Introduction

Transcription

Introduction
27
Convaincre…
– contes (notamment contes philosophiques de Voltaire) ;
– roman/apologue : Le Petit Prince de Saint-Exupéry, L’Alchimiste de
Coelho…
– utopies : l’abbaye de Thélème dans Gargantua, Les voyages de Gulliver de Swift…
– contre-utopies : La Ferme des animaux, 1984 de G. Orwell, Fahrenheit
451 de Bradbury…
• Mais recourez aussi à d’autres genres :
– pièces de théâtre à teneur argumentative : Beaumarchais, Le Mariage
de Figaro ; Marivaux, L’Île des esclaves, la Nouvelle Colonie ; Anouilh,
Antigone ; Ionesco, Rhinocéros…
– romans : Hugo, Les Misérables ; Zola, Germinal ; Camus, La Peste…
Le théâtre
« TOUT EST POUR LE PIRE… » • DISSERTATION • SUJET
La poésie
27_FRA070631_07C.fm Page 191 Lundi, 30. juillet 2007 2:23 14
Amorce : Pour éduquer les enfants, on recourt aux histoires, peuplées de
personnages inventés, souvent destinées à forger leur vision de la vie ou à
les édifier. L’âge adulte oublie un peu ce goût du récit, en tout cas considéré comme moins sérieux que les autres formes d’argumentation.
Cependant des écrivains comme La Fontaine et Voltaire savent le parti que
l’on peut tirer de la force argumentative de la fiction. Pour La Fontaine :
« Une morale nue apporte de l’ennui
Le conte fait passer le précepte avec lui » ( « Le Pâtre et le Lion », VI, 1)
Sujet à traiter : Pour emporter l’adhésion de son auditoire, quels atouts présente la fiction ? Pourquoi certains écrivains ont-ils recours à des fictions
pour faire passer leur message ?
Annonce du plan : Les atouts de la fiction pour argumenter ; d’autres stratégies seraient-elles plus « efficaces » pour dénoncer ou défendre ?
d’éventuelles limites ?
© Hatier 2007
191
C O R R I G É
Sujets d’oral
Introduction
Les réécritures
Nous vous proposons un plan auquel vous pourrez ajouter vos propres
exemples et que vous pouvez vous exercer à rédiger.
Le roman
C O R R I G É
27_FRA070631_07C.fm Page 192 Lundi, 30. juillet 2007 2:23 14
« TOUT EST POUR LE PIRE… » • DISSERTATION • SUJET
27
I. La fiction : vivacité et liberté ; du côté de l’auteur…
1. Variété, diversité et vivacité pour piquer la curiosité et
susciter l’intérêt : « plaire »
Dans « Le pouvoir des fables », fable de La Fontaine (« Le pouvoir des
fables », VIII, 4), un orateur de l’Antiquité essaie de retenir l’attention de son
auditoire en multipliant les arguments. Peine perdue ! En leur racontant une
histoire, il se fait écouter…
a. La variété des genres de fiction
• L’apologue
– les fables : avec leurs récits remplis d’animaux, d’objets, de végétaux qui
se conduisent comme des hommes, elles composent un monde merveilleux
et en même temps réaliste (exemples).
– les contes philosophiques : récits fictifs, souvent plaisants, action mouvementée avec leçon morale ou philosophique – XVIIIe siècle, Voltaire (Candide,
Zadig).
• Le théâtre
ex : Marivaux, L’Île des esclaves : une utopie sur scène.
Pour Hugo : « Le théâtre est une tribune », l’« histoire » de héros au service
des idées libérales de Hugo en faveur du peuple (Ruy Blas).
Giraudoux, La Guerre de Troie n’aura pas lieu, un plaidoyer pour la paix
avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale.
• Les romans : le roman à portée sociale (Germinal de Zola).
b. La variété des types de personnages, donner corps à des idées
abstraites
• Des bons, des méchants, des personnages proches de la réalité, des personnages fantaisistes… À développer à partir de vos connaissances
personnelles.
• La fiction permet de donner corps à des abstractions en illustrant les idées
abstraites.
c. La variété des registres possibles
• La multiplicité des registres possibles : humour, pathétique… (exemples).
2. La fiction : la marge de liberté laissée au créateur : une
histoire et des êtres selon les nécessités de la « démonstration »
La fiction qui attire permet aussi de mieux diriger l’esprit de son lecteur.
a. « Composer » son histoire de toutes pièces
• La liberté d’accentuer les situations et les événements : les péripéties au
service de la dénonciation ou du plaidoyer.
• Les événements et les actions n’étant pas historiques, on peut les exagérer
pour apitoyer le lecteur (pathétique) ou pour le faire rire (comique, ironique).
© Hatier 2007
192
C O R R I G É
c. Reconstituer toute une époque pour élargir son champ
d’argumentation
• En reconstituant à sa volonté tout un monde de personnages fictifs, un
auteur peut élargir sa dénonciation à tous les niveaux de son époque.
Ex : Beaumarchais peut, dans son Mariage de Figaro, critiquer plusieurs
types de la société du XVIIIe siècle : les aristocrates et les séducteurs – Le
Comte Almaviva –, les gens de justice – Brid’oison –, mais aussi prendre la
défense des opprimés, les femmes – Marceline – et les valets – Figaro – :
toute la société du XVIIIe siècle est réunie pour dénoncer les privilèges et
défendre les faibles.
d. Plus vrai que le réel
• Le « traitement » de l’histoire et des personnages, le style et le savoir-faire
de l’écrivain arrivent parfois à faire croire qu’il s’agit d’histoires réelles.
Ex : Balzac qui voulait « faire concurrence à l’état civil » donne à ses personnages de la Comédie humaine un nom et un prénom ; une origine, un
passé ; un physique très précis (le mollet du père Goriot) ; une situation
sociale, une profession. Mais tout cela reste fictif.
e. Le cas des mythes : propres à la transformation et à la réécriture,
c’est-à-dire intemporels et universels : plus vrais que le réel
• Ils sont fictifs, ils préexistent à la création littéraire, mais sont tellement
« représentatifs » d’un trait ou d’un comportement qui dépasse les époques,
qu’ils en deviennent presque vrais.
Ex : Antigone du Ve siècle avant J.-C. (Sophocle) et Antigone du XXe siècle
(Anouilh) ; Dom Juan.
Ils en prennent plus de force persuasive.
Le théâtre
b. Simplification et grossissement pour mieux démontrer
• Possibilité de grossir une de ses caractéristiques pour rendre la démonstration plus claire, plus évidente. Les personnages sont plus frappants.
Ex : Harpagon et son avarice ; Alceste et sa misanthropie ; personnages des
contes philosophiques de Voltaire (Candide)…
Convaincre…
• L’auteur peut choisir ses personnages et les adapter à sa démonstration
– en faire une victime ou le rendre totalement sympathique
Ex : Daudet dans « La cervelle d’or », Fantine dans Les Misérables.
– le rendre particulièrement odieux
Ex : Javert dans Les Misérables.
Le roman
27
Sujets d’oral
« TOUT EST POUR LE PIRE… » • DISSERTATION • SUJET
La poésie
27_FRA070631_07C.fm Page 193 Lundi, 30. juillet 2007 2:23 14
© Hatier 2007
193
C O R R I G É
Les réécritures
f. Et, éventuellement, une stratégie pour déjouer la censure…
• La fiction permet de déjouer la censure :
– par le recours à l’ironie ;
– par les vertus de la transposition.
27_FRA070631_07C.fm Page 194 Lundi, 30. juillet 2007 2:23 14
« TOUT EST POUR LE PIRE… » • DISSERTATION • SUJET
27
II. La force de persuasion de la fiction :
du côté du lecteur…
Le récit fictif s’adresse plus à l’affectivité, à l’imagination ; il est plus propre
à persuader. Le charme de la fiction…
Ex : certaines situations et certains personnages poétiques, comme le jardinier dans Électre de Giraudoux…
1. Une affaire de plaisir
a. Le plaisir de la lecture ou du spectacle : la saveur du divertissement
Fait appel au goût pour les histoires : on s’intéresse aux personnages, aux
rebondissements, à l’action (exemples)
« Au moment où je fais cette moralité,
Si Peau d’Âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême » ( « Le Pouvoir des Fables », VIII, 4)
b. Le plaisir de l’évasion
• Permet l’évasion dans d’autres mondes (Eldorado dans Candide).
• Les utopies : description d’un monde idéal qui sert de repoussoir à notre
monde, société qu’il critique (exemples).
• Admet le merveilleux (exemples de contes).
2. La force d’identification
a. La sympathie (au sens propre) ou l’identification
• Le lecteur/spectateur vibre au gré de ce qui arrive aux personnages auxquels il s’attache (ex du corpus) : émotion. Les spectateurs pleurent au
théâtre ou au cinéma (ex).
• On peut « se prendre pour… » : influence d’un modèle ou d’un contremodèle sur le lecteur (ex).
→ Tout cela est plus propre à persuader qu’à convaincre.
3. Une façon différente de faire passer et de comprendre
le message
a. Un message plus facile à comprendre
Des idées en action, des idées incarnées (ex), plus concrètement perçues.
b. Persuader plus que convaincre
• Évite le discours théorique ou le limite au minimum ; pas de ton didactique
apparent (exemples).
• Touche un large public, lecteur ou spectateur… de tous âges (les fables
– quoi qu’en pense Rousseau –, idéales pour les enfants… et les adultes !)
© Hatier 2007
194
C O R R I G É
4. Le type de « raisonnement » qu’implique le recours à la fiction
d’un récit : le lecteur sollicité
Cela met le lecteur dans de bonnes dispositions pour entendre le message.
Après l’imagination, le travail de la raison…
a. La démarche inductive
De l’exemple à la généralisation, du concret à l’abstrait : la vertu de
l’exemple.
• Parle à l’imagination avant de parler à l’esprit.
• Le lecteur suit l’histoire sans penser à la morale : il se laisse entraîner et
surprendre par la logique du raisonnement (inductif).
b. Un lecteur actif
• Nécessité d’interpréter, de faire des hypothèses pour saisir le message.
• Le recours à la fiction oblige le lecteur à un effort d’interprétation : il doit
réfléchir pour « traduire » le récit (exemples).
c. Le plaisir de décoder et de transposer
• Plaisir de décoder les intentions de l’auteur (le même plaisir que dans la
devinette).
• Transposition nécessaire dans notre monde.
La partie qui suit n’est pas indispensable pour répondre au sujet de dissertation (dont la question est « Comment… ? » et non « Dans quelle mesure… ? ».
Mais elle peut enrichir la réflexion.
© Hatier 2007
195
C O R R I G É
Le théâtre
Convaincre…
c. Piégé par la fiction ? Le cas des personnages non humains
et de l’apologue
• Des personnages non humains : la démonstration avec des animaux, des
objets ou des végétaux, dans les fables, les contes, les apologues en
général facilite le « passage » à la critique : on admet aisément la critique
d’un personnage différent de soi, d’un autre monde, présenté comme fictif ;
mais, une fois le récit fini, la transposition nous est imposée. L’auteur a
« imposé » sa démonstration.
Ex : Le Lion ou le Loup des fables ; Rhinocéros, de Ionesco.
Le roman
• Une affaire d’émotion : fait appel aux émotions, à l’affectivité (on s’attache
aux personnages). La sympathie au sens propre avec le personnage.
• Au théâtre, la fiction du récit s’impose avec d’autant plus de force au
spectateur que le personnage est vu et entendu : l’illusion théâtrale joue par
le biais des sensations.
Sujets d’oral
27
Les réécritures
« TOUT EST POUR LE PIRE… » • DISSERTATION • SUJET
La poésie
27_FRA070631_07C.fm Page 195 Lundi, 30. juillet 2007 2:23 14
27_FRA070631_07C.fm Page 196 Lundi, 30. juillet 2007 2:23 14
« TOUT EST POUR LE PIRE… » • DISSERTATION • SUJET
27
III. Des limites à l’argumentation par la fiction ?
L’efficacité sous condition…
Choisir la fiction pour argumenter exige cependant des précautions…
1. Les précautions à prendre quand on argumente
à travers la fiction
a. Ne pas faire « trop simple » !
• Éviter la simplification excessive par le récit allégorique d’une réalité
complexe : le risque de la caricature. On n’y croit pas… (ex : Ubu roi de
Jarry)
• Manque de nuances, grossissement qui empêche qu’on adhère au récit
(c’est un peu le cas dans La Princesse de Babylone de Voltaire) ;
conscience d’une simplification de la vie.
b. Éviter une fiction « trop artificielle » !
• Parfois la fiction semble faite sur mesure : on sent l’« histoire » créée pour
les besoins de la démonstration.
Ex : on peut rester insensible au destin de Candide… Les personnages de
Candide ressuscitent quand Voltaire en a besoin. On s’apitoie moins sur lui.
Ex : le lecteur est plus touché par le sort du Chevalier de La Barre, qui a
réellement existé et dont parle Voltaire dans son article « Torture » du Dictionnaire philosophique (surtout au XVIIIe siècle), que par celui de Candide.
c. Rendre le message décelable… et éviter que la fiction
ne cache le message
• Éviter que la fiction n’aboutisse à une interprétation erronée par un lecteur
peu averti :
– les enfants, par exemple : cf. les réserves de Rousseau, qui pense que les
fables ne conviennent pas aux enfants et qu’elles sont amorales : ils admirent le Renard qui trompe le Corbeau, ou approuvent la Fourmi qui
repousse la Cigale.
– ainsi, l’implicite et l’humour sont parfois difficiles à saisir ; l’ironie (des
contes philosophiques par exemple) exige recul et distanciation.
• Dans le cas de l’apologue, du roman à idées, l’intérêt pour la fiction
domine et occulte le message qu’est censé véhiculer l’histoire. L’« histoire »
à laquelle on s’attache pour elle-même, cache l’idée et, une fois le récit fini,
le lecteur n’abstrait pas. À quoi bon philosopher sur une histoire qui n’est
qu’imaginaire ?
Ex : on est plus frappé par le sort pathétique de Julien Sorel que par ce qu’il
représente.
• Éviter que la séduction excessive du récit ne fasse passer la « morale » en
arrière-plan ou même l’occulte complètement.
© Hatier 2007
196
C O R R I G É
27
d. Éviter que la fiction ne dédramatise ou banalise
• Savoir qu’il ne s’agit que d’une fiction risque de banaliser des situations
parfois tragiques (exemples personnels).
→ Risque que le plaisir l’emporte sur l’instruction.
e. Malgré tout, les mérites de l’argumentation directe…
L’argumentation explicite, directe, a le mérite d’être claire, de ne pas prêter
au contresens (pamphlets, plaidoyers et essais) : le thème abordé est clair,
la thèse aussi.
La fiction ne fait pas écran entre les idées de l’auteur et la compréhension
du message (exemples personnels).
Le théâtre
« TOUT EST POUR LE PIRE… » • DISSERTATION • SUJET
La poésie
27_FRA070631_07C.fm Page 197 Lundi, 30. juillet 2007 2:23 14
2. Les conditions idéales pour que l’argumentation par la fiction
soit efficace
b. Tenir compte de la sensibilité d’une époque
• À chaque époque, une sensibilité différente : le XVIIIe siècle, brillant, léger,
apprécie les démonstrations indirectes et ironiques des contes philosophiques ;
la fin du XIXe siècle, scientiste et positiviste, se reconnaît dans des essais
fouillés et argumentés.
Le roman
a. Tenir compte du public visé, de la sensibilité du lecteur
• Jeune public ? tout public ? public « spécialisé » ? pour chaque public,
une stratégie différente pour convaincre.
• Un lecteur trop impliqué dans le problème abordé (par la fiction) supporte
mal que l’on fasse de la réalité une fiction (ex : cas des déportés et des
camps de concentration ; même problème avec le cinéma : La vie est belle
de Benigni : peut choquer).
Convaincre…
L’efficacité du choix de la fiction pour argumenter dépend aussi de certains
facteurs.
© Hatier 2007
197
C O R R I G É
Les réécritures
d. Pour être écouté, compris et suivi, un auteur peut jouer sur les deux
tableaux…
Beaucoup d’auteurs, les plus efficaces, recourent aux deux stratégies.
• Montesquieu est l’auteur des Lettres Persanes (roman épistolaire fictif qui
fait la satire humoristique des mœurs mais aussi du pouvoir politique et religieux de son temps) et de De l’Esprit des lois, traité de sociologie et de
philosophie politiques.
• Hugo, auteur des Misérables, fiction aux multiples personnages, mais
aussi de discours prononcés devant les représentants de la nation.
Sujets d’oral
c. La personnalité de l’auteur
• Cette forme d’argumentation convient aux auteurs fantaisistes, imaginatifs, ayant le goût d’une certaine créativité. Ils prendront plaisir à convaincre
par « une histoire ».
27_FRA070631_07C.fm Page 198 Lundi, 30. juillet 2007 2:23 14
« TOUT EST POUR LE PIRE… » • DISSERTATION • SUJET
27
• Les philosophes « existentialistes » du XXe siècle, Sartre et Camus, développent leurs idées dans des essais très argumentés et relativement ardus
– mais ils mettent aussi leurs idées en scène dans des pièces vues par un
large public : Les Mouches, Huis Clos pour Sartre, Caligula pour Camus.
3. Et si on mélangeait les deux ? L’efficacité du mélange de la
fiction et de la réalité
Certains auteurs, dans une même œuvre, mélangent réalité et fiction.
Ex : Hugo, dans Quatre-vingt-treize, met en scène Danton, Robespierre
– des révolutionnaires qui ont réellement existé – et des personnages fictifs,
dont le héros Gauvain (les premiers donnent de l’authenticité à ce dernier).
Conclusion
La littérature qui s’éloigne du réel et nous transporte dans l’imaginaire
permet souvent de mieux comprendre le monde. Puissance de l’allégorie et
de la littérature symbolique (littérature engagée). Répond au désir de « plaire
et instruire ».
Réalité ou fiction ? Argumentation directe ou indirecte ? L’efficacité de ces
stratégies dépend de nombreux facteurs : le contexte, les aptitudes du
créateur, la sensibilité du destinataire…
La combinaison des deux stratégies qui se complètent permet d’engager
toutes les sortes de public dans les débats d’idées : dans l’Antiquité, le
jeune qui voulait faire carrière dans le politique, exercer des responsabilités
dans la cité, devait maîtriser toutes les techniques les plus variées de l’art
oratoire et de la persuasion, en recourant aussi bien aux « histoires » avec
des « personnages » qu’aux arguments directs. Il en va de même de nos
jours.
© Hatier 2007
198
C O R R I G É