Congrès ASAC 2007 Maxime KOROMYSLOV Ottawa, Ontario, 2

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Congrès ASAC 2007 Maxime KOROMYSLOV Ottawa, Ontario, 2
Congrès ASAC 2007
Ottawa, Ontario, 2-5 juin
Maxime KOROMYSLOV
Institut Commercial de Nancy - ICN Ecole de Management
Laboratoire de recherche GREFIGE-CEREMO
Université Nancy 2 (France)
L’EPREUVE DE VÉRITÉ POUR LE LABEL « MADE IN FRANCE »
DANS LE LUXE : « JE T’AIME… MOI NON PLUS » 24
ETUDE EXPLORATOIRE BASÉE SUR LE DISCOURS
DES PROFESSIONNELS FRANÇAIS DU LUXE
A la différence des travaux habituels sur le pays d’origine et son
influence sur le comportement des consommateurs, cette recherche
s’intéresse au point de vue des professionnels de l’industrie française du
luxe sur le label « Made in France » et la façon dont ils l’intègrent dans
leurs choix stratégiques.
Mot clés : Made in France, luxe, délocalisation, marquage d’origine
Introduction
Début septembre 2006, Burberry annonçait la délocalisation de la production de polos de l’usine
Treorchy, au pays de Galles, vers la Chine. Dans la foulée, le pays a connu une vague de contestations à
tel point que le président de la marque et sa directrice générale devaient s’expliquer devant le Parlement
sur les raisons qui poussaient cette maison anglaise, vieille de 150 ans, à partir vers l’étranger (« Une
griffe », 2007). Et ceci n’est pas étonnant : l’image de Burberry a toujours reposé sur son appartenance
britannique et la délocalisation présentait, de fait, un risque de coupure de ce lien historique, du moins
dans l’esprit du consommateur, via la remise en cause du « Made in England ».
Mais l’exemple anglais est loin d’être isolé dans le luxe, même si ce secteur préserve jalousement
les « secrets » des délocalisations pratiquées25. D’autres maisons du luxe, qu’elles soient italiennes ou
françaises, optent également pour la délocalisation de leur fabrication. Par exemple, Valentino (groupe
Marzotto) fabrique aujourd’hui certains de ses costumes pour homme en Egypte alors que jusqu’à
maintenant les lignes les plus chères, celles dont les prix étaient justifiés par le « Made in Italy », furent
fabriquées en Italie. La maison pratique un dosage entre production italienne et production délocalisée
pour profiter notamment de la souplesse dans la législation sur le marquage propre à certains marchés.
Ainsi, les produits fabriqués en Egypte sont généralement destinés au marché européen dont la
24
L’auteur tient à remercier les lecteurs pour leurs commentaires qui ont contribué à l’amélioration de la première
version du manuscrit
25
Voir notamment le dossier spécial du « Monde Economie » n°19247, du 12 décembre 2006 intitulé « La
délocalisation du luxe, un sujet encore tabou »
268
commercialisation s’effectue en enlevant l’étiquette « Made in Egypt » (celle-ci étant facultative en
Europe) alors que les marchés américain et japonais, à cause de leur législation beaucoup plus stricte sur
le marquage d’origine qui y est obligatoire, bénéficient des produits fabriqués dans le pays d’origine de la
maison avec le « Made in Italy ». Un autre exemple concerne Prada. Aujourd’hui, cette maison italienne
coud en partie le dessus de ses chaussures en Slovénie et certains éléments de ses sacs à main sortent
d’ateliers turcs. Mais ce n’est pas pour autant qu’on verra apparaître sur les étiquettes « Made in
Slovenia » ou « Made in Turkey » car là où la législation le permet, on préférera l’étiquette « Made by
Prada », plus avantageuse dans ce cas de figure que l’étiquette avec mention de provenance géographique
(Galloni et al., 2005).
Les maisons françaises ne sont pas épargnées : Céline, Dior, Vuitton, Hermès et bien d’autres
réalisent la fabrication de tout ou partie de certains produits dans des pays dont la congruence avec le luxe
reste à démontrer. En effet, certains pays comme la France ou l’Italie sont perçus par les consommateurs
comme présentant un lien logique avec le luxe que les délocalisations remettent en cause et provoquent
ainsi une dévalorisation de la qualité et de la valeur perçues du produit, une baisse des évaluations
globales du produit et de la marque, de l’image de marque elle-même et, par conséquent, une moindre
intention d’achat (Koromyslov, 2007). En l’absence d’information plus large sur ces pratiques et même si
le groupe LVMH, leader mondial du luxe, fait aujourd’hui clairement savoir que sa politique est
désormais de rechercher une production délocalisée (Legoeul, 2004), on peut s’attendre à ce que la
tendance à la délocalisation aille croissant. Que deviendront dès lors les marques françaises de luxe qui, à
l’instar de Burberry avec l’appartenance britannique, puisent leur force dans le lien avec la France ? Estce aussi la fin du « Made in France » que d’aucuns considèrent comme faisant « partie intégrante d’un
produit de luxe » (Lavaud, 2004 ; Nicot, 2004) ?
Ces quelques exemples montrent en effet le pouvoir des labels « Made in » car, face à deux
produits parfaitement identiques, le consommateur devra faire son choix entre plusieurs « Made in »
différents. Dès lors, la gestion des labels devrait relever des choix stratégiques des maisons.
Problématique
Les travaux habituels sur l’effet « Made in » en marketing international (cf. infra) préconisent en
effet aux managers d’accentuer les informations sur l’origine des produits lorsque celle-ci leur est
favorable et ne pas l’indiquer ou la rendre la moins visible possible dans le cas contraire. En ce qui
concerne le secteur du luxe et le label « Made in France », ce dernier permet une meilleure valorisation
des produits dans la mesure où la France est généralement perçue comme « patrie du luxe » 26 ; ses
produits étant les plus chers, exclusifs, destinés à des classes sociales élevées, créatifs, etc. (Nagashima,
1970 ; Lillis et Narayana ; 1974 ; Darling et Kraft, 1977). Autant de caractéristiques qu’on retrouve
également dans la définition d’un produit de luxe. Par ailleurs, les marques françaises (ou à consonance
française) ont un effet positif sur les produits « hédoniques » (LeClerc et al., 1994). Dès lors, opter pour
une délocalisation des produits français du luxe, alors même que le « Made in France » leur est favorable,
semble contraire aux préconisations ci-dessus et au bon sens.
Ainsi, ce papier va au-delà des travaux habituels sur l’effet « Made in » et son influence sur le
consommateur en s’intéressant à son rôle dans le cadre de la stratégie des professionnels du luxe. On vise
notamment à comprendre le sens que les managers attribuent au « Made in France », l’utilisation qui lui
est réservée et s’ils le considèrent toujours comme élément central pour les produits et marques de luxe.
26
De nombreuses études sur le luxe ont montré que la France bénéficie d’une position confortable dans ce secteur
(McKinsey, 1990 ; Coface, 2002) avec près de 34 % des parts de marché (AT Kearney, 2006). Qui plus est, il s’agit
de la destination touristique la plus en vue dans le monde (Eurostaf, 2002).
269
Nous présenterons tout d’abord le rôle attribué aux labels d’origine dans les recherches en
marketing international et l’influence qu’ils peuvent exercer sur le comportement des consommateurs.
Nous nous attarderons par la suite sur les aspects juridiques liés au marquage de provenance. Puis, nous
renseignerons sur les choix méthodologiques de l’étude qualitative auprès des professionnels français du
luxe. Enfin, la troisième partie sera consacrée à la présentation des résultats.
La labellisation d’origine et son rôle en marketing international
Les labels de provenance et leur impact sur le comportement des consommateurs : résultats de
quelques recherches
Parmi les différentes façons de déduire la provenance d’un produit (Papadopoulos, 1993),
l’étiquette « Made in » demeure de loin la plus utilisée par les consommateurs, à condition d’être
clairement indiquée, et la plus étudiée en recherche marketing. Le pays d’origine fait partie des attributs
extrinsèques ou intangibles d’un produit (tels que le prix, la marque, etc.)27, c’est-à-dire ceux dont la
modification n’entraîne pas de changement matériel au niveau du produit réel car ils ne sont pas ses
composants physiques. Cependant, leur rôle n’est pas négligeable dans la mesure où ce type d’attribut
peut affecter chez les consommateurs les évaluations globales du produit, la perception de sa qualité
(Hong et Wyer, 1989), voire l’intention d’achat (voir notamment Piron (2000) pour les produits de luxe).
L’effet « pays d’origine » ou « Made in ». Les recherches montrent que le consommateur peut
intégrer l’information sur la provenance pour évaluer le produit en fonction des caractéristiques ou de
l’image associées à son pays d’origine28, surtout en l’absence d’autres attributs informationnels. Cela
concerne les évaluations des produits en général (Howard, 1989), voire des catégories spécifiques de
produits (concept de « Match » « pays-produits » mis en évidence par Roth et Romeo, 1992). Par exemple,
on constate que le label « Made in Germany » améliore l’évaluation d’une voiture mais affecte
négativement l’évaluation d’une robe comparativement au label « Made in Italy » (Obermiller et
Spangenberg, 1989). Certains pays peuvent ainsi jouir d’une bonne réputation pour certains produits : le
Japon et l’Allemagne pour les voitures, les Etats-Unis pour les jeans, les cigarettes, la France pour les vins,
les parfums et les produits de luxe.
Mais l’effet « pays d’origine » ne joue pas uniquement sur les produits : la perception de la
marque, notamment son image, dépend de son pays de provenance (Han et Terpstra, 1988). De même, on
sait que les attitudes du consommateur envers la marque peuvent changer du moment qu’on lui révèle le
pays d’origine de celle-ci ou la provenance des produits marqués (Gaedeke, 1973).
Il est des cas où l’effet « Made in » peut interagir avec d’autres effets car le pays d’origine n’est
pas l’unique variable que le consommateur prend en compte dans les évaluations du produit. Nous
présenterons ici deux autres variables, la marque et le prix, qui ont par ailleurs toutes leur importance
pour les produits de luxe.
Interaction du pays d’origine avec la marque. Les résultats des recherches sur l’interaction
entre le pays d’origine et la marque n’ont pas toujours été concluants. On s’est notamment posé la
question sur la prédominance dans le cadre des évaluations de l’effet-marque par rapport à l’effet « Made
in » : Ulgado et Lee (1993) ont par exemple montré qu’une image de marque favorable et connue pouvait
27
A la différence des attributs intrinsèques ou physiques (tels que le goût, la qualité, etc.) qui sont partie intégrante
du produit physique
28
L’image du pays peut elle-même être créée par des produits représentatifs, les caractéristiques nationales,
l’histoire avec le passé économique ou politique du pays et ses traditions culturelles (Nagashima, 1970)
270
« amortir » l’impact du pays d’origine dont l’image est défavorable29 ; ceci devrait dès lors s’appliquer
aux produits de luxe pour lesquels la marque est importante et connue. Cependant, Tse et Gorn (1993) ont
déterminé que l’effet « Made in » pouvait être plus fort que l’effet-marque et Jaffé et Nebenzahl (2001),
quant à eux, ont trouvé que la marque et le pays d’origine pouvaient être liés. C’est notamment le cas des
marques de produits de prestige (ou de statut) pour lesquelles « le transfert de la production ou
d’assemblage à l’étranger est impossible » (Jaffé et Nebenzahl, 2001, p. 99) : les parfums Dior « Made in
France », les montres Cartier « Swiss Made ». La marque et le pays d’origine seraient inséparables dans le
luxe.
Interaction du pays d’origine avec le prix. Il s’avère également que le consommateur est prêt à
payer plus cher pour un produit qui provient d’un pays dont l’image est positive (Nes et Bilkey, 1993). Le
prix pourrait ainsi être vu comme un facteur modérateur de l’effet « pays d’origine » au moment du choix
entre produits domestiques et étrangers, similaires et alternatifs (Schooler et Wildt, 1968). A l’inverse, le
consommateur demanderait une réduction de prix pour accepter un produit délocalisé dans un pays en
voie de développement, ce produit étant moins bien évalué à cause de l’image négative des pays en voie
de développement comparativement aux pays développés.
Ainsi, le niveau des prix accepté par le consommateur dépend de l’image du pays d’origine,
fonction elle-même du niveau de développement économique du pays. Dans la mesure où la plupart des
délocalisations se font généralement à destination des pays moins développés (pour ne pas dire en voie de
développement) que le pays d’origine habituel, pour profiter notamment des coûts de production plus
faibles, les industriels devraient proposer pour tous les produits délocalisés des niveaux de prix plus
faibles que ceux pratiqués pour les produits non délocalisés. Mais ceci peut également être vrai pour un
pays de délocalisation dont le niveau de développement économique est comparable au pays d’origine
habituel : en effet, les produits jugés indissociables de leur pays d’origine semblent dévalorisés dans
l’esprit du consommateur du simple fait de « partir ailleurs » : Jaffé et Nebenzahl (2001, p. 106) donnent
l’exemple des jeans « Levi Strauss » et « Wrangler » vendus trois fois plus cher avec le label « Made in
USA » comparativement aux mêmes produits fabriqués dans les usines Levi’s et Wrangler en Europe. Or,
dans le luxe, toute réduction de prix due à l’augmentation des marges réalisées sur la production dans le
cadre des délocalisations pourrait s’avérer préjudiciable dans la mesure où la « cherté » des produits fait
partie de leurs caractéristiques clés. Par conséquent, en l’absence de compensation tarifaire, et à niveau de
qualité objective égale, le consommateur utilisera l’information sur le pays d’origine comme critère de
différenciation des produits, tout en sachant qu’aujourd’hui le marquage de l’origine est devenu complexe.
Complexification du marquage de l’origine. Les règles en matière de marquage ont tendance à
évoluer pour rendre compte d’une plus grande complexité des échanges, avec l’« hybridation » des
produits dans le cadre de la production multinationale. Tout ceci rend encore plus complexe le processus
d’évaluation du consommateur. Mis à part la fabrication avec le classique label « Made in », d’autres
étapes de la chaîne de production pourrait subir des délocalisations et rentrer en considération pour
évaluer un produit : par exemple, la conception/création avec le label « Designed in » ou
l’approvisionnement en matières premières ou composants à base desquels le produit est fabriqué avec le
label « Country of Parts ». Il convient dès lors de distinguer les différents effets sous-jacents : effet du
pays de création/conception (« Designed-In Country » Effect), de fabrication / assemblage (« Made-In
Country » Effect ou « Assembled-In Country » Effect) ou d’approvisionnement (« Country-of-Parts »
Effect) (voir la taxonomie proposée par Nebenzahl et al., 1997 ; Jaffé et Nebenzahl, 2001). Si l’on prend
l’exemple d’un téléviseur, un consommateur pourrait accepter qu’il soit fabriqué à Taiwan (pays de
délocalisation de la phase de fabrication ou d’assemblage) mais il se peut qu’il préfère le Japon comme
pays de conception (Chao, 1992). Le même raisonnement pourrait s’appliquer aux produits de luxe,
29
Les travaux les plus récents considèrent aujourd’hui la marque comme facteur modérateur de l’effet « pays
d’origine » (Pharr, 2005)
271
notamment dans l’industrie textile lorsqu’on sait que la maille vient d’Italie pour servir à des modèles
conçus en France et qui pourraient au final être confectionnés dans un pays tiers (Espagne, Roumanie,
Hongrie…). L’illustration 1 donne un exemple de marquage d’origine avec les étapes de création et de
fabrication.
Illustration 1
Marquage complexe pour un produit de la marque Courrèges30
La complexification du marquage d’origine nous pousse à s’intéresser aux règles juridiques en la
matière.
La législation sur les labels de provenance : la détermination et le marquage de l’origine
Il n’existe pas à ce jour de cadre juridique universel pour la détermination et le marquage de
l’origine sur les produits industriels. Le tableau 1 donne quelques exemples de législations nationales en
matière de labellisation. On constate notamment que certaines législations sont plus permissives que
d’autres, à comparer les législations américaine et européenne.
Droit américain, droit protecteur. C’est la « Federal Trade Commission » qui est chargée de
l’application du label « Made in USA ». Ainsi, tout produit fait complètement ou pratiquement
complètement aux Etats-Unis pourra disposer du label « Made in USA » 31 . Si cette disposition est
discutable, il convient de rappeler que le marquage d’origine est obligatoire et va, par exemple, dans le
secteur textile jusqu’à l’indication du numéro d’identification du fabricant. D’autres législations semblent
beaucoup plus souples.
Législation européenne, législation plus souple. A la différence de la déclaration de l’origine en
douane dont le seul but est de s’acquitter de la taxe douanière 32 , il n’existe au niveau de l’Union
européenne aucune obligation légale ou réglementaire relative au marquage d’origine sur les
marchandises au moment de leur importation sur le territoire national et pas davantage lors de leur
30
L’auteur tient à remercier Anne-Laure Lenoir pour le cliché
Source : http://www.ftc.gov/bcp/conline/pubs/buspubs/madeusa.pdf
32
Art. 23 et 24 du Code des Douanes Communautaires et les annexes 9-11 pour leur application
31
272
commercialisation sur le marché national à l’exception de quelques produits agroalimentaires ou des
produits de beauté pouvant présenter un risque pour la santé du consommateur33. Le choix en matière de
marquage est laissé à la discrétion du fabricant et demeure de ce fait facultatif à condition de ne pas
induire le consommateur en erreur et respecter les dispositions légales du code de la consommation34 en
supprimant toute inscription délictueuse du produit ou de son emballage ou y apportant des mentions
correctives : par exemple, les produits marqués « Hermès Paris » devront, de façon obligatoire, comporter
la mention de l’origine si celle-ci est différente de la France dans la mesure où la présence de « Paris » au
niveau de la marque pourrait faire croire à l’origine française du produit35.
En règle générale, pour obtenir un label national (par exemple, « Made in France »), on applique
le critère de la dernière opération substantielle réalisée. Si le produit provient d’un des Etats membres et
que la dernière opération substantielle a été réalisée en France, il pourra disposer du « Made in France »
ou alors on pourrait opter pour le label européen « Made in EC » ou « Made in EU ». En revanche, si le
produit n’a pas été fabriqué dans l’Union européenne, les règles d’apposition du label « Made in France »
ne permettent pas à un produit qui n’aurait pas subi l’ensemble des opérations de fabrication en France
d’obtenir le label « Made in France ».
Si la législation européenne est applicable dans l’ensemble des pays de l’Union, elle semble
atteindre aujourd’hui ses limites dans certains pays. C’est le cas notamment de l’Italie qui, soucieuse de
préserver son industrie nationale, a apporté quelques adaptations au Code de la Consommation italien en
octobre 2005. Ainsi, le marquage de l’origine sur les produits industriels est rendu obligatoire pour les
marchandises fabriquées en dehors de l’Union européenne et commercialisées en Italie. En revanche, le
« Made in Italy », quant à lui, demeure toujours facultatif conformément au respect des règles
communautaires pour les produits pouvant prétendre à ce label. Le « Made in Italy » est désormais vu
comme une marque collective, tous secteurs confondus36. Les conceptions sont-elles les mêmes chez les
professionnels français du luxe quant au « Made in France » ?
Méthodologie
A titre de rappel, la problématique de ce papier vise à comprendre le sens attribué au label
« Made in France » et notamment son rôle dans le cadre de la stratégie des professionnels du luxe. Nous
nous situons dans un cadre exploratoire car il s’agit d’une première recherche sur le sujet. Nous avons
opté pour une méthodologie qualitative avec des entretiens semi-directifs individuels en tant que méthode
de recueil des données. L’entretien semi-directif est généralement privilégié dans une étude exploratoire
compte tenu de sa grande flexibilité et de la richesse des informations qu’il peut générer (Huberman et
Miles, 1991).
Nous avons utilisé plusieurs guides d’entretien en fonction de la catégorie des répondants
interrogés (cf. infra). Un extrait de guide d’entretien présenté en annexe 1 récapitule les seuls thèmes
relatifs à l’origine française et au marquage. Les autres thématiques figurant dans le guide d’entretien
complet et non exploitées ici furent relatives à l’organisation de la production des maisons de luxe, les
attitudes des professionnels quant aux délocalisations et l’impact possible de ces dernières sur les produits
de luxe. Ainsi, les thèmes sur l’indication de provenance furent analysés dans un cadre de délocalisations
33
Dossier “Marquage d’origine des produits industriels”, http://www.douane.gouv.fr/data/file/1480.pdf
Art. L. 213-1 concernant la fraude, falsifications et tromperie en matière d’origine ; art. L. 217-6 en matière
d’apposition d’une fausse origine et art. L. 217-7 concernant les peines prévues pour l’apposition d’une fausse
origine
35
Bulletin officiel des douanes n°6567 « Protection de l’origine française », 08 mars 2003
36
Dossier « Le marquage d’origine en Italie » : Ambassade de France en Italie, http://www.missioneco.org/italie
34
273
dont les répercussions se matérialisent au travers du changement perceptible au niveau de l’étiquette
mentionnant l’origine du produit. Tous les thèmes ont été abordés dans leur intégralité, selon le degré de
proximité avec le discours des répondants et non « dans un ordre séquentiel pré-établi » (Evrard et al.,
2003 : 105). Nous avons ainsi voulu accorder suffisamment de liberté aux acteurs et respecter les
suggestions méthodologiques préconisées pour des entretiens semi-directifs (Caumont, 2002).
Tableau 1
Exemples de différentes législations nationales en matière de labellisation
Pays ou
organisation
France
(législation
communautaire)
Royaume-Uni
Etats-Unis
Canada
Australie
Conditions requises pour le label
« Produit de… »
Conditions requises pour le label
« Fabriqué à… »
Le produit est entièrement obtenu en France ou y a subi la dernière
transformation ou ouvraison substantielle. Cette dernière a abouti à la production
d’un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important lorsque
deux ou plusieurs pays sont intervenus dans la fabrication de tel produit
Aucune obligation en matière de marquage de l’origine du produit ; il peut être
utilisé de manière volontaire. Lorsqu’il y a marquage, le produit est considéré
comme étant fabriqué ou transformé dans le pays où il a subi la dernière
transformation ou ouvraison substantielle
Pour recevoir le label « Made in USA »,
Produit entièrement domestique ou
le produit doit avoir été assemblé aux
fabriqué intégralement ou en grande
Etats-Unis, cette opération étant jugée
partie aux Etats-Unis
substantielle, ou y avoir subi la dernière
transformation substantielle.
Au moins 51 % du produit fabriqué au
Canada,
la
dernière
opération
substantielle de production a été
effectuée dans ce pays
Le produit doit subir une transformation
100 % (ou presque) du produit doit substantielle en Australie à hauteur d’au
être local
moins 50 % de coûts de production
Au moins 50 % des coûts de
du
produit
doivent
Nouvelle Zélande production
correspondre à la Nouvelle Zélande.
La dernière opération de fabrication
doit y être effectuée
Au moins 50 % des matières premières Le « Made in Switzerland » est qualifiée
et du travail doivent suisses. De même, d’imprécis. Il n’est toléré que pour les
Suisse
le processus d’assemblage doit être montres suisses
effectué en Suisse
Source : adapté de Jaffé et Nebenzahl (2001), Code des Douanes communautaire (2003)
274
Le matériau ainsi recueilli a été traité selon la méthode d’analyse de contenu dite « thématique ».
Tous les entretiens ont été préalablement enregistrés, intégralement retranscrits et découpés par thèmes,
ces derniers constituant l’unité d’analyse. Lesdits thèmes sont pour la plupart issus des guides d’entretiens
mais leur liste a été complétée avec quelques thèmes supplémentaires abordés par les répondants et que
nous avons jugés pertinents pour notre analyse, sans pour autant que ces derniers figurent dans notre
guide d’entretien. Un extrait de grille d’analyse pour les thématiques sur les labels d’origine et la
politique de marquage figure en annexe 2.
L’échantillon se composait de trois catégories d’acteurs : (1) les experts du secteur du luxe,
(2) les fédérations professionnelles patronales et syndicales de la filière THC luxe (textile-habillementcuir) et (3) les entreprises au sein desquelles nous avons étudié tant les membres de direction que les
salariés37. Ainsi, dix-neuf organismes différents ont été contactés se soldant par un total de trente-quatre
entretiens. En effet, dans la plupart des cas nous avons rencontré plusieurs interlocuteurs par
organisme/société (cf. annexe 3). Tant l’échantillon que le nombre d’entretiens apparaissent satisfaisants
au regard des préconisations pour une étude de nature exploratoire (Ladwein, 1996 ; Giannelloni et
Vernette, 2001). L’échantillon fut construit autour des critères qui traduisaient la diversité des cas
possibles face au problème étudié (Evrard et al., 2003). Ainsi, les points de vue des salariés sont venus
nuancer ceux des cadres en entreprises ; de la même façon, les fédérations syndicales de salariés ne
tenaient pas le même discours que les fédérations patronales. La confrontation des différents points de vue
a apporté de la richesse aux résultats et a permis d’éviter des réponses de « façade ». En effet, il convient
de rappeler que cette recherche s’inscrivait dans un cadre plus large, celui des délocalisations dans le
luxe qui demeurent un sujet sensible. Pour notre analyse, nous nous limiterons à tracer un tableau global
de la question sans forcément opposer de façon systématique le discours d’une catégorie de personnes par
rapport à une autre. Précisons enfin que tous les entretiens se sont déroulés sur une période de cinq mois,
d’octobre 2005 à février 2006, pour la plupart à Paris ou en région parisienne, en face-à-face.
Résultats 38
L’analyse des résultats des entretiens réalisés a permis de distinguer deux groupes d’acteurs ayant
des positions différentes quant à la labellisation d’origine, bien qu’ils fassent partie d’un même secteur
d’activité : le premier groupe considère que le « Made in France » en tant que label d’origine apposé sur
les produits de luxe et ce quel que soit le segment concerné, fait toujours partie des atouts stratégiques
dont il faut absolument profiter mais aussi préserver ; le second, au contraire, remet en cause l’efficacité
de ce label à un moment où des sociétés se tournent vers la délocalisation et le luxe ne faisant plus
exception.
Le label d’origine en tant qu’atout stratégique pour les produits et maisons de luxe ou pourquoi les
professionnels aiment le « Made in France »
37
Notre étude s’est déroulée en deux temps : les premiers entretiens ont été réalisés auprès d’experts composés des
sociétés d’études et de conseil, d’un centre de formation et d’un groupement de professionnels du luxe. Suite à ces
entretiens, il a été convenu de concentrer nos interrogations sur la filière THC luxe dont la maroquinerie-cuir et
l’habillement-prêt-à-porter. Ces deux segments étaient à l’opposé l’un de l’autre en matière de délocalisation : alors
que l’habillement-prêt-à-porter semblait fortement touché, ceci était moins le cas pour la maroquinerie-cuir.
38
Tous les verbatims utilisés dans le texte renvoient aux codes attribués à nos interlocuteurs. Ils se composent
systématiquement de trois éléments : l’identification de la catégorie des répondants (EXP=expert, E=entreprise,
FS=fédération syndicale, FP=fédération patronale), le segment d’activité représenté (L=tout le luxe,
C=maroquinerie-cuir, H=habillement-prêt-à-porter, HC=habillement-prêt-à-porter et maroquinerie-cuir) et le
numéro d’ordre attribué.
275
Les maisons dont les points de vue sont présentés ici sont généralement celles qui mettent en
avant la qualité de leur fabrication. Celle-ci est généralement communiquée à travers le label « Made in
France ». Leurs avis s’opposent à ceux des autres maisons qui valorisent davantage le style français ou le
côté créatif des produits de luxe, tel le cas de Dior.
Le vecteur marketing « Made in France ». Le label d’origine française fait partie de l’histoire,
c’est un récit de vie du produit et de la maison de luxe et « si cela fait partie de l’histoire de dire que les
produits continuent à être manufacturés par de « petites mains » en France et qui ont un talent fou, le
« Made in France » devient un argument de vente » (EXP-L-1). Par exemple, la clientèle Hermès
recherche au travers du « Made in France » le caractère artisanal du produit et la fabrication française.
Pour cette maison, le label « Made in » est un support de communication sur la qualité française et qui
permet notamment de justifier le prix élevé des produits :
« … Il y a toute une nouvelle génération de Chinois argentés qui arrivent et qui sont
consommateurs, je veux dire, ils aiment le luxe « Made in France ». Cela reste un plus.
Et quant à nos produits dans le monde entier, on est ravi de mettre le « Made in
France » ou « Made in Italy » le cas échéant mais c’est aussi une façon de dire qu’on a
la qualité française et c’est pour moi c’est aussi une forme de communication ! Elle est
plus discrète, plus souple, elle est un peu à l’image d’Hermès, c’est vrai qu’on entend
peu parler d’Hermès, on n’est pas une maison qui communique à outrance mais qui
communique différemment et je pense que le « Made in France » est un support de
communication… » (E-H-4).
La valeur ajoutée «Made in France ». Comparativement au « Made in China » ou « Made in
Bangladesh », l’étiquette avec la mention « Made in France » apporte toujours une valeur ajoutée aux
produits (E-C-2). Le rôle du « Made in France » est comparé à celui de la marque. Le label « Made in
France » se doit de proposer un plus au consommateur lors de l’achat d’un produit de luxe mais la valeur
ajoutée apportée passe généralement par « le maintien et la préservation des savoir-faire nationaux » (EHC-1). Il faudra en effet pouvoir justifier de la différence entre un produit chinois et français alors même
que les pays de délocalisation rattrapent progressivement, grâce à d’importants progrès technologiques, le
niveau de la fabrication des pays d’origine. C’est d’ailleurs sur ce point que les industriels entendent se
mobiliser :
«… Si vous voulez que le « Made in » ait encore de la valeur dans dix ans, il faut que
nous les industriels, on soit là pour le développer, travailler la qualité des produits qui
sont développés sous ce « Made in », faire encore plus d’innovation et là il y a eu ce
week-end le défilé Printemps-Eté Louis Vuitton à Paris et où on a encore sorti des
modèles assez extraordinaires dont certains ont été réalisés ici. Là, si vous voulez, on a
une créativité qui fait que sur le marché on va faire de la nouveauté et on va donc
apporter de la valeur ajoutée au client. C’est comme ça qu’on défend le mieux le « Made
in » et pas par des mesures de défense. Car la défense cela va un moment mais un jour
ça cède ! Il faut être réactif, il faut être proactif sur le marché et proposer ! » (E-C-1).
La « raison de vivre » « Made in France ». Pour certains acteurs, le maintien de la fabrication
française constitue un combat quotidien pour le « Made in France ». C’est un véritable « crédo », le « nerf
de la guerre » ou le « noyau dur » des maisons telles qu’Hermès ou Chanel qui mettent surtout en avant la
qualité de la fabrication de leurs produits : « … Pour nous, c’est important de garder le Made in France.
Voilà. Mais on ne communique pas là-dessus. Pour nous c’est une règle. On essaye de garder le Made in
France sur tout ce qu’on fait car nous sommes une marque française… » (E-HC-1). Pour ces maisons, la
préservation du niveau de qualité impeccable n’est possible qu’avec le maintien de la production en
276
France, et donc du « Made in France ». Hermès, Chanel et Vuitton créent aujourd’hui des emplois en
France en collaborant avec des sous-traitants locaux ou en rachetant des entreprises. Ce faisant, deux
logiques sont généralement poursuivies :
(1) Tout d’abord, le maintien de l’origine française qui relève du devoir de ces maisons devant les
consommateurs qui, eux, recherchent le label « Made in France ». L’absence de délocalisation permet en
quelque sorte de répondre aux attentes des consommateurs :
« … Notamment dans les pays comme le Japon aujourd’hui, si l’on marquait, et on a
réfléchi à ça, notamment à un moment où on veut faire de la commande spéciale au
Japon, on a tenté de faire nos produits sur place, au Japon. Le problème majeur était
que l’on ne pouvait pas mettre « Hermès Paris Made in Japan », que nos clients ne
voulaient pas nos Hermès « Made in Japan » et donc globalement ils refusaient cette
fabrication qui n’était pas faite en France. Déjà c’était au Japon, imaginez si c’était en
Chine ou je ne sais pas où. Donc, le choix qu’on prend est celui, cela ne veut pas dire
qu’on ne se pose pas la question régulièrement : on serait fous de ne pas se la poser
d’abord et en tout cas notre réponse aujourd’hui est de dire on a nos bases de savoirfaire et de qualité sur le territoire français, on a des opportunités de développement
encore sur nos bases en France, on peut encore optimiser, on peut encore nous-mêmes
gagner par rapport à ce qu’on fait aujourd’hui et deuxièmement notre qualité est là et
c’est ici que nous pouvons l’organiser au mieux. Donc, la problématique de l’étranger
ne se pose pas… » (E-C-3) ;
(2) Une autre logique est celle d’entretenir des liens avec des façonniers français, considérés
comme partenaires, dans un but de préserver les savoir-faire en France :
« … On est très attachés chez Hermès aux façonniers en général, aux fabricants, j’ai des
façonniers qui travaillent avec nous depuis 20 ans ! On essaye de maintenir d’une façon
permanente leur chiffre d’affaires de façon à pouvoir les maintenir. Et c’est vrai qu’il y
a des tas de façonniers qui tapent à notre porte et je leur dis « non, j’ai assez de
façonniers comme ça ». On ne dit pas « un jour je vais chez un tel » et l’autre jour vous
allez chez un autre, à moins de trouver les façonniers qui correspondent à notre produit
et là on ne devient plus des façonniers mais des partenaires… » (E-H-4).
Les sources d’inefficacité du « Made in France » ou pourquoi les professionnels boudent le « Made
in France »
Le « Made in France » n’a d’intérêt que s’il permet de justifier de la différence en termes de
qualité entre un produit français et un produit fabriqué dans un autre pays -et que cette différence est
effectivement perçue par le consommateur- ou du supplément de prix que le consommateur accepte de
payer pour un produit d’origine française. En réalité, ceci n’est pas toujours le cas. D’autres problèmes se
situent au niveau du label d’origine lui-même, du rôle qui lui est attribué et du poids qu’il peut avoir dans
la décision du consommateur.
Développement de la qualité de production et des savoir-faire des pays de délocalisation.
Dans un contexte de délocalisations ayant entraîné une pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs
d’activités, les maisons de luxe recherchent des ressources humaines disponibles et, qui plus est, de
qualité. Ces dernières peuvent aujourd’hui être trouvées dans des pays en voie de développement. En effet,
selon les professionnels, les savoir-faire sont universels (invariables) et indépendants du pays d’origine
(E-H-2). En revanche, la qualité de production et la productivité, quant à elles, peuvent varier : si elles
277
sont globalement meilleures en France ou dans l’Union européenne, il est tout à fait possible de trouver
des fournisseurs tout aussi bons au Maroc, en Tunisie, en Pologne, en Hongrie ou en Chine et qui
« auront les mêmes machines et la même technique » (FP-H-2). Ainsi, la Chine et les pays de l’Est
forment des zones de délocalisation potentielles pour les produits de luxe plutôt accessibles, tant grâce à
« la notion de savoir-faire qu’est en train d’acquérir [ce pays] et qui fait que la qualité du produit fini
sera très comparable aux standards existant en Europe » (EXP-L-5), qu’aux efforts conséquents en
termes de qualité de la production sortante. Ces pays sont désormais capables d’obtenir des produits bien
faits, que les séries soient longues ou courtes (E-H-3), avec un contrôle-qualité sur place.
Le développement de la qualité de production et des savoir-faire des pays de délocalisation peut
se traduire au niveau du label de provenance « Made in » associé à ces pays. Au même titre que le label
« Made in Japan » qui, autrefois, était synonyme d’une très mauvaise qualité et lequel de nos jours
constitue la référence dans certains secteurs tels qu’automobile, électronique, etc., « [il n’y a pas de
raison] que le « Made in China » n’ait pas la même évolution » (FP-H-2) :
« … Les Chinois sont des producteurs avant tout. Ils produisent vite, pour gagner un
business, ils montent une affaire, ils en montent deux, dix, ils sont plus ou moins loyaux,
plus ou moins « fair » en affaires mais c’est ça. Mais si on leur injecte du marketing, ils
deviendront comme des Japonais. Ecoutez, il y a quarante ans, « Made in Japan » tout
le monde rigolait ! Maintenant, vous prenez un produit « Made in Japan » et un produit
italien, on a des produits Chanel « Made in Japan », on n’en a pas honte ! Si on les fait
faire « Made in Japan », c’est parce qu’on ne sait pas les faire ailleurs ! » (E-HC-2).
Les labels de provenance sont « dynamiques », ce qui a par ailleurs été confirmé par des
recherches en marketing international (Nagashima, 1970 ; Nagashima, 1977). Mais leur dynamisme, leur
évolution peut aller dans les deux sens : autant le « Made in Japan » s’est renforcé avec le temps, autant le
« Made in France » dans le luxe pourrait un jour perdre de son aura.
Facteur « prix ». Il s’agit ici d’un des paradoxes des délocalisations dans le luxe : le prix
habituellement pratiqué pour les produits de luxe n’est jamais fonction du pays dans lequel il a été
fabriqué. Si l’on peut présupposer la supériorité du « Made in France » par rapport au « Made in China »,
dans les faits le consommateur payera toujours le même prix pour un produit de luxe délocalisé
comparativement à celui fabriqué dans son pays d’origine. Le prix fait partie des caractéristiques-clés des
marques de luxe39 ; un véritable produit de luxe ne peut donc pas être « soldé » sous le seul prétexte des
délocalisations.
Cette situation que les salariés et les fédérations syndicales déplorent, trouve quelquefois des
justifications au niveau des membres de direction de maisons : le maintien du prix est dû au supplément
de coût engendré par l’effort de créativité :
« … Le prix de vente, ça dépendra de ce qu’on met dans le produit, si vous voulez. Si les
clients nous demandent encore plus de créativité, cela veut dire aussi qu’ils sont prêts à
payer plus pour cette créativité là, c’est-à-dire que vous aurez des gammes encore plus
exceptionnelles. Aujourd’hui on vend certains produits, les produits exceptionnels qui
sont issus des défilés, peuvent être vendus 5000 à 10000 euros le sac. Ca on a des
clients pour ça, ils veulent absolument avoir le must du must en matière de matières, de
39
Parmi les caractéristiques généralement admises pour les produits/marques de luxe, on peut citer : le niveau de
qualité irréprochable (matières premières utilisées et fabrication), le prix élevé, rareté (distribution sélective et
élitisme), beauté, superfluité, longue histoire et respect des traditions et rêve (Dubois et al., 2001 ; Dubois et
Paternault, 1995 ; Lipovetsky et Roux, 2003)
278
qualité et d’unicité, c’est-à-dire que ce sont des séries qui vont être réalisées genre à 35
à 40 exemplaires pour l’ensemble du monde. Ca c’est aussi la démonstration du savoirfaire si vous voulez… » (E-C-1).
Dès lors, produire à l’étranger devient plus intéressant pour les professionnels du luxe, tout en
tenant compte des progrès signalés au niveau des pays de délocalisation et du dynamisme des labels de
provenance. Le « Made in France » ne peut donc plus, à lui seul, justifier le prix demandé aux clients.
Souplesse excessive –que l’on dénonce… tout en profitant- au niveau des règles de
détermination et de marquage du pays de provenance. Les règles de détermination et de marquage du
pays de provenance en vigueur au niveau français et européen sont telles que les professionnels arrivent
facilement à les utiliser en leur faveur. En effet, comme nous l’avons souligné supra, l’étiquette avec
mention du pays d’origine du produit n’est pas obligatoire pour sa commercialisation sauf à induire le
consommateur en erreur au moment de l’achat. Ainsi, lorsque le « Made in France » ne peut être apposé
en raison de délocalisation, on préfère ne rien mettre du tout plutôt que de faire figurer une origine
défavorable pour l’image de la marque et du produit :
« … C’est vrai que là pour le coup les maisons de luxe ont une très grande latitude entre
réaliser jusqu’à 50 % du produit, grosso modo ce sont les standards dans le secteur,
réalisé et/ou fini sur place, on peut apposer le label, cela est relativement souple, y
compris dans le domaine du label « Swiss Made » pour les montres et c’est vrai que
pour l’instant si on ne peut pas apposer de label, si on est dans une délocalisation
extrême, on n’est pas obligé d’apposer de label « Made in China » ou label « Made in
extérieur », finalement. Vous voyez, ce sont quand même des législations qui sont
relativement souples pour les maisons de luxe et pour les industries en général… »
(EXP-L-5).
Ceci étant, certaines maisons tentent de profiter de cette souplesse réglementaire pour détourner la
réglementation en leur faveur : aujourd’hui, « on peut se permettre de ne pas tout faire en France et
d’avoir le label « Made in France » ! » (EXP-L-5). Ainsi, on a connu des cas où les produits
« transitaient », au cours de leur étape de fabrication, par différents pays afin d’obtenir le label le plus
intéressant et ce en l’absence de contrôle strict (FS-HC-2) : les phases les plus consommatrices de maind’œuvre peuvent être extériorisées tout en laissant l’opération d’assemblage en France afin de bénéficier
du label « Made in France » (cf. encadré 1) :
279
Encadré 1
Témoignage d’Hermès à propos d’un de ses concurrents
« … Par exemple, le sac X., le point le plus difficile à réaliser ce sera peut-être la poignée d’un sac.
Donc, la poignée va être faite à l’étranger, elle va revenir, elle va être assemblée dans une usine en
France. […] Voilà et c’est l’élément le plus valeureux, d’une certaine façon, car c’est celui sur lequel on
doit faire intervenir une couture à la main ou je ne sais pas quoi. Donc, je vous dis ça mais je ne devrais
pas le dire de mes camarades de jeu. J’ai croisé l’exemple. Ils ont des participations dans des sociétés qui
sont minoritaires qui travaillent clairement pour eux et se barrent à grande vitesse de la France et dont la
part de sous-traitance reste colossale. Moi, je recrute des types qui sortent de boite et qui bossent à 70 %
de leur temps pour X. et qui partent à l’étranger. Le sourcing mondial, je crois qu’en regardant bien,
Bernard Arnault a dû le décréter. Donc, voilà. Maintenant, le « Made in France », je ne suis pas sûr qu’ils
soient prêts à l’abandonner, en tout cas pas tout de suite, en tout cas je ne les vois pas bien. Mais ils ont
une possibilité de montage qui fait que c’est pas trop compliqué. Les produits tout cuir vont être faits en
France car il est excessivement compliqué d’aller faire des choses à l’étranger sans vouloir marquer le
« Made in à l’étranger » et ramener en France pour assemblage car il faut que les cuirs, c’est comme les
bains de tissus, il faut qu’on puisse bien marier le devant et le derrière, le dessus-le dessous pour que cela
ne fasse pas de défaut. Eux dans leurs produits, c’est du cuir naturel et souvent de la toile enduite qui ne
coute rien, avec un procédé de découpage au laser, il n’y a pas de valeur ajoutée : vous le faites en France
ou finalement en Asie, c’est presque plus cher de le faire en Asie. Par contre, faire une poignée où il va
falloir mettre quelque chose dedans, où il va falloir travailler un bord et ainsi de suite, cela peut être
intéressant d’aller la faire à l’extérieur car cela peut être une heure et demie de travail, deux heures de
travail. Là ça vaut le coup. Et ça aujourd’hui sur certains articles, pas tous mais certains articles ils font de
la sorte et ensuite ils ramènent tout ça dans une usine française et ils assemblent et là c’est un processus
très industriel avec du piquage machine et c’est pareil, il y bien sûr une main d’œuvre, ils sont cinq mille
chez X. mais globalement dans le processus industriel, je pense, la part main-d’œuvre est moins élevée
que la part machine à certains endroits. Marginalement, ce n’est peut-être pas aussi intéressant de foutre le
camp ailleurs et cela permet de maintenir le « Made in France »… »
Vidé en partie de son sens par les pratiques des professionnels, le « Made in France » est remis en
cause par ceux qui optent pour le « Made in Europe » car, selon eux, il convient de raisonner au niveau
européen et non national : « … pour nous, le « Made in » n’existe plus : Bruxelles a dit « plus de « Made
in pays » parce que c’est « Made in Europe »… » (FP-C-1). De plus, d’autres s’interrogent sur l’intérêt de
cette information pour le consommateur dans la mesure où elle fait double emploi avec la marque : « …
nous on vend des Chanel, des Dior. Le « Made in France » est inclus dedans. On n’a pas besoin de
rajouter Made in France derrière… » (EXP-L-6). Ces deux points sont développés dans les deux points
suivants.
« Made in France » versus « Made in Europe ». La question de l’Europe et de sa législation a
été évoquée à multiples reprises. L’un des objectifs du label européen est de permettre l’émergence d’une
véritable identité européenne en tant que fabricant. Ainsi, tous les produits fabriqués au niveau européen
devraient porter la mention « Made in Europe » au lieu de « Made in [pays] ». Même si l’idée semble
justifiée, l’esprit de ce label pose problème à tous les répondants, à plus d’un titre, et ce qu’ils soient
dirigeants, salariés ou syndicats.
280
En effet, le label européen semble dépourvu de sens pour le consommateur (FP-H-3). De plus,
l’élargissement européen de ces dernières années rend les choses encore plus floues car « le fait d’apposer
« Made in Europe [rendra] « Made in Poland » équivalent à « Made in France » ! »
(EXP-L-6) alors même qu’il n’existe pas d’homogénéité entre les niveaux de vie ni les niveaux de qualité
de production dans les différents pays européens. Ainsi, un « Made in Europe » serait moins porteur en
tant que vecteur d’image qu’un « Made in France » ou un « Made in Italy » (EXP-L-5). Bien au contraire,
son apposition risquerait de dévaloriser les produits de luxe (E-H-3), à moins de concerner certains types
ou segments de produits40 : sur les produits de luxe, sur l’artisanat « il faut qu’on garde la culture de
chaque pays » (E-HC-2). Pour le moment optionnel, s’il venait à être rendu obligatoire, les professionnels
de luxe n’hésiteraient plus à en profiter pour fabriquer dans les pays de l’Est plutôt qu’en France dans la
mesure où le label final auquel ils pourraient prétendre serait le même : « Made in Europe ». Serait-ce
aussi la fin du « Made in France » ?
Présomption d’une faible attention prêtée au label « Made in » par les consommateurs…
français. Selon les professionnels, les consommateurs, en particulier les plus « évolués », ne doivent pas
être sensibles à l’information sur la provenance des produits de luxe et ne « s’en préoccupent pas
tellement au moment de l’achat » (EXP-L-2). Ainsi, ils seraient complètement habitués « à la
mondialisation, à travailler partout, à acheter des produits du monde entier » (E-H-5) tout en sachant que
la traçabilité des produits de luxe reste complexe du fait de l’intervention de plusieurs pays dans la
fabrication de certains produits. Il n’est donc pas certain que les consommateurs fassent attention au fait
qu’une partie de la collection soit fabriquée à un endroit ou « que la maille soit faite en Italie… »
(EXP-L-1), du moment que la qualité est parfaite :
« … Bon en fait, le consommateur, je pense… ce qu’il veut en fait c’est un beau produit
[…] il veut que son produit soit impeccable, et qu’il n’accorde pas la même… cette
importance au « Made in »… je pense que… et ça va continuer je pense à évoluer dans
ce sens hein… » (E-H-5) ; « … je pense que dans le reste du monde c’est beaucoup
différent. En Italie, en France, je pense qu’avant de lire « Made in China », il y a
beaucoup de consommateurs qui sont capables de voir si une veste est bien faite ou
pas… » (E-H-2).
Ce manque d’attention peut être dû au rôle joué par d’autres critères d’achat, tels la marque et le
style français. Les marques pourraient être utilisées comme la caution des produits ; quel que soit leur
pays de provenance, elles semblent rassurer plus le consommateur que le « Made in » (EXP-L-6) :
« Le fait que ce soit estampillé Hugo Boss, Dolce&Gabanna, Dior ou Chanel, etc., sans
label « Made in », peut être suffisant pour susciter l’attrait pour ce type de produits »
(EXP-L-5). « … Moi, je pense quand même qu’évidemment dans l’ensemble, les gens
préfèrent le « Made in ». Mais si le produit est attractif, des gens ils s’en foutent, surtout
maintenant. Moi, personnellement, si j’ai envie d’un produit Dior que je trouve très bien,
j’irai jouer plus sur la caution Dior, en me disant c’est du Dior, je m’en fiche où c’est
fait ! » (E-HC-2).
Quant au style français, les structures créatives restent généralement en France (EXP-L-3) à la différence
des étapes inhérentes au cycle de production.
De plus, il n’y a pas de consensus parmi les acteurs sur la sensibilité des consommateurs aux
questions éthiques. Si pour les uns, le cœur de cible des produits de luxe n’a pas beaucoup de valeurs
éthiques et qu’il n’est pas sensible aux valeurs collectives pouvant être transgressées avec un « Made in »
40
Notre étude confirme notamment les conclusions de Schweiger et al. (1995) sur l’intérêt du marquage européen
281
associé à des pays impliquant le travail des enfants (EXP-L-7) ; pour d’autres, au contraire, la
consommation éthique ferait toujours partie des préoccupations actuelles des consommateurs sans que
ceci les rende pas sensibles au « Made in » (EXP-L-4). Dès lors, l’apposition d’un label n’est pas
forcément un gage d’achat du moment qu’il n’y a pas de label « Made in China » qui, lui, pourrait être
déstabilisant pour le consommateur (EXP-L-5).
Discussion et conclusion
Le « Made in France » devra aujourd’hui faire ses preuves quant au sens qu’on va lui attribuer
dans un contexte où toutes les sociétés, sans exception, ont réfléchi à un moment donné à l’éventualité de
délocalisation. S’il s’agit d’un véritable vecteur marketing ou de valeur ajoutée des produits de luxe par
rapport aux d’autres produits, qu’ils soient ou non de luxe, il risque de perdre de la substance et de
l’avantage concurrentiel étant donné que les pratiques des professionnels vont à contresens des codes
habituellement reconnus au luxe : qu’en est-il en effet de la qualité perçue des produits de luxe lorsqu’on
sait que les pays dans lesquels on est tenté de délocaliser ne correspondent pas toujours à la nécessaire
congruence « luxe-pays » (Koromyslov, 2007) ; qu’en est-il de la justification du différentiel de prix
pratiqué pour les produits lorsque ces derniers n’affichent plus le « Made in » cohérent avec l’image des
marques ; qu’en est-il du respect de l’élaboration des produits de luxe, jugé indispensable pour faire partie
de la catégorie « luxe » ?
Notre article montre d’une part les limites des labels avec leurs sources d’inefficacité mais aussi
leur puissance. Ils facilitent la décision d’achat des consommateurs qui, face à deux produits parfaitement
identiques auront tendance à aller vers les labels qui leur sont familiers et qui sont surtout cohérents avec
leurs attentes. Ceci est particulièrement vrai pour les clients étrangers étant donné que les produits de luxe
sont exportés à plus de 80 % (AT Kearney, 2005, cité dans « L’Expansion », décembre 2006). Les
professionnels en semblent conscients : si pour la plupart, ils admettent le faible manque d’attention des
consommateurs français à la provenance des produits, tous s’accordent pour dire que les consommateurs
étrangers, eux, y sont très attentifs41 :
« … Je pense que quand on vend le Made in France, on vend peut-être bien autre chose
que la qualité de la fabrication quand c’est à l’étranger : là on va vendre une
connotation, un ensemble de représentations qui sont beaucoup plus valorisantes que la
simple qualité ! Vous allez avoir une espèce de tradition, vous achetez de l’histoire, une
part de patrimoine mondial, vous achetez le romantisme, la parisienne… » (EXP-L-2).
Or, le « Made in France » est l’attribut qui véhicule la tradition et le savoir-faire des maisons
françaises s’appuyant sur le fait que les produits sont toujours fabriqués sur leur lieu de production
habituel (EXP-L-1) et « c’est quand même ce que viennent chercher les étrangers lorsqu’ils viennent en
France normalement ! » (S-H-1). Les professionnels en prennent conscience en dénonçant eux-mêmes les
pratiques de certaines maisons dans leur gestion du « Made in » et réclamant plus de transparence sur la
traçabilité des produits. Ils vont même plus loin en souhaitant une réglementation plus stricte sur le pays
d’origine et, surtout, le renforcement des contrôles en la matière à l’instar de ce qui se pratique aux EtatsUnis ou au Japon :
41
Selon les estimations, les Chinois devraient être les premiers clients du luxe à horizon 2011 (Collomp, 2005a).
Friands du « Made in France », on peut dès lors se poser dans quelle mesure ils accepteront de voir les produits
français de luxe délocalisés ?
282
« … Le contrôle devrait être un peu plus sévère. Il devrait y avoir, comme c’est le cas
dans les Etats-Unis, un pays d’origine déclaré sur l’étiquette. Il est bien clair que si le
fabricant veut faire ses produits en Egypte, en Chine ou au Maroc, le problème est que
le consommateur doit être au courant que le produit a été fait là et qu’il doit y avoir le
prix conforme à la provenance. […] C’est pour cela que je dis que la législation
européenne devrait être plus ferme sur la nécessité d’indiquer le pays d’origine de façon
bien claire car aujourd’hui, au sein de l’Europe, le fabricant n’est pas obligé de mettre
le pays d’origine… » (E-H-3).
Un constat qu’il convient néanmoins de faire est le glissement du débat sur le seul pays de
production et l’étiquette associée (« Made in France ») vers la reconnaissance du poids croissant de
l’étape amont, à savoir la création. En effet, les acteurs admettent que celle-ci contribue à nourrir
l’imaginaire des marques de luxe tout en renforçant leur statut (EXP-L-6). Elle fait partie de leurs
paramètres-clés (EXP-L-1) et nécessite de comprendre le client pour « faire sa mode et lui donner envie
d’acheter les produits » (EXP-L-2). C’est en cela que les professionnels la considèrent comme importante,
centrale et stratégique. S’il existe aujourd’hui des Chinois capables de rivaliser sur la fabrication de
certains types de produits, les créateurs chinois sont encore loin d’égaler les créateurs français. « Le label
« création » est à Paris » (FP-H-3) qui constitue le lieu mondial de reconnaissance de la création.
Dans un contexte de production de plus en plus délocalisée ne permettant plus aux entreprises
d’apposer le label « Made in France » sur les produits dont l’essentiel de production n’a pas été obtenue
en France, le législateur étudie en effet la possibilité de création d’un label « Conçu en France » ou
« Design by France ». Cette possibilité est à l’étude auprès du Ministre de l’Economie et fait écho au
récent rapport Lévy-Jouyet sur l’économie de l’immatériel (Lévy et Jouyet, 2006) dans lequel la création
est présentée comme la seule alternative de l’économie française. On assisterait donc à une véritable
mutation industrielle car on laissera à la France la création de la valeur ajoutée et aux pays à faibles coûts
de main-d’œuvre, la fabrication (« Faut-il avoir peur de la délocalisation », 2002). Le mot d’ordre étant de
se spécialiser là où l’on est le plus fort.
Ainsi, le nouveau label créé donnerait notamment la possibilité aux produits délocalisés mais
réalisés selon le style, l’image ou le design français d’afficher la provenance française du moins pour
l’étape de création. Il devrait se substituer au label « Made in France » et être plus réglementé que ce
dernier (Collomp, 2005b). Par exemple, il pourrait être apposé sur tous les vêtements de manière
volontaire qu’ils soient fabriqués en Chine, en France ou dans un autre pays à condition que les maisons
gardent un minimum de fabrication française dont le pourcentage n’a pas encore été décidé
(5 %, 15 % ou 30 %). Selon les acteurs, pour être créatif, il faut conserver un minimum d’industrialisation
(en évitant de tout délocaliser) et avoir un outil de production à proximité (FP-H-3). Ce faisant, la création
se fait confier une mission (impossible ?) de sauver la production et par là-même le « Made in France ».
Les points énoncés ci-dessus reflètent l’espoir porté par les industriels du secteur. Reste à
connaître l’importance accordée à l’étape de création par les consommateurs comparativement à celle de
production. L’analyse conjointe avec la méthode du « trade-off » devrait apporter des réponses à ce sujet
et présente de ce fait une première voie de recherche possible.
Une deuxième avenue de recherche répond à la limite de ce travail due à notre échantillon. En
effet, il s’agit d’un échantillon de convenance constitué de professionnels ayant accepté de participer à
une étude sur les délocalisations dans le luxe que nous avons, d’ailleurs, limitée à la seule filière THC
luxe et aux deux segments « habillement-prêt-à-porter » et « maroquinerie-cuir ». D’autres segments
d’offre, tels que les parfums, la joaillerie, voire le secteur des services, mériteraient d’être pris en
considération.
283
Enfin, en troisième lieu, le « Made in » pourrait être traité sous l’angle de l’engagement éthique
de l’entreprise ou de la responsabilité sociale tant vis-à-vis des salariés dans le cadre des fermetures
d’usines résultant des délocalisations que des consommateurs. Le travail de Gabriel et Urien (2006) à
travers l’approche basée sur les valeurs de consommation associées au « Made in » va dans ce sens.
Annexe 1
Extrait de guide d’entretien utilisé auprès des entreprises de la filière THC Luxe
(seules les thématiques relatives aux labels d’origine sont présentées ici)
CONSIGNE INITIALE :
« Bonjour ! Je m’intéresse à l’industrie du luxe, l’un de mes questionnements aujourd’hui portant sur la
problématique de la fabrication au sein de ce secteur et notamment la place du Made in France. Les
segments du prêt-à-porter et de la maroquinerie de luxe font partie de cette étude. C’est la raison pour
laquelle je prends contact avec vous pour recueillir votre point de vue sur la question. Bien entendu, je
vous garantis l’anonymat de vos réponses. Notre entretien est prévu pour durer vingt à trente minutes
environ. Que pouvez-vous me dire quant à l’organisation de la production au sein de votre entreprise ? ».
THÉMATIQUES À ABORDER AU COURS DE L’ENTRETIEN :
[…]
Origine française et marquage :
- Rôle du Made in France dans le luxe et dans [HABILLEMENT-PRET-A-PORTER] ou
[MAROQUINERIE-CUIR]
- Origine française du produit : que cela signifie-t-il ?
- Fabriqué en France / Dessiné en France… : importance relative de chacune de ces étapes
- Attention portée par le consommateur à l’origine des produits dans le luxe
- Met-on en avant l’origine française ?
[…]
284
Annexe 2
Extrait de grille d’analyse
(seuls les traitements relatifs aux labels d’origine et la politique de marquage sont présentés ici)
THÈMES
SOUS-THÈMES
[…]
[…]
Facteurs réglementaires / Règles de
marquage du pays d’origine
Dynamisme du label « Made in »
Label « Made in Europe »
Faible attention portée au label « Made
in » par le consommateur
[…]
[…]
[…]
Vecteur marketing
Valeur ajoutée
Crédo ou nerf de la guerre
Non utilisation
[…]
FACTEURS FAVORISANT
LES DÉLOCALISATIONS
UTILISATION DU LABEL
« MADE IN » PAR LES
PROFESSIONNELS
[…]
DISCOURS
(VERBATIMS)
Annexe 3
Echantillon global de professionnels du luxe
TEXTILEHABILLEMENTCUIR
EXPERTS LUXE
SEGMENT
ORGANISME CONTACTÉ
FONCTION DES RÉPONDANTS
Comité Colbert
Eurostaf
RISC International
Chargé de mission
Chargé de mission luxe
Chargée de mission luxe
1. Président
2. Directrice associée, chargée d’études et
conseil
3. Consultante en fabrication et politique
industrielle
4. Economiste, chargé de l’étude de la
conjoncture économique
Institut Français de la Mode (IFM)
FÉ
DÉRATIONS
PROFESSIONNELLES
Pa trona les :
Fédération Française de la Couture, du Prêt-àPrésident de la Fédération
Porter des Couturiers et des Créateurs de Mode
Union Française des Industries de l’Habillement
Directeur
des
affaires
économiques
et
285
(PAP Homme)
internationales
Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin
Président
Fédération Française de la Maroquinerie
Président
Sa la r iés :
Fédération THC (textile-habillement-cuir) de la Secrétaire général de la Fédération, salarié dans
CGT
une société de PAP Homme
1. Secrétaire confédéral de la Fédération,
Fédération Hacuitex (habillement-cuir-textile)
responsable de la branche textile
de la CFDT
2. Responsable de la branche Maroquinerie-Cuir
Fédération Textile de la CFTC
Secrétaire général de la Fédération
ENTREPR
Yves Saint-Laurent
Christian Dior Couture
Hermès
Louis Vuitton
Chanel
Yves Saint-Laurent
Ungaro
Louis Vuitton
Hermès
ECCE
Mendès
ISES
M e mbr es d e d i re c t ion :
Directeur industriel PAP Homme et Femme
1. Directeur de production PAP Femme
2. Directeur de production PAP Homme
3. Directeur administratif produits, division Cuir
4. Directeur marketing et opérationnel de la
marque
1. Directeur de production PAP Femme
2. Directrice de production PAP Homme
3. Directrice du département Soie
4. Directeur général, division Cuir
5. Directeur de la logistique et de la chaîne
d’approvisionnement, division Cuir
Directeur d’usine
1. Directrice internationale marketing
2. Directeur qualité
Sa la r iés :
Employée de services généraux
Employée de production
Employé de production
Employé de production
Employée de production
Employée de production
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