Excellence HA

Transcription

Excellence HA
JUILLET 2015
4
Excellence
HA
THE BRIDGE BETWEEN RESEARCH AND FIELD APPLICATION IN PURCHASING
Mot de la rédaction
P.2
Mot d’introduction
du « guest editor »
P.3
Note aux futurs contributeurs
de la revue « Excellence HA »
P.4
DOSSIER N°1
P.5
La relation PME-Grands groupes :
Ou comment développer les effets des
stratégies achats des Grands Groupes en
optimisant leurs relations avec les PME
MÉLODY BRARD, ERIC VINONNEAU, EVAN
VALAT, FRANÇOISE ODOLANT ET GUY ELIEN
Le point de vue d’une chercheuse P.17
Les Acheteurs
comme acteurs
d’une économie
Responsable
MARIE GOMEZ-BREYSSE
DOSSIER N°2
P.19
Le métier d’acheteur, une contribution
à la responsabilité de l’entreprise ?
JULIETTE DUPILLE
Le point de vue d’une chercheuse P.28
FABIENNE FEL
DOSSIER N°3
Et si parfois bien acheter
c’était être fidèle ?
P.30
RICHARD CALVI
Le point de vue d’un praticien
JEAN POTAGE
P.41
PRÉSENTATION DES THÈSES
P.44
Acheter en Europe plutôt qu’en Chine :
une question de responsabilité sociétale
de l’acheteur ?
P.45
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ANNE BOURBIGOT
La contribution des achats d’emballages
à une politique d’achats durables P.48
LUCILA RODARO
CRITIQUE CROISÉE D’OUVRAGES P.54
COMITÉ DE RÉDACTION
ET COMITÉ SCIENTIFIQUE /
EDITORIAL BOARD
P.55
itrer
Achats Responsables : Les 3Ws
Comment mesurer la performance durable
tout en définissant des best practices P.51
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JEAN-LOUIS MARTIN
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E
MOT DE LA RÉDACTION
Hugues
Poissonnier,
Nicolas
Kourim,
Rédacteur
en chef
Président
du Comité
Scientifique /
Editorial
Board
Richard Calvi,
François
Girard
membre du
comité de
rédaction
membre du
comité de
rédaction
L
a notion d’Achats Responsables se développe et s’étend à travers les secteurs de notre économie. Est-ce juste un effet
de mode, qui suit dans le sillon du grand frère de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) et du Développement
Durable (DD) ? Une nouvelle façon pour les Directions Générales – et les Directions Achats – de montrer que nos
entreprises sont de bons élèves au niveau national et international ? Ou alors est-ce un vrai mouvement de fond, qui
accompagne la nouvelle quête du sens de nombreux acteurs économiques – individuels et collectifs. Un premier pas dans
la direction d’une économie plus sociale et plus solidaire ?
Parfois on semble vouloir faire du neuf avec du vieux, en rajoutant tout simplement le terme de « Responsables » à une
définition somme toute traditionnelle des Achats. L’expérience montre malheureusement qu’il ne suffit pas de repeindre
l’emballage pour que le contenu change.
Parfois on trouve une définition plus complète, qui mentionne les aspects environnemental, social, économique et éthique
de manière structurée. Mais est-ce que ce vaste thème, qui englobe à la fois méthodes, culture et état d’esprit, peut à ce
jour être réduit à une simple explication technique ?
Ce qui semble certain est que c’est un sujet qui ne laisse pas indifférent et qui semble porter en lui le potentiel d’une
évolution substantielle de notre métier. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de le couvrir à plusieurs reprises,
sous des angles différents, dans les années à venir.
A travers toutes ces facettes des Achats Responsables, nous avons constaté avec surprise qu’on ne parle toutefois que
très rarement de la Responsabilité de l’Acheteur. Et pourtant l’Acheteur a une vraie responsabilité sociétale dans son
rôle. Il fait et défait, directement ou indirectement, des entreprises, des économies – à travers ses actions et ses décisions
d’acheter, d’acheter de manière responsable, ou de ne pas ou plus acheter.
L’Acheteur doit donc pouvoir « monter en grade » grâce au poids de cette mission et en assurant une approche professionnelle de son déploiement, mais il devra en contrepartie, assumer la responsabilité globale de son rôle, et avoir le
Courage de faire des choix, parfois à l’encontre de la pression à court terme de sa hiérarchie, dans un objectif de
développement « responsable » et « durable ».
Les Achats Responsables nous semblent donc à la fois une vraie opportunité, pour notre métier et pour nos sociétés, et
un profond changement de posture pour l’Acheteur, nous forçant à « sortir de l’ombre », à prendre des risques, à assumer
ouvertement et activement nos convictions en interne plus encore que vis-à-vis de l’extérieur, et nous aidant par
conséquent à grandir – avec tous les droits et tous les devoirs qui incombent aux Grands.
Dans ce contexte nous devrons plus que jamais chercher le contact avec nos pairs à l’extérieur de nos organisations pour
nous permettre de partager les succès et les échecs et profiter du soutien de la communauté des Acheteurs « Responsables » dans des moments critiques, lorsque nous serons face à des choix nouveaux, et parfois difficiles.
C’est à cet effet que nous aimerions engager le débat avec vous, recueillir vos expériences, vos suggestions, vos commentaires via [email protected] – pour continuer à identifier des pistes d’évolution et donner chair peu à peu à
cette belle notion d’Achats Responsables. n
Nicolas Kourim
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Excellence HA n°4
MOT D’INTRODUCTION
DU « GUEST EDITOR »
E
n tant qu’enseignant-chercheur, travaillant depuis de nombreuses années sur la
mise en œuvre de politiques responsables dans les services Achats des sociétés
françaises, j’ai pris beaucoup de plaisir à coordonner ce numéro spécial d’Excellence
HA, dédié au thème de la « Responsabilité de l’Acheteur ». Et à constater, qu’au-delà des «
simples » politiques d’achats durables, au cœur de nombreuses recherches depuis plusieurs
années, cette notion de responsabilité s’étend aujourd’hui à la notion de responsabilité
envers les fournisseurs, aussi bien qu’à la notion de responsabilité sociétale, ou plus
exactement territoriale.
Fabienne Fel
De par sa position aujourd’hui stratégique dans l’entreprise, l’acheteur est en effet à même
d’influer sur son environnement, interne mais surtout externe, notamment au travers de
ses relations avec les fournisseurs. Certes, comme l’ont démontré de nombreuses études,
il peut amener ces derniers à se comporter de façon plus respectueuse de l’environnement
et de ses salariés, sous réserve que ne soient pas simplement attendus des « savings » de
sa part. Mais il peut aussi gérer de façon plus éthique les relations avec ses fournisseurs,
surtout s’il s’agit de PME, dans une relation classiquement qualifiée de « gagnant-gagnant ».
Il peut aussi choisir de se tourner vers des fournisseurs européens, voire Français, pour aider au rétablissement du
tissu industriel national.
Professeur Associé ESCP
Europe, Directrice
Scientifique du Mastère
Spécialisé en Management
Stratégique des Achats et
de la Supply Chain
Les dossiers présentés dans ce numéro ont pour but d’étayer cette démonstration, au travers d’exemples vécus –ou
observés- par les auteurs. A la tête du Pôle Acheteurs, Chartes et Label pour la Médiation inter-entreprises et la
Médiation des Marchés Publics, Françoise Odolant nous livre, avec les étudiants du Master Achat à l’international de
Paris-Saclay, et sous le regard croisé de Marie Gomez-Breysse, ses recommandations pour un meilleur déploiement
des PME, fournisseurs de grands groupes aux comportements responsables, montrant que les acheteurs des grands
groupes ont un rôle à jouer pour tirer parti de la richesse d’innovation des PME, tout en contribuant à la restructuration
du tissu industriel français. Juliette Dupille, forte de son expérience de consultante, nous suggère de nombreux leviers
d’actions pour une politique d’achats « responsables » -au sens classique du terme-, menant à une redéfinition du
métier d’acheteur. Richard Calvi, Professeur des Universités à l’IAE Savoie Mont-Blanc, et témoin du parcours de Pierre
Jarniat, alors Directeur des achats de Salomon, définit la notion de « courage de l’acheteur », dans la mise en place
d’une politique d’achats à long terme, malgré les multiples ruptures dans la vie d’une entreprise (fusions, acquisitions),
s’attachant à la défense d’un éco-système de fournisseurs performants, sous le regard croisé de Jean Potage, ancien
Directeur des achats du groupe Thalès, qui souligne de son côté l’importance du relationnel fournisseurs.
Enfin, ce numéro ne serait pas complet si nous ne mentionnions pas les thèses professionnelles réalisées par des
étudiants concernés par le sujet : c’est ainsi qu’Anne Bourbigot (ESCP Europe) étudie le rôle des acheteurs dans les
décisions de nearshorring, que Jean-Louis Martin (DESMA) analyse la contribution des achats d’emballages à une
politique d’achats durables, et que Lucila Rodaro (GEM) définit trois « best practices » et neuf KPIs permettant aux
entreprises de se situer dans la mise en œuvre de leurs achats responsables.
Nous vous souhaitons autant de plaisir à la lecture de ce numéro que nous en avons pris à le réaliser.
Excellence HA n°4
n
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NOTE AUX FUTURS CONTRIBUTEURS
DE LA REVUE « EXCELLENCE HA »
Comme dans les numéros précédents voici un court rappel des consignes sur la forme et la quantité des
contributions avec lesquelles nous souhaitons régulièrement alimenter les différentes rubriques de la revue.
Nous comptons sur votre participation active que vous soyez académique ou praticien.
Dans Excellence HA nous appelons de nos vœux
plusieurs types de publications : :
d Dossiers
académiques : Des contributions d’acteurs
académiques dont les recherches portent sur la
fonction Achats et plus largement les relations clientsfournisseurs. Il peut s’agir de contributions originales
ou de la refonte d’articles précédemment publiés dans
une revue (avec rappel de cette publication antérieure).
d Dossiers
professionnels : Des réflexions et points de
vue de professionnels de la fonction Achats ou de
consultants en Achats. Excellence HA favorisera des
contributions de ce type lorsqu’elles sont ambitieuses,
innovantes et argumentées.
d Enrichissements :
Pour favoriser le croisement des
regards, chaque contribution sera soumise à un
commentaire d’un expert du comité scientifique. Un
praticien pour la contribution d’un académique, et
inversement pour la contribution d’un praticien.
L’objectif sera d’enrichir chaque contribution par un
regard croisé d’un membre de l’autre communauté.
d Thèses/Mémoires
: Des fiches synopsis des meilleurs
mémoires réalisés dans le cadre des formations Achats
(Master, MBA, ..). Nous proposons aux responsables de
ces nombreuses formations de se servir de cette
tribune pour faire connaître les meilleurs travaux de
leurs étudiants.
d Critiques
d’ouvrage : Un commentaire sur un ou
plusieurs ouvrages innovant orientés Achats ou
considérés par le comité de rédaction comme utile à
l’exercice de la fonction.
d Espace
d’évènement : Un court résumé des
évènements en relation directe avec l’objet de la revue
(Conférences, activité des Think tanks…).
Toutes ces contributions doivent transiter par le comité
de rédaction ([email protected]). Ce dernier,
après une première expertise, leur attribuera deux
relecteurs du comité éditorial pour avis et conseils.
Lorsqu’un article est définitivement accepté, l’auteur
fournit à la revue Excellence HA une version électronique au format Word. Les articles acceptés pour
publication en fonction des thématiques annoncées dans
notre politique éditoriale ou dans ordre des dates d’acceptation. L’auteur s’engage à ne pas publier son article
dans un autre support sans autorisation de la rédaction
d’Excellence HA.
Format des articles :
1.
Les articles sont, sauf exception à justifier, d’une longueur maximum
de 16 pages de 2 800 caractères chacune, en tenant compte de l’espace
pour les informations additionnelles (voir paragraphe suivant).
Ils comprennent une photo de haute résolution de l’auteur, une bibliographie d’une longueur maximum d’un tiers de page, ou 1000, et sont précédés
d’un bref résumé de 1000 caractères maximum (en français et en anglais)
mettant en évidence l’importance ou l’originalité de la contribution.
S’adressant principalement à un lectorat de praticiens, les textes proposés
ne comportent que les développements théoriques et méthodologiques
nécessaires à la compréhension du propos. Enfin ces articles doivent
pouvoir être utiles à la communauté Achats.
Les notes sont placées en bas de page et numérotées dans l’ordre
d’insertion. Leur nombre ne doit pas excéder une note par page. Les
références bibliographiques sont rédigées selon les modèles suivants :
d Ouvrage : Nom de l’auteur et initiale du prénom, Titre de l’ouvrage,
Editeur, Lieu d’édition, date de publication (exemple : Poissonnier H.,
Philippart M., Kourim N., 2012, Les achats collaboratifs : Pourquoi et
comment collaborer avec vos fournisseurs, Edition De Boeck)
d Article : nom de l’auteur et initiale du prénom, « Titre de l’article », Titre
de la revue, vol. x, n° x, date de publication, p. x-y, (exemple : Calvi R.,
Paché G., Jarniat P. 2010, Lorsque la fonction achats devient stratégique :
de l’éclairage théorique à la mise en pratique, Revue Française de
Gestion, vol 36, n° 205 juin-juillet, p 119-138.
Les références doivent être citées ainsi dans le corps du texte : Philippart et
al. (2012) ; Calvi et al. (2010)…
2.
3.
Les Enrichissements de dossiers comportent un maximum de deux
pages à 2 800 caractères chacune, espaces compris.
Les Thèses professionnelles sont présentées sous forme d’un bref
résumé de 2 à 3 pages de 2 800 caractères maximum par page (en
français et en anglais), espaces compris, mettant en évidence l’importance
ou l’originalité de la thèse. Elles comprennent une photo de haute
résolution de l’auteur, une bibliographie d’une longueur maximum d’un
huitième de page, ou 500 caractères – ces derniers éléments devant être
inclus dans le nombre total de caractères autorisé. Ces dernières sont aussi
choisies selon leur lien avec le thème du dossier
4.
Les Thèses académiques récemment soutenues reprennent le format
des thèses professionnelles avec des limites x 2 sur toutes les
dimensions. Il n’y a pas la contrainte du lien avec le thème du dossier.
5.
6.
La critique d’ouvrage est écrite sur un maximum de deux pages à 2
800 caractères chacune, espaces compris.
Les résumés d’évènements et de travaux des Think Tanks se font sur
un maximum de deux pages à 2 800 caractères chacune, espaces
compris n
Hugues Poissonnier et Richard Calvi
Aucune contribution ne doit comporter des notions de publicité, directe ou indirecte,
pouvant être interprétées comme ayant une vocation commerciale.
Pour toute question ou proposition : [email protected]
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Excellence HA n°4
D O S S I E R
N ° 1
DES ÉTUD I ANTS :
DES PROFESSIONNELS EXPÉR I MENTÉS :
De gauche à droite : Mélody BRARD,
Eric VINONNEAU et Evan VALAT.
Etudiants du Master II Achats à l’International de
l’Université Paris-Saclay. Promotion 2014-2015.
Après Sciences Po Paris et un MBA ISA HEC, Françoise ODOLANT a occupé différentes
fonctions en Contrôle Financier puis en Supply Chain et Directions Achats dans des
grands groupes français et étrangers : dans l’industrie, dans les services et dans le
secteur bancaire.
Elle a créé en 2008 son cabinet conseil spécialisé en management des achats et en
optimisation des relations clients-fournisseurs.
En septembre 2010, elle a rejoint l’équipe de la Médiation Inter-entreprises. Elle est
Responsable du Pôle Acheteurs, Chartes et Label pour la Médiation inter-entreprises
et la Médiation des Marchés Publics.
Associé en charge de la « Pratique Achat » du cabinet Clarans à Paris. Fort de plus de
30 années d’expertise opérationnelle des fonctions Achats, Supply-Chain et
Optimisation Industrielle Guy ELIEN a collaboré en qualité de Directeur des Achat
avec plusieurs grands groupes.
Depuis 2008, Il conseille les entreprises françaises et étrangères en matière de
déploiement stratégique achat ainsi que dans la gestion du changement et
l’adaptation des organisations à leurs nouveaux enjeux. Il est intervenant-Expert
auprès de l’Ecole Polytechnique Féminine et du Master Achat à l’international de
Paris XI Jean Monnet.
LA RELATION PME-GRANDS
GROUPES :
Ou comment développer les effets des stratégies
achats des Grands Groupes en optimisant leurs
relations avec les PME
Résumé en français :
L’acheteur, acteur de l’économie responsable
Le diagnostic pour relancer notre économie nationale est connu : le
redressement passera par l’émergence et le développement de PME plus
innovantes, plus fortes et plus agiles qui créeront les emplois et porteront la
croissance.
On attend tous beaucoup des capacités entrepreneuriales de la génération
montante, mais lui donne-t-on les moyens d’accomplir ses ambitions et
l’opportunité de prospérer aux côtés de nos fleurons traditionnels, les grands
groupes ?
Nous constatons souvent au quotidien, que nous avons quelques difficultés à
tourner les pages d’un Colbertisme du 18° (progrès industriel, corporatisme,
protectionnisme, impact de l’Etat sur l’économie), et d’un Jacobinisme culturel
(souveraineté nationale, centralisation, technocratie). Nos principaux partenaires
économiques, ont eux, privilégiés le régionalisme et l’adaptation permanente de
leurs structures à l’environnement économique si l’on considère le modèle
Excellence HA n°4
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allemand et ses Mittelstand, à la fois performantes et percutantes sur la scène internationale de l’économie des
marchés.
Appréhendant leur futur rôle d’acheteur, les étudiants Master Achat à l’international de Paris-Saclay nous livrent
ici un état des lieux de leurs réflexions et de leurs recommandations pour permettre le renforcement et le
déploiement nos PME sous l’ombrelle des grands Groupes
La dynamique développée par les 26 premières entreprises labélisées « Relations fournisseur responsables » nous montre la voie d’une nouvelle façon de traiter les relations d’affaires. Le parti pris de ces « labélisés » nous
permet aujourd’hui de capitaliser sur leurs expériences et de partager les meilleures pratiques pour des relations
clients-fournisseurs collaboratives, durables et équilibrées. Le rôle de l’acheteur « Acteur de l’économie Responsable » y prend ici toute sa place. English :
The diagnosis to recover our national economy is well known: recovery will go through the emergence and
development of innovative SMEs, stronger and more agile that will create jobs and growth.
We all expect strong and entrepreneurial skills of the younger generation, but do we give it the levers to fulfill its
ambitions and the opportunity to grow alongside our flagship of our economy?
On a day-to-day basis, in France, we meet some difficulty in turning the pages of a Colbertism of the 18th
century (industrial progress, corporatism, protectionism, impact of the State in the economy), and a cultural
Jacobinism (national sovereignty, centralization, technocracy). But our main economic partners, have them
privileged regionalism and continuously adapt their structures to the economic environment - we consider here
the German model and its Mittelstand, both powerful and punchy on the international scene of the economy of
markets.
Fearing their future role of buyer, the students of the Master of international Purchasing of Paris-Saclay deliver
here an overview of their thoughts and recommendations to help strengthen our SMEs and deployment under
the umbrella of the major Groups.
The dynamics developed by the first 26 labeled companies in “Responsible supplier relationship” shows us the
way to a new approach of dealing with business relationship. The preferred choice of these «labeled companies»
allows us today to capitalize on their experiences and share in detail their best practices for collaborative
customer-supplier relationships, sustainable and balanced.
The role of the buyer as a “key player of the sustainable economy” will take its place here.
Introduction :
Le tissu économique français est aujourd’hui structuré de
telle sorte que deux grandes formes d’entreprises sont quotidiennement confrontées : les PME et les Grands Groupes. En
tant qu’acteur de l’économie responsable, l’acheteur se doit
d’optimiser leurs relations de manière durable. En prenant
en compte de manière réaliste le point de vue des deux
parties, il pourra développer des situations de marchés
mutuellement bénéfiques.
Cet article présente les bases d’une relation saine avec les
PME, souvent négligée par les Grands Groupes. Les PME
possèdent pourtant de nombreux avantages. A travers ce
dossier, et dans une logique éthique de la vie des affaires,
nous présenterons dans un premier temps les avantages
ainsi que les réticences d’une relation PME - Grands Groupes.
Si l’Etat français porte depuis plusieurs années une vision en
faveur de relations inter-entreprises collaboratives - au
contraire des relations historiques empreintes de rapports
de force -, les premiers labélisés « Relations fournisseur
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responsables » , en nous autorisant à publier les bonnes
pratiques qu’ils ont mises en œuvre, invitent tous les grands
donneurs d’ordre à prendre du recul et à développer leur
méthode pour créer de la valeur dans l’esprit de « mieuxvivre ensemble ».
La nécessaire collaboration PME/Grands
Groupes :
L’étude présentée ci-dessous a été réalisée en 2015 par les
étudiants du Master 2 Achat à l’International de l’Université
jean Monnet de Paris sud, en synthèse d’un séminaire ayant
pour thème « La relation PME-Grands-Groupes », ou :
« Comment développer les effets des stratégies achats des
grands groupes en optimisant leurs relations avec leurs fournisseurs de type PME » . Pour les besoins de ce dossier, la
filière agro-alimentaire et ses relations avec les enseignes
de la Grande Distribution ont servi de fil rouge pour illustrer
l’intérêt et la possibilité d’une autre voie que celle de la
« guerre des prix ».
Excellence HA n°4
D O S S I E R
La relation entre les Grands Groupes et les PME est caractérisée par une différence immédiatement notable : au-delà
du seul effet de taille, ces deux agents de l’économie
française ont des attentes et des stratégies très différentes
et très variées qui tiendrait presque de l’oxymore. Travailler
ensemble mérite donc d’ouvrir chacune de ces contraintes,
afin de pouvoir s’en affranchir.
L’un des objectifs majeurs d’une entreprise privée étant
d’assurer la croissance de ses actifs tout en réduisant ses
risques en vue d’assurer sa pérennité, la relation PMEGrands Groupes offre des opportunités de par la complémentarité de leurs profils.
L’intérêt pour la PME :
Le premier intérêt identifié pour une PME de collaborer
avec un Grand Groupe est l’assurance d’une croissance
rapide de son Chiffre d’Affaires et une certaine stabilité
de ses revenus, par la nature même de l’effet volume à
traiter. Quand le Chiffre d’Affaires d’un Grand Groupe
représente vite des milliards, la PME plafonne plus
souvent à 50 Millions d’euros. Les volumes concernés
reposent sur des échelles complètement différentes, la
PME étant le plus souvent positionnée sur des segments
de marché assez spécialisés (voire des marchés de niche).
Proche d’un Grand Groupe sur un marché bien plus
important via sa couverture géographique et la diversité
des marchés couverts, son Chiffre d’Affaire se voit exponentiellement augmenté quand elle décroche un contrat
avec un Grand Groupe. Avoir l’opportunité de traiter avec
un Grand Groupe permet à la PME de s’ouvrir de nouveaux
débouchés commerciaux et de dynamiser rapidement son
activité.
Par cette entremise, la PME s’offre même parfois une
visibilité directe de la part du client final, le consommateur.
Ainsi un fournisseur de type PME traitant sous sa marque
avec un Grand Groupe de la distribution agro-alimentaire
s’expose à la possibilité d’une diffusion de son nom à grande
échelle. La couverture du marché permise par les contrats de
grande distribution revêt un avantage considérable pour la
PME : la diffusion de son image, de sa notoriété en même
temps que l’accès facilité dans les rayons de ses produits et
services aux consommateurs.
La question de la couverture géographique revêt un aspect
stratégique dans un marché guidé par les effets de mode et
une communication de masse. Plus le produit est consommé,
plus il intègre les habitudes d’achat, voire les tendances de
consommation.
N ° 1
Les Grands enseignes de la distribution ayant des bases de
données transversales, toutes les entités du groupe ont les
informations sur le fournisseur et des procédures simplifiées
pour leur passer commandes. De fait, dans tous les secteurs
d’activité, être au panel d’un Grand Groupe permet à un
fournisseur de diffuser son image de manière globale et
rapide, et représente un levier de communication avec les
autres sites, entités, filiales, pays, avec lesquels il n’a
pourtant pas encore traité.
Plus la performance économique d’une PME sera diffusée en
interne au sein de l’organisation de son client, plus sa
promotion sera forte. Repérer de manière pertinente les
attentes sur ses premiers marchés et donner satisfaction à
ses premiers interlocuteurs aux achats et chez les utilisateurs
et prescripteurs, lui permettra souvent d’être sollicitée sur
de nouveaux besoins et d’accéder à de nouveaux marchés.
On remarque également que lorsqu’une PME est
referencee par un Grand Groupe, cela lui sert de levier de
communication externe, et représente donc un atout pour
prospecter d’autres grands groupes. Les exigences d’un
Groupe étant particulières, savoir s’y conformer est un
gage d’agilité et d’adaptation de la PME. En effet, la
flexibilité et les qualités de services dont doivent savoir
faire preuve les PME en traitant avec un Grand Groupe sont
applicables aux autres clients de même taille dont les
demandes sont bien souvent caractérisées par les mêmes
exigences : fiabilité, différenciation, compétitivité, délais
courts, disponibilité...
Les grandes enseignes de la distribution agro-alimentaires
stimulent l’innovation en organisant des concours
permettant de challenger les PME. Comme elles offrent aux
PME de formidables opportunités d’accès à une large
diffusion de leurs produits dans de nombreux points de
vente, cela représente un levier considérable pour l’innovation. Pour convaincre, les PME doivent porter une attention
toute particulière à leur différenciation produit. Une fois
soutenue commercialement par un Grand Groupe, l’innovation va connaître un déploiement rapide au travers de
réseaux de distribution élargis, et la PME va accroitre sa
couverture du marché cible.
L’intérêt pour le Grand Groupe :
Travailler avec une PME représente une opportunité pour un
Grand Groupe, qui sous-estime généralement la valeur
ajoutée potentielle de ces acteurs de niche. Depuis 2006, la
dépense externe des Grands Groupes envers les PME a
augmenté de 10%, ce qui souligne l’importance des PME
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dans notre activité commerciale. Dans la grande distribution,
cette présence est très marquée : en 2010, les PME françaises
fournissaient, sous leurs marques ou sous les marques
distributeurs, 54,2% du Chiffre d’Affaires de la grande distribution. Cette collaboration étroite et grandissante ouvre le
Grand Groupe sur des avantages qui doivent encore être
explicités.
En effet, si les PME ont l’avantage de pouvoir soutenir leurs
besoins de financement via les Grands Groupes, ces derniers
ont celui de pouvoir profiter de leurs innovations. Pour le
Grand Groupe, l’accès à l’innovation sur laquelle la PME aura
travaillé lui donnera un avantage concurrentiel certain. Cet
avantage très singulier profite aux deux parties en
améliorant leurs ventes, et en servant la notoriété du Grand
Groupe, quand il sert de vitrine au savoir-faire de la PME.
Etant hyper spécialisée, la PME est dotée d’un savoir-faire
que ne revendiquent pas les Grands Groupes généralistes,
qui ne disposent pas des ressources pointues compétentes
pour tenter de rivaliser. Les qualités opérationnelles et
terrain de la PME permettent de générer une grande
implication dans le projet innovant et un fort dynamisme
pour surmonter les difficultés et lui faire voir le jour.
C’est notamment via des contrats de distribution que l’innovation va profiter au distributeur. Le consommateur étant
sensible au développement de nouvelles offres, le choix du
magasin où il va faire ses courses peut être influencé par les
particularités ou spécificités des produits qu’il pourra espérer
y trouver. Ceci va donc permettre à l’Enseigne une plus
grande couverture de son marché par la captation de
nouveaux clients, voire leur fidélisation grâce à une offre
plus étoffée et originale.
Les grandes enseignes tirent avantage de leurs relations de
partenariat avec des entreprises dont la flexibilité et la
réactivité créent une valeur complémentaire en augmentant
la fréquentation et l’animation des points de vente. La PME
présente souvent la souplesse d’être capable de produire
une petite série spéciale, et sa capacité à prendre rapidement
des décisions est un atout considérable pour répondre à une
nouvelle demande de leur client. L’adaptation au client et
aux évolutions du marché sont des clés de succès parfaitement intégrées à leur ADN. Cette adaptation est d’autant plus
utile que l’offre de la grande distribution est sensible aux
saisonnalités et aux tendances courtes de consommation.
Faire appel à une PME peut permettre aussi de sous-traiter
des activités qui sortent du cœur du métier de la grande
entreprise, mais qui restent nécessaires au quotidien. Pour
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des catégories d’achats comme la propreté, la sécurité ou le
gardiennage, le prestataire de la taille d’une PME permet de
coller au plus près du besoin. Ces personnels sont au
contact direct des clients qui les perçoivent comme
appartenant à l’enseigne ou tout du moins faisant partie de
leur expérience dans leur parcours dans le magasin ou centre
commercial. Le service apporté est donc stratégique pour que
les clients aient envie de revenir et de consommer et
l’acheteur est attentif à valoriser cette dimension dans son
choix et la gestion du prestataire.
D’un point de vue maitrise des processus, bien cibler l’intervention d’une PME permet de tirer parti de la valeur ajoutée
d’un acteur complémentaire au bon moment dans la chaîne
de valeur. Traiter avec une PME permet au Grand Groupe de
bénéficier du bon savoir-faire, via la flexibilité de la petite
structure, au bon endroit.
La nécessité de raisonner en filière :
Une structuration de l’économie en cascade de relations
entre acteurs existe de fait puisque les Grands Groupes ont
besoin du tissu industriel local, compose en France principalement de PME. Mais c’est seulement quand les acteurs
clients et fournisseurs comprennent leur interdépendance,
que la notion de filière fait son apparition : elle englobe des
acteurs hétérogènes qui interviennent a tous les stades de
la chaine de valeur, différents d’un secteur d’activité à l’autre.
L’objectif des Grands Groupes devrait être de renforcer leur
filière, de migrer vers le modèle d’une filière dite « intégrée »
ou chaque acteur peut bénéficier des capacités économiques
et logistiques de l’autre. Ainsi, à titre d’exemple, les pôles de
compétitivité mis en place en France depuis une dizaine
d’années et dont l’impact est grandissant : Grands Groupes
et PME sont concentrés géographiquement et fonctionnent
ensemble sur des thématiques qui leur sont communes. L’innovation, l’information et la communication entre les acteurs
y sont facilitées et accélérées.
C’est par cette approche que l’on peut apprécier la valeur
ajoutée des petits producteurs locaux qui permettent à la
grande surface de séduire et fidéliser ses clients. La tendance
étant par exemple au bio et à la consommation locale, la PME
permet l’ancrage de l’Enseigne sur un territoire via la
connaissance et l’adaptation de son offre au regard des
saisons et des habitudes de consommation sur la zone de
chalandise.
Pour garantir la pérennité de leurs activités, dans tous les
secteurs d’activité, les Grands Groupes s’entourent de plus
en plus de PME aux compétences et caractéristiques
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clairement identifiées, techniquement essentielles a la
conquête de nouveaux clients. Ce sont en effet de plus en
plus les PME qui détiennent majoritairement les connaissances, l’innovation et la souplesse nécessaire a leur mise en
action. Les acheteurs peuvent en tirer parti en proposant à la
PME de co-développer ces innovations, en décidant de faire
des pilotes puis en les implémentant sur de larges volumes
et enfin en utilisant la puissance structurelle de leur organisation sur l’ensemble de leur périmètre.
Mais tous ces moteurs de la collaboration se heurtent à
d’autres tensions internes qui poussent à l’égocentrisme
aussi bien chez les PME que chez les grandes entreprises et
génèrent des difficultés dans la relation.
Les difficultés dans la relation :
Les stratégies des PME :
Le dirigeant de la PME, en acteur local, va choisir la stratégie
la plus adaptée à son positionnement stratégique sur un
marché visé. On observe plusieurs stratégies qui peuvent être
globales pour une PME :
La première, la différenciation, aussi appelée stratégie de
niche, consiste à se différencier grâce à des produits, des
services associés à son image. Elle lui permet de limiter
l’impact concurrentiel en se positionnant, de manière forte,
sur un segment de marché très spécifique.
La différenciation est souvent associée à l’innovation et à la
qualité, corollaires de surcoûts de production. Deux possibilités s’offrent alors à l’entreprise : assumer les coûts supplémentaires de la différenciation en ne les répercutant pas sur
le prix de vente (elle s’y retrouvera par les volumes) ou faire
payer les coûts supplémentaires à ses clients (quand la
proposition est jugée unique par les consommateurs, les
produits originaux peuvent être vendus plus chers que les
produits courants ou génériques). Ce qui est le cas des petits
producteurs spécialisés dans les produits bio ou
«équitables», par exemple.
La deuxième stratégie est celle de la diversification. Plutôt
que d’être spécialisée sur un domaine précis, la PME est
présente sur plusieurs secteurs afin de limiter ses risques
(crise d’un secteur, variation trop forte des cours d’une
matière première…). C’est la théorie du portefeuille.
On dénombre 5 grands types de stratégies de diversification :
- La diversification de survie, dont l’objectif est de maintenir
N ° 1
ses positions en volume en partant constamment à la
conquête de nouveaux marchés,
- La diversification de confortement, souvent privilégiée par
les PME, qui consiste à se diversifier vers des activités
complémentaires peu coûteuses en investissement,
- La diversification horizontale, qui consiste à commercialiser de nouveaux produits auprès de la même clientèle
(logique de cohérence commerciale),
- La diversification verticale, où l’on intègre de nouvelles
activités en amont ou en aval. Par exemple, au lieu de
seulement commercialiser les produits, l’entreprise devient
productrice (croissance externe).
- La diversification concentrique, où l’on cherche à fabriquer
des produits et/ou services semblables pour des clients
différents.
Le choix parmi les différents types de diversification dépend
de la rentabilité, du potentiel du secteur, de l’existence de
synergies exploitables et de la possibilité de reconversion.
La stratégie de diversification est souvent liée à la maturité
de l’activité principale de l’entreprise.
Pour exemple, Maison Lartigue et fils, producteur de foiegras, a choisi de se diversifier horizontalement en se lançant
dans la production de saumon fumé. Cette PME landaise de
25 salariés a également diversifié ses circuits de distribution
en ouvrant un site d’e-commerce.
La dernière stratégie possible consiste à se spécialiser en se
concentrant sur les forces de l’entreprise. Il s’agit d’étendre
ses activités géographiquement et d’adapter régulièrement
ses produits et services pour répondre au mieux aux besoins
des consommateurs. Les stratégies de spécialisation sont
souvent mises en place dans le cadre d’un processus de
croissance interne afin d’obtenir un avantage concurrentiel
significatif. Plus généralement, indissociables d’une
démarche « qualité », elles permettent de générer des effets
d’expérience et économies d’échelle qui vont baisser les
coûts de production.
Ainsi, Altho, PME du Morbihan qui commerciale des chips
bretonnes sous la marque Bret’s, a décidé de construire une
nouvelle usine en Ardèche pour partir à la conquête de
nouveaux marchés.
La « diversification marketing », à ne pas confondre avec la
stratégie de diversification, fait partie des stratégies de
spécialisation : elle se caractérise par l’extension de la
gamme de produits de l’entreprise afin de satisfaire un
maximum de segments de clientèle et de renforcer ses
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positions sur son marché. C’est un excellent moyen pour
pénétrer de nouveaux marchés ciblés.
Les stratégies des Grands Groupes :
Les Grands Groupes utilisent également beaucoup les
stratégies de diversification mais leur priorité réside souvent
dans l’expansion internationale. Quatre types de stratégie
peuvent leur permettent de se développer durablement à
l’international : la stratégie globale, régionale, transnationale ou multinationale (aussi appelée multidomestique).
Une même organisation peut mettre en œuvre plusieurs de
ces stratégies.
La stratégie globale, basée sur la standardisation des
produits de l’entreprise. Pour tirer avantages des effets
d’échelle. L’organisation, présente à l’échelle mondiale grâce
à ses filiales, va répondre aux besoins des différents marchés
de manière harmonisée et chercher à se localiser là où elle
sera en mesure de tirer le plus d’avantages. Dans ce type de
stratégie, il y a donc une forte intégration des activités de la
chaîne de valeur ainsi qu’une forte concentration du pouvoir
dans la société mère, où tout est coordonné.
Les principales industries visées par ces stratégies globales
sont, à titre d’exemple, l’aéronautique ou l’électronique, où
la demande reste homogène à l’international.
La stratégie internationale consiste à adapter faiblement les
produits proposés par l’entreprise sur les marchés extérieurs.
Les nouveaux marchés visés restent fortement dépendant du
siège de l’entreprise, centre névralgique de décisions sur le
marché d’origine.
Par exemple, les décisions prises vis à vis du marketing, de
la production ou de la distribution, sont élaborées pour le
niveau national avant d’être ensuite transférées au niveau
local.
Dans le cadre de la stratégie internationale, les activités de
soutien, ainsi que les activités amont, seront bien souvent
centralisées puisque ce sont des activités plus éloignées du
consommateur final. En revanche, les activités aval pourront
être adaptées en fonction des contraintes et conditions
locales puisqu’elles sont plus proches du marché (décentralisation). En finalité, l’organisation du développement est
structurée et organisée au niveau national pour une
adaptation locale.
Cette stratégie peut être vue comme le premier stade de l’internationalisation des entreprises.
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Elle représente l’approche la plus prudente et la plus
progressive (elle peut être adoptée lors de lancements à l’international ou encore lors des phases de tests). Les PME
utilisent souvent cette approche pour se développer à
l’étranger car elle est la moins consommatrice d’investissements. Les moyens utilisés seront principalement les exportations de produits, des cessions de brevets ou des
concessions de licences.
La stratégie transnationale se caractérise par une faible
concentration du pouvoir de décision (cf Bartlett et Ghoshal,
1989) et par une forte coordination géographique des
activités.
Cette stratégie « Think Global, Act Local », tente de concilier
les avantages de la standardisation des processus productifs
et ceux de la différenciation pour répondre à la demande de
différence des consommateurs. On peut citer l’exemple de
Coca-Cola qui change la recette de sa boisson légendaire
selon les pays et les préférences de ses habitants.
La mise en place de ce type de stratégie entraîne des modes
de coopération entre Grands Groupes et acteurs locaux,
aboutissant à des contrats de sous-traitance, des licences, de
brevets et de marques, des accords de recherche… Elle
permet d’accroître la compétitivité de l’entreprise grâce aux
économies d’échelle et d’adapter les produits et les services
à la demande locale.
C’est un dispositif très adapté en cas de pressions sur les prix
et d’exigences locales fortes, raisons pour lesquelles on la
retrouve souvent dans le domaine de la grande distribution
et de l’agroalimentaire.
La stratégie multinationale ou multidomestique se
caractérise par une dispersion du pouvoir de décision et un
faible degré de coordination entre les activités menées dans
les différents pays. A l’opposé de la stratégie internationale,
elle ne tient pas compte du marché d’origine pour approcher
les marchés étrangers. Elle localise ses opérations de
production et de commercialisation dans les différents pays
ciblés afin de profiter du meilleur (en termes de main
d’œuvre, de compétences et de ressources naturelles
locales…). C’est notamment la stratégie développée par le
groupe suisse Nestlé afin de pénétrer les marchés
émergents.
Cette stratégie concerne les entreprises ayant déjà une petite
expérience internationale au travers d’implantations dans
des marchés géographiquement et culturellement proches
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de leur marché d’origine (stratégie d’export). Son objectif est
de répondre précisément aux conditions de chaque marché
visé et engendre une forte adaptation des produits aux
besoins de chaque population.
Le principal avantage de cette stratégie réside dans la
possibilité de répartir les risques financiers et commerciaux
sur plusieurs zones (principe de gestion de portefeuille).
Élevée
Global
Le monde est considéré
comme un marché unique.
Les opérations sont
contrôlés centralement du
siège social.
Transnational
Des mécanismes
complexes de coordination
fournissent une intégration
globale.
International
Utilisation des capacités
existantes pour se
développer sur les marchés
internationaux.
Multinational
Fonctionnement avec des
filiales indépendantes dans
de nombreux pays.
N ° 1
PME sont bien positionnées. Elles offrent des produits très
variés, authentiques, avec un ancrage fort au territoire... les
PME et la grande distribution ont donc un intérêt commun.»
«Les grandes enseignes veulent se singulariser par leurs
produits locaux. En France, 116 000 références viennent des
PME, soit deux fois plus que celles des Grands Groupes «,
décrypte Georges Ferronière, directeur marketing de Panel
International.
L’exemple des Mittelstand allemands :
Les Mittelstand allemands, illustrent le succès des ETI outre
Rhin. Parmi ceux-ci, on retrouve des leaders mondiaux
comme Stabilo, Playmobil ou encore UHU.
Intégration
Faible
Faible
Capacité de réaction locale
Ces firmes bien souvent constituée après-guerre portent un
fort attachement au territoire, la structure fédérale
allemande permettant une forte proximité avec le tissu
économique local. Les valeurs familiales et une gestion
patrimoniale inscrivent les investissements et les stratégies
dans la durée.
Élevée
L’accumulation des capitaux propres confère à ces
entreprises une autonomie financière que les PME et ETI
françaises peuvent envier.
Bartlett et Ghoshal, 1989
Confrontation :
Bien que les stratégies des PME et des Grands Groupes
diffèrent, certaines se recoupent et peuvent mener à des
collaborations fructueuses grâce à la connaissance locale des
PME et aux ressources des grands groupes, les rapports de
force sont alors plus équilibrés.
Il est vrai que dans certaines situations (stratégies globales
et internationales), le Grand Groupe, en position de force de
par sa structure et ses ressources, n’a pas besoin de travailler
avec les acteurs locaux pour se développer. Mais dans
d’autres, la lourdeur de leur structure peut poser des
problèmes lorsqu’il s’agit de s’adapter à la culture locale
(stratégies transnationales et multinationales). Le Grand
Groupe aura alors besoin du support agile des PME locales
pour approcher les acteurs locaux, équilibrant et voir même
inversant les pouvoirs de négociation.
Selon Dominique Amirault, président de la Fédération des
entreprises et entrepreneurs de France qui regroupe 700
entreprises indépendantes fournisseurs de la grande distribution, «La distribution de masse ne génère plus de
croissance […] Par contre il y a encore plein de poches de
croissance : le besoin de choix du consommateur, son goût
pour la qualité...Pour satisfaire ces nouvelles attentes, les
Les Mittelstand ont un modèle économique basé majoritairement sur le B to B et sur les marchés de niche. L’innovation
apportant la plus forte valeur ajoutée, elles recherchent alors
la différenciation par le haut. Une attention particulière est
portée à la dimension technologique et cela se traduit par
une mutualisation de la recherche. Ainsi, les grands groupes,
les petites entreprises et l’Etat Fédéral organisent des
centres de recherche performants qui font le lien entre la
recherche fondamentale et l’innovation industrielle.
L’industrie allemande organisée en « clusters » pense l’exportation comme une priorité stratégique. Les ETI
allemandes qui réalisent 40% des exportations pratiquent
la « chasse en meute » : l’export est une coopération. Les
sociétés d’une même filière se regroupent physiquement
dans une même région et mutualisent leurs efforts. La mise
en commun de moyens et la structuration et la coordination
de l’action et de l’information font que ces entreprises
apprennent vite et pénètrent les marchés rapidement et efficacement.
Le rôle joué par les ETI en France :
En France, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont
été définies statistiquement par la loi de modernisation de
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l’économie de 2008. Elles emploient entre 250 et 5 000
salariés et génèrent un chiffre d’affaires inférieur à 1,5
milliards d’euros. Moins reconnues que les groupes du CAC
40, elles représentent néanmoins 28% de l’emploi salarié
(BPI France). On dénombre environ 4 800 ETI en France
contre 8 500 en Italie, 10 000 en Grande Bretagne et 12 500
en Allemagne. Avec deux fois moins d’ETI que nos voisins
européens, la France se prive donc d’un potentiel de
croissance important.
En effet, les ETI sont motrices de 33% de l’exportation et
participent largement à l’innovation : 26% de la dépense
privée de R&D et 38% des investissements –source Banque
de France. Outre une ultra performance, les ETI incarnent un
« capitalisme vertueux ». Elles préfèrent investir sur le long
terme plutôt que de reverser des dividendes. Elles pratiquent
une culture d’entreprise forte avec des relations salariales
sereines. Enfin, ces entreprises réussissent à mêler implantation locale et développement international par la conquête
de marchés étrangers.
Face au succès des Mittelstand allemands, nous ne pouvons
que regretter le faible nombre d’ETI françaises et qu’il n’y en
ait même pas de plus en plus. Ces entreprises qui tirent la
performance économique de leur pays, de par leur histoire,
leur expérience et leur structure savent aussi bien travailler
avec les Grands Groupes qu’avec les PME. 52% (Source :
Base Diane - 2000 à 2009) des ETI françaises, dites
récurrentes, ont atteint cette taille critique. Certes elles
doivent apprendre à s’organiser de manière à respecter les
obligations et seuils règlementaires, ce qui alourdit leur
structure et les rend moins flexibles. Cependant devenant
plus matures, elles deviennent aussi plus capables de
répondre aux lourdes exigences et contraintes des Grands
Groupes.
Les entreprises de taille intermédiaire matures et récurrentes
se développent par une stratégie de croissance externe. Tout
comme les Grands Groupes absorbent 16,5% des ETI
employant entre 250 et 500 salariés (INSEE), les ETI captent
l’innovation et des parts de marché en absorbant des PME et
TPE (45% des ETI de 1 000 à 5 000 salariés ont réalisé une
ou des opérations de croissance externe dans les cinq
dernières années - Source : OpinionWay pour KPMG - Février
2012).
La majorité d’entre elles sont d’anciennes PME. 42% (Source
: Base Diane - 2000 à 2009) sont des ETI volatiles qui
oscillent entre les deux catégories. Ainsi elles bénéficient de
l’état d’esprit positif et innovant qui caractérise les PME. Ce
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sont des entreprises qui prennent des risques mais qui ont
besoin d’un cadre législatif et fiscal stable.
Pour pouvoir grandir et devenir des ETI pérennes, il ne suffit
pas que les directions Achats des Grands Groupes s’engagent
à consulter les PME et les accompagner sur des marchés
internationaux pour les aider à grossir. Il faut également que
ces acheteurs accompagnent la montée en gamme (qualité,
innovations, services…) de leurs fournisseurs ETI et PME par
leur intégration à des projets de co-développement
stratégiques et innovants.
L’acheteur, acteur de l’économie responsable, se retrouve à
animer les plans de progrès selon les quatre grands
domaines suivants :
- le respect des intérêts des fournisseurs et des soustraitants,
- les impacts des achats sur la compétitivité économique,
- l’intégration des facteurs environnementaux et sociétaux
dans le processus d’achat,
- les conditions de la qualité de la relation d’un client vis-àvis de ses fournisseurs.
Bonnes pratiques :
Les premières organisations ayant obtenu le label Relations
fournisseur responsables, décerné par les pouvoirs publics,
ont déjà mis en œuvre de nombreuses bonnes pratiques en
matière de relations collaboratives clients-fournisseurs.
Outre leur capacité à appliquer sur le terrain les 10 principes
pour des achats responsables, elles ont volontiers accepté de
mettre en commun leurs retours d’expériences. Elles ont
autorisé leur publication depuis 2014 dans la série « Talents
d’acheteurs », portée par la Médiation inter-entreprises , la
Médiation des marchés publics et la CDAF , sous l’égide du
Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique. Ce
sont autant de recommandations, disponibles gracieusement, à l’usage des organisations désireuses que leurs
relations avec leurs fournisseurs soient durables et
équilibrées, et qui sont récapitulées à grandes lignes ciaprès.
Le premier domaine, le respect des intérêts des fournisseurs,
exige de se préoccuper de l’équité financière vis-à-vis des
fournisseurs, mais aussi de la promotion de relations
durables et équilibrées, de l’égalité de traitement entre les
fournisseurs et de la prévention de la corruption.
- En France, le premier irritant dénoncé par les fournisseurs
concerne l’équité financière, en raison du non-respect des
délais de paiement légaux ou contractuels. Le comportement
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payeur français se traduit par 12 jours de retard en moyenne
et en pesant sur leur trésorerie, génère des risques de
défaillance élevés chez les PME. Le client B to B qui formalise
explicitement son engagement à appliquer strictement la loi
LME et à s’abstenir de toutes pratiques déformant l’esprit de
la loi, voire en étant plus volontariste pour payer dans des
délais encore plus courts se démarque des pratiques
courantes en France. Sur la scène internationale, il se mesure
aux entreprises allemandes ou américaines qui privilégient
de payer dans des délais courts et en faisant ainsi plus vite
circuler la trésorerie donne de l’oxygène aux PME qui
peuvent plus investir, innover et embaucher. Comme l’a
montré le baromètre publié par Challenges en novembre
2013, rendre visible son engagement en interne et en externe
permet à l’organisation achat d’espérer devenir le client
préféré pour ses fournisseurs. Pour réussir à mettre en place
sur le terrain cet engagement, l’organisation responsabilise
l’ensemble des acteurs du processus « règlement des
factures » et s’attache à optimiser les temps de traitement
des factures fournisseurs. Certaines mettent en place des
solutions dématérialisées pour réduire ces délais de
traitement avec des systèmes d’alertes automatiques et des
plans d’action systématiques en cas de retard prévisible.
D’autres choisissent d’externaliser l’activité de comptabilité
fournisseurs ou de la centraliser en fixant au centre payeur
des objectifs sur les délais à tenir. Pour améliorer la situation,
il s’avère également souvent opportun de réunir régulièrement les différents acteurs du processus de paiement des
factures - acheteurs, comptables, opérationnels - pour
prendre les décisions nécessaires. Chez les signataires de la
Charte Relations fournisseur responsables, le médiateur
interne est souvent sollicité par les fournisseurs pour des
factures bloquées et sa bonne connaissance des rouages
internes de l’organisation lui permet d’être extrêmement
efficace sur la résolution rapide de ces difficultés.
- Le deuxième irritant dénoncé par les fournisseurs concerne
la domination des Conditions Générales d’Achat. En
réponse, une organisation responsable fera la promotion
de relations durables et équilibrées en se dotant d’un cadre
contractuel équilibré, respectueux de la législation et
respecté afin d’établir des relations pérennes avec ses fournisseurs et de le faire savoir en interne comme en externe.
Elle s’attache aussi à réduire les risques de dépendance
réciproque en fixant des règles claires sur la gestion des
situations de dépendance des fournisseurs et en organisant
les responsabilités des différents intervenants (juristes,
Category Managers, …). Dans ce cadre, les acheteurs portent
une responsabilité clé : analyser les situations de
dépendance au cas le cas et décider du plan d’action
N ° 1
pertinent à mettre en œuvre. L’acheteur peut également
favoriser la collaboration avec ses fournisseurs stratégiques
au travers de divers partenariats. La ligne de conduite la
plus efficace est de prévenir les situations pouvant nuire à
des relations durables et équilibrées (litiges, situations de
dépendances, …) et de surveiller très attentivement tous
ces facteurs de risques.
- Mieux encore, les organisations qui prônent l’égalité de
traitement entre les fournisseurs et sous-traitants,
assurent une mise en concurrence ouverte, libre et loyale
dans les processus d’appel d’offre, de sélection, de
négociation des clauses contractuelles, la clarté des consultations, des procédures de référencement, la transparence
et la traçabilité des procédures… Elles font connaître cette
politique en interne et en externe, forment les acheteurs et
peuvent même désigner des garants. Les acheteurs publics
travaillent systématiquement dans ce cadre puisque c’est
un des principes fondamentaux de la commande publique.
Le management favorise l’application de ce principe en
mettant en place un processus d’émission des appels
d’offres simple et équitable, favorisant la mise en
concurrence et la prise de décision collégiale. Afin de
s’assurer que tous les dossiers sont traités selon ce principe,
des contrôles réguliers sont instaurés et le respect de cet
engagement fait l’objet de suivi formalisé dans un tableau
de bord.
- Comme le montre l’étude comparative publiée en mars 2015
de la performance RSE des entreprises françaises avec celle
des pays de l’OCDE et des BRICS réalisée par ECOVADIS et
la Médiation Inter-entreprises, la France est en retard sur
les démarches de prévention de la corruption par rapport
aux autres pays de l’OCDE. Pour adresser cette problématique, l’organisation peut se structurer avec par exemple
un comité anti-fraude, un pôle d’audit interne, un système
d’alerte et/ou un référent éthique. Afin de prévenir les
pratiques de corruption active et/ou passive au sein des
processus achats ( dessous de tables, extorsions, fraudes,
règles relatives aux cadeaux et invitations, etc…), une
organisation commence par formaliser le dispositif de
prévention pour l’ensemble de ses entités, puis responsabilise individuellement l’ensemble de ses collaborateurs
et décline ces dispositions pour les appliquer aux Achats.
Il est nécessaire de rendre visible ces engagements en
définissant et en prévenant les conflits d’intérêts par
exemple dans une directive interne ou un code éthique et
en désignant des garants au sein de l’organisation. Les
acheteurs et l’ensemble des collaborateurs sont formés et
responsabilisés pour s’assurer du respect par les fournisseurs des standards en la matière. Des processus de due
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diligence des aspects éthiques sont formalisés au moins sur
les fournisseurs à risques. La dimension contractuelle peut
également permettre de porter clairement cet engagement
et de contrôler les fournisseurs. Sur cet axe, la meilleure
règle à appliquer est : mieux vaut prévenir que guérir !
Le deuxième domaine, les impacts des achats sur la compétitivité économique, se caractérise par l’aide à la consolidation
des filières et au déploiement international de ses fournisseurs mais aussi en fonction de la bonne appréciation du
coût total de l’achat.
- L’organisation s’implique dans sa filière en s’engageant
tout d’abord au plus haut niveau à développer la
coopération avec les acteurs clé de sa filière en inscrivant
explicitement sa politique achat dans sa chaine de valeur,
son écosystème sectoriel.
Elle promeut les approches collectives et développe la
relation de confiance nécessaire avec le management de ses
fournisseurs et sous-traitants en leur donnant de la visibilité,
en favorisant un environnement partenarial et en mettant en
place des dispositifs d’aide adaptés à leurs contextes. Elle
développe une gestion prévisionnelle des besoins afin de
pouvoir communiquer aux fournisseurs à l’avance les arrêts
de commande et les niveaux prévisionnels de volumes et
favoriser ainsi l’adaptation des capacités de production sur
les segments de marchés critiques. Pour déployer systématiquement cette approche, l’organisation s’attache à mettre
en place les outils contractuels et les systèmes d’information
de cette gestion prévisionnelle des besoins.
Le déploiement international de sa base fournisseurs est
favorisé par les partages d’informations et en accompagnant
et en soutenant les fournisseurs à potentiel selon ses propres
capacités et compétences.
L’organisation peut mesurer ses progrès sur ces sujets
ambitieux en définissant des indicateurs et des objectifs et
en lançant des enquêtes auprès de ses fournisseurs sur leurs
attentes et leur appréciation de la contribution de leur client
au renforcement de leur filière d’activité.
- L’appréciation du coût total de l’achat est très souvent
positionnée par les directions achats comme un levier
incontournable dans les stratégies, procédures et processus
achats. Pour mettre le TCO au cœur de la politique achat,
certaines organisations vont jusqu’à responsabiliser les
acteurs de la fonction achat sur l’application de cette
méthode. Des documents à usage interne - voire externe –
formalisent comment apprécier les offres fournisseurs sur
la base du coût complet avec des grilles de coûts détaillées.
En complément, l’acheteur conduit une analyse du risque
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fournisseur avant d’attribuer un marché de façon à intégrer
l’ensemble des aléas pouvant impacter l’évaluation des
coûts totaux.
Le management intègre le TCO dans la formation de base de
ses acheteurs et de ses prescripteurs, (quitte à mettre en
place des dispositifs d’accompagnement par des ressourcesexpertes sur l’approche TCO.) Dans ce cadre, pour pousser à
application de cette approche, des objectifs quantitatifs sur
le nombre de dossiers à traiter en TCO peuvent même être
fixés selon le degré de maturité des différents domaines
d’achats. Il est possible de mesurer le degré d’application du
TCO en s’appuyant sur le contrôle de gestion.
Le troisième domaine, l’intégration des facteurs environnementaux et sociétaux dans le processus achat, conduit à
enrichir les grilles d’analyse des offres selon le concept du
« Mieux-disant ». Cette approche bien plus complexe que les
attributions de marché au moins-disant nécessite souvent la
mise en place de comités de pilotage « achats responsables »
afin de passer en revue la tenue de ces objectifs spécifiques.
Sous ce même volet de responsabilité sociétale, les achats
s’intéressent également à leur contribution au développement du territoire.
- L’intégration dans le processus d’achat des performances
environnementales des fournisseurs et sous-traitants vise
à anticiper les impacts environnementaux de sa politique
d’achat, de ses sources d’approvisionnement et de son
cahier des charges produits/services. La politique achat
définit explicitement un volet environnemental avant de
responsabiliser les acheteurs, de tous les former et de leur
faire définir leur plan d’action sur leurs catégories d’achats.
Pour s’assurer du respect par les fournisseurs de leur
conformité aux obligations environnementales, l’organisation se mobilise d’abord en interne en mettant en place des
guides, outils, spécifications, voire en faisant un lien avec
l’approche TCO , en appuyant les acheteurs avec des
ressources experts et en fixant des objectifs aux acheteurs
sur l’intégration des critères RSE . Arrivée à ce stade de
maturité, une organisation peut contractualiser avec ses
fournisseurs pour exiger des certifications environnementales, évaluer leur performance, les impliquer pour qu’ils
deviennent moteurs dans ces démarches, suivre leurs
améliorations et les contrôler, voire choisir d’exclure les
fournisseurs défaillants sur ce point. Un volet Performance
RSE et environnementale structuré dans le tableau de bord
de la Direction mesure la part des achats concernée.
- L’intégration des performances sociales connaît les mêmes
bonnes pratiques que la dimension environnementale.
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L’objectif est de s’assurer du respect par les fournisseurs de
la conformité aux normes sociales en vigueur, de valoriser
leur engagement en matière d’insertion par l’économique
et d’inciter les fournisseurs à renforcer leurs pratiques et
les accompagner.
- La contribution au développement du territoire nécessite
en tout premier lieu, de créer et développer un tissu de
relations de proximité en veillant aux bons échanges de
relations d’affaires avec les fournisseurs et sous-traitants
implanté sur un même territoire. La problématique territoriale est alors intégrée explicitement dans la politique achat
de l’entreprise, avant que celle-ci se rapproche des acteurs
locaux pour participer avec eux à des programmes d’actions
collectives. Il peut s’agir de favoriser la création, le
développement et la consolidation d’entreprises dans les
territoires d’implantation par l’essaimage ou l’aide à la
création d’entreprises. Les acheteurs s’attachent à
diversifier le réseau des fournisseurs en favorisant les
relations et les prises de contacts avec les PME. En
participant activement à la revitalisation des bassins
d’emplois, l’entreprise contribue à développer l’activité
économique sur ses territoires d’implantation. Elle peut
également optimiser les retombées économiques locales
liées aux achats, aux politiques d’investissement et aux
contributions aux infrastructures locales. Ces indicateurs
dans les tableaux de bord doivent permettre de savoir
apprécier et valoriser la proximité des fournisseurs.
Le quatrième et dernier domaine concerne les conditions
pré-requises de la qualité de la relation avec les fournisseurs
en s’attachant à la professionnalisation de la fonction et du
processus achat et au développement des relations et de la
médiation commerciales.
- L’organisation qui veut mettre en place des achats responsables recourt à des acheteurs respectueux des règles du
marché, des règles du droit commercial et de l’éthique. Elle
formalise son engagement dans des documents de
référence (code éthique, procédures achats, …), les diffuse
largement en interne et définit précisément le diagramme
de communication pour l’externe. Le comité de direction
achat veille à faire établir les plans de formation de
l’ensemble des acteurs concernés par le processus achat,
valide les objectifs (thématiques, collaborateurs concernés,
…) fixés en lien avec la stratégie achat. Il est sain d’évaluer
annuellement l’entité avec un auditeur indépendant (audit
interne, certification ISO9001, label Relations fournisseur
responsables, …) et de faire reconnaître le degré de
maturité des équipes achats. La politique de rémunération
N ° 1
des acheteurs est fixée de manière cohérente à tous les
niveaux de la filière et selon la nécessaire pluralité des
objectifs relatifs aux achats responsables (TCO, RSE,
Relations fournisseurs, …).
- Les meilleures pratiques pour assurer la qualité de la
relation client-fournisseur privilégient la médiation comme
mode de traitement alternatif des litiges en désignant un
ou des médiateurs internes et en formalisant une clause de
médiation dans les contrats d’achats. La fonction achat
pilote et coordonne l’ensemble des prescripteurs et utilisateurs en contact avec les fournisseurs, elle favorise le
dialogue avec les fournisseurs et l’ensemble des collaborateurs est formé à la gestion des relations fournisseurs. Pour
renforcer ses pratiques en matière d’achat responsable, une
organisation a besoin de faire évoluer ses indicateurs et ses
tableaux de bord afin de pouvoir mesurer le degré d’intégration de ses engagements dans ses plans d’actions, leur
déploiement sur le terrain et la perception des parties
prenantes concernées, en particulier les fournisseurs.
Conclusion :
L’asymétrie qui existe dans les relations entre les PME et
les Grands Groupes engendre de nombreux conflits, de
l’incompréhension et pénalise la performance économique
de notre pays. Par la pratique de politiques et de stratégies
de court terme, l’ignorance des composantes locales et
l’encouragement à la délocalisation, se justifiant par la
course au prix le plus bas, les acheteurs peuvent participer
à la fragilisation et à la paupérisation du tissu industriel
français.
Pour protéger nos PME innovantes et performantes, l’encadrement législatif contrôlant les relations et les activités
avec les Grands Groupes n’est pas une solution suffisante.
Des organismes publics tels que la Banque Publique d’Investissements Bpifrance ou les Médiations nationales des
relations interentreprises et des marchés publics permettent
un accès facilité au financement et apaisent les relations
client-fournisseur ; mais il faut, au-delà, enclencher l’appropriation par les acheteurs eux-mêmes de nouvelles pratiques.
La conduite du changement vise à faire évoluer les organisations mais aussi les comportements individuels.
Notre pays à l’instar de nos voisins italiens ou allemands doit
poursuivre le développement de ses filières intégrées. Les
Grands Groupes donneurs d’ordres devraient davantage
s’appuyer sur les compétences et richesses de proximité pour
développer leurs avantages concurrentiels. Le leadership des
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Grands Groupes doit servir à impulser et accompagner l’innovation. Ceci est réalisable au sein de grappes, de clusters
régionaux et de pôles de compétitivités qui sont d’excellents
accélérateurs d’innovations et de connaissances. Les
stratégies peuvent choisir de s’appuyer à la fois sur les fournisseurs historiques et de faire de la rupture avec de
nouveaux acteurs ou des start-ups.
Pour cela, un nouveau modèle collaboratif doit émerger. La
création de valeur en amont qui apporte plus de
performance sera permise par l’établissement d’une
véritable collaboration et la signature de partenariats sur
le long terme. Il faut faire grandir les PME en ETI et les
accompagner dans la mutation pour que celle-ci devienne
structurelle et pérenne.
Le modèle collaboratif n’est envisageable que si les responsables Achat mettent en place des politiques responsables
et appliquent des relations durables et équilibrées. Il existe
alors, comme citées précédemment, des mesures simples,
peu coûteuses et faciles à mettre en place. Outre la
nécessaire volonté des directions Achat, la Médiation interentreprises, la Médiation des marchés publics et la CDAF
peuvent accompagner nos entreprises à mettre en
application ces bonnes pratiques et rendre l’acheteur acteur
d’une économie responsable.
La relation client-fournisseur ne doit pas se résumer à un
rapport de force. La qualité de cette relation tient d’une
responsabilité commune de l’organisation, et, de
l’individu. n
Bibliographie :
- Bartlett A., Ghoshal S. 1989, « Managing across borders : the transnational solution », Cambridge, Harvard Business School
Press.
- Comité Richelieu, Synthèse du rapport annuel 2014, Observatoire des engagements et actions du gouvernement au service
de l’innovation et de la croissance.
- Direction Générale de la Compétitivité, de L’industrie et des Service, 2010, « Les entreprises de taille intermédiaires (ETI) »,
Mai 2010.
- Fréry F. 2013, « Pourquoi il est urgent de défendre les PME contre les pratiques de certains grands groupes », atlantico.fr,
30 Septembre 2013
- Germa J-M, Patrizio F. 2014, « Restaurer la confiance entre PME et grands groupes », Le Monde.fr, 25 Septembre 2014.
- Gless E. « PME et Grande distribution: cinq bonnes raisons de négocier maintenant », l’entreprise.lexpress.fr, 25 Novembre
2013
- KPMG, Voyage au cœur des entreprises de taille intermédiaire (ETI), Une stratégie de conquête, Mars 2012.
- McKinsey & Company, Contribution des grandes entreprises à l’économie française, 18 Juin 2014.
- Natixis, Pourquoi y-a-t-il peu d’entreprises de taille intermédiaires en France, Flash économie – Recherche économique, N°544,
7 Juillet 2014.
- Rabiller P., 2014, « Maison Lartigue & Fils, l’artisan qui a tout d’un grand », latribune.fr, 08 Juillet 2014
- Retailleau B., 2010, « Les entreprises de taille intermédiaire au cœur d’une nouvelle dynamique de croissance », Rapport au
Premier ministre, La documentation française, (http://www.comite-richelieu.org/wp-content/uploads/2014/03/synthese-rapportb-retailleau.pdf)
- Pactepme.org
- Talents d’Acheteurs – 1ères Editions – Mai 2014, Collectif des Labélisés Relations des Fournisseurs Responsables.
- Talents d’Acheteurs – 2ème Edition – Octobre 2014, Collectif des Labélisés Relations des Fournisseurs Responsables.
- Talents d’Acheteurs – 3ème Edition – Décembre 2014, Collectif des Labélisés Relations des Fournisseurs Responsables.
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Excellence HA n°4
D O S S I E R
MAR IE GOMEZ-BREYSSE
N ° 1
Docteur en Sciences de Gestion, Chercheur associée Montpellier Research Management
Ingénieur de Recherche Labex Entreprendre – Université de Montpellier
LE POINT DE VUE D’UNE
ACADÉMICIENNE SUR L’ARTICLE :
La Relation PME – Grands Groupes
De la même façon que l’acheteur peut
contribuer à fragiliser le tissu industriel national
par une stratégie de court terme, privilégiant la
délocalisation et la politique du moins disant, il
peut être un acteur clef du développement
économique. Pièce maîtresse d’une
collaboration durable entre les GE et PME, il
peut faciliter et accélérer l’avènement
d’innovations, l’accès au marché pour un plus
grand nombre et par inférence la croissance et
l’emploi sur les territoires.
Dans un contexte où la mouvance sociétale conduit à la fois
les consommateurs et les politiques à formuler des exigences
(consommation locale, raisons écologiques et création
emploi local) auprès des entreprises, la collaboration
PME/GE apparaît être une contribution majeure à la création
de valeur à la fois sur le plan de l’innovation, le plan
économique et le plan territorial. On sait que la qualité des
relations interentreprises résulte souvent de mêmes styles
de management (Hill et Hellriegel, 1994). Dès lors, s’interroger sur la relation grands groupes et PME renvoie à leurs
spécificités managériales. Or si les grands groupes agissent
selon des procédures bien établies et définies par l’organisation, dans le cas de la PME, fortement ancrée territorialement,
qui revêt des formes diverses, les choix et décisions résultent
davantage de l’individu-entrepreneur ou l’individu- manager.
De fait, la PME est une entreprise de proximité, là où le grand
groupe apparaît comme un acteur de distance, que ce soit en
interne (distance hiérarchique), au niveau des marchés (think
global, act local), ou en terme de sourcing (meilleur ratio coût
/opportunité). Cette situation asymétrique (taille, objectifs
stratégiques) engendre un déséquilibre qui se traduit par un
contrat de collaboration souvent en défaveur du plus faible
(Labordes, 2002). Tout l’enjeu de la relation PME/Grands
groupes réside dans la mise en place d’une forme de
proximité, favorisant un partage d’objectifs et le développement de relations interpersonnelles à l’origine de collaborations fertiles.
La proximité : vers des objectifs
partagés
L’engagement dans un accord implique « la volonté de
partager des risques, d’atteindre des objectifs que les alliés
ne pourraient réaliser isolément et de supporter ces coûts de
coordination » (Jaouen A., 2008). Les deux parties doivent
ainsi présenter des points d’achoppement leur permettant de
converger à plusieurs niveaux. Pour autant PME et GE
présentent des spécificités marquées.
Face à la GE, la PME est bien démunie, la relation souffre
inévitablement d’asymétrie (Meier et Missonier, 2012). Les
PME sont hétérogènes, elles comptent de 1 à 250 salariés,
et ont des formes de management allant de la PME de
proximité à la PME managériale (Torres, 2002). Sur ces bases,
la littérature fait état de nombreuses typologies d’entrepreneurs parmi lesquels on retiendra deux idéaux types très
différents, représentatifs des divergences de motivations et
d’objectifs et annonçant d’ores et déjà la complexité de
relations de collaboration. Les entrepreneurs dit
« classique », c’est-à-dire le shumpeterien, qui se nourrit de
l’innovation destructrice, créatrice de valeur économique
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recherchant la croissance pour certains et y étant plus réfractaires pour d’autres (Davidsson, 1991). Deuxièmement, on
peut citer le « lifestyle » (Gomez-Breysse, 2010) qui recherche
un meilleur équilibre de vie et est souvent réfractaire aux
nouveaux partenariats, privilégiant les réseaux personnels
établis (Peters, 2009). Ainsi comment rapprocher les intérêts
d’une PME dont les problématiques majeures résident
majoritairement dans l’apport de capitaux (innovation et
besoins en trésorerie) et la visibilité (accès au marché) et la
grande entreprise qui recherche la flexibilité, est impliquée
dans une guerre des prix sans limite et affichant des ratios
clients/fournisseurs à la limite de la légalité ?
Activer une ou des forme(s) de proximité permet et améliore
la mise en place de relations prenant en compte la vision des
acteurs (Meier et Missonnier, 2008). L’exemple des
Mittelstand illustre bien la nécessité d’une proximité à la fois
géographique et organisationnelle (Rallet et Torre, 2004).
Même si les évolutions technologiques ont modifié la relation
des acteurs à la distance, la proximité géographique facilite
les rencontres (appartenance à un territoire) et la capacité à
collaborer (transport limité pour les achats et clusters).
D’ailleurs, les PME ont pour caractéristiques d’être fortement
ancrées dans leur territoire et les consommateurs demandent
de plus en plus de produits locaux. La proximité organisée,
de nature relationnelle, est appréhendée comme la capacité
à faire interagir ses membres faisant émerger deux logiques :
la logique d’appartenance (routines inscrites dans les gênes
d’une organisation, d’un groupe et la logique de similitude
(partage de croyances, de savoirs, une proximité culturelle).
C’est à partir à la fois d’un ancrage territorial commun et de
rapprochement par un partage des savoirs, de croyances, de
valeurs, comme la RSE, que les entreprises vont pouvoir
engager des relations sous un nouveau jour. Dès lors la
nature de la relation PME/Grands groupes passe d’une vision
inter-organisationnelle à une vision inter-personnelle, dont
l’entrepreneur et les acheteurs sont les acteurs clefs. Dans
cette dynamique, les acheteurs vont passer d’une logique de
coût à une vision stratégique partagée avec leurs fournisseurs (qualité des produits, prise en compte de l’empreinte
écologique, innovations, volonté d’accès à de nouveaux
marchés).
La collaboration GE/PME repose sur une relation interpersonnelle entre le dirigeant de PME et l’acheteur où la
confiance cimente une relation qui peut parfois être
déséquilibrée contractuellement. La proximité qu’elle soit
géographique ou organisée est un élément transverse d’une
relation collaborative durable et doit permettre de retrouver
l’équilibre.
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L’équilibre de la relation :
vers des engagements durables
Dans un environnement où l’on cherche à responsabiliser
l’entreprise au plan sociétal (économique, environnement et
social), il revient à l’acheteur de favoriser la collaboration
avec les PME locales. Une exigence qui bouleverse ses
habitudes de management par les coûts. Pratique qui est
remise en cause dans la littérature, présentant de réelles
limites à la création de valeur (Porter et Kramer, 2011).
L’acheteur, pour créer de la valeur durablement à travers des
relations collaboratives avec ses fournisseurs doit donc revoir
son mode de fonctionnement.
Premièrement, à l’origine de toute collaboration
contractuelle, on identifie une phase de négociation à l’issue
de laquelle les acteurs doivent pouvoir identifier des objectifs
partagés (accès à de nouveaux marchés, lancement d’une
innovation, respect de l’environnement…) en lieu et place
d’une recherche d’affaiblissement de son partenaire
(Poissonnier et al. 2012).
Deuxièmement, il doit faciliter l’émergence d’une relation de
confiance qui influence la qualité des échanges, favorise les
échanges d’informations et le contrôle informel (Ireland et
al. 2002). Ce qui se traduit notamment par le respect de ses
engagements en termes : de volumes annoncés, de délais de
commandes, de délais de règlement…
Troisièmement, il doit faire preuve d’éthique dans la relation
tant sur le plan de la sélection des fournisseurs que de la
répartition équitable des revenus économiques permettant
ainsi à la PME de créer des emplois et de poursuivre ses
projets d’innovations qui seront à leur tour des ressources
exploitables par la GE. On enclenche donc un cercle vertueux.
Ces modifications dans la mission des acheteurs sousentendent la mise en place d’indicateurs d’évaluation dans
l’organisation, non seulement basées sur l’économique mais
aussi sur l’environnement et le social sans oublier la
pérennité des relations avec les fournisseurs et les projets
portés en commun. De nouveaux outils restent à inventer. n
Bibliographie
Davidsson P., « Continued entrepreneurship: ability, need
and opportunity as determinants of small firm growth »,
Journal of business venturing, 6: 405-429, 1991.
Gomez-Breysse M., Thèse de doctorat en Sciences de
Gestion, « L’entrepreneur lifestyle, un processus entrepreneurial et hypermoderne », Université de Montpellier 1,
2010.
Hill R.C., Hellriegel D., « Critical contingencies in joint
venture management: some lessons from managers »
1994.
Ireland R.D., HITT M.A., VAIDYANATH D., « Alliance
management as source of competitive advantage »,
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JULIETTE DUP ILLE
N ° 2
« Juliette Dupille est consultante formatrice au sein d’Alteractive. Après vingt ans de responsabilité marketing
puis achat au sein du groupe Kering, elle a suivi le Master Développement Durable et Organisations de
l'université Dauphine (promotion DDO10) afin de compléter son expérience par une approche de gestion
d’entreprise intégrant l’ensemble des enjeux dans le cadre de la Responsabilité sociétale des entreprises et
organisations. Sa première expérience au sein de la Direction des Opérations et Méthodes Achats de L’Oréal la
conforte dans ses choix.
Email : [email protected]
LE MÉTIER D’ACHETEUR
une contribution à la responsabilité
de l’entreprise ?
« Le métier d’acheteur est en train de vivre une révolution passionnante, lui qui a été longtemps
cantonné au triptyque QCD (Qualité Coût Délai). L’évolution du métier à travers la RSE lui permet
de contribuer à la valeur de l’entreprise en rétablissant la chaine de responsabilité. J’entends par
là, être responsable de sa relation fournisseur… »
Parler achats responsables, c’est comprendre qu’à travers une
responsabilité élargie, l’acheteur, en interface avec les
différentes parties prenantes, peut jouer un rôle clé pour la
performance de l’entreprise à travers un rôle plus moteur sur
des enjeux autres que des enjeux de coûts, de qualité, des
délais.
Parler achats responsables, c’est comprendre que les
« savings » à court terme peuvent et doivent être remplacés
par des bénéfices à long terme, car la performance
économique passe aussi par la prise en compte du capital
social et environnemental. Cela revient par exemple à :
- introduire des critères RSE au même titre que les critères
QCD au niveau du cahier des charges,
- manager sa relation fournisseurs dans un objectif de
création de valeur bilatérale,
- ou tendre vers une approche globale des coûts intégrant
tous les impacts sociaux et environnementaux de
l’ensemble du cycle de vie aval à l’achat
Les relations fournisseurs/donneurs d’ordre et donc toute
entreprise ou organisation ne seront durables que s’ils sont
responsables.
L’objectif de cet article est d’étudier et de proposer des
pistes de réflexion sur l’acheteur et son rôle en tant qu’acteur
au cœur d’un système dans une démarche d’achat
responsable, et de comprendre quelle est sa contribution à
la responsabilité de l’organisation dans laquelle il travaille.
Le métier d’acheteur : un métier qui
s’est professionnalisé au gré du
contexte économique
Aborder les achats responsables (en référence à la notion de
responsabilité) sous l’angle de l’achat est assez réducteur, car
la notion d’achat fait référence en fin de compte à une notion
économique. À l’inverse, parler d’achats responsables sous
l’angle de l’étude du métier d’acheteur permet d’ouvrir le
champ des possibles au-delà de la seule notion économique.
Cela fait référence à la théorie de la responsabilité anthropologique et du rapport entre les différents types de savoirs
(savoirs, savoir-faire, savoir-être) et de pouvoirs, avec les
actes et les décisions.
La RSE ou la RSO (Responsabilité sociétale des
entreprises/organisations) est un sujet sur le devant de la
scène. À travers la presse spécialisée, les enjeux réglementaires de reporting extra financier, les colloques sur les
achats, le sujet des achats responsables est à l’honneur, et ce
malgré la crise actuelle.
Mais la crise que nous traversons, semble d’un nouveau
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genre. Elle ne peut être comparée aux crises « économiques
classiques » et pourrait s’apparenter à une crise plus
profonde, qui prend ses racines dans les valeurs d’une société
qui se cherche et qui a atteint les limites d’une économie
« traditionnelle ». Dans ce sens, je parlerais plus de
transition profonde du modèle économique que de crise.
Les évènements qui ont marqué le début de l’année 2015 sont
là pour nous le rappeler… Le monde est en perpétuelle
évolution. La réaction face aux évènements qui ont touché la
France est porteuse de beaucoup d’espoirs, dans la
dynamique collective qu’elle a suscitée. Ce mouvement
commun pour des valeurs profondes est une forme de
traduction de cette prise de conscience qui fait référence à
la notion d’intelligence collective, et de dynamique collaborative qui constitue un des piliers de la responsabilité
sociétale (RSE ou RSO).
La nature de cette transition du modèle économique
constituerait donc un terreau fertile à l’expression du rôle de
chacun des acteurs dans l’environnement économique dans
lequel il évolue. L’acheteur en tant qu’acteur de l’entreprise
ou de l’organisation dans laquelle il travaille, est donc
concerné, et à ce titre, on peut s’interroger sur l’impact de
cette évolution sur son métier et sur son champ de responsabilité.
Avant d’étudier et proposer des pistes de réflexion sur le
métier d’acheteur en devenir, il est important pour
commencer de faire un petit rappel historique du métier
d’acheteur. Les achats existent depuis que l’entreprise existe.
En ce sens, la fonction Achat n’est pas récente, mais c’est sa
professionnalisation qui l’est. Le métier s’est professionnalisé, pour sortir les entreprises du contexte économique
difficile (effets de la crise pétrolière puis de la mondialisation) ou sortir les organisations publiques d’un contexte
budgétaire difficile. Le cadre économique a donc fortement
influencé la manière dont le métier d’acheteur est sorti de
l’ombre et s’est professionnalisé depuis environ trente-cinq
ans (une professionnalisation plus récente dans le secteur
public).
Deux phénomènes ont caractérisé la professionnalisation du
métier. D’une part, la mondialisation, et les coûts de maind’œuvre bas dans les pays émergents de l’époque permettent
de faire des « savings » rapidement. D’autre part, les
donneurs d’ordre, se recentrant sur leur cœur de métier, ont
externalisé des activités, développant ainsi le périmètre
d’achat et les enjeux financiers.
La responsabilité des acheteurs a été dans ce contexte, perçu
avant tout comme économique avec l’objectif d’améliorer la
marge financière des entreprises. Des objectifs de coûts puis
de qualité et délais (liés au sourcing de plus en plus lointain)
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ont donc été assignés aux directions achats, répondant à des
enjeux court terme. Un « court-termisme » qui ne rentre pas
forcément dans la dynamique d’une réflexion de stratégie
d’entreprise. Pour preuve, dans de nombreuses entreprises,
les directions achats ont été longtemps ou sont encore
écartées des Comités de Direction. Certes, le côté stratégique
de la fonction d’acheteur est reconnu, mais principalement
sur l’aspect économique. Seules quelques grandes
entreprises (ou de taille moyenne, plus rares) ont commencé
à intégrer leur direction achat à la réflexion stratégique de
l’entreprise.
Dans les années 2000, ces stratégies achat inspirées par la
réduction des coûts et l’internationalisation se sont heurtées
à des impératifs environnementaux, sociaux et éthiques
grandissants. L’évolution des achats vers une approche
responsable va s’opérer lentement via la dimension
cindynique du sourcing. Ce n’est donc que récemment que la
fonction achat n’est plus uniquement synonyme d’approvisionnement au meilleur coût. La décision de sourcing se
soumet aussi comme toutes les décisions à des procédures
de gestion des risques.
Ceci est particulièrement vrai dans certains secteurs
(automobile, agro alimentaires, textile, banques assurances…
) où le risque est une donnée omniprésente. Cette notion de
risque est intégrée dans les processus et devient incontournable. Il est aujourd’hui important de la resituer dans le cadre
de la responsabilité sociétale de toute entreprise.
Le métier d’acheteur n’a donc cessé et continuera d’évoluer
et de se professionnaliser, permettant à l’acheteur d’élargir
son périmètre de responsabilité. Cette nécessaire et passionnante évolution du métier d’acheteur vers une notion de
responsabilité élargie est en effet, à l’origine de nombreuses
opportunités de création de valeurs pour l’entreprise. Une
responsabilité élargie implique de faire cohabiter des
objectifs courts termes et longs termes au sein des
directions achats, faisant des achats responsables une
direction stratégique pour contribuer à la performance
globale de toute organisation.
LA RSE comme vecteur d’évolution du
métier et des responsabilités de
l’acheteur.
Une étude sociologique du métier d’acheteur, réalisée lors
de mon Master II en Développement Durable et Organisation
de Dauphine (promotion DDO10), a été riche d’enseignements. En effet la sociologie du travail permet d’analyser les
rapports que tissent les hommes et les femmes dans le milieu
du travail, en partant du postulat que ces rapports sont
multiples, complexes.
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C’est une approche qui met l’homme au centre de l’analyse :
approche qui nous semble la plus pertinente tout d’abord
dans une perspective de développement durable à travers
l’axe du capital humain. D’autre part, le métier d’acheteur
étant en interface avec de nombreuses parties prenantes
internes et externes, il était intéressant d’analyser toutes les
possibilités de création de valeurs créées à l’occasion de ces
relations humaines.
L’acheteur seul n’existe pas. Sans fournisseur pas d’entreprise, pas d’acheteur. Sans clients internes, même constat. La
place accordée aux techniques interpersonnelles ou sciences
humaines (sciences molles) dans les relations de l’acheteur
avec ses parties prenantes internes et externes est donc
capitale.
Le recentrage des entreprises sur leur cœur de métier depuis
les années quatre-vingts avec un phénomène d’externalisation croissante, a conduit à une organisation des entreprises
en silos, avec un risque d’interruption de la chaine de
responsabilité. L’entreprise en sortant une partie croissante
de ses activités à l’extérieur de l’entreprise a également
déplacé sa responsabilité. Ce changement n’est pas envisageable dans un cadre de responsabilité limitée.
Le rôle pivot de l’acheteur en interface avec les différentes
parties prenantes est clé pour rétablir si nécessaire cette
chaine de responsabilité. Cette notion de responsabilité
s’intègre donc parfaitement dans la Responsabilité
Sociétale des entreprises.
La RSE devient donc un moyen pour les acheteurs d’assumer
pleinement leurs responsabilités. Cette responsabilité
élargie, en lien avec les trois piliers du développement
durable, permet à l’acheteur de jouer un rôle clé pour la
performance globale de l’entreprise et donc pour sa
durabilité.
Le pilotage des risques par exemple permet l’évitement de
coûts additifs. Selon l’étude HEC/EcoVadis1 qui se base sur
les réponses de 133 directions Achats de 24 pays, le premier
facteur à l’origine des initiatives d’Achats et approvisionnements responsables est le Management du risque. 3 types
de risques ressortent prioritairement :
- Le risque d’image apparaît comme le premier élément
moteur pour la mise en œuvre d’une stratégie d’approvisionnement responsable. Pour 61 % des entreprises, c’est
un facteur déterminant et 35 % un facteur important.
- Le risque de non-conformité de l’entreprise (compliance)
vis-à-vis des nouvelles réglementations apparait comme le
N ° 2
deuxième moteur déterminant pour 43 % des entreprises
(pour 50 % c’est un facteur important).
- Enfin, le risque de ruptures d’approvisionnement est pour
25 % des entreprises un facteur déterminant et pour 62 %
un facteur important.
La typologie des réponses varie selon que la direction des
achats soit européenne ou américaine. Ainsi les 2 facteurs
prédominants pour l’Amérique du Nord sont le risque de nonconformité de l’entreprise (compliance) et la réduction des
coûts.
Pour les directions des achats européennes, la motivation est
liée avant tout à la préservation de l’image de l’entreprise et
à la capacité de répondre aux attentes clients.
Ces quelques chiffres nous enseignent deux axes fondamentaux, en lien avec notre sujet : d’abord, les raisons qui
poussent les entreprises à entreprendre une démarche
responsable sont majoritairement d’ordre défensif.
L’approche proactive ne semble que peu d’actualité.
D’autre part, il s’avère que les aspects culturels sont clés dans la
mise en place ou non d’une démarche responsable de leur achat.
Ces deux réflexions placent à nouveau la dimension
humaine au centre des enjeux. C’est bien l’acheteur en tant
qu’acteur au sein d’une organisation qui est intéressant. Car
la clé de l’appropriation optimale d’une démarche d’achat
responsable, par les entreprises, est l’ensemble des salariés
qui la mettent en place, à tous les échelons de l’entreprise.
Bien sûr, cela présuppose que la RSE et son impact sur la
stratégie de l’entreprise soient initialisés et soutenus par la
Direction générale, afin qu’elle soit dans les gênes de l’entreprise et devienne à terme un élément fédérateur au sein
de l’entreprise ou organisation. Cela suppose donc de
convaincre le Top management de la nécessité de repenser
les responsabilités de chaque acteur dans l’entreprise.
Le cadre réglementaire en France favorise cette réflexion
autour de la notion de Responsabilité collective et individuelle. Le reporting extra financier n’en est que la face visible.
Les achats responsables seront dès 2016, encadrés par la
« soft law » au niveau international, la future Norme ISO 20
400 qui est le pendant international de la NF X50-135.
Mais les enjeux vont bien au-delà des enjeux de
« compliance ». Quand on engage entre 60 et 75 % du CA de
l’entreprise à l’extérieur de l’entreprise, on ne peut plus
envisager d’avoir une relation fournisseur qui ne soit ni
responsable ni durable, on doit amorcer une approche
collaborative qui dégage une « valeur partagée » forte, et
un véritable avantage concurrentiel.
HEC/EcoVadis 2013 – 6th Sustainable Procurement Barometer.
www.hec.fr/News-Room/Actualites/6eme-edition-du-barometre-HEC-EcoVadis-Mesurer-le-creation-de-valeur-par-les-achats-responsables
Les entreprises européennes interviewées sont basées en France, Angleterre, Italie, Allemagne, Belgique, Hollande, Autriche et Suisse.
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La compétitivité de l’entreprise de demain ne se fera pas
simplement à travers la marge, elle sera aussi « hors prix »
en intégrant des composants environnementaux et
sociétaux. Or tout au long de la chaine de valeur d’une
direction achats, les enjeux (risques et opportunités) sont
nombreux. Les externalités en lien avec l’acte d’achat sont
économiques mais également sociales, sociétales et environnementales. Dans la conception du cahier des charges, dans
le choix et la gestion fournisseurs, l’acheteur joue un rôle
essentiel dans l’impact de son entreprise.
Le rôle pivot des acheteurs au sein des parties prenantes,
leur confère une position clé pour faire correspondre au
mieux l’éco système de fournisseurs et les axes stratégiques
de l’entreprise.
Ainsi la légitimation du service achat passera par un raisonnement en valeur et non en réduction de coût. Raisonner en
valeur c’est comprendre que les acheteurs peuvent créer de
la valeur par les achats par le haut (amélioration technique,
sociale, environnementale) et pas simplement par le bas
(réduction des coûts).
L’acheteur 2015 et ses multiples champs
d’action à l’origine de la valorisation de
la fonction.
L’Acheteur de demain doit donc contribuer à la valeur de l’entreprise en étant garant de la chaine de responsabilité.
J’entends par là, être responsable de sa relation fournisseur
permettant de :
- Poursuivre ou initier un processus de gestion des risques
en ayant une approche RSE de la gestion des risques. Dans
le choix et la stratégie fournisseur, de nombreux outils
existent pour piloter au mieux sa stratégie fournisseur :
cartographie des risques fournisseurs, évaluation fournisseurs, gestion de la dépendance économique…
- Remettre les directions achat au sein des enjeux financiers
par une meilleure gestion des flux financiers avec les fournisseurs : fiabilité du processus, engagement des dépenses,
facturation, suivi des délais de paiement. Acheter, c’est
avant tout piloter au mieux les dépenses de l’entreprise,
plutôt que de faire des « savings ».
L’enjeu des délais de paiement peut être résumé en quelques
chiffres. Pierre Pelouzet2 médiateur des relations interentreprises depuis novembre 2012, résume la situation avec
quelques chiffres clés : le crédit interentreprises est de 600
milliards d’euros (à comparer au crédit entreprisesbanques qui n’est que de 175 milliards). Il manque environ
13 milliards d’euros dans les comptes des PME et c’est la
raison de 25 % de faillites de PME en France. Chaque
acheteur, - ainsi que la direction financière et l’équipe
dirigeante- doit être aussi conscient de ces impacts très
concrets sur le tissu économique. Pour faire évoluer les
pratiques, il est essentiel de convaincre les réseaux
financiers et les directions générales de l’opportunité de la
démarche et donc les associer.
Comme le souligne Vincent Leroux Lefebvre3, un donneur
d’ordre avec une trésorerie positive, a tout intérêt à payer son
fournisseur à 30 jours avec un escompte à 2 %, plutôt que
Auteur : Vincent Leroux Lefebvre : http://www.performance-rse.com (infographie disponible sur le blog).
[email protected]
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N ° 2
Auteur : Vincent Leroux Lefebvre : http://www.performance-rse.com (infographie disponible sur le blog).
[email protected]
de placer à court terme (taux moyen en 2014 de 1,66 %4) et
le payer à 60 jours. (À noter que le taux interbancaire ne
cesse de baisser pour atteindre en mars dernier 0,52 %). Une
situation propice à une relation constructive et durable avec
le fournisseur.
Ainsi, une créance de 10 000 €, coûte en réalité 9844 € si elle
est payée à 30 jours et 10 027 € si elle est payée à 60 jours,
en appliquant les taux évoqués ci-dessus. Une entreprise
ayant modifié sa politique de délai de paiement a amélioré
sa trésorerie immédiate (+34,6 % 1er semestre fiscal 2015
versus 1er semestre fiscal 2014, a baissé son nombre de
demandes d’acompte de 22 % et le temps de traitement est
passé de 26 à 14 jours.
Cet exemple reflète bien la responsabilité individuelle de
l’acheteur qui décide ou non de s’atteler à ce sujet. De bonnes
pratiques sont à noter dans certaines directions achat, qui
gère l’aspect « délai de paiement » par un indicateur global
« montant de la dette due aux fournisseurs ». Un indicateur
clé qui, quand il est bien suivi par l’acheteur, permet de
réduire de façon drastique et rapide les retards de paiements
et donc les litiges fournisseurs.
- De raisonner en coût global, exercice très complexe à
mettre en place, mais permettant également d’impacter à
plus ou moins long terme les enjeux financiers. En ayant
recours au secteur adapté par exemple, l’acheteur diminue
son coût d’achat par une baisse des charges de l’entreprise,
en baissant la contribution AGEFIPH. Cela implique d’avoir
un objectif de coût global incluant l’ensemble des
directions, les budgets AGEFIPH étant rattachés à la
direction ressources humaines et rarement à la direction
achat. Ces arbitrages font référence aux enjeux de
gouvernance d’entreprise.
2
Intervention lors de la présentation des résultats du baromètre des Achats responsables. L’étude complète (2015) est disponible à
l’adresse suivante :
www.ecovadis.com/website/l-fr/etudes.EcoVadis-13.aspx
3
Intervention à l’Obsar « La RSE dans les achats de prestations : gestion du risque fournisseurs ou vraie opportunité ?: 13/11/14
4
Taux bancaire communiqué par A2 Consulting lors de la présentation des Résultats de l’étude «création de valeur et délais de
paiement» : 12/02/14
Excellence HA n°4
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23/56
- Remettre les directions achat au sein des enjeux de
business : un management constructif de la relation
fournisseur permet d’aller chercher l’innovation à
l’extérieur. Comme le souligne M. Pierrotin, directeur de la
Cegos : « Le sachant, c’est le fournisseur ». À ce titre,
certains grands donneurs d’ordre ont compris l’intérêt de
solliciter les fournisseurs dans la formalisation du besoin.
La capacité à co-construire et co-promouvoir l’innovation
avec les fournisseurs est à l’origine de création de valeur
partagée. L’innovation est un axe de différenciation
fondamental, facteur clé dans l’évolution des business
modèles de l’entreprise. Ce processus permet donc une
nouvelle façon de travailler avec les fournisseurs en leur
proposant des voies d’amélioration ou en travaillant
ensemble sur des solutions innovantes. Les programmes de
développement fournisseur et d’open innovation,
nécessitent alors une relation avec son fournisseur plus
forte, dépassant la simple collaboration commerciale. En
allant plus loin dans la démarche, l’entreprise doit s’efforcer
de devenir le client préféré de ces fournisseurs clés,
détenteurs de l’expertise. Au sein des directions achats que
j’ai fréquentées ou que j’accompagne, la notion de
« Preferred Partner » est classique, permettant d’identifier
les fournisseurs clés pour soutenir la stratégie achat. Dans
une cohérence de reconfiguration des relations avec les
fournisseurs, l’objectif de l’acheteur est aussi de devenir the
« Preferred Customer ». De nombreux acheteurs rencontrés
l’ont compris : « Si tu ne donnes pas envie à tes fournisseurs
de travailler pour toi, d’investir du temps et de l’argent, ils
ne le feront pas ».
L’acheteur devient un créateur de valeur. C’est avant tout un
animateur de réseau qui permet aux gens de collaborer en
impliquant et en s’appuyant sur les autres directions
partenaires au sein de l’entreprise : notamment les directions
Recherche et Développement, Développement Durable,
Marketing, Financière…
Ces approches doivent permettre aux Acheteurs une
réflexion systémique [prenant en compte la complexité du
contexte de l’entreprise] et une appropriation des enjeux de
l’entreprise. On comprend bien pourquoi la fonction
d’acheteur n’est plus uniquement une fonction support, mais
devient également une fonction opérationnelle et
stratégique.
La 4e édition de l’enquête mondiale de Deloitte sur les
directions achats, publiée en partie par Décision Achats en
date du 06 mai 20155, corroborent cette tendance : « La
5
24/56
contribution des directeurs achats à la stratégie de l’entreprise progresse d’année en année : ils interviennent
dorénavant à de multiples niveaux de la chaîne de valeur »
Cette étude va dans le sens des fondamentaux d’une
démarche d’achat responsable et démontre que les Achats
responsables sont un pilier indispensable dans une approche
RSE, afin de transformer les contraintes et risques en opportunités et en performance économique durable. Le lien avec
les enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux n’est pas
spontanément établi, comme cela peut être le cas d’une
direction ressources humaines, dans la gestion responsable
du capital humain de l’entreprise ou la direction de la
communication, dans la gestion du capital image de l’entreprise. Je cite ces deux directions, car les directeurs développement durable ou RSE sont souvent rattachés à l’une d’entre
elles.
Pourtant il me semble évident que grâce à sa position pivot
au sein des Parties prenantes, la direction achat constitue un
pilier fondamental d’une démarche RSE. Son rôle est clé pour
rétablir si besoin la chaîne de responsabilité évoquée en
amont.
Les entreprises qui ont créé un service « Achat
Responsable » ne sont pas nombreuses. Souvent considérées
comme « best in class », elles s’appuient sur ces services pour
la mise en place d’outils pour accompagner les acheteurs
dans cette démarche. Ces services sont souvent forces de
proposition dans les objectifs assignés aux achats responsables et la mise en œuvre de ces objectifs est souvent longue.
Dans les entreprises qui ne bénéficient pas de service « achat
responsable » ou qui n’ont pas initié une démarche Achat
responsable, les objectifs de la Direction Achat restent principalement économiques. Des chiffres récents le confirment.
En effet, selon le « cinquième baromètre du cabinet de
conseil en achats AgileBuyer avec le groupement achats et
supply chain de HEC6 », publié ce lundi 5 janvier 2015, la
préoccupation majeure de la part des acheteurs est toujours
d’acheter mieux et moins cher ; aux termes de cette étude,
« 77 % des acheteurs envisagent de réduire les coûts
d’achats en 2015 et la moitié vont réduire le nombre de fournisseurs ».
Cette étude met également en exergue le recul sur la RSE :
moins d’un acheteur sur deux a des objectifs RSE et le « Made
in France » est pris en considération par moins de 15 % des
acheteurs. Ces deux points confirment la difficulté à
démontrer que les achats durables sont générateurs
d’économie. Car, comme nous venons de le démontrer sur les
délais de paiement, une direction achat responsable est tout
www.decision-achats.fr/Thematique/tendances-achats-1039/Breves/Les-directeurs-achats-jouent-plus-que-jamais-role-cle-danscompetitivite-entreprise-254309.htm
Excellence HA n°4
D O S S I E R
à fait compatible avec la performance économique. Elle est
non seulement compatible, mais primordiale pour durer sur
le long terme et être en mesure de faire face à des périodes
économiques difficiles. La performance économique d’une
direction des achats responsables sera variable selon les
segments d’achat, le marché de l’entreprise, son business
modèle et son activité.
Ces chiffres récents peuvent donner l’impression d’un retour
en arrière. Or comme dans toute transition et conduite du
changement le processus de mise en route est long et les
avancées seront suivies inéluctablement de reculs en la
matière. Il est donc primordial dans un prisme d’achat
responsable de rajouter aux acheteurs des objectifs liés à
l’innovation, au délai de paiement, d’évaluation fournisseur...
en corrélation avec les indicateurs de suivi et de
performance. Néanmoins ces objectifs, en lien avec la RSE,
doivent également être partagés avec les autres parties
prenantes internes en relation avec les fournisseurs.
Un changement de savoir-faire,
mais surtout de savoir-être
Il s’agit donc bien d’un changement de savoir-faire et savoirêtre tant au niveau des acheteurs, des parties prenantes que
des directions et les leviers d’action des achats responsables
sont nombreux.
Personnellement, je distingue les leviers qui relèvent du
savoir-faire et que l’on peut résumer en outils ou processus
(je parle alors de « démarche » achat responsable), et ceux
qui relèvent du savoir-être relatif à la notion de relation à
l’autre, d’altérité (je parle alors « d’approche » achat
responsable). En analysant la chaîne de valeur d’une
direction achat, les leviers de savoir-faire et savoir-être sont
multiples. Pour compléter ceux évoqués en amont, citons la
conception produit : l’éco conception et l’approche TCO
(intégration dans l’analyse économique du coût d’un produit
ou d’un service des différentes étapes de coût généré par la
possession du bien ou service) sont des processus ou outils,
permettant d’atteindre des objectifs de performance
économique, aussi bien qu’environnementale et sociétale,
mais nécessitant une nouvelle façon de travailler dans la
phase amont et aval de la conception produit.
Parallèlement, en matière de savoir-être, la qualité de la
relation acheteur fournisseur peut être, créatrice de
valeur bilatérale. En effet, le métier d’acheteur est un
métier de communication nécessitant donc une bonne
disposition à l’écoute, et une bonne capacité à transmettre
de l’information.
6
N ° 2
En ce qui concerne les fournisseurs, un relationnel de qualité
a trois objectifs :
- donner envie à un fournisseur d’investir pour l’entreprise
dans laquelle l’acheteur travaille. À ce titre, un acheteur est
avant tout un vendeur.
- aller chercher les informations stratégiques auprès des
fournisseurs. Ces derniers constituent la porte d’entrée à de
nombreuses informations indispensables à la progression
du donneur d’ordre et peuvent constituer un avantage
concurrentiel certain grâce à l’expertise des fournisseurs.
- adapter sa stratégie de négociation au vu de la situation de
son fournisseur : s’agit-il d’un fournisseur incontournable,
substituable, avec une interdépendance mutuelle ?
En résumé, cela revient à s’intéresser à ses fournisseurs dans
sa stratégie globale et identifier la compatibilité des
stratégies et la création de valeurs pour les deux protagonistes, que sont le donneur d’ordre et le fournisseur. La notion
de confiance joue ici un rôle crucial : une dimension clé qui
passe par la fiabilité, un équilibre dans la relation, une reconnaissance mutuelle dans un objectif de bénéfices mutuels.
Un jeune acheteur rencontré récemment, a compris l’importance de la qualité de la relation : « Le climat de confiance
est nécessaire, car il permet de travailler sur la durée ».
L’acheteur doit gérer également au mieux la relation avec ses
clients internes. Cette relation interne est tout aussi
importante et conditionne souvent la qualité de la
négociation avec le fournisseur. Elle n’est pas forcément des
plus aisées.
Le savoir-être dans le métier d’acheteur, joue donc une place
indéniable avec l’humain au cœur de la relation : c’est une
histoire d’hommes et de femmes, d’affinités… Cette
dimension humaine du métier fait que chaque acheteur met
sa propre griffe sur son métier. La personnalité de l’acheteur
est de plus en plus importante, avec une part d’intuition et
de ressenti qu’un ordinateur ne peut pas reproduire.
Le partage des émotions est un moment particulier
d’échange et a une vraie valeur en entreprise, car il remplit
des fonctions essentielles. Il crée du collectif et repose sur
l’individu.
En remettant au centre du jeu l’individu, l’acheteur participe
à une nouvelle pensée managériale qui se développe contre
cette vision mécanique du travail humain.7
Avec deux dimensions : il est vu comme un sujet mobilisant
ses affects pour définir son comportement ; et la qualité de
son travail dépend de sa motivation, qui devient un enjeu
central.
www.rse-magazine.com/Quelles-sont-les-nouvelles-priorites-d-achat-des-entreprises-en-2015_a982.html
Excellence HA n°4
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Le métier d’acheteur, requiert donc une multitude de
compétences qui dépasse très largement le cadre de la
négociation prix.
Le métier permet de déployer de nombreux talents : savoirfaire analytiques, savoir-être relationnel, ouverture vers
l’extérieur, curiosité. Tout l’enjeu est de leur permettre de
développer leurs compétences techniques, mais aussi de
gagner en savoir — faire et savoir être managérial.
Car, au delà du soutien du Top Management, d’autres
conditions sont indispensables pour permettre l’optimisation
de ces leviers :
- la mise en place progressive : comme toute conduite du
changement, le processus sera long avec des avancées qui
seront suivies inéluctablement de reculs. C’est la raison
pour laquelle il est important de s’inscrire une marche à
suivre et un déploiement graduel, parfois difficile à accepter
quand on a l’habitude de raisonne sur des objectifs annuels,
voire semestriels.
- L’anticipation va de pair avec la mise en place progressive
et s’inscrit dans une dynamique moyen et long terme.
- la gestion en mode projet : travailler de façon transverse
à deux avantages. Cela permet de privilégier une démarche
plus globalement consensuelle où l’ensemble des salariés,
y compris le middle management (par opposition aux
démarches top-down ou bottom-up), aura pleinement
intégré l’intérêt de la démarche. Cela permet aussi d’éviter
les fonctionnements en silos intra et inter entreprises, peu
propices à une bonne communication. Dans le cadre de mes
missions, je constate que le travail en mode projet
fonctionne assez bien au niveaux opérationnels, mais reste
faible au niveau stratégique. Les fournisseurs apprécient la
collaboration en aval (déploiement, suivi de commandes,
qualité…), mais déplorent son absence en amont à travers
des feuilles de route partagées.
- la mise en place d’indicateurs de suivi et de performance.
La crédibilité de la démarche passera par la mise en place
d’indicateurs et d’outils pour persuader et « «embarquer »
les gens autour de soi. Si on se réfère à la lG4 (GRI), celleci fixe justement un cadre de reporting et prône le discours
de « don’t tell me, prove it ». C’est par le reporting crédible
et pertinent que pourront se reconstruire des relations de
confiance avec l’écosystème.
Mais la théorie est une chose, la pratique en est une autre,
et la situation au sein des directions achat est souvent plus
complexe. Les acheteurs doivent faire face à des injonctions
parfois contradictoires du Top management. De nombreux
acheteurs ont conscience de la limite de la performance
uniquement économique. Mais les objectifs de directions
achats étant encore principalement économiques, les
Acheteurs se focalisent sur ce levier, sur lequel ils sont jugés
par leur N+1 et les parties prenantes internes.
Ces mêmes acheteurs pensent que les enjeux RSE permettraient de donner de la hauteur à leur métier et par là même
revaloriser la fonction. Certains sont mûrs pour aller dans ces
démarches, mais par manque de temps et/ou de supports de
leur hiérarchie, ils ne sont pas force de proposition dans ce sens.
A l’avenir les entreprises auront davantage besoin d’intelligence (en termes de savoir-être et savoir-faire) alors que le
métier d’acheteur a longtemps été cantonné à un rôle
d’exécution.
Ainsi, former les directions achats (directeurs et acheteurs)
est une condition nécessaire, mais non suffisante. Il me
semble primordial de former également les parties
prenantes internes des acheteurs. Il est impératif de mettre
en place des formations sur mesure selon le secteur
d’activité, et selon le niveau de maturité de la direction achat.
Les formations doivent être à mon sens très opérationnelles,
c’est-à-dire porter sur les propres portefeuilles achat et fournisseurs.
Je préconise à mes clients des formations en binôme
acheteur/prescripteurs, acheteurs/directeurs financiers, voire
éventuellement des formations acheteurs/fournisseurs,
selon le levier exploité.
Travailler sur des partenariats fournisseurs est une démarche
de long terme, mais indispensable. La responsabilité et
l’impact de l’entreprise ne s’arrêtent pas aux portes de l’entreprise, mais s’étendent tout au long de sa chaine de valeur.
C’est la notion de « l’entreprise étendue ». Cette vision plus
large de l’entreprise fait partie des nouvelles prérogatives à
gérer pour les acheteurs. On parle alors des achats responsables comme d’une copropriété. Demain, l’idée sera de créer
et de partager de la valeur à plusieurs en allant vers un
écosystème plus intégré et solidaire : une collaboration,
source d’innovation et de réduction de coûts.
Renommer la fonction acheteur (se).
Cette nouvelle légitimité permet la revalorisation de la
fonction. L’acheteur, souvent perçu comme un empêcheur de
tourner en rond en interne, devient un acteur important, qui
doit penser et « agir » l’économie et la performance différemment, de façon plus globale et de façon plus durable. Cela
passera aussi par la nécessité de renommer la fonction
« acheteur (se) ».
7
Les trois piliers de l’innovation N. Alter Professeur de sociologie, université Paris-Dauphine / January 11th, 2013 consulté le 10 août 2013
www.paristechreview.com/2013/01/11/trois-piliers-innovation/
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Excellence HA n°4
D O S S I E R
Faire appel à l’étymologie du verbe « acheter » suffit à
comprendre la nécessité de renommer le métier d’acheteur.
Le verbe acheter vient en effet du latin accaptare. Captare
« chercher à prendre », « faire la chasse à », « capter », d’où
captator, et lat. vulg. captiare « chasser » et accaptare
« acheter ». Selon cette origine, le dérivé « acheteur » devrait
désigner celui qui s’accapare d’un bien de manière militaire,
cavalière. La partie adverse est alors perçue comme un
adversaire. Cette dénomination entretient donc cette image
d’acheteur sans foi ni loi, qui cherche à acquérir un bien à
n’importe quel prix.
Or en phase avec l’évolution du métier que nous venons
d’analyser, le recrutement des acheteurs se base et se basera
de plus en plus sur des compétences métier en collaboration
et réflexion avec ces parties prenantes.
Cette relation évoluant d’une relation de rapport de force à
celle de collaboration, l’appellation du métier d’acheteur doit
évoluer pour représenter la vision systémique des
compétences d’acheteur.
Les entreprises l’ont compris, car selon le cabinet spécialisé
en recrutement des fonctions achats, Big Fish, elles
recherchent moins une double compétence (Ingénieur/achat
par exemple) qu’un excellent relationnel. Et demain, cela sera
encore plus vrai.
« La profession a besoin de profils plus ouverts sur les autres
fonctions de l’entreprise, capables de convaincre et de se
créer un vrai réseau » G. Crichton, directeur du MAI Institut
du Management de l’Achat International.
L’image de l’acheteur « cost killer » est encore trop forte et
revient en force à chaque crise économique : pour faire la
différence entre les compétences d’hier et celles d’aujourd’hui, il est nécessaire donner une nouvelle appellation au
métier d’acheteurs.
Plusieurs propositions ont été avancées : « Manager des
ressources externes ». L’avantage de cette appellation est
l’aspect management des ressources externes à l’entreprise
en tant que garant de ces dernières.
Cette appellation a l’inconvénient de ne pas refléter le
management des parties prenantes et le rôle de l’acheteur
en tant que garant de la bonne « alchimie » entre l’interne
et l’externe afin de contribuer à la création de valeurs.
B Garcia , propose dans ce cadre le titre de LED : Leader For
Extented Devloppement.
Ce nouveau titre va au-delà de la première appellation
évoquée.
8
8
N ° 2
En effet, il ne se limite pas à la gestion des ressources
externes, et englobe la gestion des ressources externes en
phase avec la stratégie interne de l’Entreprise.
Le LED aura comme objectif d’aligner au mieux les deux
stratégies, celle de son entreprise avec celle de ses fournisseurs. Il devra pour cela s’appuyer sur un nombre restreint
de fournisseurs. Sa mission sera de devenir aux yeux de ces
partenaires privilégiés, celui dans lequel le fournisseur a
envie d’investir et avec qui il a envie de partager ses propres
richesses, dont l’innovation est un bon exemple.
Le LED peut et doit contribuer à une renaissance économique
durable de son écosystème.
Son rôle sociétal peut s’exprimer en rapatriant dans son
écosystème de proximité, le business délocalisé à bas coûts,
il y a vingt ans. Cette approche vertueuse (les fournisseurs
se redéployant localement pouvant être également des
clients de demain) permet de valoriser l’entreprise.
Ce sont des valeurs humaines, éthiques, sociétales,
d’humilité et de justice qui vont permettre au LED d’être
reconnu à sa juste valeur par ses parties prenantes internes
et externes afin de pouvoir créer ensemble cette valeur. Cela
implique le partage des mêmes valeurs avec toutes les
parties prenantes. La création de valeurs matérielles et
immatérielles repose donc bien sur un partage de valeurs
communes.
On pourrait imaginer la devise des acheteurs comme suit :
« des valeurs communes pour créer de la valeur ».
Je finirai par deux citations :
Celle de M.Porter & M. Kramer 2011 : « la création de valeur
partagée fait partie intégrante de la rentabilité de l’entreprise
et de sa position concurrentielle. Cette approche s’appuie sur
les ressources et expertises de l’entreprise à créer de la
valeur économique par la création de valeur sociale. »
La 2eme citation est issue du livre d’Emmanuel Faber, le
nouveau PDG de Danone, qui a depuis longtemps compris la
nécessité de repenser l’économie à travers la responsabilité
de chacun d’entre nous : « On vous raconte que les “crises”,
c’est la faute du système. Mais quel est ce système, qu’elle y
est ma place, mon rôle ? En quoi en suis-je directement ou
indirectement acteur ? »?
Ces propos d’E. Faber, ramenés à l’acheteur nous permet de
conclure sur ses nécessaires responsabilités vis-à-vis de ses
parties prenantes, et à la place de « l’échange social »,
comme plus-value potentielle, autre qu’économique, pas
antinomique, mais complémentaire. n
Profession Achats 50 l’EIPM fête ses 20 ans : Interview de B. Garcia
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FABIENNE FEL
Fabienne Fel est Professeur Associé à ESCP Europe, où elle assure la Direction Scientifique du
Mastère Spécialisé en Management Stratégique des Achats et de la Supply Chain. Ses recherches
portent sur deux axes : le premier concerne la mise en œuvre des achats durables au sein des
entreprises, le second les politiques de délocalisation des approvisionnements vers les pays à bas
coûts de main d’œuvre.
Email : [email protected]
LE POINT DE VUE D’UNE
ACADÉMICIENNE SUR L’ARTICLE :
Le métier d’acheteur – une contribution
à la responsabilité de l’entreprise ?
Juliette Dupille souligne avec raison l’importance d’une
prise de conscience collective quant à la responsabilité
sociétale –au sens large- des entreprises. Réchauffement
climatique, pollution, destruction de la couche d’ozone,
réduction de la biodiversité, menacent l’humanité à
moyen terme ; des pratiques sociales inadmissibles
provoquent régulièrement des drames humains, comme
l’a montré, entre autres exemples tragiques, l’épisode de
l’effondrement du Rana Plaza en 2013.
Les enjeux des achats responsables
La responsabilité des entreprises
Face à ces dangers, les entreprises ont un rôle majeur à jouer ; la
théorie des parties prenantes (Freeman, 1984) souligne la responsabilité de l’entreprise, non seulement vis-à-vis de ses actionnaires,
mais également de tous ceux, individus ou organisations, qui
peuvent être impactés par ses décisions.
A partir des années quatre-vingt-dix, nombre d’entreprises ont
développé une approche plus responsable, parfois sous
l’impulsion vertueuse d’un dirigeant fortement engagé, le plus
souvent sous la pression réglementaire ou le risque de dégrader
l’image de leur entreprise, en cas de scandale environnemental
ou social . Porter et Kramer (1986) ont également joué un rôle
dans cette évolution, en montrant qu’une approche responsable
pouvait être source d’avantage concurrentiel. Aux termes de leur
article, une approche responsable est un moyen pour l’entreprise
d’acquérir un avantage concurrentiel, en différenciant ses
produits, en accroissant sa réputation, et en établissant des
barrières à l’entrée, ce qui signe une convergence entre les
intérêts traditionnels de l’entreprise (la profitabilité) et ceux des
parties prenantes (salariés, citoyens, Etats…).
9
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L’implication tardive des services Achats
Cependant, comme nous l’avons montré dans une étude
précédente (Fel, 2011), les services Achats ne sont pas toujours
impliqués dans ces démarches, et, lorsqu’ils le sont, ce n’est
souvent que plusieurs années après la mise en œuvre d’une
démarche RSE dans les entreprises, en particulier industrielles ;
ce constat nous avait étonné au regard du poids représenté par
les achats dans ces entreprises. Nous avions pu expliquer
partiellement ce phénomène par la focalisation importante des
sociétés industrielles sur leur propre processus de production,
consommateur de ressources naturelles, et potentiellement
polluant. Scheider et Wallenburg (2012) approfondissent notre
première explication, en confirmant que certaines sociétés ne sont
tout simplement pas conscientes que les achats responsables
constituent un volet à part entière d’une démarche RSE globale ;
ils concluent cependant que d’autres entreprises, conscientes du
rôle central des achats dans une stratégie de responsabilité de
l’entreprise, sont freinées par le manque de capacités, d’instruments ou de processus pour introduire efficacement de tels
changements au sein leur service achats.
La complexité des démarches d’achats responsables
En effet, comme l’article le met très bien en exergue, les leviers
d’actions sont multiples pour les acheteurs : écoconception, écoinnovation avec les fournisseurs, analyse du cycle de vie du produit
(ACV), sélection de fournisseurs responsables, mise en place de
critères RSE lors des appels d’offres, mise en place d’indicateurs –
voire d’objectifs, individuels ou collectifs- de suivi et de
performance, relations long-terme avec les fournisseurs,
implication et sensibilisation des clients internes… La multiplicité
des leviers nécessite effectivement une véritable formation des
acheteurs, et plus avant, un fonctionnement en mode projet pour
gérer le déploiement efficace et efficient de l’ensemble de ces outils.
E. Faber Chemin de Traverse Vivre l’économie autrement Éditions Albin Michel 2011 p 40
Excellence HA n°4
D O S S I E R
L’évolution du métier d’acheteur
Comme le souligne Juliette Dupille, la nécessité de réaliser
des achats durables est de nature à faire évoluer profondément le métier d’acheteur, trop longtemps –et encore trop
souvent- cantonné à la recherche des meilleurs produits ou
services au sens du célèbre triptyque coût / qualité / délai. La
nécessité de prendre en compte la RSE dans un tel contexte
relève alors de l’injonction paradoxale faite à l’acheteur.
Le cas particulier des achats indirects
Nous écarterons le cas des achats hors-production, où achats
responsables riment souvent avec savings rapides :
utilisation d’ampoules électriques à basse consommation,
réduction du nombre d’imprimantes pour dissuader les
salariés d’imprimer systématiquement le moindre document,
multiplication des call ou visio-conférences au détriment des
voyages (particulièrement aériens), réduction de la
puissance des flottes de voitures pour s’équiper en véhicules
moins polluants, appel au secteur adapté ou protégé pour
limiter les cotisations AGEFIPH, etc… Dans tous ces cas, où
responsabilité environnementale et sociale va de pair avec
une réduction des charges de l’entreprise, la problématique
de la dualité entre « court terme » et responsabilité ne se
pose pas. Nombre de sociétés mettent d’ailleurs en avant ces
actions dans la section « Achats » de leur rapport de
développement durable, entretenant l’image du greenwashing. Tout progrès étant bon à prendre, ces actions sont
certes positives, mais restent marginales au regard de l’importance des enjeux des achats responsables.
Car le véritable enjeu des achats responsables aujourd’hui
est celui des achats de production, qui représentent les
charges les plus lourdes des entreprises industrielles. Et c’est
au niveau de ce type d’achats que se pose la difficile question
de l’évolution du métier de l’acheteur.
Des conditions préalables….
L’évolution du métier d’acheteur n’est pas de la simple
responsabilité des achats : en effet, il convient de rappeler,
comme le souligne très justement Juliette Dupille, que ceuxci ne pourront rien entreprendre réellement sans un soutien
fort de la direction générale : la littérature souligne de façon
unanime qu’aucune fonction au sein d’une société ne peut
N ° 2
mettre en œuvre une démarche RSE dans son domaine sans
une stratégie responsable globale, ou, à défaut, sans une
culture d’entreprise fortement orientée vers la responsabilité.
De la même façon, toutes les études convergent quant à la
nécessité de l’existence d’un « directeur des achats responsables », ou, tout du moins, d’un acheteur influent et
convaincu du rôle central des achats dans une démarche
responsable, pour que des actions concrètes puissent être
engagées. Car, même si les sociétés faisant appel à des fournisseurs responsables contribuent au profit économique,
nombre d’acheteurs craignent encore que la recherche de
fournisseurs responsables ne soit pas compatible avec la
recherche de produits au meilleur rapport coût / qualité /
délai.
Que les directions générales impulsent ces stratégies de
façon « messianique », par conviction personnelle du
dirigeant, ou, plus fréquemment, pour éviter le risque
d’image lié à la défaillance environnementale ou sociale d’un
fournisseur n’a que peu d’importance, tant que les moyens
sont donnés aux Achats de prendre en compte des critères
de responsabilité dans leurs décisions.
Conclusion
C’est donc seulement dans les entreprises qui
développent une politique responsable globale que le
métier d’acheteur pourra évoluer vers le sens d’acteur
stratégique de la responsabilité de l’entreprise, tel que
défini dans l’article. En tant qu’interlocuteur privilégié du
fournisseur, l’acheteur aura les moyens de construire avec
lui une relation de long-terme, basée sur la confiance, l’accompagnement, et la co-conception de produits plus
responsables, apportant une réelle valeur ajoutée à l’entreprise. En tant qu’interlocuteur des clients internes, il
pourra influer sur le cahier des charges pour y inclure des
spécifications propres au respect des normes environnementales et sociales de son entreprise. Et, dans ce
cadre-là, mais dans ce cadre là-seulement, sa fonction
nécessitera un changement de savoir-être, voire une
redéfinition de son appellation, mettant en avant les
qualités humaines, éthiques et sociétales dont il devra
savoir faire preuve. n
Fel F., 2011, «Maturité des démarches RSE et achats durables», Revue Sciences de Gestion, été, n° 84, p 83-100.
Freeman, R., 1984, Strategic Management : A Stakeholder Approach, Harper Collins, Boston
Porter M. et Kramer M., 1986, « Strategy and Society : the link between competitive advantage and corporate social responsibility », Harvard Business Review 84 (12), p. 78-92
Schneider L. and Wallenburg C., 2012, « Implementing sustainable sourcing – Does purchasing need to change ? », Journal of
Purchasing & Supply Management, 18, p. 243-257
Excellence HA n°4
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R I CHARD CALV I
Richard Calvi est Professeur des Universités à l’IAE Savoie Mont-Blanc. Il y dirige le
département Management International et le programme "Achats et Logistique à
l'International" (ALI). Il conduit ses recherches dans le cadre de l’IREGE qui portent de façon
générique sur le Management des achats. Il est auteur et co-auteur d'une vingtaine d'articles
dans ce domaine. E-mail: [email protected]
ET SI PARFOIS
BIEN ACHETER
C’ÉTAIT ÊTRE FIDÈLE ?
Les Direction Achats sont de plus en plus soumises à des injonctions paradoxales leur imposant de
combiner des objectifs financiers de courts termes à une prise en compte accrue de la responsabilité
sociale de l’entreprise sur son réseau de partenaires. Le temps du green washing est révolu. La RSE
appliquée aux achats ne plus être un simple exercice de rhétorique. Il ne faut plus la prendre comme
une contrainte qui perturbe les façons « classiques » de chercher une productivité aux Achats, mais
plutôt comme l’opportunité de modifier en profondeur certains réflexes anciens.
Dans cet article1 nous souhaitons montrer que par une action volontariste et courageuse, les achats
peuvent infléchir l’inexorable exode industriel européen pour peu que les acteurs en charge de cette
fonction adoptent une réelle approche de long terme et défendent cette vision, parfois en sachant
s’opposer aux injonctions des directions générales. Pour illustrer cela nous avons choisi de vous
raconter une histoire : celle du développement sur 20 ans d’un réseau de sous-traitance en
Roumanie par l’entreprise Salomon ayant résisté à deux changements d’actionnaires. Comme
monsieur Jourdain, les principaux acteurs de cette histoire semblent au final avoir mener une action
de fond pour pérenniser un écosystème sans jamais revendiquer à un seul moment la satisfaction
d’un objectif de RSE2. Ils ont juste su résister à la facilité du coût bas instantané pour construire avec
leurs partenaires, et sur la durée, une solution symbiotique que la direction des achats a défendue,
convaincue qu’elle était que cette solution était la solution la plus efficiente pour l’entreprise.
1
Cet article reprend des éléments présentés dans deux articles antérieurs de l’auteur : Calvi R., Paché G, Jarniat P., (2010) « Lorsque la
fonction achats devient stratégique : de l’éclairage théorique à la mise en pratique ”, Revue Française de Gestion, vol 36, n° 205, p 119138 et Calvi R. (2014), « De la gestion des Achats au Management des Ressources Externes : le cas de Salomon et du développement de
son réseau de sous-traitants en Roumanie », Management & Gouvernance, n° 11, p 59-74.
2
Pierre Jarniat, ancien directeur des achats et acteur principal de cette histoire, aime à rappeler que les valeurs qui sous-tendent les
décisions prises sur le réseaux de sous-traitance s'inscrivaientt dans une culture ancienne de l'entreprise inspirée par son fondateur
Georges SALOMON, qui avait coutume de dire : « mon nom propre est inscrit aussi bien sur nos produits qu'au fronton de cette entreprise,
donc vous devez toujours agir afin que jamais ce nom ne soit associé à des pratiques douteuses vis-à-vis de son environnement aussi bien
humain que naturel ». Donc, la démarche développement durable était bien, comme l'innovation, inscrite dans les gênes de l’entreprise
Salomon.
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Excellence HA n°4
D O S S I E R
Introduction
Dans un ouvrage qui vient d’être publié3, les auteurs stigmatisent les messages paradoxaux auxquels sont confrontés la
plupart des acteurs économiques. Ils évoquent notamment
le cas des acheteurs professionnels, dans les industries qui
dépendent fortement de l’extérieur pour leur stratégie d’offre,
qui subissent une forte pression pour améliorer à court terme
les résultats et, depuis quelques années, qui se doivent aussi
d’être « responsables » vis-à-vis de leur écosystème. Pour
les auteurs, le management prend rarement à bras le corps
ces paradoxes et laisse l’acteur économique « de base »
(l’acheteur ici) face à ses dilemmes. Cela déclenche un
processus soit de distanciation face au travail soit un stress
souvent contreproductif au niveau de la fonction. Pour eux
un bon manager ne doit pas seulement « s’aligner » sur les
objectifs qui s’imposent à lui (eux même souvent porteurs de
d’injonctions paradoxales) mais il doit « créer du sens » c’està-dire construire une méta stratégie propre, admissible pour
sa hiérarchie (car on ne peut s’en affranchir) et capable de
gérer une forte adhésion auprès des acteurs en charges de
sa mise en œuvre (acheteurs et partenaires). C’est ce moment
qui nous intéresse dans cet article : celui où un manager
achats va élaborer une stratégie propre pour sa fonction, la
formaliser et savoir la faire évoluer dans le temps sans pour
autant la remettre en cause au moindre changement
d’objectif. Cette capacité de résilience des choix stratégiques
nous parait particulièrement importante pour toute fonction
qui postule au statut de fonction « stratégique » et non de
fonction support.
Comment construire l’avantage
concurrentiel par les achats ?
Le rôle stratégique que peut jouer une fonction achats dans
la construction de l’avantage concurrentiel n’est pas évident
dans la pensée dominante en management stratégique que
constitue la « Ressource Based View » développée par
Barney en 1991. Dans cette analyse, la contribution
« stratégique » d’une fonction se mesure à l’aune de
l’avantage concurrentiel soutenable qu’elle est capable de
fournir à l’entreprise. La seule contribution aux profits ne
suffit pas pour s’assurer un avantage concurrentiel
soutenable ; encore faut-il que cet avantage persiste dans le
temps et permette à l’entreprise d’obtenir des rentes
supérieures à celle de ses concurrents sectoriels.
Ainsi, l’argumentaire du poids des achats dans les comptes
de l’entreprise ne suffit plus pour affirmer leur poids
3
N ° 3
« stratégique ». Il ne s’agit pas seulement d’être « lourd »
pour être une fonction stratégique. Il faut aussi mobiliser des
ressources « qui aient une réelle valeur pour le client final
et qui ne puissent être déployées de façon aussi profitable
par aucun de ses concurrents actuels ou potentiels » (Barney,
1991, p. 102). Compte tenu de cette définition, il n’est pas très
étonnant que Barney (1991) porte un jugement un peu brutal
sur le rôle « stratégique » que peut jouer une fonction
achats : « il est clair qu’une entreprise ne peut espérer
“acheter” un avantage concurrentiel soutenable sur un
marché ouvert mais devra plutôt le construire grâce à l’utilisation des ressources rares, imparfaitement imitables et non
substituables déjà détenues par l’entreprise » (Barney, 1991,
p. 117). Le constat est abrupt et quelque peu décevant car il
semble reléguer la fonction achats à la maîtrise de tâches
opérationnelles dont la performance pourra certes jouer sur
le profit de l’entreprise, mais non sur son avantage concurrentiel soutenable.
Dans le prolongement de cette analyse, Dyer et Singh (1998),
puis Lavie (2006), seront les premiers à tenter d’ouvrir la voie
à une perspective inter-organisationnelle de la construction
de l’avantage concurrentiel en traçant les contours de ce
qu’ils appellent la « compétence relationnelle ». Cette
dernière s’inspire largement du modèle Toyota parfaitement
décrit dans les travaux de Dyer et Noboeka (2000). Ce modèle
prône la stabilité des relations (l’appartenance au keiretsu),
et à l’intérieur de cette zone de stabilité, la mise en place d’un
système d’apprentissage et de solidarité. C’est l’organisation
du kyohokai dans lequel Toyota et ses fournisseurs investissent et mutualisent des savoirs et savoir-faire. L’idée est
clairement d’obtenir un avantage concurrentiel en
bénéficiant avant les concurrents des progrès réalisés au sein
du réseau de fournisseurs. Dans le temps, le modèle Toyota
semble le plus stable et le profitable (Cazenave, 2009). Dans
la nouvelle perspective ouverte par ces recherches, il nous
semble que la fonction Achats prend un rôle majeur dans la
construction de cette « rente relationnelle » que l’on peut
définir comme la part de valeur ajoutée provenant de la
qualité des coordinations établies entre les acteurs de la
relation client / fournisseur (Asanuma, 1989).
La thèse défendue dans la suite de cet article est que cette
fonction ne peut atteindre une dimension véritablement «
stratégique » que dans la recherche et la défense de cette
« rente relationnelle » et que fondamentalement cette
orientation n’est possible que lorsque l’on privilégie des
De Gaulejac, V., Hanique F,.(2015,) “Le Capitalisme paradoxant : Un système qui rend fou”, ed. Economie Humaine.
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lll
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actions visant à modifier en profondeur les ressources
externes que l’entreprise mobilise. L’expérience de Salomon
suivie sur une période longue (20 ans) nous permettra de
donner une illustration de ce mécanisme complexe où le
choix initial d’investir dans un écosystème de sous-traitants
va être défendu vis-à-vis des actionnaires et des tentations
de court terme offertes par le marché fournisseur pour
devenir un véritable « business model » industriel
influençant la stratégie d’offre de la firme.
Genèse de la construction d’un
écosystème de sous-traitants : où l’on
s’aperçoit que la fidélité n’est pas un
long fleuve tranquille
Nous avons opté pour une description de la genèse du
déploiement de la stratégie industrielle au sein du groupe
Salomon en suivant la façon dont la fonction Achats a
soutenu et même infléchie cette dernière. A travers l’enchaînement des décisions et la description du contexte dans
lequel elles ont été prises, l’objectif est d’éclairer la contribution de la fonction Achats à la formulation d’une capacité
dynamique, au sens de Teece (2007), qui offre à l’entreprise
une combinaison de ressources originale capable de
conforter sa position concurrentielle par-delà la simple
gestion opérationnelle de ces ressources. La période de
temps observée s’étale sur 20 années (1993-2013). Le recueil
d’information s’est fait auprès d’acteurs de l’entreprise ayant
vécu directement ces transformations4. Nous avons par la
suite rassemblé ces différentes informations pour reconstruire une image chronologique de ce processus de
changement.
Une histoire, un contexte, une stratégie
L’histoire commence en 1947, Georges Salomon ouvre à
Annecy un petit atelier de scies à bois et de carres de ski. En
quelques années, à force d’inventivité, l’entreprise s’impose
d’abord comme leader mondial des fixations, avant de
devenir leader mondial sur le marché global des
équipements de sports d’hiver. Le contexte est donc celui
d’une entreprise familiale, farouchement attachée à son
autonomie, et dynamique en matière de croissance. De ces
objectifs antagonistes, Georges Salomon tire une règle de
management : les ressources étant limitées, on ne doit
investir dans des activités industrielles que lorsque c’est véritablement nécessaire, c’est-à-dire lorsque l’on ne peut pas
trouver à l’extérieur une compétence similaire à la
compétence interne. Un tel contexte a une influence directe
sur la politique industrielle du groupe qui, dès la fin des
années 1950, conçoit sa croissance avec un fort recours à la
sous-traitance industrielle. Au milieu des années 1970,
Salomon sous-traite déjà 50 % de ses activités productives,
tendance renforcée par les problèmes financiers que connaît
l’entreprise à cette époque. Une croissance mal maîtrisée
dans de nouvelles activités, ainsi que des taux de change
défavorables, rendent l’entreprise Salomon risquée auprès
des banques, qui lui refusent des financements additionnels.
Les conflits sociaux qui en résultent en 1975 incitent Georges
Salomon à ne pas développer des univers industriels trop
lourds et à investir dans des moyens de production propres
pour garder la maîtrise de l’industrialisation, tout en limitant
au maximum le recrutement de main-d’œuvre et en refusant
d’investir dans des technologies considérées comme hors du
cœur de métier.
Le développement d’une compétence
relationnelle
Pendant près de cinquante ans, Salomon a développé une
compétence spécifique dans le pilotage d’entreprises soustraitantes, d’abord locales et proches (Haute-Savoie, Savoie
et Monts du Lyonnais), puis européennes et géographiquement distantes (Italie, Roumanie en particulier). Le modèle
de sous-traitance impulsé par l’entreprise est spécifique. On
peut le qualifier de sous-traitance maîtrisée dans la mesure
où Salomon apporte au sous-traitant des moyens de
production qu’il maîtrise en interne pour ainsi conserver, en
plus de la conception des produits, celle des procédés de
fabrication.
Par ailleurs, Salomon s’occupe le plus souvent d’approvisionner le sous-traitant en composants et matières sur le
modèle dit du « façonnage ». Ce modèle offre au soustraitant l’avantage d’une gestion peu risquée, sans achats à
réaliser, et sans investissement machine. Les machines étant
spécifiques, elles ne peuvent pas être utilisées pour d’autres
clients, créant ainsi une dépendance forte vis-à-vis de
Salomon. Dans l’entreprise, les acteurs en charge du pilotage
sont les acheteurs qui aiment à se qualifier dès les années
1970 de « pilotes de réseaux externes ». On peut exprimer
de la façon suivante la compétence relationnelle développée
alors par la fonction Achats : de par son histoire, Salomon a
acquis une capacité spécifique dans le déploiement de
process qui vont être utilisés par d’autres (on pourrait parler
4 Mes remerciements vont tout particulièrement à Pierre Jarniat, ancien Directeur Achats de Salomon , Jean Louis De Marchi, Responsable
projet industriel et Pascal Covatta, actuel « Boots Operation Director » chez Amer Sport, pour leur disponibilité et la richesse des
informations fournies.
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D O S S I E R
d’une compétence en ingénierie de process de production
externalisée). Cette compétence se traduit par une grande
rigueur dans la définition des process opératoires, dans la
surveillance de la qualité et dans la coordination avec les
ressources externes.
Une règle implicite est adoptée par l’entreprise à partir des
années 1970 : pour la plupart des productions, 50 % doivent
être réalisés dans les usines Salomon et 50 % chez des soustraitants (d’où un « modèle 50 / 50 » selon la terminologie
interne du groupe). Prenons l’exemple de l’usine de Serrières
en Chautagne (Savoie), qui fabriquait encore, en 1993, 50 %
de la production de chaussure alpine. Cette dernière réalise
aussi la découpe pour les fabricants de chausson qui, euxmêmes, alimentent par la suite tant l’usine que les soustraitants assembleurs de chaussures (qui réalisent les autres
50 % de la production). L’idée n’est pas de compléter les
capacités dans des pics, mais bien de sous-traiter la
production tout en gardant la maîtrise industrielle du produit,
donc des lignes de production intégrées.
Le « modèle 50 / 50 » est devenu, trente ans plus tard, un
« modèle 5 / 95 », les 5 % de production réalisée dans les
usines Salomon se concentrant sur les articles haut gamme,
par exemple la fabrication des skis destinés aux skieurs
présents lors des Coupes du Monde. La maîtrise de l’industrialisation reste une priorité grâce au Salomon Design
Center et aux ateliers pilotes pour les phases d’industrialisation. Ces derniers donnent la possibilité de fabriquer des
pré-séries sur les mêmes presses à injecter que celles
installées chez les sous-traitants. En interne, pour expliquer
le business model industriel de l’entreprise, on utilise la schématisation de la Figure 1. Elle indique que derrière le très
faible taux apparent de maîtrise en interne de la production
(5 % des produits vendus sont fabriqués dans les usines du
groupe), il existe une forte maîtrise globale de la production
externalisée par l’internalisation des spécifications produits
et composants, ainsi qu’une maîtrise estimée à 70 % des
process industriels utilisés pour l’ensemble de ces
productions.
N ° 3
L’aventure roumaine, une stratégie achats
fondée sur les compétences relationnelles
Au début des années 1990, Salomon est le leader mondial
dans le secteur de la chaussure de ski alpin avec le concept
innovant de l’entrée arrière, mais c’est aussi le seul acteur du
secteur qui n’est pas italien. Or, à cette époque, la lire perd
45 % de sa valeur, faisant chuter brutalement la compétitivité prix de Salomon. La décision est prise de s’implanter
en Italie, avec le rachat de l’entreprise San Giorgio. Cette
opération offre trois avantages : a) bénéficier du taux de
change avantageux de l’Italie, b) avoir accès à la soustraitance italienne regroupée dans le district de la fabrication
des chaussures (Montebelluna), très performante dans ce
domaine, et c) se créer un accès à la compétence de
conception et de production sur les chaussures à crochets qui
s’avère être la technologie d’avenir du secteur. Pendant cinq
ans, l’Italie monte en puissance, et passe de 10 % de la
production de Salomon en 1990 à 60 % en 1993. Le groupe
augmente les capacités de production de l’usine italienne et
duplique le modèle français en s’appuyant sur le réseau de
sous-traitants locaux.
Dès l’année 1993, la direction de l’entreprise décide qu’il faut
cependant aller plus loin en se différenciant des productions
italiennes, et donc redéployer les activités du groupe vers un
pays low cost. L’Asie n’est pas retenue pour des raisons de
protection des savoir-faire : le risque est trop grand de voir
un sous-traitant chinois contracter ensuite avec un distributeur spécialisé de type Décathlon, ce dernier profitant du
développement industriel réalisé par Salomon. Au final, une
équipe projet créée au sein de la direction des Achats décide
de sélectionner un pays où il sera possible d’implanter un
réseau de sous-traitance « à la française », c’est-à-dire sur
le modèle bâti par Salomon en Rhône-Alpes. Après la chute
du Mur de Berlin, les pays de l’Est sont une cible privilégiée
avec deux options : choisir des pays qui vont rejoindre le plus
rapidement les standards européens (Hongrie, Tchéquie,
Slovaquie), et où il sera facile de s’implanter ou choisir
lll
Figure 1 – Le business model industriel de Salomon
Excellence HA n°4
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d’autres pays où le tissu industriel est en friche (Pologne,
Bulgarie, Roumanie), avec un écart salarial certes faiblement
favorable mais qui devrait s’aligner sans doute plus
lentement sur les voisins européens. Le choix se portera en
dernier ressort sur la Roumanie pour diverses raisons :
stabilité politique, proximité culturelle, coût de la main
d’œuvre, niveau d’éducation et accessibilité logistique.
Phase 1 (1993-1998) : transfert de compétences et
déploiement du réseau de sous-traitance captif
La stratégie roumaine constitue un pari risqué car il s’agit de
transférer les technologies de types couture et assemblage,
tout en développant sur place de l’injection plastique (et la
coulée de polyuréthane), un mode de production inconnu
dans ce pays à l’époque. L’injection est d’ailleurs identifiée
comme la technologie clé autour de laquelle doit se bâtir le
réseau de sous-traitance. L’accompagnement des soustraitants est lourd pour le groupe, d’autant que la privatisation des entreprises, après la Révolution de décembre 1989,
se réalise en l’absence de potentiel d’investissement
additionnel. C’est donc Salomon qui, non seulement, achète
les machines nécessaires à leur production, mais aussi les
composants et matières premières pour la fabrication. Des
investissements sont toutefois demandés aux sous-traitants
pour mettre aux normes leurs usines de production, et,
comme leurs moyens financiers sont toujours insuffisants,
Salomon finance indirectement ces derniers en acceptant
pendant quelques années le paiement de pièces
« surcotées » pour couvrir les dépenses.
Fin 1996, la répartition des productions est la suivante : un
tiers de la production en Roumanie, principalement des
entrées de gamme pour les chaussures ; la France garde le
haut de gamme et la technologie des entrées arrières, soit
un autre tiers ; le reste de la production (la technologie des
crochets) se localise en Italie. Mais les écarts dans les coûts
de production s’accentuent. Si l’Italie reste 10 % moins chère
que la France, la Roumanie est six fois moins chère sur le
coût de la main-d’œuvre. Une chaussure de ski nécessitant
1 heure de travail en moyenne, l’écart est donc à cette époque
approximativement de 30 ¤ sur une chaussure… Or, la marge
d’une chaussure est inférieure à 30 ¤ ! Il a donc été décidé
de « tuer » la technologie entrée arrière qui lie l’entreprise
à la sous-traitance italienne, et de transférer les volumes de
production français en Roumanie. En 1998, sous la double
poussée d’une forte concurrence et d’un rétrécissement du
marché global (notamment avec la substitution par le marché
du snowboard), la sous-traitance italienne est définitivement
stoppée.
Phase 2 (1998-2006) : la consolidation du business
model et la politique de transplants
La consolidation prend une forme institutionnelle avec la
création, en 1998, de Salomon Romania, filiale roumaine
du groupe constituée au départ d’une petite équipe de dix
personnes essentiellement missionnées pour contrôler la
qualité fabriquée par les sous-traitants locaux. La responsabilité de cette filiale va échoir de façon symbolique au
directeur des Achats de Salomon qui en a piloté la construc-
Tableau 1 – Le partage des activités dans la supply chain de Salomon en 2006
34/56
Métiers maintenus
en France
Métiers transférés
sur Salomon Romania
v Plans de production
v Achats (négociation et mise en
place des contrats, notamment des
composants nécessaire aux ST)
v AQF (assurance qualité
fournisseurs)
v Industrialisation matériaux et
procédés (définition et mise au
point)
v Engineering (transferts des process
en Roumanie)
v Supply chain (customer service,
transports, procédures, systèmes,
etc.)
v Qualité centrale (procédures, audits,
etc.)
v Méthodes logistiques (pilotage
plate-forme, audits sous-traitants,
douanes)
v Ordonnancement de l’appro
v Techniciens process (surveillance et
application des modes opératoires)
v Suivi d’indicateurs qualité chez les
sous-traitants
Excellence HA n°4
Métiers externalisés
(sous-traitants roumains)
v Gestion de la main-d’œuvre de
production
v Locaux, énergie, maintenance des
moyens
v Gestion de production
(ordonnancement, magasins
internes, etc.)
v Contrôle et stockage des matières
premières et composants
v Travail sur le lean, les process
D O S S I E R
tion. L’objectif est de faire de la Roumanie le pôle exclusif
de production low cost en Europe de Salomon5. Jusqu’à
présent piloté à 100 % depuis la France, le réseau de soustraitants va bénéficier d’une gestion locale assurée par des
employés roumains salariés de Salomon Romania.
Indépendamment du contrôle de la qualité, les deux autres
métiers du pilotage de la sous-traitance (logistique et
technique industrielle) sont également transférés au sein
de Salomon Romania. Les activités logistiques sont parallèlement regroupées en 2000 sur une plate-forme de
contrôle, stockage et distribution de matières et
composants en Roumanie. Fidèle à son modèle, Salomon
confie la construction et la gestion de la plate-forme à un
partenaire logistique. Le partage des activités entre les
différents acteurs est présenté dans le Tableau 1. Fin 2006,
la filiale roumaine comptera 75 personnes, avec
25 personnes dans la qualité, 25 personnes dans la
logistique et 25 personnes dans l’audit technique. On
applique donc ici le principe de subsidiarité en faisant
traiter en local tout ce qui peut l’être, et on conserve en
France la définition du besoin, la maîtrise du risque, et la
contribution aux projets de nouveaux produits. Le réseau
de sous-traitants roumains se stabilise à 7 partenaires.
La consolidation du système s’apparente aussi à celle des
volumes d’activité. Dès 1998, il est décidé d’accélérer le
mouvement de délocalisation en transférant notamment de
nouvelles activités (roues de vélo, fixations alpines,
fixations de snowboard) dans les mêmes réseaux roumains.
En 2004, la décision est prise d’arrêter la production de San
Giorgio, en Italie. La Roumanie devient alors à cette date le
pôle de production pour les activités alpines à hauteur de
95 %. Enfin, le changement d’actionnaire survenu en 1998
(prise de contrôle par Adidas) contraint les responsables
du système à consolider leur business model.
En effet, le siège du géant allemand est peu favorable à la
logique du réseau captif. Il préconise un sourcing en Chine,
auprès de réseaux qu’Adidas connaît bien et qui fonctionnent de façon beaucoup plus souple : le client ne possède
pas d’actif spécifique chez le fournisseur, les moyens de
production appartiennent à ce dernier et on achète les
produits lorsqu’ils sont dans les containers. Un bras de fer
s’engage entre le siège d’Adidas et la filiale française qui
s’oppose à ce modèle par l’inertie et avec le soutien de son
PDG. Le directeur des achats de Salomon doit, tous les ans,
5
N ° 3
évaluer l’écart de coût obtenu dans le réseau roumain avec
celui que l’on pourrait potentiellement espérer d’une
solution asiatique, cette analyse interne étant régulièrement contrôlée par des cabinets d’audit externes au groupe.
Implicitement, tant que les écarts de coût sont inférieurs à
15 %, la solution roumaine est considérée comme viable
par le groupe. Mais cet aiguillon incite à la recherche d’une
efficience maximale du réseau roumain et pousse la
direction des achats à entamer une phase supplémentaire
de son évolution. En effet, cette supply chain reste encore
très « française » car la plupart des composants sont
fabriqués en France et livrés pour assemblage en
Roumanie. Pour rendre le business model soutenable aux
yeux des nouveaux actionnaires dont les yeux sont plutôt
rivés sur les solutions asiatiques, il faut drastiquement
baisser les coûts en jouant notamment sur les coût des
composants et matières entrant dans la production. Dès
2000 est donc initiée une stratégie visant à inciter les fournisseurs rhônalpins de Salomon, dont les technologies ne
sont pas présentes en Roumanie, à s’implanter dans le pays.
Les objectifs sont de trois ordres : a) améliorer la réactivité
par la présence locale des fournisseurs, b) baisser les coûts
logistiques (représentant à l’époque plus de 10 % des coûts
des produits fabriqués en Roumanie), et c) gagner en coûts
composants par le biais de la main-d’œuvre utilisée
localement.
L’opération « transplants » sera finalement assez difficile
à conduire car les PME concernées sont peu enclines à
prendre un tel risque. Pour les y inciter, Salomon va
participer activement à la création de l’association Romalp
Industrie dès 2004, et cela afin de créer des synergies entre
les 50 entreprises adhérentes (participation à des salons
communs pour « chasser en meute », mutualisation sur la
gestion des problèmes juridiques, lobbying pour la création
d’une ligne d’avion régulière entre Lyon et Timisoara, etc.).
Le directeur des achats de Salomon organise le marketing
de l’association, en poussant tous ses fournisseurs à y
participer. Pendant quelques années, il se charge
également de vanter leurs mérites auprès d’autres clients
potentiels mais non concurrents en espérant augmenter le
volume d’activité des fournisseurs ayant migré en
Roumanie, et ainsi partager les coûts. En 2006, 27 fournisseurs français et italiens auront installé tout ou partie
de leur production dans des sociétés roumaines rachetées
ou créées de toute pièce. La figure 2 résume l’état de la
supply chain à cette époque.
Les activités existantes en Tchéquie, en Slovénie et au Maroc sont progressivement arrêtées et transférées en Roumanie.
Excellence HA n°4
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Phase 3 (2006-2013) : Evolution du modèle vers plus
d’autonomie des fournisseurs.
Atomic propose un coût de revient global 15% plus cher
(douane, logistique, réactivité…) que le modèle Salomon.
Courant 2005 Salomon est vendue par Adidas au groupe
finlandais Amer Sport. Le groupe ne connaît que les schémas
traditionnels de management : d’un côté, une forte
intégration verticale (par exemple avec les skis Atomic
fabriqués en Autriche); de l’autre, le sourcing auprès de fournisseurs spécialisés (raquettes de tennis Wilson). Le modèle
« mixte » de maîtrise, présenté dans la figure 1 et illustré par
l’expérience roumaine, est absent de leur stratégie industrielle. Soit ils intègrent pleinement (comme la technologie
d’injection plastique), soit ils délèguent pleinement (comme
pour les casques et les chaussons auprès de fournisseurs
chinois) en ne conservant que la compétence de design dans
laquelle la fonction marketing est l’acteur dominant.
Début 2006 il est décidé de donner le leadership pour le
« winter outdoor » à Atomic, mais en parallèle le groupe
lance un vaste audit des supply chain pour en tester la
pertinence. La supply chain roumaine est alors en
concurrence avec la solution d’Atomic, plus éclatée, où les
chaussons sont réalisés en Chine, l’injection en Autriche et
l’assemblage en Bulgarie. L’audit montre que le modèle
Dès 2006 la solution roumaine est donc conservée et on
entame le transfert progressif de l’activité « chaussures »
d’Atomic en Bulgarie vers certains sous-traitants roumains
de Salomon. En parallèle un mouvement inverse est amorcé
pour sortir progressivement les productions de ski des usines
roumaines et les transférer vers une usine Atomic en
Bulgarie. En 2013 la solution roumaine reste encore très
rentable sur le plan des seuls coûts de production. On évalue
à 6 euros/h le coût chargé de main d’œuvre là où ce même
coût est de 36 euros/h en France. L’écart reste conséquent
surtout que l’on parle de productions hautement consommatrices de main d’œuvre (une chaussure de ski représente
environ 1h de main d’œuvre) et pour lesquelles les séries
sont tellement fractionnées (rarement supérieures à 500
pièces) qu’il est difficile d’envisager une forte robotisation.
Pour valider le choix de la ressource roumaine il a même été
opéré au sein du groupe Amer Sport une reconsidération des
processus industriels de manière à transférer plus d’activités
vers les sous-traitants roumains, et ainsi valider la
pertinence de ce choix en leur assurant un bon amortisse-
Figure 2 – La supply chain de Salomon en 2006
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ment de leur potentiel de production. Par exemple, l’industrialisation des fixations, traditionnellement conçue comme
très robotisée, a été revue de façon à augmenter la part de
main d’œuvre nécessaire à leur production et donc rendre
rentable le transfert vers la Roumanie. De cette opération les
acteurs ont même noté des économies insoupçonnées :
l’abandon de l’automatisation de la production permettant
de desserrer certaines contraintes de cotes (car pour ne pas
bloquer une chaine automatisée les tolérances étaient très
faibles) et d’abaisser celles portant sur les composants - il
était alors permis de réaliser de nouvelles économies sur leur
coût d’achat.
En 2008 le groupe Amer Sport décide de jouer sur deux
postes de coût importants de la solution roumaine : (l) les
coûts administratifs liés à la filiale Salomon Romania (75
personnes en 2008). Cette filiale représente alors un coût non
négligeable estimé à 3,5% du montant des achats réalisés
dans le réseau roumain. (2) les coûts logistiques que l’on
6
N ° 3
évalue à l’époque à 12% de la valeur des produits fabriqués.
Il s’agit principalement du coût de la plateforme logistique
gérée par un prestataire logistique qui stocke et distribue les
composants aux sous-traitants. La spécialisation progressive
des sous-traitants roumains rend envisageable une livraison
directe depuis les fournisseurs de composants.
Il est donc décidé de fermer la Salomon Romania ainsi que
la plateforme logistique en 2008. Ces fermetures nécessitent
de modifier le schéma de la supply chain ainsi que la
répartition des responsabilités en son sein (voir figure 3).
Pour compenser la fermeture de la filiale il y a eu tout
d’abord une ré-internalisation des activités de pilotage
logistique (AQF6, pilotage des indicateurs, relation avec les
plateformes françaises et italiennes). Le transfert de
compétence vers le fournisseur n’est que très progressif. Des
livraisons directes vers les sous-traitants se mettent peu à
peu en place entrainant la fermeture du stock de regroupement français. En 2013, 90% des livraisons sont directes
entre les fournisseurs et les sous-traitants roumains.
lll
Assurance Qualité Fournisseur
Figure 3 – La supply chain de Salomon en 2013
Excellence HA n°4
37/56
La prestation de contrôle des composants est maintenant
intégrée dans le taux horaire négocié avec les sous-traitants.
Les personnels de la filiale ont été en partie réembauchés
par les principaux sous-traitants roumains (notamment les
personnes en charge de la logistique pour s’occuper de
l’arrivée des composants). Ceux qui s’occupaient du contrôle
qualité des produits finis sont sollicités pour se mettre à leur
compte et devenir des prestataires indépendants travaillant
pour Salomon sur ce même périmètre d’intervention. Il n’est
en effet pas envisagé de confier aux sous-traitants ni la
programmation des composants qu’ils ne payent pas7 (ils
auraient tendance à trop sécuriser et grossir les stocks) ni le
contrôle de la qualité des produits finis (ne pas être juge et
partie sur la partie industrielle
Le Tableau 2 résume cette nouvelle répartition des activités
au sein de la supply chain.
Phase 4 (2013- ?) : Evolution du business model
Au moment où nous écrivons ces lignes, le modèle semble
assez stabilisé dans sa logique de répartition des responsabilités au sein de la supply chain. L’évolution porte
davantage sur la nécessité de transférer toujours plus
d’activités vers le réseau roumain de manière à en valider
la pertinence économique. Cette logique pousse le groupe
Amer Sport à réaliser des opérations de relocalisation de
productions de la Chine vers l’Europe de l’Est. Ces
opérations ont porté à ce jour sur les chaussons Atomic, les
casques de ski et les masques de skis depuis 2014. Ces
décisions sont contre-intuitives pour un actionnaire animé
principalement par un objectif financier. En effet, pour
Amer Sport le modèle idéal est le sourcing. Un design qui
définit un besoin de forme et de matière que l’on propose à
un marché fournisseur expert dans la fabrication car
proposant ces productions à tous les acteurs du marché.
Dans un marché aussi volatile que celui de l’outdoor c’est
la façon la plus certaine de minimiser le risque industriel
et maximiser le ROI. C’est le modèle utilisé par Salomon
pour les bâtons ski, le textile et le Snow Board, autant de
produits au savoir-faire banalisé pour lesquelles la Chine
est l’acteur incontournable du marché. Dans ce contexte,
l’existence d’un réseau roumain de sous-traitants crée un
levier de contrepouvoir intéressant, surtout dans un
contexte inflationniste sur le coût de la main d’œuvre
chinoise.
Tableau 2 – Le partage des activités dans la supply chain de Salomon en 2013
Métiers maintenus
en France
v Plan de production
v Achats des composants (négociation
et mise en place des contrats)
v AQF (assurance qualité
fournisseurs) + process
v Industrialisation matériaux et
procédés (définition et mise au
point)
v Engineering (transferts des process
en Roumanie)
v Supply chain (customer service,
transports, procédures, systèmes,
etc.)
v Qualité centrale (procédures, audits,
etc.)
v Méthodes logistiques (pilotage
plate-forme, audits sous-traitants,
douanes)
v Contrôle de l’approvisionnement
réalisé par le Sous-traitant
(acheteur)
Prestataires indépendants
v Inspection qualité des produits
finis
Métiers externalisés
(sous-traitants roumains)
v Gestion de la main-d’œuvre de
production
v Locaux, énergie, maintenance des
moyens
v Gestion de production
(ordonnancement, magasins
internes, etc.)
v Contrôle et stockage des matières
premières et des composants
v Inspection qualité des matières
premières et des composants
v Logistique d’approvisionnement
(mais pas l’achat sauf sur certains
composants plastiques standards)
v Méthodes logistiques (en partie
récupérées de la plateforme)
7 Les composants sont achetés « franco » par Salomon qui les dirige par la suite vers le réseau roumain. Cette solution offre plusieurs
avantages : moins d’asymétrie d’information pour Salomon qui maintient le statut de façonniers de leurs partenaires roumains. Pour ces
derniers cela allège leur trésorerie et leur évite d’assumer un risque financier en pariant sur un niveau d’activité pour leurs achats.
38/56
Excellence HA n°4
D O S S I E R
Discussion
Quelle sont les leçons de cette longue histoire dont les pages
s’écrivent encore à l’heure actuelle ? Selon nous, l’expérience
de l’entreprise Salomon et de son réseau de sous-traitants
roumains nous permet d’avancer quelques principes d’action
pour un Directeur achats désireux d’aller dans le sens d’un
véritable Management des Ressources Externes (Calvi 2014).
v Dépasser sa fonction.
Nous avons vu que légitimité du rôle de la fonction Achats
dans la démarche stratégique ne va pas de soi. Dans le cas
de Salomon, il a fallu que le directeur des Achats trouve des
sponsors dans l’entreprise pour appuyer ses actions. Il
reconnaît pour cela avoir utilisé trois vecteurs contributifs :
– un bon « timing » : savoir être présent dès l’origine de
la constitution de l’offre produits/process et des réseaux
associés;
– une bonne concourance : s’associer aux autres fonctions
de l’entreprise pour mettre en place conjointement des
réseaux, organisations et processus efficaces ;
– une véritable « expertise » : être animateurs et spécialistes de l’identification et de la gestion de réseaux tout
en sachant se plier à la contrainte de l’évaluation par les
coûts des solutions proposées.
v Stabiliser les acteurs et équilibrer le pouvoir avec les
partenaires.
La confiance est nécessaire pour tirer parti d’une collaboration de long terme. Le réseau roumain était dès le départ très
dépendant de son client Salomon8, mais cette dépendance
est contrebalancée par les efforts constants de Salomon pour
promouvoir les activités de leurs sous-traitants roumains
dans le groupe et même hors du groupe9. Il ne s’agit donc pas
d’un modèle de « domination » (comme on peut parfois le
retrouver dans la logique de « lean supply »), mais plus
d’admettre l’existence d’un certain « éco système » dans
lequel, volontairement, client et fournisseur s’engagent sur
le principe de la solidarité. C’est ce même principe de
solidarité qui pousse aujourd’hui le client Salomon à
transférer des productions vers son réseau roumain.
v Repenser l’alignement stratégique.
La fonction Achats n’est pas naturellement investie d’une
N ° 3
mission stratégique propre. Comme nous l’avons vu en introduction, elle est souvent perçue comme un équilibreur de
compte (acheter aux coûts les plus bas) sous contrainte de
satisfaction des clients internes (dans la qualité, quantité et
délais attendus). Simplement « s’aligner » sur ces objectifs
peut être aussi un renoncement. Le cas de Salomon est assez
illustratif de ce risque potentiel. L’entreprise a changé deux
fois d’actionnaires en l’espace de 20 ans. Sans le développement d’une vision stratégique propre pour la gestion de ces
ressources externes, la direction des Achats aurait surement
opté pour un abandon de la solution européenne au profit
d’un sourcing dans les réseaux chinois du groupe Adidas,
puis de ceux du groupe Amer. La solution développée repose
plus sur le choix d’une alignement que nous qualifierons
d’ « actif » au sens où il a aussi pour vocation d’infléchir la
stratégie de l’entreprises en lui offrant, sur la base du réseau
roumain constitué, une plateforme industrielle pouvant
rendre possible, ou pour le moins faciliter, certaines
stratégies produits.
v Créer du sens au sein de la fonction.
Comme nous l’évoquions en introduction, face à la multiplicité des parties prenantes et de leurs injonctions contradictoires, les entreprises doivent pouvoir s’appuyer sur des
leaders capables de porter les transformations en s’appuyant
moins sur une logique traditionnelle basée sur l’obéissance
et le contrôle que sur une culture de la responsabilisation
et de la confiance. Pour cela il faut du courage, une vision,
de l’engagement, de l’honnêteté, de l’écoute et de la
persévérance. Notre statut d’observateur extérieur ne nous
permet pas de juger scientifiquement de la présence de tous
ces ingrédients dans le cas relaté, mais il nous semble
toutefois que ces attributs sont présents tout au long de cette
saga. C’est la création de ce « sens » qui génèrera l’implication des acteurs internes et externes dans l’attente des
objectifs.
lll
v Savoir se remettre en cause pour défendre ses choix
(concilier stabilité des acteurs et performance).
Etre fidèle ne veut pas dire être immobile. Pour faire perdurer
le choix de la solution « roumaine » on a vu qu’il fallut
toujours adapter le système tant dans sa gouvernance (fin
de la filiale roumaine) que dans ses choix logistiques (modi-
8
Ils avaient et ont toujours une interdiction contractuelle de travailler avec d’autres clients du secteur du sport. Par contre ils peuvent
développer une activité propre sur le marché intérieur Roumain. Pour les 8 acteurs historiques cette activité ne représente pas plus de
50% et les activité avec Salomon sont les rentables car notamment sur ces dernières ils n’ont pas à faire d’investissement ni avancer
l’argent pour l’achats des matières premières.
9
Le directeur Achats de Salomon servant souvent de « VRP » à ses partenaires pour convaincre d’autres industriels de venir partager les
coûts fixes de ce réseau et ainsi valider sa stratégie industrielle dans le temps.
Excellence HA n°4
39/56
fication des schémas de supply chain). Il s’agit pour le leader
d’éviter le contrepied et travailler au contraire la résilience.
On retrouve ici une idée véhiculée par les chercheurs qui ont
étudié le modèle Toyota de relations inter-entreprises qui, à
la fin des années 2000, assurait une sur performance
sectorielle pour le constructeur automobile et son réseau de
partenaires10. Ce modèle prône la stabilité des relations (l’appartenance au keiretsu), et à l’intérieur de cette zone de
stabilité, la mise en place d’un système d’apprentissage et de
solidarité. C’est l’organisation du kyohokai dans lequel Toyota
et ses fournisseurs investissent et mutualisent des savoirs et
savoir-faire. L’idée est clairement d’obtenir un avantage
concurrentiel en bénéficiant avant les concurrents des
progrès réalisés au sein du réseau de fournisseurs
(Cazenave, 2009).
Nous espérons que cette histoire et ces quelques principes
pourront alimenter votre réflexion sur votre rôle de leader
fonctionnel et vous inciter à affirmer votre rôle stratégique
au sein d’organisations toujours plus dépendantes pour leur
pérennité de ressources externes à mobiliser. n
Bibliographie
Asanuma B., « Manufacturer-supplier relationships in Japan and the concept of relation-specific skill », Journal of the Japanese
and International Economies, Vol. 3, n° 1, 1989, p. 1-30.
Barney J., « Firm resources and sustained competitive advantage », Journal of Management, Vol. 17, n° 1, 1991, p. 99-120.
Calvi R. (2014), « De la gestion des Achats au Management des Ressources Externes : le cas de Salomon et du développement de son réseau de sous-traitants en Roumanie », Management & Gouvernance, n° 11, p 59-74.
Calvi R., Paché G, Jarniat P (2010) « Lorsque la fonction achats devient stratégique : de l’éclairage théorique à la mise en
pratique ” avec G. Paché et P. Jarniat, Revue Française de Gestion, vol 36, n° 205, p 119-138.
Cazenave F., La « machine » Toyota : un système d’apprentissages et de solidarités interentreprises, Thèse de doctorat en
Sciences de Gestion, Université Paris Est, février 2009.
De Gaulejac, V., Hanique F,.(2015,) “Le Capitalisme paradoxant : Un système qui rend fou”, ed. Economie Humaine.
Dyer J., Singh H., « The relational view : cooperative strategy and sources of interorganizational competitive advantage »,
Academy of Management Review, Vol. 23, n° 4, 1998, p. 660-679.
Dyer J., Nobeoka K., « Creating and managing a high-performance knowledge-sharing network : the Toyota case », Strategic
Management Journal, Vol. 21, n° 3, 2000, p. 345-367.
Dyer J., Hatch N., « Relation-specific capabilities and barriers to knowledge transfers : creating advantage through network relationships », Strategic Management Journal, Vol. 27, n° 8, 2006, p. 701-719.
Jarillo J.-C., « On strategic networks », Strategic Management Journal, Vol. 9, n° 1, 1988, p. 31-41.
Lavie D., « The competitive advantage of interconnected firms : an extension of the resource-based view », Academy of
Management Review, Vol. 31, n° 3, 2006, p. 638-658.
Teece D., « Explicating dynamic capabilities : the nature and microfoundations of (sustainable) enterprise performance »,
Strategic Management Journal, Vol. 28, n° 13, 2007, p. 1319-1350.
10
Ceci est parfaitement décrit par exemple dans les travaux de d’Asanuma (1989) et Dyer & Noboeka (2000).
40/56
Excellence HA n°4
D O S S I E R
JEAN POTAGE
N ° 3
Jean POTAGE relate son retour d’expérience en tant qu’ancien Directeur Technique et ancien
Directeur Achats du Groupe Thales ; il est actuellement consultant et enseignant dans plusieurs
masters achats de l’hexagone (Kedge, ESCP Europe, Desma, UVSQ, IMUS, Esprit, …).
LE POINT DE VUE D’UN PRATICIEN
SUR L’ARTICLE
La Relation PME – Grands Groupes
Que nous dit finalement l’auteur à l’issue d’une analyse portant sur une vingtaine d’années au sein
du groupe Salomon ? Tout simplement qu’il existe une troisième voie pour les Directeurs Achats audelà du stress ou de la distanciation que peuvent provoquer des injonctions financières paradoxales.
Cette troisième voie, suivie patiemment de 1993 à 2013 par
Pierre Jarniat, alors Directeur Achat de l’entreprise, consiste
à suivre une stratégie à long terme, basée d’une part sur l’axe
fournisseurs (construction et maintien d’un écosystème fournisseurs) et d’autre part sur l’axe métier correspondant, en
termes de compétences relationnelles. Mon bref témoignage
de praticien évoquera donc ici cette « troisième voie » telle
que je l’ai vécue au sein d’un grand groupe high tech international en tant que directeur achats de 1995 à 2005 puis audelà en tant que consultant et enseignant.
Attention, un objectif économique peut
en cacher un autre !
Jusqu’à nouvel ordre, les comptes d’exploitation sont
« arrêtés » annuellement et cette fréquence d’horloge bat
semble-t-il définitivement le rythme court-termiste des
objectifs financiers fréquemment déclinés en « injonctions
paradoxales » vers la fonction achats. J’ai effectivement un
instant hésité entre ces deux attitudes du stress ou distanciation observées par Richard Calvi. Mais s’il veut tenir la
distance (10 ans dans mon cas) un directeur achats a plus
qu’intérêt à ajouter un objectif long terme à celui de l’efficacité court-terme des fameux « gains achats ». Cet objectif
peut s’énoncer ainsi : définir et mettre en place progressivement le panel fournisseur idéal pour l’entreprise. Par
essence, un objectif long terme.
Mettre en place le panel fournisseur
idéal n’est effectivement pas « un long
fleuve tranquille »
Pour le directeur achat, tenir cet objectif global d’entreprise
l’amène à en poursuivre deux autres de nature métier : d’une
part celui de l’identification des fournisseurs clés du panel
ce qui ne peut se faire qu’avec les prescripteurs, et d’autre
part celui de la mise en place des compétences achats dont
l’entreprise a besoin pour travailler avec ces fournisseurs,
compétences désignées comme « relationnelles » dans
l’article analysé, et qui renvoient le manager à la maturité
achat de ses acheteurs sinon à celle de l’entreprise tout
entière, y compris son haut management, quelles que soient
ses injonctions. Deux tâches longues et difficiles comme
nous allons le voir.
Identifier le panel fournisseur cible
idéal ? Un premier objectif métier non
sans paradoxes lui aussi !
Nous ne reviendrons pas sur les paradoxes qu’a dû gérer le
directeur achats de Salomon au gré de la croissance du
groupe, du changement d’actionnaires ou des évolutions du
marché mondial de son activité. Au sein du groupe industriel
dans lequel j’ai découvert la fonction achats, des paradoxes
de même nature, ou d’autres plus spécifiques à l’activité du
groupe étaient également bien présents. Rappelons ici les
Excellence HA n°4
41/56
principaux : quelle politique achats définir en matière de
composants électroniques face au dilemme « civil vs
militaire » véritable casse-tête à l’époque ? Quelle stratégie
de sous-traitance industrielle groupe définir tant pour des
produits et systèmes à cycle court (terminaux bancaires) ou
bien à cycle très long (avionique Airbus, Rafale) ? Comment
établir un panel fournisseurs cohérent en présence d’obligations d’achats de compensation (les offset) selon les grands
programmes et selon les pays ? Enfin, pour un groupe ayant
une intensité R&D d’environ 20%, comment opérer avec un
grand nombre de PME innovantes ou de laboratoires de
recherche ? Autant de contradictions qui font là aussi partie
du job. A l’époque, ma prise de fonction a été effectivement
marquée par un objectif économique très clair : -20%
d’économies achats. L’identification et la mise en place du
panel fournisseur cible à l’échelle du groupe a donc simultanément démarré, via un programme musclé de réduction
du nombre de fournisseurs, pléthorique à l’époque. Le premier
objectif métier avait donc une cible quantitative : réduire le
panel fournisseurs de 30% en 3 ans et le concentrer sur
environ 800 fournisseurs « cibles groupe » via une stratégie
précise par famille d’achat. Ce qui a été atteint.
Développer les compétences
« relationnelles ? Mais où sont les
modèles et les outils ?
Il fallait aussi tenir le deuxième objectif métier, celui
consistant à faire monter en compétences une filière métier
de 800 acheteurs. En l’absence d’outils opérationnels en la
matière j’ai dû pour cela définir le concept de maturité achats
qui n’existait pas à l’époque, élaborer un premier modèle de
maturité achats (ThomPrice) et fixer moi-même des objectifs
de niveau de maturité aux services achats des unités1.
Résumé de cette aventure : il a fallu cinq ans pour amener
50% des effectifs achats du groupe au niveau de maturité 3
(sur une échelle de 1 à 5)!2
Une fois le panel fournisseur relativement sous contrôle au
plan quantitatif (Pareto quand tu nous tiens !) il restait à
traiter le plan qualitatif consistant à identifier les fournisseurs clés, définir les types de « relations » à construire
avec eux selon une feuille de route de création de valeur sur
la durée, et donc à développer en interne les compétences
relationnelles du SRM. Vaste programme dépourvu là encore
de modèles et d’outils qu’il a donc fallu là aussi créer et
développer, ce qui a été fait depuis avec du recul (2010) et
dans le cadre d’activités de conseil et d’enseignement en
achats.
Un premier modèle de panel
fournisseurs basé sur le « relationnel ».
Définir le panel fournisseur ad hoc, aligné par rapport aux
objectifs stratégiques des entreprises ou des business lines,
notamment en termes de compétitivité, de co-dévéveloppement, de co-production et de co-innovation ne peut se limiter
à une segmentation « Pareto » du portefeuille achats
déclinée ensuite en mode négociation/contrat. Cette
approche conduit en effet au sophisme consistant à définir
le caractère stratégique d’un segment d’achat ou d’un
fournisseur à partir de leur poids économique. Elle conduit
aussi aux abus que l’on connaît et ayant entraîné la misse
en place d’une loi (NRE), de chartes et de pactes, et même
d’une Médiation. Il est en fait devenu nécessaire de revisiter,
restructurer le panel fournisseurs en fonction de la valeur
que l’on veut créer avec ces fournisseurs et de « l’histoire »
que l’on veut écrire avec eux. Ce que Salomon a réussi à faire
sur 20 ans. D’une manière générale, et du point de vue
« relationnel » une première segmentation en trois
catégories apparaît alors tout naturellement, celle des
« 3C »3 : les fournisseurs de type « Compétitivité » pour la
réduction des les coûts d’achats, les fournisseurs de type
« Confiance » pour le co-développement, la co-fabrication)
et les fournisseurs de type « Croissance « pour la coinnovation, principalement celle « ouverte ». Un tel modèle
aboutit donc à classer d’abord les fournisseurs selon les
« 3C » puis après, et après seulement, à procéder au
classement ABC classique selon Pareto.
1
« Les Achats à Thomson-CSF : vers un nécessaire Modèle de Maturité »
Jean Potage, Revue internationale de l’Achat Vol 18-N°2-1998 p. 11 à 18 www.academia.edu/6819648/Les_achats_%C3%A0_THOMSON-CSF_vers_un_n%C3%A9cessaire_Mod%C3%A8le_de_Maturit%C3%
A9_Jean_Potage_
2
« Contribuer à la performance d’un groupe High Tech par les achats »
Jean Potage, Séminaire Ressources technologiques et innovation, Ecole de Paris du Management ,13 février 2002, Polytechnique
http://ecole.org/seminaires/FS2/RT_50
3
Chaînes de valeur, filières : quelles recompositions pour quelle innovation ? Des achats à la co-innovation avec les fournisseurs
Jean Potage, La Recherche et l’Innovation en France, O. Jacob, p 209-229
42/56
Excellence HA n°4
D O S S I E R
Un second modèle pour la conduite
du relationnel fournisseur.
Existe-t-il un modèle de relationnel indépendant des organisations des entreprises ou des business lines, des organigrammes, de l’organisation des directions achats ? Nous
avons dû également tenter de répondre à cette question en
2010 en proposant le modèle PRIME4 (Purchasing Relationship Integrated Model for Enterprises). Ce modèle décrit le
fonctionnement de la relation client-fournisseur en 6
couches de type ISO et déduit pour chaque couche le rôle des
parties prenantes dans le bon fonctionnement de cette
relation. Ce modèle devient alors l’outil de base pour définir
la stratégie achats propre à chaque catégorie fournisseurs
des « 3C ».
Un troisième modèle pour étendre le
développement des compétences
relationnelles à toute l’entreprise.
De nombreuses parties prenantes étant indéniablement
impliquées dans la relation client-fournisseur (de la DG à la
comptabilité fournisseurs) ce sont donc toutes les parties
prenantes qui doivent maîtriser une relation clientfournisseur de plus en plus complexe. Le directeur achat
devient donc alors le chef d’orchestre de la progression en
maturité achats de toute l’entreprise. Les modèles ou
matrices de maturité achats dédiés à la seule fonction achats
sont alors obsolètes et il devient nécessaire de disposer d’un
modèle holistique, « gradué » en fonction de la complexité
du relationnel fournisseur à maîtriser. C’est ainsi qu’est
organisé le modèle PIMM5 (Purchasing Integrated Maturity
Model) conçu et publié en même temps que le modèle
PRIME pour le SRM. Sur les 5 niveaux de maturité du modèle,
les niveaux 1 et 2 sont dédiés aux compétences de base en
achats (négociation / contrat), les niveaux 3 et 4 sont dédiés
au relationnel fournisseur plus ou moins collaboratif et enfin
le niveau 5 est dédié aux pratiques et aux compétences liées
à la co-innovation. Telle est ainsi quantifiée la dimension
« verticale » de la matrice de maturité achats PIMM. Quant à
sa dimension horizontale, c’est-à-dire celle des acteurs
contribuant à la performance achats, non seulement les
N ° 3
exigences de compétences de la fonction achats y sont
décrites, mais également celles de toutes les parties
prenantes de l’entreprise (DG, Directions Fonctionnelles
Communes comme par exemple la qualité, ou les systèmes
d’information). Avec un tel outil, le directeur achats est donc
à même de définir une feuille de route de progression en
compétences relationnelles pour sa propre direction, mais
aussi pour toute l’entreprise. Chef d’orchestre n’ayant pas trop
la tête dans la partition du « cost killing » : cela fait
dorénavant partie du job !
Facteurs clés de succès
pour une stratégie achats.
L’énoncé d’une stratégie achats vient souvent se heurter au
« pouvoir » des directions métiers qui font depuis longtemps
leur propre plan stratégique (directions techniques et industrielles en particulier) mais également aux directions de l’innovation récemment crées et aux directions de la stratégie
qui souvent ne demandent pas explicitement à la fonction
achats de définir son plan stratégique. Elaborer une
stratégie achats, la « vendre » en interne et s’y tenir, implique
généralement des qualités de vision, de ténacité et de
communication au-dessus de la moyenne.
Conclusion
« L’histoire » racontée par Richard Calvi dans le contexte
Salomon peut donc tout à fait être généralisée quant au fait
que le directeur achat doit avoir une vision du panel
fournisseur cible, idéal pour son entreprise, aligné par
business line si besoin est, et décliner cette vision par un
exercice de planification stratégique auquel il va être fidèle
indépendamment des injonctions financières paradoxales.
Cette stratégie peut et doit être énoncée dans un « plan
stratégique achats » qui devient alors de facto un véhicule
de communication hors pair avec les directions des parties
prenantes de toute l’entreprise et également un outil de planification des compétences achats « relationnelles » à
atteindre par ses acheteurs. Bref sa partition de chef
d’orchestre ! n
4
« Management de la Relation Client-Fournisseur avec un modèle intégré : PRIME, Purchasing Relationship Integrated Model for
Enterprises »
Jean Potage, PROFESSION ACHAT n° 37, mars 2010, p. 32
www.academia.edu/6819666/Management_de_la_Relation_Client-Fournisseur_avec_un_mod%C3%A8le_int%C3%A9gr%C3%A9_
PRIME_Purchasing_Relationship_Integrated_Model_for_Enterprises_Jean_Potage_
5
« Un modèle de maturité achat intégré : PIMM »
Jean Potage, PROFESSION ACHAT n° 39, septembre 2010
Excellence HA n°4
43/56
Hugues
Poissonnier,
Président du
Comité Scientifique /
Editorial Board
PRÉSENTATION
DES THÈSES
Il est fréquent de distinguer trois grandes approches
en matière d’achats responsables. La première peut
être qualifiée d’« approche fournisseur ». Elle
consiste à choisir de travailler avec des fournisseurs
plus respectueux d’un certain nombre de critères
sociaux et/ou environnementaux bien identifiés. En
refusant systématiquement de travailler avec les fournisseurs qui ne respecteraient pas ces critères, on
les amène, à n’en pas douter, à évoluer de façon
indirecte. Une démarche plus directe consisterait à
les accompagner dans une démarche de progrès.
La deuxième approche réside dans l’ « approche
produit », qui repose sur la volonté d’éliminer du
cycle de production tout produit qui serait trop
impactant pour l’environnement et/ou la santé. Là
aussi des degrés de proactivité divers sont
observables. Enfin, l’ « approche process »
concerne le processus achats dans sa globalité. Il
est ici question de lutte contre la corruption mais
aussi, de plus en plus, de mise en œuvre des bons
outils de pilotage des performances, seuls garants
de l’inscription des efforts dans la durée.
Les trois thèses présentées dans cette rubrique,
réalisées par trois consultants achats, s’inscrivent
chacune dans l’une des trois grandes approches
décrites.
Anne Bourbigot, qui a réalisé sa thèse professionnelle dans le cadre du Mastère Spécialisé en
management Stratégique des Achats et de la Supply
Chain à ESCP Europe, questionne le rôle des achats,
et plus spécifiquement leur responsabilité, dans les
choix de localisation des fournisseurs. La dynamique
de relocalisation actuelle et l’engouement pour le «
made in France » sont présentés pour ce qu’ils sont
: avant tout les manifestations de choix très opéra-
44/56
tionnels des acheteurs concernant leurs fournisseurs. L’analyse des facteurs prix et hors-prix
dans les relocalisations nous a semblé particulièrement pertinente.
Jean-Louis Martin a lui réalisé sa thèse dans le
cadre du Master DESMA de l’IAE de Grenoble. Son
travail s’inscrirait davantage dans l’ « approche
produit » puisqu’il s’est intéressé aux achats d’emballages. Il ressort de la lecture de cette thèse une
idée précise de la contribution potentielle des achats
d’emballages à une politique d’achats durables. Audelà des impacts financiers, importants et bien
appréhendés, de nombreux impacts sociétaux sont
mis en évidence et quelques bonnes pratiques sont
identifiées pour passer à l’acte.
Enfin Lucila Rodaro a focalisé sont travail, réalisé
dans le cadre du Mastère Spécialisé Management
de la fonction achats de Grenoble Ecole de
Management, sur la mesure de la performance
durable. S’appuyant sur les nombreuses et
importantes initiatives récentes en matière de mesure
des pratiques responsables et durables, elle
propose une redéfinition des achats responsables à
travers trois catégories (les « 3 Ws » pour « Wealth,
Within et World ») comprenant 9 bonnes pratiques et
des KPIs associés. Les exemples de KPIs donnés,
classiques pour certains, originaux pour d’autres,
pourront constituer une source d’inspiration pour les
lecteurs en charge de pilotage de performance des
achats responsables.
Nous vous souhaitons, de ces travaux complémentaires, une enthousiasmante et inspirante lecture.
Excellence HA n°4
Hugues Poissonnier
T H È S E
N ° 1
Consultante Achats, Anne Bourbigot a réalisé sa thèse professionnelle dans le cadre du
Mastère Spécialisé en Management Stratégique des Achats et de la Supply Chain à ESCP
Europe, sous la direction de Fabienne Fel.
ANNE BOURBIGOT
Email : [email protected]
ACHETER EN EUROPE
PLUTÔT QU’EN CHINE :
une question de responsabilité sociétale
de l’acheteur ?
Le « Made in France », et plus largement, le « Made in Europe » est aujourd’hui un
véritable phénomène d’actualité, au cœur de nombreux débats politiques et sociétaux.
Mais, au-delà des cas de relocalisation de la production, peu nombreux bien que très
médiatisés, nombre d’acheteurs se posent aujourd’hui la question de leur
responsabilité sociétale : doivent-ils continuer à s’approvisionner en Asie, ou étudier
des alternatives françaises ou européennes ?
La localisation des entreprises sur la
scène mondiale : entre délocalisation et
relocalisation.
Depuis les années soixante et soixante-dix, les usines
implantées dans les pays développés ferment pour rouvrir
dans les pays émergents, à la recherche de coûts réduits de
main d’œuvre. Le mouvement s’intensifie dans les décennies
suivantes, le secteur manufacturier étant suivi dans cet élan
par celui des services. Les acheteurs occidentaux délaissent
leurs fournisseurs nationaux pour sourcer en Asie dans
l’optique de réduire les coûts, la Chine devient « l’usine du
Monde ».
Comme toute économie stimulée par l’ensemble de ces
investissements étrangers, les salaires chinois observent par
la suite de très fortes évolutions, ce qui contribue
grandement à la dégradation du coût de revient des biens
manufacturés dont tout ou partie provient de Chine. Par
ailleurs, le coût de la non-qualité, les délais, la corruption et
les différences interculturelles, entre autres, constituent
également des facteurs de risques et de surcoûts dont il faut
tenir compte. Facteurs mis pourtant en évidence par la
littérature depuis plus de vingt ans.
Suite à ce constat, s’amorce alors un mouvement de relocalisation qualifié dans la littérature de backshoring (retour de
la production ou des approvisionnements dans le pays
d’origine), ou de nearshoring (retour dans un pays
géographiquement proche). L’apparition de la crise en 2008
a incité les entreprises à une réévaluation de leur stratégie
Supply Chain et des coûts affiliés et a donc accentué ces
mouvements de relocalisation.
Les déterminants de la relocalisation
La finalité de notre étude est d’analyser les facteurs décisionnels à l’origine du processus de relocalisation des approvisionnements, et la place du « Made in France » dans ces
décisions. Les caractéristiques du processus de relocalisation
sont variées et diffèrent selon les spécificités de l’écosystème
de l’entreprise. C’est pourquoi un entretien semi-directif
réalisé auprès de sept entreprises nous a paru indispensable
pour analyser et comprendre les tenants et aboutissants de
la relocalisation. Ces entreprises de tailles diverses sont
toutes issues du secteur manufacturier et ont toutes
délocalisé en Chine.
Nous avons interrogé ces entreprises afin de déterminer les
facteurs propices à la relocalisation des lignes de production
ou de leurs approvisionnements. Chacune de ces sociétés a
évoqué plusieurs facteurs, synthétisés dans le tableau n°1.
Cette analyse révèle non seulement que le nombre et le type
de facteurs décisionnels diffèrent d’une entreprise à une
Excellence HA n°4
lll
45/56
Tableau n°1 : Nombre de facteurs favorables à la relocalisation par entreprise
Compétitivité
prix, hors-prix
Coûts
Cas 1 Cas 2 Cas 3 Cas 4 Cas 5 Cas 6 Cas 7 Occurrences
Prix
x
x
x
x
Délai, réactivité, accès au marché
Hors-prix
x
x
x
x
4
Qualité
Hors-prix
x
x
x
3
Importance du «Made in France»
Hors-prix
x
x
Cluster
Hors-prix
x
x
Accès aux ressources
Prix
Compétences
Prix
x
x
x
x
7
3
x
x
x
x
x
3
x
3
x
3
Flexibilité
Hors-prix
x
x
x
3
Respect des normes
Hors-prix
x
x
x
3
Rééquilibrage de la trésorerie
Prix
x
x
2
Subventions
et avances remboursables
Prix
x
x
2
Occurrences
9
10
autre mais également qu’un seul critère est commun à
l’ensemble du panel : le facteur « réduction des coûts ». Le
« Made in France » n’est, quant à lui, évoqué que par trois
entreprises.
De la corrélation entre la durée de la délocalisation avant
une opération de relocalisation et le nombre de facteurs
Figure n°1 : La corrélation entre les types de relocalisation et le
nombre de facteurs
3
6
2
2
4
inhérents à ce processus, trois grandes typologies se
dégagent de notre enquête terrain :
1/ L’erreur de décision suite à une opération de délocalisation
est identifiée 2 à 3 ans après avoir délocalisé. Seul un faible
nombre de facteurs prime, mais dont le poids pèse lourd dans
ce type de décision. Afin de contenir les pertes, l’entreprise
opère cette démarche corrective, dans un contexte temporel
très court.
2/ Celle de la montée en gamme s’apparente à une spécialisation de niche. En vue de détenir un avantage concurrentiel
sur le marché visé, l’entreprise se doit d’être réactive. La relocalisation est effective sur une durée très courte et est très
fortement motivée.
3/ Quant à la relocalisation dite d’arbitrage de l’attractivité
du territoire, elle s’inscrit dans la durée. En effet, une fois que
l’attractivité du pays d’accueil diminue, l’entreprise recherche
une zone géographique plus attractive.
Parfois, certaines entreprises, dans le cas ci-présent la
société n°4, peuvent être catégorisées dans deux catégories.
Elles se spécialisent tout en évoluant sur des territoires plus
attractifs en termes de coûts.
Une autre corrélation peut être établie entre les stratégies
de relocalisation et les critères liés à la compétitivité prix et
46/56
Excellence HA n°4
T H È S E
hors prix, tel que l’illustre la figure n°2.
Le facteur coût est prépondérant dans le cadre d’une relocalisation suite à une erreur stratégique. La délocalisation s’est
axée sur une étude de coûts incomplète, contrariée par la
réalité du terrain. La relocalisation est alors une opération
strictement contraire, motivée par le même facteur coût
appuyé cette fois-ci par une étude TCO.
La spécialisation sur un marché de niche (positionnement
sur des segments dits premiums), initiée par un changement
de stratégie insufflée par la Direction Générale, est essentiellement motivée par des facteurs qualitatifs. Cette montée
en gamme impacte le choix des fournisseurs que ce soit en
termes de la qualité ou du délai d’acheminement des
composants, ou que ce soit en termes d’accès à l’innovation.
La localisation est également primordiale, puisque les
entreprises font du « Made in France » ou du label « Origine
France Garantie » un de leur argument commercial.
L’ensemble de ces composantes sont les éléments clés de
l’avantage concurrentiel recherché.
La sélection du lieu d’implantation se focalise sur des
facteurs de décision à la fois quantitatifs et qualitatifs. Suite
à la dégradation de ces mêmes indicateurs sur le territoire
initial, l’entreprise vise à optimiser ou garantir le niveau de
service, et ce à moindre coût.
Le rôle des Achats
Le « Made in France » suscite un réel engouement auprès des
consommateurs français, c’est pourquoi l’obtention du label
peut être incluse dans les facteurs qualitatifs de la relocalisation. Dans les trois premiers cas, où le « Made in France » était
un critère important, la décision de relocaliser a été prise par
la Direction Générale : le premier cas a consisté à relocaliser
la production en France en faisant appel à un nouveau soustraitant. Dans les deux entreprises suivantes, la relocalisation
a conduit à des investissements capacitaires en France. Dans
ces trois sociétés, les achats ont été sollicités pour créer un
écosystème local et garantir l’accès aux matières premières ou
à un savoir-faire spécifique, ou encore assurer la proximité de
l’approvisionnement.
Dans les quatre autres sociétés, la décision de s’approvisionner
plus près (respectivement en Europe de l’Est et en Italie) a été
prise directement par le Directeur des Achats, après analyse
du TCO d’une part, et en prenant en compte d’autre part des
critères qualitatifs, comme la qualité, la réactivité, l’accès aux
ressources ou encore les compétences locales.
En conclusion, le rôle joué par les dirigeants Achats dans
les cas étudiés a été ce que l’on pourrait qualifier de rôle
« classique », à savoir l’accompagnement d’une décision de
Direction Générale, ou la recherche de fournisseurs plus
N ° 1
Figure n°2 : Compétitivité prix et hors prix par type de relocalisation
performants au regard des objectifs habituellement
poursuivis par les acheteurs. La responsabilité sociétale de
l’acheteur, telle qu’énoncée en introduction, n’a jamais été
citée comme un facteur pris en compte dans ces décisions de
nearshoring .
Cette conclusion est cependant à relativiser, et ce, à plusieurs
niveaux : d’une part, la poursuite de la hausse des salaires
en Chine, ainsi que la difficulté croissante de trouver des
fournisseurs Chinois, davantage tournés vers leur marché
intérieur, va pousser les acheteurs à se tourner vers des
marchés plus proches, nombre d’études récentes soulignant
que le TCO des produits d’Europe Centrale ou de l’Est est
aujourd’hui très proche de celui des produits chinois ; la
question qui se pose est celle de savoir si le mouvement de
nearshoring, largement amorcé, s’arrêtera aux frontières
françaises, ou les franchira.
D’une part, nous avons analysé des cas datant de quelques
années (les relocalisations étudiées ayant été réalisées entre
2010 et 2014 après un long processus de décision), avant la
prise de conscience actuelle de la responsabilité territoriale
de l’acheteur, qui se traduit aujourd’hui par l’organisation de
colloques et conférences sur les « achats made in France »,
susceptibles de faire évoluer les mentalités. La vogue
actuelle du « Made in France », si elle perdure, ou mieux,
s’amplifie, peut inciter un certain nombre de Directions
Générales à relocaliser la production ou l’assemblage des
produits finis en France, impliquant les acheteurs dans la
recherche de sous-traitants et fournisseurs français ; et, en
l’absence de définition légale du « Made in France » (à
l’exception de quelques secteurs ), est souvent considéré
comme « Français » un produit dont 45% au moins de la
valeur est constituée de composants d’origine française,
même si le produit a été finalisé ailleurs ; c’est à ce niveau
que les acheteurs pourront faire jouer leur responsabilité
sociétale, en substituant des fournisseurs français à leurs
fournisseurs low costs. n
Excellence HA n°4
47/56
JEAN-LOUI S MARTIN
Cette thèse professionnelle a été réalisée dans le cadre du Master DESMA de l’IAE de Grenoble en formation continue
2013/2014. Jean-Louis MARTIN a effectué sa thèse sous la direction de Vincent PLAUCHU.
Pour toute demande d’information supplémentaire contactez : [email protected]
LA CONTRIBUTION DES
ACHATS D’EMBALLAGES
à une politique d’achats durables
L’épuisement des ressources naturelles, les menaces qui pèsent sur la
biodiversité, le réchauffement global de la planète, ont sonné le glas d’un modèle
économique linéaire basé sur le concept du « extraire, fabriquer, jeter ». Les Etats
et les acteurs de l’économie mondiale sont à la recherche d’un nouveau modèle
qui pourrait conjuguer développement économique et respect de
l’environnement. Ce nouveau modèle porte un nom : l’économie circulaire.
Nous avons donc cherché à comprendre comment les services
achats vivaient cette transition. Nous avons choisi la famille
achats d’emballages comme terrain d’expérimentation, pour
déterminer si, au-delà de l’aspect sociétal, une politique
d’achats durables et sa mise en œuvre par la famille
emballages peut représenter un potentiel de création de
valeur et quels sont les leviers à activer pour y parvenir.
Les raisons qui poussent les
organisations à mettre en œuvre une
politique RSE (Responsabilité Sociétale
des Entreprises)
Répondre aux exigences règlementaires de plus
en plus marquées
Si ces exigences sont parfois perçues par certaines
entreprises comme coercitives, d’autres, de plus en plus
nombreuses considèrent qu’elles permettent à leur organisation de faire évoluer leur gouvernance, voire leur Business
Model.
48/56
La demande croissance des investisseurs
La valeur d’une entreprise tend à ne plus être seulement
mesurée sur ses résultats financiers, mais est également
évaluée par les investisseurs sur son capital immatériel. La
Responsabilité Sociétale des Entreprises est un des actifs
intangibles qui composent ce capital immatériel.
La gestion du risque et la protection de l’image
de l’entreprise
D’une façon plus générale, pour l’entreprise, la mise en œuvre
d’une politique RSE est la façon la plus efficace d’éviter un
éventuel scandale qui viendrait ternir sa réputation et
impacter ses résultats. Ceci est particulièrement vrai en 2014,
avec une population de plus en plus sensible aux enjeux environnementaux et dont les moyens de communication
permettent une information quasi-instantanée.
L’amélioration de l’attractivité de l’entreprise
et de la productivité des salariés
Certaines études quantifient ces gains de productivité à
16 %, conséquence en grande partie d’une motivation accrue
de la part des salariés.
Excellence HA n°4
T H È S E
Le travail autour du thème du développement durable
permettrait également une amélioration des relations de
travail qui conduirait à une amélioration des performances
des salariés.
Le rôle des achats durables dans la mise
en œuvre d’une politique RSE
L’OBSAR définit l’achat durable comme « un achat intégrant,
dans un esprit d’équilibre entre parties prenantes, des
exigences, spécifications et critères en faveur de la protection
et de la mise en valeur de l’environnement, du progrès social
et du développement économique.
L’acheteur recherche l’efficacité, l’amélioration de la qualité
des prestations et l’optimisation des coûts globaux
(immédiats et différés) au sein d’une chaîne de valeur et en
mesure l’impact ».
Nous complèterons cette définition avec la notion d’efficience
qui nous semble majeure : une utilisation des ressources,
d’abord raisonnée puis optimum, nous semble primordiale.
La mission communément attribué aux Achats dans l’application d’une politique RSE est de :
Porter les valeurs de son organisation
- répercuter les exigences inhérentes à son organisation
dans les cahiers des charges transmis à ses fournisseurs et
effectuer sa sélection en considérant ces critères,
- être l’ambassadeur de son organisation en s’efforçant de
véhiculer ses valeurs, d’échanger les bonnes pratiques avec
ses fournisseurs et d’envisager la mise en œuvre de projets
communs d’éco-innovation.
N ° 2
sant le respect des conditions commerciales contractualisées : il est primordial que les fournisseurs respectent les
termes du contrat et n’engagent pas d’actions contraires à
l’éthique de leur client.
Réduire les coûts d’achats grâce aux achats
durables
Le volet économique du triptyque du développement durable
est souvent oublié voire brocardé par certains qui ne peuvent
concevoir l’association entre achats durables et réduction des
coûts. Les achats durables sont pourtant bien soumis aux
mêmes contraintes économiques que les autres méthodes
d’achats. Travailler à l’analyse de la valeur, à l’éco-conception,
à l’optimisation des ressources naturelles employées,
permettra de réduire non seulement l’empreinte écologique
de l’entreprise mais également ses coûts. L’impact est direct
et quantifiable.
La contribution des achats d’emballages
à une politique achats durables
La réduction à la source
La réduction à la source est l’action par laquelle une organisation agit pour diminuer le poids et le volume de ses
emballages et, ce faisant, réduire l’impact environnemental
du produit en réduisant son coût.
La réduction des coûts logistiques
S’il est souvent délicat de modifier le dimensionnement des
produits, il est en revanche plus facile d’adapter leur
emballage aux spécificités des moyens de transport utilisés.
L’acheteur packaging, en collaboration avec les concepteurs,
se doit de veiller à l’ajustement de ces emballages, et ce afin
d’optimiser le coefficient de remplissage des moyens de
transport utilisés et des surfaces logistiques.
Il participe ainsi à l’intégration des problématiques environnementales en amont de la Supply Chain dans sa sphère de
responsabilité. Oublier de le faire reviendrait à éliminer
90 % des leviers potentiels de réduction de l’impact environnemental.
La réduction de la contribution éco-emballages
En travaillant sur la réduction à la source des emballages,
les industriels peuvent, en sus des économies réalisées,
réduire la contribution versée aux éco-organismes agréés.
Gérer le risque inhérent à une politique
d’impartition
L’une des missions essentielles des achats est de sécuriser
la relation commerciale avec ses fournisseurs, en garantis-
L’impact sur les conditions de travail
Réduire le poids ou le volume des contenants permet de
réduire la pénibilité des opérations tout au long de la supply
chain, y compris pour le client final.
Excellence HA n°4
49/56
De la théorie à la pratique
L’enquête que nous avons menée dans le cadre de notre
recherche, nous a permis de conclure que :
- L’efficacité d’une politique RSE est étroitement dépendante
de la conviction de son équipe dirigeante.
- La famille emballages est un terreau fertile pour la
réalisation d’une politique d’achats durables. Le produit en
lui-même se prête à la démarche : les solutions de substitution entre matériaux sont nombreuses, les organisations
professionnelles sensibilisées et actives. De plus, il est
souvent plus aisé de modifier le contenant d’un produit que
son contenu.
- La réglementation est l’élément moteur de la réduction de
l’impact environnemental des emballages. Les exigences
réglementaires forment le socle des politiques environnementales en place et orientent fortement celles-ci.
- Les critères RSE ne sont pas intégrés dans les objectifs de
performance des acheteurs. Nous n’avons pas pu, au cours
de notre recherche, identifier une société qui incorporait un
critère de « productivité environnementale » dans les
objectifs de son service achats.
- Si les acheteurs packaging travaillent en interne de concert,
avec les concepteurs d’emballages, ils n’impliquent leurs
fournisseurs que pour travailler la réduction à la source. Les
entreprises faisant appel, dans la plupart des cas, à des
fournisseurs d’emballages locaux voire nationaux, il est
regrettable que ne se développent pas plus de projets
communs d’éco-conception : en effet, les fournisseurs sont
de formidables catalyseurs d’expériences et de bonnes
pratiques.
- Les logiciels d’éco-conception s’imposent comme des outils
robustes pour calculer l’impact environnemental des
emballages et mettre en place des plans d’actions pour
réduire cet impact.
S’il serait naïf de croire que toutes les entreprises, uniformément, pilotent leurs achats en utilisant leur politique RSE
comme principal outil de navigation, de plus en plus d’entre
elles ont désormais des exigences environnementales fortes
envers leurs acheteurs.
La famille d’achats packaging détient certains atouts pour
instaurer et valoriser une politique d’achats durables et
démontrer que l’on peut faire mieux avec moins. n
Bibliographie
MONCZKA Robert, HANDFIELD Robert, GIUNIPERO Larry, PATTERSON James, WATERS Donald, “Purchasing and Supply
Chain Management”
PLAUCHU Vincent, « Management Environnemental : analyses, Stratégies, Mise en Œuvre »
50/56
Excellence HA n°4
T H È S E
LUCILA RODARO
N ° 3
Consultante Achats au sein d’Atos Consulting.
Lucila a réalisé sa thèse professionnelle dans le cadre du Mastères Spécialisé Management de la
Fonction Achats de Grenoble Ecole de Management 2013/2014 sous la direction de Philippe Petit.
ACHATS RESPONSABLES:
LES 3WS
Comment mesurer la performance durable tout
en définissant des best practices
Descriptif du contexte
Cette thèse a été réalisée avec la collaboration de la direction
des achats d’Allianz France pour laquelle j’ai effectué mon
apprentissage pendant 15 mois. L’objectif était d’identifier
quelques indicateurs qui peuvent aider à mesurer des
pratiques responsables à l’aide de critères uniformes au sein
d’un même groupe.
L’idée de mesurer des pratiques durables ou responsables
surgit des différents efforts que les sociétés et en particulier
les directions d’achats, comme celle d’Allianz France, font
pour être conforme aux différentes normes et réglementations, autant locales qu’internationales (ex. norme NF X50135, la Charte et le Label Relation Fournisseur Responsable,
entre autres).
L’intérêt de cette thèse était cependant d’aller plus loin dans
la démarche. Pour ce faire, cette thèse redéfinit les achats
responsables à travers 3 catégories (les « 3Ws ») comprenant
9 bonnes pratiques et leurs KPIs pour les mesurer, un
système de reporting et un modèle de plan d’action.
L’idée est de mesurer les pratiques responsables des achats
pour chaque direction d’un même Groupe afin d’établir et
d’atteindre une stratégie uniforme vers des achats responsables.
2ème partie : Les 3Ws, les Best Practices
et les KPIs
Les « 3Ws » (sigle en anglais indiquant : « Wealth, Within,
World ») sont choisis pour être la base de cette démarche.
Pris séparément, les trois mots font seulement référence à
des catégories individuelles mais, ensemble, ils définissent
une devise : wealth within world. Ceci est ce que les achats
responsables promeuvent : « avoir une démarche durable
afin d’être en ligne avec les considérations économiques de
la direction d’achats (wealth), impliquant les parties
prenantes du processus achats, les acheteurs (within), tout
en prenant en compte les facteurs externes et macro d’aujourd’hui (world) ». Apporter du bien-être en interne (au
niveau de l’entreprise) et en externe (au niveau sociétal et
environnemental).
Les trois catégories sont constituées de 9 Bonnes Pratiques
destinées à délimiter le cadre des achats responsables. De la
même manière, ces bonnes pratiques forment des KPIs
(indicateurs clés de performance) qui ont pour objectif de
mesurer les bonnes pratiques et la performance durable au
sein des directions des achats d’un même Groupe :
Wealth
La première catégorie est liée aux aspects légaux et
économiques des directions des achats :
- Prendre des mesures pour être conforme aux modalités de
paiement,
- Etre attentif et réagir au risque de dépendance,
- Evaluer le TCO afin de prendre une décision ou une préconisation achat
Within
La deuxième catégorie est liée aux aspects internes de l’entreprise, plus spécifiquement, à différentes mesures pour
Excellence HA n°4
lll
51/56
World
Le troisième et dernier pilier met en avant les aspects
externes à l’entreprise, non seulement les facteurs environnementaux, mais aussi les dimensions sociétales et
économiques :
- Evaluer les externalités environnementales qu’une décision
peut générer,
- Inclure dans la consultation les fournisseurs de secteurs
adaptés et protégés et leur donner l’opportunité de
participer à la consultation,
- Promouvoir l’activité locale en développant des partenariats
avec des PMEs.
Comment cela fonctionne-t-il ?
lesquelles l’acheteur est responsable ou des mesures liées
directement à l’acheteur :
- Apporter de la transparence et un traitement égal à tous les
fournisseurs lors des processus de consultation en
considérant des critères autres que le prix pour prendre une
décision/ préconisation achat,
- Etablir des objectifs aux acheteurs afin d’être conforme avec
chaque catégorie et indicateur de performance,
- Former les acheteurs afin d’être conforme aux différents
aspects de ces trois catégories.
Avant tout, le Groupe doit définir les objectifs pour chaque
indicateur et la mesure à l’aide de ratios pour chaque objectif.
Ceci sera dépendant de la politique et stratégie du Groupe
selon la culture de l’entreprise. La direction des achats
principale du Groupe évaluera ensuite, à travers un
reporting, chaque direction des achats du groupe en
considérant les 9 indicateurs clés majeurs. Elle évaluera par
la suite le risque et la stabilité de chaque indicateur afin de
demander un plan d’action à la direction des achats locale.
Dans le cas des entreprises pour lesquelles les directions des
achats sont décentralisées, les indicateurs auront pour même
finalité de mesurer la performance.
Résumé des KPIs :
% of bills that have been paid out of the sphere of the contractual obligations,
% of bills that have been paid in 60 days from invoice date,
Payment Terms
A concrete engagement vis-à-vis the suppliers and internally,
Is there a reporting system to notify buyers/ suppliers in case of non-compliance?
Number of actions taken in order to help diversification,
% of SME suppliers,
WEALTH
Dependency Risk
% of business done with a SME when the turnover of the SME represents over 25%,
Number of actions taken in order to make buyers and stakeholders conscious
and aware of the suppliers’ economic dependency,
Communication strategy with suppliers in order to be transparent and aligned
with the companys commitments,
% of purchase that has had a TCO analysis,
TCO
% of savings achieved due to a TCO approach,
% or Number of buyers using a TCO approach,
52/56
Excellence HA n°4
T H È S E
WITHIN
WORLD
N ° 3
% of tenders including social and environmental responsibility selection criteria,
Selection of criteria indicators in order to make sure that fairness is respected,
Tender Process
Respect and compliance of the procurement process: % of tenders that respect the
different steps of the process,
% or Number of buyers that have annual / monthly objectives,
Buyers’ Objectives % of objectives designed to meet CSR requirements,
% of objectives achieved by the buyers.
% or Number of buyers trained for each indicator,
Training
Hours of training programed per year
% of main suppliers that had been certified on their environmental policy,
% of purchase of products/ services linked to environmental/“green” initiatives,
Environmental Risk % of products purchased that give an extra environmental value,
Number of actions taken to evaluate and reduce CO2 emissions,
% of reduction of the carbon footprint,
% of preferred suppliers from protected and adapted sectors,
Social Inclusion
% of purchase done with suppliers from protected and adapted sectors,
% of tenders/ sourcing including suppliers from protected and adapted sectors,
% of business developed with SME,
Local Activity
% of purchase done with local SME,
% of local SME included in tenders.
Processus
Conclusion
Les 9 KPIs peuvent offrir une visibilité davantage globale à
la Direction des Achats Groupe sur les aspects durables et
responsables de chaque direction des achats locale. Par
conséquent, la première pourrait prendre des mesures
correctives pour aligner les différentes DA locales sur la
même stratégie durable du Groupe et de cette façon opérer
dans les domaines des achats d’une manière responsable.
Cette thèse n’a pas pour finalité de se mettre en concurrence
avec des normes ou règlementations internationales. Le but
est de proposer aux entreprises, quelque soit le secteur
d’activité, une manière différente de comprendre les bonnes
pratiques achats ainsi qu’une façon de mesurer la conformité
tout en gardant une démarche responsable.
Cette démarche peut être implémentée à toutes les
entreprises qui cherchent à avoir une approche et stratégie
d’achat uniformes, durables et responsables. n
Excellence HA n°4
53/56
C R I T I Q U E
D ’ O U V R A G E
Hugues Poissonnier,
Président du
Comité Scientifique /
Editorial Board
CRITIQUE CROISÉE
D’OUVRAGES :
l
l
L’économie circulaire – Comment la mettre en œuvre
dans l’entreprise grâce à la reverse supply chain ?
Purchasing and supply chain management –
A sustainability perspective
C
omme dans le précédent numéro d’Excellence HA,
la qualité et le nombre des contributions récentes
sur le thème de la responsabilité des acheteurs
nous a amené à proposer une critique croisée
d’ouvrages. Prix ACA-Bruel 2015, l’ouvrage de
Rémy Le Moigne propose à la fois une réflexion stimulante et
des pistes de mise en œuvre très concrètes sur l’économie
circulaire. Nul besoin de rappeler l’intérêt écologique de la
démarche dans un contexte de raréfaction de nombreuses
ressources. Au-delà de la réduction de l’empreinte environnementale, l’impact social apparaît d’ailleurs également
essentiel en ce sens que la difficulté d’accès aux ressources est
génératrice d’inégalités et de tensions de plus en plus fortes.
La réutilisation, la réparation, la refabrication et le recyclage
des produits procèdent également, et c’est un point important
mis en évidence par l’ouvrage, d’une véritable logique
économique. Les quelques soixante exemples cités dans
l’ouvrage témoignent à la fois de la pertinence de la démarche
du point de vue de la réduction des coûts et de la création de
valeur, mais aussi des possibilités de mise en œuvre. Rémy Le
Moigne insiste sur les possibilités offertes par le reverse supply
chain management. Ce dernier repose sur la récupération des
produits usagés avant leur réintroduction dans le cycle de
production, de distribution et d’utilisation. Sur ce point précis,
l’ouvrage publié par Thomas E. Johnsen, Mickey Howard et Joe
54/56
Miemczyk apporte des précisions complémentaires. Animés
par la volonté de proposer un véritable manuel d’achats et de
supply chain, les auteurs prennent le partis d’intégrer la
perspective « responsable » ou « durable » tout au long des
processus. Voilà sans doute la principale caractéristique de
l’ouvrage, et sa qualité essentielle, qui lui a valu de recevoir le
prix « coup de cœur du jury » lors du dernier Gala des Achats
de décembre 2014. Alors que la RSE apparaît un peu
« saupoudrée » au sein de quelques chapitres dans de
nombreux ouvrages, celui-ci en fait une préoccupation
constante. Les différentes étapes des processus achats et
supply chain sont illustrées de nombreux exemples bienvenus
et mobilisent les dernières avancées de la recherche.
L’ambition, largement atteinte, confère à l’ouvrage une
originalité réelle en dépit du nombre d’ouvrages existant sur
le sujet.
Si ces ouvrages s’avèrent particulièrement utiles aux
étudiants en économie circulaire (discipline de plus en plus
enseignée) et plus largement en achats, ils se veulent
également de véritables guides pratiques pour la mise en
œuvre d’achats éclairés dans tous types d’organisations
(entreprises privées petites ou grandes, administrations
publiques,…) en présentant des modalités concrètes de mise
en œuvre de la responsabilité de l’acheteur, décidemment
protéiforme. n
Excellence HA n°4
COMITÉ DE RÉDACTION ET COMITÉ SCIENTIFIQUE
La diversité des horizons et des fonctions exercées par les membres de notre comité scientifique, à l’origine de sa
richesse, ont représenté, au moment de sa constitution, un réel objectif.
L’enthousiasme de ses membres au moment de confirmer leur implication dans la revue Excellence HA nous a permis
de réaliser ce premier objectif. A l’avenir, de nouveaux membres auront vocation à donner à la revue un caractère
davantage international.
Experts académiques, praticiens éclairés et professionnels du conseil en achats sont donc réunis au sein d’une équipe
qui a vocation à garantir à la revue Excellence HA une pluralité de points de vue et de riches débats sur des sujets actuels
et d’avenir.
Hugues Poissonnier
Directeur de la Publication : Marc Sauvage, Président de la
CDAF
Comité de rédaction :
l
l
Nicolas Kourim, Rédacteur en chef,
Président Big Fish
l
l
Jacques Liouville, Professeur Université de Strasbourg
l
Salvator Maira, Directeur de l’IRIMA
l
Fabrice Menelot, Président Crop & Co
l
Hugues Poissonnier, Président du Comité Scientifique /
Editorial Board, Professeur à Grenoble Ecole de
Management et Directeur de la Recherche de l’IRIMA
l
l
Richard Calvi, Professeur IAE Savoie Mont-Blanc
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François Girard, Directeur Délégué de la CDAF
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Fabienne Fel « guest editor »
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Comité Scientifique /
Editorial Board :
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Oihab Allal-Chérif, Professeur Associé à KEDGE
l
Jacques Barrailler, ancien directeur du SAE
l
l
Valérie Bost, Présidente HL
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l
Jean Bouverot, Chef de la Mission Achats au Ministère de
la Défense
Patrick Le Laouenan, ancien Rédacteur en chef
de Profession Achat
Olivier Menuet, Directeur Délégué des Achats Durables et
Solidaires SNCF
Nathalie Merminod, Maître de Conférence à l’Université
d’Aix-Marseille
Luc Mora, Directeur Associé Big Fish
Haithem Nagati, Professeur ICD International Business
School
Gilles Neubert, Professeur ESC St Etienne
Jean-Jacques Nillès, Maître de Conférences IAE Savoie
Mont-Blanc
Gwenaëlle Nogatchewsky, Maître de conférence à
l'Université Paris Dauphine
Jean Nollet, Professeur HEC Montréal
Gwenaëlle Oruezabala, Maître de Conférences,
IAE de Poitiers
l
l
Gilles Paché, Professeur, Université Aix-Marseille
Olivier Bruel, Professeur HEC
l
l
Pierre Pelouzet, Médiateur des relations inter-entreprises
Gérard Brunaud, Vice Président de l'OBSAR
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l
Philippe Portier, Professeur EM Lyon
Bruno Cracco, Managing Director, bengS
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Jean Potage, ancien Directeur des Achats de Thales
Daniel Delacour, Vice Président des Opérations, Surface
Radar, Thales Air Systems
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Marc Sauvage, Président de la CDAF
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Natacha Tréhan, Maître de Conférences IAE Grenoble
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l
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Brigitte de Faultrier, Professeur ESSCA
Olaf de Hemmer Gudme, International Business Manager
– Purchasing, Lowendal Masaï
John Henke, Professeur Oakland School of Business
Administration
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Laurent Jéhanin, ancien Directeur Achats de Safran
l
Thomas Johnsen, Professeur à l’ESC Rennes
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Marie-Anne Le Dain, Maître de Conférences INPG
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l
Osamu Uehara, Président de l’Institute for Supply
Management Japon
Laurence Viale, Professeur Ecole de Management de
Strasbourg
Crédits photos
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page 2 : © François Girard
Excellence HA n°4
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