Cour de cassation de Belgique Arrêt

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Cour de cassation de Belgique Arrêt
25 JUIN 2015
C.13.0585.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.13.0585.F
D. V. R.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Charleroi, rue de l’Athénée, 9, où il est fait élection de
domicile,
contre
K. H.,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Lefèbvre, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de
domicile.
25 JUIN 2015
I.
C.13.0585.F/2
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 18 juin
2013 par le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degré
d’appel.
Le conseiller Martine Regout a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II.
Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée
conforme, le demandeur présente quatre moyens.
III.
La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Aux termes de l’article 1134, alinéa 1er, du Code civil, les conventions
légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
En vertu de l’article 1134, alinéa 2, elles ne peuvent être révoquées que
de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise.
Aux termes de l’article 203, § 1er, du Code civil, les père et mère sont
tenus d’assumer, à proportion de leurs facultés, l’hébergement, l’entretien, la
santé, la surveillance, l’éducation, la formation et l’épanouissement de leurs
enfants ; si la formation n’est pas achevée, l’obligation se poursuit après la
majorité de l’enfant.
L’article 203bis, § 3, du même code précise que les frais auxquels les
père et mère doivent contribuer comprennent les frais ordinaires et les frais
extraordinaires.
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L’article 1321, § 1er, 3°, du Code judiciaire dispose que, sauf accord des
parties quant au montant de la contribution alimentaire conforme à l’intérêt de
l’enfant, toute décision judiciaire, fixant une contribution alimentaire en vertu
de l’article 203, § 1er, du Code civil, indique la nature des frais extraordinaires
qui pourront être pris en considération, la proportion de ces frais à assumer par
chacun des père et mère ainsi que les modalités de l’engagement de ces frais.
Il suit de ces dispositions que, lorsque les parties ont conclu une
convention fixant la nature des frais extraordinaires, la proportion de ces frais à
assumer par chacun des père et mère ainsi que les modalités de l’engagement
de ces frais, le juge ne peut modifier cette convention qu’en cas de survenance
de circonstance nouvelle relative à la situation des parents ou à celle des
enfants de nature à porter atteinte à l’intérêt de ceux-ci.
Le jugement attaqué constate qu’« en ce qui concerne les contributions
alimentaires aux frais d’entretien et d’éducation des enfants, le juge des référés
avait acté l’accord des parties […] dans son ordonnance du 25 mars 2004 »,
que, « depuis [le 26 octobre 2007], les parties rencontrent de sérieuses
difficultés […] quant à la concertation préalable par rapport à la nécessité et
l’opportunité d’engagements [des] frais extraordinaires », que « [le demandeur]
détourne la mesure rendant nécessaire la concertation préalable de son objectif
premier (limiter les abus) pour refuser systématiquement la prise en charge de
quelque frais extraordinaire que ce soit », et que « ces difficultés de
concertation entre parties ont […] des répercussions sur la situation financière
de [la défenderesse], qui assume, en pratique, seule le paiement des frais
extraordinaires quand bien même ceux-ci seraient visiblement nécessaires
(frais médicaux et scolaires) ou opportuns compte tenu des desiderata des
enfants, des capacités financières des parties et des habitudes acquises avant le
26 octobre 2007 (abonnements à des clubs sportifs, cours particuliers…) ».
Le jugement attaqué considère que « le seul élément nouveau […] [qui]
justifie que soient modifiées les conditions dans lesquelles il y a lieu d’opérer
le partage [des] frais [extraordinaires] ainsi que les modalités de paiement de la
contribution alimentaire [du demandeur] dans lesdits frais […] est l’incapacité
des parties à se concerter quant à l’opportunité ou la nécessité d’engager de tels
frais ».
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Le jugement attaqué, qui décide, d’une part, qu’« il y a lieu de présumer
l’accord de chaque parent quant aux frais extraordinaires inévitables, c’est-àdire les frais scolaires extraordinaires obligatoires, [à savoir] ceux qui sont
imposés par l’établissement scolaire ou font partie de son projet pédagogique
ou sont nécessités par l’intérêt objectif de l’enfant sur la base d’une attestation
de l’établissement scolaire, [et] les frais médicaux extraordinaires relatifs à des
traitements nécessités par l’intérêt objectif de la santé physique ou mentale de
l’enfant sur la base d’une attestation d’un médecin ou de tout autre
professionnel de la santé », d’autre part, que, « dans l’intérêt des enfants, […] il
y a lieu de maintenir [des activités sportives et culturelles] dans [la] même
mesure qu’avant le 26 octobre 2007 et, donc, de présumer l’accord des parties
quant aux frais [de ces activités] », considère ainsi, sans violer les dispositions
visées au moyen, en cette branche, que l’intérêt des enfants justifie une
modification de la convention des parties relative aux modalités d’engagement
des frais extraordinaires inévitables et des frais des activités sportives et
culturelles.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Pour le surplus, le jugement attaqué, qui décide, d’une part, que « pour
les autres frais extraordinaires, [l’]accord [du demandeur] sera […] présumé si,
invité par écrit à donner son accord quant à l’engagement de l’un ou de l’autre
frais extraordinaire, il s’abstient d’y répondre dans un délai de 21 jours […] à
dater de l’envoi de la demande qui lui en aura été faite par [la défenderesse] »,
d’autre part, qu’« en ce qui concerne les modalités de paiement de la
contribution [du demandeur] dans les frais extraordinaires des enfants, il y a
lieu de prévoir le paiement d’une provision mensuelle payable en même temps
que la contribution aux frais ordinaires », ne constate pas que l’intérêt des
enfants justifie une modification de la convention des parties relative à ces
modalités et ne justifie partant pas légalement ces décisions.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé.
Quant à la deuxième branche :
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Il ressort de la réponse à la première branche du moyen que le jugement
attaqué justifie légalement sa décision de modifier la convention des parties
relative aux modalités d’engagement des frais extraordinaires inévitables et des
frais des activités sportives et culturelles en se fondant sur l’intérêt des enfants.
Dirigé contre une considération surabondante, le moyen, en cette
branche, est irrecevable à défaut d’intérêt.
Quant à la troisième branche :
Le jugement attaqué modifie la convention des parties relative aux
modalités d’engagement des frais extraordinaires inévitables et des frais des
activités sportives et culturelles en se fondant sur l’intérêt des enfants en
présumant l’accord de chaque parent quant à ces frais.
Contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, le jugement
attaqué n’applique pas une présomption légale ni n’admet une présomption de
l’homme.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Sur le deuxième moyen :
Quant à la deuxième branche :
Le demandeur n’a soutenu devant le tribunal ni que la défenderesse
avait commis une faute de nature à la priver de la faculté d’invoquer à son
profit l’exception d’abus de droit ni qu’un abus de droit ne permettait pas au
tribunal de modifier ou de supprimer la convention des parties.
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Le tribunal ne s’est pas saisi d’office de ces questions.
Le moyen, en cette branche, est nouveau, partant, irrecevable.
Quant aux première et troisième branches réunies :
S’il constate que « [la défenderesse] s’est toujours contentée de
transmettre [au demandeur] un récapitulatif des frais extraordinaires déjà
engagés pour les enfants et ce, sans même lui avoir demandé son avis préalable
quant à l’opportunité d’engager de tels frais ou l’avoir averti de la nécessité
d’engager lesdits frais », le jugement attaqué relève que « [le demandeur],
recevant régulièrement […] des demandes de participation à divers frais
extraordinaires, a préféré faire la politique de l’autruche en ne donnant aucune
suite aux demandes incessantes de [la défenderesse], que ce soit pour contester
de manière constructive lesdits frais ou pour donner son avis quant à leur
opportunité ou leur nécessité », et qu’il « a fait clairement part à [la
défenderesse] de son intention de ne supporter aucuns frais extraordinaires,
estimant à tort que ceux-ci étaient inclus dans la contribution alimentaire ».
Le jugement attaqué déduit de ces constatations que « [le demandeur]
détourne la mesure rendant nécessaire la concertation préalable de son objectif
premier (limiter les abus) pour refuser systématiquement la prise en charge de
quelque frais extraordinaire que ce soit ».
Le jugement attaqué considère ainsi que le refus systématique du
demandeur de prendre en charge quelque frais extraordinaire que ce soit
justifie la modification de la convention des parties relative aux modalités
d’engagement des frais extraordinaires inévitables et des frais des activités
sportives et culturelles.
Le moyen, qui, en cette branche, soutient que, suivant le jugement
attaqué, les difficultés consécutives au refus du demandeur de prendre en
charge les frais extraordinaires engagés unilatéralement par la défenderesse et
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sans concertation constituent l’élément nouveau qui justifie la modification de
la convention des parties, manque en fait.
Sur le troisième moyen :
Il n’est pas contradictoire, d’une part, de considérer que « l’autorité
parentale demeure conjointe, de sorte que […] l’accord des deux parents est et
reste toujours nécessaire pour toutes décisions importantes concernant la santé,
l’éducation, la formation, les loisirs et l’orientation religieuse et philosophique
des enfants, [et que], dès lors, il appartient à chaque partie, et singulièrement à
[la défenderesse], de se concerter avec l’autre avant de prendre toute décision
de ce type », d’autre part, de décider que, « pour éviter de reproduire les
difficultés du passé, qui ont conduit à la situation inacceptable que l’un des
parents n’a plus contribué du tout à aucun frais extraordinaire, il y a lieu de
présumer l’accord de chaque parent quant aux frais extraordinaires
inévitables […] et aux frais d’activités sportives et culturelles d’un montant
inférieur ou égal à celui des activités […] pratiquées par les enfants entre la
séparation des parties et le 26 octobre 2007 ».
Le moyen manque en fait.
Sur le quatrième moyen :
Quant aux deux branches réunies :
Le jugement attaqué dit qu’« à partir du 4 février 2011, les parties
supporteront chacune la moitié des frais extraordinaires (exceptionnels) […]
définis dans l’ordonnance du juge des référés du tribunal de première instance
de Bruxelles du 25 mars 2004 et ce, à la condition que ceux-ci aient été
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[engagés], sauf urgence avérée, de l’accord préalable des parties, étant entendu
que cet accord est présumé acquis pour les frais scolaires extraordinaires
obligatoires […], les frais médicaux extraordinaires relatifs à des traitements
nécessités par l’intérêt objectif de la santé […] de l’enfant […] et les frais
d’activités sportives et culturelles d’un montant inférieur ou égal à celui des
activités sportives et culturelles qui étaient pratiquées par les enfants entre la
séparation des parties et le 26 octobre 2007 ».
Le jugement attaqué ne modifie pas ainsi la définition des frais
extraordinaires donnée par l’ordonnance de référé du 25 mars 2004, interprétée
par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 21 juin 2010, mais se borne à
modifier les modalités d’engagement des frais extraordinaires inévitables et des
frais des activités sportives et culturelles.
Le moyen, qui repose sur une lecture inexacte du jugement attaqué,
manque en fait.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaqué en tant qu’il décide que l’accord des parties
est présumé acquis pour les frais extraordinaires engagés alors que la partie qui
ne les a pas engagés a été invitée par écrit à donner son accord préalable et
s’est abstenue de toute réponse quant à ce dans un délai de 21 jours (40 jours
durant la période de vacances d’été) à dater de l’envoi de la demande qui lui en
aura été faite, qu’il condamne le demandeur à payer à la défenderesse une
provision destinée à couvrir sa participation aux frais extraordinaires et qu’il
statue sur les dépens ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement
partiellement cassé ;
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Condamne le demandeur aux deux tiers des dépens ; en réserve le
surplus pour qu’il soit statué sur celui-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance
du Brabant Wallon, siégeant en degré d’appel.
Les dépens taxés à la somme de sept cent nonante-six euros trente-quatre
centimes envers la partie demanderesse et à la somme de quatre cent onze
euros septante-sept centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Martine
Regout, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en
audience publique du vingt-cinq juin deux mille quinze par le président de
section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin,
avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont
S. Geubel
M.-Cl. Ernotte
M. Lemal
M. Regout
Chr. Storck