), la seconde étant difficilement applicable à tous les métiers. Faire de l’intermédiation la garante de la non-discrimination est également une voie à développer : si l’on considère que la discrimination fondée sur l’apparence physique n’est qu’une question de goût, alors le fait d’« éloigner » les candidats des employeurs peut empêcher ces derniers d’exprimer leurs goûts en matière d’apparence physique. Cependant, les intermédiaires sont, comme les employeurs, victimes de stéréotypes et de représentations et, d’autre part, les employeurs disposant toujours du pouvoir de décision finale, ils ont la possibilité d’exprimer in fine leurs goûts en la matière. Il apparaît que toutes les expériences visant à accroître l’objectivation des processus de recrutement et notamment celles que l’on pourrait qualifier de ‘blind way’ (parce qu’elles cherchent à « rendre aveugles » les employeurs à tous les facteurs fondés sur des motifs discriminatoires susceptibles d’influencer leur décision) ne pourront véritablement atteindre leurs objectifs sans une déconstruction efficace des représentations et stéréotypes fondant cette discrimination. Et ceci passera notamment par un rapprochement entre le monde de la recherche en sciences sociales et celui des entreprises afin que les conclusions ou questionnements issus de la recherche puissent alimenter et faire évoluer les pratiques professionnelles, et inversement. 3.4.3 Gérer les différences termes d’apparence Le management ou gestion de la diversité est devenu un enjeu majeur de GRH dans un contexte de concurrence mondialisée et de pénurie anticipée de personnel du fait du vieillissement de la population. Les employeurs, et plus spécifiquement les DRH, sont conscients des enjeux de la gestion de la diversité et ils sont d’ailleurs de plus en plus impliqués dans la promotion de celle-ci à travers la signature de chartes et, dans une moindre mesure, d’accords sur la diversité. Les impératifs économiques des employeurs coïncident ici avec les attentes des salariés qui aspirent à une plus grande équité et diversité dans l’entreprise. Selon Peretti7, un nouveau type de salarié est en train de naître qui veut que le travail l’amuse, soit un facteur d’enrichissement personnel et réponde à ses aspirations ; lorsqu’il ne se retrouve pas, en termes de valeurs personnelles, dans son travail, celui-ci hésite de moins en moins à le quitter. Ainsi la coïncidence des valeurs de l’entreprise et du salarié est un enjeu central de gestion des ressources humaines en ce qu’elle joue positivement sur la fidélisation de la main d’œuvre, impacte donc sur le turn-over et augmente la motivation et l’implication des salariés8. Mais au-delà de ces principes, il convient de développer des arguments économiques en faveur de la diversité physique afin d’appréhender les différences physiques comme facteur de richesse pour l’entreprise. La littérature analysant les avantages attendus de la diversité en termes de performance des entreprises s’est centrée sur la diversité culturelle et de genre (Garner-Moyer, 2006 ; Landrieux-Kartochian, 2004). Aucune étude à notre connaissance n’a cherché à évaluer les influences positives d’une diversité physique des ressources humaines d’une entreprise sur ses performances économiques, humaines ou commerciales. 7 8 J.-M. Peretti (2004). Les clefs de l’équité dans l’entreprise, Editions d’Organisation. J.-M. Peretti op. cit., p. 135 18 Conclusion La sélection et l’évaluation des individus dans l’entreprise sont influencées par leur apparence physique, et plus précisément, lorsqu’elle leur confère un grand pouvoir de séduction. Et ce, même lorsqu’une apparence physique séduisante n’est pas considérée comme un attribut du poste à pourvoir. S’il est en effet presque communément admis qu’être séduisant est un atout lorsqu’on travaille dans des métiers impliquant un contact avec la clientèle (commercial, hôtesse, vendeurs…), il existe en réalité une instrumentalisation plus systématique de la beauté par l’entreprise que celle visant uniquement à associer l’apparence du salarié à l’image de l’entreprise renvoyée à l’extérieur. Etre séduisant constitue un avantage même pour des postes en back office qui ne rentrent pas dans la catégorie des ‘postes en relation avec l’extérieur’. Si une apparence physique séduisante accroît effectivement la productivité d’un individu alors recruter un candidat en tenant compte de ce paramètre est rationnel d’un point de vue économique, du point de vue de l’employeur mais cela reste condamnable du point de vue de la loi. C’est toute l’ambiguïté dans laquelle se situe la GRH qui doit à la fois respecter les règles de non discrimination à l’embauche et s’assurer que les individus recrutés sont ceux dont les performances productives seront les plus élevées. Si l’apparence physique est utilisée par les employeurs comme un signal de compétences relationnelles, il faut repenser la manière dont s’opère la sélectivité sur le marché du travail. Ceci passe d’abord par une prise de conscience de l’influence des stéréotypes et représentations attenant à la beauté ; et ensuite, si ces compétences sont tant recherchées il faut doter les responsables de la gestion des ressources humaines d’outils capables de les évaluer à leur juste valeur. Mais c’est aussi dans ce cadre que la GRH peut participer à faire évoluer les habitudes et les mentalités, aller à l’encontre du conformisme physique en vigueur dans nos sociétés ; en prenant conscience des stéréotypes associés à la beauté, les recruteurs peuvent faire évoluer leurs pratiques et participer à véhiculer une autre image d’une profession ou d’un métier. Plutôt que de conformer aux stéréotypes et représentation en vigueur, le monde du travail devrait au contraire déconstruire ses pratiques pour répondre aux enjeux de diversité (culturelle, d’âge, de genre mais également physique) de notre société. Plus généralement, cette recherche peut contribuer à éclairer le contenu juridique du motif de l’apparence physique. Si la loi a intégré ce motif en 2001 dans le Code du travail, le législateur n’a pas défini précisément ce qu’il recouvrait et ce travail de recherche participe à alimenter son effectivité en analysant comment joue la norme sociale en matière d’apparence physique dans le cadre de relations d’emploi. 19 Bibliographie AMADIEU J.-F. (2002), Le poids des apparences, ed. Odile Jacob. AMADIEU J.-F. (2005), « Employment discrimination : The situation today and future research required », working paper, article présenté à l'université de Columbia (NY). BEEHR T. A., GILMORE D. C. (1982), “Applicant attractiveness as a perceived job-relevant variable in selection of management trainees”, Academy of management journal, vol. 25, n°3, pp. 607-617. BELLIER S., GALAMBAUD B. (2004), Le savoir-être dans l'entreprise : Utilité en gestion des ressources humaines, Ed. Vuibert. BOVENKERK F. 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