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AGAPES
par MARIN WAGDA
Bricks en vrac
à l’ouest d’Ithaque
Inévitablement, un voyage
à l’ouest d’Ithaque, où se déroula
presque toute l’Odyssée,
nous emmène vers la Tripolitaine,
à Djerba, au pays des mangeurs
de lotus. Au Maghreb, où l’on
déguste les traditionnels
et délicieux bricks, bouraks
et briouates.
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Traditionnellement, le brick de base dans tout le Maghreb est à la
viande hachée. Mais, plus élémentaire, et très rapide à faire, le
brick à l’œuf tunisien est d’une absolue simplicité. On casse un œuf
au milieu d’une feuille, on sale et on poivre avec sagesse. On replie
la feuille en forme de rectangle ou de chausson en demi-lune et on
la fait frire dans une poêle. Le choix du corps gras est ici important
car il influence le goût du mets dans une préparation très épurée.
On choisira donc le beurre, l’huile d’olive ou une matière plus
neutre selon ses inclinations personnelles. On peut agrémenter
l’œuf d’herbes hachées diverses, d’un tout petit peu d’ail, d’oignon
râpé ou d’épices, mais il faut se rappeler que l’œuf cuit à peine et
que les produits ajoutés risquent de demeurer crus. Il convient dès
lors de les mijoter avant ou de ne pas prendre de risque, la simplicité d’une saveur pure étant ici de meilleur aloi.
Malheureusement, la simplicité s’arrête là car il faut avouer que le
brick à l’œuf se mange brûlant et coulant, avec les doigts, et avec
la célérité la plus grande pour éviter que le jaune ne dégouline sur
la cravate, la nappe et les genoux. L’idéal serait de déguster la
chose couché à plat ventre, la tête au-dessus d’une assiette.
Malheureusement l’usage de manger couché s’est un peu perdu
dans les dîners en ville depuis la fin de l’Empire romain.
Les observateurs l’ont noté depuis des lustres, la nature de l’œuf
sorti de sa coquille est extrêmement espiègle tant qu’on ne l’a pas
figé par une cuisson sans pitié. Nous aurions aimé le dissimuler
aux âmes sensibles, mais avant même de passer à la poêle, dans sa
feuille de brick si accueillante, l’œuf cru manifeste souvent une
humeur vagabonde et glisse du chausson replié où on a cru l’enfermer pendant le laps de temps où on le transborde dans la
poêle. Alors les maladroits avisés préfèrent le pliage en portefeuille, rabattant vers le centre les côtés arrondis de la feuille de
brick pour former un rectangle étanche réprimant fermement les
velléités d’évasion.
N° 1252 - Novembre-décembre 2004
On peut aussi commencer à faire frire dans une petite poêle la feuille de
brick, en prenant soin de ne cuire que le centre, casser l’œuf dessus,
replier les bords en rectangle ou en chausson et retourner le tout pour
dorer l’autre face. Les plus fins politiques, prudents et avisés, prennent la
précaution d’enrober l’œuf de deux ou trois feuilles superposées. Le brick
à l’œuf y gagne en croustillant et en tenue.
Pourtant, même si ce brick est un en-cas très populaire et simple à réaliser, malgré les humeurs de l’œuf cru, il est loin d’être le plus répandu au
Maghreb ou du moins n’en parle-t-on guère dans les livres de recettes.
Chacun sait faire cela ou croit savoir. Seuls quelques sages, érudits et avisés, rappellent que cette préparation n’est pas un vulgaire œuf frit mais
quelque chose de beaucoup plus complexe dont nous reparlerons peutêtre un jour.
La variété des bricks à la viande
Pour l’heure, il nous convient de dire ce qu’est la farce la plus répandue
pour les bricks tunisiens, bouraks algériens ou briouates marocains. De la
viande hachée de bœuf ou de mouton, ou les deux à la fois, se retrouve partout. Inévitablement des oignons
revenus dans l’huile ou beurre,
Le brick au fromage, b-l-jben,
avec lesquels cuisent ensuite la
se cuisine le plus souvent avec du gruyère,
viande et le reste des ingrédients.
Pour donner du moelleux, certaisurtout en Algérie, où bien des produits
nes cuisinières utilisent une purée
traditionnels ont disparu. Au Maroc et en Tunisie,
de pommes de terre. Cependant,
survit encore le véritable jben.
la tradition destine plus généralement l’œuf à cet usage. Il est
incorporé en fin de cuisson de la farce, ou mélangé préalablement à la
viande hachée. Il arrive parfois que l’œuf serve à préparer une omelette
qui rejoint la farce dans la feuille de brick. On peut aussi trouver de l’œuf
dur écrasé, lui-même amalgamé au reste à l’aide de l’œuf cru.
Au-delà de cette base, divers assaisonnements peuvent s’imaginer. La
Tunisie privilégie le tabel pour ces bricks à la viande. C’est un mélange où
domine de la graine de coriandre moulue, avec de l’ail, du piment et du
carvi en proportions variables. Mais toutes épices, herbes et condiments
s’utilisent encore dans ce pays.
En Algérie, ce brick classique à la viande ne se désigne pas en référence
à la farce tant cela va de soi. Il s’appelle bourak b-dioul, ce qui pourrait
se traduire par “friand de feuilles de brick”. On utilise volontiers la cannelle pour ces bouraks et l’on marie parfois la viande à de l’épinard ou à
des feuilles de blettes. Souvent ils accompagnent directement un plat de
viande dont ils constituent la décoration.
Au Maroc, les bricks s’appellent briouates. Avec de la viande, ils sont
appelés “briouates b-l-kefta”. On y trouve aussi de la cannelle et des
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herbes selon la fantaisie du cuisinier. Il arrive parfois que l’on sucre la
farce et que l’on mette à disposition des convives du sucre glace et de la
cannelle pour saupoudrer à leur gré ces feuilletés. Cela dit, pour la farce
à la viande elle-même, la plus grande liberté reste de mise. On la parfume
souvent à la coriandre, on y ajoute des amandes hachées ou de l’eau de
fleur d’oranger. On peut aussi la pimenter fortement.
Farces diverses
Au Maroc, en dehors de la farce à la viande, les briouates peuvent se garnir de tous les ingrédients servant à la bastella, c’est-à-dire pigeon, poulet, poisson, crevettes avec ou sans autres fruits de mer. On en trouve
aussi de délicieux à la cervelle d’agneau.
Parmi les poissons, le thon est souvent privilégié. On en utilise du fraîchement pêché, que l’on émiette dans la ouarqa avec des oignons dorés.
On peut aussi rajouter du chou râpé. Habituellement, le condiment propre
au poisson reste le cumin, avec parfois de la coriandre. Une boîte de thon
au naturel peut pallier l’absence de thon frais. Au demeurant, c’est souvent le cas et les ménagères de tout le Maghreb n’envisagent même pas
que l’on se mette en quête de thon
frais. En effet, le poisson conditionné
Si certaines ménagères utilisent
règne désormais sans partage dans
la purée de pommes de terre, d’autres,
toutes les cuisines, avec divers accomencore plus perméables aux modes
modements, d’Agadir à Gabès.
européennes, se servent de béchamel.
Mais, outre des bouraks à la viande et
au thon, en sus de la transformation
La cuisine des feuilletés maghrébins, à l’ouest
de farce à bastella en farce à briouate,
d’Ithaque, est donc ouverte à tous vents.
il existe dans tout le Maghreb d’innombrables recettes de bouraks et
bricks. Nous en trouverons b-l-jaj (au poulet), b-l-batata (aux pommes de
terre) ou b-l-jben (au fromage). Ce fromage est le plus souvent du gruyère,
surtout en Algérie où bien des produits traditionnels ont disparu. Au
Maroc et en Tunisie survit encore le véritable jben, fromage blanc très
ferme, autrefois égoutté dans des paniers d’alfa et vendu sur les marchés
dans des feuilles de vigne. Il existe aussi le bourak b-selk, avec des épinards, que l’arabe classique dénommerait bi-l-isfinakh, terme passé au
XIIIe siècle dans la langue française à travers l’espagnol espinaca.
Tous ces produits s’amalgament à ce que l’on trouve dans toutes les farces :
oignons, œufs durs et œufs crus et toutes les herbes et épices que l’on voudra. Si certaines ménagères utilisent la purée de pommes de terre,
d’autres, encore plus perméables aux modes européennes, se servent de
béchamel. La cuisine des feuilletés maghrébins, à l’ouest d’Ithaque, est
donc ouverte à tous vents. En tout cas, la cuisson est toujours une friture,
même pour ceux qui constituent des desserts, avec des garnitures tout
aussi variées.
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Bricks de dessert
Naturellement, à l’instar de la farce à la viande pour les recettes salées,
la farce à la pâte d’amandes, avec cannelle et eau de fleur d’oranger, éventuellement gomme arabique, reste le grand classique des feuilletés
sucrés. On en dépose un peu dans une feuille de dioul, on la replie en
forme de cigare, on fait frire et on arrose de miel. On obtient ainsi des
bouraks (ou bricks) b-l-louz (aux amandes). La forme triangulaire est privilégiée au Maroc pour ces pâtisseries que l’on parsème parfois de graines
de sésame, mais il existe aussi dans ce pays des cigares nommés mghzilat, farcis d’un mélange de pâtes d’amande et de sésame. En Algérie et en
Tunisie, les feuilletés à l’amande prennent le nom de samsa lorsqu’ils
sont triangulaires.
À côté de la pâte d’amande, nous trouvons de la farce au riz sucré cuit
dans du lait et parfumé à l’eau de fleur d’oranger, parfois avec des
amandes hachées. Enfin, les cuisinières marocaines ont inventé un
mélange de dattes et de noix de coco, les briouates b-tmar wa coco, avec
de la cannelle et de l’eau de fleur d’oranger. Toujours frits, enduits de
miel, ils se dégustent saupoudrés de noix de coco râpée.
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