La gouvernance sociale en entreprise et sa mesure Une - mars-lab

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La gouvernance sociale en entreprise et sa mesure Une - mars-lab
La gouvernance sociale en entreprise et sa mesure
Une présentation du Baromètre de Gouvernance Sociale
Baggio, S. et Sutter, P.-E.
Cet article constitue une présentation de l'outil évaluatif de la gouvernance sociale des
entreprises : le baromètre BGS. Le modèle sera succinctement présenté, ainsi que sa
validation empirique et son intérêt, lesquels seront illustrés au travers de l'analyse des résultats
de deux entreprises présentant un grand contraste dans leurs gouvernances sociales
respectives.
A/ Présentation du modèle
1. La gouvernance sociale des entreprises : définition et intérêt
Le concept de « gouvernance sociale » provient plus largement de celui de « gouvernance
d'entreprise ». Il peut donc sembler utile de commencer par définir brièvement ce dernier.
De manière très générale, la gouvernance d'entreprise correspond à la manière dont les
entreprises gèrent les retombées économiques, sociales et environnementales de leurs
décisions et activités (Jarraya, 2005). On distingue plus précisément quatre dimensions de la
gouvernance d'entreprise :
-
la prospérité économique ;
-
l'organisation interne de l'entreprise : contrôle interne, qualité et transparence du
management, relations avec les partenaires (clients, fournisseurs, actionnaires) ;
-
l'environnement ;
-
les relations sociales.
Le concept de gouvernance sociale est une composante de la gouvernance d'entreprise : il
s'agit essentiellement de l'aspect « relations sociales » entre les salariés et l'entreprise, aussi
bien en ce qui concerne les relations avec la Direction, avec l'encadrement, avec les IRP ou
dans l'équipe. Une bonne gouvernance sociale se caractérise par des relations sociales
favorables entre ces différents acteurs, ou, autrement dit, par des rapports humains de qualité.
En d’autres termes, il s’agit de la capacité à « travailler ensemble » (Philippon, 2007).
1
La gouvernance sociale constitue une thématique particulièrement d’actualité, dans un
contexte où de plus en plus d’entreprises veulent avoir une bonne éthique (plus
particulièrement dans le cadre de leur démarche « RSE1 »), aussi bien pour ce qui touche le
domaine environnemental que social. En France, ce thème attire spécialement l’attention,
s’agissant du pays où les relations sociales sont les moins bonnes, critiquées à la fois par les
salariés et par les dirigeants (cf. Philippon, 2007, la France est le 57ème pays sur 60 du point de
vue des relations sociales).
Dès lors, il devient indispensable de connaître la nature et la qualité de ces relations sociales
dans l’entreprise, pour mieux s’appuyer sur les rapports humains de telle sorte qu’ils
contribuent à l’amélioration du quotidien et à la mobilisation des salariés (Crozier, 1989). Et
pour connaître ces relations, il est indispensable de les mesurer. Or, comme le souligne
Crozier (1989, p. 207) :
« Cette connaissance n’a rien à voir avec celle que l’on tire de ces véritables caricatures d’écoute que
nous offrent, de plus en plus, les sondages d’opinion. Détachées de leur contexte, les réponses des
intéressés aux questions abstraites qu’on leur pose sont nécessairement superficielles et parfois même
rhétoriques. La connaissance pertinente se différencie aussi de celle que peuvent faire émerger les
études de motivation, car celles-ci nous renseignent davantage sur les problèmes personnels des
individus que sur ceux que leur posent la coopération avec autrui, le fonctionnement de l’entreprise et
les jeux de pouvoir auxquels les hommes sont confrontés. La véritable écoute pertinente est celle de la
vie relationnelle de tous les jours. »
Le présent outil se propose de mesurer la qualité – et la teneur – des relations sociales et du
dialogue social dans l'entreprise, du point de vue des salariés, prenant en compte les mises en
gardes de Crozier. En effet, si l’outil se présente sous la forme d’un questionnaire, pour
faciliter son usage, sa réplication et sa comparabilité, il s’ancre dans un contexte particulier en
explorant toutes les facettes de ce qui caractérise la gouvernance sociale d’entreprise.
Ce faisant, les entreprises pourront non seulement évaluer leur gouvernance sociale, mais
également savoir où elles pèchent et quels sont leurs points forts, en vue de remédier aux
premiers tout en renforçant les seconds.
Voyons à présent comme ce concept a été donné lieu à un instrument de mesure opérationnel.
1
Ce dont témoigne l’existence du label « Responsabilité Sociale », destiné à évaluer les bonnes pratiques
sociales des entreprises.
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2. Méthodes d’investigation
L’évaluation de la gouvernance sociale est fondée sur la technique de l’audit de performance
sociale développée par la société SRM Consulting sous la marque m@rs (« Mesure et
Anticipation du Risque Social ») et qui comprend :
-
un référentiel des principaux irritants susceptibles de conduire à une détérioration du
climat social et de l’efficacité collective de chaque équipe ;
-
une enquête en ligne auprès des salariés de l’entreprise en vue de préciser les irritants à
traiter en priorité tout en respectant un strict anonymat des réponses ;
-
des résultats sous forme de graphiques représentant une véritable cartographie des points
d’amélioration possibles ;
-
la possibilité de renouveler l’enquête en vue de mesurer les progrès réalisés.
La mesure de la gouvernance sociale s'inspire de ce modèle, issu des travaux de Landier et
Labbé (2005, cf. également Landier, 2008) sur la mesure du climat social des entreprises.
Parmi ces 32 irritants regroupés en cinq familles de ce modèle, un certain nombre présente
également une qualité d’évaluateur des relations sociales dans l’entreprise. Ces irritants ont
été complétés à l'aide des dimensions manquantes.
Le référentiel comporte 12 irritants, regroupés en quatre grandes familles, chacun étant évalué
au moyen de deux questions. Les irritants explorent l’ensemble des facettes de la gouvernance
sociale d’entreprise. Le référentiel est le suivant :
Tableau 1
Baromètre de Gouvernance Sociale : familles et irritants associés
Famille A – Qualité des relations avec la Direction
Irritant 1. Degré de proximité des centres de décision
Irritant 2. Reconnaissance manifestée envers le travail accompli par les salariés
Irritant 3. Clarté et cohérence de la Direction
Famille B – Qualité du dialogue social et des relations avec les IRP
Irritant 4. Légitimité et cohérence de la représentation du personnel
Irritant 5. Historique des relations sociales
Irritant 6. Existence d’une tradition de dialogue social
Famille C – Qualités des relations avec l’encadrement
Irritant 7. Présence des managers sur le terrain
Irritant 8. Capacité à animer et à réguler l’équipe
Irritant 9. Capacité à faire progresser les personnes
Famille D – Qualité des relations sociales dans l’entreprise
Irritant 10. Respect manifesté envers le personnel
Irritant 11. Existence de communautarismes
Irritant 12. Soutien social
3
On peut remarquer que les relations sociales sont donc aussi bien mesurées en ce qui concerne
les instances détenant le pouvoir (Direction, encadrement, cf. Philippon, 2007) qu'en ce qui
concerne les instances de contre-pouvoir (les IRP, cf. Crozier, 1989). Ces deux éléments
doivent en effet être pris en compte si l’on désire mesurer de manière systématique la
gouvernance sociale d’une entreprise.
Le modèle théorique étant présenté, passons à présent à sa validation empirique et à son
intérêt pour les entreprises désireuses d’évaluer la qualité de leur gouvernance sociale.
B/ Une application empirique : validation du modèle et intérêt pratique
Le Baromètre de Qualité Managériale a été appliqué dans deux grandes entreprises, dont les
résultats se sont révélés très contrastés (la première ayant une bonne gouvernance sociale et la
seconde une gouvernance sociale médiocre). On présentera le contraste entre les deux
entreprises testées.
1. Échantillon
482 salariés ont été interrogés entre mai et juin 2008 dans deux grandes entreprises, la
première relevant du secteur de la chimie (soit 14,1 % de l’échantillon total), la seconde du
secteur des services (soit 85,9 % de l’échantillon total). Tous les salariés ont été conviés à
compléter le questionnaire, lequel était mis en ligne sur une plateforme informatisée ASP
(application service providing). La passation s’est faite sur le lieu de travail, dans une pièce
calme et à l’écart, pour une durée moyenne d’environ 40 minutes.
2. Résultats
Avant toute chose, la fiabilité interne de l’outil a été testée. De manière générale, elle est très
bonne, puisque l’alpha de Cronbach vaut .85.
a. Analyse globale du BGS
Le score moyen du BGS vaut 84 (sur une échelle allant de 24 à 144). Afin de faciliter la
lecture des résultats, cette moyenne objective l’échelle a été ramenée à 100 (sur une échelle
4
allant de 40 à 160), par ajout d’une constante. Plus le résultat est élevé, meilleure est la
gouvernance sociale de l’entreprise. Les résultats des entreprises 1 et 2 étant très contrastés,
ils n’ont pas été agrégés en une moyenne globale. On préfèrera plutôt s’intéresser aux
résultats distincts que ces deux entreprises présentent, et qui figurent dans le tableau suivant :
Tableau 1
Résultat du BGS pour les entreprises 1 et 2
Entreprise 1
Entreprise 2
Minimum
55
44
Moyenne - un écart type
85,3
73,4
Moyenne
103,9
89,1
Moyenne + un écart type
122,5
104,8
Maximum
142
155
Le score au BGS de l’entreprise 1 est correct : il est semblable à la moyenne objective de
l’échelle qui vaut 1002. En revanche, le score au BGS de l’entreprise 2 est plus médiocre :
valant 89,1, il est significativement inférieur à la moyenne3.
La dispersion autour de ces moyennes est assez grande pour chacune des deux entreprises
testées.
Ces premiers résultats laissent voir que l’entreprise 2 présente une gouvernance sociale moins
bonne que l’entreprise 1 (le score au BGS étant significativement inférieur4). Mais au-delà de
ce constat général, le BGS permet d’aller plus loin en identifiant les éléments qui
dysfonctionnent au sein de la gouvernance sociale de l’entreprise.
b. Analyse par familles d’irritants
Les résultats par familles d’irritants pour chacune des deux entreprises figurent dans le tableau
suivant :
Tableau 2
Résultats par familles d’irritants5, Moyenne = 20
Familles de stresseurs
Famille A – Qualité des relations avec la Direction
Famille B – Qualité du dialogue social et des relations avec les IRP
Famille C – Qualité des relations avec l’encadrement
Famille D – Qualité des relations sociales dans l’entreprise
Entreprise 1
20
23,4
23
25,5
Entreprise 2
15,4
19,8
20
20,9
2
Test t de Student pour H0 µ = 100 : t = 0,77, dl = 67, p > .50.
Test t de Student pour H0 µ = 100 : t = -18,31, dl = 413, p > .001.
4
ANOVA, F (1, 481) = 49,04, p < .001.
5
Les moyennes objectives de chaque famille d’irritants ont été ramenées à 20, par soustraction d’une constante,
l’échelle variant toujours d’une mauvaise gouvernance (résultats faibles) à une bonne gouvernance (résultats
élévés).
3
5
Ces résultats laissent tout d’abord voir que l’entreprise 1 présente une meilleure gouvernance
sociale, quelle que soit la famille d’irritants testée6. C’est donc la gouvernance sociale tout
entière qui pose problème dans l’entreprise 2, et non seulement l’un de ses aspects, comme il
aurait pu être possible.
Au-delà de ces divergences, on peut remarquer que les tendances sont les mêmes pour les
deux entreprises. Ces fluctuations d’une famille à l’autre sont représentées dans le graphique
ci-dessous :
Fig. 1
Tendances générales des familles d’irritants du BGS
Les courbes, approximativement parallèles, laissent apparaître une structure semblable dans
l’appréciation des différentes facettes de la gouvernance sociale (la droite bleue figure la
moyenne pour chaque famille). Ainsi :
-
la qualité des relations sociales dans l’entreprise en général (famille D) est la plus
favorablement évaluée par les salariés ;
-
la qualité des relations avec l’encadrement et du dialogue social viennent ensuite, avec des
résultats moyens et comparables ;
-
en dernier lieu, la qualité des relations avec la Direction est la plus mal évaluée par les
salariés.
6
Résultats statistiquement significatifs (dl = 1, 482). Famille A : f = 43,74, p < .001 ; famille B : f = 53,67, p <
.001 ; famille C : f = 15,74, p < .001 ; famille D : f = 28,18, p < .001.
6
Tout se passe comme si l’absence de contrôle détériorait la qualité des relations sociales : les
salariés ont plus de prise sur leur quotidien (qualité des relations sociales dans l’entreprise en
général), que sur la Direction, encadrement et IRP se situant entre les deux.
Ces fluctuations persistent au-delà des variations locales d’une entreprise à l’autre. On peut
donc penser qu’il s’agit de tendances générales, hypothèse qui sera mise à l’épreuve dès lors
qu’un corpus de données plus important sera disponible. En attendant, au vu des résultats
obtenus, on aura tendance à pointer du doigt la qualité des relations avec la Direction comme
constituant le point « noir » de la gouvernance sociale des deux entreprises.
c. Analyse détaillée par irritants
Enfin, on peut aller encore plus loin en procédant à une analyse pour chacun des 12 irritants
du modèle.
Fig. 2
Résultats par irritants
Moyenne = 5 (échelle comprise entre 0 et 10)
La droite noire symbolise la moyenne pour chaque irritant, soit 5/10.
La première chose que l’on remarque est que les résultats de l’entreprise 2 sont
systématiquement inférieurs à ceux de l’entreprise 1, excepté pour l’irritant 5 (différence non
significative). Ceci est conforme aux résultats obtenus par familles d’irritants.
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Toutefois, les résultats de l’entreprise 2 ne sont pas strictement négatifs pour tous les irritants
du modèle. Ainsi, l’historique des relations sociales (irritant 5), le soutien social (irritant 12),
voire même la présence des managers sur le terrain (irritant 7) sont évalués favorablement.
Toutefois, tous les autres irritants se situent nettement en deçà de la moyenne, révélant un vrai
problème de gouvernance sociale dans cette entreprise. Les relations avec la Direction sont en
particulier très médiocres, ainsi que la légitimité et la cohérence de la représentation du
personnel (irritant 4). Dans une action visant à améliorer la gouvernance sociale de cette
entreprise, ces irritants devraient être ciblés en premier lieu pour :
-
comprendre les raisons de résultats aussi médiocres ;
-
œuvrer à restaurer la qualité des relations sociales altérées.
En d’autres termes, une fois le diagnostic accompli, l’action de réparation ou d’amélioration
ne peut être mise en place qu’après une analyse fine des réalités du terrain.
Inversement, l’entreprise 1 ne connaît pas que de bons résultats. Ainsi, le degré de proximité
des centres de décision (irritant 1), la clarté et la cohérence de la Direction (irritant 3), la
légitimité et la cohérence de la représentation du personnel (irritant 4) et la capacité à faire
progresser les personnes (irritant 9) posent problème. Ceci pointe autant de leviers d’action
possibles pour améliorer la gouvernance sociale de cette entreprise, tout en veillant à
préserver et renforcer les points forts.
En guise de conclusion…
Au-delà des particularités de chacune des deux entreprises, qui se réfèrent directement à la
mise en œuvre de la gouvernance sociale localement, on voit apparaître une courbe générale
des irritants semblable pour les deux entreprises testées, tout comme c’était déjà le cas pour
les familles d’irritants :
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Fig. 3
Tendances générales des irritants du BGS
Quelques écarts se dessinent, notamment en ce qui concerne les irritants 2 et 4, mais pour le
reste, les courbes de résultats pour les entreprises 1 et 2 présentent un aspect semblable. On
peut donc supposer qu’il s’agit là de tendances générales, qui restent à tester sur un
échantillon de taille plus importante. En d’autres termes, et il s’agit de la prochaine étape du
BGS, il s’agit d’étalonner l’outil pour avoir une norme de référence pour les entreprises
françaises contemporaines, à laquelle chaque entreprise pourra se comparer pour évaluer sa
propre gouvernance sociale. Cet outil a ainsi vocation à être la « voix » des salariés, pour
« l’entreprise à l’écoute » mentionnée par Crozier (1989). De cette manière, les rapports
humains dans l’entreprise pourront être repensés et améliorés afin que chacun y trouve son
compte : performance sociale et efficience pour l’entreprise, bien-être organisationnel et
épanouissement personnel pour les salariés.
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Références citées
Crozier, M. (1989). L’entreprise à l’écoute. Paris : Interéditions.
Landier, H. (2008). Évaluer le climat social de votre entreprise. Paris : Eyrolles, Éditions
d’Organisation.
Landier, H. et Labbé, D. (2005). Le management du risque social. Paris : Éditions
d’Organisation.
Jarraya, M. (2005). Gouvernance d'entreprises et sécurité financière. Disponible sur :
http://www.webmanagercenter.com/management/article.php?id=15374.
Philippon, T. (2007). Le capitalisme d’héritiers. La crise française du travail. Paris : Seuil.
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