Article Livres Hebdo - L`Argentine et ses écrivains
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Article Livres Hebdo - L`Argentine et ses écrivains
Livres Hebdo numéro : 0657 Date : 15/09/2006 Rubrique : avant critiques Auteur : Sean James Rose Titre : Alan Pauls Le complexe de Borges 5 octobre > ESSAI A rgentine L’auteur argentin Alan Pauls consacre un essai à Borges sous la forme d’un manuel de lecture sensible et foisonnant. Après Le passé (Christian Bourgois, 2005), roman d’amour cauchemardesque entre Proust et l’humoriste Jerry Seinfeld qui lui valut le prix Herralde 2003, l’Argentin Alan Pauls nous revient avec un essai sur l’auteur de Fictions. L’écrivain né à Buenos Aires en 1959 ne consacre pas tant une enquête à Jorge Luis Borges, qu’il ne signe « un manuel d’utilisation pour s’orienter dans une littérature ». Tout l’intérêt de ce Facteur Borges est bien de rendre compte de la polysémie comme de l’unité du nom de Borges. Les notes fort riches nous renseignent sur le contexte familial : la mère formidablement présente, la grand-mère anglaise, la bibliothèque du père et des mots clés nous éclairent sur des notions de l’œuvre borgésienne : « ne pas se faire remarquer », « noctambulisme », « Bustos Domecq » (auteur que forme Borges avec Bioy Casares), etc. L’ambition de Pauls : reconnaître un « ADNlittéraire » très distinctif et restituer un « écosystème d’écrivain ». Alan Pauls, également professeur de théorie littéraire, scénariste, critique de cinéma et journaliste, n’a pu être insensible à l’ambivalence de l’image de Borges. Honni des progressistes, Borges est l’auteur élitiste par excellence qui se délecte des anachronismes et se revendique volontiers du XIXe siècle. Mais il est aussi le patricien fasciné par la culture faubourienne de Buenos Aires et le parler créole, l’écrivain imbu de la littérature des gauchos et des milongas, ces chants, « mélange de sang, de musique et de voix ». Il faut en effet découvrir, derrière l’homme public à l’allure compassée, un Borges pour qui Hochkultur, « haute culture », et culture populaire ne s’opposent pas. S’il fait paraître essais (Histoire de l’éternité, Autres inquisitions) et nouvelles (Fictions, L’aleph, L’auteur) dans Sur, la revue de haut vol fondée en 1931 par Victoria Ocampo, Borges collabore également au quotidien le plus lu d’Argentine, Crítica, et à l’hebdomadaire féminin El Hogar. C’est dans cette presse-là qu’il publie les « miniatures » qui constitueront le volume Textes captifs et surtout les vies d’Histoire universelle de l’infamie, « le véritable commencement de ma carrière d’écrivain » et L’Homme au coin du mur rose, selon lui, sa première « véritable nouvelle ». Alan Pauls intègre ainsi dans le corpus borgésien les écrits « périphériques », ses textes journalistiques. S’adressant à un public plus large, Borges revitalise son écriture. Dans son essai, Pauls montre bien comment Borges bascule en acceptant sa myopie et son destin d’homme de lettres et non d’action comme le furent nombre de ses ancêtres : « Ecrire n’est plus une vocation ni même un destin : c’est tout juste une consolation, la compensation du destin viril qui ne l’a pas honoré. » Toutefois, Le facteur Borges ne s’appesantit pas sur des explications psychologisantes : c’est l’hommage d’un lecteur au plus grand des lecteurs, et un guide sensible pour se retrouver ou plutôt se perdre dans le dédale borgésien. SEAN JAMES ROSE Paraît également chez le même éditeur en collection « Titres » Wasabi (traduit de l’espagnol par Lucien Ghariani, 160 p., 6 euros. ISBN 2-267-01859-4) Alan Pauls Le facteur Borges CHRISTIAN BOURGOIS EDITEUR TRADUIT DE L’ESPAGNOL (ARGENTINE) PAR VINCENT RAYNAUD TIRAGE : 2 500 EX. PRIX : 18 EUROS ; 196 P. ISBN : 2-267-01863-2 SORTIE : 5 octobre