Le pouvoir démocratique, ce boulet !
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Le pouvoir démocratique, ce boulet !
Le pouvoir démocratique, ce boulet ! Si le Mouvement Réformateur (MR) a, depuis, recadré son jeune poulain en assurant que ses propos n’engageaient que luiiii, les appels à une transformation de notre système électoral se font de plus en plus clairs. Mais en ces temps de recherche identitaire, les plaidoyers pour un abandon du suffrage obligatoire ne dissimuleraient-ils pas une volonté plus radicale de transformation de notre système ? La césure toujours plus criante entre le monde politique et la population ne nous contraindrait-elle pas à imaginer une vision différente de la démocratie? Un retour au vote censitaire ? ce boulet ! Le pouvoir démocratique, 2016/18 « Le vote est obligatoire et secret. » Depuis plus d’un siècle, l’article 62 de la Constitution belge prévoit que le suffrage est non seulement un droit mais une obligation démocratique. Or, selon un dernier sondage, un Belge sur deux souhaite la fin du vote obligatoirei. Une tendance présente également au sein du monde politique, en la personne de Georges-Louis Bouchez qui disait vouloir rendre le suffrage optionnelii. Dans les faits, il est peu probable que la sortie du jeune libéral participe à la réconciliation de l’ensemble de la population avec la politique. La sortie du MR paraît davantage relever de l’opportunisme que du désintéressement. Selon Pascal Delwit, professeur de science politique à l’ULB, la fin du vote obligatoire serait, très profitable au Mouvement Réformateuriv. Selon les études, c’est la frange de la population la moins élevée socialement ou culturellement qui abandonnerait le plus volontiers son droit de votev. Le risque est, en effet, de voir les partis s’adresser prioritairement à ceux qui leur réserveront une meilleure écoute. Les couches aisées seraient alors choyées tandis que les classes les moins favorisées, plus difficilement mobilisables, termineraient par être délaissées. En définitive, cela ne signerait-il pas un dramatique retour vers un régime censitaire ? Par ailleurs, il est à noter que ce système affaiblirait par la même occasion la représentativité des élections. Faut-il rappeler que la démocratie signifie la gestion du peuple par le peuple ? Plutôt que de provoquer une réduction du nombre de votants et donc de diminuer la légitimité des élus, ne faudrait-il pas davantage étendre au maximum la participation de l’ensemble des citoyens ? À nos yeux, le renouveau démocratique se trouve donc ailleurs, là où se situe davantage d’implication de l’ensemble des citoyens dans le processus de décision. Paresse démocratique La faiblesse de notre engagement démocratique nécessite de changer de cap et de redonner plus de pouvoir au peuple. N’en déplaise à Monsieur Bouchez, ce constat se pose également dans les pays où le suffrage est non obligatoire. C’est ainsi que, depuis quelques années, les Français organisent, sur le modèle américain, des « primaires » destinées à redonner foi en la politique. Désormais, ce n’est plus le chef du parti victorieux qui forme le gouvernement mais bien le peuple qui en désigne le formateur. L’avancée démocratique est incontestable. Ce sont les citoyens qui sont juges de la formation gouvernementale. Cela pousse les candidats à élever le niveau du débat tout en s’assurant une bonne compréhension des électeurs. Les primaires doivent donc servir à rapprocher la politique des citoyens, en procédant à une meilleure vulgarisation des débatsvi. Le peuple retrouve là, en théorie, une partie de son pouvoir subtilisé au fil du temps par les partis, devenus des machines à voix et non des incubateurs de projets de société. Cela dit, si l’idée est belle sur papier, dans les faits, ces primaires ne riment pas toujours avec « avancées démocratiques ». N’oublions pas que c’est ce système qui a permis le succès de Donald Trump. Concrètement, le danger de ces primaires est qu’elles focalisent l’attention sur les personnes à élire et non sur leurs idées. C’est au plus charismatique, à celle ou celui qui maîtrise le mieux les canaux médiatiques que le peuple remettra sa confiance. Et puis, pour se démarquer des autres candidats de son propre parti, le candidat aux primaires devra sortir des clous du programme que l’ensemble des membres du parti sont pourtant censés porter. Obtenir la confiance des électeurs demande donc avant tout une communication capable de mettre l’accent sur la différence d’avec ses concurrents. Et c’est là que le bât blesse. Finalement, ces primaires reposent davantage sur une opération de charme que sur les débats d’idées avec le danger de laisser derrière soi une longue liste de promesses intenables. En invitant à voter pour des personnalités, ces primaires sont dans l’ère du temps, en faisant de la politique un monde médiatique. Cependant, elles ne participent pas réellement au renouveau démocratique attendu. Si notre engagement citoyen se résume à ces seules élections de « stars » politiques, l’on ne doit pas s’étonner que notre part de souveraineté soit confisquée par un monde politique opaque dissimulé derrière un écran de fumée médiatique. En définitive, c’est donc notre paresse démocratique, notre incroyable faculté à nous en remettre à d’autres, jugés plus compétents, qui provoque cet éloignement progressif du peuple avec la démocratie et sa souveraineté. La démocratie directe : le pouvoir des nuls pour les nuls Une chose est sûre, nous résumons trop facilement le pouvoir démocratique au seul suffrage. Or, l’essence-même de la démocratie n’est pas de choisir ses chefs mais de gouverner en votant des lois. Pourtant, à mille lieues du combat qu’ont mené nos aïeuls pour obtenir le droit à la parole démocratique, nous, citoyens d’aujourd’hui, semblons être devenus paresseux. Nous nous contentons trop souvent de donner notre confiance à une personnalité et de, dans les meilleurs des cas, suivre son action du coin de l’œil. Pourtant, la démocratie donne aux citoyens l’opportunité de gouverner concrètement. Le renouveau démocratique tant attendu pourrait s’incarner dans une autre forme de système, plus intrinsèquement liée à cette autogestion du peuple : la démocratie directe et le referendum. L’idée n’est plus de choisir des représentants mais d’exprimer directement son avis sur l’orientation que doit prendre notre société. Cela nécessite, évidemment, de quitter notre zone de confort et de nous investir concrètement dans la gestion de la société. Si le referendum demande plus d’investissement aux citoyens, cela exige aussi plus d’efforts de la part des politiques, qui doivent opérer un travail de vulgarisation capable de rendre la gouvernance accessible au plus grand nombre. Or, très peu d’entre eux sont enthousiastes à cette idée. Le Brexit l’a montré, le referendum est très mal perçu. « Le référendum, ça blesse, ça brûle, ça divise. »vii « C’est un système sans garde-fou. »viii « Un mode de décision laissant place au populisme ou à la xénophobie. »ix En un mot, le referendum serait dangereux et d’autant plus quand son issue ne cadre pas avec l’avis des experts et du « mainstream » médiatiquex. Lorsqu’il s’oppose à l’avis développé par les élites, comme cela a été le cas pour le Brexit, le referendum fait systématiquement face à la même critique fondamentale : le peuple serait trop influençable et ne serait pas capable de comprendre les enjeux en question. Comment peut-on laisser l’avenir du projet européen à des individus qui ne connaissent rien à la complexité des institutions ? Cette infantilisation de la population n’est pas neuve. Dans l’histoire, chaque approfondissement de la démocratisation de la société a généré ces mêmes rengaines. Que ce soit lors de l’instauration du suffrage ACRF – Femmes en milieu rural ASBL - Analyse 2016/18 2 universel masculin ou de l’accession au droit de vote par les femmes, nombreux étaient à affirmer que le peuple était incompétent et irrationnel. « Il faut d’abord leur apprendre à raisonner car elles (les femmes) ne savent que s’émouvoir. »xi Ainsi, le referendum, en demandant de répondre de façon manichéenne à des questions aussi complexe que le Brexit, procéderait à une simplification à outrance de la réalité, là où les débats au parlement permettent des amendements par des gens qui maîtrisent le dossier. Et l’issue du vote pour le maintien ou non de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne n’a fait que renforcer les tenants de ce discours dans leur conviction. Ne vaudrait-il pas mieux laisser la politique aux mains des experts ? Des questions aussi déterminantes doivent-elle encore être confiées aux populations ? Finalement, ne serait-ce pas aux gens compétents de s’élire entre eux afin de s’assurer de l’efficacité de la gouvernance ? Cette glorification des experts, cette ode à une politique menée en fonction de la compétence, cette « expertocratie » qui a tellement le vent en poupe ces dernières années ne serait-elle pas, à l’instar du vote censitaire, une dénégation pure et simple de la compétence du peuple à décider de son avenir ? Cette emprise toujours plus forte des experts sur notre système de décision ne l’éloigne-t-il pas de la démocratie ? Or, en tant qu’association d’éducation permanente nous soutenons que la vraie démocratie, elle, parie sur la compétence des citoyens. Et, si nous ne sommes pas toujours capables de saisir la complexité des enjeux, est-ce une raison pour nous interdire d’avoir une opinion, des arguments et de l’exprimer ? En réalité, dans le cadre d’un referendum ou de tout autre système de démocratie participative, c’est aux politiques et aux médias de faire le travail nécessaire pour amener le débat aux citoyens en vulgarisant (et non en simplifiant) les questions de société. Certes, cela leur demandera bien plus d’efforts qu’actuellement mais notre système y gagnera énormément. À l’instar d’un procès d’assises, c’est la qualité de cette vulgarisation qui garantira la richesse des débats et la valeur de l’issue du scrutin. En effet, quoi qu’on en dise, ce type de système démocratique est comparable au jury populaire, qui de façon binaire, lui aussi, devra trancher une question. Or, si cette cour d’assises reposant sur l’avis de citoyens inexpérimentés est saluée par beaucoup comme un signe indéniable de civilisationxii, pourquoi en serait-il différent avec la démocratie directe et le referendum ? Car, comme l’affirment les défenseurs de la cour d’assises : « Il y a autant d'intelligence et souvent beaucoup plus de sagesse dans la tête de douze citoyens jurés que dans la tête de trois juges habitués. »xiii Corentin de Favereau Chargé d’études et d’analyses Avec le soutien de CULTURE.BE Cette analyse est disponible au format PDF sur notre site Internet www.acrf.be L’ACRF-Femmes en milieu rural souhaite que les informations qu’elle publie soient diffusées et reproduites. Toutefois, n’oubliez pas, dans ce cas, de mentionner la source et de nous transmettre copie de la publication. Merci ! ACRF – Femmes en milieu rural ASBL - Analyse 2016/18 3 i www.lalibre.be/actu/politique-belge/barometre-politique-un-belge-sur-deux-veut-la-fin-du-vote-obligatoire57d164d83570646c923b3219, site consulté le 9 septembre 2016. ii www.lalibre.be/actu/politique-belge/le-mr-remet-en-cause-le-vote-obligatoire-57bdccec35709a310566b08d, site consulté le 9 septembre 2016. iii www.lalibre.be/actu/politique-belge/chastel-sur-le-vote-obligatoire-la-remise-en-cause-ne-fait-pas-partie-despropositions-du-mr-57beee0735704fe6c1e014ad, site consulté le 9 septembre 2016. iv www.lalibre.be/actu/politique-belge/la-fin-du-vote-obligatoire-avantagerait-le-mr-et-ecolo57be7a6635704fe6c1dfe1bc, site consulté le 9 septembre 2016. v www.lalibre.be/actu/politique-belge/la-fin-du-vote-obligatoire-avantagerait-le-mr-et-ecolo57be7a6635704fe6c1dfe1bc, site consulté le 9 septembre 2016. vi www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/27/les-primaires-un-renfort-pour-la-democratie_1739218_3232.html, site consulté le 9 septembre 2016. vii Avis du commissaire européen aux affaires économiques, Pierre Moscovici, https://twitter.com/pierremoscovici/status/750213850952306688, site consulté le 16 septembre 2016. viii Midi Première : le forum. http://fr-be.radioline.co/podcast-rtbf-la-premiere-le-forum-de-midi, site consulté le 14 septembre 2016. ix www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/06/27/31001-20160627ARTFIG00280-demagogie-populisme-xenophobie-lesmots-du-brexit.php, site consulté le 16 septembre 2016. x Suite au Brexit, certains médias se poseront même la question de savoir si le referendum est démocratique. http://frbe.radioline.co/podcast-rtbf-la-premiere-le-forum-de-midi, site consulté le 14 septembre 2016. xi Midi Première : le forum. http://fr-be.radioline.co/podcast-rtbf-la-premiere-le-forum-de-midi, site consulté le 14 septembre 2016. xii www.lalibre.be/actu/belgique/supprimer-la-cour-d-assises-un-deni-de-democratie-selon-me-mayence56150e4c3570b0f19f310367, site consulté le 15 septembre 2016. xiii www.lalibre.be/actu/belgique/supprimer-la-cour-d-assises-un-deni-de-democratie-selon-me-mayence56150e4c3570b0f19f310367, site consulté le 15 septembre 2016. ACRF – Femmes en milieu rural ASBL - Analyse 2016/18 4