Les plantes face aux polluants : cas des polluants

Transcription

Les plantes face aux polluants : cas des polluants
Les plantes face aux polluants :
cas des polluants inorganiques
Bertrand Pourrut, Géraldine Bidar et Francis Douay
Contexte
L’Homme a perturbé son environnement dès les premières civilisations antiques. Cependant, c’est à partir
de la révolution industrielle que son action négative
s’est fortement accrue, conduisant à des émissions de
polluants toujours plus importantes. Parallèlement, le
développement de la chimie de synthèse, à partir du
milieu du XIXe siècle, a contribué à l’augmentation
exponentielle du nombre de molécules chimiques produites et libérées dans l’environnement.
Si l’ensemble des écosystèmes est impacté, les végétaux, du fait de leur immobilité, sont particulièrement
exposés aux polluants. Parmi ceux-ci, se distinguent,
en fonction de leur composition chimique :
— Les polluants organiques. Sous cette terminologie
qui regroupe les polluants carbonés, se retrouve un
vaste ensemble très hétérogène de molécules : produits
phytopharmaceutiques, polluants organiques persistants (PCB, HAP, dioxines/furanes…) qui diffèrent
fortement par leur structure, leurs caractéristiques
physico-chimiques et leurs propriétés toxicologiques
et écotoxicologiques.
— Les polluants inorganiques. Ces polluants d’origine
minérale regroupent principalement les polluants
atmosphériques comme les oxydes de soufre et d’azote
(SOx, NOx) et l’ozone, et les éléments minéraux
(éléments majeurs comme l’aluminium, le fer ou le
manganèse et éléments traces comme le cadmium, le
plomb ou le zinc).
Si on excepte les herbicides (et ce, pour une raison évidente), la phytotoxicité des polluants organiques, les
mécanismes de celle-ci et les éventuels mécanismes de
défense mis en place par les végétaux ont été très peu
étudiés. De plus, la majorité des sites contaminés par
des activités anthropiques est impactée par des polluants
inorganiques (Agence européenne de l’environnement,
2007). Le document se focalisera donc sur ces derniers.
22
Les polluants affectant
les végétaux
Les polluants inorganiques
atmosphériques
Les principaux polluants inorganiques atmosphériques ayant un effet négatif sur les végétaux sont les
oxydes d’azote (NOx) et de soufre (SOx). En réagissant
avec le dioxygène et l’eau atmosphérique pour former
des acides sulfureux (H2SO3), sulfurique (H2SO4) et
nitrique (HNO3), ces polluants sont à l’origine des
pluies acides (Rechcigl and Sparks, 1985).
Dans les zones urbaines et industrielles, les réactions
entre les composés organiques volatils et les NOx
peuvent conduire à la formation d’un polluant photochimique secondaire : l’ozone troposphérique. Cette
molécule, qui est un puissant oxydant, est connue
pour ses effets délétères sur les végétaux (Leitao, 2005).
Les éléments traces métalliques
Les éléments traces métalliques (ETM) sont les éléments métalliques dont la concentration dans la
croûte terrestre est inférieure à 0,1% (Baize, 1997).
Certains de ces ETM (Cu, Zn, Ni, Mo, Se), aussi appelés oligoéléments, sont indispensables aux processus
biologiques. Une carence en ces éléments peut avoir
des conséquences délétères pour la plante (Figure 1).
D’autres ETM, comme les Cd, Pb ou Hg, n’ont aucun
rôle biologique connu (Pourrut, 2008).
Tous ces ETM sont potentiellement toxiques pour les
végétaux en fonction de leur concentration dans un
milieu et de leur caractère essentiel ou non pour la
plante. Ainsi, si un manque en oligoélément entraîne
une déficience plus ou moins sévère pour les végétaux,
un excès de cet élément engendrera un phénomène de
toxicité. Il est à noter que le seuil de phytotoxicité sera
beaucoup plus faible pour les oligoéléments que pour
les macroéléments essentiels comme le calcium ou
le fer. À l’opposé, les ETM non essentiels sont phytotoxiques dès de très faibles concentrations.
Figure 1 : Représentation schématique
des effets sur les plantes des éléments
essentiels (macroéléments et oligoéléments) et non essentiels.
Figure 2. Concentrations en Cd, Cu, Pb et Zn (mg/kg
MS) pour la laitue Lactuca sativa L. cultivée dans des
contextes différents (Schwartz et al., 2013).
Effets des polluants
sur les végétaux
Entrée des polluants atmosphériques
L’entrée des polluants atmosphériques dans les végétaux s’effectue essentiellement par les stomates. Elle
va donc être dépendante principalement des conditions de température, de luminosité et d’humidité qui
régulent les mécanismes d’ouverture/fermeture des
stomates. Une fois pénétrés dans les feuilles, ces polluants diff usent très peu et réagissent rapidement avec
les composants cellulaires.
Les transferts sol-plantes des ETM dépendent de nombreux
facteurs qui sont en interaction (Schwartz et al., 2013) :
— Concentrations totales, nature et spéciation des
ETM dans le sol. De façon générale, Pb, Hg, Co et Cr
sont connus pour être faiblement mobiles, Ni et Cu
modérément, alors que Zn, Cd et Tl sont moyennement mobiles.
— Caractéristiques physico-chimiques du sol (texture,
pH, force ionique, nature et proportion des matières
organiques, argiles et oxydes) ; solubilité des ETM (ou
complexes métalliques) dans la solution du sol.
Entrée et translocation des ETM
— Facteurs liés à la plante : espèce et variété/cultivar,
stade de maturité, organe, etc. De plus, des interactions complexes existent entre le sol et la plante.
Si les plantes peuvent absorber une partie des ETM
par voie foliaire, la grande majorité l’est par les racines.
Parallèlement à leur alimentation hydrique et minérale, elles puisent dans la solution du sol la fraction
d’ETM phytodisponible (c’est-à-dire la fraction susceptible d’être absorbée par les racines). Cette fraction
est faible par rapport à la quantité totale présente dans
le sol, mais peut conduire à une accumulation importante dans certains organes.
La Figure 2 illustre la complexité des transferts solplantes. En effet, pour un même couple plante-ETM,
une large gamme de concentrations peut être observée
dans les parties aériennes des plantes selon le type de
sol, le cultivar, etc. Par exemple, les concentrations en
Cd pour la laitue varient d’un facteur 108 ou celles en
Pb d’un facteur 1450.
Une fois pénétrée dans le système racinaire, une
majorité des ETM va y rester car la racine agit comme
23
une barrière. Cependant, une partie des ETM peut
être transférée vers les parties aériennes (translocation). Cette translocation va dépendre de la mobilité
biologique de l’ETM considéré et peut nécessiter la
complexation avec des acides organiques, les acides
aminés et divers peptides. Elle va également fortement
dépendre de la physiologie de la plante étudiée (cf. 3.)
Impact des polluants sur la plante
À l’échelle macroscopique, les polluants inorganiques
entraînent des effets néfastes sur les plantes. En premier lieu, la germination est fortement inhibée et
le développement de la plantule et des radicelles est
limité. À plus long terme, ces polluants diminuent
l’accroissement de la biomasse végétale et entraînent
l’apparition de nécroses au niveau des racines et des
feuilles, ainsi que des chloroses foliaires (Leitao, 2005 ;
Pourrut, 2008 ; Greaver et al., 2012).
L’ensemble des perturbations macroscopiques observées est la résultante d’interactions complexes et multiples entre les polluants et les différents composants
et macromolécules (lipides membranaires, protéines,
ADN…) cellulaires qui conduisent à la perturbation :
— De nombreux processus physiologiques comme la
régulation du statut hydrique, la nutrition minérale, la
respiration ou la photosynthèse.
— De l’équilibre redox cellulaire conduisant à la génération d’un stress oxydatif et à l’altération oxydative
des macromolécules cellulaires.
Adaptation des végétaux face
aux polluants
Mécanismes de réponse aux stress
Pour faire face au stress engendré par les polluants
inorganiques, les végétaux ont développé trois principales stratégies :
— stratégie d’évitement, par laquelle les végétaux se
protègent en limitant l’absorption de polluants. Ainsi,
les végétaux peuvent limiter les entrées de polluants
atmosphériques via une régulation de l’ouverture
des stomates (Leitao, 2005). De même, ils peuvent
limiter les flux d’éléments toxiques (I) en réduisant
l’absorption racinaire, (II) en activant des mécanismes
d’absorption plus spécifiques (mais plus coûteux d’un
point de vue énergétique) ou (III) en activant des
mécanismes d’excrétion de ces éléments via des trans-
24
porteurs spécifiques (Pourrut, 2008) ;
— Stratégie de tolérance par laquelle les végétaux
limitent la mobilité des polluants. Ainsi, les plantes
possèderaient deux mécanismes de séquestration/
détoxication des ETM (Pourrut, 2008) :
• L’un constitutif, correspondant à la liaison des ETM
aux composants cellulaires (parois, lamelle moyenne,
membrane) ou à leurs précipitations dans les espaces
intercellulaires.
• L’autre inductible, correspondant à la synthèse de
molécules pouvant chélater les ETM (acides aminés,
acides organiques, glutathion, phytochélatines, métallothionéines) et leur séquestration dans des compartiments cellulaires spécifiques (vacuoles, vésicules
dictyosomales, vésicules du réticulum endoplasmique
ou les plasmatubules).
— Stratégie de détoxication par laquelle les végétaux
limitent les effets toxiques induits par les polluants
inorganiques et en particulier, le stress oxydatif. Ainsi,
les végétaux possèdent des systèmes complexes de
détoxication des espèces réactives de l’oxygène produites :
• Des systèmes non enzymatiques : ascorbate, glutathion, vitamine E, caroténoïdes…
• Des systèmes enzymatiques : superoxyde-dismutases
(SOD), catalases, peroxydases, peroxyredoxines…
Physiologie spécifique
Parmi les végétaux tolérants, il est possible de caractériser trois grands types différents de comportement vis-à-vis des ETM, basés sur les rapports entre
les teneurs en polluants du sol et celles des organes
aériens des plantes considérées (Baker, 1981) :
— Les « excluders », qui présentent une faible concentration foliaire, maintenue constante par régulation du
transport depuis les racines tant que la concentration
dans le sol reste relativement peu élevée. Dans le cas
contraire, le mécanisme de régulation est dépassé et
une accumulation importante a lieu, entraînant la
mort de l’individu.
— Les indicateurs, qui ne présentent aucun contrôle
de la translocation. Par conséquent, les concentrations
racinaires et foliaires sont en équilibre, et proportionnelles aux teneurs du sol.
— Les accumulateurs, pour lesquels les ETM sont
concentrés, souvent préférentiellement dans les parties aériennes, quelle que soit la concentration métallique dans le sol.
Perspectives
Références citées
Au bilan, pour faire face aux polluants présents dans
leur environnement, les végétaux ont développé des
mécanismes de défense complexes et des comportements divers répondant à des stratégies évolutives différentes. La connaissance et la compréhension de ces
mécanismes sont fondamentales car elles ouvrent de
nombreuses perspectives :
Agence européenne de l’environnement, 2007 : Progress in
management of contaminated sites.
— D’un point de vue sanitaire, il est indispensable de
connaître quels sont les variétés/cultivars utilisés en
production alimentaire qui sont susceptibles d’accumuler le moins de composés toxiques.
— D’un point de vue sanitaire, environnemental et
économique, le phytomanagement de zones contaminées est une alternative intéressante aux modes de
gestion classiques, peu respectueux de l’environnement. Ainsi, l’utilisation de plantes excluders permet
une stabilisation des polluants dans les sols et une
diminution des risques sanitaires et environnementaux (phytostabilisation). À l’inverse, le recours à des
plantes hyperaccumulatrices peut permettre de dépolluer certains sites (phytoextraction et rhizofi ltration
pour les matrices aquatiques).
Baize D., 1997. Teneurs totales en éléments traces métalliques dans les sols (France). Ed.Quae, France. 410 p.
Baker A.J.M., 1981. Accumulators and excluders - Strategies
in the response of plants to heavy metals. Journal of Plant
Nutrition 3 (1-4), 643-654.
Greaver T., Sullivan T.J., Herrick J.D., Barber M.C., Baron
J.S., Cosby B.J, Deerhake M.E., Dennis R.L., Dubois J.J.B.,
Goodale C.L., Herlihy A.T., Lawrence G.B., Liu L., Lynch
J.A. and K.J. Novak, 2012. Ecological effects of nitrogen and
sulfur air pollution in the US : what do we know ? Front Ecol
Environ 10(7) : 365–372.
Leitao L., 2005. Impact de l’ozone sur la photosynthèse : effets
sur les carboxylases (PEPc et Rubisco) des plantes en C3 et en
C4. Thèse de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. 237 p.
Pourrut B., 2008. Implication du stress oxydatif dans la toxicité du plomb sur une plante modèle, Vicia faba. Thèse de
l’Université de Toulouse. 297 p.
Rechcigl J.E. and D.L. Sparks, 1985. Effect of acid rain on the
soil environment : A review. Communications in Soil Science
and Plant Analysis 16(7) : 653-680.
Schwartz C., Chenot E., Douay F., Dumas C. and B. Pourrut,
2013. Jardins potagers : terres inconnues ? Eds EDP Sciences.
25