litige - McCarthy Tétrault
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CoConseil CoConseil McCarthy Tétrault : litige Volume 2, numéro 3 Novembre 2008 — Février 2009 CoConseil : litige Volume 2, numéro 3 Voici le volume 2, numéro 3 du CoConseil McCarthy Tétrault : litige. Dans le présent numéro, nous présentons les faits nouveaux dans le domaine du litige : des articles sur des sujets allant des recours collectifs, de l’arbitrage et des délits civils à la propriété intellectuelle et au litige fiscal, ainsi que des articles portant sur des décisions récentes dans les domaines du droit relatif au respect de la vie privée, du droit de l’emploi et du droit administratif. Nous sommes également fiers de vous présenter le premier guide canadien complet sur le droit relatif à l’utilisation du courrier électronique. Notre article relatif aux recours collectifs aborde la question de savoir si un défendeur peut présenter une requête visant à rejeter un recours collectif une fois que le recours a été autorisé — ou si une telle requête constitue un appel déguisé. Dans notre article relatif aux délits civils, nous abordons l’obligation de diligence des médecins envers les enfants à naître de leurs patientes. En ce qui concerne le domaine de la propriété intellectuelle, nous présentons un commentaire d’arrêt dans lequel nous discutons des limites des recours dans le secteur pharmaceutique. Et dans le domaine du litige fiscal, nous discutons d’un cas important qui permet l’accès au contrôle judiciaire de certaines décisions ministérielles. La présente édition contient également une discussion d’une affaire dans le cadre de laquelle la Cour suprême du Canada impose des limites à une exclusion qui se trouve dans un grand nombre de polices d’assurance, ainsi que deux articles où nous abordons la façon dont les tribunaux ont suivi d’importantes décisions de la Cour suprême du Canada. Dans le domaine du droit administratif, nous examinons la façon dont l’arrêt Dunsmuir a été appliqué au pays. Dans le domaine de l’arbitrage et des recours collectifs, nous vous fournissons une mise à jour sur le traitement de deux cas célèbres, Dell et Rogers. Nous vous présentons également trois articles portant sur un sujet qui semble préoccuper beaucoup de monde : le droit à la vie privée et les limites relatives à la production de documents. Un article porte sur les événements récents dans le domaine du droit relatif au respect de la vie privée, et aborde la façon dont les tribunaux réconcilient les préoccupations concernant le respect de la vie privée et les règles relatives à la production de documents. Le deuxième article traite d’une décision récente qui confirme le privilège d’enquête par rapport à la production de documents. Le troisième article porte sur le droit de l’environnement et aborde la question du respect de la vie privée, et examine la légalité des ordonnances obligeant un témoin à fournir une preuve. Nous présentons également des articles relatifs à l’importance fondamentale de rédiger attentivement des ententes. L’honorable James M. Farley, c.r., dans sa chronique régulière, discute de décisions récentes traitant des activités concurrentielles d’anciens employés, qui démontrent la façon dont une décision d’un tribunal peut être liée à la rédaction de la clause. Un autre article, qui aborde un point semblable concernant la rédaction, traite du droit d’un propriétaire de résilier un bail. Finalement, nous présentons un article qui s’adresse aux prêteurs, qui traite de la question des dispositions relatives au changement défavorable important du marché, et fournit des conseils à l’égard de la négociation et de la rédaction d’une entente afin d’améliorer l’opposabilité de celle-ci. Nous nous efforçons de publier des articles qui vous sont utiles et qui illustrent notre connaissance des besoins diversifiés, et partagés, de nos clients. Nous aimons recevoir vos commentaires et nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions. Si vous n’êtes pas actuellement abonné à cette publication mais souhaitez faire ajouter votre nom à la liste, n’hésitez pas à communiquer avec nous. Bonne lecture! Geoff R. Hall (Toronto) Rédacteur en chef Shaun Emery Finn (Montréal), Kara L. Smyth (Calgary), Miranda Lam (Vancouver) Marie Maron Avocate, Gestion des connaissances, groupe de litige Mars 2009 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Table des matières Publications......................................................................................... 1 Parution du premier guide canadien complet sur le droit relatif à l’utilisation du courrier électronique .........................................................................................1 Droit administratif ................................................................................ 2 Analyse de l’arrêt Dunsmuir .....................................................................................2 Arbitrage ............................................................................................ 4 Évolution du paysage de l’arbitrage — Répercussions des arrêts Dell et Rogers ........................4 Recours collectif................................................................................... 7 Appel au pragmatisme ............................................................................................7 Communication préalable ......................................................................10 Protection des renseignements personnels et règles des tribunaux relatives à la production de documents : quelques décisions récentes ............................................ 10 Privilège ............................................................................................15 La Cour suprême de la Colombie-Britannique maintient le privilège de l’enquête interne ......... 15 Litige en propriété intellectuelle .............................................................16 Décision rendue par la Cour fédérale dans le cadre de la première cause portant sur les dommages-intérêts prévus à l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) : le recours prévu aux termes de l’article 8 ne comprend pas les profits de l’innovateur ..................................................................................... 16 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Droit des assurances .............................................................................20 La Cour suprême du Canada restreint la portée de l’exclusion relative à la conception défectueuse dans les polices d’assurance tous risques et des constructeurs .......................... 20 Locateur et locataire ............................................................................22 Orbus Pharma Inc. v. Kung Man Lee Properties Inc. — La résiliation du bail commercial « de préférence » au consentement à la cession : tout est dans la rédaction du bail ............... 22 Droit de l’environnement ......................................................................25 L’affaire Michael Branch v. Her Majesty the Queen (Minister of the Environment) : La Cour supérieure de justice de l’Ontario règle la question de la légalité des ordonnances contraignant des témoins à fournir des preuves dans le cadre d’enquêtes du ministère de l’Environnement ... 25 Valeurs mobilières ...............................................................................27 Changements défavorables importants du marché......................................................... 27 Litiges fiscaux .....................................................................................29 L’affaire Chrysler Canada Inc. v. Canada : Les contribuables sont autorisés à demander un contrôle judiciaire des décisions ministérielles aux termes de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis (1980)...................................... 29 Délits civils.........................................................................................31 Les médecins ont-ils une obligation de diligence envers les enfants à naître de leurs patientes? .............................................................................................. 31 Observations de Me Farley......................................................................33 Leçons récentes : Concurrence loyale d’anciens employés............................................... 33 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Publications Parution du premier guide canadien complet sur le droit relatif à l’utilisation du courrier électronique Le premier guide canadien complet sur le droit relatif à l’utilisation du courrier électronique vient de paraître. E-mail Law, rédigé par les avocats Charles Morgan et Julien Saulgrain du groupe du droit de la technologie, au bureau de Montréal, donne une vue d’ensemble des principales conséquences juridiques de l’utilisation du courrier électronique, soit l’application technologique la plus utilisée dans le monde. L'ouvrage renferme des analyses systématiques des courants actuels et à venir, de l'information de pointe sur les contrats électroniques, les pourriels, la surveillance de l'utilisation du courrier électronique, la conservation des documents et le courriel comme élément de preuve. E-mail Law s’adresse aux conseillers juridiques, aux professionnels en ressources humaines et aux chefs d’entreprise. Il renvoie à la jurisprudence, aux législations et aux orientations canadiennes et américaines. En outre, les auteurs ont su tirer parti de leurs nombreuses années d’expérience pratique dans ce domaine. Page 1 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Communiquez avec : Charles S. Morgan à Montréal à [email protected] ou Julien Saulgrain à Montréal à [email protected] Droit administratif Analyse de l’arrêt Dunsmuir Nous avons commenté l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII) dans notre édition de juin 2008, et avons prédit qu’à la suite de la nouvelle approche fondée sur deux normes de la Cour suprême à l’égard du contrôle judiciaire et des limites imposées à la norme de la décision correcte, une plus grande importance pourrait être accordée aux décisions des tribunaux administratifs. Quelques mois se sont écoulés et nous sommes maintenant en mesure de vérifier notre prédiction et d’examiner de quelle façon les tribunaux de première instance traitent la nouvelle approche à l’égard du contrôle judiciaire. Nous sommes fiers d’affirmer que nous avions raison, ou presque. Au début de l’année, et seulement dix mois après la publication de l’arrêt Dunsmuir, nos recherches électroniques ont révélé qu’environ 700 décisions publiées en anglais tenaient compte de l’arrêt Dunsmuir. Après avoir examiné ces décisions, nous avons constaté qu’elles appuyaient généralement les deux normes. Bien qu’un certain nombre de décisions rendues après l’arrêt Dunsmuir aient appliqué la norme de la décision correcte, ces décisions se limitaient, pour la plupart, aux questions touchant à la compétence ou à la constitutionnalité, aux questions d’équité procédurale et aux questions de droit d’importance générale et qui étaient manifestement étrangères au domaine d’expertise des tribunaux administratifs. Page 2 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Les questions de fait, les questions mixtes de droit et de fait ainsi que les questions touchant au pouvoir discrétionnaire ont été réglées, presque invariablement, en se fondant sur la norme de la raisonnabilité. Nous notons qu’il y avait place à l’interprétation et que les tribunaux de première instance pouvaient appliquer divers degrés de déférence d’après un commentaire formulé par la majorité dans l’arrêt Dunsmuir, selon lequel il peut y avoir des « degrés de déférence » (Dunsmuir, au par. 135) et le commentaire du juge Binnie selon lequel il peut y avoir un « degré de déférence distinct […] à l’intérieur d’une seule norme de raisonnabilité » (Dunsmuir, au par. 139). Toutefois, les cours d’appel de l’Alberta et de l’Ontario ont clairement rejeté cette approche et ont affirmé qu’il n’existe qu’une seule norme de raisonnabilité : voir (versions anglaises seulement) International Assn. of Machinists and Aerospace Workers, Local Lodge No. 99 v. Finning International Inc., [2008] A.J. No. 1311, 2008 ABCA 400; et Mills v. Ontario (Workplace Safety and Insurance Appeals Tribunal), 2008 ONCA 436 au par. 18, [2008] O.J. No. 2150. L’arrêt Dunsmuir a manifestement modifié la norme du contrôle judiciaire en common law. Mais cet arrêt a créé une certaine incertitude pour les cours fédérales et les cours de la Colombie-Britannique lorsqu’il s’agit d’examiner des décisions qui sont assujetties à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7, et aux articles 58 et 59 de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Administrative Tribunals Act, S.B.C. 2004, ch. 45 (l’« ATA »). Ces deux lois ont codifié essentiellement les normes adoptées par la Cour suprême. Elles font en sorte que certains types de décisions administratives doivent être examinés en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable, c’est-à-dire la norme qui a été abolie par la Cour suprême parce qu’elle était dénuée de sens (Dunsmuir, aux par. 34 à 45). Cela a donc entraîné un partage des décisions des tribunaux. En Colombie-Britannique, la plupart des juges ont continué à appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable dans les décisions des tribunaux assujettis aux dispositions relatives à la norme de contrôle de l’ATA : voir par exemple (versions anglaises seulement) Evans v. University of British Columbia, 2008 BCSC 1026 aux par. 6 à 12; Brown v. British Columbia (Residential Tenancy Act), 2008 BCSC 1538 au par. 37; Carter v. Travelex Canada Ltd., 2008 BCSC 405 aux par. 14 et 26; et Lavigne v. British Columbia (Workers Compensation Review Board), 2008 BCSC 1107 au par. 98. Dans ces affaires, les juges ont conclu que la législation l’emporte sur la common law. Fait intéressant, le juge Macaulay dans l’affaire Evans a fondé la norme de la décision manifestement déraisonnable sur le jugement du juge Binnie dans l’affaire Dunsmuir et a conclu qu’il existe certaines « dimensions distinctes relativement à la déférence qui s’impose à l’intérieur d’une norme de la raisonnabilité » (Evans, au par. 14, renvoi à la décision Dunsmuir, au par. 149). Page 3 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 D’autres juges de la Colombie-Britannique ont appliqué la nouvelle norme de la raisonnabilité aux conclusions de fait ou de droit assujetties à l’alinéa 58(2)a) de l’ATA : voir (versions anglaises seulement) Howe v. 3770010 Canada Inc., 2008 BCSC 330 aux par. 9, 16 à 19 et 35; et British Columbia (Securities Commission) v. Burke, 2008 BCSC 1244 aux par. 104 à 110. Il existe également une division semblable au sein des cours fédérales. En effet, bon nombre de juges continuent à appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales : voir par exemple Da Mota c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 FC 386, [2008] C.F.J. No. 509 au par. 14 (version anglaise seulement); Obeid c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 503, [2008] C.F.J. No. 633 au par. 9; et Bielecki c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 442, [2008] C.F.J. No. 524 au par. 21. Toutefois, d’autres juges ont établi que les conclusions de fait de ces tribunaux peuvent être examinées en fonction de la norme de la raisonnabilité : voir par exemple Sukhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 427, [2008] C.F.J. No. 515 au par. 15; Barm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 893, [2008] C.F.J. No. 1106 au par. 12; et Nasir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 504, [2008] C.F.J. No. 634 aux par. 14 et 15 (version anglaise seulement). Remarques de McCarthy Tétrault La décision portée en appel devant la Cour suprême dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa (No de dossier 31952), qui a été entendue et dont le prononcé de la décision a été reporté au 20 mars 2009 pourrait permettre d’éclaircir cette division parmi les décisions rendues par les cours fédérales concernant la norme de la décision manifestement déraisonnable. Nous ne pouvons toujours pas déterminer si cette décision mettra un terme aux décisions partagées en Colombie-Britannique. Toutefois, nous pouvons affirmer avec certitude que la norme de la décision manifestement déraisonnable n’a pas été totalement éliminée, du moins pas encore. Le présent article a été écrit par Kara Smyth, associée, et s’appuie sur les recherches menées par Dallas Romeril, stagiaire. Communiquez avec : Kara L. Smyth à Calgary à [email protected] ou Andrew Wilkinson, c.r. à Vancouver à [email protected] ou Geoff R. Hall à Toronto à [email protected] Page 4 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Arbitrage Évolution du paysage de l’arbitrage — Répercussions des arrêts Dell et Rogers Le paysage juridique relatif à l’application des clauses d’arbitrage continue d’évoluer à la suite des arrêts Dell et Rogers rendus en juillet 2007 par la Cour suprême du Canada. Voir Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34 (CanLII) et Rogers Sans-fil inc. c. Muroff, 2007 CSC 35 (CanLII). Dans ces deux cas, la Cour suprême a conclu qu’en vertu des lois du Québec un arbitre peut se prononcer sur sa propre compétence à moins que cela ne nécessite principalement de statuer sur des questions de droit, auquel cas un tribunal serait davantage indiqué afin de trancher la question de compétence. Le juge a conclu que le principe s’appliquait même dans le contexte d’une requête en autorisation d’exercer un recours collectif. Le régime québécois des recours collectifs est essentiellement procédural et ne modifie pas le droit fondamental, notamment celui qui découle d’une clause d’arbitrage. Par conséquent, conformément aux arrêts Dell et Rogers, l’intimé dans le cadre d’une requête en autorisation d’exercer un recours collectif peut contester la compétence du tribunal en se fondant sur une clause d’arbitrage, et, à moins que la clause ne soit manifestement invalide, le tribunal devrait renvoyer l’affaire à l’arbitrage. Les arrêts Dell et Rogers se sont penchés également sur le champ d’application de la récente interdiction réglementaire du Québec à l’égard des clauses d’arbitrage et des clauses excluant les recours collectifs fondés sur des contrats de consommation. Le tribunal a conclu que la loi n’a pas d’effet rétroactif. En l’espèce, la condition d’application de la clause d’arbitrage était fondée sur le fait qu’une poursuite doit être intentée contre Dell ou qu’une réclamation, un conflit ou une controverse doit survenir entre le client et Dell. La controverse ou la réclamation est survenue avant l’entrée en vigueur de la loi et celle-ci, par conséquent, ne s’applique pas. Certaines décisions ayant été rendues récemment au Québec ont appliqué les arrêts Dell et Rogers à quelques nuances près. Les décisions canadiennes rendues en common law ont soulevé certaines questions en ce qui a trait à l’application de ces arrêts de la Cour suprême à l’extérieur du Québec. Au Québec, les affaires Storex Industries Corp. c. Dr Byte USA LLC 2008 QCCA 100 (CanLII) et 9064-1622 Québec Inc. c. Société Telus Communications 2008 QCCS 2975 (CanLII) ont confirmé qu’un arbitre peut statuer sur sa propre compétence, sauf lorsque cela nécessite de statuer sur des questions de droit. Ces décisions indiquent que les tribunaux de droit civil peuvent avoir à établir la nature des questions relevant de la compétence d’un arbitre. La décision dans l’affaire 9064-1622 Québec Inc. confirme également qu’un arbitre peut statuer sur sa propre compétence peu importe s’il doit se prononcer sur l’existence, la validité ou l’applicabilité de la clause d’arbitrage. Dans l’affaire Dens Tech-Dens, KG c. NetdentTechnologies Inc. 2008 QCCA 1245 (CanLII), Page 5 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 l’une des parties a fait parvenir un avis d’arbitrage à un centre d’arbitrage commercial aux termes d’une clause d’arbitrage dans le cadre d’une convention unanime des actionnaires. L’autre actionnaire a présenté une requête pour jugement déclaratoire devant la Cour supérieure en vue de faire déclarer nul l’avis d’arbitrage. Tant la Cour supérieure que la Cour d’appel ont accueilli la requête visant à rejeter le jugement déclaratoire, leurs décisions étant en partie fondées sur la compétence de l’arbitre de statuer sur sa propre compétence de la façon décrite dans les arrêts Dell et Rogers. En réponse à l’argument selon lequel les questions liées à la compétence de l’arbitre sont essentiellement des questions de droit, la Cour d’appel a conclu que l’exception s’applique uniquement lorsqu’un tribunal a été initialement saisi de l’affaire et qu’on lui demande de renvoyer les parties à l’arbitrage. En revanche, lorsqu’un processus d’arbitrage a été entamé, l’arbitre doit décider des questions relevant de sa propre compétence, y compris les questions de droit. La décision de l’arbitre peut par la suite être revue en fonction des règles provinciales concernant l’arbitrage, y compris celles relatives à l’homologation ou à l’annulation d’une sentence arbitrale. Dans l’affaire Fortin c. Rogers Communications Sans-Fil inc. 2008 QCCS 3855 (CanLII), la Cour supérieure a examiné les règles transitoires aux fins de l’application de l’interdiction réglementaire au Québec à l’égard des clauses d’arbitrage dans les contrats de consommation. La cour a cité les arrêts Dell et Rogers et a conclu qu’une clause d’arbitrage produit son effet juridique uniquement lorsqu’une réclamation, un conflit ou un différend survient et qu’il est visé par la clause. Notamment, la cour a noté que la requête en autorisation d’exercer un recours collectif par le requérant et la signification de l’intérêt de l’intimé de soumettre l’affaire à l’arbitrage, ainsi que la conclusion du contrat, sont survenues avant l’entrée en vigueur de la loi au Québec. La cour a souligné qu’une fois le processus d’arbitrage enclenché, le fait que des dommages découlent de ce processus n’est pas pertinent à l’application de la modification réglementaire. À la suite de la décision Fortin, ainsi que des arrêts Dell et Rogers, une situation juridique relative à l’interdiction réglementaire des clauses d’arbitrage peut être considérée comme étant « en cours » jusqu’à ce qu’une réclamation ne soit présentée ou qu’un litige ne soit soumis à l’arbitrage. De cette façon, il peut être possible de faire valoir que l’interdiction réglementaire s’applique aux clauses d’arbitrage dans les contrats conclus avant la date d’entrée en vigueur des modifications dans la mesure où la réclamation ou le processus d’arbitrage a été entamé après cette date, et ce, même si la récente législation n’a aucun effet rétroactif. Dans les provinces et les territoires de common law au Canada, on tente de déterminer si le raisonnement des arrêts Dell et Rogers s’applique à l’extérieur du Québec, de façon à permettre à une clause d’arbitrage d’avoir priorité sur les recours collectifs. Dans les affaires MacKinnon v. National Money Mart 2008 BCSC 710 et Seidel v. Telus Communications Inc. 2008 BCSC 933 (versions anglaises seulement), les tribunaux ont conclu que les arrêts Dell et Rogers ne s’appliquent pas en Colombie- Page 6 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Britannique vu les différences entre les lois de la Colombie-Britannique et du Québec en ce qui a trait à l’arbitrage, et en particulier, en ce qui a trait à la capacité des tribunaux de refuser de soumettre un différend à l’arbitrage. À cet égard, ces affaires confirment des décisions ayant déjà été rendues en Colombie-Britannique et selon lesquelles une certification de recours collectif et une demande de sursis de l’instance fondée sur une clause d’arbitrage devraient faire partie d’une même décision. S’il a été déterminé qu’un recours collectif est préférable, il devient donc impossible de soumettre le différend à l’arbitrage car la clause d’arbitrage devient sans effet. Dans la décision Seidel, le tribunal a accepté le témoignage d’un expert en droit du Québec et a conclu qu’il n’existe aucune différence fondamentale entre le Québec et la ColombieBritannique en ce qui a trait aux critères de certification des recours collectifs. En revanche, la législation en matière d’arbitrage de la Colombie-Britannique permet au tribunal d’établir la compétence d’un arbitre, alors que la loi du Québec autorise l’arbitre à statuer sur sa propre compétence dans la plupart des cas. Remarques de McCarthy Tétrault Les décisions dans les affaires Seidel et MacKinnon ne mettent pas fin au débat. Dans la décision Frey v. Bell Mobilité Inc. 2008 SKQB 79 (version anglaise seulement), un tribunal de la Saskatchewan a adopté un point de vue tout à fait opposé et a conclu qu’aux termes des arrêts Dell et Rogers, une instance introduite en vue d’un recours collectif devait faire l’objet d’un sursis et que celle-ci devait être soumise à l’arbitrage si la réclamation est visée par une clause d’arbitrage valide. Communiquez avec : Martin Boodman à Montréal à [email protected] ou Stephen G. Schenke à Montréal à [email protected] Recours collectif Appel au pragmatisme À la suite de l’autorisation d’un recours collectif, le tribunal peut-il entendre et accueillir une requête en irrecevabilité? Ne serait-ce pas un appel déguisé? Voilà deux des questions qui sont abordées dans Popovic c. Ville de Montréal, 2008 QCCA 2371 (CanLII), un arrêt qui marque une autre étape dans l’évolution d’une jurisprudence davantage pragmatique. Dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec a dû statuer sur le pourvoi d’un jugement rendu par la Cour supérieure qui a accueilli deux requêtes en irrecevabilité, rejetant ainsi le recours collectif introduit par l’appelant, Alexandre Popovic. La première requête en irrecevabilité a été présentée par la Ville de Montréal et ses policiers, alléguant la prescription de l’action. La deuxième requête a été présentée par Me John Donovan, représenté par Mes Marie Audren et Marc-André Grou de BLG, invoquant les principes de l’immunité relative du poursuivant. Le 1er mai 2000, lors d’une manifestation dans le cadre de la Fête internationale des travailleurs et travailleuses, 127 personnes ont été arrêtées et traduites en justice. Ces manifestants ont été accusés d’avoir troublé la paix, d’attroupement illégal et de méfaits. Alexandre Popovic a alors entrepris un recours collectif en responsabilité extracontractuelle pour dommages-intérêts moraux et exemplaires à la suite de ces arrestations. Le recours a été Page 7 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 autorisé et après avoir obtenu signification de la requête introductive d’instance, les parties défenderesses ont respectivement déposé en Cour supérieure les actions en irrecevabilité décrites précédemment. La Cour supérieure a accueilli les deux requêtes en irrecevabilité et a rejeté le recours collectif dans son ensemble. Alexandre Popovic en appelle de cette décision. Selon l’appelant, les deux requêtes en irrecevabilité étaient en soi irrecevables et constituaient un appel déguisé à l’encontre du jugement d’autorisation. En premier lieu, la Cour d’appel conclut que le juge de la Cour supérieure pouvait se saisir des requêtes en irrecevabilité, notamment parce qu’il serait contraire aux intérêts de la justice de laisser perdurer un débat judiciaire non fondé en droit en tenant pour avérés tous les faits allégués. À cet égard, la Cour d’appel reprend les propos de Me Donald Bisson de McCarthy Tétrault à l’effet que les requêtes visant le rejet préliminaire du recours collectif ne doivent pas toutes être refusées. Lorsque, par exemple, l’autorisation repose sur une base fragile, il n’est pas toujours souhaitable qu’on exige la tenue d’un procès. Même si les requêtes en irrecevabilité présentées après l’autorisation d’un recours collectif sont rejetées dans la majorité des cas, la Cour d’appel ne croit pas qu’elles doivent toutes être rejetées systématiquement; un devoir de prudence s’impose. Selon la Cour, les fondements de l’interdiction implicite de moyens préliminaires après l’introduction et l’autorisation du recours collectif sont fragiles. Page 8 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 La Cour d’appel s’est ensuite penchée sur les deux requêtes en irrecevabilité. a) Prescription L’appelant soumet que les 99 manifestants qui ont plaidé coupable aux infractions dont ils étaient accusés doivent bénéficier de la suspension de la prescription puisqu’ils ont pris une décision d’affaire en enregistrant leur plaidoyer. Puisque ce moyen n’a aucun fondement en droit, la Cour d’appel le rejette. Selon elle, la suspension de la prescription d’un recours civil en responsabilité pour poursuite criminelle abusive n’est pas applicable pour deux raisons : aucune allégation de fait relatif à une arrestation ou poursuite abusive n’a été faite, et même si une allégation de cette nature avait été faite, les plaidoyers de culpabilité qu’ont faits les manifestants anéantissent toute prétention quant à l’existence d’une poursuite abusive, et quant à l’existence d’une suspension de prescription. Le recours était également prescrit pour les autres manifestants qui n’ont pas plaidé coupable et qui ne bénéficient pas non plus de la suspension de la prescription. b) Immunité relative L’appelant soumet que la Cour supérieure aurait dû référer cette question au juge du fond en raison de la complexité du moyen. La Cour d’appel cite la décision Nelles c. Ontario, 1989 CanLII 77 de la Cour suprême du Canada qui établit que le Procureur général et les procureurs de la Couronne doivent bénéficier d’une immunité relative et que leur responsabilité ne peut être engagée que si le demandeur prouve quatre conditions cumulatives : 1) les procédures ont été engagées par le défendeur, 2) le tribunal a rendu une décision favorable au demandeur, 3) l’absence de motif raisonnable et probable, et 4) l’intention malveillante ou un objectif principal autre que celui de l’application de la loi. Bien que Me Donovan ne soit pas procureur de la Couronne, il bénéficie néanmoins de l’immunité relative en raison des fonctions qu’il assume; il a une responsabilité assimilable à celle d’un procureur de la Couronne. Les allégations de l’appelant satisfont aux deux premiers critères, mais aucune allégation de fait ne permet de conclure ou d’établir les deux derniers critères. Remarques de McCarthy Tétrault Outre l’application de l’arrêt Nelles à un mandataire municipal québécois qui assimile les fonctions d’un procureur de la Couronne, l’affaire Popovic démontre qu’une requête en irrecevabilité peut être accordée à la suite de l’autorisation d’un recours collectif et ne constitue pas pour autant un appel déguisé. Bref, la décision souligne que le pragmatisme, et non le dogmatisme procédural, devrait alimenter la pensée des tribunaux, avant, après et durant le déroulement d’un recours collectif. Page 9 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Communiquez avec : Shaun Emery Finn à Montréal à [email protected] ou Donald Bisson à Montréal à [email protected] ou Warren B. Milman à Vancouver à [email protected] ou Sean S. Smyth à Calgary à [email protected] ou Harry C.G. Underwood à Toronto à [email protected] Communication préalable Protection des renseignements personnels et règles des tribunaux relatives à la production de documents : quelques décisions récentes Même si les règles relatives à la production de documents varient d’un territoire à l’autre, les préoccupations relatives à la protection des renseignements personnels sont universelles. Récemment la Cour fédérale, la Cour d’appel de l’Alberta et la Cour supérieure de justice de l’Ontario se sont fait demander de concilier les exigences de leurs règles particulières relatives à la production des documents et les préoccupations en matière de protection des renseignements personnels des parties s’opposant dans le cadre d’un litige. Même si les circonstances, la nature de l’information et les règles pertinentes en matière de production de documents en cour varient, les trois tribunaux ont été capables de tenir compte des préoccupations des parties en matière de protection des renseignements personnels dans trois des quatre causes décrites ci-après en se fondant sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques1 (LPRPDE) ou la règle de l’engagement implicite — ou en faisant la distinction entre les renseignements pertinents et non pertinents au moment de décider quels renseignements doivent être déposés. Dans la quatrième cause toutefois, les règles relatives 1 Lois du Canada, 2000, c. 5 [LPRPDE] Page 10 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 à la production de documents régissant la Cour supérieure de justice de l’Ontario a donné au protonotaire R. Dash peu de latitude pour conclure que les renseignements contestés devaient être déposés en cour et seraient accessibles au public. La Cour fédérale : DataTreasury Corporation v. Royal Bank of Canada Dans l’affaire DataTreasury Corporation v. Royal Bank of Canada, 2008 FC 955 (CanLII) (version anglaise seulement), il a été demandé au protonotaire Aalto d’arrêter les conditions d’une ordonnance conservatoire. Les parties — DataTreasury Corporation et les membres du groupe bancaire — avaient envisagé une telle ordonnance dans le but de préserver la confidentialité de la technologie brevetée se trouvant au cœur de l’action en contrefaçon de brevet et d’invalidation de brevet, ainsi que des autres renseignements confidentiels des parties. Les parties ont été incapables de s’entendre relativement à la « clause du Canada uniquement » qui aurait permis à la partie qui produit les renseignements de signifier et déposer un avis dans le but de demander une ordonnance empêchant la divulgation des renseignements à l’extérieur du Canada. Le receveur n’aurait pas pu transmettre les renseignements à l’extérieur du Canada avant l’audition finale de la requête, y compris les appels. DataTreasury a insisté sur le fait que certains renseignements devaient être transmis aux États-Unis pendant le déroulement de la poursuite étant donné que sa base de documents centrale, ses conseillers en gestion de documents, le conseiller juridique américain, les témoins et les experts se trouvaient tous aux États-Unis. Le groupe bancaire se préoccupait du fait que les renseignements produits renfermaient des renseignements personnels concernant des clients et que l’envoi de ces renseignements de l’autre côté de la frontière entreraient en conflit avec la loi des États-Unis intitulée PATRIOT Act et la LPRPDE, ainsi qu’avec les politiques de la banque en matière de protection des renseignements personnels. Le tribunal a reconnu que la préoccupation exprimée par le groupe bancaire était légitime et qu’une fois les renseignements sortis du Canada, ils pourraient être produits de manière non prévue par les parties.2 Toutefois, le tribunal a aussi conclu que la « clause du Canada uniquement » entraînerait des requêtes interminables et qu’elle pourrait limiter la capacité du conseiller juridique à montrer des documents pertinents à son client qui se trouve aux États-Unis et à recevoir des directives.3 Le tribunal a trouvé un certain nombre de façons de veiller à ce que les règles de production du tribunal soient appliquées de manière équitable de part et d’autre, tout en atténuant les préoccupations du groupe bancaire en matière de protection des renseignements personnels. Dans un premier temps, même si les documents en question étaient pertinents et devaient donc être produits en vertu de la loi, les renseignements personnels contenus dans les documents n’étaient pas pertinents et n’avaient pas besoin d’être produits. Le tribunal a aussi tenu compte des préoccupations de la Banque relatives à la LPRPDE. En vertu de l’alinéa 7(3) de la LPRPDE, une organisation ne peut recueillir de renseignements personnels à l’insu d’une personne et sans son consentement que dans des cas particuliers, notamment dans le cas où la communication est exigée par assignation, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, si elle est exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents4 ou si elle est exigée par la loi5. Cette disposition s’appliquait à la communication en cause dans la présente affaire, étant donné que les documents devaient être produits conformément aux dispositions des Règles des Cours fédérales6, ce qui élimine les préoccupations du groupe bancaire relativement à la LPRPDE. Enfin, le tribunal a aussi fait remarquer que le receveur était régi par la règle de l’engagement implicite que le tribunal a en fin de compte demandé d’inclure dans l’ordonnance conservatoire.7 4 5 2 3 DataTreasury, paragraphe 10. DataTreasury, paragraphes 10, 16. Page 11 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 6 7 LPRPDE article 7(3)(g). LPRPDE article 7(3)(g). DORS/98-106. DataTreasury, paragraphe 23. La Cour d’appel de l’Alberta : Innovative Health Group Inc. v. Calgary Health Region Le litige dans l’affaire Innovative Health Group Inc. v. Calgary Health Region, 2008 ABCA 219 (CanLII) (version anglaise seulement) a résulté de la tentative de Calgary Health Region (CHR) de procéder à une vérification ponctuelle des activités d’Innovative Health Group. Innovative a prétendu avoir subi des dommages et CHR a fait une demande reconventionnelle dans laquelle elle a allégué des violations de contrat et du devoir fiduciaire. CHR fournissait un traitement financé par les deniers publics dans le cadre d’une série de contrats conclus avec Innovative, alors qu’Innovative fournissait un traitement à la fois financé par l’État et par le privé. Lorsque CHR a procédé à une vérification ponctuelle, Innovative s’est inquiétée des incidences en matière de protection des renseignements personnels qu’aurait la diffusion de renseignements confidentiels concernant un patient sans son consentement. Elle a permis que les disques durs de ses ordinateurs soient copiés et que les copies soient déposées à la Cour du banc de la Reine, d’ici à ce que survienne une entente ou que soit délivrée une ordonnance du tribunal. Les parties se sont entendues quant à la diffusion des dossiers financés par l’État mais aucune entente n’est survenue à l’égard des dossiers visant des patients ayant reçu un traitement dont le financement était à la fois public et privé (les dossiers hybrides). Innovative se préoccupait de la protection de la confidentialité des renseignements personnels concernant ses Page 12 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 patients dans le cadre de la production de la totalité des documents et dossiers pertinents et importants lors du litige. CHR a obtenu une ordonnance enjoignant à Innovative de déposer un affidavit plus précis des documents. Le juge a ordonné la production des disques durs d’Innovative détenus par le tribunal ainsi que des copies sous forme matérielle et électronique des dossiers hybrides. Le juge a estimé que la protection des renseignements personnels et de la confidentialité pouvait être assurée par l’engagement implicite de l’avocat que les dossiers ne seraient pas utilisés ailleurs que dans le cadre du litige. Innovative a continué à s’opposer à la production intégrale des disques durs et en a appelé de cette décision. La Cour d’appel a annulé la décision du juge de l’instance. Elle a conclu que le disque dur n’était pas un dossier au sens attribué au mot « record » dans la Rule 186 des règles de la Cour d’Alberta et il ne pouvait pas être produit en l’espèce. Les doutes d’Innovative quant à la protection des renseignements personnels ont été dissipés lorsque le tribunal a conclu que les dossiers hybrides, en particulier, n’avaient pas à être produits puisqu’ils n’étaient ni pertinents ni importants en ce qui concerne les causes d’action alléguées. La Cour supérieure de justice de l’Ontario : Royal Bank of Canada v. Welton and Moore v. Bertuzzi Dans l’affaire Royal Bank of Canada v. Welton, 2008 CanLII 6648 (ON S.C.) (version anglaise seulement), les demandeurs ont allégué que la Banque Royale du Canada (RBC) avait violé l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés8 dans le cadre de son enquête portant sur une présumée fraude hypothécaire. RBC s’était appuyée sur les sous-alinéas 7(3)d)i) et (h.2) de la LPRPDE lors de son échange de renseignements avec La Banque Toronto-Dominion, des renseignements que RBC entendaient utiliser dans le cadre d’une action civile en dommages-intérêts contre les présumés fraudeurs. L’alinéa 7(3)d) autorise une organisation à communiquer des renseignements personnels à un organisme d’enquête si elle a des motifs raisonnables de croire que le renseignement est afférent à la violation d’un accord ou à une contravention au droit fédéral, provincial ou étranger qui a été commise ou est en train ou sur le point de l’être. Le sous-alinéa 7(3)(h.2) autorise l’organisme d’enquête à communiquer ce renseignement si la communication est raisonnable à des fins liées à une enquête sur la violation d’un accord ou la contravention du droit fédéral ou provincial. Les demandeurs, au nombre des présumés fraudeurs, ont estimé que leurs attentes en matière de respect de la vie privée étaient violées et ont tenté de faire déclarer les alinéas 7(3)d) et (h.2) comme étant inopérants et, par conséquent, d’empêcher que les renseignements recueillis soient utilisés dans le cadre de l’action civile en instance et de faire en sorte que soit annulée l’injonction conservatoire auparavant obtenue par RBC. Le juge Cumming de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que la Charte ne s’appliquait pas et a rejeté les requêtes des demandeurs. Il a conclu que même si la LPRPDE s’appliquait à RBC, la banque n’exerçait pas une fonction gouvernementale inhérente. Il a aussi conclu que le fait que les fraudeurs prenaient part à une activité qui aurait bien pu constituer une infraction criminelle ne faisait pas de la banque un prolongement de l’état. La conclusion du juge Cumming a neutralisé les allégations des demandeurs selon lesquelles les renseignements recueillis devraient être exclus dans le cadre de l’action civile pour des raisons de protection de la vie privée. Dans l’affaire Moore v. Bertuzzi, 2007 CanLII 57934 (ON S.C.) (version anglaise seulement), les défendeurs étaient préoccupés par l’attention suscitée par la poursuite ainsi que des répercussions de cette attention ou de cette publicité sur le droit au procès impartial des défendeurs. La poursuite a découlé d’un incident survenu pendant un match de la Ligue nationale de hockey. Bertuzzi, qui jouait alors pour l’équipe des Canucks de Vancouver, avait semble-t-il frappé par derrière Steve Moore, qui jouait pour l’Avalanche du Colorado, et il lui avait cogné le visage contre la glace, causant à Moore une grave blessure. Moore a intenté une action en dommages-intérêts ainsi qu’en dommages-intérêts punitifs. 8 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituent l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 [Charte]. L’article 8 protège une personne contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives par une autorité publique ou gouvernementale. Page 13 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Au cours de l’interrogatoire au préalable, Bertuzzi et une autre personne visée par l’examen ont refusé de répondre à certaines questions et ont demandé de mettre certaines autres questions en délibéré. Le demandeur a signifié une requête pour modifier les plaidoyers et contraindre Bertuzzi et l’autre personne à se présenter de nouveau pour répondre aux questions auxquelles ils avaient refusé de répondre au moment de l’interrogatoire au préalable. Bertuzzi a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au demandeur de ne pas déposer les transcriptions de l’interrogatoire préalable à l’appui de sa requête. Il estimait que le dépôt des transcriptions augmenterait la couverture médiatique et compromettrait son droit à un procès impartial en influençant les membres éventuels du jury. [traduction] et qu’il exige d’équilibrer l’intérêt public de découvrir la vérité d’une part et la protection de la vie privée et des renseignements confidentiels d’autre part, la Rule 31.1.01(5) prévoit une dérogation à la présomption d’engagement lorsque des preuves sont déposées au tribunal. De plus, les Rules 37.10(5) et 34.18(2) exigent que les transcriptions soient déposées au tribunal puisqu’elles sont légitimement requises aux fins d’une requête visant à exiger des réponses aux questions auxquelles les défendeurs avaient refusé de répondre au moment de l’interrogatoire préalable. Le défendeur a tenté d’invoquer la règle de présomption d’engagement, qui fait partie intégrante de la Rule 30.1.01, laquelle empêcherait les parties et leurs conseillers juridiques d’utiliser des preuves ou des renseignements obtenus dans le cadre de la communication des documents et de l’interrogatoire au préalable autrement qu’aux fins de la poursuite. Même si le protonotaire R. Dash s’est dit préoccupé de la perte de confidentialité de l’interrogatoire préalable, il a refusé d’interdire le dépôt des transcriptions et d’ordonner que les transcriptions soient mises sous scellés. Même si le fondement de la présomption d’engagement est la « reconnaissance du droit général au respect de la vie privée dont dispose une personne à l’égard de ses documents »9 Les questions relatives à la protection de la vie privée vont sans doute continuer de compliquer la vie des parties à un litige, particulièrement lorsqu’elles doivent composer avec les différentes règles des tribunaux, mais les affaires DataTreasury, Innovative et Welton démontrent qu’il y a souvent des moyens de concilier ces règles et les préoccupations des parties en matière de protection des renseignements personnels. Même le protonotaire R. Dash dans l’affaire Moore a reconnu qu’il pouvait exister d’autres mesures mais qu’aucune des parties n’avait suggéré une solution de remplacement réalisable et raisonnable. 9 Goodman c. Rossi (1995), 24 O.R. (3d) 359 (C.A.), page 367, selon la citation faite l’affaire Moore au paragraphe 10. Page 14 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Remarques de McCarthy Tétrault Communiquez avec : Barbara A. McIsaac, c.r. à Ottawa à [email protected] Privilège La Cour suprême de la ColombieBritannique maintient le privilège de l’enquête interne • le litige était en cours ou était raisonnablement envisagé au moment où le document a été créé; et HMTQ v. Canadian National Railway Company, 2008 BCSC 1677 (lien vers CanLII en anglais seulement) • le document a été créé principalement en préparation pour ce litige. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a accueilli récemment une demande portant sur le privilège reconnu en common law invoqué par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le « CN ») à l’égard de documents créés dans le cadre de l’enquête interne sur une collision entre deux trains. La décision dans l’affaire HMTQ v. CN fournit des indications importantes sur la façon de maintenir un privilège sur des documents produits à l’interne. Cette décision semble également assouplir les exigences en matière de preuve afin de maintenir ce privilège et d’éviter la divulgation de l’information contenue dans ces documents saisis lors de l’exécution d’un mandat de perquisition. Pour que l’on puisse s’opposer à la divulgation de l’information contenue dans des documents en se fondant sur le privilège, les deux conditions suivantes doivent être remplies10 : 10 Keefer Laundry Ltd. v. Pellerin Milnor Corp. et al 2006 BCSC 1180 Page 15 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 L’affaire HMTQ v. CN énumère des circonstances dans lesquelles ces exigences sont remplies et précise l’étendue de la preuve nécessaire afin de maintenir ce privilège. Avant cette affaire, la jurisprudence stipulait qu’il était nécessaire de faire la preuve que ces deux conditions étaient remplies pour chaque document pour lequel on tentait d’appliquer le privilège et que l’on devait, notamment, fournir une preuve de la raison pour laquelle l’auteur avait créé chaque document.11 Dans l’affaire HMTQ v. CN, le tribunal a statué qu’il n’est pas nécessaire de fournir une preuve pour chaque document lorsque les facteurs sous-jacents sont suffisants pour établir que les deux conditions sont remplies. En l’espèce, il a été décidé que l’incident était d’une telle ampleur (une collision de trains entraînant la rupture des voitures chargées de produits chimiques toxiques) qu’il était probable qu’il fasse l’objet d’un litige, que ce soit d’ordre réglementaire ou autre. En outre, le tribunal a conclu, en l’absence de preuves de la part de l’auteur de chaque document, 11 Supra, aux paragr. 96 à 101 que les documents produits dans le cadre de l’enquête interne du CN ont été créés principalement afin de regrouper rapidement les preuves disponibles dans le but de présenter une défense dans l’éventualité où un litige serait initié par un ou plusieurs organismes de réglementation. Dans sa décision, le tribunal a accordé de l’importance au fait que l’avocat du CN a demandé la tenue d’une enquête interne, par écrit, le jour même où l’incident est survenu, en précisant que l’enquête était menée en prévision des recours et des litiges possibles et qu’elle était nécessaire afin de fournir au CN des conseils juridiques dans le cas de tels recours. Toute entreprise faisant face à un incident qui pourrait raisonnablement entraîner un litige aurait tout intérêt à suivre cette approche pour la tenue d’une enquête interne menée à l’égard de l’incident. Communiquez avec : Nicholas R. Hughes à Vancouver à [email protected] Page 16 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Litige en propriété intellectuelle Décision rendue par la Cour fédérale dans le cadre de la première cause portant sur les dommages-intérêts prévus à l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) : le recours prévu aux termes de l’article 8 ne comprend pas les profits de l’innovateur Apotex Inc. c. Merck & Co., Inc. et al. (21 octobre 2008), Ottawa, T-1144-05 (C.F.) Dans le cadre d’une première décision rendue relativement à une poursuite intentée aux termes de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le « Règlement »), le juge Hughes de la Cour fédérale a conclu que la Cour fédérale a compétence pour entendre et juger des actions intentées aux termes de l’article 8 du Règlement, que l’article 8 est valide et que le Parlement fédéral a l’autorité constitutionnelle voulue pour adopter l’article 8. Les sociétés pharmaceutiques innovatrices s’intéresseront particulièrement à la décision de la Cour fédérale selon laquelle, aux termes du paragraphe 8(4) du Règlement, les fabricants de médicaments génériques n’ont pas droit à la restitution des profits réalisés par la société innovatrice pendant la période des procédures intentées aux termes de l’article 6 du Règlement en cas de désistement, de retrait ou de rejet de la demande. Le juge Hughes a également décidé que le fabricant de médicaments génériques pourrait recouvrer les dommages et les pertes de profits subis pendant la période où il n’a pu vendre ses produits sur le marché, et qu’il pourrait également demander le recouvrement des dommages subis au cours de la même période et après cette période pour la perte permanente de sa part du marché si les dommages n’ont pas pu ou n’ont pas été rectifiés au cours de la même période. Contexte de l’adoption du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) Le Règlement a été adopté initialement en 1993 et remplacé par un régime de licence obligatoire pour la vente de médicaments brevetés au Canada. Aux termes du Règlement, un fabricant de médicaments génériques peut faire une demande pour un avis de conformité en comparant son produit à un produit innovateur, mais doit aviser la société innovatrice que son produit ne constituera pas une contrefaçon du produit innovateur, ou que le brevet est invalide, entre autres choses (article 5). La société innovatrice peut alors déposer une demande aux termes de l’article 6 du Règlement pour empêcher la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du médicament générique, entraînant ainsi une suspension automatique de 24 mois. Si la demande de la société innovatrice est retirée, abandonnée ou rejetée, le fabricant de médicaments génériques peut intenter une action aux termes de l’article 8 du Règlement en vue de recouvrer ses pertes. Cette affaire traite uniquement de la version de l’article 8 du Règlement qui était en vigueur Page 17 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 avant les modifications qui ont été apportées au Règlement en octobre 2006. Le paragraphe 8(4) de cette version antérieure prévoit que dans le cadre de toute procédure intentée en vue d’obtenir réparation pour cette perte, « le tribunal peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l’égard de la perte visée au paragraphe (1) [les italiques ont été ajoutés par les auteurs] ». La version actuelle de l’article 8 limite expressément la réparation comme suit : « il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts à l’égard de cette perte ». L’action Dans le cas de cette action, Apotex demandait un recouvrement à l’encontre de Merck en vertu de l’article 8 en raison du délai du lancement de l’Apo-alendronate en raison de la procédure aux termes de l’article 6 instituée par Merck le 29 mai 2003. Cette procédure a été rejetée par la Cour fédérale le 27 mai 2005. Le ministre a immédiatement délivré un avis de conformité à Apotex lui permettant de vendre sa version générique d’alendronate au Canada. Le juge Hughes a rendu sa décision après un procès sur le fond au cours duquel les parties ont soumis une entente se rapportant aux faits et aux documents ayant trait aux questions préliminaires à trancher. La cause a été jugée uniquement sur l’entente se rapportant aux faits et aux documents. Bien que Merck & Co., Inc. ait été désignée comme défenderesse dans cette affaire, une ordonnance sur consentement a été rendue peu avant le procès aux termes de laquelle l’action contre cette entité a été abandonnée. L’action ne visait donc que deux sociétés canadiennes de Merck. Les questions Merck a soulevé les questions suivantes à titre de décisions préliminaires : a) Est-ce que la Cour fédérale a la compétence nécessaire pour instruire une action aux termes de l’article 8 du Règlement? b) Est-ce que l’article 8 du Règlement invalide l’article 55.2(4) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, c. P-4, dans sa version modifiée; et c) Est-ce que l’article 8 se situe en dehors des pouvoirs du Parlement d’établir des lois relativement aux brevets d’invention, et est-ce que l’article 8 constitue une intrusion illégitime dans la compétence exclusive des provinces aux termes de l’article 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, L.R.C. 1985, App. II, no 5? Apotex a soulevé les questions suivantes à titre de questions préliminaires : a) Est-ce que Apotex est autorisée à choisir entre les dommages qu’elle a subis, le cas échéant, et les profits réalisés par Merck, le cas échéant? Page 18 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 b) Quel est le délai au cours duquel Apotex peut demander un recouvrement? c) Est-ce que Apotex est autorisée à recouvrer des dommages-intérêts qui se poursuivent après l’expiration du délai? La décision Le juge Hughes a jugé que la Cour fédérale a la compétence pour entendre une action aux termes de l’article 8, que l’article 8 est valide aux termes de l’article 55.2(4), et que l’article 8 respecte tous les critères exigés pour une législation fédérale valide, le tout par rapport aux dispositions spécifiques du Règlement, de la Loi sur les brevets et de la Loi sur les Cours fédérales. Selon le juge Hughes, le Règlement est, de par son caractère véritable, un règlement se rapportant aux brevets, et le Règlement doit être lu dans son ensemble. Il est à noter que le juge Hughes a rejeté la prétention d’Apotex selon laquelle cette dernière était autorisée à choisir entre les dommages-intérêts d’Apotex ou les profits de Merck pendant le délai pertinent. Apotex soutenait qu’elle avait droit à un tel choix sur le fondement, notamment, que le paragraphe 8(4) prévoit « réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits ». En se fondant sur le contexte de l’article dans son ensemble, le juge Hughes a déterminé que l’article prévoyait une ordonnance visant à indemniser un fabricant de médicaments génériques relativement à ses pertes. Le juge Hughes a conclu qu’un fabricant de médicaments génériques ne pouvait demander des dommages-intérêts ou une restitution des profits pour contrefaçon. S’il a été exclu du marché pendant une certaine période, il peut demander une compensation pour pertes. Dans de telles circonstances, la compensation prend la forme de « dommages-intérêts ou de profits », et le juge Hughes a conclu que l’interprétation raisonnable de ces termes à l’article 8 est que le fabricant de médicaments génériques peut demander, en tant que mesure de ses dommages-intérêts, « les profits qu’il aurait réalisé s’il avait été en mesure de commercialiser son produit plus tôt ». Par ailleurs, le juge Hughes a conclu que la période au cours de laquelle Apotex devait être indemnisée ne devait pas être réduite à cause du retard d’Apotex de signifier son avis de conformité, et a autorisé Apotex à demander des dommages-intérêts pour les ventes perdues et la perte permanente de parts du marché en raison du retard dans le lancement, période au cours de laquelle deux autres fabricants de médicaments génériques se sont implantés sur le marché « à condition que le marché ne se soit pas redressé ou qu’Apotex n’ait pas pu corriger ce désavantage lié au marché avant le 26 mai 2005 ». Le juge Hughes a clairement fait savoir que ces questions d’évaluation quantitative devront être réglées au cours du procès subséquent. Les deux parties ont porté la décision en appel. On s’attend à ce que cette question importante connaisse de nombreux développements. Page 19 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Communiquez avec : Glynnis P. Burt à Toronto à [email protected] ou Steven Mason à Toronto à [email protected] ou William H. Richardson à Toronto à [email protected] ou Andrew J. Reddon à Toronto à [email protected] Droit des assurances La Cour suprême du Canada restreint la portée de l’exclusion relative à la conception défectueuse dans les polices d’assurance tous risques et des constructeurs clause d’exclusion relative à la conception défectueuse, l’assureur peut nier couverture au motif que la perte faisant l’objet de la réclamation est attribuable à une conception défectueuse ou inadéquate. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Royal et Sun Alliance du Canada, Sociétés d'assurances, 2008 CSC 66 (CanLII) Avant que la Cour suprême du Canada ne rende sa décision dans l’affaire du CN, les tribunaux canadiens n’ont pas été constants dans leur interprétation de l’exclusion relative à la « conception défectueuse ou inadéquate ». Deux normes concurrentes ont été appliquées. Dans le premier courant jurisprudentiel, une conception était considérée comme défectueuse si elle ne permettait pas d’utiliser le bien pour l’usage auquel il était destiné. Dans le deuxième courant jurisprudentiel, une conception était considérée comme défectueuse si elle ne prévoyait pas tous les risques prévisibles et n’y résistait pas. Une récente décision de la Cour suprême du Canada a restreint la portée de l’exclusion relative à la « conception défectueuse ou inadéquate » comprise dans bon nombre de polices d’assurance tous risques et des constructeurs. Cette décision est pertinente pour toutes les réclamations pour lesquelles les assureurs ont nié couverture au motif que la perte découle d’un défaut de conception. Dans la décision relative au CN, la Cour suprême du Canada a créé une nouvelle norme pour les assureurs qui tentent d’invoquer cette exclusion. La nouvelle norme est plus favorable aux assurés que les deux autres normes ayant été appliquées auparavant par les tribunaux canadiens. Dans une police tous risques typique, tous les risques de pertes ou de dommages matériels directs aux biens assurés sont couverts, sauf si la perte encourue est visée par l’une des exclusions énumérées dans la police. L’une de ces exclusions, connue sous le nom d’exclusion relative à la conception défectueuse, exclut toute couverture pour les « coûts engagés pour remédier à une conception défectueuse ou inadéquate ». Lorsqu’une police contient une Page 20 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Dans l’affaire du CN, la Cour suprême du Canada a rejeté ces deux normes les jugeant trop vastes. Afin d’invoquer une exclusion relative à une conception défectueuse, un assureur doit maintenant établir que la conception ne satisfaisait pas à une norme « réaliste ». Une telle norme ne peut exiger rien de plus que la preuve de la conformité de la conception avec l’« état de la technique ». L’expression « état de la technique » désigne « l’état actuel de développement d’un domaine pratique ou technique qui implique souvent l’utilisation des techniques les plus récentes pour un produit ou une activité ». La conception n’a pas besoin d’être parfaite. La Cour suprême du Canada a reconnu qu’il y a inévitablement un écart entre l’état actuel de la technique et l’omniscience. Le fait qu’un risque imprévisible soit ultérieurement identifié grâce à l’avantage du regard rétrospectif ne rend pas une conception défectueuse ou inadéquate. Cependant, une norme de l’industrie pourra ne pas nécessairement respecter l’état de la technique. La Cour suprême du Canada a cité à titre d’exemple le cas des nombreuses maisons en copropriété de Vancouver ayant subi des infiltrations d’eau et a reconnu que la norme de l’industrie peut être influencée par les entrepreneurs et les concepteurs qui essaient de prendre des raccourcis pour réduire les coûts. Les faits de l’affaire du CN peuvent être résumés de façon simple. Au début des années 1990, le CN a établi une procédure pour la conception et la construction du plus gros tunnelier sur mesure en son genre au monde, en vue de la construction d’un tunnel sous une rivière reliant l’Ontario au Michigan. Les ingénieurs du CN avaient prévu que le tunnelier en cause devait résister à une pression de 6 000 tonnes métriques exercée par le poids de la terre et de l’eau qui se trouvaient au-dessus de celui-ci. L’appareil était conçu pour supporter ces pressions conformément à l’« état de la technique » au moment où il a été achevé. Toutefois, des déblais ont atteint les chambres internes et l’appareil a cédé. Le CN a perdu plus de 20 millions de dollars en raison des frais de réparation ou des retards du projet. Le CN a présenté une réclamation en vertu de sa police d’assurance tous risques, mais s’est vue opposée un déni de couverture en raison de l’exclusion relative à la conception défectueuse. Page 21 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 La Cour suprême du Canada a conclu que les pertes subies par le CN n’avaient pas été causées par une conception défectueuse ou inadéquate. Le tunnelier avait été conçu selon les caractéristiques de l’état de la technique au moment où il a été achevé. Le défaut de tenir compte d’un risque qui fut identifié uniquement grâce à l’avantage du regard rétrospectif ne rendait pas sa conception défectueuse. Les dommages causés par le défaut de conception étaient, par conséquent, couverts par la police d’assurance. La décision rendue dans l’affaire du CN touche tous les assurés qui subissent une perte que l’assureur attribue à un défaut de conception. Dans de tels cas, l’assureur niera couverture en invoquant la clause d’exclusion relative à la conception défectueuse. Le droit stipule maintenant clairement qu’une conception ne sera pas considérée comme défectueuse simplement parce qu’elle ne permet pas d’utiliser le bien pour l’usage auquel il était destiné ou parce qu’elle ne résiste pas à tous les risques prévisibles. Une conception sera considérée comme défectueuse uniquement si elle ne respecte pas l’état de la technique au moment où elle a été achevée. Les assurés devraient savoir que bon nombre de polices d’assurance tous risques contiennent une exception à l’exclusion relative à la conception défectueuse appelée l’exception pour « dommages ou pertes financières en résultant ». Aux termes de cette exception, même si un assureur est en mesure d’établir qu’une conception est défectueuse, il est possible qu’il y ait une couverture pour les pertes se rapportant aux biens assurés, pouvant être considérées comme séparées et distinctes de l’« objet » dont la conception était défectueuse. La portée de la protection offerte aux termes de toute police d’assurance est établie en fonction des clauses particulières comprises dans le contrat que vous avez négocié avec votre compagnie d’assurances. Les polices ne comportent pas toutes les mêmes clauses. Bien que les décisions des tribunaux, comme celle dans l’affaire du CN, permettent de mieux interpréter le libellé de polices d’assurance similaires, la couverture aux termes de chaque police devrait être examinée au cas par cas. En outre, les assurés devraient être conscients du fait que le libellé des futures polices d’assurance pourrait être rajusté en réaction aux décisions des tribunaux, comme celle du CN, ou à tout autre changement apporté aux lois. Communiquez avec : Aidan L. Cameron à Vancouver à [email protected] ou Ariel DeJong à Vancouver à [email protected] ou William G. Scott à Toronto à [email protected] ou Christopher Hubbard à Toronto à [email protected] Page 22 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Locateur et locataire Orbus Pharma Inc. v. Kung Man Lee Properties Inc. — La résiliation du bail commercial « de préférence » au consentement à la cession : tout est dans la rédaction du bail Il arrive très souvent que les baux commerciaux renferment des clauses apparemment contradictoires à propos des droits et obligations du locateur relativement à la demande de cession de bail ou de sous-location faite par le locataire. La clause de cession/ sous-location d’un bail oblige souvent le locateur à ne pas refuser indûment son consentement à une demande de cession de bail ou de sous-location du locataire. Les baux commerciaux renferment aussi souvent une clause d’option qui offre au locateur l’option de résilier le bail lorsque le locataire lui fait une telle demande. Il est généralement intéressant pour le locateur de se prévaloir d’une telle clause d’option lorsque les taux de location du marché sont supérieurs à celui que paie le locataire aux termes du bail. Dans de tels cas, le locateur peut faire valoir la clause et résilier le bail afin de négocier un nouveau bail directement avec le nouveau sous-locataire ou cessionnaire proposé (ou une autre partie), un bail permettant au locateur de bénéficier de taux plus élevés. Mais si le locateur agit de la sorte, il donne l’impression de refuser indûment son consentement à la demande de cession ou de sous-location du locataire et semble ainsi manquer à ses obligations prévues dans la clause de cession/sous-location du bail. Comment ces dispositions apparemment conflictuelles du bail peuvent-elles être réconciliées? C’est là la question sur laquelle la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a dû se pencher dans sa récente décision rendue dans l’affaire Orbus Pharma Inc. v. Kung Man Lee Properties Inc., 2008 ABQB 754 (lien vers CanLII en anglais seulement). Le bail en question renfermait une clause de cession/sous-location stipulant que le locateur ne pouvait pas refuser indûment son consentement à une demande écrite de cession ou de sous-location par le locataire. Le bail renfermait aussi une autre clause d’option stipulant que dans le cas où le locataire ferait une telle demande, le locateur aurait l’option : i) de consentir à la demande, ii) de ne pas y consentir, ou iii) de choisir de résilier le bail plutôt que d’accorder un tel consentement. La clause d’option stipulait également que : [traduction] « si le locateur n’exerce pas son option de résilier le présent bail, alors la clause 17.01 [la clause de cession/souslocation] continue de s’appliquer ». Le locataire demandeur a demandé par écrit au locateur défendeur de consentir à la cession du bail. Le locataire voulait céder le bail dans le cadre d’un contrat de vente intervenu entre lui et le tiers cessionnaire proposé en vue de l’acquisition et de la vente de l’entreprise du locataire. Le locateur a choisi d’exercer son option de résilier le bail plutôt que d’accorder son consentement à la cession demandée. Le locateur n’a donné au locataire aucun motif d’opposer un tel refus (même s’il était notoire Page 23 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 que les taux de location du marché étaient alors considérablement plus élevés que le taux prévu dans le bail du locataire). Le locateur a simplement remis au locataire une lettre lui indiquant qu’il exerçait son option de résilier le bail plutôt que d’accorder son consentement conformément à la clause d’option. En exerçant son option, le locateur a empêché le locataire de procéder à la cession de son bail conformément à son obligation prévue dans le contrat de vente conclu avec le tiers cessionnaire proposé et cela a eu pour effet que le locataire a reçu un prix d’achat inférieur. Le locataire a intenté contre le locateur une poursuite dans laquelle il alléguait que le locateur n’avait pas respecté son obligation prévue à la clause de cession/souslocation du bail en refusant indûment son consentement à la cession demandée. En vertu du droit régissant le consentement à la cession de baux commerciaux, un locateur est généralement considéré comme agissant déraisonnablement s’il refuse d’accorder son consentement de manière à pouvoir bénéficier de taux de location plus élevés. La défense du locateur s’articulait donc autour de l’interprétation du bail et de la question de savoir si le bail offrait au locateur l’option de résilier le bail plutôt que d’accorder son consentement à la cession demandée. Après avoir examiné en profondeur les principes de l’interprétation des contrats, le juge Brooker de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a tranché en faveur du locateur, en concluant que ce dernier disposait, aux termes du bail, d’un droit contractuel selon lequel il pouvait se prévaloir d’une option de résiliation de préférence à un consentement à la cession demandée. Sa décision s’est fondée sur les mots « de préférence à » dans la clause d’option, le juge concluant qu’une telle formulation donnait au locateur [traduction] « une solution de rechange indépendante ne se limitant pas à donner ou à refuser le consentement ». Le juge Brooker a fait remarquer que cette conclusion était étayée par la dernière phrase de la clause d’option, laquelle précisait que c’est uniquement dans le cas où l’option de résilier n’est pas exercée que la clause de cession/sous-location (et l’obligation du locateur de ne pas refuser indûment son consentement) continue de s’appliquer. Il a de plus indiqué que l’interprétation du locateur était la seule qui était conforme à la formulation claire du bail et qui donnait un sens à l’ensemble du libellé du bail (et était donc compatible avec les principes d’interprétation des contrats). Le juge Brooker a aussi rejeté un argument du locataire selon lequel l’adoption de l’interprétation du locateur se traduirait par une issue commerciale absurde. Il a conclu que l’inverse est vrai, indiquant que la clause d’option constituait simplement [traduction] « un élément de négociation astucieux de la part du défendeur », donnant au locateur, plutôt qu’au locataire, la possibilité de bénéficier des variations touchant les taux de location du marché. Page 24 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Remarques de McCarthy Tétrault Cette cause se révèle particulièrement utile pour les locateurs et les personnes qui rédigent des baux commerciaux, car elle confirme et harmonise des clauses d’option de résiliation dans le contexte d’une clause de consentement apparemment concurrente. Il ressort que si le bail, et en particulier les clauses d’option de résiliation, est bien rédigé, le locateur peut disposer d’un bail qui lui donne la possibilité de bénéficier des variations des taux de location du marché tout en continuant d’offrir au locataire l’assurance qu’il peut se départir du bail s’il trouve un locataire de remplacement convenable. Les clauses d’option de résiliation peuvent être valables mais, bien entendu, tout est dans la façon de les rédiger. Dean A. Hutchison, avocat du cabinet McCarthy Tétrault a représenté Kung Man Lee Properties Inc., le locateur défendeur ayant eu gain de cause dans la poursuite décrite ci-dessus. Communiquez avec : Dean A. Hutchison à Calgary à [email protected] Droit de l’environnement L’affaire Michael Branch v. Her Majesty the Queen (Minister of the Environment) : La Cour supérieure de justice de l’Ontario règle la question de la légalité des ordonnances contraignant des témoins à fournir des preuves dans le cadre d’enquêtes du ministère de l’Environnement Le 7 janvier 2009, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire) a accueilli une demande de contrôle judiciaire contestant le caractère licite d’une ordonnance visant à obtenir des renseignements qui avait été obtenue par un enquêteur du ministère de l’Environnement aux termes de l’article 163.1(2) de la Loi sur la protection de l’environnement (la « Loi »). L’enquêteur avait obtenu l’ordonnance auprès d’un juge de paix dans le but d’obliger le gérant d’une société faisant l’objet d’une enquête à répondre à des questions et à produire des documents. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a annulé l’ordonnance en concluant que l’article 163.1(2) ne confère pas le pouvoir d’ordonner à une personne de comparaître pour répondre à des questions ou produire des documents. L’article 163.1(2), ajouté à la Loi en 1998, prévoit qu’un juge de paix « peut rendre une ordonnance par écrit autorisant un agent provincial… à utiliser un dispositif ou une technique ou méthode d’enquête, ou à accomplir tout acte qui y est mentionné, Page 25 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 s’il est convaincu, sur la foi des preuves présentées sous serment, qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction à la présente loi a été ou sera commise et que des renseignements relatifs à l’infraction seront obtenus par l’utilisation du dispositif, de la technique ou de la méthode ou par l’accomplissement de l’acte ». Par suite des commentaires formulés par le juge en chef McMurtry de la Cour d’appel de l’Ontario dans sa décision rendue en 2001 dans l’affaire R. v. Inco Ltd., 2001 CanLII 8548 (ON C.A.) (version anglaise seulement), le ministère de l’Environnement a déterminé que l’article 163.1(2) autorise l’émission d’une ordonnance visant à obliger un employé ou un autre témoin à répondre à des questions ou à fournir des documents, et a obtenu plusieurs ordonnances visant à obtenir des renseignements à cette fin. Ces ordonnances ont communément été appelées des « ordonnances Inco ». Dans l’affaire R. v. Inco Ltd., le juge en chef McMurtry a indiqué, dans une remarque incidente, qu’un agent qui a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction environnementale a eu lieu pourrait demander l’autorisation judiciaire de procéder à un interrogatoire aux termes de l’article 163.1(2) de la Loi. Toutefois, tel qu’il a été noté par cette Cour, les commentaires du juge en chef McMurtry dans l’affaire Inco ne visaient pas à établir l’interprétation définitive de l’article 163.1(2). Par conséquent, la Cour a déclaré qu’elle n’était pas liée par les déclarations formulées dans l’affaire Inco concernant l’article 163.1(2) « en raison de l’absence d’un examen minutieux des mots de la disposition dans leur contexte ». La Cour a donné raison au demandeur et a conclu que le sens grammatical et ordinaire du libellé de l’article 163.1(2) ne conférait pas à un juge de paix le pouvoir de prononcer une ordonnance visant à contraindre un témoin à comparaître et à répondre à des questions ou à produire des documents. Le juge Swinton a invoqué le libellé de diverses autres lois de l’Ontario lesquelles, contrairement à l’article 163.1(2) de la Loi, sont formulées de sorte à prévoir spécifiquement et explicitement le pouvoir de contraindre des personnes à répondre à des questions, et il a indiqué que la plupart de ces lois permettent aux témoins de revendiquer un privilège de non-divulgation et offrent une protection contre l’autoincrimination (contrairement aussi à l’article 163.1(2) de la Loi, qui ne prévoit aucune telle protection). La Cour a conclu que l’absence de cette formulation explicite dans l’article 163.1(2) et le contexte législatif se rapportant à cet article suggèrent que l’assemblée législative n’avait pas l’intention d’inclure les pouvoirs de contrainte dans l’article 163.1(2). La Cour a annulé l’ordonnance visant à obtenir des renseignements. Cette décision est importante puisqu’elle clarifie le fait que les enquêteurs du ministère de l’Environnement ne peuvent se servir de Page 26 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 l’article 163.1(2) pour contraindre des témoins à répondre à des questions et à fournir des documents. Communiquez avec : Douglas Hamilton à Toronto à [email protected] ou Joanna Rosengarten à Toronto à [email protected] ou Douglas R. Thomson à Toronto à [email protected] Valeurs mobilières Changements défavorables importants du marché En raison de la crise du crédit, les prêteurs se fient de plus en plus aux dispositions relatives aux changements défavorables importants du marché (CDI du marché) dans les lettres d’engagement. De telles dispositions n’ont pas encore été examinées par les tribunaux canadiens, mais il est très probable qu’une obligation de bonne foi s’applique. Néanmoins, en négociant et en exerçant attentivement une clause relative aux CDI du marché, les prêteurs peuvent améliorer de façon importante son opposabilité. Une clause relative aux CDI du marché (appelée également « clause de sauvegarde ») dispense un prêteur de ses obligations aux termes d’une lettre d’engagement dans le cas d’un « changement défavorable important » à l’égard du financement, des opérations bancaires ou des marchés des capitaux. Une telle clause vise à protéger les prêteurs du risque qu’un prêt ne puisse pas être consortialisé (du moins selon ses modalités initiales) en raison de changements imprévus au sein des marchés en général. Habituellement, une clause de sauvegarde prévoit expressément que le prêteur a le pouvoir discrétionnaire d’établir si un « changement défavorable important » a eu lieu. Diverses expressions peuvent être utilisées pour décrire le pouvoir discrétionnaire du prêteur, notamment « opinion » ou « seul avis ». Page 27 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Peu importe la façon dont son pouvoir discrétionnaire est énoncé, le langage employé pour décrire le pouvoir discrétionnaire du prêteur sera interprété comme nécessitant l’exercice de la bonne foi. La Cour d’appel de l’Ontario a déclaré de façon constante que le pouvoir discrétionnaire contractuel doit être exercé honnêtement et de bonne foi. Selon les modalités contractuelles et les faits, l’exercice de la bonne foi peut être évalué selon une combinaison de normes subjectives et objectives. En plus de la jurisprudence générale concernant le pouvoir discrétionnaire contractuel, un tribunal qui tranche une affaire concernant une clause de sauvegarde peut également tenir compte de la nouvelle jurisprudence américaine. Les arrêts de principe américains dans ce domaine comportent des dispositions visant les changements dans le cadre d’une fusion ou d’une acquisition, il s’agit donc d’un contexte différent. Néanmoins, un tribunal de l’Ontario pourrait être influencé par les décisions américaines concluant que les parties qui désirent invoquer une disposition relative aux « changements défavorables importants » portent un très lourd fardeau. Lorsque le prêteur négocie une clause de sauvegarde, il devrait tenir compte des faits suivants : • Un « changement défavorable important » peut être défini objectivement de façon à ce que l’emprunteur ne puisse nier la survenance de celui-ci, et de façon à ce que les difficultés liées à l’obligation de bonne foi soient évitées. • Si le « changement défavorable important » ne peut être défini de façon objective, utilisez des expressions fortes pour décrire le pouvoir discrétionnaire du prêteur, comme « discrétion exclusive ». • Si les marchés ne sont pas favorables, comme c’est le cas actuellement, assurez-vous que la situation réponde à la définition de « changement défavorable important » de façon à ce que même une légère détérioration soit suffisante. • Évitez les déclarations précontractuelles selon lesquelles la clause de sauvegarde n’est qu’un paragraphe passe-partout, et intégrez une clause d’intégralité du contrat, afin de réduire le risque que l’emprunteur ne se fie qu’à ces déclarations dans le cadre d’un litige. Remarques de McCarthy Tétrault Lorsque vous évaluez si vous devez exercer une clause de sauvegarde, souvenez-vous qu’une obligation de bonne foi s’appliquera certainement; vous devriez entreprendre une analyse rigoureuse et bien documentée. Les prêteurs devraient pouvoir invoquer en toute confiance le document en cour, si nécessaire. Heureusement, le fait d’invoquer une clause de sauvegarde donne souvent lieu à une Page 28 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 renégociation des modalités, plutôt qu’à un litige. Il est toujours mieux d’espérer que tout s’arrangera mais d’être prêt au pire. Communiquez avec : Andrew Matheson à Toronto à [email protected] ou R. Paul Steep à Toronto à [email protected] Litiges fiscaux L’affaire Chrysler Canada Inc. v. Canada : Les contribuables sont autorisés à demander un contrôle judiciaire des décisions ministérielles aux termes de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis (1980) La Cour fédérale a récemment rendu une importante décision qui permettra aux contribuables de demander des contrôles judiciaires des décisions du ministre du Revenu national visant à établir de nouvelles cotisations aux termes à la fois de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis (1980) et de la Loi de l’impôt sur le revenu. Voir Chrysler Canada Inc. v. Canada, 2008 D.T.C. 6452 (Fed. Proth.), confirmée dans 2008 D.T.C. 6654 (C.R.) (version anglaise seulement). Par le passé, certaines incertitudes entouraient la compétence de la Cour fédérale d’entendre les pourvois de contrôle judiciaire émanant des décisions ministérielles, lesquelles entraînaient l’établissement de nouvelles cotisations fiscales aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu. La Cour a souvent estimé que sa compétence en matière de contrôle judiciaire aux termes de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ne s’appliquait pas à ces questions puisque la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit une procédure d’appel exhaustive devant la Cour canadienne de l’impôt qui permet aux contribuables de contester le bien-fondé d’une cotisation. Page 29 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Toutefois, dans l’arrêt Canada c. Addison & Leyen Ltd., [2007] 2 R.C.S. 793, la Cour suprême du Canada a confirmé que la Cour fédérale peut contrôler par voie judiciaire l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre même si le pouvoir discrétionnaire se rapporte à l’établissement d’une cotisation fiscale, à condition que la façon d’exercer le pouvoir discrétionnaire ne soit pas autrement susceptible d’appel. En fait, la décision de la Cour suggère qu’il est possible de recourir au contrôle judiciaire relativement aux allégations selon lesquelles le ministre a abusé du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi puisque cette inconduite ne peut faire l’objet d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt (dont la compétence d’appel est limitée au bien-fondé d’une cotisation). Un certain degré d’incertitude persiste au sujet de l’étendue exacte de la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire après l’arrêt Addison. Toutefois, la question a récemment été clarifiée dans l’affaire Chrysler. Dans l’affaire Chrysler, le contribuable a demandé un contrôle judiciaire de la décision du ministre visant à établir de nouvelles cotisations pour augmenter l’impôt sur le revenu de la société pour plusieurs années d’imposition au moyen de redressements de prix d’opérations entre le contribuable et sa société mère américaine (redressements de prix). Il a été allégué dans la demande que les nouvelles cotisations constituaient un abus du pouvoir discrétionnaire du ministre aux termes du paragraphe 4 de l’article IX de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis (1980). Le contribuable demandait, entre autres mesures de réparation, une déclaration selon laquelle les nouvelles cotisations étaient invalides. Aux termes du paragraphe 4 de l’article IX, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a le pouvoir discrétionnaire d’accorder au contribuable une exonération unilatérale de la double imposition si elle n’a pas avisé le contribuable des redressements de prix dans les six ans à compter de la fin de l’année d’imposition touchée. L’ARC a par le passé exercé son pouvoir discrétionnaire de façon préventive au moyen de l’application d’une « politique en matière d’avis en temps opportun » aux termes de laquelle elle n’établira pas de nouvelles cotisations à l’égard d’un redressement de prix si le contribuable n’a pas reçu un avis adéquat du redressement de prix proposé dans la période de six ans. Dans l’affaire Chrysler, l’ARC n’a pas suivi la politique en matière d’avis en temps opportun. Par conséquent, le contribuable a soutenu que la décision de l’ARC d’établir les nouvelles cotisations constituait un abus de son pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 4 de l’article IX. La Couronne a présenté une requête pour obtenir le rejet de la demande au motif que la demande ne relevait pas de la compétence de la Cour fédérale. Toutefois, la requête présentée par la Couronne a été rejetée. Le protonotaire, en se fondant sur le raisonnement énoncé dans l’arrêt Addison, a conclu que la décision du ministre d’établir Page 30 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 les nouvelles cotisations constituait éventuellement un exercice inapproprié, injuste et discriminatoire de son pouvoir discrétionnaire aux termes de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis (1980). Puisque cette décision discrétionnaire ne pouvait pas faire l’objet d’un appel devant la Cour de l’impôt, le protonotaire a conclu qu’elle devait pouvoir faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. La Cour fédérale a rejeté un appel de la décision du protonotaire. La demande fait actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire. Remarques de McCarthy Tétrault Cette décision clarifie la portée de la décision rendue dans l’arrêt Addison, selon laquelle les décisions discrétionnaires du ministre peuvent faire l’objet de contrôles judiciaires devant la Cour fédérale, même si elles entraînent l’établissement de nouvelles cotisations aux termes de l’article 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont le bienfondé peut faire l’objet d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Le fait que le contribuable dans l’affaire Chrysler a demandé une déclaration de l’invalidité de la nouvelle cotisation n’a pas eu d’effet déterminant quant à la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire. Thomas B. Akin, Douglas A. Cannon, Jeffrey E. Feiner et Brandon Kain de McCarthy Tétrault ont agi à titre de conseillers juridiques de Chrysler dans le cadre de la procédure devant la Cour fédérale. Communiquez avec : Thomas B. Akin à Toronto à [email protected] ou Douglas A. Cannon à Toronto à [email protected] ou Jeffrey E. Feiner à Toronto à [email protected] ou Brandon Kain à Toronto à [email protected] Délits civils Les médecins ont-ils une obligation de diligence envers les enfants à naître de leurs patientes? Les médecins ont-ils une obligation de diligence envers les enfants à naître de leurs patientes et si oui, quand? Dans l’arrêt Paxton v. Ramji (2008), 92 O.R. (3d), 401 (version anglaise seulement), la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que les médecins n’avaient jamais une telle obligation envers les futurs enfants de leurs patientes, étant donné que l’imposition d’une telle obligation pourrait donner lieu à des conflits insolubles entre la mère et son futur enfant et empiète sur l’autonomie de la femme. Les demandeurs ont présenté une demande de pourvoi à la Cour suprême du Canada. Les demandeurs ont fait valoir que le docteur Ramji avait agi de façon négligente en prescrivant de l’Accutane, un médicament contre l’acné ayant des effets tératogéniques, à Dawn Paxton. L’Accutane a causé de graves anomalies à son futur enfant, Jaime Paxton. Jaime n’était pas conçu lorsque l’Accutane a été prescrit à sa mère. Le juge de première instance a conclu que le docteur Ramji avait une obligation de diligence envers Jaime, aux termes de laquelle il était tenu de s’assurer que Dawn Paxton ne tomberait pas enceinte pendant qu’elle prenait l’Accutane. Le juge de première instance a conclu que le docteur Ramji s’était acquitté de cette obligation, étant donné qu’il était au courant que l’époux de Dawn Paxton avait subi une vasectomie presque cinq ans plus tôt. Page 31 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Les demandeurs ont fait appel de la décision du juge de première instance selon laquelle le docteur Ramji s’était acquitté de son obligation envers Jaime. Le docteur Ramji a porté en appel la conclusion selon laquelle il avait une obligation de diligence envers Jaime Paxton. La cour a conclu à l’unanimité que [traduction] « tant que l’enfant n’est pas né vivant, le médecin doit agir dans l’intérêt véritable de la mère [la patiente]. » La cour a conclu que les médecins n’ont jamais d’obligation de diligence envers les enfants futurs, qu’ils soient conçus ou non, de leurs patientes. Le médecin aurait souvent à choisir entre l’intérêt de la mère et de celui de l’enfant à naître, ce qui pourrait faire en sorte que les médecins fassent passer les besoins de l’enfant avant ceux de la patiente. De plus, la cour a conclu qu’en droit, les femmes n’ont pas d’obligation envers leur futur enfant. Par exemple, une femme peut abuser de substances toxiques lorsqu’elle est enceinte de sept mois. Si son enfant naît avec des déficiences congénitales en raison de l’abus de ces substances, l’enfant ne peut poursuivre sa mère. L’imposition d’une obligation aux médecins envers un enfant futur restreint la capacité de la mère de faire librement des choix concernant son corps en ce qui concerne l’enfant futur. Remarques de McCarthy Tétrault La décision dans l’arrêt Ramji pourrait avoir une incidence profonde sur les professions médicales et juridiques. Page 32 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Si un médecin a une obligation envers la mère seulement jusqu’à ce que l’enfant soit né vivant, seuls les parents pourront être indemnisés pour la conduite qui a causé un préjudice à leur enfant avant sa naissance. Les cas-problèmes sont ceux où un enfant futur est blessé pendant la naissance, en raison de l’utilisation agressive des forceps par exemple. Dans un tel cas, la magistrature sera probablement réticente à refuser une compensation à l’enfant. Actuellement, les enfants qui subissent un préjudice avant leur naissance peuvent être dédommagés des dépenses en soins futures et de la perte de revenu pendant la durée de leur espérance de vie. En général, les parents peuvent être dédommagés des coûts de soins futurs jusqu’à l’âge de la majorité de l’enfant. Évidemment, les médecins et les avocats continueront de suivre attentivement l’arrêt Ramji. Les associés de McCarthy Tétrault Darryl Cruz et Sarit Batner ainsi que la sociétaire Cecilia Hoover représentent les défendeurs dans cette affaire. Communiquez avec : Darryl A. Cruz à Toronto à [email protected] ou Sarit E. Batner à Toronto à [email protected] ou Cecilia Hoover à Toronto à [email protected] Observations de Me Farley Leçons récentes : Concurrence loyale d’anciens employés Les deux décisions récentes H.L. Staebler Co Ltd. v. Allan, 2008 ONCA 576 (version anglaise seulement) et RBC Dominion valeurs mobilières Inc. c. Merrill Lynch Canada Inc., 2008 CSC 54, comprennent des renseignements utiles quant aux comportements dont on peut raisonnablement s’attendre d’anciens employés et quant aux restrictions acceptables à leurs activités concurrentielles. Dans l’affaire Staebler, deux vendeurs d’assurances commerciales sont passés à une société de courtage d’assurances malgré une clause de non-concurrence dans leur contrat d’emploi. Le courtier demandeur abandonné a été débouté. L’arrêt Dominion valeurs mobilières ne comportait pas une telle restriction, mais des dommages-intérêts significatifs ont été accordés à Dominion valeurs mobilières (DVM). Les faits et les principes appliqués sont des éléments importants de l’apparente incohérence entre les deux décisions. Dans Staebler, la juge Gillese de la Cour d’appel de l’Ontario a souligné — s’appuyant sur l’arrêt Elsley c. J.G. Collins Ins. Agencies, [1976] 2 R.C.S. 916 — qu’une clause restrictive ne peut être exécutoire « que si elle est raisonnable vis-à-vis des parties et de l’intérêt public ». Dans l’arrêt Elsley, la Cour suprême du Canada a indiqué que « [d]ans l’intérêt public, il est Page 33 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 important de décourager les restrictions à la liberté du commerce et de maintenir une concurrence exempte des entraves que constituent les clauses restrictives ». L’arrêt Elsley n’était pas qu’une simple affaire en matière de droit du travail. Dans l’espèce, l’employé qui avait signé l’entente de non-concurrence était également l’ancien propriétaire et tête dirigeante de la société de courtage; il représentait essentiellement « l’entreprise ». Bien que les tribunaux aient désapprouvé les restrictions aux droits des employés n’ayant pas de responsabilité extraordinaire de livrer concurrence après avoir quitté leur emploi, ils ont certainement été plus tolérants à l’égard de clauses de nonconcurrence visant un droit de propriété qui a été échangé moyennant contrepartie. Dans l’affaire Staebler, il s’agissait d’une restriction selon laquelle, pendant une période de deux ans après la cessation d’emploi, les anciens employés devaient [traduction] « s’abstenir de se livrer à quelque activité commerciale avec des clients [du demandeur] dont ils s’occupaient à la date de la cessation d’emploi ». Les employés démissionnaires n’ont pas perdu de temps : dans les deux semaines qui ont précédé la délivrance d’une injonction contre la sollicitation au demandeur, 118 clients avaient changé de société de courtage. Bon nombre d’entre eux avaient été « donnés » aux employés démissionnaires lorsqu’ils ont commencé à travailler pour le demandeur. Fait intéressant, ils ont chacun Une clause de non-concurrence empêche l’employé démissionnaire de se livrer à des activités commerciales avec d’anciens clients, tandis qu’une clause de non-sollicitation interdit simplement à l’employé démissionnaire de solliciter leur clientèle. signé des ententes renfermant une clause de non-concurrence et de non-sollicitation avec leur nouvel employeur. La société de courtage du demandeur avait une clause moins restrictive pour ses autres représentants commerciaux. La Cour d’appel a statué que la clause restrictive large était déraisonnable et par conséquent inexécutoire. • La juge Gillese a souligné l’importance de l’arrêt Elsley en tant que cadre pour établir si une clause restrictive particulière est ou non « déraisonnable ». On doit d’abord procéder à « une évaluation générale de cette clause, du contrat où elle est insérée et de toutes les circonstances qui l’entourent ». Ensuite, on doit prendre en considération un certain nombre de facteurs et de principes. Dans l’espèce, les facteurs étaient : • L’employeur avait-il un droit de propriété qu’il pouvait protéger? • Est-ce que les stipulations temporelles et territoriales sont trop larges? • Est-ce que la clause n’est pas exécutoire parce qu’elle vise la concurrence d’une façon générale et ne se limite pas à interdire la sollicitation des clients de l’ancien employeur? La juge Gillese a évoqué deux autres principes applicables en la matière : • Le premier de ces principes a trait à la nature de la clause restrictive. Une clause restrictive peut restreindre soit la concurrence, soit la sollicitation. Page 34 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 L’autre principe juridique digne de mention est le suivant : le fait qu’une clause aurait pu être exécutoire si elle avait été rédigée en termes plus étroits ne la sauvera pas. La question n’est pas de savoir si un contrat valide aurait pu être conclu, mais si le contrat effectivement conclu était valide. La juge Gillese a fait remarquer que, contrairement à l’arrêt Elsley, il y avait un déséquilibre du pouvoir de négociation lorsque le demandeur obligeait les représentants à signer la clause de non-concurrence. Elle a souligné la remarque du juge McPherson dans l’affaire Lyons v. Multari (2000), 50 O.R. (3d) 526 (C.A.) : [traduction] « En général, les tribunaux ne feront pas droit à une clause de non-concurrence si une clause de non-sollicitation protège adéquatement les intérêts d’un employeur ». Elle a également examiné s’il existait des [traduction] « circonstances exceptionnelles » justifiant une conclusion différente de celle de l’affaire Lyons. Elle a examiné si les anciens employés avaient des compétences ou des connaissances particulières pouvant justifier une clause de non-concurrence et a conclu qu’ils ne possédaient pas de telles compétences ou connaissances et n’étaient que des employés sans responsabilité extraordinaire. Le fait que les autres employés du demandeur n’étaient empêchés de faire des affaires avec des clients à la cessation de leur emploi que s’ils demeuraient dans un rayon de 50 km de Waterloo a influencé la juge Gillese. (La question de savoir si, en cette ère électronique, une activité de cette nature pouvait être exercée à distance n’a pas été abordée.) Elle a incidemment fait remarquer que le nouvel employeur avait une clause combinée de non-concurrence/nonsollicitation, dont le volet non-concurrence pouvait en être dissocié, ne laissant qu’une clause de non-sollicitation. Il est d’autant plus important de bien rédiger la clause de nonconcurrence que « l’activité », si elle n’y est pas définie, sera interprétée défavorablement comme une interdiction de livrer concurrence dans un secteur d’activité auquel les anciens employés n’ont jamais été associés lorsqu’ils étaient au service du demandeur. À titre d’exemple, il leur serait par ailleurs interdit de vendre du café à un client pour sa cantine. Le fait qu’un document commercial négligemment rédigé n’a pas été interprété en contexte illustre l’hostilité sentie envers les clauses de non-concurrence. Le don de clients ne constitue pas non plus, selon elle, des « circonstances exceptionnelles » justifiant la clause de non-concurrence (avec, semble-t-il, pour résultat que les représentants et leur nouvel employeur ont bénéficié gratuitement de l’actif du demandeur). Pour ces motifs, le demandeur a perdu en appel son jugement de première instance de 2 millions de dollars. Page 35 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 Dans l’autre affaire, la Cour suprême du Canada, dans un jugement majoritaire de six contre un, a restitué à DVM ses 2 millions de dollars (y compris 250 000 $ de dommagesintérêts exemplaires). Dans cette affaire, une douzaine de représentants d’une firme de courtage en valeurs mobilières de Cranbrook (Colombie-Britannique), dont le directeur de succursale, ont « traversé la rue », laissant littéralement derrière eux un bureau vide près de l’effondrement. Il n’existait aucune condition d’emploi ni, notamment, aucune clause restrictive écrite en cas de cessation d’emploi. DVM aurait semble-t-il éprouvé de la difficulté à recruter si elle avait insisté sur des clauses restrictives et avait privilégié « l’embauche d’employés [d’autres firmes concurrentes] ». Le juge de première instance a conclu que le niveau décisionnel du directeur de succursale ne lui conférait pas le statut d’employé ayant une obligation fiduciaire, mais a établi que ce dernier avait l’obligation implicite de retenir les employés qu’il supervisait. Il a toutefois été souligné au procès qu’il était un ami intime et de longue date du directeur de Merrill Lynch qui l’a incité à manquer à son obligation implicite de ne pas se livrer à une concurrence déloyale. Au lieu de préserver l’intégrité des effectifs, le directeur de succursale a organisé le transfert auprès de Merrill Lynch et a subrepticement coordonné la reproduction de dossiers confidentiels qui ont été envoyés, après les heures de bureau, à Merrill Lynch avant le transfert. La juge en chef McLachlin pour la majorité a tenu les propos suivants : On n’interdit généralement pas à l’employé démissionnaire de faire concurrence à son ancien employeur pendant la période de préavis et l’employeur ne peut réclamer des dommages-intérêts qu’en raison du défaut de l’employé de donner un avis raisonnable... [sous réserve de cette affirmation générale] que l’ex-employé peut être tenu responsable de certaines fautes, comme l’utilisation irrégulière de renseignements confidentiels pendant la période de préavis... [e]n l’espèce, on a conclu que les obligations auxquelles étaient assujettis tous les employés défendeurs étaient les obligations implicites de chacun d’exécuter de bonne foi ses fonctions et de donner un préavis raisonnable de la cessation d’emploi. La juge Abella, dissidente, a tenu les propos suivants que les procureurs s’empresseront sans doute de citer dans de prochaines causes dans le but de tenter de minimiser la responsabilité des employés démissionnaires : Élargir ainsi la portée de l’obligation d’agir de bonne foi peut faire peser sur les employés une responsabilité nouvelle et potentiellement énorme. J’estime que cette évolution présente non seulement une incertitude malvenue et crée un effet punitif, elle risque également d’élargir ce que cette Cour a longtemps reconnu comme une inégalité de pouvoir dans les relations employeur-employé en Page 36 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 consolidant davantage la vulnérabilité inhérente des employés. Elle convient toutefois que, conformément à l’arrêt Elsley, les parties à des contrats d’emploi peuvent négocier une clause restrictive raisonnable. Les employés démissionnaires avaient envoyé un avis à leurs clients pour leur annoncer « une nouvelle occasion d’affaire extraordinaire ». Le juge de première instance a souligné que cette occasion ne pouvait s’adresser qu’aux transfuges et non aux clients, mais a refusé, à terme, d’établir si l’avis constituait une sollicitation. Nous pouvons tirer certaines leçons de ces deux affaires, notamment se rappeler qu’il est difficile de faire exécuter des clauses de non-concurrence, mais que les tribunaux adoptent une attitude plus conciliante à l’égard des clauses de non-sollicitation. Des « circonstances exceptionnelles » doivent les justifier et l’employé doit reconnaître au moment de la signature de la clause que, eu égard à ces circonstances, la violation de la clause causera un grave préjudice exigeant réparation entière et immédiate (y compris une possible restitution) pour rendre justice à l’employeur. Les clauses ne doivent pas être trop larges, mais raisonnables dans les circonstances. Il semblerait approprié de convenir qu’un contact de quelque nature de la part d’un employé démissionnaire pendant une certaine période constitue une sollicitation, à l’exception d’une annonce générale dans les médias, qui ne cible pas les clients de l’ancien employeur. En ce qui a trait aux clients qui ont été « donnés » à l’employé démissionnaire, il serait approprié d’établir à l’avance la manière dont l’employeur pourrait être indemnisé en cas de défection à court terme. Il n’y a pas de solution miracle : certaines relations de travail peuvent exiger une clause différente, mais cette différence devrait être justifiée par écrit au moment de la signature de la clause. Une rédaction imprécise a coûté 2 millions de dollars à l’ancien employeur dans l’arrêt Staebler; les pratiques commerciales déplorables des défendeurs ont valu à DVM une indemnisation de 2 millions de dollars. Il convient donc d’établir avec soin les paramètres des relations avec les employés, faute de quoi, l’employeur pourrait assister à une triste adaptation de « sitôt arrivé, sitôt parti ». Communiquez avec : L’honorable James M. Farley, c.r., à Toronto à [email protected] Veuillez noter que toutes les décisions présentées à l'aide d'un hyperlien dans cette publication proviennent de CanLII (Institut canadien d’information juridique) : http://www.canlii.org/fr. Page 37 CoConseil : litige, volume 2, numéro 3 CoConseil McCarthy Tétrault : droit de la technologie droit des affaires droit du travail et de l’emploi litige Les publications CoConseil McCarthy Tétrault sont conçues pour vous aider à comprendre de quelle façon les changements et les faits nouveaux dans le domaine du droit influent sur votre entreprise. Chaque CoConseil explore en profondeur un domaine du droit en particulier et contient des commentaires ainsi que de l’information sur les sujets juridiques qui, selon nous, sont les plus pertinents pour vous. À l’heure actuelle, nous publions des CoConseil axés sur le droit de la technologie, le droit des affaires, le droit du travail et de l’emploi, et le litige. Pour lire les autres publications CoConseil McCarthy Tétrault ou pour vous y abonner, veuillez consulter notre site Web. VANCOUVER P.O. Box 10424, Pacific Centre Suite 1300, 777 Dunsmuir Street Vancouver (Colombie-Britannique) V7Y 1K2 Tél. : 604-643-7100 Téléc. : 604-643-7900 CALGARY Suite 3300, 421 - 7th Avenue SW Calgary (Alberta) T2P 4K9 Tél. : 403-260-3500 Téléc. : 403-260-3501 TORONTO Box 48, Suite 5300 Toronto Dominion Bank Tower Toronto (Ontario) M5K 1E6 Tél. : 416-362-1812 Téléc. : 416-868-0673 OTTAWA The Chambers Suite 1400, 40 Elgin Street Ottawa (Ontario) K1P 5K6 Tél. : 613-238-2000 Téléc. : 613-563-9386 MONTRÉAL Bureau 2500 1000, rue De La Gauchetière Ouest Montréal (Québec) H3B 0A2 Tél. : 514-397-4100 Téléc. : 514-875-6246 QUÉBEC Le Complexe St-Amable 1150, rue de Claire-Fontaine, 7e étage Québec (Québec) G1R 5G4 Tél. : 418-521-3000 Téléc. : 418-521-3099 ROYAUME-UNI et EUROPE 5 Old Bailey, 2 e étage Londres, Angleterre EC4M 7BA Tél. : +44 (0)20 7489 5700 Téléc. : +44 (0)20 7489 5777 Tous les efforts ont été déployés pour s'assurer de l'exactitude et de l'à-propos de la présente publication, mais les observations contenues aux présentes sont nécessairement de portée générale. 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