Fluctuations et distribution du volume libre dans les milieux
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Fluctuations et distribution du volume libre dans les milieux
10 Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) Eléments de physique statistique appliqués à la rhéologie des milieux granulaires non-cohésifs : le modèle du château de sables mouvants Ph. Marchal, L. Choplin Centre de Génie Chimique des Milieux Rhéologiquement Complexes, GEMICO, Groupe ENSIC, 1, rue Grandville, BP 451, 54001 Nancy, France. Reçu le 2 Septembre 2003 – Version finale acceptée le 12 Mars 2004 ------------------------------------- Résumé : Les caractérisations rhéologiques de poudres denses, fluidisées sous l'effet de vibrations mécaniques, montrent qu'elles se comportent comme des fluides condensés non newtoniens rhéofluidifiants. Nous avons montré qu'il était possible de modéliser ce comportement en s'inspirant l'équation maîtresse du postulat d'évolution de la physique statistique, sur la base de la distribution canonique du volume libre des grains. L'évolution considérée concerne la redistribution du réseau de contacts assurant le transport des contraintes de cisaillement. A l'échelle des grains, celle-ci peut être décrite, de manière simplifiée, par un système à deux états : tout se passe comme si un grain donné ne pouvait occuper que l'un ou l'autre de deux états possibles, l'un contribuant au transport des contraintes et l'autre ni contribuant pas, selon sa position au sein du réseau. Les transitions entre ces deux états sont induites, soit par les vibrations (température granulaire), soit par les sollicitations mécaniques générées par le rhéomètre (champs de contraintes et de déformations). Le modèle obtenu permet, notamment, de décrire l'évolution de la viscosité en régime permanent en fonction de la vitesse de cisaillement, de la fréquence et de l'énergie de vibration ou du volume du système granulaire. Mots clés : Physique statistique; Rhéologie; Fluidisation; Milieux granulaires denses [English abstract on last page] 1. Introduction A l'instar des milieux rhéologiquement complexes (suspensions, polymères,...), les milieux granulaires denses présentent des caractéristiques viscoélastiques dus à leur ambivalence solide liquide. Cette ambivalence est due à l'interconnexion d'une faible fraction des grains de poudre en un réseau tridimensionnel élastique susceptible d'emmagasiner et de restituer l'énergie mécanique, alors que la majorité d'entre eux agit comme un liquide de remplissage interstitiel dissipatif. Cette hétérogénéité des contraintes peut être mise en évidence, notamment, par des expériences de photoélasticimétrie [1] et des simulations numériques [2, 3]. Les travaux de Frank Radjai [2, 3] ont, en outre, permis de mettre en évidence deux types de forces qui se distinguent par leur intensité et leur loi de distribution. De ce fait on peut considérer que le réseau de contacts est constitué de deux sousréseaux: un sous-réseau "fort" constitué de particules dites compétentes qui supporte la majeure partie des efforts et un sous-réseau "faible" constitué de particules dites fragiles assurant le transport des forces inférieures à la moyenne. Ces deux sousréseaux contribuent de manières différentes au comportement rhéologique d'un milieu granulaire. En effet, lorsque l'échantillon est soumis à une déformation constante, la contrainte globale portée par le réseau faible ne présente qu'une composante normale (aucune composante déviatorique). Le réseau faible se comporte donc comme un liquide soumis uniquement à des forces de pression correspondant à un quart de la contrainte normale moyenne. Le réseau fort supporte les trois quarts restants et l'ensemble de la contrainte déviatorique; il se comporte donc comme un solide. De plus, si l'amplitude de la déformation est suffisamment grande pour déplacer des grains les uns par rapport aux autres, des interactions dissipatives prennent naissance, mais uniquement au sein du réseau faible [3]. Ainsi, un milieu granulaire dense est constitué d'une faible fraction de grains interconnectés en un réseau tridimensionnel élastique alors que la Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) majorité d'entre eux agit comme un fluide de remplissage interstitiel emprisonné dans les mailles du réseau fort et donnant lieu à une dissipation visqueuse de l'énergie mécanique. Cette dualité se retrouve dans les situations dynamiques telles que les écoulements granulaires denses. Ainsi, les travaux de Pierre Mills & al. [4, 5, 6] visent à décrire des écoulements stationnaires de grains sur des plans inclinés, en prenant en considération la formation d'amas rigides transitoires lorsque le milieu est au voisinage de sa fraction volumique d'entassement maximum (νgm ≈ 0.64). Le milieu granulaire en écoulement est alors modélisé comme un réseau temporaire de chaînons granulaires "solides" immergés dans une matrice granulaire se comportant comme un "liquide" visqueux. Il en résulte un caractère non-local du tenseur des contraintes que les auteurs ont relié, notamment, à l'angle de friction interne et à la longueur de corrélation des chaînons granulaires par le biais d'une équation constitutive. Cette dernière leur permet d'obtenir un profil de vitesse en bon accord avec divers résultats expérimentaux. Cette ambivalence solide-liquide laisse présager un comportement rhéologique visco-élastique des systèmes granulaires denses, par analogie avec les milieux moléculaires. La suite de cette étude confirmera cette inférence, mais quelques singularités des milieux granulaires, inhérentes à l'existence du réseau de contacts, méritent d'être soulignées. Ainsi, en raison de ce caractère "architectural" des systèmes granulaires, leurs propriétés rhéologiques sont liées pour une large part à la configuration spatiale adoptée par les grains lors de leur conditionnement, notamment au sein des appareils de caractérisation. Il en résulte une grande variabilité des mesures due à la multiplicité des arrangements possibles. La caractérisation intrinsèque d'une poudre passe ainsi par la détermination d'une moyenne sur un ensemble statistique prenant en compte toutes les configurations accessibles. Cependant, la moyenne d'ensemble n'étant pas accessible à l'expérience elle est généralement identifiée à la moyenne temporelle en vertu du principe ergodique. Or, la propriété d'ergodicité n'est vérifiée que si le système explore les différentes configurations accessibles au cours du temps, de telle sorte que la moyenne temporelle en reflète l'intégration sur la durée de la mesure. Sous l'effet du thermique), un spontanément ces suffit d'effectuer mouvement brownien (énergie système moléculaire explore différentes configurations et il une moyenne temporelle des 11 grandeurs mesurées pour les intégrer au cours de la mesure. En revanche, dans le cas des milieux pulvérulents, le caractère macroscopique des grains rend le mouvement brownien d'origine thermique inapte à assurer une réorganisation efficace du système qui perd ainsi son caractère ergodique. Dans cette étude, cette déficience a été palliée en soumettant la poudre à des vibrations mécaniques. Il en résulte deux avantages majeurs: d'un point de vue expérimental, on améliore considérablement la reproductibilité des mesures et d'un point de vue théorique, il devient envisageable d'appliquer les principes de la physique statistique requérant la propriété d'ergodicité. Ces vibrations engendrent une agitation granulaire quantifiable par la moyenne de la composante fluctuante de l'énergie cinétique des grains ou, en d’autres termes, par la température granulaire Tgr du système [7, 8, 9]. La source de vibration agit ainsi comme une sorte de thermostat avec lequel la poudre est en contact. Par conséquent, il devrait être possible, par analogie, de s'inspirer des méthodes de la thermodynamique statistique pour relier le comportement "thermo-mécanique" des poudres aux propriétés statistiques des grains. Cependant, en raison du caractère inélastique des collisions interparticulaires, les milieux granulaires sont des systèmes hors équilibre dont la température cinétique est anisotrope [10, 11] avec pour conséquence la non équipartition de l'énergie [12, 13]. Dans le cadre de l'élaboration d'une "thermodynamique statistique" des milieux pulvérulents, la température cinétique n'est donc pas la variable conjuguée de l'entropie la plus pertinente. Aussi, Edwards [14, 15, 16, 17, 18, 19] a développé une approche statistique analogue aux ensembles de Boltzman-Gibbs, mais hors-équilibre, où les valeurs moyennes des grandeurs caractéristiques du système (les observables) sont déterminées à partir de l'ensemble des configurations granulaires statiques (dites bloquées), compatibles avec son énergie et son volume. Dans le cadre de cette approche l'hypothèse ergodique affirme que toutes les configurations microscopiques, correspondant à un volume V et une énergie E donnés, qui résultent de toute opération mécanique macroscopique agissant sur l'ensemble du milieu granulaire, sont équiprobables. Edwards défini ainsi une entropie de configuration SEdw(E,V)=lnΩEdw(E,V) où ΩEdw(E,V) est le nombre de configurations microscopiques bloquées correspondant à un macro-état donné, défini par E et V. Sur cette base, il définit la compactivité XEdw=∂V/∂SEdw et la température de configuration TEdw =∂E/∂SEdw. 12 Cette approche peut être étendue au cas des systèmes dynamiques dans le cadre du théorème de fluctuation-dissipation, en s'inspirant de résultats obtenus sur les systèmes vitreux. Dans ce dernier cas il a été montré qu'il était possible de définir une température effective Teff = D/µ en étendant la relation d'Einstein aux systèmes hors équilibre, où D et µ sont, respectivement, la diffusivité et la mobilité des molécules. Teff est différente de la température d'équilibre du thermostat mais elle est suffisamment bien définie pour être associée aux processus de relaxation lents (diffusion α) du système considéré. Des simulations numériques tendent à démontrer que cette approche peut être étendue aux milieux granulaires en toute cohérence [20, 21]. Par ailleurs, elles montrent que la température effective Teff peut être identifiée à la température de configuration TEdw dans la limite des écoulements lents de milieux granulaires denses. Une telle situation est conforme aux conditions de cette étude qui concerne les écoulements granulaires denses et suffisamment lents pour que la composante collisionnelle de la contrainte et la contribution du cisaillement à la température granulaire puissent être négligées. Ainsi, afin de tenir compte de l'identification Teff ≡ TEdw tout en réalisant une synthèse des deux définitions, la température granulaire Tgr que nous considérerons par la suite pourra être vue comme le paramètre qui gouverne la fréquence d'exploration des configurations accessibles sous l'effet des vibrations (Tgr≡Teff≡TEdw). Néanmoins, pour tirer pleinement parti d'une telle approche il est nécessaire de connaître la valeur de la température granulaire. Or, cette dernière est beaucoup plus difficile à évaluer expérimentalement que son analogue thermodynamique. Il est cependant possible de contourner cette difficulté en remarquant que les propriétés de transport des poudres denses sont fortement conditionnées par l'arrangement spatial des grains qui les composent. En particulier, le mode de transfert des contraintes mécaniques et le type de comportement rhéologique qui en résulte, dépend plus des caractéristiques géométriques des empilements granulaires que de la nature physicochimique des grains, surtout lorsqu'ils sont de taille macroscopique. Ainsi, on peut distinguer deux valeurs singulières de la fraction volumique d'un empilement de grains monodisperses. La première, νgm, correspond à la concentration d'entassement maximal et la seconde, νgc, correspond à la concentration critique en deçà de laquelle il ne peut plus exister de réseau continu de grains interconnectés assurant la tenue de Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) l'échantillon. Cette fraction volumique critique s'apparente à un seuil de percolation tel que, pour νg<νgc, le système granulaire se comporte comme un gaz de particules alors que, pour νg>νgc, il se comporte comme un fluide condensé, voire comme un solide selon la valeur de la température granulaire. Dans le cas d'empilements aléatoires, les simulations numériques donnent νgc ≈ 0.56 [22] et νgm ≈ 0.64 [23]. Pour νg<νgc, le transfert de quantité de mouvement est essentiellement assuré par les chocs intergranulaires et le régime d'écoulement est collisionnel, alors que pour νg>νgc, les contraintes de cisaillement sont transmises à travers des réseaux de contacts granulaires et, s'il y a écoulement, le régime est frictionnel. Ainsi, dans une poudre dense, chaque grain est encagé par ses plus proches voisins et un écoulement ne peut avoir lieu qu'à condition qu'une fraction minimum de grains disposent d'un espace suffisamment grand pour permettre leur déplacement. Cet espace disponible est le volume libre de la particule. La proportion de grains mobiles dépend de la valeur du volume libre moyen et de la manière dont il est distribué au sein de la poudre. La distribution du volume libre peut être établie en suivant le même schéma formel qu'en thermodynamique statistique, mais en remplaçant l'énergie mécanique d'une particule par son volume libre et la température granulaire par le volume libre moyen par particule. L'intérêt d'une telle démarche réside, notamment, dans le fait que la valeur du volume libre moyen est directement accessible par la mesure du volume total du système granulaire et qu'elle est fixée par le dispositif de fluidisation. Par conséquent, on peut considérer la cellule vibrante comme un réservoir dynamique de volume libre par comparaison avec un thermostat qui n'est rien d'autre qu'un réservoir d'énergie thermique. De ce fait, dans la mesure où un thermostat assure l'équilibre isotherme d'un système moléculaire avec lequel il est en contact, nous avons suggéré le terme chorostat pour désigner tout dispositif permettant d'établir un équilibre dynamique isochore au sein d'un système granulaire avec lequel il est en contact [24, 25, 26]. En d'autres termes, c'est un dispositif permettant d'imposer un volume libre moyen constant, mais continuellement redistribué via des fluctuations locales suffisamment intenses pour induire l'exploration de toutes les configurations accessibles et assurer, autant que possible, l'ergodicité du système. Ce sont ces fluctuations qui autorisent l'écoulement de la poudre en générant localement l'apparition d'espaces suffisamment grand pour permettre la migration des grains [15, 27]. Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) 13 Dans ce cadre, nous avons montré que la distribution ρ(vf) du volume libre vf d'un grain au sein d'un milieu granulaire dense obéit à une distribution de type "Boltzmann" [25, 26], similaire à celle des systèmes moléculaires au voisinage de leur transition vitreuse [27], telle que : ρ(vf)=(ξ/ v f ) exp(-ξvf/ v f ) (1) où ξ est un facteur de recouvrement des volumes libres de chaque particule et v f le volume libre moyen par grain, imposé par le chorostat. En outre, cette distribution a été observée expérimentalement sur des systèmes granulaires à une et deux dimensions constitués de disques de plastique et de billes de verre [25, 26]. Nous postulerons qu'il en est de même pour des systèmes granulaires à trois dimensions et nous confronterons ce postulat aux données expérimentales à la fin de cet article. Si l'on considère l'ensemble du système granulaire et que l'on fixe son volume total à une valeur V en confinant la poudre au sein de la cellule, on obtient une distribution micro-canonique du volume libre du système. Cette situation est analogue à celle d'un système moléculaire isolé dont l'énergie E est fixée. En revanche, si on supprime le confinement de la poudre en laissant sa surface libre, son volume V devient libre de fluctuer autour d'une valeur moyenne au gré des fluctuations granulaires induites par les vibrations et l'écoulement de la poudre. La distribution du volume libre total est alors canonique, de manière analogue à un système moléculaire en contact avec un thermostat dont la température est fixée mais l'énergie libre de fluctuer autour de sa valeur moyenne. Dans les deux cas, si l'on considère que l'intensité des vibrations est suffisante pour assurer l'ergodicité du système, il est raisonnable de postuler l'équiprobabilité des configurations granulaires compatibles avec la valeur, fixe ou instantanée, du volume libre total en accord avec l'hypothèse d'Edwards [14, 15, 16, 17, 18, 19]. D'autre part, il a été montré expérimentalement que la nature des fluctuations granulaires induite par une cellule vibrante était de nature brownienne [28, 29, 30]. La nature des fluctuations du volume libre et sa redistribution au sein du milieu granulaire sont donc cohérentes avec le concept de chorostat, tel que nous l'avons défini. De multiples approches ont été envisagées pour décrire le comportement rhéologique des milieux granulaires. Celles-ci se fondent, notamment, sur la théorie cinétique des gaz pour décrire le régime collisionnel [8, 9, 10, 31, 32] ou sur la loi de Coulomb lorsque le régime est frictionnel [33]. Les différents modèles obtenus possèdent leur domaine d'application et présentent leurs avantages et inconvénients respectifs [26]. Dans le cas des milieux granulaires denses, l'intérêt d'une modélisation de type "volume libre" réside dans le fait que c'est une approche géométrique qui constitue une extension naturelle de la théorie unifiée d'Edwards et permet d'établir un lien entre les systèmes statiques et dynamiques (par exemple, dans la distribution canonique v f joue formellement le même rôle que la compactivité XEdw). Une telle approche a déjà été envisagée par le passé, notamment pour décrire la viscosité de lits fluidisés [34, 35, 36, 37]. Mais les modèles obtenus, qui ne s'inscrivaient pas dans un cadre unifié tel que celui proposé par Edwards, présentent un caractère hybride mêlant des processus d'activation au caractère géométrique des théories de volume libre. Ils ne prennent pas en compte le régime frictionnel et plus généralement les comportements nonnewtoniens des milieux granulaires. Par ailleurs, ils sont fondés sur des analogies moléculaires trop systématiques qui aboutissent parfois à une transposition hasardeuse de certains paramètres moléculaires à l'échelle macroscopique. C'est pourquoi il est préférable, comme dans la théorie d'Edwards, d'adopter d'emblée un point de vue macroscopique. 2. Le modèle mouvants" du "château de sables La modélisation du comportement rhéologique consiste à établir un lien entre la dynamique du système granulaire et sa cinématique, en intégrant la cinétique de redistribution du volume libre. En d'autres termes, il s'agit, pour des conditions de fluidisation données, de relier la contrainte de cisaillement σ imposée à l'échantillon à la vitesse de déformation γ& qui en résulte, sous la forme d'une relation η = σ/γ& , où η est la viscosité. Au cours du paragraphe précédent, nous avons évoqué le caractère hétérogène du réseau de contacts intergranulaires. En particulier, nous avons souligné que sa dualité "réseau fort / réseau faible" pouvait être représentée comme un réseau solide baigné dans une matrice fluide à l'image d'un "château de sable dans des sables mouvants". En nous inspirant de cette ambivalence, nous supposons que c'est ce même réseau fort qui assure l'essentiel de la transmission des contraintes de cisaillement lorsque le système est en écoulement. Nous négligeons ainsi la contribution du réseau faible au sein duquel le transfert de quantité de mouvement 14 Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) est vraisemblablement de nature collisionnelle en raison de la mobilité des grains. Or, cette composante ne devient prépondérante que lorsque le volume libre moyen est tel que la fraction de grains participant au réseau de contacts devient négligeable. Ainsi, bien que les deux réseaux participent effectivement au transport de la quantité de mouvement, tant que l'empilement reste suffisamment dense, nous postulons que la situation complexe réelle peut être simplifiée en représentant le milieu granulaire par un système à deux états, en considérant que "tout se passe comme si" un grain ne pouvait occuper que deux états distincts : un état "château de sable" (C) qui assure la transmission des contraintes et un état "sables mouvants" (M) relaxé ("C" comme château, consolidé, contacts, ... et "M" comme mouvant, mou, mobile, ... ). L'état d'un grain est donc défini à la fois par son volume libre et son réseau d'appartenance. La situation est dynamique puisque le chorostat provoque une réorganisation du système qui se traduit par des transitions granulaires entre les états (M) et (C), conditionnées par la distribution du volume libre. Nous sommes donc en présence d'un système à deux états dont la dynamique peut être illustrée par le schéma suivant : M wMC wCM C où M et C représentent les particules dans les états (M) et (C) et où wMC et wCM représentent les fréquences transition entre ces deux états, dont les probabilités d'occupation sont PM et PC. On postule alors, à défaut de pouvoir le démontrer, que la contrainte de cisaillement σ est proportionnelle à la fraction de particules PC puisque l'état (C) est le seul qui contribue de manière significative à cette contrainte. Nous pouvons la déterminer à l'aide d'une équation cinétique qui s'apparente à l'équation maîtresse du postulat d'évolution de la physique statistique, sous la forme : dPC = wMC PM - wCM PC dt (2) Toute une classe de processus aléatoires appelés processus markoviens stationnaires sont gouvernés par une équation de la forme (2) [38]. Ce sont des processus tels que la probabilité d'évolution du système considéré d'un état (ε1) à l'instant t vers un état (ε2) à l'instant t+dt ne dépend que du fait que le système se trouvait dans l'état (ε1) à l'instant t et non de ses états antérieurs. Ce processus est dit stationnaire si la probabilité w12dt d'effectuer la transition (ε1)→(t)(ε2)(t+dt) ne dépend que de l'intervalle dt et non de l'instant t considéré. Si l'on considère un système fluidisé par vibrations, chaque impulsion correspond, en quelque sorte, à une étape du processus d'évolution ou, en d'autres termes, à un maillon de la chaîne de Markov. En effet, en raison de la complexité des interactions granulaires, connaissant la configuration spatiale des grains à un instant donné, il est impossible de retrouver exactement leur configuration initiale après quelques collisions. Aussi peut-on raisonnablement supposer que les positions mutuelles qu'adoptent les grains sous l'effet d'une impulsion dépendent surtout des positions qui étaient les leurs juste avant l'impulsion. Néanmoins, l'hypothèse markovienne du processus n'est pas incompatible avec des effets de mémoire couramment rencontrés dans les milieux granulaires. En effet, dans une chaîne de Markov l'évolution à partir d'un instant donné ne dépend explicitement que de l'état du système à cet instant mais la perte de mémoire n'est pas totale puisque le long de la chaîne, de proche en proche, l'état du système à un instant donné résulte de la succession des états antérieurs. Le caractère markovien des réorganisations granulaires est donc plausible et nous verrons dans les paragraphes à suivre que leur caractère stationnaire l'est également. Sur la base de ces remarques, considérons une situation de régime permanent pour laquelle dP C /dt = 0. En notant que P M + P C = 1 il vient : PC = w MC ∝σ w MC + w CM (3) Pour obtenir une expression de la contrainte de cisaillement, il ne nous reste qu'à expliciter wMC et wCM. Ces constantes cinétiques sont associées à deux processus de réorganisation granulaire. Le premier est dû aux vibrations générées par le chorostat et s'apparente à un mouvement brownien. Il peut être quantifié par la fréquence de saut d'un grain hors de la cage formée par ses plus proches voisins, un tel saut ne pouvant se produire que si la particule dispose d'un volume libre suffisant. Le second processus est induit par le champ d'écoulement et peut être quantifié par la fréquence de réorganisation du réseau de contacts sous l'effet du cisaillement. Il est raisonnable de postuler qu'elle est proportionnelle à la vitesse de cisaillement γ& . En effet, en doublant la vitesse de cisaillement on double la vitesse à laquelle une particule donnée change d'environnement par unité de temps. Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) 15 Les transitions C→M, qui correspondent à la destruction du réseau de contacts au sein de la phase "château de sable", sont dues à la fois au cisaillement et aux vibrations. Ces deux processus étant non corrélés, la fréquence de transition totale wCM est simplement égale à la somme des fréquences de réorganisation, d'où : wCM = g' γ& + fb (4) où g' γ& est la fréquence de réorganisation induite par le cisaillement et fb la fréquence de réorganisation induite par les vibrations. En revanche, les transitions M→C ne sont dues qu'au cisaillement. En effet, les vibrations ont pour effet de fluidiser la poudre et font passer les grains de l'état "château de sable" (C) vers l'état "sables mouvants" (M) ou maintiennent les grains "mouvants" (M) dans cet état. Par conséquent, seul le cisaillement contribue à générer un réseau de contacts consolidé en comprimant les grains les uns contre les autres. La fréquence à laquelle des grains sont mis en contact les uns avec les autres est également proportionnelle à γ& , par conséquent : wMC = g" γ& (5) En régime permanent, la vitesse de cisaillement γ& et la fréquence de saut fb sont constantes, wCM et wMC sont donc indépendants du temps et le caractère "markovien stationnaire" des réorganisations granulaires est vérifié. En incorporant les expressions (4) et (5) à l'équation (3), on obtient : PC = g" γ& ∝ σ = η γ& (g'+ g" )γ& + f b (6) Pour obtenir une expression de la viscosité il ne reste qu'à expliciter la fréquence fb. Elle est égale à la fréquence de collision des grains fc, modulée par la probabilité p(vf>vf*) qu'un grain dispose d'un volume libre minimum vf* permettant sa migration. En supposant que le champ d'écoulement ne perturbe pas significativement la répartition du volume libre, la probabilité p(vf>vf*) est obtenue par intégration de la fonction de distribution (1) pour tout vf>vf* et v f > v fc , il vient : η= ∫ v*f En incorporant la formule (7) à l'équation (6) et en posant G=g"σ/PC et g=g'+g", on obtient l'expression finale de la viscosité en régime permanent : (8) Il est possible de donner une interprétation plus "mécanique" de l'équation (8). En raison du caractère dense des milieux granulaires considérés, chaque particule évolue à l'intérieur d'une cage constituée par ses plus proches voisines. Cet ensemble de cages est assimilable à une distribution de puits de potentiel de profondeurs et de formes variables. En raison du caractère élastique du réseau fort (composante "château de sable"), on suppose que, en moyenne, la véritable distribution peut être remplacée par un assemblage de puits de potentiel paraboliques tels que : Eg(x) ∝ x2 où Eg(x) est l'énergie potentielle mécanique d'un grain en fonction de son écart à l'équilibre x. Chaque particule est ainsi soumise à une force moyenne Fg ∝ ∂Eg/∂x ∝ x dépendant du temps, c'est-à-dire à une force élastique de type Fg(t)=kex(t). En l'absence de cisaillement, x=0, car le mouvement brownien engendré par les vibrations est supposé isotrope, de sorte que l'écart moyen à l'équilibre est nul. En revanche, sous cisaillement, on a x(t)=d γ& t, où d est la distance entre deux couches de billes et γ& la vitesse de cisaillement. En outre, la durée maximum t pendant laquelle une particule est soumise à la force Fg est bornée par la durée de vie moyenne d'une cage θ. En d'autres termes, θ-1 représente la fréquence de réorganisation des grains. Cette réorganisation est induite, d'une part par le mouvement brownien à la fréquence fb et, d'autre part par le champ de cisaillement à une fréquence g γ& proportionnelle à la vitesse de cisaillement. 1/g correspond alors à la déformation critique γc au-delà de laquelle le cisaillement provoque un changement de la répartition des contacts intergranulaires. En l'absence de corrélation entre ces deux sources de fluctuation, la fréquence totale de réorganisation est : θ-1 = g γ& + fb (9) Le transfert d'impulsion i par particule est alors obtenu par intégration de la force Fg(t)=di/dt sur la durée de vie θ d'une configuration spatiale des grains, il vient : ∞ fb = fcp(vf>vf*) = fc ρ(v f )dv f = fcexp(-ξvf*/ v f ) (7) σ G G = = γ& gγ& + f b gγ& + f c exp(- ξv *f /v f ) θ i= ∫ 0 θ Fg (t) dt = ∫ 0 k e d γ& t dt = k e d γ& θ 2 2 (10) La contrainte de cisaillement σ est égale au flux d'impulsion total transféré d'une couche de particules 16 Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) à l'autre par unité de temps. Si on considère que les grains s'écoulent selon l'axe x et que le gradient de cisaillement est orienté selon l'axe y, alors le flux d'impulsion transféré à travers la surface ∆x∆z par unité de temps par les grains en contact instantané, contenus dans une couche de volume ∆x∆y∆z et d'épaisseur ∆y=d est: o n opc k e d 2 γ& θ n opc ∆x∆y∆z k d γ& θ 2 n pc d = e = σ=i 2 θ 2 θ ∆x∆z (11) où N est le nombre total de grains, V le volume total du système granulaire et v =V/N le volume moyen par particule. n opc =N Pco V est le nombre de particules dans l'état (C) par unité de volume lorsque le système granulaire est au repos. En d'autres termes, Pco est la valeur limite de PC quand γ& ,fb→0. Pco est un paramètre topologique caractéristique de la morphologie des grains et de leur arrangement spatial. Il peut être relié au facteur G en posant G= n opc ked2/2= Pco ked2/2 v , on retrouve l'expression (8) de la viscosité en régime permanent : η= k e d 2 Pco G G = = γ& 2v gγ& + f b gγ& + f b + f c exp(-ξ v *f /v f ) γc (12) L'équation (12) précise ainsi la signification physique des facteur g et G. Les équations (8) et (12) seront confrontées aux données expérimentales au paragraphe suivant, mais nous pouvons déjà en évaluer la cohérence en analysant le comportement rhéologique qu'elles décrivent (figure 1). Selon le théorème de "fluctuation-dissipation" la réponse macroscopique d'un système soumis à un stimulus extérieur est linéaire, si celui-ci est de suffisamment faible intensité pour ne pas altérer les temps de relaxation propres du système, induits par l'agitation brownienne [39]. Lorsque γ& est suffisamment faible (g γ& << fb), les contraintes mécaniques sont négligeables et l'agitation brownienne générée par le chorostat est le moteur dominant des réarrangements granulaires. Par conséquent, on doit s'attendre à un comportement linéaire de type newtonien du système. Or, pour g γ& << fb l'équation (8) se réduit à : G η≈ = Gfc-1exp(ξvf*/ v f ) = ηo = cte fb (13) La viscosité tend effectivement vers une valeur constante ηo, indépendante de γ& , compatible avec le comportement newtonien attendu. De plus, l'équation (13) montre que la viscosité de plateau est une fonction décroissante de la fréquence de collision fc et du volume libre moyen par particule v f (figure 2(a)). En d'autres termes, la viscosité décroît lorsque l'on accroît la température granulaire. Inversement, dans la limite des hautes vitesses (g γ& >>fb) ou en l'absence de vibrations, la sollicitation mécanique devient le moteur dominant de la réorganisation granulaire et on doit tendre vers un régime de type frictionnel. Or, pour g γ& >>fb on a : η≈ G gγ& ⇔ σ ≈ σo = G = cte g (14) Ainsi, le modèle prédit effectivement une évolution en 1/ γ& de la viscosité, caractéristique du régime frictionnel coulombien pour lequel la contrainte tend vers une valeur constante σo. Par ailleurs, l'équation (12) peut être exprimée en fonction de variables réduites sous la forme d'une courbe maîtresse (figure 1(b)) telle que : η = ηo 1 1 = γ& gγ& 1+ 1+ fbγc fb (15) La structure de l'équation (15) et la courbe maîtresse qui en résulte traduisent un principe d'équivalence entre les variables g γ& = γ& /γcet fb=fcexp(-ξvf*/ v f ) tout à fait analogue au principe de superposition temps-température qui s'applique aux milieux moléculaires. Or, ce principe de superposition trouve une justification théorique dans les théories moléculaires de "volume libre" traduite par l'équation WLF de Williams, Landel et Ferry équivalente à l'équation de "Vogel-Fulcher" établie empiriquement dès les années vingt. C'est donc en toute cohérence que l'on retrouve un principe similaire dans le cas des milieux granulaires puisque le modèle proposé s'appuie également sur une approche de type "volume libre". Nous reviendrons sur ce principe au cours du paragraphe 3.2 (équation 20) dans le cadre de sa validation expérimentale Au lieu d'exprimer la viscosité en fonction de la vitesse de cisaillement, nous pouvons le faire en fonction de la contrainte. A partir de l'équation (8), on obtient l'équivalence : Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) σ = Gγ& f b + gγ& ⇔ γ& = fbσ G - gσ 17 (16) On en déduit l'expression de la viscosité en fonction de la contrainte avec σo=G/g : g(σ o - σ) σ G - gσ = = (17) &γ fb fb La viscosité étant nécessairement positive, l'équation (17) montre que la contrainte de friction σo est une limite qui ne peut pas être dépassée tant que le régime d'écoulement reste newtonien ou coulombien. Nous verrons au paragraphe suivant que cette limite n'est franchie que lorsque le régime devient collisionnel. Par ailleurs, les formules (16) et (17) mettent en évidence le fait que si fb=0, alors σo est la seule valeur possible de la contrainte qui autorise l'écoulement du milieu granulaire. En effet, pour fb=0 et σ<σo, on a γ& =0 et η→ +∞. La figure 2 résume cette analyse de l'équation (17). η = En résumé, le modèle du "château de sables mouvants" prédit un comportement rhéologique des milieux granulaires denses de type "fluide condensé non-newtonien", puisque la viscosité est une fonction décroissante de la vitesse de cisaillement et de la température granulaire. Le modèle prédit, de plus, que ces effets simultanés de la vitesse de cisaillement et de la température granulaire peuvent être combinés sous la forme d'un principe de superposition temps-fréquence de vibration, analogue au principe de superposition tempstempérature des systèmes moléculaires. 3. Résultats expérimentaux 3.1. Matériel et méthode Afin de limiter le nombre de facteurs influants vis-àvis du comportement rhéologique des échantillons, tels que la morphologie des grains, leur polydispersité ou l'existence d'interactions intergranulaires (forces électrostatiques, interactions de Van der Waals, ponts aqueux), les expériences ont été réalisées sur des poudres modèles non cohésives. Sauf mention contraire, celles-ci sont constituées de billes de verre macroscopiques, relativement monodisperses, d'un diamètre moyen de 600µm ± 60µm. Les tests rhéologiques ont été effectués sur un rhéomètre à contrainte imposée de type SR200 (Rheometric Scientific). (a) (b) courbe maîtresse log η régime coulombien fb Ê gγ& fb régime coulombien 1 régime newtonien régime newtonien pente = -1 1 log γ& log gγ& fb Figure 1 : Représentation schématique, en coordonnées logarithmiques, de l'évolution de la viscosité de régime permanent η en fonction de la vitesse de cisaillement γ& ; (a) en fonction de variables naturelles (équation (12)); (b) en fonction de variables réduites (équation (15)) 18 Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) (a) (b) régime newtonien η = ηo = gσo/fb régime coulombien fb Ê η log η fb = 0 Æ fb Ê régime coulombien σ = σo pente =-g/fb régime newtonien σo σ σo log σ Figure 2 : Représentation schématique de l'évolution de la viscosité de régime permanent η en fonction de la contrainte σ selon l'équation (17); (a) en coordonnées linéaires; (b) en coordonnées logarithmiques. Les outils de mesure standards sont généralement mal adaptés à la caractérisation des milieux pulvérulents qui sont, notamment, le siège de fractures et de glissements à la paroi. Ces phénomènes mettent en défaut l'hypothèse d'adhérence des couches limites. Il en résulte un couplage rétroactif entre les conditions d'écoulement et les conditions aux limites imposées par les outils de mesure. Les caractéristiques de l'écoulement (profil, régime) sont conditionnées par la nature des interactions granulaires avec la paroi mais, en retour, ces interactions sont déterminées par les caractéristiques de l'écoulement, y compris dans le volume de l'échantillon [32, 40]. Afin de minimiser ces phénomènes, les outils standards ont été remplacés par une cellule vibrante cylindrique (diamètre: 4 cm; hauteur: 4 cm) munie d'un outil de mesure de type scissomètre à quatre pales (diamètre: 2 cm; hauteur: 2 cm) représenté à la figure 3. L'utilisation du scissomètre permet de remplacer les interactions poudre/paroi par des interactions poudre/poudre caractéristiques du milieu granulaire considéré. Cette configuration géométrique est équivalente à celle d'un système Couette, la cellule faisant office de cylindre extérieur et le scissomètre de cylindre intérieur, dans la mesure où il entraîne le cylindre de poudre inscrit dans ses génératrices lors de sa rotation [41, 42]. La procédure d'étalonnage de la cellule de mesure s'inspire de cette analogie géométrique, tout en étant applicable à d'autres outils de mesure que des scissomètres, puisqu'elle consiste à déterminer les champs de contraintes et de déformations qui régneraient dans l'entrefer d'un système Couette équivalent en termes de relation couple - vitesse angulaire [43]. Dans le cas d'entrefers larges le gradient de vitesse dépend fortement de sa localisation radiale r au sein de l'entrefer et de l'indice d'écoulement du fluide, sauf en un point singulier r* [43]. Il suffit donc de déterminer les facteurs géométriques reliant le couple à la contrainte et la vitesse de rotation angulaire à la vitesse de cisaillement en ce point r* pour s'affranchir des difficultés inhérentes aux Couettes à entrefers larges, à l'instar de celui que nous avons utilisé au cours de cette étude. Cette méthode a été validée pour les milieux granulaires par des expériences réalisées dans le cadre de la thèse d'Aude Barois-Cazenave [44]. Celles-ci ont montré que des scissomètres de diamètres différents (1cm et 2cm pour une cuve de 4cm de diamètre), convenablement étalonnés, donnent les mêmes résultats de mesures réalisées sur une poudre donnée. Seule la hauteur d'échantillon a une influence sur les mesures. En effet, la pression qui s'exerce sur l'échantillon est liée à son poids donc à sa hauteur le long et au-dessus du scissomètre. En vertu de la loi de Coulomb, en régime frictionnel la contrainte de cisaillement est proportionnelle à la contrainte normale, Il est donc important de travailler à hauteur constante d'échantillon. Le fond de la cellule est constitué d'une membrane semi-rigide en téflon. La membrane est heurtée périodiquement par le noyau d'un électro-aimant Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) 19 susceptible de vibrer à des fréquences f comprises entre 1Hz et 100Hz pour des tensions d'alimentation de 10V, 15V et 20V. Ces tensions correspondent, respectivement, à des énergies potentielles gravitationnelles Ep = mgh de 80µJ, 200µJ et 420µJ (± 10µJ) transmises aux échantillons de poudre par chaque impulsion. Ces énergies ont été déterminées en enregistrant à l'aide d'une caméra rapide les hauteurs de saut h d'éprouvettes d'acier de verre et de téflon de masse m, guidées verticalement et soumises à des vibrations de différentes fréquences. Les résultats obtenus montrent que l'on peut considérer, en première approximation, que Ep ne dépend que de la tension d'alimentation [44]. 3.2. Comportement rhéologique Le comportement rhéologique des échantillons en régime permanent a été établi à partir de tests en régime transitoire. Pour une fréquence et une énergie de percussion données, chaque échantillon a été soumis à une série d'échelons de contrainte d'une durée de 100s chacun. Pour chaque échelon, une 10 8 10 7 10 6 10 5 (a) + f = 0Hz , f = 2Hz ( f = 6Hz ' f =16Hz pente = -1 η 10 4 (Pa.s) 3 10 10 1 10 0 10 scissomètre cuve membrane noyau de fer solénoïde Figure 3: Schéma de la cellule vibrante. valeur de la vitesse de déformation a été déterminée en effectuant une moyenne sur l'ensemble des valeurs stationnaires. Ce paragraphe vise à confronter le modèle à l'expérience, par ajustement de l'équation (8) aux points expérimentaux. Cette confrontation se fera en deux étapes. 10 8 10 7 10 6 10 5 (b) + f = 0Hz , f = 2Hz ( f = 6Hz ' f =16Hz pente = -1 η 10 4 (Pa.s) 3 10 2 billes de verre 10 Ep =80µJ -6 10 -5 10 -4 10 -3 10 -2 10 -1 -1 10 0 10 1 10 2 10 10 2 10 1 10 0 3 10 Ep =200µJ -6 10 -5 10 -4 10 -3 γ& (s ) 10 8 10 7 10 6 10 + f = 0Hz , f = 2Hz ( f = 6Hz ' f =16Hz pente = -1 η 10 4 (Pa.s) 3 10 10 1 10 0 10 10 -1 -1 10 8 10 0 10 1 10 2 10 3 10 7 10 6 10 5 (d) + Ep= 0 µJ , Ep= 80 µJ ( Ep= 200 µJ ' Ep= 420 µJ pente = -1 η 10 4 (Pa.s) 3 10 2 -2 γ& (s ) (c) 5 10 10 Ep =420µJ -6 10 -5 10 -4 10 -3 10 -2 10 -1 -1 γ& (s ) 10 0 10 1 10 2 10 3 10 2 10 1 10 0 10 f = 6 Hz -6 10 -5 10 -4 10 -3 10 -2 10 -1 -1 γ& (s ) 10 0 10 1 10 2 10 3 Figure 4 : Evolution de la viscosité en fonction de la vitesse de cisaillement, en régime permanent. (a) à (c) : Pour différentes fréquences de vibration f à énergie de percussion Ep constante. (d) : pour différentes énergies de percussion Ep à fréquence constante f=6Hz. Les lignes continues matérialisent l'ajustement de l'équation (18) aux points expérimentaux. 20 Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) Tout d'abord, nous examinerons la dépendance de la viscosité vis-à-vis de la vitesse de cisaillement, sous la forme: η(γ& ) = G/ f b ηo G = = gγ& + f b 1 + (g/ f b )γ& 1 + γ& /γ& c (18) avec η o = G/ f b et γ& c = f b /g . Dans une seconde étape, nous évaluerons la pertinence du terme exponentiel à partir de l'expression de ηo: ηo = G f c-1exp(ξv*f /vf ) (19) La figure 4 présente une série de rhéogrammes en régime permanent qui montrent l'évolution de la viscosité η en fonction de la vitesse de cisaillement γ& pour différentes fréquences f et énergies de vibration Ep. En l'absence de vibrations (f=0 ou Ep=0), les rhéogrammes obtenus sont des "lois de puissance" de pente -1, typique d'un régime d'écoulement de type frictionnel pour lequel η∝1/ γ& . Au contraire, en présence de vibrations, les rhéogrammes présentent un plateau newtonien suivi d'une zone de transition vers le régime frictionnel qui se traduit par une décroissance progressive de la viscosié. Par ailleurs, la viscosité de plateau diminue lorsque l'on accroît l'efficacité des vibrations, en augmentant la fréquence (figures 4(a), (b) et (c)), ou en augmentant l'énergie (figure 4(d)). En d'autres termes, la viscosité décroît lorsque l'on accroît la température granulaire. Ces évolutions sont qualitativement en accord avec les graphes des figures 1 et 2. Ces résultats confirment donc que, dans les conditions expérimentales considérées, les poudres vibrées se comportent comme des fluides condensés non newtoniens puisque la viscosité est une fonction décroissante de la vitesse de cisaillement et de la température granulaire. Au contraire, dans le cas d'une poudre peu dense, qui se comporterait comme un gaz de particules, ce transfert serait principalement de nature cinétique ou collisionnel et la viscosité serait une fonction croissante de la température granulaire [8, 9, 31, 45] La figure 5 présente les mêmes résultats que ceux de la figure 4(c), mais la viscosité y est représentée en fonction de la contrainte afin de faciliter les comparaisons qualitatives avec les graphes de la figure 2. On y retrouve les mêmes caractéristiques topologiques et en particulier l'existence d'une contrainte limite σo=139Pa correspondant au régime frictionnel pour le système granulaire considéré. Sur la figure 5(b), les points expérimentaux se situant au-delà de la contrainte σo sont indicatifs d'une transition entre le régime frictionnel coulombien et le régime collisionnel qui n'est pas pris en compte par le modèle. Ces points sont représentés à la figure 6 en fonction de la vitesse de cisaillement. Ils correspondent à une situation où la vitesse de rotation du scissomètre devient suffisamment élevée pour provoquer une expansion de l'échantillon, à un point tel que les grains envahissent l'ensemble du volume de la cellule de mesure. Le milieu granulaire se comporte alors comme un gaz de particules et le mode de transfert des contraintes de cisaillement devient collisionnel. Il en résulte que la viscosité devient une fonction croissante de la vitesse de cisaillement. Sur la figure 6, la ligne continue de pente unité marque la limite théoriquement atteinte lorsque le régime d'écoulement est pleinement collisionnel [8, 9, 31, 45]. D'un point de vue quantitatif, les résultats de l'ajustement de l'équation (18) sont rassemblés dans le tableau 1. Celui-ci a consisté à déterminer les deux paramètres ηo = G/fb et γ& -1 c = g/fb et il est matérialisé par les lignes continues sur les rhéogrammes des figures 4 et 5. On peut constater que l'accord modèle/expérience est très étroit et, plus particulièrement, que les régions newtonienne et coulombienne sont correctement décrites par le modèle, conformément aux équations (13) et (14). De plus, l'une des hypothèses du modèle concerne les paramètres G et g=1/γc qui sont supposés constants, pour une poudre donnée. On peut vérifier que les résultats expérimentaux ne contredisent pas cette hypothèse, puisque les valeurs de la contrainte de friction σo=G/g s'avèrent être constantes avec une précision de l'ordre de 1% (tableau 1). En effet, la moyenne des valeurs donne: σo = (139.0 ± 1.5) Pa. L'ensemble des résultats précédents peut être compilé sous la forme d'une courbe maîtresse établie à partir des paramètres d'ajustement du tableau 1. Celle-ci est présentée à la figure 7 et montre l'évolution de la viscosité réduite η/ηo en fonction de la vitesse réduite g γ& /fb. La précision de la compilation obtenue tend à confirmer la validité de l'équation (15). En d'autres termes, cette possibilité de construire une courbe maîtresse traduit le fait que l'interrelation entre les différents rhéogrammes de la figure 4 est effectivement en accord avec le modèle proposé. Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) 21 La seconde étape consiste à évaluer le bien-fondé de l'équation (19), relative à la viscosité de plateau newtonien. Pour cela, il est nécessaire de l'expliciter en fonction des paramètres opératoires f et Ep afin d'en évaluer la précision par ajustement aux points expérimentaux. (a) 6000.0 + 5000.0 4000.0 η 3000.0 (Pa.s) + f = 0Hz , f = 2Hz ( f = 6Hz ' f =16Hz + 0.0 0.0 50.0 100.0 10 7 10 6 10 5 (b) + f = 0Hz , f = 2Hz ( f = 6Hz ' f =16Hz régime coulombien 10 2000.0 + + 8 η 10 4 (Pa.s) 3 + 1000.0 10 σo=139Pa 150.0 10 2 10 1 10 0 régime newtonien 10 200.0 0 10 1 10 2 10 3 σ (Pa) σ (Pa) Figure 5 : Evolution de la viscosité en fonction de la contrainte de cisaillement, en régime permanent, pour différentes fréquences de vibration f et une énergie de percussion Ep=420µJ. (a) : en coordonnées linéaires. (b) : en coordonnées logarithmiques. Les lignes continues matérialisent l'ajustement de l'équation (18) aux points expérimentaux. 10 1 σ<σo σo<σ régime collisionnel η (Pa.s) η ηo régime frictionnel pente = 1 10 0 10 1 10 2 10 10 1 10 0 10 -1 10 -2 10 -3 10 -4 10 -5 3 η = ηo 10 -2 10 -1 10 0 γ& (s-1) Figure 6 : Evolution de la viscosité en fonction de la vitesse de cisaillement, dans la zone de transition entre le régime frictionnel coulombien et le régime collisionnel. Ep (µJ) 0 f (Hz) 0 ηo = G/fb (Pa.s) ∞ γ& -1 c = g/fb (s) σo = G/g (Pa) 6 1 10 2 10 3 10 4 10 5 gγ& fb Figure 7 : Courbe maîtresse établie à partir des paramètres d'ajustement du modèle rassemblés dans le tableau 1. 80 2 10 1 gγ& 1+ fb 200 420 16 2 6 16 2 6 16 36040 10780 3476 13700 4175 1803 5382 1949 994.3 ∞ 264.3 79.12 24.83 97.61 30.07 12.91 38.39 13.98 7.098 138.6 136.4 136.3 140.0 140.4 138.8 139.7 140.2 139.5 140.1 Tableau 1 : Valeurs des paramètres résultant de l'ajustement de l'équation (18) aux points expérimentaux relatifs aux rhéogrammes de la figure 3. 22 Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) Les collisions intergranulaires se produisant nécessairement à chaque percussion de la membrane, la fréquence fc peut être raisonnablement identifiée à la fréquence de percussion f. En ce qui concerne l'argument du terme exponentiel (ξv*f /vf ) , nous pouvons nous inspirer des théories moléculaires de volume libre pour le relier à l'énergie de percussion. En effet, à partir de l'équation (15) nous avions anticipé l'existence d'une courbe maîtresse et précisé qu'elle traduisait un principe d'équivalence entre les variables g γ& = γ& /γc et fb=fcexp(-ξvf*/ v f ), analogue au principe de superposition temps-température des milieux moléculaires. Nous avions mentionné que ce principe de superposition trouve une justification théorique dans les théories de volume libre. Dans le cas des milieux moléculaires, ces théories permettent, notamment, d'établir une relation entre la viscosité et la température thermodynamique qui est généralement de la forme [46] : 1 ξv * ηο ∝ exp f ∝ exp vf T - Tc (20) où T est la température thermodynamique et Tc une température critique qui est parfois identifiée à la température de transition vitreuse du système considéré. C'est une température en-deçà de laquelle la viscosité du système diverge. L'expression (20) est connue sous le nom d'équation de Vogel-Fulcher. En nous en inspirant et en notant que le volume libre moyen par particule v f est relié à l'énergie Ep transmise aux grains à chaque impulsion, nous postulons une relation du type : E a ξv * exp f ∝ exp E p - E pc vf β (21) où β est un exposant empirique, Ea est l'énergie qu'il faut fournir à un grain pour l'extraire de la cage formée par ses plus proches voisins et Epc est l'énergie de percussion minimum qu'il faut fournir au système granulaire pour assurer sa fluidisation et son ergodicité. Epc joue donc un rôle similaire à Tc. En combinant les équations (19) et (21) il vient : E a ξv * ηo = Gf c-1exp f = Gf-1 exp E p - E pc vf β (22) Ainsi, le modèle prédit une évolution de la viscosité de plateau ηο telle que, à énergie constante, on doit avoir ηο ∝ 1/f, alors qu'à fréquence constante, on s'attend à une évolution exponentielle du terme de modulation de fréquence (équation (22)). Le graphe de la figure 8(a) montre l'évolution de la viscosité de plateau en fonction de la fréquence de vibration pour différentes valeurs de l'énergie potentielle. En coordonnées logarithmiques, le comportement en 1/f de la viscosité est clairement démontré ce qui confirme que G est indépendant de f. Le graphe de la figure 8(b) montre l'évolution du facteur ηof en fonction de l'énergie de percussion. La courbe obtenue est effectivement d'allure exponentielle, mais le nombre de points expérimentaux est évidemment insuffisant. De plus, il serait plus judicieux d'évaluer la pertinence du terme exponentiel en l'explicitant directement en fonction du volume libre, tel qu'il apparaît dans l'équation (19), et non en fonction de l'énergie de percussion, afin de tester le modèle plus en amont de la théorie. C'est pourquoi le modèle a été appliqué à des résultats de mesures de viscosité effectuées par Furukawa et Ohmae [34] sur des lits fluidisés par gaz, constitués de billes de verre de différents diamètres. Les auteurs ont mesuré, d'une part l'expansion volumique du lit V/Vmf en fonction de la vitesse du gaz U et, d'autre part, la viscosité du lit ηo en fonction de la vitesse du gaz U (V est le volume total du lit et Vmf le volume à la vitesse minimum de fluidisation Umf). La définition et le principe de détermination de Umf sont rappelés à la figure 8. L'expérience consiste à enregistrer l'évolution de la perte de charge du gaz porteur à travers le lit de particules en fonction de sa vitesse moyenne. Les changements de régime observés permettent de déduire la vitesse de début de fluidisation Ubf, la vitesse minimum de fluidisation Umf et la vitesse de fluidisation totale Utf . Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) 10 5 10 4 23 rapport V/Vmf dans le but de confronter l'équation (19) à ces résultats expérimentaux. Mais au préalable, il est nécessaire de la modifier pour l'expliciter en fonction de V et Vmf au lieu de vf . Le volume total V du système est divisé en deux parties telles que [26, 27, 46]: V=Vp+∆V ⇔ v =vp+ ∆v (23) , Ep= 80 µJ ( Ep= 200 µJ ' Ep= 420 µJ ηο=G/fb (Pa.s) 10 3 pente = -1 (a) 10 2 10 7x10 4 6x10 4 5x10 4 0 10 1 10 f (Hz) Ea ηof = G exp E p - E pc 2 β 2x10 4 1x10 4 50.0 ⇔ ∆v = v f + ∆v c (24) où ∆Vc est le volume interstitiel résiduel lorsque l'empilement granulaire est le plus compact possible. Il correspond donc à la partie du volume excédentaire qui reste inaccessible aux particules. A partir des équations (23) et (24), on a : 150.0 250.0 350.0 450.0 EP (µJ) Figure 8 : (a) Evolution de la viscosité de plateau ηο=G/fb en fonction de la fréquence de vibration f pour différentes énergies de percussion Ep. (b) Evolution du facteur de modulation de fréquence ηof en fonction de l'énergie de percussion Ep zone de début de fluidisation perte de charge (b) 3x10 Le volume excédentaire se scinde lui-même en deux parties telles que : ∆V=Vf+∆Vc ηof 4 x10 4 (Pa) 4 où Vp est le volume total occupé par les N particules de volume vp=Vp/N, ∆V est le volume excédentaire total, v =V/N est le volume moyen par particule et ∆v =∆V/N est le volume excédentaire moyen par particule. zone de fluidisation totale zone de lit fixe Ubf Umf Utf vitesse du gaz Figure 9 : Schéma représentatif de l'évolution de la perte de charge en fonction de la vitesse U du gaz porteur d'un lit fluidisé. Ce type d'expérience permet la détermination expérimentale de la vitesse minimum de fluidisation Umf. Nous avons combiné les deux séries d'expériences de Furukawa et Ohmae, afin de représenter l'évolution de la viscosité directement en fonction du vf = v -vp- ∆v c =(V-Vp-∆Vc)/N = Vmf V Vp + ∆Vc Vmf N Vmf (25) En incorporant l'équation (25) à l'équation (19) et en rappelant que G=NPcked2/2V, on obtient : ξNv*f /Vmf ηo = Gf c-1 exp V/Vmf - (Vp + ∆Vc ) / Vmf φ Φ = exp V/Vmf V/Vmf - φ avec Φ=NPcked2/2fcVmf, ϕ= (Vp + ∆Vc ) / Vmf . φ= ξNv*f /Vmf (26) et Il suffit alors d'ajuster l'équation (26) aux résultats de Furukawa et Ohmae pour en évaluer l'adéquation. Mais avant tout, il est important de préciser les conditions de cet ajustement. Les points expérimentaux qui nous intéressent correspondent à des expansions volumiques modérées, puisque le milieu doit rester suffisamment dense pour que le modèle puisse s'appliquer. Plus précisément, la fraction volumique des grains νg doit rester comprise entre la fraction volumique d'entassement maximal νgm et la fraction volumique critique νgc. L'expansion volumique maximale est donc de l'ordre de V/Vmf ≈ νgm/νgc ≈ 1.2, si on considère les valeurs extrêmes νgm ≈ 0.64 et νgc ≈ 0.56. 24 Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) Par ailleurs, ajuster l'équation (26) aux points expérimentaux revient à déterminer les coefficients Φ, φ et ϕ en supposant qu'ils sont indépendants de V/Vmf ou, en d'autres termes, de V puisque Vmf est une constante pour une poudre donnée. C'est effectivement le cas pour φ et ϕ. En revanche, rien ne permet d'affirmer que ce soit le cas de Φ. En effet, un accroissement de V à N constant entraîne une diminution de Pc et fc et une augmentation de d. Cependant, à défaut d'informations supplémentaires et compte tenu de la faible expansion volumique considérée ici, nous supposerons Φ constant, en première approximation. Dans ces conditions, les résultats de l'ajustement de l'équation (26) sont matérialisés par les lignes continues sur le graphe de la figure 10 et les valeurs des paramètres correspondants sont rassemblées dans le tableau 2. La précision de l'ajustement conforte la cohérence du modèle et tend à conforter l'évolution exponentielle du terme de modulation de fréquence. 25.0 { 755 µm , 588 µm ( 384 µm ' 324 µm + 277 µm 20.0 η0 (Poise) 15.0 10.0 5.0 0.0 0.9 1.0 1.1 1.2 1.3 V/Vmf Figure 10 : Evolution de la viscosité de lits fluidisés constitués de billes de verre en fonction du rapport V/Vmf où V est le volume du lit et Vmf le volume à la vitesse minimum de fluidisation (D'après Furukawa et Ohmae [34]). Les lignes continues matérialisent l'ajustement de l'équation (26) aux points expérimentaux et les paramètres correspondants sont rassemblés dans le tableau 2. 277 324 d (µm) 5.30 Φ (Poise) 5.25 0.0348 0.0755 φ 0.932 0.911 ϕ 384 5.44 0.139 0.883 588 6.37 0.167 0.898 755 5.14 0.255 0.857 Tableau 2 : Résultats de l'ajustement de l'équation (26) aux données expérimentales de Furukawa et Ohmae [34]. En dépit des incertitudes relatives au paramètre Φ, les résultats présentés dans le tableau 2 sont tout à fait cohérents. En effet, on peut remarquer tout d'abord que φ= ξNv*f /Vmf augmente avec le diamètre des grains. Le rapport N/Vmf étant constant, φ est donc une fonction croissante de v*f .Or, v*f étant le volume libre minimum dont doit disposer une particule pour changer de plus proches voisines, v*f est également une fonction croissante de leur diamètre. C'est donc en toute logique que φ augmente avec la taille des grains. De plus, le paramètre ϕ= (Vp + ∆Vc ) / Vmf est relativement constant et légèrement inférieur à l'unité. Ce résultat est également cohérent puisque, en regard des définitions de Vp, ∆Vc et Vmf, on a : Vp+∆Vc ≈ Vbf où Vbf est le volume du lit à la vitesse de début de fluidisation (figure 8). Il en résulte que ϕ ≈Vbf / Vmf est toujours inférieur à l'unité puisque Vbf est inférieur à Vmf. 4. Conclusions et perspectives Au paragraphe 1, en généralisant les résultats expérimentaux obtenus sur des systèmes granulaires à une et deux dimensions [25, 26], nous avions postulé que la distribution du volume libre d'un système granulaire tridimensionnel obéissait à une loi de Boltzmann. Ces derniers résultats confortent ce postulat, à défaut de le valider définitivement. En effet, les théories de volume libre ne sont pas les seules à décrire les transitions structurelles et les phénomènes de relaxation dans les milieux désordonnés. La structure des équations visant à décrire le comportement de tels milieux dépend évidemment de la théorie retenue. Or, lorsque l'on compare ces équations à des résultats de mesures expérimentales, il est fréquent de constater que plusieurs d'entre elles donnent des résultats d'ajustement de même précision sans qu'il soit possible de les discerner [47]. La qualité de l'ajustement des équations (18), (22) et (26) aux données expérimentales ne permet donc pas de valider définitivement le modèle. En revanche, elle montre clairement que, à ce stade de l'analyse, le modèle n'est pas mis en défaut par les expériences réalisées puisque celles-ci sont en accord étroit avec les prédictions théoriques. Le modèle du "château de sables mouvants" permet donc de décrire avec précision le comportement rhéologique des milieux granulaires denses en écoulement de régime permanent en tenant compte simultanément de la vitesse de cisaillement, de la fréquence de vibration et du volume libre du système granulaire. Marchal et Choplin, Rhéologie, Vol.5, 10-26 (2004) Un point, a priori surprenant, qui mérite d'être souligné est que le modèle semble s'appliquer aussi bien à des fréquences de vibration de quelques Hz qu'à des fréquences de plusieurs dizaines de Hz. On constate, en effet une certaine continuité de comportement qui se traduit par la régularité des rhéogrammes entre 1 Hz et 100 Hz (figures 3, 4, 6 et 7). Or entre ces deux extrêmes les processus de réorganisations granulaires sont vraisemblablement différents dans la mesure où, pour des fréquences de l'ordre de quelques Hz, le système n'est pas soumis à une agitation permanente mais passe par une succession de configurations bloquées, réorganisées à chaque impulsion, dont le traitement théorique relèverait plutôt de l'approche d'Edwards. Au contraire, à plus haute fréquence, l'agitation est permanente et une approche de type volume libre, analogue à celle des systèmes moléculaires retrouve sa pertinence. Pourtant les résultats expérimentaux ne laissent apparaître aucune transition dans la gamme de fréquences explorée (figures 3, 4, 6 et 7). Ces observations s'inscrivent bien dans le cadre d'une extension de la théorie d'Edwards aux systèmes dynamique et de l'identification de TEdw (système statique, configurations bloquées) avec Teff (système dynamique, configurations transitoires) que nous avions évoquées dans le paragraphe d'introduction. 25 collisionnelle en raison de la mobilité des grains. Or, cette composante de la viscosité ne devient prépondérante que lorsque le volume libre moyen est suffisamment grand pour que la fraction de grains participant au réseau de contact devienne négligeable. Le modèle du "château de sables mouvants" s'applique donc à des milieux granulaires suffisamment denses pour que la composante collisionnelle puisse être négligée. Il est cependant tout à fait envisageable d'intégrer ces différentes contributions dans un modèle unique dans le cadre de travaux futurs. D'autres développements à venir pourraient porter sur l'application du modèle à des régimes d'écoulement transitoires sur la base de la résolution de l'équation cinétique (2) pour dPs/dt≠0. Ainsi, en prenant en compte certaines caractéristiques morphologiques des grains à travers les paramètres du modèle, il pourrait être possible de tenir compte des phénomènes d'orientations granulaires dans les écoulement transitoires. Références [1] Ammi M., Bideau D., Troadec J.-P., J. Phys. D: Appl. Phys., 20, 424-428 (1987). [2] Radjai F., Thèse de doctorat, ESPCI, Paris (1996). [3] Radjai F., La Recherche, 304, 44-46 (1997). [4] Mills P., Snabre P., J. Phys. II, 5, 1597 (1995). Ainsi, une perspective d'évolution du modèle serait de l'inscrire dans un cadre unifié par le fait que l'approche Edwards et les théories de volume libre ne sont pas fondamentalement différentes, dans la mesure où la compactivité XEdw, qui traduit l'aptitude du système à être compacté, est naturellement liée au volume libre moyen v f dont disposent les grains. [5] Mills P., Loggia D., Tixier M., Europhys.Lett., 45(6), 733-738 (1999). En outre, il devrait être possible d'affiner le modèle en déconvoluant les paramètres G, g et fb qui apparaissent sous forme de rapports dans l'équation (18). Cela implique le recours à des expériences additionnelles comme, notamment, des tests rhéologiques en régime oscillatoire susceptibles de nous fournir des informations structurelles complémentaires. [8] Haff P. K., J. Fluid. Mech., 134, 401-430 (1983). [6] Mills P.,Chevoir F., da Cruz F., Snabre P., Proc. 38ème Coll. Ann. du G.F.R., 37-40 (2003). [7] Ogawa S., Proc. 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Experimental and numerical studies of intergranular contact distribution in dense powders show that the stresses are not evenly distributed in the bulk, giving rise to a heterogeneous elastic network. Only a small number of grains contribute to the network, whereas the remaining grains behave as liquid inclusions responsible for the viscous dissipation of the mechanical energy. Solid and liquid states then coexist and non-cohesive granular materials behave like an elastic solid immersed in a sea of sand as a castle of sand in a quicksand. Rheological characterisations of dense-phase fluidised powders show that they behave as nonNewtonian viscoelastic condensed fluids, when submitted to mechanical vibrations. It has been shown, on the basis of statistical physics elements, that the rheological behaviour can be explained by the rearrangement of the intergranular free volume through granular transitions between the solid (contact network) and liquid (inclusions) states. The transition dynamics is described by a kinetic equation taking into account the dual redistribution of the free volume, arising from a fluidisation process or from a shear stress (or shear rate) field. The resulting Quicksand Castle Model (QCM) describes accurately the steady state viscosity as a function of shear rate, vibration frequency, vibration energy and granular free volume.