Inis Meain - Claudio Pazienza
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Inis Meain - Claudio Pazienza
Inis Meain Prologue Aujourd’hui Monsieur Kaléidoscope nous invite dans le nord, à l’ouest de l’Irlande, à Inis Meain, une île un peu plus grande qu’un mouchoir. Parmi les 160 habitants, des constructeurs de solides et mythiques embarcations ainsi qu’une bibliothécaire qui cultive de précieux fruits Tricoteurs et tricoteuses rivalisent d’ingéniosité pour reproduire - à l’aide d’aiguilles des bas-reliefs en laine sur les mythiques pull-overs des îles Aran. L’île. Une île n’a pas une forme géométrique parfaite. Impossible d’assister à sa naissance. Une île … ça surgit confusément et très lentement. Il y a 270 millions d’années, sur la côte ouest de l’actuelle Irlande émergea un plateau rocheux tatoué de coquillages fossilisés et recouverte de boue. Quelques millions d’années plus tard ce bloc unique se divisa en plusieurs îles : les îles Aran. Là, fermez les yeux et imaginez Inis Meain, l’île du milieu. Ici, à Inis Meain, il y a 6000 ans … sur un sol où il était aussi improbable de cultiver le moindre fruit que d’enterrer ses morts … une communauté d’hommes et de femmes vint transformer – si pas inventer - une île … une île qui ressemble étrangement à ce qu’on y cultive le plus … une île dont la surface rappelle par endroits un tissus végétal . Située dans la baie de Galway, Inis Meain s’étend sur une surface irrégulière de 13 km carrés. Les celtes et les vikings y débarquèrent …ainsi que plusieurs saints ermites. A côté des deux forteresses en pierre sèche datant du mésolithique, de nouvelles « forteresses » métalliques ont fait leur apparition assurant à chaque habitant une eau non potable. Deux douzaines de voitures parcourent les quelques 25 km de chemins et de routes. Le courrant électrique y fit son apparition au début des années 70. Pour se chauffer, les aranais importaient surtout de la tourbe ou séchaient de la bouse de vache. Pas de clés sur les portes… et la banque d’Irlande y ouvre un guichet une fois par mois. Aucun policier à l’horizon. Si nécessaire, ils débarquent dans le nouveau port construit en 1999 … comme les nombreux touristes d’ailleurs … multipliant les 160 habitants par deux si pas plus. Des murs … et encore des murs … une infinité de murs tapissent le sol d’Inis Meain. Divisé en parcelles, en une infinité d’enclos … ce labyrinthe enivre durablement l’esprit. En quelques siècles leur hauteur a augmenté sensiblement car chaque mur soulage le sol de plaques rocheuses encombrantes, protège le bétail et le froment du vent et du voisin. Inutile de chercher la date d’apparition de la première parcelle. Derrière ces murs, de précieux quadrupèdes ou de courtois habitants qui vous saluent. Des murs …. souvent sans portails. Les trois îles en compteraient 18.000 … de longueurs variables … des murs qui - mis bout à bout - permettraient de traverser l’Atlantique et toucher ainsi une côte du nouveau monde comme de nombreux émigrés l’ont fait à une époque. Parmi ceux qui sont restés sur l’île, pêcheurs ou fermiers, certains se souviennent d’un tournage au début des années 30. C’est en effet ici que l’américain Robert Flaherty mit en scène son célèbre « Homme d’Aran », documentaire à la trame biblique où chaque séquence rappelle un affrontement éternel entre l’homme et son environnement …une lutte surhumaine qui poussa les habitants à fertiliser même les parties les plus arides de l’île avec ce qui était là, à portée de main. Casser la pierre … y créer des tapis cultivables faits de terre récupérée dans les crevasses et d’algues décomposées … lentement … inlassablement … pendant des générations les aranais se sont obstinés à rendre la roche cultivable … et emploient toujours les mêmes fertilisant naturels. Particulièrement riches et variés, les petits déjeuners d’Inis Meain suivent la messe comme de vrais repas … des repas appréciés et autrement complets que ceux décrits par le poète et dramaturge irlandais Synge dans « Les îles Aran » … récit de voyage qui offrit à l’ile une notoriété mondiale … récit aussi où l’on croise des hommes chaussant les pampooties en peau de phoque ou de vache … récit où le crioss tenait les pantalons autour de la ceinture … récit où les femmes récupéraient des bouts de laine pour broder des châles multicolores … récit où les toits en paille de seigle étaient refaits tous les deux ans C’est donc dans cette maison que Synge logea pendant 5 étés. Langue envoûtante … langue qui résiste comme une forteresse aux sollicitations d’autres idiomes … le gaélique … l’Irlandais, donc … est, dans chaque maison d’Inis Meain, source de fierté et d’inquiétude. C’est cette particularité linguistique de l’île qui a permis aux plus férus de rouvrir – ici - des écoles secondaires et de faire d’Inis Meain un lieu où la langue attire de nombreux étudiants venant de l’île dite « principale ». Une langue qui depuis toujours occupe une place aussi centrale que le port et qui dans une île où très peu de choses s’exportent - est une des rares richesses. Les habitants De tous les habitants, les plus difficiles à filmer sont les oiseaux. Les grives, elles, sont absentes en ce mois de septembre. Une grive chante plus ou moins comme ceci : (…) C’est l’absence d’arbres (et donc de branches) qui expliquerait l’absence … des chouettes. Fermiers, pêcheurs, artisans, employés ou saisonniers … beaucoup d’aranais ont quitté – pendant un temps ou définitivement - l’île. En un siècle et demi la population s’est fortement érodée … divisée par trois. Mais il existe à Inis Meain aussi des habitants … disons … temporaires … des habitants qui débarquent … - de Dublin ou d’ailleurs, avec ou sans costume d’époque - auxquels l’île offre un décor … un condensé d’histoire et de nostalgie. Des habitants … temporaires … pour qui Inis Meain est le théâtre idéal (bien qu’involontaire) pour rendre hommage à une Irlande vraisemblablement révolue. Les artisans. De tous les vêtements, celui que le pêcheur des îles Aran a préféré pendant des siècles … c’est le pull-over. Tricoter une histoire du paysage … en reproduire les reliefs … écrire une ode faite de nœuds de laine … le pull-over des îles Aran s’emploie encore et toujours à transcrire l’enchevêtrement des pierres ou d’autres éléments présents sur l’île. Ici, un pull c’est un paysage rendu - enfin - transportable. Dans chaque maison (ou bureau de poste) le pull-over fixe à l’aide d’aiguilles une part de réel parfois idyllique … parfois tragique. Ce condensé de traditions et d’histoire … c’est l’unique manufacture de l’île qui semble en tirer parti : une usine dont le souci n’est plus d’habiller que les pêcheurs Mais ce que le pull-over des îles Aran révèle le plus (qu’il soit fait maison ou … informatisé ) c’est la manière dont Inis Meain . … ce musée en plein air … vit et transmet son histoire. FIN.