Comment la biodiversité imprègne notre quotidien»
Transcription
Comment la biodiversité imprègne notre quotidien»
0 3 | 2010 MAI pro natura magazine Comment la biodiversité imprègne notre quotidien sommaire éditorial 3 4 dossier 13 à-propos 14rendez-vous 16en bref/impressum 18 actuel 18 P lus d’écologie, plus de revenus 20 L a biodiversité a un prix 22 nouvelles 22 A vec les TP jusqu’au Florence Kupferschmid-Enderlin, rédactrice romande dernier kilomètre 23 H eures de vol pour aigle royal Infinie, vraiment ? 24 Membres Pro Natura : fidèles malgré la crise Dans un documentaire vu il y a disparaissaient en Méditerranée. Et toute la chaîne alimentaire s’en trouve dossier bouleversée. Il est évidemment plus spectaculaire d’expliquer l’importance de la sauvegarde des espèces avec 4 – 13 La biodiversité est partout ce gros poisson qui marque les La biodiversité n’existe pas seulement dans esprits. Mais pas besoin de partir les milieux naturels riches en espèces. Elle en Méditerranée pour étudier la est partout. Dans ce numéro, le Magazine biodiversité. Pro Natura présente plusieurs personnes La biodiversité se manifeste sous de qui vivent la biodiversité au quotidien. Christian Flierl quelques jours au Musée de Zoologie à Lausanne, j’ai appris que les requins 25 régions 26 service 31 saison 33 pro natura actif 39 pro natura shop 40la dernière multiples formes dans notre quotidien: dans les habits en coton enfilés le matin, dans la tartine de pain aux céréales du petit déjeuner, dans les tisanes, dans les jus de fruits, dans le rendez-vous 14« Les atteintes au paysage doivent être dénoncées » Dans son livre « Die aus- shampoing aux orties et le dentifrice gewechselte Landschaft » ( Le aux herbes, dans l’eau potable qui paysage transformé ), Klaus coule des robinets. C. Ewald, 69 ans, professeur La liste pourrait s’allonger encore, à EPF à la retraite, dresse un l’infini. La biodiversité est partout. Tous sombre tableau des ravages ville. Pourtant, la variété de la faune et de la flore, des micro-organismes, des champignons et des biotopes subis par le paysage suisse. Severin Nowacki les jours nous la côtoyons, même en Le Bâlois en a même perdu tout attachement au lieu qui l’a vu grandir. a ses limites. Nous ne pouvons pas, impunément, nous servir des ressources de la nature. Chaque jour, une centaine d’espèces animales et végétales disparaissent de notre planète; sans faire de bruit. En Suisse, presque actuel 20 La biodiversité a un prix Pour mettre en évidence l’importance et 40% des espèces se trouvent sur la l’absolue nécessité de la biodiver- Liste rouge. Un seul exemple: l’abeille sité, une étude de l’ONU chiffre sauvage décline, et tout le processus sa valeur et celle des services de pollinisation chancelle. Rien n’est qu’elle nous rend. Les résul- jamais définitif. tats le prouvent : dans un calcul La biodiversité doit être maintenue, complet des coûts, l’exploitation à tout prix. Comme une pochette- des ressources respectueuse de l’en- cadeau, elle a encore de belles surprises vironnement arrive en tête au point à nous offrir. Auriez-vous imaginé, de vue économique également. par exemple, que des champignons puissent être à l’origine de violons à la sonorité extraordinaire qui rivalisent avec les célèbres Stradivarius? Pro Natura Magazin 2/2010 Couverture : la biodiversité est présente partout, y compris là où on ne l’attend pas – parfois au cœur des villes. Bettina Tschander s’emploie à favoriser l’épanouissement d’animaux et végétaux rares sur les toits de Zurich. Photo : Christian Flierl www.pronatura.ch Christian Flierl 4 dossier « La biodiversité recèle encore un potentiel énorme » Grâce à des champignons lignicoles, le mycologue Francis Schwarze confère à de nouveaux violons une meilleure sonorité que celle des Stradivarius d'il y a 300 ans. La nouvelle a fait fureur dans le monde entier : l’an dernier, Francis Schwarze cultive dans son laboratoire près de 700 espèces de champignons – une « part infime » de toutes celles qui existent. devant un jury de 180 personnes, Matthew Trusler, violoniste britannique, a joué de cinq violons différents – parmi lesquels son propre Stradivarius d’une valeur de deux millions de dollars, J’ai d’abord travaillé comme jardinier pendant plusieurs années, fabriqué en 1711, et un nouveau violon, fait d’un bois spécial puis j’ai étudié l’arboriculture dans mon pays natal, l’Angleterre. que Francis Schwarze avait traité avec des champignons. Le Et c’est en m’occupant des arbres que j’ai commencé à me poser verdict du jury a été sans appel : 90 de ses membres ont jugé des questions sur les champignons lignicoles : personne n’avait que le violon traité aux champignons avait la meilleure sonorité, jamais pu m’expliquer, par exemple, pourquoi un champignon le Stradivarius arrivant en deuxième position avec 39 voix qui peut être nuisible pour une essence est inoffensif pour une seulement. autre. J’ai donc voulu trouver moi-même les réponses, poussé Francis Schwarze est professeur au Laboratoire fédéral d’essai par une sorte de curiosité d’enfant. A Fribourg, où j’ai passé des matériaux et de recherche (Empa), à Saint-Gall. Le magazine mon doctorat, j’ai pu me consacrer pleinement à ces questions. Time a classé ce Stradivarius « biotechnologique » parmi les à d’autres inventions spectaculaires, toujours en tirant parti de De là à utiliser ces champignons en lutherie, le pas est grand. Comment en avez-vous eu l’idée ? la biodiversité. Pour vous le raconter, je dois revenir un peu en arrière : à meilleures inventions de l’année 2009. Francis Schwarze travaille Fribourg, j’étudiais de près l’effet des champignons lignicoles Pro Natura : Cueillez-vous des champignons comestibles ? Francis Schwarze : Je dis toujours ironiquement qu’en tant sur la résistance des arbres au renversement et à la rupture, un paramètre important en ville. J’étais souvent amené à déterminer si des arbres fragilisés à la suite d’un accident de la circulation, que mycologue, on ne devrait pas être mycophage, car cela de blessures aux racines ou d’élagage représentaient un risque s’apparenterait à du cannibalisme (rires). Plus sérieusement, je pour la sécurité. A cet effet, j’effectuais des mesures de la vitesse me méfie des champignons vénéneux et je trouve qu’il n’est pas de propagation du son à travers le bois. Sur un arbre endommagé, toujours facile de distinguer les différentes espèces. J’étudie avec la mesure présentait des valeurs normales. Le carottage, par passion les champignons lignicoles, alors que les champignons contre, indiquait que le bois était déjà fortement décomposé. comestibles ne m’intéressent guère. De plus, il y a peu d’espèces Conclusion : tous les champignons ne modifiaient pas la vitesse comestibles que j’aime vraiment manger. de propagation du son à travers le bois. Bien des années plus tard, j’ai rencontré un luthier qui était également physicien. Lesquelles par exemple ? Il m’a expliqué comment, en lutherie, on tente d’accélérer la Les truffes. Par contre, j’ai cessé de manger des champignons de vitesse de propagation du son par l’utilisation de vernis. Mais les Paris ou des pleurotes. Mais je vais souvent en forêt récolter des vernis augmentent aussi la masse vibratoire du violon, rendant spores de champignons lignicoles, afin que nous puissions créer celui-ci plus lourd, ce qui a un effet négatif sur la diffusion du des cultures pures pour nos travaux de recherche. son. J’ai alors eu comme un déclic : je connaissais l’existence D’où vient cette passion pour ces minuscules champignons ? bois plus léger sans pour autant entraver la propagation des de quelques rares espèces de champignons qui rendaient le ondes acoustiques à travers celui-ci. Ces champignons, en outre, Pro Natura Magazine 3/2010 Christian Flierl dossier s’efforce depuis des siècles de remédier à cela, mais sans succès. En ce qui nous concerne, nous tentons de pénétrer activement dans le bois avec des hyphes (filaments formant le mycélium), afin que les enzymes parviennent jusqu’aux couches ligneuses profondes pour désagréger ces membranes. Les premiers résultats sont très prometteurs. Nous avons beaucoup d’autres idées : je connais par exemple un champignon sous l’action duquel les tanins se transmettent beaucoup plus rapidement au vin lors de son entreposage. Nous avons aussi quelques idées pour améliorer les membranes ligneuses des haut-parleurs ou des skis. Mais quand je soumets ce genre de propositions aux fabricants, ils me prennent souvent pour un illuminé. La biodiversité n’existe pas seulement dans les milieux naturels riches en espèces. Elle est partout. Dans ce numéro, le Magazine Pro Natura présente plusieurs personnes qui vivent la biodiversité au quotidien. On estime qu’il existe sur la planète 1,2 million d’espèces de champignons, dont 100’000 environ sont décrites scientifiquement. Avec quel fond travaillez-vous ? Notre collection de cultures souches comporte à peu près 700 espèces de champignons, c’est-à-dire une part infime de ce qui existe. Le potentiel de développement est évidemment gigantesque, y compris dans le domaine pharmaceutique, mais nos ressources sont limitées. L’avenir réside sans doute dans la concentration de notre travail sur certains enzymes de champignons. Ici, la biodiversité recèle encore un potentiel énorme: 99 % de tous les micro-organismes de la planète n’ont pas encore été étudiés. augmentent le facteur d’amortissement des vibrations, évitant Et le résultat, c’est que « votre » violon a supplanté un Stradivarius lors d’un essai à l’aveugle. Les luthiers vous assaillent-ils depuis lors ? Les champignons ne sont-ils pas des exemples éclatants du « fonctionnement » de la biodiversité ? Ils dépendent d’autres organismes, avec lesquels ils vivent en symbiose, ou qu’ils décomposent ou détruisent. J’ai reçu une centaine de demandes, pas seulement de luthiers, C’est tout à fait vrai ! Et les champignons sont des organismes une sonorité trop aiguë. mais aussi de solistes. Beaucoup désiraient simplement acquérir extraordinaires et fascinants, alors que la plupart des gens les le violon vainqueur. L’Empa aimerait créer, avec des investisseurs, assimilent aux moisissures et à la pourriture, et répugnent à une spin-off qui se consacrerait au traitement du bois. Mais nous envisager leur utilisation à des fins professionnelles. avons encore besoin de quelques années pour approfondir nos recherches et garantir le niveau de qualité requis. La biodiversité est-elle pour vous un gigantesque réservoir de trésors ? Quelles autres prouesses « vos » champignons peuvent-ils accomplir ? Absolument. Mais je m’inquiète du fait que sur les 1,2 million J’ai mis au point un produit qui décompose le bois des cercueils. nombre disparaissent chaque jour. C’est pour moi symptomatique Dans la plupart des cimetières, les cercueils ne se décomposent de la faible durabilité de notre mode de vie. Un exemple tout d’espèces de champignons existant sur la planète, un grand plus et doivent être déterrés après 20 ans – un véritable simple : si nos cimetières étaient entourés d’un environnement problème. Lorsque ce produit est incorporé au bois des cercueils, naturel et de vieux peuplements d’arbres de grande taille, des leur décomposition est assurée. spores de champignons tomberaient en abondance sur le sol, où elles augmenteraient l’activité microbactérienne. Nous A quels nouveaux développements travaillez-vous ? n’aurions alors pas besoin d’inventer un produit qui décompose Nous cherchons à accroître l’imprégnabilité des bois indigènes – et les cercueils. Cela montre bien que biodiversité et durabilité sont par là même leur durabilité. En effet, une fois sec, le bois n’absorbe étroitement liées. plus aucun liquide, en raison de la fermeture des membranes. On Interview : Raphael Weber, rédacteur en chef Pro Natura Magazine 3/2010 5 Christian Flierl Pierre Kappler s’épanouit dans la nature dès que le printemps approche. « Nous récoltons la richesse de la biodiversité » Une offre végétale riche et abondante ne bénéficie pas qu’à la faune, mais aussi à notre santé ! Pierre Kappler le sait bien, lui qui, avec son équipe, cultive plus de cinquante plantes différentes pour le fabricant de médicaments Weleda. Aujourd’hui, c’est un « jour racines ». Ce matin, les collaborateurs du jardin de plantes médicinales Weleda ont dans leurs mains non les principes biodynamiques – on appelle ainsi le mode de Les plantes médicinales Weleda sont cultivées d’après pas la fourche à labourer et la binette, mais le couteau à légumes, production anthroposophique, auquel se rattache le label avec lequel ils façonnent les racines massives de bardanes Demeter. Celui-ci implique la prise en compte des astres dans communes entassées sur une table. « Cette plante soulage les l’agriculture. La période idéale de plantation et le moment troubles veineux », explique Pierre Kappler, responsable de ce optimal pour semer, traiter ou récolter les plantes à racines, à jardin. La bardane commune est l’une des cinquante espèces fleurs et à feuilles dépendent des constellations. Il en va de même de plantes médicinales qu’il cultive avec son équipe. L’éventail pour la fabrication des différentes préparations à pulvériser est large : petites primevères, grands onopordes acanthes, saules sur les cultures, qui assurent la dynamisation des végétaux et tendres, chênes durs, millepertuis, qui aime la chaleur, langue de des sols. La mise en valeur des parties végétales utilisées (qui cerf, qui craint le soleil, ou encore souci officinal et fraisier des peuvent être broyées, écrasées ou coupées) constitue un autre bois, utilisé comme remède contre l’anémie. volet du travail de Pierre Kappler. Grâce à son approche globale, l’anthroposophie respecte la biodiversité au sens large – une Des plantes aux puissantes vertus notion qui englobe non seulement la diversité des végétaux, Parmi cette richesse végétale, Pierre Kappler a ses favoris, animaux, champignons et bactéries, mais aussi les interactions notamment la centaurée aux fleurs roses, car « sous son apparence entre espèces. fragile, elle recèle de puissantes vertus ». Ou tout simplement La biodiversité est palpable lorsqu’on se trouve au l’ortie, « en raison de sa vitalité et de sa force incroyables », mais Bruderholzhof, non loin de la périphérie de Bâle : en bordure aussi parce que toutes les parties de cette plante sont utilisables – d’une forêt de hêtres et de chênes s’étendent des haies, prairies des racines aux fleurs en passant par les feuilles. sèches et arbres à haute tige, au milieu desquels chatoie le jardin aux plantes curatives de Weleda, dans toute la magnificence de « Notre travail consiste aussi à récolter la richesse de la biodiversité », précise cet horticulteur de 47 ans. Et le succès ses couleurs et la diversité de ses structures. « Quand, au début de est au rendez-vous : sur la base de matières premières végétales, l’été, la plupart des plantes sont en fleurs, c’est un vrai spectacle l’entreprise Weleda, à Arlesheim (BL), fabrique une vaste gamme pour les yeux ! » de produits cosmétiques et thérapeutiques dont la renommée n’est plus à faire. RAPHAEL WEBER, rédacteur en chef du Magazine Pro Natura Pro Natura Magazine 3/2010 Christian Flierl « On se rend vraiment service à soi-même » La biodiversité est aussi présente là où on ne l’attend pas - parfois au cœur des villes. Sur les toits de Zurich, Bettina Tschander crée des oasis végétales pour des espèces rares. « La ville de Zurich est un merveilleux biotope. Il suffit de bien regarder. 1200 espèces végétales y sont présentes à l’état sauvage. La flore zurichoise est ainsi deux fois plus riche que celle de n’importe quelle région agricole du Plateau. Nous avons également recensé dans cette ville près de 900 espèces animales, et il arrive que des espèces disparues fassent leur réapparition, comme récemment le petit mars changeant, un papillon menacé. Quand, lors d’excursions, je fais voir aux gens les nombreuses plantes, parfois cachées, qui poussent à Zurich, ils sont souvent stupéfaits. Comme la diversité est en danger, nous avons la volonté de créer ici de plus en plus d’oasis vertes. » En agriculture, on connaît depuis longtemps le principe de la compensation écologique. Or, il s’applique aussi au milieu bâti: si l’on prive la nature d’une certaine surface, on doit la lui restituer ailleurs. C’est ainsi que les prescriptions de la Ville de Zurich sur les constructions et les zones imposent depuis 1991 la végétalisation des toits plats. Quand, il y a quatre ans, nous avons analysé des prises de vues aériennes, nous avons constaté qu’un tiers seulement des toits plats de Zurich étaient « Je vois quotidiennement le fruit de nos efforts. » Bettina Tschander, 46 ans, biologiste et responsable de projets en protection de la nature pour Grün Stadt Zürich. effectivement verts. Nous sommes bien décidés à en augmenter la proportion, par des activités de conseil et des campagnes d’information. » Malheureusement, beaucoup de toitures végétales ne sont pas Emue par une fleur rare de véritables îlots biologiques. Cinq centimètres de substrat, » Les toits plats sont des îlots vitaux dont il faut s’occuper pour cela ne suffit pas : en été, les plantes se dessèchent et, en hiver, aider la faune et la flore à se les approprier. Des graines peuvent elles baignent dans l’eau. Dix centimètres sont un minimum. germer même sur des bâtiments de 50 mètres de hauteur. En La présence de reliefs et de bois mort est utile pour offrir des 2005, nous avons dénombré sur les toitures de Zurich 330 lieux de nidification aux abeilles sauvages. Par ailleurs, les espèces végétales, dont 46 figurent sur la Liste rouge. Je suis végétaux allongent la durée de vie d’un toit. Et ils améliorent émue chaque fois que je découvre sur un toit une fleur rare – le microclimat en retenant l’eau de pluie et en restituant une ou inattendue, telle une orchidée sauvage. C’est le beau côté partie de celle-ci par évaporation, ce qui a un effet rafraîchissant. de mon travail pour Grün Stadt Zürich : je peux contempler les Conclusion : avec une toiture verte, non seulement on fait du fruits de nos efforts. Par exemple sur les toits de la Sihlcity : nous bien à l’environnement, mais on se rend vraiment service à y avons planté avec succès des épilobes à feuilles de romarin, soi-même ! » des anthyllides vulnéraires et des koeléries pyramidales – trois espèces menacées d’extinction. Pro Natura Magazine 3/2010 NICOLAS GATTLEN est journaliste à Kaisten Christian Flierl à l’Inventaire fédéral des prairies et pâturages secs. En plus du magnifique lys orangé, on peut y admirer plusieurs espèces d’orchidées. De nombreux animaux – du chamois aux papillons – trouvent sur ces flancs de montagne un habitat privilégié. « Le foin sauvage est une forme d’exploitation particulièrement douce », explique Georges Eich. La fauche intervenant manuellement, à la faux, elle préserve des petites structures précieuses telles que fourmilières et arbrisseaux épars, où lézards, sauterelles et abeilles sauvages trouvent refuge. « Les fanages d’altitude ne doivent pas être fauchés plus d’une fois tous les deux ans. La fréquence précise fait actuellement l’objet d’un programme de recherche. » Si les versants ne sont pas exploités, leur biodiversité s’appauvrit progressivement. De plus, en moyenne montagne, l’embroussaillement ou l’enforestation ne sont jamais très loin ; plus haut, les plantes à fleurs et les herbacées risquent d’être évincées par des aunes ou des arbustes nains. « L’exploitation réduit aussi le risque de glissements de terrain et de plaques de neige. » Honoré par le Prix Beugger 2010 Georges Eich a déjà obtenu l’adhésion d’une bonne cinquantaine d’agriculteurs au programme d’encouragement des foins sauvages. Les vaches aussi en bénéficient, ce type de fourrage étant de toute première qualité. A travers un programme d’encouragement mené depuis 2008, le canton d’Uri incite les agriculteurs à renouer avec la pratique traditionnelle du foin sauvage. Ils peuvent toucher jusqu’à 3000 francs l’hectare pour l’exploitation de surfaces particulièrement riches en espèces. « Ce programme a permis jusqu’ici de remettre « Cela nous amène beaucoup de touristes » en exploitation une centaine d’hectares. Nous avons déjà pu conclure une cinquantaine de contrats avec des agriculteurs. » Le canton assure de la sorte aux paysans de montagne un revenu accessoire bienvenu, et le foin ainsi récolté est de toute première qualité. Ce programme a d’ailleurs été honoré par le Prix Elisabeth et Oscar Beugger 2010. Doté de 50 000 francs et Sur les fanages d’altitude uranais, la richesse en espèces est extraordinairement grande. Georges Eich, responsable du programme d’encouragement des foins sauvages, a toujours été fasciné par ces versants escarpés chatoyants. attribué tous les deux ans, ce prix, décerné par Pro Natura au nom et à la demande de la Fondation Emanuel et Oscar Beugger, distingue des projets de protection de la nature particulièrement avant-gardistes en Suisse. Pendant ses études, pour se préparer à ses examens de diplôme, Uri est d’ailleurs à la pointe du renouveau du « Wildhaiwä ». Nulle part ailleurs en Europe, ce mode d’exploitation n’est aussi le Lucernois Georges Eich a vécu durant quelques semaines dans répandu. « Cela nous amène beaucoup de touristes », se félicite une cabane d’alpage sur les versants du Schächental uranais. notre interlocuteur. Les randonneurs apprécient de pouvoir « J’étais déjà fasciné à l’époque par ce paysage de montagne – et contempler des prairies de montagne chatoyantes et des forêts par le travail des faucheurs de foin sauvage », raconte-t-il. Depuis claires, semblables à des parcs. Les câbles de transport du foin, lors, ce biologiste, aujourd’hui âgé de 50 ans, a déménagé dans les abris pour les faucheurs et les meules conservées sur place le canton d’Uri, où il dirige le service cantonal d’aménagement sont autant d’intéressants témoins de cette tradition ancestrale. du territoire. En tant que responsable du programme cantonal Le sentier-découverte des foins sauvages, récemment aménagé au d’encouragement des foins sauvages, il est amené presque pied du Rophaien – montagne de randonnée dominant Flüelen – quotidiennement à s’occuper des versants qui faisaient son est particulièrement apprécié. Inutile de dire que Georges Eich bonheur quand il était étudiant. en est un fidèle habitué. De nombreux fanages d’altitude abritent une richesse faunistique et floristique exceptionnelle et sont, de ce fait, inscrits ROLF ZENKLUSEN est journaliste à Bâle Pro Natura Magazine 3/2010 Christian Flierl Oskar Marti a enrichi le contenu de nos assiettes avec sa cuisine fraîche et naturelle. « La nature nous offre des saveurs et des couleurs extraordinaires » Il a mis la biodiversité dans nos assiettes, avec des fleurs sélectionnées et des fines herbes oubliées. Oskar Marti a été le pionnier de la cuisine naturelle. Aujourd’hui, après avoir vendu son restaurant, il met son expérience à la disposition de ses confrères et consœurs. C’était la fin du printemps, l’air était empli du parfum des fleurs corps a exactement besoin de ces aliments-là au moment où ils de tilleul. Oskar Marti venait de pêcher une truite de rivière. sont mûrs chez nous ! » C’est si simple. Soudain, comme si le poisson l’implorait de lui offrir une mort Oscar Marti s’arrête un instant, pensif, esquisse un sourire digne, il cueillit quelques fleurs de tilleul, rentra chez lui pour et reprend : « Manger, c’est vivre. » L’intuition du bienfait des cuire la truite au court-bouillon – un court-bouillon maison aliments sur le corps, l’âme et l’esprit, il l’a acquise au berceau. parfumé au tilleul. « Quel parfum extraordinaire ! », s’exclame Sa mère cuisinait avec des amis – « Oui, elle célébrait la cuisine ! » le cuisinier. Et quand le petit était malade, elle lui préparait de la tisane Nous sommes de nouveau au printemps, bien des années plus de primevère et un œuf à la coque. C’est en s’inspirant de ce tard, mais aujourd’hui l’air est empli d’une odeur de peinture souvenir qu’il créa, bien des années plus tard, une soupe aux fraîche. Oskar Marti est dans son restaurant de Münchenbuchsee, primevères avec œuf et crème – et ce fut l’un des plats phares sa célèbre Moospinte, qu’il a vendue. « Il est temps pour moi de son restaurant. de passer à autre chose », assure-t-il. Pendant 25 ans, il a tenu cet établissement avec sa femme Ursula, en gratifiant ses hôtes Jus de raisin aux 30 épices d’une cuisine originale et authentique qui a fait sa réputation. Il aurait encore beaucoup à raconter, Oskar Marti, mais le temps Car cet homme à la barbe grise, affectueusement surnommé presse; il doit donner ses instructions aux artisans, remplir des « Chrüteroski » ( Oscar des herbes ), est un pionnier de la cartons de déménagement et mettre au courant son successeur. Il cuisine naturelle. Il a créé des mets parfumés avec des fleurs tient tout de même à ajouter qu’il sera désormais un consultant sélectionnées et des fines herbes oubliées, marié des pêches avec itinérant et qu’il transmettra son expérience à ses confrères et du basilic et des groseilles avec des roses, privilégiant toujours consœurs qui souhaiteraient en profiter. Il précise aussi qu’il les produits locaux et de saison. Sa cuisine était marquée du mettra sur le marché, sous le nom d’Oskar, un jus de raisin sceau de la biodiversité. aromatisé avec 30 épices ; qu’il poursuivra le développement de sa fondation pour enfants Cocolino ; qu’il … Mais stop ! C’est Le corps a besoin de produits de saison « Je me suis toujours demandé pourquoi les légumes et les fruits ne poussent qu’à certaines périodes de l’année. C’est que notre Pro Natura Magazine 3/2010 assez pour le moment. Bon vent, Chrüteroski ! REGULA TANNER est journaliste indépendante à Oberhofen, sur les bords du lac de Thoune Christian Flierl Charmey a obtenu le label « Commune à papillons ». Roxane Stooss est récompensée de l’initiative qu’elle a prise en faveur de la biodiversité quand elle était conseillère communale. « Je n'aime pas les surfaces stériles » Quand sensibilité écologique et volonté politique se rencontrent, il devient possible de mettre toutes les chances du côté de la nature. A Charmey, Roxane Stooss en a fait l’heureuse expérience. Alors qu’elle était conseillère communale en charge de l’énergie soutenue sans retenue pour cette certification et ont accepté de et de l’environnement, Roxane Stooss a réussi à faire obtenir à sa jouer le jeu », se réjouit-elle. commune de Charmey le label « Communes à papillons » attestant de la qualité des mesures d’entretien et de la valeur écologique Montrer l’exemple des espaces verts – conditions favorables aux papillons, mais Dans un cadre naturel aussi magnifique que la région de la aussi à la faune et à la flore en général. « J’ai toujours eu de Gruyère, il n’est pas facile de faire prendre conscience aux la peine à voir de grandes surfaces vertes stériles, sans fleurs. habitants des déséquilibres qui existent et des menaces qui Cela me heurte en tant que responsable politique, mais aussi pèsent sur la biodiversité. « Je me suis souvent entendu dire en tant qu’être humain. L’idée de favoriser la biodiversité avec que tout allait bien, qu’il suffisait de regarder autour de soi cette des mesures simples m’est tout de suite apparue comme une belle nature. Malheureusement, ce n’est pas aussi simple. » évidence », explique Roxane Stooss. Une prairie à papillons au-dessus du mur de l’église, quelques plates-bandes aménagées aux abords des bâtiments scolaires, les Une région déjà sensibilisée aménagements des ronds-points aux entrées de la petite cité : La commune de Charmey s’est tournée depuis longtemps vers les mesures ne paraissent pas forcément spectaculaires. Elles le tourisme doux. Elle fait d’ailleurs partie du projet de Parc doivent avant tout servir de détonateur pour des actions de naturel régional Gruyère-Pays-d’Enhaut. Dans ce cadre, un plus grande envergure. « Je suis convaincue que si le politique réseau écologique a été mis en place par les agriculteurs de la montre l’exemple, les citoyens se sentent plus concernés et vallée. Depuis plus de dix ans, cette commune s’est aussi lancée se mobilisent davantage pour agir à titre personnel, dans leur dans les énergies renouvelables avec l’installation, notamment, jardin par exemple », précise Roxane Stooss. Elle qui se plaît d’un chauffage à bois communal; cet automne, elle essaiera à nous parler de son jardin justement – de sa haie indigène, d’ailleurs d’obtenir le label « Cité de l’énergie ». de ses talus fauchés une fois l’an, de ses herbes folles – et de Même si Roxane Stooss avançait donc en terrain conquis, du sa consommation de produits bio locaux se réjouit de voir les moins sensibilisé, elle ne pensait tout de même pas rencontrer si résultats concrets des mesures mises en place à Charmey. Ou peu de résistance de la part de ses collègues. « J’ai été surprise quand la nature – la biodiversité – reprend vite le dessus … de voir l’engouement des personnes concernées par le projet : élus politiques, employés communaux, population, tous m’ont FLORENCE KUPFERSCHMID-ENDERLIN est rédactrice romande du Magazine Pro Natura Pro Natura Magazine 3/2010 Christian Flierl « Le sol doit être en mouvement » La Ville de Bâle produit la moitié de son eau potable par percolation d’eau du Rhin dans un sol forestier. Le biologiste Daniel Rüetschi le sait mieux que quiconque : cela n’est possible que grâce à la présence d’une grande variété d’espèces dans ce sol. « Une telle filtration n’est réalisable que dans un écosystème particulièrement riche en espèces, tel ce site alluvial. » Daniel Rüetschi contemple avec fascination la portion de forêt inondée des Langen Erlen, près de Bâle. « Ici, les plantes doivent supporter de se trouver 10 jours sous l’eau. Ensuite l’endroit est de nouveau sec durant 20 jours », explique ce biologiste et « Ici, les plantes doivent supporter de se trouver dix jours sous l’eau. » Daniel Rüetschi, au cœur de la gigantesque station d’épuration des eaux des Langen Erlen, près de Bâle. géographe. Depuis des dizaines d’années, c’est par réalimentation artificielle de la nappe phréatique dans les Langen Erlen que la Ville de Bâle produit la moitié de son eau potable. A cet effet, des secteurs boisés sont noyés périodiquement pendant dix jours avec de l’eau du Rhin préfiltrée. Ce processus d’épuration permet d’obtenir une eau potable de qualité irréprochable; le sol alluvial fonctionne comme un filtre autonettoyant. Importance de l’ombrage … Le soleil printanier perce timidement les frondaisons ; cette portion de forêt inondée est jonchée de feuilles et de bois mort. Daniel Rüetschi souligne l’importance des arbres et arbustes ainsi que de la végétation alluviale, qui ombragent le site. Sans eux, l’eau deviendrait trop chaude en été et cela provoquerait une prolifération de germes pathogènes et d’algues qui compromettrait sa potabilité. de terre », précise notre interlocuteur. Cette faune évolue dans « C’est principalement dans les couches non saturées, entre le sol en formant constamment, avec les racines des végétaux, deux et quatre mètres de profondeur, qu’intervient le processus de nouveaux pores par lesquels l’eau s’infiltre. Les lombrics d’épuration », explique Daniel Rüetschi. En étudiant, pour sa survivent bien aux phases d’inondation, alors que les petits thèse de doctorat, les mécanismes de purification de l’eau dans mammifères vont trouver refuge au sec quand l’eau arrive. les Langen Erlen, il a observé que l’eau s’infiltrait à une vitesse de un à deux mètres par jour à travers les différentes strates comme sa poche. « J’ai grandi dans la région ; ici, c’était mon du sol alluvial, pendant que des bactéries décomposaient les terrain de jeux », raconte ce Bâlois de 39 ans, codirecteur d’un Les forêts des Langen Erlen, Daniel Rüetschi les connaît substances organiques nocives – par exemple des résidus de bureau d’études en environnement. Depuis son enfance, il est pesticides et de médicaments – parvenant dans le Rhin avec les fasciné par ce paysage alluvial, qui a été façonné jusqu’à la fin eaux usées. du XIXe siècle par les hautes et basses eaux de la Wiese, et qui est resté relativement proche de l’état naturel malgré la mise sous … et d’un sol dynamique terre de cette rivière. « Dans les zones inondées, de nombreux Pour que le sol puisse faire son office de filtre autonettoyant, organismes travaillent de concert, formant un écosystème quasi il faut qu’il soit en mouvement et qu’il y ait une importante naturel. » Autrement dit : une biodiversité préservée garantit une diversité des espèces. « Les animaux fouisseurs y contribuent, eau potable propre. notamment les mulots sylvestres et diverses espèces de vers ROLF ZENKLUSEN est journaliste à Bâle Pro Natura Magazine 3/2010 dossier Christian Flierl 12 « La nature est notre pharmacie » Elle a appris la nature comme elle a appris à marcher, déclare Germaine Cousin. Cette Valaisanne de 84 ans s'est donnée pour mission, sa vie durant, de transmettre ses vastes connaissances des plantes. « Chaque plante a un nom, et chacune, ou presque, une vertu. Un vrai miracle. » Germaine Cousin possède une profonde confiance en la richesse de la nature. Pro Natura : Germaine Cousin, d’où vient cette passion pour les plantes bienfaisantes ? Germaine Cousin : De ma mère et de mon grand-père. Ce sont eux qui m’ont enseigné les vertus de chaque plante qui nous entoure et que l’on trouve au bord des chemins. Je pense à ces petites fleurs violettes qui n’ont l’air de rien sur les talus, revenions jamais à la maison les mains vides. Nous avons appris par exemple : c’est de la sarriette des montagnes. Un régal sur la nature comme nous avons appris à marcher. La nature est riche la langue ! Quant aux jeunes bourgeons de sapin, ils ont le goût et généreuse; il faut apprendre à la connaître, à l’apprivoiser et à du citron. Pour le savoir, il faut goûter, évidemment. en tirer les bienfaits. A 12 ans, j’ai été victime d’un grave accident La nature a donc toujours fait partie de votre quotidien ? pas d’enfant. Mais ma maman m’a dit qu’entre le Bon Dieu et elle, Enfant, je gardais les vaches à l’alpage avec mes frères et sœurs. les remèdes de la terre et m’a massée pendant deux ans avec du de luge; on pensait que je resterais paralysée et que je n’aurais Les pâturages environnants servaient de pharmacie. Ainsi, nous ne ils pouvaient faire des miracles. Elle m’a appliqué chaque jour millepertuis (pour regonfler les coussinets entre les vertèbres), de la teinture d’arnica (en guise d’anti-inflammatoire), et de l’huile Pro Natura : un engagement pour la biodiversité de 101 ans Pro Natura s’engage pour la biodiversité depuis plus d’un siècle, bien avant que le concept même n’existe. Et elle continuera de le faire puisque la Suisse ne réussira pas à stopper le recul de la biodiversité comme elle s’était engagée à le faire d’ici à 2010. Avec sa campagne « Biodiversité – la vie, ma vie », Pro Natura demande : • Que la Confédération élabore et mette en œuvre une stratégie efficace pour la biodiversité ; • Que la Confédération et les cantons investissent davantage d’argent dans la préservation et la mise en réseau des biotopes ; • Que la Confédération et les cantons fassent progresser la protection des eaux et permettent aux fleuves et aux rivières de s’écouler plus naturellement ; • Que la Suisse réduise de 30 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 ; • Que l’être humain tienne compte de la biodiversité dans toutes ses activités. Pro Natura encourage elle-même la biodiversité : • Nous nous investissons pour que la Confédération et les cantons prennent leurs responsabilités à l’égard de la biodiversité. • Nous agrandissons nos réserves naturelles pour protéger des espèces et des habitats naturels. • Nous revitalisons des rivières et améliorons le régime hydrologique des marais. • Nous encourageons spécifiquement certaines espèces végétales et animales menacées. • Nous montrons aux enfants et aux jeunes pourquoi la biodiversité est importante pour l’être humain et comment ils peuvent contribuer à sa sauvegarde. d’astragale pois chiche (pour éviter les escarres). A 84 ans, je marche encore et je suis grand-mère … Le monde a changé et la médecine a évolué. N’avezvous jamais cru aux médicaments ? Je ne suis pas contre les médicaments, mais contre l’abus de médicaments. A l’époque, il est vrai que consulter le médecin voulait dire rejoindre Sion à pied ou à dos de mulet par des chemins escarpés. On faisait donc plutôt avec les moyens du bord: la sage-femme connaissait les remèdes pour les humains, un paysan du village ceux pour les animaux. Les plantes ont su me soulager et me soigner : elles m’ont donné une confiance qui ne m’a jamais quittée. Aujourd’hui, le retour au naturel est à la mode. Cela vous dérange-t-il ? Non, je pense que l’on revient toujours à l’essentiel. Les gens comprennent petit à petit que la santé, c’est l’affaire de chacun d’entre nous. Il faut se prendre en main, faire de la prévention. Les maladies, on les laisse au médecin. Nous avons tout à disposition pour faire des cataplasmes, des tisanes, des sirops, des alcoolats, des élixirs et des pommades. Je le répète souvent : une alimentation équilibrée, une vie harmonieuse et les secrets de Mère Nature sont les clés de l’équilibre et de la sagesse. Vous aimez la nature, mais aussi la transmission du savoir, non ? Tout à fait. Ce que l’on a reçu, il faut le transmettre. C’est comme cela d’ailleurs que tout a commencé pour moi dans les Pro Natura Magazine 3/2010 dossier 13 Susanne Schenker à-propos Beat Jans, chef de la division Politique et affaires internationales Adieu coucou, on t’aimait bien! Mes filles connaissent le chant du coucou mâle. Elles aiment aussi les chansons populaires dans lesquelles le coucou prend congé années septante. De retour dans mon Valais natal, j’ai entrepris de l’hiver. Malheureusement, elles n’ont jamais entendu chanter de recueillir auprès des anciens les recettes traditionnelles et un vrai coucou. Ce messager du printemps, jadis omniprésent, a populaires de prévention pour qu’elles ne tombent pas dans presque disparu de nos régions. Dans quelques années, c’est de l’oubli. Même si je connaissais les plantes, j’avais de grosses nous tous qu’il aura pris congé, et pour de bon. A l’instar du lacunes. En parcourant le Val d’Hérens, j’ai rencontré de rossignol, de la chouette chevêche et d’une trentaine d’espèces de nombreuses personnes âgées qui m’ont spontanément confié papillons indigènes. leurs connaissances. Véronique germandrée, vipérine, ortie, Le tout dernier coucou s’éteindra sans faire de bruit. Encore une millepertuis, sauge officinale, la liste est longue : chaque plante expérience dont nos enfants seront définitivement privés. Quand a un nom, et chacune, ou presque, une vertu. Un vrai miracle. une espèce disparaît, elle le fait silencieusement, furtivement. C’est sans doute pour cela que la biodiversité est à peine mentionnée Vous semblez solide comme un roc. D’où tirez-vous cette belle énergie ? Certes, le Conseil fédéral travaille à une stratégie sur la biodiversité. Je suis en harmonie avec les éléments qui m’entourent, et je l’ai Mais le danger est grand que gouvernement et parlement négligent dans l’agenda politique. toujours été. Un jour que je passais à côté d’un vieux mélèze d’envisager des mesures efficaces et un financement suffisant magnifique, j’ai eu le sentiment qu’il « m’appelait ». Il est pour la concrétiser. Au lieu d’annoncer une dotation budgétaire devenu « mon » arbre. Depuis, c’est auprès de lui que je viens qui permette, au minimum, de satisfaire au mandat fédéral de me ressourcer. Je lui demande la permission, je le prends dans protection des biotopes d’importance nationale, le Conseil fédéral mes bras, je m’imagine descendre dans la terre au bout de ses a fait connaître son tout nouveau paquet d’économies. Les coupes racines. Je capte ensuite l’énergie d’en haut avec ses branches prévues n’épargnent pas la biodiversité. Les intérêts économiques à et je la fais circuler. Ainsi, mes batteries sont rechargées. court terme et les réductions d’impôts ont la priorité, ces temps-ci. Nous devons donc impérativement nous mobiliser. La disparition Outre les livres que vous écrivez, vous êtes très demandée pour transmettre vos connaissances. Quels sont vos projets ? Des choix politiques résolus doivent être faits pour préserver Je continue de faire des ateliers dans mon mayen Méritzo, choix soient motivés par des considérations économiques – la perché à 1630 mètres d’altitude au-dessus de Saint-Martin. De biodiversité étant la principale ressource de l’avenir – ou, plus mai à septembre, je transmets aux visiteurs les recettes santé fondamentalement, par un profond respect de la création et de d’espèces ne doit pas être acceptée comme une donnée immuable. la diversité des êtres vivants et des milieux naturels. Que ces de nos grands-mères et la cuisine végétarienne aux plantes son infinie beauté, il existe mille raisons d’accorder une haute sauvages. A fin mars, cette année, la Fondation Germaine importante à la protection de la biodiversité. Cousin a été constituée. Dans un premier temps, nous avons Moritz Leuenberger l’a déclaré dernièrement: «A une époque où pour objectif de créer un jardin botanique du Val d’Hérens la pensée économique s’étend à quasiment tous les domaines, avec toutes les plantes et fleurs que l’on trouve dans notre l’environnement doit pouvoir compter sur des personnes qui se belle vallée. Il y a des plantes qui disparaissent, comme la mobilisent pour lui et sur une organisation comme Pro Natura.» maroube ; j’aimerais que nous puissions la sauver. Ensuite, nous L’ancien conseiller Alphons Egli l’a exprimé encore plus clairement projetons un centre de santé où l’on prodiguerait les remèdes il y a de cela plusieurs années: «Dieu merci, Pro Natura existe de la nature et où l’on perpétuerait les gestes ancestraux. La encore, pour de temps à autre revendiquer ce que la nature ne transmission …j’y reviens toujours ! Interview : Florence Kupferschmid-Enderlin, rédactrice romande du Magazine Pro Natura Pro Natura Magazine 3/2010 peut revendiquer elle-même.» Et Pro Natura va revendiquer. Car la biodiversité mérite mieux qu’une simple note marginale sur l’agenda des parlementaires !