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Mariette Cyvard pour CRPTrad
MARIETTE Cyvard assembleur
Le grand architecte de l’univers
Le Grand Architecte de l’Univers
Ciel ! C’est lui ?
G comme Gomès - A comme Adonaï - U comme homme
Textes rassemblés pour les membres de CRPTrad Noeux les mines
Usage pédagogique sans but lucratif
Anonymats préservés, orthographe parfois rectifiée
Sources disponibles sur la toile, extractions des listes d’échanges maçonniques …
Mis à disposition des amis
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Mariette Cyvard pour CRPTrad
Grand architecte
Marcus Vitruvius Pollio, plus connu sous le nom de Vitruve, fut est un
personnage romain qui vécut au I siècle av. J.-C.
D´abord il ne fut qu´un soldat qui lutta en Gaule, en Espagne et en Grèce,
avant de devenir constructeur de machines de guerre.
A un âge plus avancé il sera architecte à Rome, du temps du premier
empereur César Auguste, à qui il dédiera son livre : De Architectura. (lire
AUGUSTE L´ARKHITEKTON )
Céline : courtial gadlu
*Salué de son vivant même comme l'artiste en qui s'incarnait la renaissance
de l'art allemand, Fischer von Erlach reste le grand architecte de la Vienne
triomphante, au tournant des xviie et xviiie siècles. Son père était un sculpteur
de Graz, et il reçut sa première formation également comme sculpteur.
ARCHITECTE, f. m. Qui. scait l'Art de taire bastir. Grand architecte, fçavant,
excellent, fameux architecte, ce n'est pas un architecte ce n'est qu'un maçon.
Varia
ARCHITECTE. s. m. (Architeet; Baumeister; Baukunstler, der) Celui qui exerce
l'art de l'architecture, l'art de bâtir; artiste qui compose les édifices, en
détermine les proportions, les distributions, les décorations, les fait exécuter
sous ses ordres, et en règle les dépenses. „Grand architecte. Savant, excellent,
fameux architecte. Ce n'est pas un architecte, ce n'est qu'un maçon."
http://books.google.fr/books?pg=PA50&lpg=PA50&dq=philosophie+%22gran
d+architecte%22+-franc+-+ma%C3%A7on+-ma%C3%A7onnerie+-loge+ma%C3%A7ons&sig=LcP_N51_9rtsYB3Y3hQAiKPSngA&ei=WC3jTSFLITA8QPTpNjVDg&id=jEQ8AAAAMAAJ&hl=fr&ots=MPtAh1vGCL&output=te
xt
Amenhotep, fils de Hapou, fut divinisé pour avoir été au service d’Aménophis
III
http://books.google.fr/books?id=vcfQl9crUEkC&pg=PA493&lpg=PA493&dq=
philosophie+%22grand+architecte%22+-franc+-+ma%C3%A7on+ma%C3%A7onnerie+-loge+-ma%C3%A7ons&source=bl&ots=SNYz2lsoJ&sig=VK9gcgwuA467iVSL6Yy2kl7Wpk0&hl=fr&sa=X&ei=WC3jTSFLITA8QPTpNjVDg&ved=0CF8Q6AEwBw#v=onepage&q&f=false
Palladio ( 1508-1 580), le grand architecte qui a dominé la seconde moitié du
xvie siècle à Venise.
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Cathédrale st étienne de sens :
La façade sud comprenant le superbe portail de Moïse date des années 14901500 et est l'œuvre du grand architecte Martin Chambiges, lequel travailla
aussi à Senlis, Troyes et Beauvais.
Nous quittons une Ère d’obscurité, le Kali Yuga des Hindous, au cours de
laquelle il nous a été permis de faire tout et n'importe quoi, certaines choses
magnifiques noyées dans un océan d’abomination ; nous étions plongés dans
une profonde ignorance, coupés de notre essence divine par une dualité
difficilement surmontable. Isolés sur notre planète, nous avons cru dur
comme fer que nous étions seuls dans l'univers. Maintenant ce cycle prend
fin et une Ère Nouvelle commence, une Ère de prospérité qui nous verra
redevenir les véritables dieux que nous sommes ; notre mémoire nous sera
bientôt rendue de même que notre conscience divine et nous réintégrerons la
grande Communauté galactique avec laquelle nous contribuerons à mettre en
œuvre les plans du "Grand Architecte", du "Grand Constructeur", au côté de
Christ le Maçon.
http://www.erenouvelle.fr/tag/Olivier%20de%20Rouvroy
Anaxagore de Clazomènes ( -500 / - 428), le serviteur fidèle du Grand
Architecte de l’Univers
J’aime cet homme qui vit dans l’ordonnancement de l’Univers la marque
d’une Intelligence organisatrice. Il l’appelait le Noûs, nous la nommons Grand
Architecte de l’Univers. Mais peu importe : Anaxagore est notre cousin.
Il s’inquiéta fort du problème de la quadrature du cercle et, venant d’esprits
comme le sien, je crois comprendre cette préoccupation d’un problème
impossible ou quasi-impossible à résoudre : rien de plus opposé qu’un cercle
et ses onctueuses courbes et un carré et ses angles abrupts. Chercher à
construire un carré de même surface ou de même périmètre qu’un cercle
donné, c’est vouloir réussir la tâche la plus divine du Noûs, à savoir la
réalisation de l’union des opposés.
Au sein de cette histoire, nous voyons se dessiner de manière proéminente le
moment rationaliste, à la foi philosophique et scientifique, associant Newton
et Kant. C’est un moment clé de l’Occident, avec comme principe structurant
le réglage. L’univers subjectif kantien, tout comme celui objectif de Newton,
repose sur le réglage. Ce principe va jusqu’à fonctionner dans la nouvelle
théologie des Lumières, celle propagée dans les cercles maçonniques et
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partagée par les élites qui, suivant Voltaire, se voulaient déistes et vénéraient
le Grand Architecte. La métaphore de cette époque, c’est celle de l’horloger.
Et en effet, quoi de mieux que les rouages d’une montre pour évoquer les
réglages universels, une montre qui, trouvée par un étranger, fut à l’origine
d’une fameuse méditation de William Paley sur la mécanique du vivant. Nous
n’en avons pas fini avec cette question du réglage, qui fut pour l’Occident un
Janus où le salut par le progrès technique fut entrelacé avec une malédiction
spirituelle. A se demander si Kant n’aurait pas été empoisonné par la
mécanique newtonienne. Auquel cas, Husserl pourrait constituer un
contrepoison fort utile, surtout par les temps qui courent. Le regard
phénoménologie institue une nouvelle ère dans la manière de penser les
objets et semble étroitement lié avec les résultats de la physique quantique
qui, à peu près à la même époque, on permis de déconstruire l’objectivité
newtonienne, avec la cosmologie relativiste.
http://emsomipy.free.fr/Articles/Articlessog2%20=%20NON/ArtHuber206.01Gadlu.htm
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TRAVAIL DE MAITRE
Discours prononcé à une réception de ce grade
le 16 septembre 1764
Mes Chers Frères,
Le grade de Maître, que l'Ordre par dispense a bien voulu vous conférer
aujourd'hui, ajouterait peu de choses aux connaissances premières de la
maçonnerie, si bornant vos réflexions au seul spectacle que cet appareil
lugubre vous présente, je ne vous aidais à en développer l'allégorie. Vous avez
appris à votre initiation, que notre Ordre avait pour objet dans son institution
primitive, la reconstruction du Temple de Salomon ; que dans la continuation
de nos pratiques mystérieuses nous nous en occupons encore dans un sens
moral, et déjà vous avez connu le but, le plan, les principes et l'étude des
Maçons, le surplus n'est précisément qu'une marche symbolique, nécessaire
pour filer avec agrément et variété, la sage morale que contient
essentiellement notre doctrine. Chaque grade auquel vous parviendrez, sera en
effet un plus grand degré de sagacité, un plus grand développement d'idées, un
mode nouveau, qui rendra notre système plus lumineux.
Aujourd'hui l'Ordre, par des vues raisonnables et prudentes, occupe vos
regards d'une décoration funèbre, tout y est relatif le vêtement des Frères, leur
maintien, les lumières du tableau, les crayons qu'il présente, la cérémonie de
votre réception, les signes que je vous ai appris, le mot même que je vous ai
conféré, tout TCHOUDI ou TSCHOuDY, Louis Théodore (Baron de) : 1724-1769.
Il fut Conseiller au Parlement de Metz. Il publia en 1752 deux ouvrages Etrenne
au Pape des Francs-Maçons vengés » et « Le Vatican vengé », où il attaque les
condamnations pontificales de la franc-maçonnerie enfin « L'Etoile
Flamboyante , d'où ont été extraits, les trois discours, aux Apprentis, aux
Compagnons, aux Maîtres, qui ont été successivement publiés dans les Points
de Vue Initiatiques (nc 15, 16). II semble avoir eu une certaine influence sur le
développement du Rite Ecossais, en France et en Europe.
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enfin dans ce moment doit retracer une époque douloureuse, quoi qu'elle ne
soit pas consignée dans l'histoire ; la tradition qui lui équivaut souvent en a
tellement perpétué le souvenir, qu'aucun Maçon n'hésite de donner des larmes
sincères à la perte de leur chef.
Celui que l'Ordre regarde comme tel, périt sous les coups gemmés des traîtres
qui l'assassinent, l'ambition aiguise leur poignard, l'avarice préside au complot
et la perfidie guide leur main sacrilège. Le Père de la Maçonnerie dont la mort
même ne peut ébranler la constance, expire avec son secret, victime de la
trahison et de sa propre fidélité. Tel est le précis du grade que vous venez
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d'acquérir, précis sec, froid, monotone, et qui n'aurait pas de quoi vous
satisfaire, mes chers Frères, si vous n'en suiviez l'allégorie dans tous ses points.
La perte du Maître de l'Ordre mérite sans doute tous nos regrets, mais enfin le
temps passe l'éponge sur les événements les plus tristes et si nous n'avions pas
un point de vue plus réel, une commémoration sérieuse suffirait aux cendres
du Père des Maçons. Mais en examinant pied à pied les circonstances
malheureuses de cette mort tragique, nous y trouvons des exemples trop
frappants, des leçons trop utiles, pour n'en pas faire l'objet d'une méditation
profonde. Ici le tableau des excès auxquels se livre tout homme qui écoute les
penchants vicieux de la nature, là ce que peut sur une âme pénétrée de ses
devoirs, la force de ses engagements et de ses promesses. Tel est
succinctement le résultat moral des considérations que présente ici l'Ordre
dans l'historique de ce grade. Rien de plus affligeant pour nous, mes Frères,
que d'avoir à penser que des Maçons ont pu être auteurs d'une telle énormité :
rien de plus triste que de voir de nos jours se renouveler des scènes aussi
effroyables. Le secret de l'Ordre, voilà le véritable Hiram, l'indiscrétion des
Frères qui le divulgueraient ou l'exposeraient à profanation, voilà le meurtre,
voilà les assassins l'ambition, l'avarice, furent le pivot d'un premier crime, elles
peuvent l'être encore. Un troisième mobile non moins dangereux prépare
peut-être de nouvelles atrocités : l'amour n'est pas à son coup d'essai pour
causer des désordres ; on sait les faiblesses qu'il autorise. Je me hâte d'écarter
ces funestes images, les préceptes sont superflus, ou les précautions ne sont
pas nécessaires, ou les explications ne peuvent trouver place : les
senti[6]ments de ceux qui composent cette respectable loge, les mettent
infiniment au-dessus du besoin d'instruction à cet égard les vôtres, mes Frères
nouveaux reçus, dont nous avons pour gage, naissance, nom, éducation, état,
esprit, m'auraient suffisamment dispensé d'un si long détail, si je n'avais cru par
ma place, en vous ouvrant le sanctuaire de la vérité, être obligé de vous la
découvrir sans aucun voile c'est par cette route peu frayée du vulgaire, que la
Maçonnerie conservera toujours l'estime qu'elle mérite la dignité de Maître à
laquelle vous venez d'être élevés, est le prix du rapport de vos sentiments aux
nôtres, il exige qu'à l'avenir nous communiquions avec vous de la façon la plus
intime, la plus complète, la plus ingénue c'est ainsi que, marchant à la suite, de
grade en grade, jusqu'au dernier but de notre association, vous y reconnaîtrez
toujours cette morale sage et solide, qui présentant d'un côté, sous les surfaces
de nos allégories, tous les monstrueux abus que le caprice, l'indiscrétion,
l'avidité, l'orgueil, l'ambition, l'amour et la haine peuvent enfanter, fournissent
de l'autre un antidote sûr, contenu dans les sages maximes de l'Ordre, dans les
vertus qu'il inspire, dont cette respectable loge vous donnera des exemples
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constants, et qui conviennent, on ne peut mieux, mes chers Frères, à la beauté
de votre âme, et à ce caractère que nous aimons en vous.
N.B. Il est bon de savoir tirer parti de tout. Les apologues sont la meilleure de
toutes les leçons, on ne peut ranger une hypothèse dans la même classe que
les fables : en ce cas, celle de la mort du Chef que les Maçons ont admise,
deviendra une invention utile, si l'on sait en prendre occasion d'admonester le
vice et de prêcher la vertu j'approuve l'entreprise, mais je voudrais qu'un
Maître fût soigneux de ne pas hasarder des paradoxes : par exemple, les
penchants vicieux de la nature, cette phrase n'est pas supportable, les bons
Philosophes ne peuvent la protéger. Justifie-t-on des enfants criminels, en
déshonorant leurs mères ? Les vices ne sont point dans la nature, ils sortent au
contraire de l'ordre et du cercle qu'elle-même a circonscrit nous ne tenons pas
d'elle le goût et l'aptitude aux atrocités, mais l'abus des droits naturels nous y
conduisent quelquefois. Tout homme naît pour le bien, supposer le contraire,
c'est accréditer un blasphème : celui qui créa tout, fit deux lots à droite, il plaça
les vertus à gauche, la fatale boite aux crimes : il dit à l'homme : tu es libre,
choisis les arguments civils ne touchèrent point au petit trésor, ils ajoutèrent
beaucoup au grand coffre de la perversité, l'homme y puisa de préférence, estce la faute de la nature ?
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Observation
La foule des grades qui suit immédiatement les trois premiers, produit
également un tas de discours analogues aux rêveries qui sont l'essence de ces
modernes inventions, on se dispense d'en donner aucun de cette espèce, parce
qu'il serait indécent de dialoguer sur des objets, dont on croit d'ailleurs avoir
assez montré l'absurdité ou le ridicule : au surplus, comme ces grades n'ont pas
une forme fixe, et qu'ils varient suivant la chaleur d'imagination ou l'intérêt
particulier de ceux qui les administrent, et qu'en général, hors de la France, ils
ont un très petit crédit, les discours prononcés en conséquence ne peuvent
intéresser ni instruire. La Maçonnerie semble être parvenue à son nec plus
ultra, lorsqu'on arrive à l'Ecossisme, moyennant que par une juste estimation,
l'on rejette vingt-cinq chimères qui portent ce nom, pour s'attacher au seul
grade qui le mérite, et qui est connu de peu de personnes. Comme il est assez
simple que chacun soit de son pays, l'on croit devoir donner la préférence à
I'Ecossisme d'Ecosse, intitulé de Saint André ; les choses sérieuses et
raisonnables qu'il contient vaudraient bien, si cela se pouvait, une dissertation
particulière et lumineuse ; mais l'on se bornera aux prérogatives et privilèges
acquis aux Maçons qui ont obtenu ce grade, cette ébauche suffira pour en
donner une idée avantageuse.
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Croyance en Dieu et déisme en Maçonnerie de Jean-Pierre CRYSTAL
Cet article commence par la polémique qu’a entraîné des passages des
constitutions d’Anderson relatifs à "l’athée stupide" et aux "libertins irréligieux"
qui ne doivent pas être admis en maçonnerie. Jean-Pierre Crystal retrace
l’ambiguïté qui est présente jusqu’à ce jour, certains ont cru que la francmaçonnerie allait jusqu’à initier des profanes indifférents en matière religieuse,
voire détachés de toute pratique ou de toute croyance. En effet, pour aller à
l’encontre de cette idée certains ont affirmé haut et fort que la francmaçonnerie était déiste. Paul Naudon écrit d’ailleurs ces lignes "la francmaçonnerie manifeste une tendance généralement déiste" et il fait référence
aux constitutions d’Anderson indiquant qu’un franc-maçon ne sera jamais un
athée stupide ni un libertin irréligieux. Il ajoute que "le caractère déiste de la
franc-maçonnerie se complète d’une part, du moins dans la franc-maçonnerie
anglo-saxonne, de la croyance en l’immortalité de l’âme, d’autre part d’une
inspiration nettement chrétienne". Mais, pour Jean-Pierre Crystal, pense qu’à
force de gloser sur la notion d’athéisme la franc-maçonnerie s’est laissée
"gangréner" par le déisme et à la suite de cet article, l’auteur va nous
démontrer pourquoi cela est impossible. Pour cela il se réfère à la définition du
déisme qui est tirée de la section 8 des pensées « les fondements de la religion
chrétienne" et reprise par le dictionnaire Le Robert : "le déisme est une
croyance à l’Être Suprême mais n’accepte pas les dogmes et les pratiques d’une
religion". Donc le déisme rejette les dogmes révélés et nous relevons qu’il est
aussi éloigné de la religion chrétienne que l’athéisme. Il précise que les papes
étaient méfiants vis à vis du déisme et on imagine mal qu’à une certaine
époque la franc-maçonnerie se soit confrontée à l’Église et à la religion
chrétienne catholique en particulier. De nombreux maçons ont souvent
revendiqué que la franc-maçonnerie était œcuménique (dans le sens de
rassembler plusieurs religions), et là encore l’auteur va préciser de quelle sorte
d’œcuménisme il s’agissait, en faisant référence à "l’apologie pour l’ordre des
francs-maçons" qui précise que si la franc-maçonnerie était œcuménique,
c’était dans le seul but de rassembler les communautés chrétiennes. L’auteur
prend référence à un passage d’un rituel où il est dit que "l’ordre n’admet que
les chrétiens, voilà pourquoi les juifs, les mahométans et les païens sont exclus
comme infidèles". Jean-Pierre Crystal précise que la franc-maçonnerie n’est pas
une église, elle est un ordre initiatique groupant des chrétiens qu’elle désire
unis (bas de page 238). Il termine cet article par je cite : "au risque de
surprendre et même de choquer certains, force nous est donc de conclure que
la franc-maçonnerie des origines telle qu’elle apparaît dans l’apologie n’admet
en son sein que des chrétiens à l’exclusion des athées, des déistes et des
indifférents en matière religieuse. Il serait souhaitable que les commentateurs
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n’occultent plus la franc-maçonnerie sous l’étiquette trompeuse de déiste que
les maçons d’avant 1745 récusaient avec pareille vigueur. Les maçons
d’aujourd’hui qui projettent souvent sur le passé de leur Ordre, au risque de
contresens et d’anachronismes, leurs préoccupations philosophiques et
spirituelles du moment, feront bien de méditer sur la rigueur doctrinale de
leurs prédécesseurs et d’en tirer les conséquences qui s’imposent". Écrit par
P.F.
Renaissance Traditionnelle N°4 - Octobre 1970. p 235
Source : http://aprt.biz/
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Déisme et Théisme La Franc-Maçonnerie au XVIIIème Siécle
Les différents travaux de notre Loge nous ont conduits à nous intéresser à
l'histoire mouvementée des débuts de la Maçonnerie spéculative et plus
particulièrement à toutes ses implications dans ce siècle dit "des Lumières" si
riche et si déterminant. Le sujet de Dieu immanent ou transcendant est
complexe et important, j'en resterai aux origines de ces schismes du début du
siècle, m'arrêtant avant les prémices de la révolution. Et sachant que toute
religion doit demeurer du domaine privé, je tenterai de m'en tenir aux faits; et
qui sont d'ailleurs ardus à démêler. Ces termes, déisme et théisme, sont au
départ rigoureusement les mêmes: le premier est latin et le second grec et sauf
erreur… ils sont tous les deux relatif à Dieu, être suprême. Le distinguo du
concept ne vient ensuite que de ce que les hommes ont voulu en faire et en
imposer. On se souvient des graves problèmes de la fin du règne de Louis XIV,
la révocation de l'édit de Nantes et en Angleterre la lutte des jacobites et des
orangistes obligeant entre autre la famille de Desaguliers à quitter la France et
rencontrer par la suite le pasteur James Anderson avec qui il rédigera une
partie des constitutions. Ces hommes de réflexion, rejetés par les catholiques
fondamentalistes, vont tout normalement continuer la démarche anglaise vers
plus de liberté spirituelle. Mais avant de comprendre le cheminement religieux
d'un maçon du début du 18ème siècle, essayons de faire le point sur le poids de
la religion à la même époque. Quels sont les valeurs appliquées par l'ensemble
de la population en grande majorité inculte et ignare ? Le principe en est
simple et clair : l’homme a été créé par Dieu pour obéir à Dieu. La volonté de
Dieu lui est transmise par des intermédiaires religieux qu’il ne peut ni ne doit
discuter. En tête, le pape, chef absolu des cardinaux et des évêques qui eux
transmettent au clergé les directives et la gestion de la foi pour son application
par tous. Les pouvoirs sont partagés entre royauté et religion. (Le tiers état et
la bourgeoisie ne sont même pas évoqués). Les rois sont « oints de Dieu » et
tiennent de Lui une puissance absolue dont ils n’ont de compte à rendre qu’à
Dieu. Seule l'obéissance est acceptée. Le Roi use, parfois abuse, de son droit,
c'est l'ordre contre le désordre. En obéissant au roi, ses sujets obéissent à Dieu
et à ses dogmes. Ce puissant dogme religieux est identique en Europe
occidentale et ce jusqu'à l'explosion du protestantisme. Toute cette croyance
pourra être invoquée sous le terme de théisme. Mais l'Angleterre, à partir de
1689, suite à la "bill of rights" qui voit la mise en place de la royauté
constitutionnelle, fera une approche d'une religion dite "naturelle" qui portera
quelques décennies plus tard le surnom de déisme. Cette recherche de vérité
et de réflexion mènera lentement à cette notion de Dieu non omnipotent, avec
un nouveau concept de tolérance et de simplicité naturelle. Les premiers, les
philosophes anglais ont tenté de comprendre les contradictions existantes
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entre foi et raison. Pour le déiste, Dieu, une fois la création achevée,
n'intervient plus dans le cours de l'histoire du monde. Ça éloigne l'idée de la
religion révélée, surnaturelle et miraculeuse au profit d'une religion où
l'homme est en relation directe avec l'Eternel et où la tradition n'a plus besoin
d'être écrite. Anderson, fils de maçon écossais, maçon lui-même, suivra les
principes de Newton et de sa philosophie naturelle et rationnelle qu'il appelle
la "religion primitive" mais où Dieu reste le grand ordonnateur de l'univers et
de la vie. Lui, Newton qui comprendra les lois de la gravitation, sera
intimement persuadé que l'agencement des planètes n'est pas dû au hasard. Il
pense que Dieu reste une révélation, en cela il est théiste. Il ne croit plus au
dogme de la trinité et considère que la bible n'est plus si importante dans ce
manifeste et alors il est déiste. Preuve s'il devait en avoir une que ces deux
interprétations, parfois se chevauchent. Mandaté en 1721 par la toute jeune
Grande Loge, James Anderson, avec l'aide de Desaguliers, pourra, afin de
rassurer tant le pouvoir religieux que royal et sans soulever de tollé, écrire en
1723 dans son 1er article des constitutions qu'il n'est plus nécessaire de
pratiquer la religion du Pays. Il me semble utile de lire une partie de cet article
1er des constitutions :
« Un maçon est obligé, d'obéir à la loi morale. S'il entend bien l'Art, il ne sera
jamais un athée stupide ni un libertin irréligieux ». Si, dans les temps anciens,
les maçons étaient obligés, en tous les pays, de suivre la religion de ce pays ou
de cette nation, on juge plus commode de nos jours de ne les obliger qu'envers
la religion sur laquelle tous les hommes se mettent d'accord, laissant à chacun
la liberté de ses opinions personnelles. En 1723 pas encore de notion de Grand
Architecte informel, mais comme le précise Anderson, les athées ne sont pas
reconnus. Durant tout le siècle et au moins jusqu'à la révolution personne n'est
supposé être athée. A la limite pouvait-on être panthéiste ou déiste. Le
panthéisme est naturaliste. Sa définition : "Dieu est tout" ou alors "tout est en
Dieu." Sans pouvoir développer l'idée de Spinoza pour qui Dieu et la nature
font Un ou reprendre l'idée de notre bien aimé Giordano Bruno, qui précisait
"Le monde est infini parce que Dieu est infini. Comment croire que Dieu aurait
pu se limiter lui-même en créant un monde clos et borné " qui pour ces propos
fut brulé vif; Le déisme devient rapidement en Angleterre un refus de l'autorité
et l'église d'Angleterre n'est pas contre et ne se heurte pas de front à ces
nouvelles interprétations libertaires. Elle suit ce mouvement déiste qu'on
nomme aussi latitudinaire, signifiant " avec plus de liberté", avec tolérance
dirait-on aujourd'hui, tout en conservant tout de même, le dogme de la sainte
trinité. Preuve de l'irrationalisme de ces mouvements perpétuellement en
recherche. Il faut préciser que l'Angleterre et ses églises anglicane ou
presbytérienne n'aiment pas les polémiques de styles latins ou romains. Elles
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sont indifférentes aux pures questions théologiques et par là très opposées aux
habitudes de la religion catholique continentale qui débat sans cesse sur toutes
les affres de la foi. Pour les Anglais, la religion sert à donner une moralité aux
hommes. Il n'y a donc pas de conflit religieux quand Anderson écrit son article
premier. Les esprits sont prêts.
Mais alors, et le Théisme !
Y aura-t-il une sorte de contre-réforme face à la montée de ces libres penseurs
désirant s'émanciper du joug de Rome ? Oui et non comme toujours. En 1753
se crée toujours en Grande-Bretagne les Anciens, le titre officiel: la "Grande
Loge des Francs et Acceptés Maçons de l'Ancienne Institution", issue de la loge
d'York , en contrepartie, celle de 1717 quoique plus vieille, sera nommé les
modern. Ce n'est pas une scission, mais une véritable création. La majorité des
membres de cette nouvelle obédience est d'origine irlandaise fuyant déjà leur
ile pour famine et guerre et qui en tant que catholiques se voient mis à l'écart
par les Anglais. Ces iliens considèrent les maçons de la lignée andersonnienne
bien sur comme des déistes trop tolérant et se radicalisent en loge théiste,
intégriste dirait-on aujourd'hui si on voulait la comparer à la fronde de
monseigneur Lefebvre et de sa fraternité saint Pie X. Ils conserveront en
souvenir de cette loge mère le nom de rite d'York basé sur la bible et ses
légendes. Ils reprochent aux modern d'avoir abandonné les prières et les règles
strictes des "Old Charges". Leur règlement précise :" un maçon est obligé de
croire fermement et d'adorer fidèlement le Dieu éternel." On ne peut être plus
théiste. Position encore valable aujourd'hui pour la Grande loge unie
d'Angleterre. L'Angleterre et son Habeas Corpus accepte la pluralité des
religions et des sectes. Il n'y a ni hostilité ni opposition à la F\M\ de la part des
anglicans et des presbytériens. Ces deux obédiences se développeront
conjointement et porteront en Europe et plus particulièrement en France ces
deux courants. Le succès est rapide. La diffusion des idées est lancée. Les deux
lignes de pensée, déiste et théiste, passeront en France avec les Jacobites
fuyant leur ile. Mais la France n'est pas l'Angleterre et les deux mouvements,
séparés en Angleterre, vont souvent se mélanger dans des ateliers composés
d'aristocrate et de bourgeois, mais aussi de plus en plus de membres du clergé
et ce jusqu'à ce que la hiérarchie papale mette un frein brutal à ces idées
contestataires. En cette année 1738, la bulle du pape Clément XII , "In eminenti
apostolatus specula" est un véritable choc; je vous en lis quelques lignes ;
"Nous avons appris, par la rumeur publique, qu'il se répand à l'étranger, faisant
chaque jour de nouveaux progrès, certaines sociétés, assemblées, réunions,
agrégations ou conventicules, appelés communément du nom de FrancsMaçons ou d'autres noms selon la variété des langues, dans lesquels des
hommes de toute religion et de toute secte, affectant une apparence
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Mariette Cyvard pour CRPTrad
d'honnêteté naturelle, se lient entre eux par un pacte aussi étroit
qu'impénétrable, d'après des lois et des statuts qu'ils se sont faits, et
s'engagent par serment prêté sur la Bible, et sous les peines les plus graves, à
couvrir d'un silence inviolable tout ce qu'ils font dans l'obscurité du secret.
Nous avons conclu et décrété de condamner et d'interdire ces dites sociétés
par Notre présente constitution, valable à perpétuité" confirmé ensuite par une
deuxième en 1751 du pape Benoit XIV, Providas romanorum, qui interdisent
aux catholiques, c'est-à-dire à 95 % de la population l'accès à la F\M\. La
papauté frappe large sans vouloir distinguer ni courants ni sensibilité. La
Grande Bretagne est surprise par tant d'animosité mais reste indifférente alors
que l'Europe est atteinte de plein fouet. Joseph de Maistre depuis sa loge de
Chambéry a pu répondre : "nous sommes surs dans notre conscience que le
secret maçonnique ne contient rien de contraire à la religion et à la patrie" Le
Vatican ne transigera jamais et ce jusqu'à aujourd'hui. L'Italie, l'Espagne, le
Portugal souffriront énormément de ces diktats papaux. La France moins car
ces actes pontificaux se seront jamais enregistrés par le Parlement de Paris. Il
n'y aura pas d'excommuniés en France. Mais la France qui affirme dans le
développement des loges, un équilibre confessionnel ou tant de membres du
clergé avaient demandé la lumière, verra petit à petit ce nombre de prêtres
maçons diminuer pour bien sûr à la révolution devenir quasi nul. Ils ne
reviendront jamais en Loge. Les papes dans leur grande ignorance de la Francmaçonnerie faisaient grief que : " des hommes de toute religion affecte une
apparence d'honnêteté naturelle" et "que tels des voleurs ou des renards ne
pervertissent le cœur des simples" Le pasteur Anderson, lui, toujours en
recherche de cet idéal de déisme, précisera dans la nouvelle version de ses
constitutions en 1738, faire référence à la légende biblique de Noé et mettra
en avant trois préceptes de l'ancien testament :
Interdire les idoles
Interdire le blasphème
Interdire la mise à mort.
Mettant dans ses propos encore plus de tolérance que dans la version
précédente et se gardant bien aussi d'aller trop loin dans cette doctrine déiste,
voulant garder la main sur une plus grande ouverture. " Un maçon comprend
que Dieu ne voit pas comme l'homme, car l'homme regarde les apparences
extérieures, mais Dieu regarde le cœur" Les loges françaises marient religion et
rite maçonnique. Le carême est respecté, Jean l'évangéliste et Jean le Baptiste
sont fêtés. Le tronc de la veuve est parfois donné à la paroisse. Le poids de la
religion coutumière reste très lourd. Les idées nouvelles pénètrent lentement
en Province et se heurtent à un traditionalisme conséquent, mais n'oublions
pas qu'en ce début de siècle peu de personne ont accès à la simple lecture ou à
13
Mariette Cyvard pour CRPTrad
l'écriture. Les loges ont été organisés, fréquentés par des hommes qui, au lieu
de se contenter de vivre et d’accepter, ont voulu lire, comprendre, discuter,
s'enrichir de nouveautés tout en étant respectueuses de la religion et du roi.
On vient en loges pour se sortir du quotidien. Les distractions sont rares ou
nulles dans les petites et même dans les grandes villes. « Que voulez-vous que
je vous dise, écrit notre président dijonnais Charles de Brosses en 1744 : «
Pendant vingt ans que j’ai fréquenté les loges des francs-maçons, je n’ai jamais
entendu un mot d’opposition, même de froideur sur les droits et intérêts du
roi... Dans toutes les loges, on ne laissait jamais échapper aucune occasion de
faire l’éloge du roi. » L'accélération du partage des idées religieuses se fera
jusqu'à la révolution. Les maçons, à ce titre seul, n'en seront pas les
instigateurs. C'est la révolution qui influencera la maçonnerie et non pas le
contraire, comme on aimerait parfois s'en référer.
Peut-être un autre travail
J'ai dit, V\M\
Source : www.ledifice.net
14
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Théisme et Déisme
Pour bien comprendre et pouvoir se situer clairement dans une démarche
métaphysique et spirituelle cohérente, il y a lieu de bien intégrer deux
définitions de mots-clés essentiels qui vont parfois jusqu'à s'opposer au XVIIIe
siècle, et qui, dans tous les cas recouvrent des concepts très différents, d'où
découle une démarche différente. Elle reflète exactement la pensée des
auteurs et de leurs œuvres. Seule l'étude détaillée, en confrontant ces pensées
et celle de la démarche de l'Ecole de Spiritualité que constitue la FrancMaçonnerie de Tradition est en mesure de dégager les convergences et les
divergences fondamentales entre les différents concepts que sous-tendent les
positions du Déisme et du Théisme.
LE THEISME
C'est la "Doctrine qui admet l'existence personnelle d'un Dieu et son action
providentielle dans le monde".
Le Théisme implique :
Que Dieu est l'être en soi.
Que Dieu est le Tout Autre.
La Transcendance et l'Immanence.
La Révélation (par les Ecritures et par la Nature).
L'Alliance de Dieu avec les Hommes (Noé).
La relation personnelle et intime de l'Homme avec son Créateur.
L'Amour de Dieu pour l'Homme et de l'Homme pour Dieu.
Le désir de faire librement la Volonté de Dieu en réalisant son Plan Divin sur
Terre.
Que l'Homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Que l'Homme n'a pas sa fin en lui-même, mais par Révélation divine.
Que l'usage de la Raison par l'Homme pour connaître Dieu à partir des
Créatures et de la Création est légitime mais insuffisante.
Que la Tradition se fonde sur la Révélation.
Ainsi, le Théisme sert de référence originelle à notre Ecole de Spiritualité. Celleci considère que notre perfectionnement personnel n'est pas une fin en soi,
mais une préparation à l'aide de l'autre, et à la participation libre, volontaire et
consciente, à parfaire la Création selon le Plan Divin.
L'image est voilée et non détruite et la ressemblance est détruite du fait de la
Chute originelle. Le processus consiste à retrouver la ressemblance et à
dévoiler l'image.
15
Mariette Cyvard pour CRPTrad
LE DEISME
C'est le "Système de ceux qui, rejetant toute révélation, croient seulement à
l'existence de Dieu et à la religion naturelle". Dans le Déisme, Dieu est un
concept qui répond à des formes académiques dont on se contente de
reconnaître l'existence en tant qu'être suprême, mais sans révélation.
Dans ce contexte, Dieu est :
Neutre.
Indifférent.
Etre pur ou Pensée pure.
Replié sur lui-même.
Sans relation avec l'Homme, l'Univers de l'Homme et sa Création. Il est Eternel,
et Immuable, excluant tout rapport avec le changement et le devenir.
Il y a continuité d'essence entre Dieu et l'Univers. C'est un Dieu ordonné à luimême, et qui n'intervient pas dans le Monde. C'est une abstraction, un principe
philosophique.
Le Déisme revendique le statut de "Religion Naturelle dans les limites de la
Raison".
Ce sera, au XVIIIe siècle, la Philosophie des "Lumières". Dans le Déisme, pas de
dialogue entre Dieu et l'Homme, ni entre l'Homme et Dieu (parce que Dieu est
un Principe et que l'on ne dialogue pas avec un Principe abstrait). D'où
l'individualisme de l'Homme par rapport à Dieu Créateur.
Le Déisme génère :
Le relativisme.
Le syncrétisme.
l'indifférentisme.
l'agnosticisme (qui considère que Dieu ne peut pas être connu).
Le Déisme sert de référence à des Ecoles de Pensée qui considèrent que la
Pensée seule est divine, et que le perfectionnement de l'Homme et de la
Nature ne peut aboutir à son total accomplissement qu'au moyen de la seule
Raison Humaine
16
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Querelle du Grand Architecte de L'Univers
En franc-maçonnerie, et plus particulièrement dans la franc-maçonnerie
francophone, la Querelle du Grand Architecte de l'Univers marqua un tournant
de l'évolution des pratiques maçonniques. Elle fut à l'origine de l'un des
principaux schismes maçonniques de l'histoire et reste, aujourd'hui encore, au
centre des débats qui tentent de caractériser la franc-maçonnerie
Elle fut également pendant tout le XXe siècle, avec les questions de mixité, de
l'engagement politique et de la ségrégation raciale, l'un des principaux
constituants des Dieu, Grand Architecte de l'Univers, dans une enluminure
médiévale (c.1250). dite « libérale ».
La croyance en Dieu aux débuts de la franc-maçonnerie Au XVIIe siècle et au
début du XVIIIe siècle, les premiers francs-maçons étaient tous soit catholiques,
soit protestants. Les plus anciens manuscrits maçonniques connus, même dans
les loges d'inspiration calviniste, n'utilisent cependant jamais l'expression «
Grand Architecte de l'Univers ». C'est le cas par exemple du manuscrit Dumfries
(c. 1710), bien qu'il fasse référence à de nombreuses reprises à « notre
Seigneur Jésus-Christ » et mentionne que l'apprenti franc-maçon « doit être
fidèle à Dieu et à la sainte Église catholique 1 » (« he must be true to god and
the holy catholick church »)
C'est semble-t-il en 1723 dans les Constitutions of the free-masons qu'on
trouve pour la première fois ces termes dans le contexte maçonnique. Leur
auteur, le pasteur James Anderson les ayant probablement trouvés dans
l'œuvre de Jean Calvin On retrouve également dans la divulgation Three
distinct Knocks, publiée à Dublin et à Londres en avril 1760, une expression
proche des termes « Grand Architecte de l'Univers » : il s'agit d'une prière à «
notre Seigneur Jésus-Christ » qui commence par ces termes : « Ô Seigneur
Dieu, Grand et Universel Maçon du Monde, et premier constructeur de
l'Homme comme s'il était un temple » Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle
et dans la première moitié du XIXe siècle, la franc-maçonnerie s'ouvre à
d'autres religions révélées et même, dans certains pays, à d'autres conceptions,
en particulier déistes. L'expression « Grand Architecte de l'Univers » fut alors
de plus en plus fréquemment utilisée, souvent en remplacement du mot « Dieu
», car étant plus générale, elle convenait aussi bien aux déistes qu'aux théistes
des différentes religions.
A partir de 1860, le Second Empire se libéralise. Napoléon III a perdu une
grande partie du soutien des catholiques car il aide le roi de Piémont Sardaigne,
Victor Emmanuel II à réaliser l'unité italienne, ce qui va à l'encontre des intérêts
de la papauté. Dans ce contexte plus libéral, la franc-maçonnerie française se
développe, bien qu'elle soit divisée en deux obédiences (le Grand Orient de
France et le Rite écossais) traversées par trois courants informels
17
Mariette Cyvard pour CRPTrad
(conservateurs souhaitant rassembler des membres de toutes les religions
établies, déistes rousseauistes et républicains positivistes). A l'initiative des
courants réformateurs, de nombreuses loges appuient l'idée d'un
enseignement laïque, gratuit et obligatoire, ce qui, joint à la présence de
nombreux francs-maçons dont Garibaldi parmi les partisans de l'unité italienne,
aggravent les tensions avec l'Église catholique romaine. L'année 1870 voit la
chute du Second Empire, l'instauration en France de la Troisième République
avec un gouvernement provisoire dont sept des douze membres sont francsmaçons, et l'annexion de Rome au Royaume d'Italie. Les condamnations
catholiques contre la franc-maçonnerie se renforcent et, du côté de la francmaçonnerie, les républicains devenus très majoritaires se radicalisent dans leur
anticléricalisme.
Les décisions du Grand Orient de Belgique en 1872
Dans les années 1830, l'épiscopat catholique s'investit fortement dans la vie
politique. En 1837, les autorités catholiques de Belgique font rappeler dans
toutes les églises du pays l'interdiction papale de l'adhésion à la francmaçonnerie, restée largement ignorée jusque-là. Cette nouvelle condamnation
a pour effet de diminuer considérablement le nombre de catholiques et de
conservateurs dans les loges et à l'inverse d'y augmenter l'arrivée des
anticléricaux puis des membres du parti libéral. Dans ce contexte d'opposions
virulente entre le parti catholique et le parti libéral, le rationalisme et le déisme
gagnent alors du terrain au sein de la franc-maçonnerie belge, aboutissant en
1872 à la suppression de l'invocation du Grand Architecte de l'Univers de tous
les rituels et documents du Grand Orient de Belgique.
Le Convent de Lausanne en 1875
Le 6 septembre 1875 6 s'ouvrit à Lausanne un « Convent universel » réunissant
les représentants de onze « Suprêmes Conseils »8 du Rite écossais ancien et
accepté. Parmi les travaux à l'ordre du jour figurait la rédaction d'une «
déclaration de principes » qui fut par la suite à l'origine de nombreuses
controverses. Celle-ci commençait par ces mots: « La Franc-maçonnerie
proclame, comme elle a toujours proclamé, l'existence d'un Principe Créateur,
sous le nom de Grand Architecte de l'Univers. »Cette formulation conservait la
formule traditionnelle « Grand Architecte de l'Univers » sans plus la rattacher
obligatoirement à une foi en un Dieu personnel et transcendant. Elle ouvrait
ainsi très clairement les portes de la franc-maçonnerie aux déistes, ce qui
correspondait aux évolutions survenues dans les franc-maçonneries belge,
française et italienne. Bien que les documents du Convent de Lausanne aient
été paraphés par les délégués de six Suprêmes Conseils (qui en représentaient
18
Mariette Cyvard pour CRPTrad
neuf suite à trois délégations de pouvoirs), ces accords furent rompus dans les
mois qui suivirent, en partie pour des motifs relatifs à des conflits territoriaux
entre les signataires, mais en grande partie aussi parce que les Écossais, les
Anglais et les Américains refusaient catégoriquement une telle évolution.
Les décisions du Grand Orient de France en 1877
Bien que fondé en 1773, le Grand Orient de France ne compléta ses règlements
généraux par une constitution qu'en 1849. Celle-ci commençait par la phrase
suivante:
«
La
FRANC-MAÇONNERIE,
institution
essentiellement
philanthropique, philosophique et progressive, a pour base l'existence de Dieu
et l'immortalité de l'âme. » Une définition aussi positive et presque juridique,
ne faisant pas référence aux « anciens usages. Dès 1867, un débat eut lieu au
Grand Orient de France au sujet de la référence à l'existence de Dieu. Le statu
quo fut cependant maintenu. En juillet 1875, Émile Littré et Jules Ferry furent
initiés dans la loge La Clémente Amitié. Ce fut un événement maçonnique et
mondain considérable, témoignant de l'engagement de la franc-maçonnerie
française aux côtés de la Troisième République. C'est dans ce contexte que le
pasteur et député républicain Frédéric Desmons présenta en septembre 1877
au Convent du Grand Orient un rapport 11 dont la discussion déboucha sur un
vote modifiant à une très large majorité l'article premier de sa constitution 12
de la manière suivante: « La FRANC-MAÇONNERIE, institution essentiellement
philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la
vérité, l'étude de la morale universelle, des sciences et des arts et l'exercice de
la bienfaisance. Elle a pour principes la liberté absolue de conscience et la
solidarité humaine. Elle n'exclut personne pour ses croyances. Elle a pour
devise : Liberté, Égalité, Fraternité. »Le Grand Orient avait ainsi supprimé
l'obligation de croire en Dieu, mais le concept de Grand Architecte de l'Univers,
relevant de la libre interprétation de chacun, n'était pas directement touché
par la modification 12. Ce n'est que dix ans plus tard que l'ouverture des
travaux « À la Gloire du Grand Architecte de l'Univers » fut rendue facultative
pour les loges du Grand Orient de France. Bien que cette pratique n'ait jamais
été interdite, elle disparut alors progressivement des rituels de la plupart des
loges de cette obédience.
Landmarks des Grandes Loges américaines
Dans les questions de régularité maçonnique, les Grandes Loges américaines se
réfèrent principalement au concept de landmark. Celui-ci remonte aux
Constitutions de la Grande Loge de Londres, publiées en 1723 : « Chaque
Grande Loge annuelle détient le pouvoir et l'autorité de créer de nouvelles
règles ou de les modifier, pour le bien de l'ancienne fraternité, à condition de
19
Mariette Cyvard pour CRPTrad
toujours préserver soigneusement les anciens Land-Marks. »Toutefois, ces
Landmarks ne furent jamais définis à l'époque de quelque manière que ce soit.
La première tentative de le faire fut celle du Docteur Albert Mac Key, aux ÉtatsUnis, en 1856. Il proclama en avoir identifié 25. D'autres auteurs, en reprenant
ses travaux et en conservant les mêmes principes, en publièrent des listes
différentes. Toutes exigent des francs-maçons qu'ils croient en Dieu, refusent
l'admission des athées et des polythéistes, et s'abstiennent de traiter
explicitement la question du déisme. Dans le contexte de la franc-maçonnerie
américaine, les mots « Great Architect of the Universe » désignent clairement
le Dieu des religions monothéistes, considéré comme le seul et unique Dieu,
auxquelles ces différentes religions se référeraient en lui donnant des noms
différents.
Évolution de la position de la Grande Loge unie d'Angleterre
Après les décisions prises par le Grand Orient de Belgique, le Grand Orient de
France, le Grand Orient d'Italie et la Grande Loge de Hongrie, la Grande Loge
unie d'Angleterre adopta au mois de mars 1878 la résolution suivante : « La
Grande Loge unie d'Angleterre, toujours désireuse de recevoir dans l'esprit le
plus fraternel les Frères appartenant à toute Grande Loge étrangère dont les
travaux sont effectués selon les anciens Landmarks de l'Ordre, dont le premier
et le plus important est la croyance au Grand Architecte de l'Univers, ne peut
reconnaître comme « vrais et véritables » Frères ceux qui auront été initiés
dans des Loges qui nient ou ignorent cette croyance. »
En 1929, elle publia ses huit Principes de base pour la reconnaissance par elle
d'une grande loge étrangère. Le deuxième principe précise :
« Que la croyance dans le Grand Architecte de L'Univers et en Sa volonté
révélée soient une condition essentielle de l'admission des membres. »
En 1989, elle publia une nouvelle version de ces mêmes principes : « Pour être
reconnue par la Grande Loge unie d'Angleterre, une Grande Loge doit respecter
les normes suivantes :
- Les FRANCS-MAÇONS placés sous sa juridiction doivent croire en un Être
Suprême Grandes Loges irrégulières ou non reconnues :
Il existe quelques soi-disant obédiences Maçonniques qui ne respectent pas ces
normes, par exemple qui n'exigent pas de leur membres la croyance en un Être
Suprême, ou qui encouragent leurs membres à participer en tant que tels aux
affaires politiques. Des obédiences ne sont pas reconnues par la Grande Loge
Unie d'Angleterre comme étant maçonniquement régulières, et tout contact
Maçonnique avec elles est interdit. » Cet abandon de l'exigence d'une croyance
en la « volonté révélée » du Grand Architecte de l'Univers tient compte de sa
20
Mariette Cyvard pour CRPTrad
reconnaissance, désormais passée dans les faits, de Grandes Loges qui
acceptent des déistes 14 parmi leurs membres.
Wikipédia
Source : http://www.glbet-el.org
21
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Francs-Maçons divisés et séparés par le concept “Dieu” ou “le Grand
architecte de l’univers”
La franc-maçonnerie spéculative a vu le jour au XVIIIe siècle en Angleterre
lorsque le pasteur James Anderson de l’Église presbytérienne écossaise à
Piccadilly est chargé de la rédaction des Constitutions d’Anderson, charte
fondamentale de la franc-maçonnerie, publiées en 1723 avec l’aide du pasteur
de l’Église anglicane Jean-Théophile Désagulier Ces constitutions ne se réfèrent
plus aux “Old Charges” (Anciennes Obligations) chrétiennes qui invoquaient
Dieu, la Sainte Trinité, la Sainte Église ou la Vierge Marie. Les Constitutions
d’Anderson de 1723 n’imposent qu’une religion, celle sur laquelle tous les
hommes sont d’accord, laissant à chacun ses propres opinions, c’est-à-dire
d’être hommes de bien et loyaux, ou hommes d’honneur et de probité, quelles
que soient les dénominations ou confessions qui aident à les distinguer. On a
prétendu que ces Constitutions prônaient le déisme, une religion naturelle et
universelle au sens étymologique du mot, reliant les hommes entre eux par
delà les religions Ce déisme pouvait dévier vers le naturalisme, le relativisme et
l’incroyance. On les modifia en 1738. L’Église vit une concurrence dangereuse
dans la Charte maçonnique voulant fédérer les religions. Le pasteur Anderson a
clairement exclu de ses Constitutions les athées stupides et les libertins
irréligieuxce qui rétrécit fort le principe de tolérance qui y est exprimé. Il faut
d’ailleurs constater qu’Anderson ne fait aucune allusion aux croyants stupides,
ni aux pasteurs ou curés stupides. Seuls les athées ont ce vice rédhibitoire par
le seul fait d’être athée. Certains ont cru que l’athée pouvait devenir maçon s’il
n’était pas stupide, mais cette thèse est contredite par le texte lui-même et par
l’expérience. Au XVIIIe siècle, un athée ne pouvait qu’être stupide. Chez
beaucoup de croyants, cette idée préconçue persiste toujours. Peu de maçons
sont athées et osent le révéler, même au Grand Orient de France ou de
Belgique. L’athée, qu’il soit stupide ou intelligent, n’a jamais été admis dans
une obédience régulière. L’interdiction s’étend aussi aux libertins irréligieux. Le
mot "libertin", au XVIII siècle, était synonyme de libre-penseur, d’incroyant. Les
déistes anglais à cette époque étaient des free thinkers.
À la fin de la très longue scission entre les "Anciens" qui rejettent les
Constitutions d’Anderson de 1723, trop libérales et les “Modernes” qui
s’appuient sur celles-ci, les deux courants se réunifièrent en formant l’actuelle
grande Loge Unie d’Angleterre. Celle-ci a modifié les Constitutions en 1738 par
la réintroduction du théisme et du noachisme .Elle inclut en 1813 le texte
suivant dans ses nouvelles constitutions : « Concernant Dieu et la religion : Un
maçon est obligé, de par sa tenure d’obéir à la loi morale et s’il comprend bien
l’Art, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irréligieux De tous les
22
Mariette Cyvard pour CRPTrad
hommes, il doit le mieux comprendre que Dieu voit le cœur. Quelle que soit la
religion de l’homme ou sa manière d’adorer, il n’est pas exclu de l’Ordre,
pourvu qu’il croie au glorieux Architecte du ciel et de la terre et qu’il pratique
les devoirs sacrés de la morale. Les maçons s’unissent aux hommes vertueux de
toutes les croyances dans le lien solide et agréable de l’amour fraternel, on leur
apprend à voir les erreurs de l’humanité avec compassion et à s’efforcer, par la
pureté de leur propre conduite, de démontrer la haute supériorité de la foi
particulière qu’ils professent ». C’est un virage obscurantiste, une négation de
la liberté de conscience et de la liberté de pensée. Un retour au religieux et à
Dieu. Le maçon peut s’unir aux hommes de toutes les croyances pourvu
qu’elles soient religieuses, mais pas aux incroyants, il doit être pieux. C’est le
retour du Dieu tout-puissant du ciel et de la terre, le Dieu personnel révélé et
non plus un vague principe créateur afin d’éviter l’entrée des athées, des
agnostiques et des polythéistes. Après le schisme des Anciens et des Modernes
en Angleterre, on va assister au schisme entre la franc-maçonnerie anglosaxonne et la maçonnerie continentale, ou autrement dit entre ce qui
deviendra la franc-maçonnerie régulière et la franc-maçonnerie irrégulière. En
1929, la Grande Loge Unie d’Angleterre publie ses "basic principles" qui
permettront de marquer les oppositions entre les deux camps distincts et qui
établiront la suprématie de la Grande Loge Unie d’Angleterre (The mother
Lodge). Elle seule peut délivrer les patentes de régularité. En dehors de la
Grande Loge Unie d’Angleterre, il n’y a pas de salut, elle s’érige en « Vatican
maçonnique » et seul juge infaillible de la régularité maçonnique. Dans les «
basic principles » il est dit que « la croyance dans le Grand Architecte de
l’Univers et en Sa volonté révélée est une condition essentielle de l’admission
des membres et que les initiés prennent leurs Obligations sur ou en pleine vue
du Volume de la Loi Sacrée ouvert, de manière à symboliser la révélation d’en
haut qui lie la conscience de l’individu particulier qui est initié. » Il est
également dit que parmi les Trois Grandes Lumières, le Volume de la Loi sacrée
est la première, et que la prestation de serment sur la bible en assure la
pérennité, marquant ainsi la préférence, la primauté sur les deux autres
symboles. Il ne s’agit donc plus de 3 grandes lumières mais d’une grande et de
deux petites. Seule la bible ou un autre livre sacré des religions traditionnelles
peut assurer la régularité maçonnique, les autres livres sont exclus.
En 1989, la Grande Loge Unie modifie de nouveau ses « basic principles » et dit
que les Francs-maçons placés sous sa juridiction doivent croire en un ETRE
SUPREME, (the belief in a Supreme Being) et in fine elle ajoute qu’il existe
quelques soi-disant obédiences maçonniques qui ne respectent pas ces
normes, par exemple qui n’exigent pas de leur membres la croyance en un Être
Suprême et qui de ce fait sont "ipso facto" excommuniées. Dans les loges
23
Mariette Cyvard pour CRPTrad
régulières, l’Être suprême c’est Dieu et même un Dieu révélé. La présence du
Volume de la Loi sacrée est une autre condition de la régularité. Dans la
maçonnerie anglo-saxonne, ce volume est généralement "The King James
version of the Bible" qu’on appelle même la bible maçonnique (Masonic Bible
parce qu’elle contient l’histoire de la franc-maçonnerie. Presque tous les
maçons anglo-saxons sont des "maçons protestants", néanmoins en 1987 le
synode général de l’Église d’Angleterre juge la franc-maçonnerie hérétique et
sa pratique incompatible avec la religion chrétienne. C’est donc une bulle
maçonnique de la Grande Loge Unie d’Angleterre qui excommunie tous les
francs-maçons non réguliers. La franc-maçonnerie a vocation à réunir
l’ensemble des frères dispersés sur les deux hémisphères. La Grande Loge Unie
d’Angleterre, en divisant la maçonnerie universelle en régulière et irrégulière,
brise le principe d’universalité et en fait un mot "vide de sens". La position de la
Grande loge Unie d’Angleterre est claire : les francs-maçons des loges
irrégulières ne sont pas reconnus comme tels, ils restent des “profanes” ce ne
sont pas des maçons parce qu’ils ne vénèrent pas le Tout-Puissant.
Comme vous aurez pu le constater, les « basics principles » dans leur rédaction
de 1989 omettent le caractère révélé de l’être suprême dans le but de ne pas
heurter les francs-maçons qui croient bien en Dieu, mais qui ne se réfèrent pas
au Dieu biblique, afin d’admettre les différentes croyances religieuses
(protestantes, catholiques, musulmanes, hindoues, etc.). Chacun, selon sa
croyance, pouvant jurer sur la Bible, la Thora, le Coran, les Védas ou un autre
livre saint des religions traditionnelles. Il suffit toutefois de consulter les sites
internet maçonniques de la franc-maçonnerie anglo-saxonne et américaine et
tous les sites des obédiences régulières dans le monde pour savoir que l’entrée
dans ces loges est subordonnée à la croyance en un Dieu personnel et révélé, à
la croyance en l’immortalité de l’âme, et au serment sur la bible. En 1871, le
Grand Orient de Belgique décida d’abolir la référence obligatoire au Grand
Architecte de l’Univers, suivi en 1877 par le Grand Orient de France, la même
chose valant pour le Volume de la Loi sacrée. La décision prise par ces
obédiences de supprimer toute référence obligatoire à un principe supérieur et
de se déclarer adogmatiques créa la rupture définitive avec la maçonnerie
anglo-saxonne. Le but n’était pas d’interdire la bible en loge ou la référence au
Grand Architecte, mais de laisser à chaque loge le choix de s’y référer ou pas.
Dans beaucoup d’ateliers du Grand Orient, le GLADLU et la Bible ont survécu
comme symbole maçonnique. La référence obligatoire à ces symboles a été
supprimée parce qu’elle violait la liberté de conscience et empêchait le maçon
d’être un homme libre dans une loge libre. Les Constitutions la GLRB et de la
GLNF obligent à croire en Dieu révélé et le serment doit être prêté sur le Livre
de la Loi sacrée, par lequel est exprimée la Révélation d’En Haut, contrairement
24
Mariette Cyvard pour CRPTrad
aux Constitutions du GODF et du GOB qui assurent la liberté absolue de
conscience et laissent les conceptions métaphysiques à l’appréciation
individuelle de ses membres, n’imposant aucun dogme. Dans la “francmaçonnerie régulière”, le maçon est un être "hétéronome" qui dépend d’un
Etre supérieur, il doit se soumettre à un argument d’autorité. Dans la
"maçonnerie irrégulière" ou libérale (par opposition à dogmatique), le maçon
est un homme libre et autonome. Il ne doit se soumettre à aucun dogme, à
aucun préjugé, à aucune vérité préétablie, à aucun Être supérieur, que se soit
Dieu ou son alter ego le Diable. Il peut pratiquer le libre examen, il dispose de
son libre arbitre, de sa liberté de pensée et de conscience. L’abandon de l’Être
suprême étant en opposition totale avec les « basic principles », la Loge Mère
d’Angleterre décida de ne plus reconnaître pour francs-maçons les membres
qui ne respectaient pas ce landmark. La franc-maçonnerie plurielle se trouve
divisée d’une part en maçonnerie dite régulière, religieuse, authentique,
conservatrice et dogmatique, telles la GLNF et la GLRB, et d’autre part en
maçonnerie dite irrégulière, libérale, humaniste, adogmatique, agnostique,
athée telles le GODF et le GOB. Devant cette division, cette opposition entre
obédiences, on voit disparaître l’idée de fraternité, de centre d’union ou
d’universalité de la franc-maçonnerie et cela grâce au Sublime et Grand
Architecte de l’Univers qui ne sème pas uniquement la discorde totale dans ce
monde, mais qui n’épargne pas non plus la franc-maçonnerie. Dieu divise les
hommes comme il divise la franc-maçonnerie. « La division, écrivait en 1884
Mgr de Ségur dans son étude sur les Francs-maçons, est le caractère des
œuvres de Satan parce que l’unité ne subsiste que dans la vérité et dans la
charité ». Il oubliait sans doute combien la chrétienté est divisée en différentes
sectes qui se sont entre-tuées pendant des siècles, ce qui n’a jamais été le cas
entre les Obédiences maçonniques régulières et irrégulières. On ne parle dès
lors plus de maçonnerie, mais des maçonneries. La franc-maçonnerie
universelle et la fraternité entre obédiences sont donc une utopie. Difficile de
parler de fraternité lorsqu’on interdit à un membre d’une obédience régulière
de fréquenter une obédience irrégulière sous peine d’excommunication. Les
obédiences régulières ne peuvent entretenir des relations d’amitié avec des
obédiences irrégulières. Il y a des opinions très divergentes concernant le
concept de « Grand Architecte de l’Univers ». Il peut s’agir d’un dieu révélé ou
non révélé, d’un dieu biblique ou non biblique, d’un dieu tout-puissant ou
insignifiant, il peut être théiste, déiste, panthéiste, etc., il peut être un principe
créateur ou non, un principe organisateur, un géomètre, il peut être réel ou
symbolique, il peut être "un simple idéal", une énergie, un symbole de l’Amour,
de l’Infini et de la Perfection. Sa nature diffère d’obédience en obédience, de
loge en loge, d’un maçon à l’autre. C’est la raison pour laquelle la franc25
Mariette Cyvard pour CRPTrad
maçonnerie a remplacé dans ses travaux le mot "Dieu" par "le Grand Architecte
de l’Univers ou GLADLU. Ce concept permet toutes les interprétations mais est
condamné par l’Église qui voit dans celui-ci la dénomination d’un "Dieu
maçonnique" ce qui est bien entendu faux. Dans les loges régulières, ce vocable
permet d’accommoder "Dieu" avec sa “religion personnelle”, pourvu que cela
reste Dieu. Il permet également dans les loges irrégulières la même
interprétation pour les croyants ou une tout autre interprétation pour les noncroyants. La franc-maçonnerie régulière oblige à la croyance en Dieu et a pour
conséquence qu’en France seule la Grande Loge Nationale Française et en
Belgique seule la Grande Loge régulière de Belgique peuvent s’octroyer le label
de la régularité. Le principe de la croyance en Dieu, est un principe universel de
toute Grande Loge Régulière. La Grande Loge régulière de Belgique affirme
dans l’article 1er de sa Constitution “l’existence de Dieu”, Être Suprême, qu’elle
désigne sous le nom de Grand Architecte de l’Univers. Elle requiert de ses
adeptes qu’ils admettent cette affirmation et le texte ajoute que « Cette
exigence est absolue et ne peut faire l’objet d’aucun compromis, ni d’aucune
restriction ». La Franc-maçonnerie ne définit pas l’Être Suprême et laisse à
chacun la liberté de le concevoir ». L’article 3, dit qu’« en affirmant la liberté de
conscience, la Franc-maçonnerie requiert de tous ses adeptes le respect des
opinions d’autrui ». Cet article est contraire à l’article 1er qui supprime la
liberté de conscience. Il faut noter que Dieu est écrit au singulier, ce qui exclut
la croyance en plusieurs dieux et donc les polythéistes. L’hindouisme est de
nature polythéiste. Un hindou remplit-il le landmark du "Dieu unique”, c’est
une question maçonnique à soumettre à un exégète grand maître régulier.
L’affirmation de l’existence de Dieu imposée par les loges régulières peut être
comparée à ce que le Pape Paul VI affirmait dans un discours en date du 15
novembre 1972 pour le diable : « Quiconque n’admet pas l’existence du démon
ou la considère comme un phénomène indépendant n’ayant pas,
contrairement à toute créature, Dieu pour origine, ou bien encore la définit
comme une pseudo-réalité, comme une personnification conceptuelle et
fantastique des origines inconnues de nos maladies, transgresse
l’enseignement biblique et ecclésiastique ». Le diable ou Satan, qui était si
puissant au Moyen Âge, a perdu toute sa vigueur au fur et à mesure que
l’obscurantisme a disparu en Europe. Les intégristes veulent le faire revivre,
comme ils veulent faire revivre Dieu. L’un n’allant pas sans l’autre, parce que
Satan n’est plus qu’une métaphore, un mythe ou un symbole. La même valeur
sémantique peut être attribuée au concept "Dieu", mais la franc-maçonnerie
régulière en fait un "être personnel et réel" à la gloire duquel on prie à
l’ouverture et à la fermeture des travaux. Dieu est réel, mais son "alter ego", le
diable ne l’est plus. Les loges régulières, en imposant de croire en Dieu,
26
Mariette Cyvard pour CRPTrad
auraient tout aussi bien pu imposer de croire dans le diable puisque l’un et
l’autre relèvent de la mythologie générale (millions de dieux) ou de la
démonologie. Dieu a aussi créé le Diable, sans quoi il y aurait deux principes
égaux et le divin ne serait plus le Tout-Puissant Dieu, c’est donc aussi le Diable
puisque personne d’autre ne peut l’avoir créé. Comment Dieu a-t-il pu créer
son ennemi dont le but serait de saper ses plans divins, d’ébranler sa toutepuissance et faire douter de son existence ? La maçonnerie dogmatique, en
imposant la croyance en ce Dieu unique, anéantit l’humain au profit du divin.
Protagoras a fondé la base de l’humanisme, affirmant que « l’homme est la
mesure de toute chose ». On aurait tout aussi bien pu demander aux maçons
réguliers qu’ils affirment croire en Lucifer. Lucifer du latin "lux" (lumière) et
"ferre" (porter) veut dire "porteur de lumière", et avant de devenir Satan,
Lucifer était un Dieu latin, personnification de la connaissance. Le choix aurait
symboliquement bien plus de sens, puisque les francs-maçons sont les "enfants
de la lumière" et aspirent à s’améliorer par la connaissance. Le néophyte qui
sollicite la GLNF, doit croire en Dieu et sa volonté révélée, la Divine Providence,
sans quoi il est incapable de perfectionnement. Selon cette obédience, sans
lien entre Dieu et l’homme il n’y a plus de but spirituel et les rites deviennent
des simulacres. La GLNF met l’accent sur la spiritualité religieuse qui doit
dominer dans toute l’action maçonnique. On y travaille dans un esprit pieux.
C’est une franc-maçonnerie de nature spirituelle, religieuse et traditionnelle,
les membres étant invités à méditer sur la Loi d’Amour de l’Évangile de Saint
Jean. Elle rejette toute spiritualité laïque ou athée, elle ne conçoit la spiritualité
que transcendantale, reliée à la religion, à Dieu. Cette spiritualité religieuse
dont il est constamment question dans la maçonnerie régulière est un rempart
contre le rationalisme, l’agnosticisme ou l’athéisme qui pourraient la
contaminer. « Il est souhaitable, écrit le Grand Secrétaire de la GLNF, JeanPierre Pilorge dans un Compte-rendu sur la Commission Stasi le 30.10.2005,
que la laïcité de France expurge une partie des scories de la philosophie des
lumières du 18ième siècle ». On peut regretter qu’il n’ait pas explicité ces
"scories" et de quelle liberté il aurait pu disposer s’il n’y avait pas eu la
philosophie des lumières et la Révolution française pour mettre fin à 16 siècles
de persécution et de dictature religieuse catholique et romaine. Le Grand
Prieuré des Gaules stipule que le Régime Écossais Rectifié a pour but de
renforcer, d’affermir la fidélité à la religion chrétienne, fondée sur la foi en la
sainte Trinité. Alberto Menasche, Grand Maître de la Grande Loge Suisse
Alpina, explique sur le site de son obédience que le concept maçonnique de
Grand Architecte de l’Univers signifie que le Franc-maçon n’est pas athée, mais
qu’il est en quête de spiritualité, conscient d’une transcendance. Dans certains
ateliers du GOB, le Grand Architecte est mort, mais il survit dans d’autres avec
27
Mariette Cyvard pour CRPTrad
une variété d’interprétations laissées à l’appréciation individuelle de chaque
membre de chaque atelier. Étant donné l’interprétation maçonnique du
concept Dieu, l’Église accuse la maçonnerie d’avoir créé un "Dieu maçonnique"
distinct du Dieu de la religion, ce qui est inexact. Les loges régulières se
réfèrent au concept "Dieu" tel qu’il est compris par les religions traditionnelles.
Les loges irrégulières telles que le GODF et le GOB n’en font qu’un symbole. Sur
le site internet de la GNLF, le Grand Maître de la Grand maître Foellner écrit
que la Franc-maçonnerie régulière repose sur des principes séculaires
considérés comme immuables et intangibles et que ne partagent pas les francsmaçons non réguliers : « Nous croyons, dit-il fermement, à la réalité du Grand
Architecte de l’Univers qui est DIEU ». De tels propos empêchent toute
évolution dans la franc-maçonnerie puisque ses principes doivent rester
immuables et intangibles ce qui en fait des dogmes. Ces principes sont alors
érigés en une Vérité éternelle, puisqu’immuable. Ces propos me font penser au
Coran écrit il y a 14 siècles et qui mentionne : « l’islam est une religion
immuable, mais la plupart des hommes ne l’entendent pas ». Dans un
communiqué à l’Agence France-Presse, le Grand Maître de la GLNF JeanCharles Foellner, adresse ses condoléances dans une lettre aux autorités
ecclésiastiques et vaticanes en soulignant que les 34.000 frères de son
Obédience ont la particularité de croire en Dieu. Il est écrit que le pape JeanPaul II était le défenseur des droits de l’homme, des valeurs morales et
spirituelles universelles et on ajoute même que l’Eglise reste de façon
intangible porteuse des valeurs éternelles qui structurent l’homme, etc.
Dommage que les millions de victimes de l’Inquisition ne puissent plus
exprimer ce qu’ils pensent des valeurs morales éternelles du Vatican. Jean-Paul
II, ce Pape misogyne, comme tous ceux qui l’ont précédé, a canonisé Pie IX,
l’auteur du syllabus (1864), texte condamnant la liberté de pensée, la liberté
religieuse, la laïcité, la recherche philosophique, la critique linguistique des
textes "sacrés »il a prouvé tout au long de son long règne que rien n’est changé
sur ce point. Canoniser les ennemis de la liberté, c’est apparemment défendre
les droits de l’homme. Le Cardinal Ratzinger, avant d’être Benoît XVI, déclarait
dans un sermon que toutes les religions, à part la religion catholique, sont
défectives. Dans un livre paru le 3 mars 2005 "Mémoire et Identité", il met en
cause la démocratie et ses dangers et il semble aussi vouloir comparer
subtilement l’holocauste aux avortements légaux.[24] Benoît XVI ou Ratzinger,
tout comme feu Jean-Paul II, ont toujours exprimé leur opposition au laïcisme,
à la science, à la modernité, à la liberté de pensée, à la liberté religieuse, à la
procréation artificielle in vitro, aux recherches sur l’embryon à des fins
médicales, à la contraception, l’avortement légal, l’euthanasie légale, au
divorce, à la communion pour les divorcés, aux femmes-prêtres. En maintenant
28
Mariette Cyvard pour CRPTrad
des prêtres pédophiles en service au lieu de les révoquer, le Vatican perd toute
crédibilité et toute moralité. Aux États-Unis, l’Église dépense des milliards pour
les soustraire aux tribunaux et on trouve qu’ils sont toujours bons à être
fonctionnaires de Dieu. "Le Vatican, la dernière dictature", est le livre du prêtre
Rik Devillé.Comment peut-on faire passer un tel Pape pour le défenseur des
droits de l’homme et des valeurs universelles ? Quelle complicité avec le
Vatican ! Quel panégyrique de l’ennemi des libertés ! Faut-il rappeler à la
Grande Loge Nationale française que le pape Clément XII dans sa Constitution
"In Eminenti" (1738) déclare la franc-maçonnerie une secte condamnée à
perpétuité. Comme le pape est infaillible, « perpétuel » c’est pour toujours.
Léon XIII qualifie la maçonnerie de secte criminelle. Pie IX affirmait que Satan
était le fondateur de la franc-maçonnerie mais les papes, eux, sont les
fondateurs de l’Inquisition. Dans une « Déclaration sur l’incompatibilité entre
l’appartenance à l’Église et la franc-maçonnerie », le Pape Jean Paul-II, via le
Préfet Ratzinger, fait savoir que le jugement négatif de l’Église sur les
associations maçonniques demeure inchangé et que les maçons sont en état de
péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion « Le canon 1374
dans lequel les maçons réguliers ont voulu voir leur salut n’y change rien.
Obédience régulière ou irrégulière n’y change rien. Les 34.000 croyants de la
GLNF ne peuvent aller communier. L’Église catholique a raison lorsqu’elle
affirme l’incompatibilité entre l’Église et la franc-maçonnerie. Ce qui serait
grave c’est que la maçonnerie soit compatible avec l’idéologie chrétienne.La
franc-maçonnerie ne peut ressembler à une Église ou à une demi-Église,
comme c’est le cas pour la GLNF. L’Église originale vaut toujours mieux que sa
copie. La franc-maçonnerie invoque en vain la Tradition pour mettre la Bible ou
le Coran sur l’autel. Que tout soit clair, qu’on laisse à l’Église son fonds de
commerce : Dieu, la Bible et les prières et tous les rites à caractère religieux,
cela évitera que le Vatican puisse parler de secte. Ainsi, la GLNF qui cite si
souvent l’Évangile rendra à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
Il y a assez d’églises, de synagogues, de mosquées et de sectes innombrables
pour y vénérer Dieu et faire des prières, les temples maçonniques ne doivent
pas être les lieux de la superstition religieuse. Les Églises accusent la
maçonnerie religieuse d’attirer ses fidèles vers le temple maçonnique, ce qui
n’est pas étonnant. La maçonnerie en général se dit adogmatique, il est évident
que cette philosophie est contraire à toutes les religions parce que la religion
est "l’ensemble des dogmes et des croyances définissant les rapports de
l’homme avec le sacré » On est aussi étonné de lire sur des sites de maçonnerie
régulière que les maçons peuvent être dogmatiques mais que la maçonnerie ne
l’est pas. Comment alors composer une maçonnerie non dogmatique avec des
maçons qui le sont ? Interdire dans les loges l’examen critique des idéologies
29
Mariette Cyvard pour CRPTrad
religieuses va à l’encontre de la recherche illimitée de la vérité. Le maçon doit
pouvoir exercer son libre arbitre dans tous les domaines (« Sapere aude »). Le
maçon doit avoir le courage de se servir de son propre entendement. Les
religions s’accusent mutuellement d’être fausses et les fidèles s’entretuent
parce qu’ils trouvent le fondement de leur intolérance religieuse, de leur
fanatisme religieux dans les textes de leur Bible ou de leur Coran. Voir le
contenu
dangereux
de
ces
textes
sur
:
http://www.fairelejour.org/article.php3?id_article=982
http://www.fairelejour.org/article.php3?id_article=451
Les livres saints utilisés par les loges sont contraires à la Déclaration universelle
des Droits de l’Homme et à la Convention de Sauvegarde des Droits de
l’Homme et des libertés fondamentales ainsi qu’au droit national et européen.
Ces livres n’ont donc pas leur place dans la maçonnerie. On ne peut défendre la
"tolérance" en prêtant le serment sur des livres intolérants. Le Grand Orient de
France s’est toujours opposé à l’obscurantisme et a jusqu’à présent défendu la
laïcité, mais cette défense s’amollit au fur et à mesure que le fanatisme
religieux progresse. On dit que le Grand Orient est anticlérical, c’est tout à fait
normal si l’on sait que cléricalisme veut dire "favorable à l’intervention du
clergé dans les affaires publiques". La franc-maçonnerie est aussi antireligieuse,
bien qu’elle s’en défende et qu’en loge la critique religieuse soit interdite. La
religion n’est qu’un ensemble de dogmes et la maçonnerie rejette tous les
dogmes et tous les préjugés. En rejetant tous les dogmes, elle ne peut qu’être
en opposition avec la religion, sinon la maçonnerie doit changer ses statuts. Ce
qui est inquiétant pour le Grand Orient de France, c’est de voir la
réintroduction du Rite Écossais Rectifié parmi les rituels pratiqués, alors que
celui-ci fut jadis abandonné. Ce rite dans lequel on prie au nom de Père, du Fils
et du Saint-Esprit est de nature à faire du prosélytisme pour la religion
catholique. On dit même que dans la GLNF certains ateliers exigeraient un
certificat de baptême. Ce rite tient pour acquis l’existence de Dieu, de son fils
Jésus-Christ et vénère la Vierge. Le perfectionnement se fait par la pratique des
vertus chrétiennes. Dans les banquets rituels au R.E.R, les maçons font une
prière qui débute comme suit : « Grand Architecte de l’Univers, qui pourvoit
aux besoins de Tes créatures, nous recevons ces aliments de Tes mains avec
reconnaissance... »
Ils feraient mieux de remercier les fermiers, parce que sans eux leurs assiettes
seraient vides et leurs prières n’y changeraient rien. Des millions de gens
meurent de la faim, des tremblements de terre, de la sécheresse ou des
inondations, malgré toutes leurs vaines prières. « La prière, a dit Bertrand
Russell, est une humiliation indigne d’un homme libre. » Dieu est immuable et
30
Mariette Cyvard pour CRPTrad
à un tel point qu’il n’a jamais rien fait pour l’humanité. Il ne faut donc pas
s’étonner qu’on doute de son existence, sauf dans les statuts maçonniques des
loges régulières...“Une Loge Révèle "écrit à propos de ce rite christique : « Il
s’agit d’une machine de guerre religieuse née au XVIII siècle. Son but est de
ramener dans le sein de l’Église catholique les "frères égarés". Les noncatholiques, les Juifs en particulier n’y sont pas les bienvenus. Les postes de
commande sont réservés à des catholiques bon teint, pourvus d’un acte de
baptême, etc. derrière laquelle se cache l’Église tout court. » Le Grand Orient
de France compterait actuellement 45 ou 55 ateliers au Rite Écossais Rectifié.
La religiosité y progresse donc à grands pas. Le Grand Orient, en laissant
pratiquer ce rite christique, se livre à son tour au prosélytisme religieux et la
communautarisation interne de l’obédience est en route, en opposition avec
les statuts qui prônent la laïcité. Vu cette évolution, on y verra bientôt des
ateliers musulmans, hindous, bouddhistes, etc. Ce sera la fin du Grand Orient
de France et de son caractère essentiellement laïque. La maçonnerie
scandinave prédominante (Norvège, Suède, Danemark, Finlande, etc.) est
chrétienne. Nul ne peut y être initié s’il n’est pas chrétien. Elle est donc bien
entièrement communautarisée puisqu’elle ne tolère aucune autre religion, ni
aucun libre-penseur en son sein. Le travail maçonnique ne peut être
majoritairement consacré au symbolisme et aux rituels si les maçons veulent
réellement construire le temple idéal de l’humanité. Trop de symbolisme
occulte les problèmes essentiels de ce monde sur lesquels les maçons
devraient se pencher. C’est l’écrivain Cavanna qui, en entrant en maçonnerie,
se lassa très vite des rituels et symboles et abandonna à cause de cela. « Je
m’emmerdais, dit-il, le rituel avait vite perdu son maigre pittoresque pour
n’être plus qu’un fatras de symboles aussi barbants que la messe. Le rituel
franc-maçon n’est qu’allégorique, et pourtant, avec quelle ferveur ils s’y
cramponnent ! La franc-maçonnerie, qui n’attache à son rituel aucune autre
valeur que symbolique, n’en abandonne pourtant rien, et même passe
d’innombrables heures à en commenter tel ou tel point. » Notre planète est
menacée par la surpopulation, la famine, la pollution, la surchauffe, le manque
de matières premières et d’énergie. Elle est aussi gravement menacée par les
intégristes musulmans qui ont déjà installé le Conseil Européen de la Fatwa à
Londres pour introduire la charia partout en Europe et mettre fin à notre
liberté d’expression. Des fatwas de mort sont lancées contre plusieurs
personnes vivant en Europe. Plusieurs parlementaires et politiciens hollandais
sont menacés de mort et la peur règne depuis la mort de Théo Van Gogh. La
liberté d’expression est remise en cause par l’islam. Les maçons restent muets
pendant que nos libertés fondamentales sont gravement menacées. Travailler
à la construction du temple idéal de l’humanité, oui, mais pas au « temple
31
Mariette Cyvard pour CRPTrad
spirituel de l’humanité » comme le dit la GLNF. Les religions s’occupent déjà
assez de la construction des temples spirituels. Par ce texte je ne veux
nullement critiquer ou mettre en cause la valeur des maçons des loges
régulières et l’utilité de la franc-maçonnerie en général, mais bien uniquement
la religiosité qui imprègne tout dans les obédiences régulières. Il est interdit d’y
parler de religion, mais tout y est religiosité, prières, rituels christiques,
vénération du Grand Architecte. La maçonnerie régulière n’est bien entendu
pas une secte et tous les maçons réguliers sont des gens respectables et de
qualité comme le sont ceux de toutes les autres loges dites irrégulières. L’exGrand Maître du GODF Alain Bauer, est conscient que la franc-maçonnerie a
besoin de se redynamiser. C’est pourquoi il a déclaré : « Alors, puisqu’il n’y a
pas de débats d’idées, nous nous empaillons sur des problèmes d’intendance,
sur la couleur de nos cordons. Nous tombons souvent dans la facilité en ne
parlant que de ce qui se trouve dans les grimoires, en restant enfermés dans
des cavernes. »
Source : http://www.fairelejour.org/
32
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Grand Architecte de l'Univers
«La Grande Loge de France travaille à la gloire du Grand Architecte de l'Univers
». Cette affirmation lapidaire, qui figure dans notre Déclaration de Principes du
5 décembre 1955, est éclairée dans une certaine mesure par le Manifeste
adopté unanimement à Lausanne le 22 septembre 1875 par le Convent
Universel des Suprêmes Conseils du Rite Ecossais Ancien et Accepté. On peut
lire dans ce texte fondamental : «La Franc- Maçonnerie proclame, comme elle a
proclamé dès son origine, l'existence d'un principe créateur sous le nom de
Grand Architecte de l'Univers ». Par ces mots soigneusement pesés les plus
hautes autorités de l'Ordre entendaient concilier, au-delà des tensions
idéologiques du dix-neuvième siècle finissant, la Tradition maçonnique et la
liberté de conscience des Frères. Les débats parfois passionnés qui n'ont pas
cessé depuis lors ont montré à la fois les vertus et les limites de ce texte. Aussi
n'est-il pas inutile de se demander quelle est encore sa signification, dans une
période de bouleversements matériels et spirituels aussi rapides que profonds.
Car si la Franc-Maçonnerie se veut le support d'une Tradition, il s'agit d'une
tradition ouverte et évolutive, qui vise à réunir les hommes dans le respect de
leurs légitimes différences.
Un symbole
Il convient d'abord d'affirmer avec force que le Grand Architecte est
maçonniquement un symbole et ne saurait être autre chose qu'un symbole.
Toute tentative pour donner à ce concept un contenu précis relèverait du
dogmatisme et serait ainsi incompatible avec les fondements de notre Ordre.
Pourtant c'est un symbole bien particulier. Alors que notre langage symbolique
est composé d'un grand nombre d'éléments figuratifs (outils, astres, figures
géométriques, etc.) un seul échappe à cette matérialisation : notre Grand
Architecte. Nous ne l'approchons en effet que par des mots, comme si quelque
crainte révérencielle nous interdisait d'aller plus loin. Pourtant il eût été facile
— et même plaisant — d'incarner un concept aussi anthropomorphique qui
stimule notre imaginaire du dix-huitième siècle et rappelle à la vie le divin
horloger du Frère Voltaire. En fait il n'est rien de tel et le franc-maçon qui
entend pénétrer la signification du Grand Architecte doit créer pour lui-même
et s'il en éprouve le besoin une représentation de son symbole. Ce symbolisme,
qu'on peut dire du deuxième degré, renvoie donc à un concept unique, dont
chacun, loin de tout catéchisme, possède dans son Temple intérieur l'image
entièrement personnelle et difficilement communicable. Attestant cette
singularité l'histoire du symbole est, du reste, tout à fait significative. Les
33
Mariette Cyvard pour CRPTrad
auteurs disputent de son origine. Certains la font remonter aux temps les plus
reculés, via les Opératifs. Mais leurs arguments historiques sont légers.
Book of Constitutions.-- The first official issue of this book is Anderson’s and
Désaguliers’s edition in 1723. There was in 1722 an informal issue of the old
regulations, in a copy of a MS. Constitution. The word "Constitution" probably
refers to the old MS. rolls or books which the Lodges seem to have possessed,
and to which Plot alludes and also the writer of Ashmole’s biography. There
was a reissue of the Constitutions in 1738, another in 1746, though only with a
new title page apparently, another by Entick in 1756, and again with his name,
though under a committee, in 1767. In 1776 a reissue of the 1767 edition took
place with an appendix. In 1784 another edition was issued by John
Noorthouck, another edition in 1815 by Bro. Williams, a corrected one in 1819,
another in 1827, and another in 1841. The present book is substantially that of
Williams without the historical portion, which has not been reprinted since
1784.
Pour la plupart l'expression date de la naissance de la franc-maçonnerie
spéculative. En 1723 Anderson écrit dans ses Constitutions : «Adam, notre
premier parent, créé à l'image de Dieu, Grand Architecte de l'Univers...» En
1756 on peut lire également dans un ouvrage symboliste, l'Ahiman Rezon de
Laurence Dermott : «Le Grand Architecte de l'Univers est notre Maître
Suprême». On pourrait citer d'autres textes de la même époque: L'intérêt de
ces références est de montrer à l'évidence que les fondateurs de la francmaçonnerie tendaient à faire du Grand Architecte le symbole de la Divinité.
Mais pour éviter d'introduire dans les Loges les querelles religieuses et
philosophiques de ce temps, ils s'en sont tenus à une formulation
volontairement imprécise. Cette prudence n'a cependant pas empêché les
controverses de se poursuivre. Au fil des années il fallut faire cohabiter, plus ou
moins bien, ceux qui ne voyaient dans le Grand Architecte qu'un autre nom
pour leur Dieu révélé avec ceux qui y trouvaient le rappel de la grande Loi
newtonnienne fondamentale censée régir le Monde. Puis d'autres francsmaçons, et non des moindres, croyant sortir de ces disputes et s'estimant
contraints dans leur liberté de pensée par l'invocation du Grand Architecte, ont
expulsé le symbole de leurs Loges. Le Rite Ecossais a, pour sa part, conservé
une place très haute au Grand Architecte ; mais il faut insister sur le fait qu'à
travers ce vocable il proclame seulement un «principe» et non un «esprit» ou
un « être suprême». Principe ? Etymologiquement « le commencement,
l'origine ». Mais aussi par extension « proposition première posée et non
donnée » et même «règle d'action s'appuyant sur un jugement de valeur et
34
Mariette Cyvard pour CRPTrad
constituant un modèle, une règle, un but» (Robert). On le voit le symbole est
beaucoup plus complexe qu'une lecture au premier degré pourrait le laisser
supposer. Chacun peut y loger à son choix, soit une explication du Monde, soit
un simple postulat constituant un aveu d'ignorance, soit même un système
éthique appuyé ou non sur la transcendance. Mais ce «principe» est également
qualifié de «créateur». S'agissant d'un symbole ce qualificatif peut difficilement
être pris dans son sens premier de fabrication matérielle : l'horloger n'est pas
un «principe», c'est un «agent». Il est sans doute plus fructueux d'entendre
cette «création» au sens de la création poétique, où l'ordonnancement des
mots compte plus que les mots eux-mêmes. Si l'on se place de ce point de vue,
plus ésotérique, le Grand Architecte symbolise non seulement un «principe»,
mais aussi un «ordre», une «méthode», un «arrangement» : bref, une attitude
spirituelle. Que ce «principe d'ordre» s'inscrive ou non dans l'Univers concret,
et de quelle manière, c'est à chacun de le dire. Le symbole propose, la libre
pensée des francs-maçons dispose. Au fond ce que le Rite Ecossais invite ses
membres à méditer dans le Grand Architecte c'est le contraste entre notre
propre finitude et l'infini auquel nous aspirons. Un tel symbole, on le conçoit
aisément, ne peut faire l'objet d'aucune représentation matérielle, sans quitter
pour cela nos Loges. Il appartient à chaque franc-maçon de meubler, dans la
mesure de ses désirs et de ses moyens, cet espace de liberté offert à sa
réflexion. La Tolérance devrait faire le reste et rendre chacun acceptable pour
tous. Subsidiairement on peut se demander pourquoi la franc-maçonnerie
éprouve le besoin de «proclamer» un symbole aussi difficile à définir. Le motif
est dans la méthode même de travail de l'Ordre : après avoir ouvert la voie
initiatique par une table rase intérieure, il appelle les francs- maçons à se
reconstruire eux-mêmes sous le signe le plus élevé et le plus large de leur
relation avec le Cosmos. On ne pouvait trouver meilleur symbole que le Grand
Architecte pour cet effort de dépassement. Reconnaissons toutefois que
travailler «à la gloire» d'un «principe» peut paraître surprenant. Cela l'est
moins si l'on considère l'héritage traditionnel et religieux des francs-maçons
ainsi que les diverses interprétations qu'ils donnent à ce symbole.
Les interprétations
Sans avoir la prétention d'explorer toutes ces routes on peut, en première
approche, se borner à évoquer les trois grandes familles de pensée auxquelles
se rattachent les acceptions habituelles du Grand Architecte. Ce faisant il faut
garder conscience d'agir de manière extrêmement réductrice, chacun ayant des
convictions dont le caractère personnel et subtil échappe à toute
généralisation. Telle est la limite d'une réflexion sur les symboles. Il y a d'abord
35
Mariette Cyvard pour CRPTrad
le théisme ; spécialement le monothéisme issu des Ecritures. Pour ses adeptes
le Grand Architecte s'identifie sans problème au Dieu créateur, esprit éternel
qui a fait l'Homme à son image et organisé l'Univers pour l'héberger. Un Plan
préside à la Création, mais nous ne pouvons en percevoir que des fragments :
le reste est mystère. Toutefois Dieu a consenti à l'Homme sa «révélation». Par
des moyens divers il lui a fait part explicitement aussi bien de son existence que
des sentiments d'amour ou d'irritation qu'il lui porte. Malgré sa faute originelle
et pour assurer son salut. Il lui a même indiqué des règles de comportement. Il
en résulte un dialogue sur plusieurs registres entre le Créateur et sa créature,
mêlant la liberté et la contrainte, les promesses et les menaces, les
récompenses et les punitions. Selon les Religions et les Eglises tout cela fait
l'objet d'un corps de doctrine, plus ou moins dogmatique, toujours exotérique
mais parfois aussi d'un profond ésotérisme. Qu'on soit fidèle de telle ou telle
religion révélée n'empêche pas malgré ses dogmes d'être un excellent francmaçon. Le Grand Architecte devient alors un détour d'expression presque
superfétatoire, car équivalent à Dieu. Il suffit d'accepter que d'autres lui
donnent d'autres significations. Mais cela peut être difficile ; car ce qui est
acquis en certitude spirituelle peut menacer l'esprit de tolérance qui se nourrit
du doute. Il n'est pas aisé d'accepter des opinions divergentes lorsqu'on croit
soi-même posséder non seulement la Vérité, mais encore la manière de s'en
servir sous forme de règles morales intangibles. Certaines Eglises ne
considèrent-elles pas que convertir est l'un des premiers devoir du croyant ?
Pour l'homme qui n'a pas reçu l'initiation maçonnique la pente qui mène de la
Foi à l'intolérance est glissante. Pour le franc-maçon qui croit à une révélation
la tolérance est le produit naturel de la fraternité. Quant au fond, cette
interprétation du Grand Architecte ne semble pas nécessairement liée à
l'évocation ou à la réfutation des «preuves» habituellement avancées de
l'existence de Dieu. La métaphysique n'est pas du domaine de la raison
«raisonnante» et il paraît puéril de vouloir y «prouver» une chose ou son
contraire. En revanche il n'est pas interdit de penser que ce Dieu révélé est par
bien des aspects plus ou moins anthropomorphique. A tel point même que parfois on peut se demander si ce n'est pas l'homme qui l'a créé à son image et
non l'inverse. Certains francs-maçons estiment que seul un acte de Foi, aussi
inébranlable qu'irrationnel, permet de croire à un Créateur omnipotent et
infiniment bon qui, pour punir sa créature d'une seule faute bien prévisible, lui
a réservé un sort passablement lamentable. De ce point de vue il est
effectivement bien difficile d'admettre que notre vallée de larmes soit une
œuvre digne de notre Grand Architecte.
La deuxième famille d'interprétation du symbole échappe à cette critique c'est
le déisme des philosophes. Ces derniers sont gens subtils. Ils ont beaucoup
36
Mariette Cyvard pour CRPTrad
réfléchi et l'incertitude de la Vérité et des fins dernières les trouble autant que
les rebutent les invraisemblances contradictoires des diverses Révélations.
Aussi chacun imaginant sa propre solution polit sa théodicée personnelle. L'un
est plus rationnel, l'autre plus affectif et tous essaient de maîtriser leur mystère
particulier. On pourrait évoquer en détail les pensées de Spinoza, de Locke, de
Leibnitz... et de bien d'autres. Mais cela n'est pas indispensable car du seul
point de vue de la signification du Grand Architecte le Déisme des philosophes
peut être ramené sans simplification excessive à quelques propositions. Le Dieu
des philosophes n'est pas un Dieu révélé. Il n'a pas éprouvé le besoin de
signaler aux hommes par des manifestations matérielles son existence ni les
règles de conduite qu'il entend voir observer. Mais c'est un Dieu créateur, qui a
fait jaillir l'Univers du Chaos par un acte de volonté à partir duquel
l'enchaînement inéluctable des causes et des effets constitue le grand
ordonnancement mécanique de la Providence. Cette Providence n'est pas le
hasard ; elle suit un Plan divin qui met de l'Ordre dans le Chaos. Ce Plan est une
sorte de Loi abstraite et universelle qui s'étend jusqu'au domaine de l'éthique
sous la forme d'une «morale naturelle» immanente et valable en tout temps et
en tout lieu. L'Homme doué de Raison, qui est une parcelle de l'esprit divin,
peut connaître cette Loi et doit en faire bon usage. A première vue ce déisme
convient bien à notre Grand Architecte et ce n'est pas surprenant si nombre de
francs-maçons s'en réclament, qui opposent une conception déiste de l'Ordre
aux conceptions théiste ou athée. Etranger à tout dogmatisme comme à toute
pratique il correspond probablement à la religion abstraite des élites cultivées
du siècle fondateur de la franc-maçonnerie spéculative ; ce qui explique son
importance dans notre Tradition. Comme elle, il est tolérant et fraternel. Mais il
tend à limiter ces vertus à l'intérieur de sa métaphysique. Ce sont précisément
ces limites métaphysiques qui posent problème. Le Dieu des philosophes est,
semble-t-il lui aussi, largement anthropomorphique : c'est un «Deus faber». Si,
avec Voltaire, on postule l'existence de l'horloger quand on voit l'horloge, on
ne sort pas du champ spatiotemporel de notre Univers. Dans ce champ après
avoir trouvé l'horloger faut-il chercher son père et pourquoi pas la lignée de ses
ancêtres ? Ce Dieu planificateur et sa Loi universelle sortent tout armé de la
cosmologie de Newton. N'est-ce pas un peu dépassé pour identifier notre
Grand Architecte ? Et peut-on croire à une «morale naturelle» figée alors que
nos Sociétés sont diverses et si rapidement évolutives ? C'est pourquoi d'autres
francs-maçons trouvent que la signification déiste du Grand Architecte est, à la
réflexion moins cohérente que les interprétations théistes. Celles-ci ont le
mérite de la clarté : fondées sur un acte de Foi elles ne se discutent pas. Audelà de l'exégèse, au fond toujours superflue, voyez votre charbonnier habituel
! Le déiste raisonne; il entend expliquer ce qui est peut-être inexplicable. Il
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Mariette Cyvard pour CRPTrad
voudrait que son intelligence perce à jour les desseins du Grand Architecte : le
Plan divin, quintessence de la Raison ne serait-il pas peu ou prou accessible à
l'esprit de l'homme, fraction de celui de Dieu ? On conçoit que certains francsmaçons soient gênés par cette sorte de divination de la psyché humaine. Cela
nous amène à envisager la troisième famille des interprétations du Grand
Architecte : celle des francs-maçons qui n'éprouvent pas le besoin de faire
appel à la transcendance. Dans cette conception le propre d'un symbole est de
pouvoir être interprété de multiples façons mais de ne pas pouvoir être nié. On
peut nier l'existence de Dieu ; on ne peut pas nier celle du Grand Architecte, car
le Grand Architecte n'existe pas. C'est un pur signifiant qui attend de chacun de
nous son signifié. Autant de francs-maçons autant de réponses. On peut peutêtre essayer néanmoins d'avancer quelques idées. Puisque le manifeste du
Convent de Lausanne a posé le Grand Architecte comme un «principe» il
semble pertinent de le traiter comme tel : c'est-à-dire en posant pour l'appuyer
d'autres principes. Par exemple on peut présenter trois ensembles qui
paraissent capitaux :
1 - Notre connaissance est bornée par nature à l'univers spatio-temporel où
nous sommes. Même dans le cas très improbable où notre appareil cérébral et
les instruments les plus performants qui pourraient le prolonger permettraient
un jour de connaître tous les secrets du fonctionnement du Monde, nous
n'aurions jamais une connaissance absolue car elle serait limitée par l'espace et
par le temps. Nous pouvons pressentir ou non la présence d'une Vérité
ineffable mais nous ne pouvons jamais l'atteindre car nous vivons dans un huisclos. La conceptualisation la plus élaborée de cet enfermement est sans doute
celle de la courbure de l'espace-temps inventée par les mathématiciens. Bien
qu'on ne puisse s'en former une image mentale elle permet de rendre compte
d'un Univers à la fois cyclique, fini et illimité. Mais l'éternel et l'infini sont pour
nous à jamais hors d'atteinte : nous pouvons les imaginer par extrapolation à
partir du temporaire et du fini qui sont nos seules certitudes. Nous ne pouvons
pas les comprendre, c'est-à-dire les recréer intérieurement. La francmaçonnerie nous invite à prendre conscience de cette aspiration toujours
insatisfaite mais elle ne nous guérit pas de notre originelle infirmité.
2 - L'idée de «création» n'est pas une idée «en soi», mais seulement une idée
«pour nous». Elle n'a en effet de sens que dans notre Univers et par la
représentation que nous nous en faisons. Il est important de comprendre
qu'elle trouve son origine et sa seule justification dans la réflexion immédiate
que nous avons sur notre propre sentiment d'exister. Dans notre espace-temps
rien ni personne ne procède de soi-même; et notamment pas les hommes !
Aussi nous paraît-il évident que puisque tout à sa source hors de lui-même,
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Mariette Cyvard pour CRPTrad
l'Univers au premier chef doit également avoir été créé. C'est pourtant là où le
bât blesse ! Si on y réfléchit un peu, affirmer la création de l'espace-temps est
proprement inintelligible pour un esprit humain. Elle postulerait en effet
l'existence d'un super-espacetemps englobant le nôtre... et d'autres encore
s'emboîtant comme des poupées russes. Pour cette raison la théorie du «big
bang» chère aux astrophysiciens ne nous apporte aucune lumière, qu'elle soit
ou non vérifiée. Avant comme après cette hypothétique explosion créatrice nos
savants œuvrent toujours dans notre espace-temps. Ils ne peuvent pas plus
s'en évader que le plus ignorant de nos contemporains.
3 - Sauf, par un pur acte de Foi, à meubler l'inconnaissable et à accepter le
mystère, il faut donc nous résigner à ne jamais connaître les fins dernières.
Bornons nous donc à l'Univers qui est le nôtre ! Il n'est pas si mal et ouvre un
immense champ à notre réflexion. Dans ses limites nous assistons émerveillés à
un processus perpétuel de création. L'apparition avec l'évolution du vivant de
l'espèce humaine, créatrice collectivement d'une réalité spirituelle
immatérielle, témoigne de la manière dont le Tout Cosmique se pense luimême. Pour autant qu'il puisse s'en rendre compte l'Homme a un rôle
fondamental à jouer dans son Univers. Porteur de l'esprit il est à la fois la
conscience du macrocosme, qui l'entoure à l'infini de ses horizons
concentriques, et celle du microcosme, qui plonge aussi à l'infini dans les
profondeurs de son âme. Cette merveilleuse faculté spirituelle lui permet de
rendre significatif pour lui ce qui n'a pas de sens en soi. «Ordo ab Chaos» est
une devise qui contient toute l'Humanité.
Pour ceux qui acceptent ces trois prolégomènes le Grand Architecte a une
signification symbolique fondamentale. Il figure dans nos Loges la conscience
collective de l'Humanité, le Principe créateur de sa marche vers le Progrès. Il
nous montre que l'Univers, qui n'a en lui-même aucun sens, n'est pour nous
pas absurde. Il nous invite à travailler sans relâche pour lui donner sa
signification. Hasard ou nécessité (mais le hasard a des Lois) le Grand
Architecte manifeste notre emprise spirituelle grandissante sur un Monde
temporel et limité. Il montre que pour nous rien ni personne n'est isolé. Dans
un Univers en perpétuelle création l'homme est relié à tout ce qui existe et rien
ne lui est indifférent. C'est pourquoi la troisième famille de pensée ne se sent
pas séparée des deux précédentes. Si on peut la qualifier d'«athée» par rapport
au théisme des religions révélées, et d'«agnostique» à l'égard du Déisme
philosophique, cela ne gêne en rien leur commune invocation. Leurs
conceptions respectives ne se situent pas en effet sur le même plan. Quel que
soit le point de vue de chacun il est bon que la franc-maçonnerie, avant même
de nous guider sur la voie initiatique, nous invite à proclamer l'existence du
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Mariette Cyvard pour CRPTrad
Grand Architecte. Par-là elle nous conduit à abandonner nos références
particulières pour mieux comprendre notre place dans l'Univers. Elle nous
invite à élargir notre réflexion pour nous préparer plus lucidement à l'action.
Au-delà de la signification que chaque franc-maçon lui donne le Grand
Architecte évoque pour tous le Genre Humain, dans ce qu'il doit avoir de sacré,
dans son passé difficile et dans sa quête toujours insatisfaite de la perfection.
C'est pourquoi le Rite Ecossais est pleinement justifié de le considérer comme
le symbole princeps de l'Ordre, qui peut aussi (après tout pourquoi pas ?)
travailler à sa gloire.
40
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Grand Architecte de l'Univers
Contrairement à une opinion répandue, l'expression « Grand Architecte de
l'Univers » n'est, en maçonnerie, qu'une expression rapportée; elle paraît d'un
usage sinon courant, du moins fréquent au XVIe siècle puisqu'on la trouve
dans le premier tome de L'Architecture (1567) de Philibert de L'Orme et que
Kepler l'utilise encore dans son Astronomia noua (1609); dans tous les cas,
elle désigne Dieu, le Dieu tout-puissant ordonnateur du Ciel et de la Terre. Ce
sont les Constitutions d'Anderson (1723) qui consacrent son usage maçonnique
puisqu'elles sont placées sous les auspices du Grand Architecte de l'Univers.
L'expression n'y figure cependant qu'une fois: « Adam, notre premier ancêtre,
créé à l'image de Dieu, le Grand Architecte de l'Univers, dut avoir les sciences
libérales, particulièrement la géométrie, inscrites dans son cœur, car depuis la
chute même, nous en trouvons les principes inscrits dans le cœur de ses
descendants. » Cependant, dans les procès-verbaux de la Grande Loge de
Londres où l'on eût pu s'attendre à la rencontrer, l'invocation brille par son
absence. Il faut attendre la Masonry Dissected de Prichard (1730) pour que le
Grand Architecte de l'Univers soit nommé en toutes lettres:
« Quand vous etes entré dans [la chambre du] Milieu, qu'avez-vous vu ?
-La représentation de la lettre G.
-Que dénote ce G ?
-Quelqu'un de plus grand que vous.
- Qui est ce plus grand que moi, qui suis un maçon franc et accepté, le maître
d'une loge ?
- Le Grand Architecte et Artisan de l'Univers ou Celui qui fut transporté au
somment le plus haut du Temple sacré. »
Que dire de cette maigre provende ? D'abord, que la référence au Grand
Architecte est un emprunt; ensuite que son utilisation s'inscrit dans une
tradition qui doit moins au judéo-christianisme qu'au néoplatonisme renaissant
puisque Dieu n'est plus appréhendé comme le Dieu personnel de la Bible mais
comme un principe architectonique ordonnant un « chaos » préexistant selon
les lois de la géométrie. Ce qui autorise une pareille conjecture est la reprise
par Dermott de l'article 1er des Constitutions d'Anderson. Le texte date de
1756 et l'on sait qu'il procède de la volonté des maçons de la Grande Loge des
Anciens -pour l'essentiel catholiques irlandais- de corriger le laxisme des
Modernes ; rappelons le texte d'Anderson: « Un maçon est obligé de par sa
tenue d'obéir à la loi morale; et s'il comprend bien l'art il ne sera jamais athée
stupide ou libertin irréligieux. Mais quoique dans les temps anciens les maçons
fussent tenus dans chaque pays d'être de la religion quelle qu'elle fût de ce
pays ou de cette nation, il est néanmoins considéré maintenant comme plus
convenable de les astreindre seulement à cette religion sur laquelle tous les
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Mariette Cyvard pour CRPTrad
hommes sont d'accord laissant à chacun ses propres opinions, c'est-à dire
d'être des hommes de bien et loyaux ou hommes d'honneur et de probité
quelles que soient les dénominations ou les confessions qui puissent les
distinguer »; voici maintenant la version qu'en donne Dermott dans son Livre
des constitutions de la très ancienne et honorable fraternité des maçons libres
et acceptés: « Un maçon est obligé de par sa tenue de croire fermement et
d'adorer fidèlement le Dieu éternel aussi bien que les enseignements sacrés
que les dignitaires et Pères de l'église ont rédigés et publiés pour l'usage des
hommes sages; de telle sorte qu'aucun de ceux qui comprennent bien l'Art
puisse possiblement marcher sur le sentier irréligieux du malheureux libertin
ou être induit à suivre les arrogants professeurs d'athéisme ou de déisme; ni à
être souillé par les erreurs grossières de l'aveugle superstition; mais qu'il puisse
avoir la liberté d'embrasser la foi qu'il jugera convenable pourvu qu'en tous
instants il témoigne du respect dû à son Créateur et agisse dans le monde avec
honneur et honnêteté prenant pour règle permanente de ses actes le précepte
d'or qui engage chacun à faire à autrui ce qu'il voudrait qu'on lui fît » si la
référence à la catholicité est ici obvie on observera que le « libertin irréligieux »
d'Anderson s'est mué en « malheureux libertin » et « l'athée stupide » devient
un arrogant professeur d'athéisme ou de déisme-signe que l'indifférentisme en
matière religieuse du « malheureux » libertin s'est transformé, en 1756, en
athéisme ou déisme militants. Notons en passant que la réaction des Anciens
fut pratiquement sans effet puisque dans les éditions de 1756 et 1784 des
Constitutions, la Grande Loge des Modernes rétablit l'article 1er dans sa
première rédaction. Édition de 1723: « Adam notre premier père créé à l'image
de Dieu le Grand Architecte de l'Univers dut avoir les sciences libérales gravées
dans le coeur...» édition de 1738: « Le Tout-Puissant Architecte et Grand
Maître de l'Univers ayant créé toutes choses en accord avec la Géométrie... »;
édition de 1784: (, Quand du point de vue philosophique nous contemplons les
merveilles de l'Univers nous découvrons que les corps célestes, la terre que
nous habitons et nous mêmes avec tous les autres animaux et produits naturels
sommes constitués et régis dans nos diverses opérations par des lois naturelles
sages et invariables dans leurs tendances à l'harmonie et à la conservation de
tout l'ensemble... »
On voit que le Dieu Architecte a été maintenu avec, in fine, une référence à la
physico-théologie dont la philosophie naturelle de Newton avait révélé
l'extrême fécondité avec le Psalmiste les maçons pouvaient dire: Coeli ennarant
gloriam Dei (Les Cieux racontent la gloire de Dieu). Mais dès lors que DieuGrand Architecte, en « accord avec la Géométrie », avait donné au monde ses
lois ne pouvait-on pas redouter que ces lois se substituassent maintenant à lui,
42
Mariette Cyvard pour CRPTrad
et que la natura naturans, pour reprendre la terminologie de Spinoza ne
l'emporte sur la natura naturata ? C'est ce que l'évolution de la notion de
Grand Architecte de l'Univers en territoire maçonnique paraît confirmer.
Dieu est en maçonnerie un Grand Architecte, ou, plutôt, le Grand Architecte est
Dieu. Dans le premier cas, on part de Dieu alors que, dans le second, après
avoir évoqué le Grand Architecte on s'empresse de préciser qu'il est Dieu. Ce
chiasme définit l'ambiguïté du rapport que les maçons entretiennent avec le
divin à l'aube des Lumières. Il est clair que pour les meilleurs esprits, après la
révolution galiléenne, Dieu n'est plus Dieu: le Dieu d'Abraham, d'lsaac et de
Jacob: le Dieu du cœur d'Augustin il devient un principe abstrait,
architectonique, qui, s'aidant de la géométrie, construit le monde selon un plan
ordonné; quintessencié, il s'est perdu dans les espaces infinis, laissant à ses
enfants la « géométrie dans le cœur », le soin d'en découvrir les lois; mais ce
Grand Architecte (Fontenelle parlera de « Grand Géomètre » et Voltaire, de «
Grand Horloger ») reste Dieu, et l'on sent dans la reprise quasi compulsive de la
formule « le Grand Architecte qui est Dieu » comme la nostalgie d'un Père dont
la mort paraît inéluctable-« mort » dont la sécularisation du sacré atteste
depuis trois siècles. En témoigne en amont la nouvelle version que l'on donne
de l'article 1er, en 1815 lors de la réunion des Anciens et des Modernes: « Par
obligation d'état un maçon est tenu d'obéir à la Loi morale et s'il comprend
bien l'Art il ne sera jamais athée stupide ou libertin irréligieux. De tous les
hommes il doit le mieux comprendre que Dieu voit autrement que l'homme car
l'homme voit l'apparence extérieure alors que Dieu voit le cœur. Par
conséquent un maçon est astreint en particulier à ne jamais agir à l'encontre
des commandements de sa conscience. Quelle que soit la religion d'un homme
ou sa manière d'adorer il ne sera pas exclu de l'Ordre pourvu qu'il croie au
Glorieux Architecte de l'Univers du Ciel et de la Terre et qu'il pratique les
devoirs sacrés de la morale... » Le laxisme andersonien a été évacué puisque «
chacun n'est plus libre de ses opinions » croire devient une obligation. Le texte
de 1815 représente à l'évidence une régression dogmatique qui prouve que la
maçonnerie est fille de son temps et s'adapte sans états d'âmes aux exigences
du moment. La querelle à propos du Grand Architecte a été un phénomène
uniquement français, même si la Belgique l'a précédée. Si le laxisme
andersonien ne souffre pas de discussion (il est bien question de la « religion
sur laquelle tous les hommes sont d'accord », chacun restant libre de ses «
propres opinions »), nous sommes toujours en régime de civilisation chrétienne
même si la sécession anglicane se démarque de Rome: en d'autres termes le
christianisme et, plus généralement, toutes les religions monothéistes
demeurent les références obligées du maçon. Cette situation singulière fait que
43
Mariette Cyvard pour CRPTrad
la maçonnerie ne saurait se penser en dehors du monde chrétien. Pourtant elle
n'était pas une contre-Église -on imagine mal le pasteur Anderson défaisant en
loge ce qui a été prêché au temple ! Mais, comme les rituels l'indiquent
clairement, un fil continu relie dans cette Angleterre du début du siècle les
pratiques religieuses et les pratiques rituelles. La situation ne sera guère
différente en France quand, dans les années 1735-1740, la maçonnerie s'y
implantera: à ceci près qu'à la différence de l'Angleterre, la France n'a pas fait
sa « révolution »; elle vit en régime de révocation, et la religion du prince est
celle des sujets. La maçonnerie se fera donc catholique comme en attestent les
rituels et surtout les différents régimes dits de hauts grades qui proliféreront
dans les années 1760. Que d'innombrables membres du clergé aient alors
maçonné prouve que la maçonnerie n'était pas alors perçue comme une
religion de substitution-ce qu'elle deviendra dans la première moitié du XIXe
siècle -mais qu'elle répondait aux aspirations du « Peuple de Dieu » qui
entendait maintenant s'associer en dehors des a priori dogmatiques et donc
confessionnaux.
44
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Grand Architecte de l’Univers
«
De
tous
les
Etres,
«
c'est
DIEU,
car
il
n'a
«
Le
plus
beau
c'est
«
il
est
l'ouvrage
THALES (Vle siècle avant J.-C.).
le
pas
le
de
plus
ancien
été
engendré.
MONDE,
car
DIEU
».
Dès sa création la Franc-Maçonnerie spéculative anglaise a fixé des landmarks,
c'est-à-dire des bornes, des règles à observer au-delà desquelles n'y a plus de
maçons, mais seulement des membres d'une société profane, non initiatique.
Toute obédience se situant en dehors de ces landmarks est considérée comme
irrégulière par les puissances maçonniques anglo-saxonnes. En pratique, la clé
de voûte de l'édifice initiatique maçonnique, le symbole fondamental de la
Maçonnerie est le Grand Architecte de l'Univers. Son invocation au début et à
la fin des travaux maçonniques donne aux adeptes le sentiment de participer à
une assemblée placée au-delà de l'humain et les aide à trouver la plénitude du
sens de la vie. Signalons que cette expression de « Grand Architecte de
l'Univers » est aussi ancienne que la Franc-Maçonnerie. Incontestablement, la
maçonnerie opérative était d'essence religieuse et un certain caractère
religieux a été conservé dans la maçonnerie spéculative, lors de son
organisation par Anderson en 1723. A cet égard il apparaît nécessaire
d'examiner l'évolution subie par le symbole du Grand Architecte de l'Univers
depuis cette date. Tel est l'objet de notre propos.
Au préalable, nous jugeons utile de définir les deux concepts du déisme et du
théisme, de façon à nous faire mieux entendre. Le déisme est un système
reconnaissant l'existence de Dieu. C'est une croyance basée sur la raison, mais
rejetant toute révélation et partant, tout dogme, et observant la religion
naturelle. En un mot, le déiste croit en un être supérieur incognescible.
Le théisme, par contre, est la croyance en seul dieu personnel transcendant et
en sa volonté révélée. Le Dieu, créateur de l'Univers, le régit et est immanent
dans cet Univers. En fait, le déiste, tout en admettant que la raison peut saisir
d'existence d'une puissance supra-humaine, d'un Absolu, d'un Principe, se
refuse à en analyser les caractères qui échappent aux facultés humaines, tandis
que le théiste s'estime capable de les étudier. Ces différences étant établies, il
est évident que le problème essentiel et indiscutable pour tout Franc-Maçon
est la croyance dans le Grand Architecte de l'Univers. Nous ne traiterons pas
dans ces conditions des Obédiences, telle le Grand Orient de France, qui rejette
toute allusion à ce symbole sans toujours l'avoir exactement compris. Pour
nous, ce symbole doit, en principe, être aussi bien admis et entendu par les
déistes que par les théistes. Mais qu'en est-il, en réalité, dans la pratique ?
45
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Ce texte, bien qu'il soit interprété par certains commentateurs comme
constituant une condamnation de l'athéisme, constitue un progrès
considérable par rapport aux landmarks des anciens Devoirs (les Old Charges),
des maçons opératifs. En effet, ces Devoirs s'adressaient à une confrérie
catholique, constructrice d'édifices sacrés, composée de loges opératives
dispersées, tandis que les constitutions concernent des loges spéculatives
groupées, organisées, déistes, au sein desquelles se côtoient des catholiques,
des protestants, des juifs, des musulmans, etc. Certains auteurs estiment que
cette évolution est la conséquence, sinon le fait, des membres des églises
réformées qui aspiraient à entrer en Maçonnerie et peut-être même à la
diriger. En tout état de cause, avec le symbolisme du Grand Architecte de
l'Univers apparaît une des premières manifestations de la liberté de conscience
: des hommes de religions différentes peuvent officiellement se réunir et
participer à une œuvre initiatique commune. Il s'agit bien d'une manifestation
de tolérance, aussi large que l'état d'esprit de l'époque le permettait. Sous
diverses pressions, le Grand Maître Dervenwater dans ses règlements du 27
octobre 1736 a cru devoir modifier cette conception libérale en imposant de
façon formelle la croyance en un Dieu personnel, créateur de l'Univers, père de
tous les hommes. Il précise : « un maçon ne sera jamais un athée, ni un libertin
sans religion ». Cette position, en régression par rapport à celle d'Anderson,
restera, hélas, comme nous allons le voir, celle de la Maçonnerie anglaise. C'est
ainsi que l'obligation I des constitutions de la Grande Loge Unie d'Angleterre,
publiées en 1813, à la date de la constitution de cette nouvelle obédience par
fusion de deux autres puissances maçonniques, est ainsi rédigée :
« Quelle que soit la religion d'un homme, ou sa manière d'adorer Dieu, il n'est
pas exclu de l'ordre, pourvu qu'il croie au Glorieux Architecte du ciel et de la
terre ». Le dogme de la croyance en Dieu, Grand Architecte de l'Univers,
restera un landmark de la Maçonnerie anglaise, qui n'a jamais cessé
d'accentuer sa tendance conservatrice et rétrograde. Pour la Grande Loge Unie
d'Angleterre « la Maçonnerie est un culte pour conserver et répandre la
croyance en l'existence de Dieu, pour aider les Maçons à régler leur vie et leur
conduite sur les principes de leur propre religion quelle qu'elle soit, à condition
que ce soit une religion monothéiste, qui exige la croyance en Dieu comme .Etre
Suprême, et que cette religion ait un Livre Sacré, considéré comme contenant la
volonté révélée de Dieu, et sur lequel l'initié puisse prêter serment à l'Ordre. »
Donc, le Maçon anglais doit avoir UN DIEU PERSONNEL, il doit être théiste et
croire à des dogmes. Cette position est évidemment en net retrait sur celle,
plus tolérante, d'Anderson. Le célèbre écrivain maçonnique, A. Mackey, estime
que le landmark essentiel est la croyance en l'existence de Dieu comme Grand
Architecte de l'Univers et en la résurrection en une vie future. Il s'agit d'une
46
Mariette Cyvard pour CRPTrad
interprétation encore plus étroite des Constitutions d'Anderson. Dans le même
sens, le Credo Maçonnique, rédigé en 1924 par la Grande Loge de New York,
proclame : Il existe un Dieu unique, père de tous les Hommes ». La Grande Loge
Unie d'Angleterre se dit la Grande Loge mère du Monde, en raison de
l'antériorité de sa fondation. Elle se dit la gardienne des us et coutumes
traditionnels de la Maçonnerie dite régulière. Elle décidait, le 4 septembre
1929, dans un mémoire en huit points, relatif aux critères de régularité des
obédiences : « que la croyance au Grand Architecte de l'Univers et en sa volonté
révélée soit une condition essentielle pour l'admission de ses membres ». Cette
même grande Loge confirmait ainsi sa pensée dans une lettre adressée le 18
octobre 1950 à la Grande Loge d'Uruguay : « La vraie maçonnerie doit
conserver et répandre la croyance en l'existence de Dieu... mais ce doit être une
religion monothéiste... ayant un Livre Sacré ». Aussi explicite est la Constitution
de la Grande Loge de la Caroline du Sud : « Quiconque... désire devenir FrancMaçon doit être informé qu'il doit croire fermement dans l'existence de la
Divinité, qu'il doit l'adorer et lui obéir, en tant que Grand Architecte et Gouverneur de l'Univers ». En France même, la Grande Loge Nationale Française,
fondée en 1913 par des dissidents du Grand Orient, se dit la seule obédience
régulière française, en fonction des landmarks anglo-saxons qu'elle respecte, et
se trouve être la seule puissance maçonnique française reconnue par la Grande
Loge d'Angleterre. Dans un manifeste adressé à la presse en septembre 1960,
les dirigeants de la G.L.N.F. précisaient : « la première condition pour être admis
dans l'Ordre et pour faire partie de la G.L.N.F. est la croyance en l'Etre Suprême
et en sa volonté révélée. Cette règle est essentielle et n'admet aucun compromis
». Cette même obédience, dans une communication datant de 1961, écrivait : «
Il ne peut y avoir de maçonnerie régulière en dehors des principes de varietur
suivants : croyance en Dieu, Grand Architecte de l'Univers - croyance en sa
volonté révélée et exprimée dans le Livre de la Sainte Loi - croyance en
l'immortalité de l'âme ». Enfin, la G.L.N.F. dans une règle en 12 'points, datant
de 1967, déclare : « La Franc-Maçonnerie est une fraternité Initiatique qui a
pour fondement traditionnel la Foi en Dieu Grand Architecte de l'Univers ».
Aussi l'un de ses membres, J. Tourniac, estime-t-il que « la Croyance en Dieu,
Grand Architecte de l'Univers, est la base et le fondement primordial de notre
édifice ». Force est donc de constater, à la lecture de ces citations,
volontairement limitées, que les maçons anglo-saxons, suivis en cela par ceux
de la G.L.N.F., ont fait une démarche spirituelle régressive, revenant aux
anciens Devoirs des opératifs et négligeant toute l'évolution de la pensée
humaine depuis la création de la maçonnerie spéculative, mieux encore, en
étant en retrait par rapport à Anderson. Aussi ces maçons croient, de bonne
foi, semble-t-il, que seules les obédiences auxquelles ils appartiennent sont
47
Mariette Cyvard pour CRPTrad
régulières. « Chaque rite, a dit Papus, a la singulière prétention d'être seul
régulier ». C'est pourquoi les obédiences anglo-saxonnes « excommunient »
volontiers les puissances maçonniques qui n'admettent pas leur conception des
landmarks, autrement dit celles qui ne reconnaissent pas l'obligation, pour
leurs membres, d'être des théistes, ayant un dieu personnel,
créateur rigoureusement affirmé par sa volonté révélée. L'Ecossisme, ordre
initiatique traditionnel, quant à lui, ne prétend pas détenir la vérité révélée et
n'aspire pas à un monopole de régularité maçonnique. Il n'a pas non plus la
prétention d'imposer son point de vue aux autres rites maçonniques, car il
pratique un large esprit de tolérance mutuelle. L'Ecossisme, dans la ligne de
l'esprit libéral qui le caractérise, désigne le Dieu allégué par Anderson par un
symbole : celui du Grand Architecte de 'l'Univers. Et l'ordre travaille à le
glorifier et non à le définir. Conformément au Code élaboré par la conférence
du Luxembourg du 15 mai 1954, les maçons écossais prêtent le serment
d'admission sur 'les Trois Grandes Lumières. Pour eux l'interprétation des
symboles, et notamment celui du Grand Architecte de l'Univers, relève
exclusivement de la conscience de chaque adepte, la pratique scrupuleuse du
rituel, l'étude du symbolisme et le travail personnel demeurant les seuls
moyens d'accès au contenu initiatique de l'ordre. A plusieurs reprises la
position de la Grande Loge de France a été définie à la radio. Retenons deux
citations. La première date de 1959 : « Croyance en un principe de Vie, créateur
et ordonnateur transcendant et immanent. Sagesse infinie, Connaissance
parfaite, Amour, Perfection, c'est notre Grand Architecte de l'Univers qui
conditionne notre initiation du premier au dernier jour de notre existence
maçonnique. » La deuxième, particulièrement explicite, fut énoncée le 18 octobre 1959 par le Grand Maître, dans les termes suivants : « chacun choisit son
sentier personnel dans le vaste jardin initiatique, mais toutes ces voies
'individuelles conduisent vers la Connaissance de et vers l'identification finale
de l'initié avec Elle. Comment ce cheminement initiatique pourrait-il
s'accomplir si le voyageur ne croyait pas en l'existence du havre vers lequel il
progresse ? ». Pour le maçon écossais, le Grand Architecte de l'Univers est un
principe créateur, dynamique par excellence, organisateur de l'Univers. Mais
aucun dogme ne s'y rattache. Il lui est loisible de la concevoir comme la loi qui
régit la matière, dont les hommes ne peuvent percevoir que les manifestations
sensibles ; dans ce cas, l'univers visible dont il est le principe conducteur et
conservateur est la divinité à l'état de manifestation. Il peut l'entendre comme
l'organisateur, l'ordonnateur, le géomètre, la force d'ordre qui lutte contre le
chaos et lui substitue une harmonie, c'est-à-dire comme un principe d'Ordre. Il
peut aussi l'admettre comme un Dieu créateur, Principe d'existence, ce peut
être le dieu des philosophes du XVIII° siècle, aussi bien que le Dieu des
48
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Religions révélées. Il justifie toujours la lutte de l'homme contre la matière, le
hasard ou le destin. Le symbole du Grand Architecte de l'Univers n'étant lié à
aucune croyance exprime donc la foi du maçon écossais dans la totale liberté
de conscience. Il se place tout naturellement dans le cadre de l'initiation sur un
plan idéal transcendant le chaos, exaltant les valeurs spirituelles les plus
hautes, donnant de goût du sacré et conduisant au voyage vers l'invisible. Ainsi,
pour l'Ecossisme, le Grand Architecte de l'Univers, c'est le Dieu de Platon, tel
qu'il le définit dans « Timée » : « le Dieu prit toute la masse des choses visibles
qui n'étaient pas en repos, mais se mouvait sans règle et sans ordre et le fit
passer du désordre à l'Ordre, estimant que l'ordre était supérieur à tous égards
». C'est aussi la divinité dont parle Voltaire dans ses « Dialogues philosophiques
» : « cet architecte de l'Univers si visible à notre esprit et en même temps
incompréhensible, quel est son séjour ? De quel ciel, de quel séjour envoie-t-il
ses éternels décrets à toute la nature ? Je n'en sais rien, mais je sais que toute la
nature lui obéit ». Il est donc certain que pour le maçon écossais, le Grand
Architecte de l'Univers n'est pas nécessairement une personne divine, dont la
volonté révélée est visible en Loge et s'est exprimée une fois pour toutes par le
texte immuable d'une Loi écrite. C'est un principe supérieur et idéal qui n'exige
aucun Credo. Au Convent de Lausanne de 1875, les Suprêmes Conseils
Européens du Rite Ecossais ont adopté divers textes à ce sujet, qu'il nous paraît
opportun de rappeler. Dans un document intitulé « Définitions », ils ont précisé
: « La Franc-Maçonnerie a pour doctrine la reconnaissance d'une Force
supérieure dont elle proclame l'existence sous le nom de Grand Architecte de
l'Univers ». Dans une « déclaration de principes », il a été arrêté : « La FrancMaçonnerie proclame l'existence d'un Principe Créateur sous le nom de Grand
Architecte de l'Univers ». Enfin, dans une ultime déclaration, les Suprêmes
Conseils concernés ont précisé : « Aux Hommes dont la religion est la suprême
consolation, la Maçonnerie a dit : cultivez votre religion sans obstacles, suivez
les aspirations de votre conscience. La Franc-Maçonnerie n'est pas une religion,
elle n'a pas de culte. » La devise du Suprême Conseil « Deus meumque jus »
(Dieu et mon Droit) montre la relation reconnue par le Rite Ecossais Ancien et
Accepté entre Dieu et l'Homme, ce dernier ne se voyant imposer, en sa qualité
de maçon, aucune autre voie que celle choisie par sa conscience. La position
officielle de l'Ecossisme a donc été clairement définie. Elle n'a pas varié. Elle
montre que la notion de Grand Architecte de l'Univers est à la fois plus ample
et plus restreinte que celle du Dieu des différentes religions. En ce qui concerne
le Volume de la Loi Sacrée, l'attitude de l'Ecossisme est semblable. Ce Livre est,
en effet, l'une des Trois Grandes Lumières de l'Ecossisme, non pas en tant
qu'expression de la volonté révélée de Dieu, mais comme symbole de la plus
haute spiritualité humaine. Répétons-le : le symbole du Grand Architecte de
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Mariette Cyvard pour CRPTrad
l'Univers est le plus important de la Maçonnerie. Malheureusement, son
interprétation sépare et divise les Obédiences. Celles qui se disent «
traditionnelles » sont devenues, au fil des années, théistes, orthodoxes et
conformistes. Elles exigent la croyance en un Dieu personnel. Par contre,
l'Ecossisme est indubitablement déiste et libéral. En cela, l'Ordre Ecossais est
resté fidèle à la Tradition, il a su appliquer le principe de tolérance
implicitement formulé par les Constitutions d'Anderson, en tenant compte de
l'évolution spirituelle de l'humanité au cours de ces deux derniers siècles. A la
conception anglo-saxonne rigide des landmarks, le Rite Ecossais Ancien et
Accepté a su opposer la compréhension vivante et enrichissante du concept
fondamental de l'Ordre, témoignant par-là même de sa haute valeur
initiatique. Pour ses adeptes, l'interprétation du prestigieux symbole du Grand
Architecte de l'Univers, les aide à poursuivre leur cheminement sur la voie de
l'initiation, qui est libération à l'égard des dogmes. C'est le meilleur témoignage
de la capacité du Rite de faire pratiquer une réelle tolérance active,
contrairement au regrettable usage en vigueur dans d'autres obédiences qui
glorifient de façon purement formelle cette vertu, sans la mettre en pratique
dans le domaine métaphysique. L'Ecossisme met ainsi en œuvre un efficace
retour aux sources, fondement de la régularité de ses adeptes, tandis que les
obédiences qui se disent « traditionnelles » restent figées dans leur
dogmatisme et leur intolérance. Déistes, les maçons écossais le sont. Certains
d'entre eux peut-être la majorité, sont également — mais à titre personnel —
anticléricaux. C'est sans doute cette dernière position — qui n'est pas celle
officielle du Rite — qui a pu provoquer un malentendu dans l'esprit des Anglosaxons. En effet, compte tenu de leur état d'esprit propre, anticléricalisme et
athéisme peuvent être plus ou moins assimilés l'un à l'autre. De cette confusion
que nous voulons croire involontaire, a pu découler leur attitude envers
l'Ecossisme, qui se situe à mi-chemin de l'ignorance dédaigneuse et de
l'hostilité avouée. est certain que le Rite Ecossais Ancien et Accepté ne peut
que partager l'opinion de la Maçonnerie anglaise sur le postulat qu'une société
initiatique doit respecter un minimum de principes intangibles, si elle ne veut
pas dégénérer peu à peu et se transformer en un groupement de clubs plus ou
moins fermés, mais devenus profanes par la nature même de leurs
motivations, de leurs travaux et de leurs interventions publiques. Par le fait
même que les Anglais dénient toute valeur symbolique au Grand Architecte de
l'Univers et le définissent étroitement, il semble bien qu'ils ne voient dans la
Maçonnerie qu'une pratique plus élargie de leur religion. Ils en font, en
quelque sorte, un culte complémentaire. Pour les maçons écossais, cette
attitude ne paraît pas compatible avec la tradition et la nécessaire évolution de
l'ordre. En ce domaine, plus encore qu'en d'autres, la recherche de la vérité
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Mariette Cyvard pour CRPTrad
nécessite une absolue liberté de pensée et de conscience, conjuguée avec son
indispensable corollaire : LE RESPECT DE L'HOMME. Aussi, l'Ecossisme est
contraint — quoi qu'il lui en coûte sur le plan de la fraternité — de rejeter le
landmark imposé par la Grande Loge Unie d'Angleterre : la croyance en un dieu
personnel et à sa volonté révélée. Il reste ainsi fidèle à la conception libérale
des premiers créateurs des obédiences maçonniques. Néanmoins, les maçons
écossais souhaitent, ardemment, qu'au-delà des divisions inter-obédiences à ce
sujet, puisse enfin voir le jour une confédération d'obédiences, liées par une
charte commune basée sur les points d'accord. « Rassembler ce qui est épars »,
n'est-ce point là le travail de tout Maître Maçon ? Dans cette perspective,
l'universalisme maçonnique, tant désirable et tant désiré, passerait enfin dans
les faits. Il s'épanouirait pour la plus grande gloire et pour la prospérité de la
Maçonnerie et permettrait une plus large exaltation de son message spirituel.
Publié dans le PVI N° 29 - 2e trimestre 1978
51
Mariette Cyvard pour CRPTrad
TEXTES PHILOSOPHIQUES
Avertissement
L'idée de Grand Architecte de l'Univers est difficile à comprendre et à définir.
En elle, viennent se rejoindre et parfois se fondre des caractères issus, soit de la
tradition religieuse, soit de la tradition philosophique. C'est pourquoi il nous a
semblé utile, voire nécessaire, d'évoquer la Bible et des textes tirés des grandes
œuvres philosophiques de l'Antiquité, du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle où nous
rencontrons l'idée de Dieu ou de l’Etre.
On peut penser que l'idée de Dieu ou de l'Etre ne recouvre pas exactement
l'idée de Grand Architecte de l'Univers, mais on peut la considérer comme une
approche qu'il est utile, voire nécessaire, à tout franc-maçon de connaître et de
méditer.
Nous nous sommes volontairement limités à quelques textes qui nous
semblent significatifs. Mais il va sans dire que cette liste n'est pas et ne veut
pas être limitative, et que tout franc-maçon peut, et doit, la compléter et
enrichir.
Nous ne donnons ces textes qu'à titre d'indication, voire d'incitation, car ils ont
pour nous, francs-maçons du Rite écossais, au-delà de leur valeur
spécifiquement religieuse ou philosophique, la plus haute valeur spirituelle.
*
LA BIBLE. Genese I. 1.
Si Ion se réfère aux anciennes versions de Genèse (récit de la Création), nous
voyons que le verset 1 a été traduit de la manière suivante :
' Au commencement
Dieu créa les cieux et la terre soit par une proposition indépendante.
Dans ce cas, il s'agirait d'une création ex nihilo. Mais beaucoup de traducteurs
modernes et anciens (parmi les anciens on peut citer Rashi et lbn Esra)
considèrent le verset I comme une proposition subordonnée à ce qui suit.
21
Cette compréhension est beaucoup plus conforme à la grammaire et à la
phraséologie hébraïque. Breshit, dans la Bible, n'est jamais pris à la fois
absolument et temporellement dans le sens de commencement. Ici, l'état
construit est donc plus probable.
Si le verset 1 est donc subordonné à ce qui suit. Deux traductions sont possibles
lbn Esra . « Au commencement que Dieu créa le ciel et la terre, la terre était
tohu-bohu
Rashi : « Au commencement que Dieu créa et que la terre était tohubohu et
que l'esprit de Dieu... alors Dieu dit... «. Cette dernière compréhension est la
meilleure : le verset 1 étant pris comme protase, il est préférable de prendre le
3 comme apodose.
52
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Genèse I, 1 n'exprimerait donc pas l'idée d'une création ex nihilo mais
l'organisation d'un chaos. Dans les écrits sacrés juifs, l'idée de création ex nihilo
n'apparaît que dans le 2 livre des Macchabées, VII, 28.
De plus, dans ce contexte, tohu-bohu ne désigne pas à proprement parler le
néant, mais bien plutôt un chaos liquide désigné à la fin du verset 2 par le mot
« Tahom « qui dans les textes bibliques désigne les eaux souterraines, l'océan
cosmique sur lequel repose la terre. Comme dans les mythes babyloniens de
création, l'œuvre créatrice de Dieu apparaît donc dans un certain ordre de la
nature exprimé dans Genèse I par la séparation des eaux (apparition du
firmament) et dans Genèse VIII par le maintien du rythme des jours et des
saisons après le déluge. L'idée d'un démiurge organisateur d'un chaos
préexistant et non-créateur ex nihilo n'est donc pas étrangère à la pensée
biblique.
*
PLATON
Les savants disent que le ciel et la terre, les dieux et les hommes sont unis
ensemble par l'amitié, la règle, la tempérance et la justice et c'est pour cela
qu'ils donnent à tout cet univers le nom d'ordre et non de désordre et de
dérèglement. Gorgias, 568 a.
Ce qui répand la lumière de la Vérité sur les objets de la connaissance et
confère au sujet qui connaît le pouvoir de connaître c'est l'idée de Bien.
Puisqu'elle est le principe de la science et de la vérité, tu peux la concevoir
comme objet de connaissance, mais si belles que soient ces deux choses, la
Science et la Vérité, tu ne te tromperas pas en pensant que l'idée du Bien en
est distincte et les surpasse en beauté. Comme dans le monde visible on a
raison de penser que la lumière et la vue sont semblables au soleil mais tort de
croire qu'elles sont le soleil, de même dans le monde intelligible il est juste de
penser que la science et la vérité sont l'une et l'autre semblables au Bien mais
faut-il croire que l'une ou l'autre soit le Bien la nature du Bien doit être
regardée comme beaucoup plus précieuse. La République, 508 e - 509 b.
Quant au ciel entier ou monde, il faut se poser la question qu'on doit se 22
poser dès le début pour toute chose. A-t-il toujours existé, sans avoir aucun
commencement de génération, ou est-il né et a-t-il eu un commencement ?... II
est né... ce qui est né doit nécessairement sa naissance à quelque cause.... - A
propos de l'univers il faut examiner d'après lequel des deux modèles son
architecte l'a construit, d'après le modèle immuable ou d'après celui qui est né.
Timée, 29 e.
Celui qui a formé le devenir et l'univers a voulu que toutes choses fussent
autant que possible semblables à lui-même. Que ce soit là le principe le plus
effectif du devenir et de l'ordre du monde c'est l'opinion des hommes sages. Le
53
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Dieu... prit toute la masse des choses visibles qui n'était pas en repos, mais se
mouvait sans règle et sans ordre et la fit passer du désordre à l'ordre estimant
que l'ordre était préférable à tous égards. Timée, 29 a. (Traduction Chambry.)
*
ARISTOTE
Il existe quelque chose toujours mû par un mouvement sans arrêt, mouvement
qui est le mouvement circulaire... Il y a par suite aussi quelque chose qui le
meut et puisque ce qui est à la fois mobile et moteur n'est qu'un terme
intermédiaire, on doit supposer un extrême qui soit moteur sans être mobile,
être éternel, substance et acte pur.
Le Premier moteur est un être nécessaire et en tant que nécessaire son être est
le Bien et c'est de cette façon qu'il est principe... ...A un tel principe sont
suspendus le Ciel et la Nature. Et ce principe est une vie comparable à la plus
parfaite qu'il nous soit donné à nous de vivre cour un bref moment.
Et la vie aussi appartient à Dieu car l'acte de l'intelligence est vie et Dieu est cet
acte même ; et l'acte substistant en soi de Dieu est une vie parfaite et
éternelle. Aussi appelons-nous Dieu un vivant éternel parfait la vie et la durée
continue et éternelle appartiennent donc à Dieu car c'est cela même qui est
Dieu. Métaphysique, (trad. J. Tricot).*
DESCARTES
Par le nom de Dieu, j'entends une substance infinie, éternelle, immuable,
indépendante, toute connaissante, toute puissante et par laquelle moi-même
et toutes les autres choses qui sont, ont été créées et produites. L'idée de cet
Etre souverainement parfait et infini est entièrement vraie 23 car encore qu'on
puisse feindre qu'un tel être n'existe point, on peut feindre néanmoins que son
idée ne représente rien de réel. Méditations métaphysiques,
III. *
MALEBRANCHE
L'idée de l'être sans restriction, de l'infini, de la généralité, n'est point l'idée des
créatures ou l'essence qui leur convient mais l'idée qui représente la Divinité ou
l'essence qui lui convient. Tous les êtres particuliers participent à l'être mais nul
être particulier ne l'égale. L'être renferme toutes choses mais tous les êtres et
créés et possibles avec toute leur multiplicité ne peuvent remplir la vaste
étendue de l'être.
***
Dieu ou l'infini n'est pas visible par une idée qui le représente. L'infini est à luimême son idée. li n'a point d'Archétype. Il peut être connu mais il ne peut être
fait.
***
54
Mariette Cyvard pour CRPTrad
L'Infini ne se peut voir qu'en lui-même : car rien de fini ne peut représenter
l'infini. Si on pense à Dieu il faut qu'il soit.
On ne peut voir l'essence de l'infini sans son existence, l'idée de l'être sans
l'être car l'Etre n'a point d'idée qui le représente. Il n'a point d'archétype et il
renferme en lui l'archétype de tous les êtres. Entretiens métaphysiques, II.
*
SPINOZA
Dieu existe nécessairement il est unique. il existe et agit par la seule nécessité
de sa nature il est la cause libre de toutes choses toutes choses sont en lui et
dépendent de lui, de telle sorte qu'elles ne peuvent être, ni être conçues sans
lui enfin tout a été prédéterminé par Dieu non pas en vertu d'une volonté libre
ou d'un absolu bon plaisir mais en vertu de sa nature absolue ou de son infinie
puissance. Ethique 1, De Dieu, Appendice.
J'entends par Dieu un être absolument infini, c'est-à-dire une substance
constituée par une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence
éternelle et infinie. Ibid., Définition VI.
*
LEIBNIZ
Il est vrai qu'en Dieu est non seulement la source des existences mais encore
celle des essences (en tant que réelles, ou de ce qu'il y a de réel dans la
possibilité). La Monadoloqie, art. 43.
24
Il y a en Dieu la Puissance qui est la source de tout, puis la Connaissance .ii
contient le détail des idées et enfin la Volonté qui fait les changements ou
production selon le principe du meilleur. Ibid., art. 48.
...Nous devons remarquer une autre harmonie entre Dieu considéré comme
Architecte de la machine de 'Univers et Dieu considéré comme Monarque de la
Cité divine des Esprits. Ibid., art. 87.
On peut dire encore que Dieu comme Architecte contente en tout Dieu comme
législateur. Ibid., art. 88.
*
KANT
La raison humaine ne contient pas seulement des idées mais des idéaux... la
vertu et la sagesse humaine sont des idées. Mais le sage (du stoïcien) est un
idéal, c'est-à-dire un homme qui n'existe que dans la pensée mais qui
correspond pleinement à l'idée de sagesse. De même que l'idée donne la règle,
l'idéal sert en pareil cas de prototype à la détermination complète de la copie
55
Mariette Cyvard pour CRPTrad
et nous n'avons pour juger nos actions d'autre règle que la conduite de cet
homme divin que nous portons en en nous et auquel nous nous comparons
pour nous juger et pour nous corriger aussi, mais sans jamais pouvoir atteindre
la perfection.
L'idéal de l'Etre Suprême n'est autre chose qu'un principe régulateur de la
raison, principe qui consiste à regarder toute liaison dans le monde comme
résultant d'une cause nécessaire et absolument suffisante pour y fonder la
règle d'une unité systématique et nécessaire suivant les lois générales dans
l’explication de cette liaison il n'est pas l'affirmation d'une existence nécessaire
en soi.
Cet objet, cet Idéal de la Raison, porte le nom de être originaire : « ens
originarium être suprême « ens summum être des êtres « ens entium . L'Etre
Suprême reste donc pour l'usage simplement spéculatif de la raison un idéal
mais cependant un idéal sans défaut, un concept qui termine et couronne
toute la connaissance humaine. L'objective réalité de ce concept ne peut sans
doute être prouvée par ce moyen mais elle ne peut pas être réfutée.
Ce qui fait toute la diversité des choses, ce n'est qu'une manière diverse de
limiter le concept de la réalité suprême qui est leur substratum commun.
Critique de la raison pure, livre II, chapitre 3.
*
25
VOLTAIRE
Dialogue de Lucrèce et de Posidonius
Posidonius. Non, je n'ai pas recours à Dieu parce que je ne puis comprendre la
nature, mais je comprends évidemment que la nature a besoin d'une
intelligence suprême et cette seule raison me prouverait Dieu. Il y a un être
intelligent et puissant qui donne le mouvement, la vie et la pensée.
Lucrèce. - De quelque côté que je tourne mon esprit, je ne vois que
l'incompréhensible.
Posidonius. C'est précisément parce que cet Etre suprême existe que sa nature
doit être incompréhensible ; car s'il existe il doit y avoir l'infini entre lui et vous.
Nous devons admettre qu'il est sans savoir ce qu'il est et comment il opère.
Dialogues philosophiques.
Dialogue d'Evhemère et de Callicrate
Evhernère. – il y a un Etre nécessaire, éternel, source de tous les êtres existerat-il moins parce que nous souffrons ? Existera-t-il moins parce que je suis
incapable d'expliquer pourquoi nous souffrons ? - Cet Architecte de l'Univers, si
visible à notre esprit et en même temps si incompréhensible.., quel est son
séjour ? De quel ciel, de quel soleil envoie-t-il ses éternels secrets à toute la
56
Mariette Cyvard pour CRPTrad
nature ? Je n'en sais rien mais je sais que toute la nature lui obéit. Dialogues
philosophiques.
*
26
LE GRAND ARCHITECTE ET LA SCIENCE
Le texte ci-dessous constitue la 4e partie de l'étude sur le Grand Architecte de
l'Univers dont les 3 premières ont été publiées clans le n° 21 (1) de ces Cahiers.
Aux points de vue historique, initiatique et proprement philosophique, il est
opportun d'adjoindre le point de vue très différent que constitue la
connaissance scientifique, ou du moins une philosophie qui se tient au plus
près des résultats de la science. Rappelons ce que nous disions dans la 3e partie
de cette étude
Nous ne donnons ces textes qu'à titre d'indication, voire d'incitation, car ils ont
pour nous, Francs-maçons du Rite écossais, au-delà de leur valeur
spécifiquement religieuse ou philosophique, la plus haute vertu spirituelle Le
caractère savant de l'architecture suffit-il pour autoriser sur le Grand Architecte
de l'Univers « un discours scientifique que l'on ne songe plus guère à tenir sur
le Dieu de la métaphysique et des religions ?
Au XVIIe siècle, Newton estimait nécessaire de fonder les propriétés
essentielles de l'Espace et du Temps sur les attributs de Dieu, qu'il désigne
parfois comme le Grand Architecte «. Mais à notre époque, en admettant
même que l'on puisse mettre en évidence, dans le contexte de la découverte,
l'influence des idéologies et des conceptions métaphysiques (même la théorie
purement mathématique des ensembles fut créée 3 par Cantor dans le climat
métaphysique et religieux de l'idée d'infini) en revanche le contexte de la
preuve qui est celui du discours scientifique exclut toute métaphysique, et a
fortiori toute théologie. La pratique de la science, depuis Newton, a imposé
cette séparation. Et nous sommes aussi, intellectuellement, les héritiers du
scepticisme de Hume (qui rejette comme aussi invérifiables que celles de la
théologie les affirmations de la religion naturelle »), du criticisme de Kant (qui
limite l'usage de l'entendement humain aux phénomènes dans l'espace et le
temps, et fait du Monde, de l’Ame et de Dieu des objets de croyance plutôt que
de savoir), du positivisme de Comte (qui réduit la science à la connaissance des
liaisons entre phénomènes observables), du néopositivisme de Wittgenstein et
de Carnap (qui rejettent comme dépourvus de sens les énoncés auxquels ne
correspond pas une procédure de vérification définie).
On pourrait penser que ces doctrines, qui déboutent la métaphysique de toute
prétention à valoir comme ensemble de connaissances, n'excluent pas qu'il y
57
Mariette Cyvard pour CRPTrad
ait place pour une expérience mystique ou esthétique de l'inconnaissable,
aidée par le recours à des symboles expressifs, qui ne prétendraient pas
représenter des vérités théoriques. Il y a beaucoup de vrai dans cette façon de
voir. Le sentiment d'inconfort intellectuel qu'elle laisse cependant subsister
vient du fait qu'en réalité, la connaissance scientifique n'est pas
philosophiquement neutre : le matérialisme est peut-être, abstraitement, une
philosophie parmi d'autres (et il est, effectivement, beaucoup plus ancien que
la science) mais il est incontestablement plus scientifique d'allure que toute
autre conception du monde, et il tentera toujours les esprits positifs.
Réduit à l'essentiel, en effet, le matérialisme consiste à voir dans toute forme
complexe molécule, étoile, organisme vivant - la résultante déterminée du jeu
aveugle des lois naturelles auxquelles sont soumis les éléments simples qui les
constituent. Conception satisfaisante pour l'esprit, puisque visant à donner
satisfaction au besoin d'expliquer, et pratiquement féconde puisque visant
aussi à donner prise, par la prévision, sur le déroulement des phénomènes.
Dans cette conception de la réalité, il n'y a, semble-t-il, aucune place pour un '
Grand Architecte de l'Univers «, pas plus que pour le Dieu des religions. Car
outre qu'il n'est ni une réalité directement observable, ni même une idée dont
les conséquences pourraient être confirmées ou infirmées par une expérience
quelconque - il serait par définition le principe ultime d'une interprétation
finaliste du monde, puisque, rapportées à un Grand Architecte, les formes
complexes et significatives qui constituent la réalité seraient assimilées à des
œuvres que leur sens 4 précéderait logiquement, comme le « bleu » de
l'architecte précède l'édifice et régie sa construction.
En fait, c'est le TEMPS qui serait, selon une formule de Lamarck, le Grand
Ouvrier de la Nature «. De même en effet que la Nature minérale a pris peu à
peu sa physionomie, par condensations, sédimentations, usures, de même les
formes variées des organismes vivants résulteraient, sans qu'intervienne
aucune intention fabricatrice, de la lente accumulation au cours des âges de
petites modifications : peu importe qu'il s'agisse, comme le pensait Lamarck, de
micro-adaptations transmissibles, ou, comme on le pense aujourd'hui à la suite
de Darwin et de ses successeurs, de mutations héréditaires s'ajoutant peu à
peu les unes aux autres. Le même Temps, qui use et efface toutes choses,
aurait aussi le pouvoir de faire exister des formes nouvelles, en combinant des
structures élémentaires, et en consolidant ce qui se trouve par hasard apte à
persévérer dans l'être. Que la divinité soit cruelle et destructrice comme elle
est aussi bienveillante et créatrice, c'est Line idée que l'on peut trouver dans la
plupart des représentations religieuses... Cette conception du « Grand Ouvrier
de la Nature est parfaitement conforme à la vocation de la Science, dans la
mesure où celle-ci consiste en un démontage du réel, qui le fait apparaître
58
Mariette Cyvard pour CRPTrad
comme un ensemble de phénomènes résultant du jeu des lois naturelles, selon
des enchaînements préétablis, se prêtant au calcul et à la prévision. Il n'y a pas
de miracle d'une création dans laquelle des formes idéales s'incarneraient dans
une matière. L'efficacité de la pensée serait un phénomène purement régional,
caractéristique de l'homme, et rentrerait dans le cadre des lois de la nature,
par l'intermédiaire des lois qui expliquent le fonctionnement du système
nerveux. De même aussi, le fait que les organismes soient, à chaque
génération, construits selon un plan précis, s'explique par les propriétés
particulières de la molécule en double hélice de l'A.D.N., support de
l'information génétique. Que cette molécule soit apte à jouer le rôle d'un
programme, d'un « bleu d'architecte « pour la construction de l'organisme, ne
justifie évidemment pas qu'on voie en elle le véritable « Architecte de l'Univers
«, comme le suggère Edgar Morin (1), qui s'amuse même à relever l'analogie
entre A.D.N. et Adonaï »
Revenons au Temps, créateur de la molécule d'A.D.N. comme de toutes choses.
C'est bien, reconnaissons-le, la prise en considération de la dimension
temporelle qui oblige, fort sainement, à éviter ces « court(1) Edgar Morin, Journal de Californie (Seuil, 1970), p. 109.
5
En admettant même que l'idée qu'il n'y ait Rien plutôt que Quelque chose soit
dépourvue de sens, on pourrait concevoir un univers où il n'y aurait rien
d'autre qu'une matière homogène et morne ; ou un univers où les atomes
seraient tous, comme ceux des gaz inertes, satisfaits d'une couche complète
d'électrons périphériques ; ou un univers où n'existerait pas d'élément apte,
comme le carbone, à servir de matériau pour des macromolécules ou encore
un univers où la sélection naturelle aboutirait, au terme d'une brève évolution,
à la persistance indéfinie d'un type unique d'organisme primitif... Bref, on doit
reconnaître que le Chaos dont procède, en prodiguant le Temps, tout ce qui a
ordre et forme, était au départ juste assez ordonné pour que ne soit pas exclue
la possibilité qu'il en sorte quelque chose. Il se peut, comme le soutient Jacques
Monod (6), que la biosphère constitue par sa particularité un événement «
essentiellement imprévisible «, non déductible à partir des principes généraux
d'une théorie physique supposée complète. Mais ii est philosophiquement
hasardeux d'en conclure que la Vie et l'Homme sont contingents, ni plus ni
moins que la configuration particulière d'atomes qui constitue ce caillou que je
tiens dans ma main «. Car d'abord, les données de l'astrophysique ainsi que
celles de la biochimie autorisent à penser que la vie n'est pas une rareté
exceptionnelle dans l'Univers, et qu'elle est un phénomène typique plutôt
qu'un événement particulier. Ensuite, le fait que cet événement, fût-il unique,
doit être situé dans l'histoire par définition unique de l'Univers, ôte toute
59
Mariette Cyvard pour CRPTrad
signification précise à l'idée de sa contingence «, autant qu'à celle de sa '
nécessité « et le choix du premier terme de l'alternative est parfaitement
arbitraire.
Il apparaît donc que si le Temps est bien le Grand Ouvrier de la Nature , c'est en
tant qu'il est la possibilité permanente d'actualisation de formes de plus en
plus complexes, variées et improbables - donc, selon les critères de
l'appréciation humaine, de plus en plus valables, précieuses et fragiles.
L'idée d'un Grand Architecte de l'Univers est donc en harmonie avec les
données d'une science qui met au premier plan, dans la physique, la biologie et
la sociologie, les notions de structure, d'organisation, de système, et qui fait de
la forme une réalité plus fondamentale que la matière.
Il est évident que le Grand Architecte ne figurera jamais dans une théorie à
titre de concept scientifique, c'est-à-dire d'instrument intellec
(6) Op. cit., p' 54.
9
tuel destiné à donner prise sur un ensemble de phénomènes. Il constitue,
conformément à l'idée profonde de Kant, une idée de la Raison «, jouant un
rôle régulateur, en unifiant la représentation philosophique de l'Univers que
l'ensemble des sciences offre à notre contemplation. Dire qu'une idée n'a
qu'une valeur contemplative n'est pourtant pas nier sa valeur de vérité il serait
triste que la science n'ait d'autre finalité que de nous rendre maîtres et
possesseurs de la Nature «, et qu'elle n'aboutisse pas aussi au bonheur
désintéressé de la connaissance.
Ajoutons enfin que cette contemplation, récompense après une pensée, peut
aussi conduire à une sagesse pratique. Si en effet une idée est vraie (comme le
soutient non sans raison le pragmatisme) dans la mesure où son adoption a des
conséquences pratiques distinctes de celles qu'aurait son rejet, alors on peut
estimer que celui qui pense travailler ' à la gloire du Grand Architecte de
l'Univers a une idée vraie. Car cela l'incite à conformer ses actes à des règles
qui sont les lois naturelles de toute création Eviter les court circuits ', et par
exemple éviter de chercher la satisfaction dans un état, confondu avec une
valeur, que ce soit la drogue ou la sexualité pure (états qui correspondent à
une entropie mentale maxima)
Chercher la valeur dans la forme, c'est-à-dire dans la réalisation patiente de
structures improbables, édifiées sans compter sur le hasard, et en obéissant à
la nature Savoir que le maintien des choses précieuses demande autant de soin
et de travail que leur création...
Ainsi, cette idée d'un Grand Architecte de l'Univers, dont on ne saurait sans
mauvaise foi nier le caractère anthropomorphique, a paradoxalement la vertu
60
Mariette Cyvard pour CRPTrad
d'inviter l'homme à penser sa propre activité à la lumière de la science, et à la
concevoir comme un moment de l'histoire du Cosmos.
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Mariette Cyvard pour CRPTrad
Pvi gadlu140-160
Édito Dimitri Davidenko
À la Gloire du Grand Architecte de l'Univers
Dans les loges fédérées dans la Grande Loge de France nous travaillons au Rite
Écossais Ancien et Accepté, le plus pratiqué dans le monde, à la Gloire du
Grand Architecte de l'Univers. Pour les Maçons croyants, c'est Dieu, et au nom
de la liberté de conscience, des Maçons, dans d'autres obédiences, ont
supprimé cette invocation.
Lorsque des nouveaux initiés me demandent ce que signifie l'expression «
Grand Architecte de l'Univers », je leur dis ceci : Le Rite Écossais Ancien et
Accepté ne se réfère ni aux religions, qui enseignent une vérité révélée, ni aux
doctrines philosophiques, idéologiques ou scientistes. Il n'est donc ni théiste, ni
déiste, ni rationaliste, il est initiatique et traditionnel. Il nous propose de
découvrir nous-mêmes notre ignorance, c'est le principe fondateur de la
Tradition : l'initié sait qu'il ne sait pas et, conscient de son ignorance, se met en
quête de la Connaissance. Quand j'ignore tout de l'auteur d'un chef-d’œuvre
architectural, je ne fais pas d'erreur en disant « celui qui a tracé les plans de cet
édifice ». De même, dans les ruines de Sumer, en Mésopotamie, des tablettes
d'argile de près de six mille ans évoquent la Gloire de « Celui qui a tracé les
plans du Temple de lapis-lazuli », le « Temple de la Pierre Céleste ».
Le Rite Écossais Ancien et Accepté perpétue les voies qui nous sont tracées par
cette tradition initiatique transmise oralement depuis des millénaires avec
l'expression symbolique « Grand Architecte » afin d'exprimer notre ignorance
de l'origine et de la fin — la finalité — de l'Univers.
Alors s'ouvre pour le Franc-maçon le vaste domaine de la pensée et de l'action
à la recherche sans limite de la vérité, car la vérité est un horizon, il s'en
approche toujours et ne l'atteint jamais. C'est pourquoi chaque Maçon a sa
conception et sa pratique de la spiritualité maçonnique et respecte celles de
ses Frères et Sœurs puisqu'il sait qu'il n'est pas un « porteur de vérité ». Ainsi la
Loge rassemble pour travailler ensemble en liberté, égalité et fraternité des
théistes, adeptes des religions révélées, des déistes, qui ne se rattachent à
aucune, et ceux qui s'efforcent de pratiquer l'Art en hommes libres et de
bonnes mœurs et non en « athée stupide », c'est-à-dire, au sens originel, «
frappé de stupeur » au point de ne jamais éprouver le besoin ou de refuser de
s'interroger sur la condition humaine, ou en « libertin irréligieux », c'est-à-dire
« sans foi ni loi », qui se comporte en prédateur inconscient et bestial aux
dépens des hommes et de la nature.
Quand ces nouveaux initiés me demandent pourquoi, en Loge, le Volume de la
Loi Sacrée est la Bible, dont la « connotation religieuse » leur semble en
contradiction avec ce que j'ai dit, je réponds : Points de Vue Initiatiques N° 146
62
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Comme les autres Livres fondamentaux, la Bible est un guide de voyage pour le
pèlerin de l'intérieur elle nous dévoile les comportements humains face aux
Mystères de la Loi Sacrée qui régit l'Univers, et ainsi nous aide à nous connaître
nous-mêmes. Tous ces Livres symbolisent le Volume de la Loi Sacrée, mais
l'Ancien et le Nouveau Testament, au sens originel de « témoignage », sont
d'un abord plus aisé pour l'Occidental.
Pour faire prendre conscience à mes filleuls que la spiritualité maçonnique est
une pratique personnelle progressive permanente, je quitte avec eux la
pollution lumineuse et sonore de la ville une nuit de la Saint Jean d'été sans
lune — je leur dis qu'elle symbolise la psyché, qui fausse notre réception du
réel comme la lueur de la lune fausse les couleurs — et sans nuages — image
de nos préjugés qui occultent la lumière — et je leur dis : Le Grand Livre
d'Architecture de l'Univers est fermé et scellé de sept sceaux afin qu'il ne reste
pas exposé au regard des profanes qui prennent le savoir pour la Connaissance.
Nous allons rompre le premier sceau.
Regarde la voûte étoilée. La Voie Lactée déploie son arche lumineuse. C'est le
symbole de l'Arche d'Alliance de l'homme avec l'esprit car il nous est donné de
savoir qu'elle est faite de centaines de milliards de soleils. Un rituel de la Saint
Jean d'été proclame que « l'homme n'est pas l'éternel prisonnier du temps ».
Nous le constaterons à la Saint Jean d'hiver. La voie initiatique est une longue
patience...
Par une nuit sans lune et sans nuages de la Saint Jean d'hiver, nous reprenons
le même chemin et nous regardons ensemble la voûte étoilée. La Voie Lactée
n'est plus visible, les constellations ponctuent le ciel noir de points brillants. Je
leur dis : il nous est donné de savoir que ces lumières ont été émises il y a
quelques années par l'étoile la plus proche et il y a des centaines de milliers
d'années par les galaxies visibles à l'œil nu ; pourtant nous les voyons
simultanément ici et maintenant. Ce message des étoiles nous signifie que le
corps-mental est confiné dans l'espace-temps, mais l'esprit sans limite est hors
du spatiotemporel.
L’homme n'est pas l'éternel prisonnier du temps !
La conversion de notre regard par l'analogique, alliance de la raison et de
l'intuition intellectuelle qui a rendu visibles les étoiles, a rompu le premier
sceau... À toi de rompre les six autres. Comme ceux qui t'ont précédé sur la
voie initiatique, tu dois apprendre à lire et à écrire par toi-même, en toi-même
et pour toi-même, en liberté, dans le Grand Livre d'Architecture de l'Univers.
Tous les Francs-maçons répandus à la surface du globe et les autres initiés
partout dans le monde t'accompagnent fraternellement, mais, comme nous
tous, tu chemines seul sur ta voie.
63
Mariette Cyvard pour CRPTrad
La spiritualité maçonnique est une voie intuitive intime à vivre à l'intérieur et à
l'extérieur du Temple.
2
Points de Vue Initiatiques N° 146
TEXTES PHILOSOPHIQUES AVERTISSEMENT
L’idée de Grand Architecte de l’Univers est difficile à comprendre et à définir.
En elle, viennent se rejoindre et parfois se fondre des caractères issus soit de la
tradition religieuse, soit de la tradition philosophique. C’est pourquoi il nous a
semblé utile, voire nécessaire, d’évoquer la Bible et des textes tirés des grandes
œuvres philosophiques de l’Antiquité, du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle où
nous rencontrons l’idée de Dieu ou de l’Être. On peut penser que l’idée de Dieu
ou de l’Être ne recouvre pas exactement l’idée de Grand Architecte de
l’Univers, mais on peut la considérer comme une approche qu’il est utile, voire
nécessaire, à tout Franc-maçon de connaître et de méditer.
Nous nous sommes volontairement limités à quelques textes qui nous
semblent significatifs. Mais il va sans dire que cette liste n’est pas et ne veut
pas être limitative, et que tout Franc-maçon peut, et doit, la compléter et
l’enrichir.
Nous ne donnons ces textes qu’à titre d’indication, voire d’incitation, car ils ont
pour nous, Francs-maçons du Rite écossais, au-delà de leur valeur
spécifiquement religieuse ou philosophique, la plus haute valeur spirituelle.
Le Grand Architecte
de l’Univers
LA BIBLE, GENÈSE, I. 1.
Si l’on se réfère aux anciennes versions de Genèse (récit de la Création), nous
voyons que le verset 1 a été traduit de la manière suivante : « Au
commencement Dieu créa les cieux et la terre », soit par une proposition
indépendante. Dans ce cas, il s’agirait d’une création ex nihilo. Mais beaucoup
de traducteurs modernes et anciens (parmi les anciens on peut citer Rashi et
lbn Esra) considèrent le verset 1 comme une proposition subordonnée à ce qui
suit. Cette compréhension est beaucoup plus conforme à la grammaire et à la
phraséologie hébraïque. Breshit, dans la Bible, n’est jamais pris à la fois
absolument et temporellement dans le sens de commencement. Ici, l’état
construit est donc plus probable. Si le verset 1 est donc subordonné à ce qui
suit, deux traductions sont possibles :
- lbn Esra. « Au commencement que Dieu créa le ciel et la terre, la terre était
tohu-bohu » - Rashi : « Au commencement que Dieu créa et que la terre était
tohubohu et que l’esprit de Dieu… alors Dieu dit… ». Cette dernière
compréhension est la meilleure : le verset 1 étant pris comme protase, il est
préférable de prendre le 3 comme apodose.
64
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Genèse I, 1 n’exprimerait donc pas l’idée d’une création ex nihilo mais
l’organisation d’un chaos. Dans les écrits sacrés juifs, l’idée de création ex nihilo
n’apparaît que dans le 2e livre des Macchabées, VII, 28. De plus, dans ce
contexte, tohu-bohu ne désigne pas à proprement parler le néant, mais bien
plutôt un chaos liquide désigné à la fin du verset 2 par le mot Tahom qui dans
les textes bibliques désigne les eaux souterraines, l’océan cosmique sur lequel
repose la terre. Comme dans les mythes babyloniens de création, l’œuvre
créatrice de Dieu apparaît donc dans un certain ordre de la nature exprimé
dans Genèse I par la séparation des eaux (apparition du firmament) et dans
Genèse VIII par le maintien du rythme des jours et des saisons après le déluge.
L’idée d’un démiurge organisateur d’un chaos préexistant et non créateur ex
nihilo n’est donc pas étrangère à la pensée biblique.
PLATON
Les savants disent que le ciel et la terre, les dieux et les hommes sont unis
ensemble par l’amitié, la règle, la tempérance et la justice et c’est pour cela
qu’ils donnent à tout cet univers le nom d’ordre et non de désordre et de
dérèglement. Gorgias, 568 a.
Ce qui répand la lumière de la Vérité sur les objets de la connaissance et
confère au sujet qui connaît le pouvoir de connaître c’est l’idée de Bien.
Puisqu’elle est le principe de la science et de la vérité, tu peux la concevoir
comme objet de connaissance, mais si belles que soient ces deux choses, la
Science et la Vérité, tu ne te tromperas pas en pensant que l’idée du Bien en
est distincte et les surpasse en beauté.
Comme dans le monde visible on a raison de penser que la lumière et la vue
sont semblables au soleil mais tort de croire qu’elles sont le soleil, de même
dans le monde intelligible il est juste de penser que la science et la vérité sont
l’une et l’autre semblables au Bien mais faut-il croire que l’une ou l’autre soit le
Bien; la nature du Bien doit être regardée comme beaucoup plus précieuse. La
République, 508e
- 509 b.
Quant au ciel entier ou monde, il faut se poser la question qu’on doit se poser
dès le début pour toute chose. A-t-il toujours existé, sans avoir aucun
commencement de génération, ou est-il né et a-t-il eu un commencement ? II
est né. Ce qui est né doit nécessairement sa naissance à quelque Cause.
- À propos de l’univers il faut examiner d’après lequel des deux modèles son
architecte l’a construit, d’après le modèle immuable ou d’après celui qui est né.
Timée, 29 e.
65
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Celui qui a formé le devenir et l’univers a voulu que toutes choses fussent
autant que possible semblables à lui-même. Que ce soit là le principe le plus
effectif du devenir et de l’ordre du monde, c’est l’opinion des hommes sages.
Le Dieu prit toute la masse des choses visibles qui n’était pas en repos, mais se
mouvait sans règle et sans ordre et la fit passer du désordre à l’ordre estimant
que l’ordre était préférable à tous égards. Timée, 29 a. (Traduction Chambry.)
ARISTOTE
Il existe quelque chose toujours mû par un mouvement sans arrêt, mouvement
qui est le mouvement circulaire…
Il y a par suite aussi quelque chose qui le meut et puisque ce qui est à la fois
mobile et moteur n’est qu’un terme intermédiaire, on doit supposer un
extrême qui soit moteur sans être mobile, être éternel, substance et acte pur.
Le Premier moteur est un être nécessaire et en tant que nécessaire son être est
le Bien et c’est de cette façon qu’il est principe. À un tel principe sont
suspendus le Ciel et la Nature. Et ce principe est une vie comparable à la plus
parfaite qu’il nous soit donné à nous de vivre pour un bref moment.
Et la vie aussi appartient à Dieu car l’acte de l’intelligence est vie et Dieu est cet
acte même ; et l’acte subsistant en soi de Dieu est une vie parfaite et éternelle.
Aussi appelons-nous Dieu un vivant éternel parfait. La vie et la durée continue
et éternelle appartiennent donc à Dieu car c’est cela même qui est Dieu.
Métaphysique, (trad. J. Tricot).
DESCARTES
Par le nom de Dieu, j’entends une substance infinie, éternelle, immuable,
indépendante, toute connaissante, toute puissante et par laquelle moi-même
et toutes les autres choses qui sont, ont été créées et produites.
L’idée de cet Être souverainement parfait et infini est entièrement vraie car
encore qu’on puisse feindre qu’un tel être n’existe point, on peut feindre
néanmoins que son idée ne représente rien de réel. Méditations
métaphysiques
MALEBRANCHE
L’idée de l’être sans restriction, de l’infini, de la généralité, n’est point l’idée
des créatures ou l’essence qui leur convient mais l’idée qui représente la
Divinité ou l’essence qui lui convient.
Tous les êtres particuliers participent à l’être mais nul être particulier ne
l’égale. L’être renferme toutes choses mais tous les êtres et créés et possibles
avec toute leur multiplicité ne peuvent remplir la vaste étendue de l’être.
66
Mariette Cyvard pour CRPTrad
Dieu ou l’infini n’est pas visible par une idée qui le représente.
L’infini est à lui-même son idée. Il n’a point d’Archétype. Il peut être connu
mais il ne peut être fait.
L’Infini ne se peut voir qu’en lui-même : car rien de fini ne peut représenter
l’infini. Si on pense à Dieu il faut qu’il soit. On ne peut voir l’essence de l’infini
sans son existence, l’idée de l’être sans l’être car l’Être n’a point d’idée qui le
représente. Il n’a point d’archétype et il renferme en lui l’archétype de tous les
êtres. Entretiens métaphysiques
SPINOZA
Dieu existe nécessairement ; il est unique, il existe et agit par la seule nécessité
de sa nature ; il est la cause libre de toutes choses. Toutes choses sont en lui et
dépendent de lui, de telle sorte qu’elles ne peuvent être, ni être conçues sans
lui enfin tout a été prédéterminé par Dieu non pas en vertu d’une volonté libre
ou d’un absolu bon plaisir mais en vertu de sa nature absolue ou de son infinie
puissance. Éthique 1, De Dieu, Appendice.
J’entends par Dieu un être absolument infini, c’est-à-dire une substance
constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence
éternelle et infinie. Ibid., Définition VI.
LEIBNIZ
Il est vrai qu’en Dieu est non seulement la source des existences mais encore
celle des essences (en tant que réelles, ou de ce qu’il y a de réel dans la
possibilité) La Monadologie, art. 43.
Il y a en Dieu la Puissance qui est la source de tout, puis la Connaissance qui
contient le détail des idées et enfin la Volonté qui fait les changements ou
production selon le principe du meilleur. Ibid., art. 48
Nous devons remarquer une autre harmonie entre Dieu considéré comme
Architecte de la machine de l’Univers et Dieu considéré comme Monarque de
la Cité divine des Esprits. Ibid., art. 87
On peut dire encore que Dieu comme Architecte contente en tout Dieu comme
législateur. Ibid., art. 88
KANT
La raison humaine ne contient pas seulement des idées mais des idéaux…
La vertu et la sagesse humaine sont des idées. Mais le sage (du stoïcien) est un
idéal, c’est-à-dire un homme qui n’existe que dans la pensée mais qui
correspond pleinement à l’idée de sagesse. De même que l’idée donne la règle,
l’idéal sert en pareil cas de prototype à la détermination complète de la copie
67
Mariette Cyvard pour CRPTrad
et nous n’avons pour juger nos actions d’autre règle que la conduite de cet
homme divin que nous portons en nous et auquel nous nous comparons pour
nous juger et pour nous corriger aussi, mais sans jamais pouvoir atteindre la
perfection.
L’idéal de l’Être Suprême n’est autre chose qu’un principe régulateur de la
raison, principe qui consiste à regarder toute liaison dans le monde comme
résultant d’une cause nécessaire et absolument suffisante pour y fonder la
règle d’une unité systématique et nécessaire suivant les lois générales dans
l’explication de cette liaison; il n’est pas l’affirmation d’une existence
nécessaire en soi.
Cet objet, cet Idéal de la Raison, porte le nom de :
- être originaire : ens originarium
- être suprême ens summum
- être des êtres ens entium
L’Être Suprême reste donc pour l’usage simplement spéculatif de la raison un
idéal mais cependant un idéal sans défaut, un concept qui termine et couronne
toute la connaissance humaine. L’objective réalité de ce concept ne peut sans
doute être prouvée par ce moyen mais elle ne peut pas être réfutée.
Ce qui fait toute la diversité des choses, ce n’est qu’une manière diverse de
limiter le concept de la réalité suprême qui est leur substratum commun.
Critique de la Raison pure, livre II, chapitre III.
VOLTAIRE Dialogue de Lucrèce et de Posidonius
Posidonius : Non, je n’ai pas recours à Dieu parce que je ne puis comprendre la
nature, mais je comprends évidemment que la nature a besoin d’une
intelligence suprême et cette seule raison me prouverait Dieu. Il y a un être
intelligent et puissant qui donne le mouvement, la vie et la pensée.
Lucrèce : De quelque côté que je tourne mon esprit, je ne vois que
l’incompréhensible.
Posidonius : C’est précisément parce que cet Être suprême existe que sa nature
doit être incompréhensible ; car s’il existe il doit y avoir l’infini entre lui et vous.
Nous devons admettre qu’il est sans savoir ce qu’il est et comment il opère.
Dialogues philosophiques.
Dialogue d’Evhemère et de Callicrate
Evhemère : Il y a un Être nécessaire, éternel, source de tous les êtres : existerat-il moins parce que nous souffrons ? Existera-t-il moins parce que je suis
incapable d’expliquer pourquoi nous souffrons ?
- Cet Architecte de l’Univers, si visible à notre esprit et en même temps si
incompréhensible, quel est son séjour ? De quel ciel, de quel soleil envoie-t-il
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Mariette Cyvard pour CRPTrad
ses éternels secrets à toute la nature ? Je n’en sais rien mais je sais que toute la
nature lui obéit. Dialogues philosophiques.
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