La Fugue du papillon

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La Fugue du papillon
Elysa Day
La Fugue du papillon
Société des Écrivains
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Texte intégral
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de la propriété intellectuelle.
« La vie est un mystère qu’il faut vivre,
et non un problème à résoudre. »
Mahatma Gandhi
Sommaire
Prologue .....................................................................................................9
Première partie.......................................................................................13
1. Rencontre bouleversante..................................................................15
2. Tournure agréable............................................................................27
3. Synchronicité...................................................................................37
4. Détour prémonitoire ........................................................................43
5. Quête spirituelle...............................................................................49
6. Going with the flow..........................................................................53
7. Expérience existentielle ...................................................................59
8. Absinthe...........................................................................................65
9. Désillusions .....................................................................................69
10. Coup de folie .................................................................................73
11. Rêve éveillé ...................................................................................85
12. Dispute...........................................................................................93
Deuxième partie......................................................................................99
1. Monologue.....................................................................................101
2. Errances musicales ........................................................................109
3. Rencontre avec un ange.................................................................115
4. Liberté ...........................................................................................121
5. Éducation féminine........................................................................127
6. Retraite en Alabama ......................................................................133
7. Jour de chance ...............................................................................137
8. Alea jacta est .................................................................................143
9. Solitude..........................................................................................147
10. Dernière nuit................................................................................151
Troisième partie ...................................................................................157
1. Retour ............................................................................................159
2. Renaissance ...................................................................................165
3. Réveillon de Noël ..........................................................................169
7
4. Obsession...................................................................................... 173
5. Énamourement .............................................................................. 177
6. Sauver le père................................................................................ 189
7. Jugement dernier........................................................................... 193
Épilogue ................................................................................................ 195
Remerciements ...................................................................................... 197
8
Prologue
Cette histoire est la mienne. Je ne vous raconterai pas ma
vie en détail depuis la date de ma naissance. Toutefois, celleci en marque le début, et les événements qui se sont succédé
depuis ont eu des conséquences sur le reste de ma vie.
Je n’ai jamais eu de problème avec mon prénom mais,
pendant longtemps, j’ai eu honte de mon nom de famille. Je
suis encore gênée de l’avouer. Aussi loin que je me souvienne, mes rapports avec mes parents ont été difficiles. Je
garde cependant un souvenir agréable de mon père me caressant le dos quand j’étais petite. J’adorais cela. À un moment,
l’amour paternel a fait place à la haine. Les souvenirs qui me
hantent sont les disputes de mes parents, leurs querelles avec
mes grands-parents, la violence déchaînée au cours de ces
terribles scènes.
L’histoire de ma famille, je la connais très peu. Les informations que j’ai obtenues proviennent principalement de
sources externes.
À l’école primaire, un garçon a révélé que mon père avait
eu comme petite amie une journaliste, présentatrice du journal télévisé de RTL-TVI. J’ai été choquée d’apprendre que
mon géniteur avait aimé une autre femme que ma mère, et
cette annonce de la bouche d’un garçon de mon âge devant
d’autres enfants a provoqué ma gêne. J’ai étudié le journalisme. Ai-je choisi ces études uniquement parce que j’aimais
écrire ? Mon choix aurait-il pu se porter inconsciemment,
9
suite à cette information reçue durant l’enfance ? Le fait est
que je n’ai jamais réellement exercé cette profession.
Une autre révélation, qui me choqua plus récemment, sortit de la bouche de mon oncle par alliance. Parrain, comme on
le nomme, me raconta un jour que mon père avait voulu annuler le mariage avec ma mère. Il insinua que c’était à cause
du désaccord qui s’était déclaré entre les familles. C’était à
mon informateur lui-même que ma génitrice avait confié la
mission de convaincre mon père de procéder à leur union.
J’ai grandi en refoulant mes pulsions, impulsions, qui parfois rejaillissaient dans une explosion de fureur. J’ai mis de
côté ce qui me tenait le plus à cœur pour mener une vie à
l’image de ce que la société chérit le plus : études, travail,
charité, couple. Je me suis arrêtée à temps : avant le mariage
et les enfants.
Je distingue le déterminisme et le destin. D’une part, le déterminisme repose sur des facteurs externes : famille, classe
sociale, environnement, nation…, c’est-à-dire tout ce qui ne
nous appartient pas mais qui a et aura un impact sur notre vie.
Je pourrais appeler l’ensemble de ces caractéristiques « identité ». Ces éléments ont de moins en moins de poids dans
notre société. Pourtant, nous cherchons toujours à définir notre identité. En premier lieu en tout cas.
Le destin, quant à lui, repose sur qui nous sommes vraiment, sur l’essence de l’être. J’appellerai la composante
majeure de notre destin « personnalité », unique en chacun.
Notre personnalité nous différencie de nos frères et sœurs qui
ont pourtant, la plupart du temps, vécu leur enfance et adolescence dans les mêmes circonstances que nous. Si la
personnalité est le pilier de notre destin, nous connaître est
une condition préalable pour nous réaliser et accéder à
l’épanouissement. Cette quête requiert du temps. Dans mon
cas, j’ai redécouvert celle que je suis trente ans après ma
10
naissance. J’insiste sur le mot « redécouvrir » car mon impression est que j’en savais plus, en général et sur moi-même,
enfant qu’adolescente, et plus encore que dans la vingtaine.
L’éducation, la société, la communauté déforment l’individu.
Je suis sortie de ma chrysalide grâce à l’énamourement.
Voilà pourquoi mon histoire telle qu’elle vous est contée
s’amorce avec la rencontre de l’Amour. J’ai mieux compris
les mécanismes de cette expérience incroyable, de ce miracle,
grâce à la lecture du livre de Francesco Alberoni, Je t’aime.
Tout sur la passion amoureuse. Toutefois, chaque histoire,
chaque expérience est, à mes yeux, unique, et peut contribuer
à nourrir la théorie et la science de l’amour.
De l’énamourement découle la renaissance. Un nouveau
départ, une nouvelle vie s’offrait à moi. Je ne pus qu’accepter
ce qui m’arrivait. J’éprouvai un regain d’énergie et une volonté insoupçonnée pour entreprendre ce voyage intérieur,
aussi profondément que mes entrailles où je puisai la force et
le courage nécessaires à repartir sur de bonnes bases, sur des
fondements capables d’accueillir mon renouveau. En parallèle, cette expérience constituait l’origine à partir de laquelle
je réappris à me connaître, à retrouver la petite fille qui sommeillait en la femme. Je jurai serment de fidélité à cet être
que j’avais reconnu en moi et que j’avais réprimé, voire détesté, en rejetant presque tout, y compris la vie.
Je vénérai la Vie pour m’avoir offert ce cadeau, car sans
elle je ne vivrais rien de comparable. La vie m’avait lancé
une invitation à reprendre le contrôle de mon destin et à suivre ma voie. J’embrassai la Vie comme jamais auparavant,
avec une Foi intestine et inextinguible. Je m’ouvrai au
monde, à moi-même et aux autres. J’étais capable de me sentir heureuse et d’avoir un impact, de réaliser ma mission et de
croire en le sens de ma vie, mais surtout de me laisser porter
par la vie elle-même. Je découvrais peut-être spontanément
11
ce que l’on appelle le lâcher-prise. Quoique, bien au-delà, je
percevais l’expérience de la paix intérieure, ce qui me permettait enfin de faire la paix avec mes démons, y compris
avec moi-même.
12
Première partie
1. Rencontre bouleversante
L’histoire s’ancra à Montréal le 13 juillet 2011.
Je me rendais à la soirée mensuelle du réseau social InterNations. L’événement avait lieu sur la rue Saint-Denis dans
un repaire d’amateurs de whisky. Sur le mur à l’entrée, une
reproduction de la couverture du septième album de Tintin.
L’illustration affichait le nom du pub : L’Île Noire.
Je demandai à la serveuse de m’indiquer la réunion. La
jeune femme pointa la salle du fond. Quelques personnes,
déjà présentes, formaient un cercle de discussion. Je saluai
l’organisateur et m’insérai dans la conversation. Peu après,
un homme quitta sa place au bar pour nous rejoindre. Ce fût
plus précisément à moi qu’il destina son verbe. Je lui adressai
la parole en anglais, mais il s’obstina à parler français. Malgré une élocution courante, son accent trahissait son origine
anglophone.
Très vite, nous avons poursuivi le dialogue à l’écart des
autres. Je pense qu’il m’offrit une bière, peut-être deux. Je ne
me souviens plus. Je me rappelle un moment avoir observé
mon compagnon discutant avec des personnes familières.
Vêtu d’un pantalon et d’un veston, l’homme me raconta la
manière dont il avait connu InterNations. Tandis qu’il séjournait au Portugal, le concierge l’avait mis au courant d’une
soirée organisée à l’hôtel. Le Portugais avait qualifié
l’événement de « professionnel ». Bien que mon interlocuteur, désirant nouer des relations d’affaires, eût trouvé
15
l’activité trop sociale à son goût, il s’était présenté à la réunion de Montréal une semaine plus tard.
C’est ainsi que je me remémore notre rencontre. En y repensant, je réalise combien je me suis immédiatement sentie
à l’aise. Nous avons longuement parlé pour deux personnes
qui ne se connaissaient pas – le courant passait bien. La situation était cocasse, mon conjoint de fait étant témoin de la
scène. S’il n’avait pas été là, je serais probablement restée
toute la soirée en compagnie de ce quasi inconnu.
Revivant l’épisode, je me vois, sur le point de quitter les
lieux, diriger le regard vers le bar et le poser sur cet homme,
plongé dans une causerie avec un banquier suisse. Je considère ce bref coup d’œil inconscient comme symptomatique
d’une force – l’attraction – déjà en train d’opérer. Sur moi en
tout cas. Mais peut-être pas seulement…
***
Le lendemain, je reçus un message sur le site
d’InterNations : « Chère Élodie, un plaisir de vous rencontrer
hier soir. Salutations, David ». Je reçus également une requête sur LinkedIn. Je lui suggérai de prendre contact avec
Mélanie que j’avais rencontrée le 14 juillet à l’Union française. Celle-ci avait besoin d’un travail et David cherchait
justement quelqu’un avec ses compétences.
Une semaine plus tard, je transférai par e-mail une invitation à un événement organisé par une association belgobretonne pour la fête nationale belge, le 21 juillet. David me
répondit qu’il était intéressé mais qu’il ne serait pas en ville à
cette date. Il ajouta :
— Nous pourrions nous rencontrer la semaine prochaine.
— Bien sûr. On se tient au courant.
***
16
Un soir, tandis que je préparais avec Charles et Stéphanie
un week-end dans une réserve algonquienne à l’occasion
d’un rassemblement spirituel, mon téléphone sonna. À l’autre
bout retentit la voix de David. Il me proposa de déjeuner le
surlendemain.
Dans la matinée du 4 août, je rencontrais Marie, écrivaine
française, devant le monument George-Étienne Cartier au
pied du mont Royal. En gravissant la montagne, je lui racontais la séance d’information de Primerica à laquelle
j’avais assisté la veille. Marie me mit en garde contre le modus operandi de la société : outre la structure pyramidale, la
prospection auprès d’amis lui semblait douteuse.
Il faisait chaud et humide ce jour-là. Mon jean me collait à
la peau. J’étais loquace et j’oubliai dans le feu de l’action de
surveiller ma montre. Heureusement, Marie me chaperonna
jusqu’à l’arrêt de bus. Je descendis à proximité de l’adresse
donnée par David.
Tandis que j’attendais au pied de la tour, je reçus l’appel
de David qui me pria de monter. Dans l’entrée, je rencontrai
l’un de ses collègues m’invitant à patienter. Je feuilletais
quelques magazines d’entreprise lorsque David apparut. Nous
sortîmes déjeuner dans un restaurant japonais et partageâmes
un plat de sushis tout en discutant de sujets variés.
À la fin du repas, je visitai les toilettes où une question me
vint en tête. Après avoir rejoint David, je la lui posai :
— À quoi ressemble ta vie privée ?
L’interrogation déclencha un esclaffement, pas tant à
cause de sa nature indiscrète que du moment où je l’avais
formulée :
— You’re asking this at the end of the meeting, when I
have to go back to work.1
1
— Tu me demandes ça au moment où je dois retourner travailler.
17
Nous convînmes de reporter la réponse : « to be continued. »2
David m’accompagna au métro. Je fouillai dans mon sac,
sortis l’un des sachets de semences que je distribuais pour la
campagne de souveraineté alimentaire d’Oxfam Québec et lui
tendis. J’appris ainsi qu’il avait un jardin, alors que je
l’imaginais habiter un appartement du centre-ville. Pour me
dire au revoir, il m’embrassa sur la joue. Je perçus une affection singulière dans son geste.
***
Plus d’une semaine s’écoula. J’envoyai un e-mail apportant des nouvelles. J’étais dans les Cantons-de-l’Est chez des
amis propriétaires d’un gîte à Orford. Je me rappelais que
David m’avait dit qu’il voyagerait. Je conclus par la salutation amicale : « Let’s keep in touch. »3
Nous n’avions pu nous voir avant son voyage. Il m’avait
dit qu’il resterait joignable durant son séjour à l’étranger et
avait émis la possibilité de se téléphoner. J’avais trouvé cette
suggestion farfelue.
***
Deux semaines plus tard, j’envoyai un e-mail :
— Are you back in the country?4
— Oui, enfin.
David m’appela le lendemain pour se fixer rendez-vous.
Le vendredi soir me semblait possible, entre un entretien
2
« À suivre. »
« On se tient au courant. »
4
— Es-tu rentré ?
3
18
d’embauche en fin d’après-midi et un vernissage en début de
soirée.
La réunion eut lieu dans un bar du Vieux-Montréal,
L’Assommoir, que j’avais découvert le soir de la fête nationale française. J’arrivai avec un peu de retard. David était
assis à une table près de l’entrée. Il portait un jean et un
chandail bleu marine, tenue décontractée du vendredi. Quant
à moi, j’avais revêtu une robe en lin noire, tenue de circonstance pour un vernissage. Charles avait trouvé que je
m’apprêtais avec zèle pour ce cinq à sept en la compagnie
d’un autre homme.
David me fit remarquer :
— Tu aurais pu choisir un endroit avec terrasse.
— C’est vrai. Je n’y ai pas pensé. C’est une magnifique
soirée.
Nous reprîmes la conversation où elle avait été interrompue plus d’un mois auparavant. Sur un ton naturel, David
m’annonça qu’il était marié avec deux enfants. Je ne m’y
attendais pas. Je lui avouai d’ailleurs avoir cru qu’il était gay.
Nous abordâmes les difficultés que traversaient nos relations.
À propos de mon couple, je résumai ainsi : la crise des trois
ans.
Après lui avoir fait part de mon affection – « I like
you »5 –, je voulus savoir ce qu’il ressentait pour moi.
— Well, it’s the first time that I smile today.6
— Quelle a été ta première impression en me rencontrant ?
— Extrêmement intelligente.
— Vraiment ?
— Et toi, quelle a été ta première impression ?
— Peut-être ton côté gentleman.
5
6
« Je t’aime bien. »
— Eh bien, c’est la première fois que je souris aujourd’hui.
19
Je n’avais rien trouvé d’autre à dire.
Nous conclûmes qu’il y avait une connexion entre nous.
Parmi les bribes de conversation, je me rappelle avoir demandé :
— Tu ne savais pas que j’étais avec quelqu’un ?
— Je pensais bien qu’une fille comme toi avait quelqu’un.
J’ai dû oublier.
Je ripostai avec un air de défiance :
— Tu as dû penser un jour que ta femme était la femme de
ta vie ! Charles et moi sommes venus au Québec ensemble.
Nous prenons soin l’un de l’autre.
Avec le recul, je considère ma réaction comme un mécanisme de défense : la raison vise à lutter contre une attirance
irrésistible, et sournoise car l’on n’en devient conscient
qu’après-coup… Une fois qu’il est trop tard.
Je déclarai d’ailleurs un peu plus tard :
— J’aimerais que l’on puisse partir sur une autre planète…
En sortant dans la rue, je plaisantai à moitié :
— Je pourrais être comme Julia Roberts dans le film.
— Lequel ? Il y en a plusieurs.
Est-ce que j’ai dit que je faisais allusion au film avec Richard Gere ? Cela partait d’un bon sentiment. Je voulais
apporter de la fraîcheur dans la vie d’un homme que j’aimais
bien et que je sentais malheureux.
Je murmurai :
— Je suis déjà en train de tromper Charles.
Il s’approcha de moi et posa ses mains sur mes épaules en
guise d’au revoir. J’interprétai son geste comme un élan
d’affection.
En le quittant, j’étais en même temps sur un nuage et six
pieds sous terre. Mes jambes vacillaient. Je flottais entre deux
eaux : enchantement et culpabilité. Déboussolée, géographi-
20
quement et émotionnellement, je cherchais mon chemin.
Après être sortie du métro Laurier, je foulai l’avenue du
même nom jusqu’à « la Main »7 que je parcourus dans les
deux sens, ne parvenant à localiser du premier coup le numéro. Je finis par m’arrêter devant la galerie où m’attendaient
Charles et Adrien.
Après avoir quitté le vernissage, nous allâmes manger au
Centre social espagnol avant de nous diriger vers la rue SaintDenis. Adrien voulait déguster du whisky. L’Île Noire me
vint à l’idée. Peu après notre arrivée, je me rendis aux toilettes, où j’emportai mon sac, et vis le message que j’avais reçu
sur mon téléphone : « How is your vernissage going? I want
to speak with you again soon. »8 Je répondis que nous étions
au pub L’Île Noire, faisant allusion au lieu de notre première
rencontre.
***
Deux jours plus tard, le 11 septembre, j’envoyai un e-mail
précisant que c’était l’anniversaire de Mélanie. Je lui dis qu’il
lui avait fait un beau cadeau en lui offrant un emploi. Il me
répondit qu’il savait que c’était son anniversaire et qu’il avait
pensé que ce serait encore mieux qu’elle commence un nouveau travail ce jour-là.
***
Dans mes nombreux moments libres, je commençai un
blog destiné à partager avec David mes pensées sur l’amour
platonique. Il me fit remarquer à la fois la justesse et le paradoxe du titre : « Platonic Eros ». Je l’informai d’un article
7
8
(rue principale) : Boulevard Saint-Laurent.
« Comment se passe ton vernissage ? Je veux te reparler bientôt. »
21
que j’avais lu dans « La Presse » sur une compilation de correspondances entre deux écrivains suite à leur « coup de
foudre » littéraire à Monaco : Kim Thúy au Québec, Pascal
Janovjak en Palestine. Il répondit que cette histoire
l’intéressait beaucoup.
***
Nous nous rencontrâmes le 14 septembre au pub Old Dublin pour déjeuner et continuâmes à explorer nos affres
intérieures et exprimer nos sentiments mutuels. David me dit
qu’il me trouvait très ouverte d’esprit. Vexée, je lui fis remarquer qu’il m’avait d’abord dit « extrêmement
intelligente ». Il répliqua que l’intelligence équivalait pour lui
à l’ouverture d’esprit.
À la sortie du pub, David me demanda dans quelle direction j’allais.
— Aux locaux du « Journal des Alternatives », sur
l’avenue du Parc.
Nous marchâmes jusqu’à un carrefour où il m’indiqua la
route à suivre :
— L’avenue du Parc prolonge la rue de Bleury.
Après avoir pris congé de lui, je vis sur mon téléphone un
message de Charles qui voulait savoir comment se passait
mon rendez-vous. Je l’appelai. Il s’étonna qu’un déjeuner
professionnel puisse durer si longtemps. J’esquivai, tout en
pensant que ces deux heures avaient passé bien vite.
J’arrivai au bureau du journal où je me présentai à l’équipe
de la rédaction francophone, constituée d’étudiantes bénévoles. Après la rencontre, je marchai en direction du mont
Royal et m’assis sur l’un des bancs. J’écrivis dans mon carnet
ce que je ressentais. J’étais coupée en deux : une part de moi
se sentait fautive, l’autre moitié traversée par un torrent
d’émotions plus intenses les unes que les autres.
22
Je joue avec le feu et risque de me brûler les ailes.
Je suis dans ma bulle pendant ces moments d’insouciance.
De bonheur ? Le monde autour de nous n’existe que pour
nous amuser. Puis, quand nous nous quittons et que je pars
de mon côté, le quotidien ressurgit de plein fouet. Je retombe
sur terre. Rattrapée par la vie. Ma tête me dit une chose,
mais mon cœur m’en dit une autre.
Dilemme. Je suis comme coupée en deux, écartelée entre
problème de conscience et tentation d’aimer un homme qui
ne m’appartient pas. Et la mort dans l’âme de tromper un
homme qui est tout pour moi.
Et pourtant l’état dans lequel je baigne est si bon et délectable que je ne parviens pas à y renoncer. L’Amour est-il plus
fort que tout ? Ou est-ce l’idée d’être amoureuse qui me plaît
plus que tout ?
Je ne suis plus la même. Ou, en tout cas, j’éprouve des
sensations que je n’avais plus ressenties depuis longtemps.
Ce n’est pas qu’intellectuel. J’ai l’impression de planer.
J’aime la manière dont il fait me sentir. Il a rallumé une
flamme qui était éteinte. Par expérience, ce sentiment peut
s’essouffler, je pense.
Ce que je préfère, c’est l’état (d’euphorie) dans lequel je
suis.
***
Quand Charles me vit sur l’avenue du Mont-Royal, il me
trouva rayonnante, ce qui ne manqua pas de l’alerter. Je ne lui
cachai pas que je me sentais amoureuse. Était-ce un tort ?
Charles avait vu les choses survenir et m’avait mise en garde.
Il était trop tard. Nous dénichâmes une terrasse sur la rue
Saint-Denis. La conversation prit une tournure dramatique.
Cependant, ce soir-là, nous rencontrâmes des amis pour pla-
23
nifier un week-end à Boston. Mon esprit était ailleurs durant
toute la soirée.
***
Les jours suivants se déroulèrent dans la confusion.
J’avais besoin de parler à des amies susceptibles de comprendre la situation. Dans leurs discours, la raison l’emportait sur
les sentiments, ce qui ne me satisfaisait pas. Leurs réactions
provoquèrent même en moi une révolte :
La crainte de se brûler les ailes comme si cela ne valait
pas la peine de s’approcher du soleil, tel Icare, et de prendre
des risques pour atteindre son idéal.
Si je tombe et m’écrase, cela me donnera-t-il encore plus
la volonté de voler ?
Je continuais à échanger des e-mails avec David, tout en
recherchant sur Internet des informations sur les sujets prédominants de cette expérience et en écrivant des poèmes.
David m’avait encouragée à partager mes écrits avec lui. Il
me donnait l’impression de me comprendre mieux que quiconque. Était-il déjà passé par là ? Vivait-il l’expérience en
symbiose avec moi ?
Il me téléphona au cours du week-end suivant. Je lui racontai l’épisode qui s’était produit après notre déjeuner. Il me
dit que cela aurait été plus simple s’il avait été gay. Il nuança
cependant en disant que nous ne nous connaissions pas depuis longtemps.
***
Lundi, je commençai à travailler dans un bureau de conseils à l’exportation. Ce travail était bénévole, mais j’estimais
que cela pouvait m’apporter une expérience utile et déboucher sur une rémunération.
24
Dans le courant de la semaine, je proposai à David de repartir sur de bonnes bases, professionnelles. Parmi nos sujets
de conversation, nous avions partagé plusieurs idées
d’affaires. Au fil des jours suivants, nous communiquâmes
sur des projets d’entreprise par e-mail.
Le week-end, je partais avec Charles à Jones Falls où se
tenait une réunion d’alumni de l’université de Bristol. David
connaissait bien l’endroit qu’il qualifia comme l’un des plus
pittoresques de l’Ontario. Il me conseilla d’aller à Kingston si
j’avais le temps. J’en déduisis que c’était là qu’il avait étudié,
ce qu’il confirma. Il ajouta que c’était près du lieu où il avait
grandi.
À mon retour de Jones Falls, j’envoyai à David un e-mail
disant que nous n’avions pas eu le temps d’aller à Kingston et
que la propriétaire de la maison d’hôtes nous avait conseillé
de visiter la ville en été. Or, l’automne pointait déjà le bout
de son nez. J’aurais voulu au moins traverser la ville. Au lieu
de cela, Charles et moi étions rentrés à Montréal pour effectuer des achats à Ikea.
Je racontai brièvement mon week-end à David, expliquant
que nous avions rencontré des Britanniques charmants qui
avaient été diplômés dans les années cinquante-soixante. La
plupart s’étaient installés au Canada, dans l’Ontario principalement, après un mariage avec une personne de nationalité
canadienne. Je décrivis brièvement les activités, dont une
visite de la station biologique de Queens University, dont je
savais, après avoir vérifié son profil LinkedIn, qu’il était diplômé.
25
2. Tournure agréable
David et moi avions du mal à trouver du temps libre pour
planifier un rendez-vous qui nous convienne à tous les deux,
étant donné son emploi du temps chargé et mes soirées souvent occupées par des activités de réseautage.
Entre deux rencontres, j’écrivais des poèmes et mon blog
que je partageais avec lui. Il semblait particulièrement intéressé par mes écrits. Dans l’un des poèmes, j’évoquais un
thème profond, celui d’âme sœur. Il était devenu mon confident avec lequel je partageais mes émotions les plus intimes.
Paradoxalement, ces sentiments lui étaient destinés. Lorsque
j’avais une inquiétude, il parvenait à trouver les mots justes,
ce qui à la fois me surprenait et m’impressionnait.
Un soir, à la sortie du bureau, je l’appelai et lui demandai
s’il avait déjà ressenti le vide.
— Have you ever experienced emptiness?9
Il ne comprit pas immédiatement ce que je voulais dire et
rectifia avec tact :
— The void, you mean…10
J’enchaînai :
— Oui, le néant… le vide.
Il déclara que le meilleur moyen de l’éviter est de se connaître et de trouver ce que l’on veut faire dans la vie.
9
— As-tu déjà ressenti le vide ?
— Le néant, tu veux dire…
10
27
J’entendis soudain des voix d’enfants à l’autre bout du fil.
Étrangement, le fait d’imaginer David, probablement en train
de travailler, et ses enfants jouant ou se querellant à côté de
lui m’attendrit. Je perçus l’image d’un père attentionné.
L’amour – la passion ? – que je ressentais pour lui libérait
mon potentiel créatif. J’étais submergée par les pensées et les
idées. J’éprouvais un regain d’énergie mentale et physique.
Cet homme avait déclenché en moi un changement profond,
existentiel, et une vague d’émotions ardentes. Je nourrissais
l’espoir que cette expérience m’apprenne quelque chose sur
moi et la vie en général.
Un soir, j’allai avec Charles et des amis dans un restaurant
de Chinatown. À la fin du repas, le serveur apporta un fortune
cookie à chacun. Mon biscuit contenait le message « May
your life take a pleasant turn »11. La pertinence de cette prédiction me frappa à tel point que je conservai le message
précieusement dans mon portefeuille.
Au cours de la première semaine d’octobre, David et moi
échangeâmes plus d’e-mails qu’à l’habitude. Outre ces
échanges, nous communiquâmes sur Skype et par téléphone.
Les propos devenaient plus suggestifs, excitants, au point de
susciter en moi le désir de faire l’amour.
***
Nous avions rendez-vous le mercredi 5 octobre après le
travail au Philémon Bar. J’arrivai la première. David me rejoignit et s’assit sur le tabouret en face de moi. Je lui montrai
la Une du quotidien « Métro » annonçant un dossier « Spécial
Sexe ». La toile de coïncidences qui s’était tissée autour de
11
« Puisse votre vie prendre une tournure agréable. »
28
moi depuis ma rencontre avec David inspira un article que
j’avais écrit sur mon blog :
Ce matin, en allant prendre le métro, j’ai eu une surprise
en voyant la couverture du journal Métro que m’avait tendu
comme chaque matin le préposé. La Une annonçait un « Spécial Sexe ». Ceci ne m’aurait allumée si je n’avais pas prévu
ce soir même un rendez-vous spécial.
Une foule de coïncidences se sont produites ces derniers
temps et je ne les conterai pas en cette instance. Quoique, la
dernière en date, liée à la découverte de ce matin, vaut la
peine d’être mentionnée.
Cette trouvaille m’inspira une phrase que j’écrivis dans
mon carnet : « Le destin : Tout concourt à vous entraîner
dans sa direction. » Aujourd’hui, pour la première fois depuis que je travaille en ces lieux, j’ai décidé de me retirer
dans la salle de réunion dans le but de trouver une meilleure
concentration. Après avoir fini de manger, je suis retournée à
ma place et quelle ne fut ma surprise de constater, accroché
sur le mur, un cadre citant ces mots :
DESTINY
“Destiny is no matter of chance. It is a matter of choice.”12
W. J. Bryan
Le dicton est sans doute vrai.
Tout comme le destin, l’amour est un concours de circonstances, mais également une question de choix. Tout un
programme !
12
DESTIN : « Le destin n’est pas une question de chance. C’est une question de choix. »
29
En dégustant une bière, David et moi parlâmes de tout et
de rien. À un moment, David me lança sur un air taquin :
« Have you ever imagined how it would be to kiss? »13.
Sa question m’interloqua. Je me souviens m’être penchée
pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. Nos lèvres se
touchèrent et il me dit : « we kissed »14. Son ton insinuait que
l’acte était accidentel, mais mon impression était qu’il l’avait
provoqué.
Nos mains se joignirent. J’étais troublée – par
l’attraction ? Nous nous embrassâmes au-dessus de la table
qui nous séparait, puis je l’invitai à s’asseoir à côté de moi.
Les baisers étaient passionnés. Je l’invitai à se déplacer à
l’écart. Nous continuâmes à flirter. Des éclats de voix retentissaient autour de nous. Bien que l’intimité manquât pour
succomber à la passion, les effusions étaient transcendantes.
Nous sortîmes et marchâmes sur Notre-Dame Ouest. Je vis
deux garçons qui fumaient et m’approchai d’eux pour obtenir
une cigarette. Ils venaient de San Francisco et cherchaient un
bar où passer la fin de soirée. Après ce bref interlude, David
et moi partîmes en direction du Vieux-Port. La nuit était
douce. Nous interrompîmes notre marche à plusieurs reprises
pour nous enlacer. Je lui montrai mon édifice favori dans le
quartier, voire dans toute la ville. Finalement, nous avons dû
nous résoudre à rentrer.
David m’accompagna jusqu’à la station de métro Placed’Armes. En chemin, son téléphone portable sonna à deux
reprises. Il identifia la sonnerie : « Home… »15
Le sentiment lié à cette soirée était parfait. David et moi
avions abordé notre enfance. Comme moi, ses parents
13
« T’es-tu jamais imaginé ce que cela ferait de s’embrasser ? »
« Nous nous sommes embrassés »
15
« La maison… »
14
30
s’étaient disputés et, comme moi, il s’était interposé entre
eux. Il n’était pas l’aîné, mais le deuxième de trois garçons,
tandis que j’étais l’aînée de trois filles. Comme moi, il était le
mouton noir de la fratrie : « black sheep ».
***
Deux jours plus tard, le 7 octobre 2011, je décidai sur un
coup de cœur – en apprenant l’événement dans le journal –
d’assister au concert de Portishead, groupe originaire de la
ville du même nom en Angleterre, près de Bristol, où j’avais
étudié un Master. Le soir même, j’écrivis un e-mail à David :
While at the concert on the Jacques Cartier Quay, I remembered our evening and although I don’t remember how
you hugged me – if you touched my hair – and kissed me, I
have a good feeling memory.
Even though we haven’t known each other for long, the
feeling is right.
I understand if you have your own life*.
It’s fine…
Because I love you.
*Freedom is key.16
***
16
Pendant le concert sur le quai Jacques-Cartier, je me suis souvenue de
notre soirée et, bien que j’aie oublié comment tu m’enlaçais — si tu as
touché mes cheveux — et m’embrassais, j’en garde un agréable souvenir.
Même si nous nous connaissons depuis peu, la sensation est parfaite.
Je comprends que tu aies ta vie.*
Ce n’est pas grave…
Parce que je t’aime.
*La liberté est primordiale.
31
Le 8 octobre, j’écrivis ceci :
We met these two guys in the Vieux-Montréal. They said
they were from San Francisco. It only rang a bell to me later
when I connected the dots. The next morning I learnt in the
Metro newspaper of Steve Jobs’ death, I had “ideas” about
music and life on my walk to the office, then I read – or was it
before? – that Steve Jobs created Apple in San Francisco.17
***
Dans le courant du mois d’octobre, Charles et moi hébergeâmes Léna, que j’avais rencontrée au Cambodge au cours
d’une excursion sur le Tonlé Sap (« grand lac ») près de Siem
Reap. La Française sexagénaire séjournait une semaine à
Montréal après un voyage en kayak le long de la côte des
États-Unis au Nouveau-Brunswick.
***
Un matin, tandis que je me préparais pour aller au bureau,
les paroles d’une chanson me vinrent en tête. J’allumai mon
ordinateur pour rédiger :
Je suis une artiste dans l’âme
Et je fais semblant tous les matins de partir au travail
Alors que ma raison de vivre me tenaille
Et quand l’inspiration devient obsession…
Je m’rappelle les mots de ma mère
17
Nous avons rencontré ces deux gars dans le Vieux-Montréal. Ils ont dit
qu’ils étaient de San Francisco. Ça a fait tilt seulement plus tard. Le lendemain matin, j’apprenais dans le journal « Métro » la mort de Steve
Jobs, j’ai eu des « idées » concernant la musique et la vie en allant au
bureau, puis j’ai lu — ou était-ce avant ? — que Steve Jobs avait créé
Apple à San Francisco.
32
« Tu devrais être rentière »
Alors que ce que je souhaite
C’est être entière
Entièrement vouée à mon art
Alors que ce que je veux
C’est être entière
Entièrement dévouée à mon âme
Je suis une artiste qui s’ignore
Et je fais semblant tous les jours d’être sociale
Alors que ma raison de vivre me tenaille
Et quand l’inspiration devient obsession…
Je m’rappelle qu’ils disent que je suis tête en l’air
Alors que ce que je souhaite
C’est vivre de lumière
Alors que ce que je veux
C’est être une star
Célèbrement vouée à mon art
Je suis une enfant prodigue
Qui en fait voir à sa famille
Alors que ma raison de vivre me tenaille
Et quand l’inspiration devient obsession…
Je m’rappelle les paroles de ma grand-mère
« Tu es une bohémienne »
Alors que ce que je souhaite
C’est avoir des ailes
Alors que ce que je veux
C’est voler vers d’autres cieux
Alors que ce que je souhaite
C’est vivre de lumière
Alors que ce que je veux
C’est être une star
Starmaniaque vouée à mon art
Je suis une artiste qui se nie
33
Et je fais semblant tous les soirs de rentrer chez moi
Alors que ma raison de vivre me tenaille
Et quand l’inspiration devient obsession…
Je m’rappelle les mots de ma mère
« On ne vit pas d’amour et d’eau fraîche »
Alors que ce que je souhaite
C’est vivre de ma passion
Alors que ce que je veux
C’est être passionnée
Passionnément vouée à mon art
Je suis une artiste qui se gâte
Et je fais semblant tous les soirs de rentrer chez moi
Alors que ma raison de vivre me tenaille
Et quand l’inspiration devient obsession…
Je m’rappelle ce qu’ils disent :
Que je suis pas organisée
Alors que ce que je souhaite
C’est être rebelle
Alors que ce que je veux
C’est rêver
Rêveusement vouée à mon art
Je suis une artiste qui se meurt
Et je fais semblant de vivre comme eux
Alors que ma raison de vivre me tenaille
Et quand l’inspiration devient obsession…
Je m’rappelle ce qu’ils disent :
Que je suis folle
Alors que ce que je souhaite
C’est vivre de mes émotions
Alors que ce que je veux
C’est être heureuse
Heureusement dévouée à la vie
34
J’arrivai en retard au travail. Un autre jour, tandis que
j’approchais du bureau, je me rendis compte que j’avais oublié mon ordinateur à la maison. Mon collègue mexicain
trouva que c’en était trop et me congédia.
***
Le 25 octobre, j’assistai à un événement visant à promouvoir les relations commerciales entre l’Europe et le Canada.
David fit son apparition vers midi. Nous nous assîmes à la
même table pour manger pendant que Pierre-Marc Johnson
prononçait son discours. Le négociateur en chef du Québec
s’exprimait sur les impacts de l’Accord Économique et
Commercial entre le Canada et l’Union européenne.
Nous quittâmes la conférence et fîmes un bout de chemin
ensemble.
— Où vas-tu ?
— Dans la même direction que toi.
— Sérieusement ?
— Chez Benetton.
— Ce n’est pas une adresse.
— Je ne connais pas l’adresse, mais je sais où ça se trouve.
— C’est au Centre Eaton.
— Il y en a un autre sur la rue Sainte-Catherine Ouest. Je
sais où c’est.
Sur le point de nous quitter, je lui lançai :
— Je prévois d’aller à San Francisco à la fin du mois de
novembre pour assister à une conférence sur les applications
mobiles.
— You should stay one week at least.18
— Do you want to get rid of me?19
18
— Tu devrais au moins rester une semaine.
35
— No… There is a trade show in San Francisco at the end
of the month.20 Si tu veux, je peux y aller.
Je ne réagis pas immédiatement. Ce n’est que plus tard
que j’allais y repenser.
19
20
— Tu veux te débarrasser de moi ?
— Non… Il y a un salon à San Francisco à la fin du mois.
36
3. Synchronicité
La pomme fut le fil conducteur de mon histoire avec David. Les coïncidences – ou, devrais-je dire, les synchronicités – survinrent de plus en plus au fil du temps, me
confortant sur la voie à suivre.
Le dimanche 18 septembre, je me rendis avec Charles au
Jardin botanique. C’était une magnifique journée. Nous découvrîmes le site en courant. Au cours de l’après-midi, alors
que j’étais sur mon ordinateur, je communiquai avec David.
Il était à son bureau et exprima l’envie de prendre un expresso. Je déclinai son invitation car je me sentais inspirée pour
écrire. Je lui racontai ce que j’avais fait dans la matinée et
que j’avais été interpellée par une sculpture représentant des
amoureux enlacés sur un banc. Assise à côté d’eux, une
femme feignait de les ignorer.
***
Plus d’une semaine passa. Tandis que j’attendais David à
la sortie du bureau, mon attention se porta sur la statue au
pied de l’immeuble. Elle représentait une fille et un garçon
assis sur un banc. Celui-ci, tenant une pomme, murmurait à
l’oreille de celle-là. Il s’agissait de la même sculptrice qui
avait produit l’œuvre du Jardin botanique. Léa Vivot avait
dédié Le Banc du secret aux citoyens du monde.
***
37
Le 14 octobre, je rencontrai Rosy dont c’était
l’anniversaire. Elle m’emmena au Ceramic Café sur la rue
Saint-Denis. Rosy, qui avait l’habitude de s’offrir un cadeau à
elle-même, choisit de peindre un saladier. Sachant que
l’anniversaire de David approchait, je décidai de me lancer
dans l’entreprise de lui concocter un cadeau. J’examinai les
céramiques posées sur les étagères. Je n’eus plus aucune hésitation en voyant une pomme, qui se révéla une tirelire. Nous
nous assîmes à une table où une serveuse nous apporta le
matériel. Je m’affairai à rendre l’objet à l’image de la pomme
du Banc du secret et j’ajoutai une touche belge, clin d’œil à
Magritte : « Ceci n’est pas une pomme ».
***
Sans cesse inspirée par la pomme, j’écrivis le 26 octobre
sur mon blog un article intitulé « La Pomme/The Apple »,
résumé dans un e-mail envoyé à David :
Je me suis aperçue à la maison que la pomme Air Canada que j’ai prise hier avait été emballée le 22 octobre ! (Cf.
mon e-mail précédent intitulé « Prénoms »).
J’ai fait une recherche sur la pomme et j’ai compilé des
informations dans un post sur le blog.
Non seulement, la pomme est le fruit défendu mais elle est
aussi très présente à ce moment de l’année car c’est la période de récolte.
La pomme occupe aussi une place centrale dans les jeux
traditionnels d’Halloween (qui ne serait autre que l’héritière
de la fête Samhain).
“Apples were peeled, the peel tossed over the shoulder,
and its shape examined to see if it formed the first letter of the
38
future spouse’s name.” [Gaelic folklore (Scotland and Ireland)]21
J’avais collecté la pomme offerte par Air Canada à
l’occasion de l’événement sur les relations commerciales
entre l’Europe et le Canada. L’allusion aux prénoms venait
du fait que le 22 octobre était ma fête, le jour de la sainte
Élodie. En outre, je fis une autre découverte, plutôt surprenante, que je partageai avec David :
Dans les pays celtiques (par exemple dans l’ancien calendrier irlandais) et en Scandinavie, l’hiver débute
le 1er novembre, à la Toussaint ou Samain. Il se termine lors
de la Chandeleur ou Imbolc, le 1er ou 2 février.
Chez les Celtes, on fêtait Imbolc le 1er février. Ce rite en
l’honneur de la déesse Brigit, célébrait la purification et la
fertilité au sortir de l’hiver. Les paysans portaient des flambeaux et parcouraient les champs en procession, priant la
déesse de purifier la terre avant les semailles.
Cette information ne m’aurait frappée si nos dates de naissance respectives n’avaient été le premier février et le
premier novembre.
***
À la fin d’octobre, j’entrepris les préparatifs de mon
voyage. Cette visite à San Francisco ne découlait pas seulement de mon idée d’application musicale pour téléphones
portables. Ce projet résonnait également en écho à un article
de mon nouveau blog « Entre Ciels et Terre ». Le texte évoquait mon intention d’effectuer un pèlerinage en l’honneur de
Steve Jobs.
21
« Les pommes étaient pelées, l’épluchure était jetée par-dessus l’épaule,
et sa forme examinée pour voir si elle formait la première lettre du nom
du futur époux ou de la future épouse. » [Folklore gaélique (Écosse et
Irlande)]
39
Sur les traces de Steve Jobs
Bien que Steve Jobs, le Père de la Pomme, soit mort le
5 octobre 2011, il continuera encore longtemps à inspirer les
aficionados d’Apple, les entrepreneurs dans l’âme, la génération Y, mais surtout à éveiller le génie qui sommeille.
Je ne connaissais pas Steve Jobs avant de venir au Canada.
Je n’en avais jamais entendu parler.
Je suis contente de l’avoir découvert avant, même si peu
avant, qu’il ne s’en aille.
Suite à l’annonce de son décès, je me suis lancée dans un
projet ambitieux : marcher sur les traces de Steve, du berceau d’Apple à San Francisco à la Silicon Valley, siège de
l’entreprise, en passant par Palo Alto, où il résidait.
Une sorte de pèlerinage en somme, même si je ne sais pas
encore très bien comment le concrétiser.
Je me suis naturellement d’abord demandé « pourquoi le
nom d’Apple (pomme) ? » Défiant les diverses explications
improbables, ma théorie est la suivante :
La pomme de Newton aurait pu inspirer Steve Jobs. Newton a reçu une pomme sur la tête – ça n’arrive pas à tout le
monde, n’est-ce pas ? – lui faisant ainsi comprendre la loi de
la gravitation universelle. Eurêka ! Archimède trouva quant à
lui la solution qu’il cherchait dans son bain.
En ce qui me concerne, une chose est sûre, mes idées
viennent d’elles-mêmes sans que je les provoque, à tout moment de la journée et n’importe où : aussi bien dans la rue
que dans la salle de bain.
Je vois entre Steve Jobs et moi des points communs : la
musique, le goût du risque et le perfectionnisme, mais je
pense que la ressemblance va au-delà.
Il va sans dire que David avait contribué à la concrétisation de mon projet.
Je pris le courage d’exprimer à David ma volonté dans un
e-mail :
40
I hope I’ll meet you in SF (and before then). I like to think
this trip to SF is another twist of fate or the encounter of our
two wills to travel together to another planet. (I am less ecstatic than I was when I say this now because I have more to
lose than I had originally thought.) Really, writing is not
good enough anymore.22
Je reçus en réponse qu’il ne pourrait se rendre au salon de
San Francisco car ses affaires l’appelaient ailleurs.
J’étais déçue mais, reprenant le dessus, je poursuivis dans
mon élan de frénésie poétique :
I forgot to tell you… you are the best Dream I ever had…
It must be the most complicated and inaccessible.
You asked me what I like in the Unknown… It is challenging and thrilling.
And let me add this… One never knows how and when the
Unknown will end… It is a synonym of Life in that sense.23
***
La pomme me suivit à San Francisco ou, plus justement,
me précéda.
Le 26 novembre, alors que j’errais dans les rues du quartier chinois, mon regard se posa sur un banc en bois devant
un magasin d’objets décoratifs. Une pomme demeurait sur le
22
J’espère te rencontrer à SF (et avant cela). J’aime penser que ce voyage
à SF est un autre coup du sort ou la rencontre de nos deux volontés de
voyager ensemble sur une autre planète (je suis moins extatique en disant
cela car j’ai plus à perdre que je ne le pensais initialement.) Vraiment,
l’écriture ne suffit plus.
23
J’ai oublié de te dire… Tu es le meilleur Rêve que j’ai jamais eu… Ce
doit être le plus compliqué et inaccessible.
Tu m’as demandé ce que j’aime dans l’Inconnu… C’est stimulant et exaltant.
Et laisse-moi ajouter ceci… On ne sait jamais comment ni quand
l’Inconnu va se terminer… C’est un synonyme de la Vie en ce sens.
41
banc, comme par enchantement. Je la photographiai et
j’écrivis le lendemain cette petite histoire :
A bench with an apple. No one there. There could have sat
lovers who were visiting the city of San Francisco together. 24
Il lui aurait murmuré à l’oreille. « Je t’aime » peut-être.
Elle lui aurait tendu la pomme. Ils auraient échangé un long
baiser avant de repartir.
This is just a dream not come real. One must accept that
things do not go according to plans. That is part of life, as
much as life can bring unexpected presents.
I feel I could write and I need you to continue.
PS: I didn’t make up the bench and apple. There’s a photo
on FB in my album “A Belgian in San Francisco”.
I’m in the Croissant Café eating brunch before taking the
train to Palo Alto (where Steve Jobs lived). 25
***
Le goût de la vie, comme une pomme, est doux et acidulé.
The Big Apple, surnom de la ville de New York, évoque bien
la vie qui se croque comme une pomme. Avant de partir pour
San Francisco, j’étais loin de penser que mes pérégrinations
me mèneraient jusqu’à cette mégapole.
24
Un banc avec une pomme. Sans personne. Là, auraient pu s’asseoir des
amants en train de visiter ensemble la ville de San Francisco.
25
Ce n’est qu’un rêve irréalisé. Il faut accepter que les choses n’aillent
pas comme on veut. Il en est ainsi de la vie, de même que la vie peut
apporter des cadeaux inattendus.
Je me sens capable d’écrire et j’ai besoin de toi pour continuer.
PS : Je n’ai pas inventé le banc avec la pomme. Il y a une photo sur FB
dans mon album « A Belgian in San Francisco ».
Je suis au Croissant Café en train de manger avant de prendre le train
pour Palo Alto (où Steve Jobs vivait).
42
4. Détour prémonitoire
Je me mis en tête de prendre le vol pour San Francisco au
départ de Boston, ce qui était moins cher que l’avion à partir
de Montréal, mais ce fut sans compter le coût de
l’hébergement et du trajet aller-retour en bus entre Montréal
et Boston. Je réalisai mon erreur et communiquai ceci à David au moment de la préparation de mon voyage :
I made a mistake to book the flight from Boston, which entails a bus journey the day before and after my air journey
and finding an accommodation in Boston.
I sent requests on CouchSurfing for Boston and SF but it
seems members are more interested in surfing than hosting –
what I understand perfectly. I don’t feel comfortable to stay
with strangers anyway!26
***
Je passai un week-end à Boston avec Charles et deux autres couples à la mi-novembre et décidai de réserver une nuit
à l’aller et au retour dans la même auberge de jeunesse. Dans
26
J’ai commis une erreur en réservant le vol à partir de Boston, ce qui
implique un trajet en bus le jour avant et après mon voyage aérien et de
trouver un logement à Boston.
J’ai envoyé des requêtes sur CouchSurfing pour Boston et SF mais il
semble que les membres ont plus envie de surfer qu’héberger — ce que je
comprends parfaitement. Je ne me sens pas à l’aise de rester avec des
étrangers de toute façon !
43
la foulée, j’entrepris de trouver un logement à San Francisco
pour la durée de mon séjour. Au cours de mes recherches sur
Internet, je tombai sur le site Internet Airbnb, grâce auquel je
réservai une chambre dans un appartement occupé par les
deux cofondateurs d’une start-up.
Le fait d’être éloignée de Montréal pendant un long weekend ne m’empêcha pas de penser beaucoup à David, surtout
durant le trajet en voiture.
Hi David.
We arrived safely in Boston.
The trip is enjoyable but I’ll be happy to return to Montreal.
The first night in the youth hostel wasn’t so restful. Hopefully, we’ll sleep better tonight. We’re going out for a pub
crawl led by the youth hostel.
So far, I am not so charmed by Boston but so was I for
Montreal. It’s not only about a place’s soul. It has a lot to do
with oneself and relationships with people.
Enjoy your weekend.27
Ce week-end se déroula étrangement. Je dormis dans le
même lit que Charles dans une chambre avec les autres. Ce
qui n’empêcha pas, un soir, qu’une dispute éclate entre nous
27
Salut David,
Nous sommes bien arrivés à Boston.
Le voyage est agréable mais je serai contente de rentrer à Montréal.
La première nuit à l’auberge de jeunesse n’a pas été très reposante.
J’espère que nous dormirons mieux ce soir. Nous sortons faire la tournée
des bars avec l’auberge.
Jusqu’à présent, je ne suis pas tellement charmée par Boston mais c’était
pareil pour Montréal. Il ne s’agit pas tant de l’âme d’un lieu. Cela a beaucoup à voir avec soi-même et les relations avec les gens.
Bon week-end.
44
dans un bar. Je réagis brutalement à la jalousie de mon conjoint, que je jugeais excessive.
Mon obsession envers David se poursuivait. Sur la route
du retour vers Montréal, je me surpris également à penser à
un garçon, connu huit ans plus tôt à Bristol. Mathieu et moi
nous étions rencontrés à l’hôtel où je travaillais comme barmaid. Nous étions sortis à plusieurs reprises. J’avais vécu
avec le Français un vrai amour platonique, à moins qu’il ne
s’agît d’une réelle amitié, même temporaire. Sans doute
n’étais-je pas attirée par lui. De toute évidence, il n’avait pas
déclenché en moi la passion. L’alchimie avait dû manquer
entre nous. Ou était-ce le fait qu’il avait une petite amie et
que j’étais amoureuse d’un garçon ténébreux qui eut été déterminant ?
***
La nuit suivant le retour à Montréal, j’étais incapable de
trouver le sommeil. Je sortis du lit et j’écrivis à David.
I have a purpose
I feel lighter
Far from how I was some time ago
When everything was dark, when the Void came
Light has come through the days
Here is what I’ve just written (not sure the last sentence
makes sense) and wanted to share with you.28
28
J’ai un but
Je me sens plus légère
Loin de celle que j’étais il y a quelque temps
Quand tout était sombre, quand le Vide est venu
La lumière a transpercé les jours
Voici ce que je viens d’écrire (pas sûre que la dernière phrase ait un sens)
et que je voulais partager avec toi.
45
***
Une semaine plus tard arriva le jour J. En ce 23 novembre,
la première neige recouvrait Montréal. Conséquence de cette
intempérie, j’attendis au moins deux heures que le bus se
pointe à la gare. Le voyage commençait péniblement. Pour
ajouter au contretemps, la puanteur des toilettes imprégnait
tout l’habitacle.
À la frontière avec les États-Unis, le conducteur pria les
passagers de descendre avec leurs effets personnels. Au cours
de l’attente dans le bâtiment, j’échangeai quelques mots avec
un jeune homme. Je lui confiai que, des deux douaniers, la
femme avait l’air la plus commode. Après qu’il m’eut rejoint
dans le bus, il me dit que j’avais vu juste. Français marié à
une Américaine, Fabrice allait passer le congé de Thanksgiving près de Boston, où sa femme, travaillant ce jour-là, le
retrouverait. Il me raconta qu’il vivait à Chicago et qu’il avait
des difficultés à obtenir du travail. Il avait pourtant suivi des
études aux États-Unis. En parallèle, il s’adonnait à la photographie professionnelle et avait réalisé un reportage sur une
troupe d’artistes polonais.
Débarquée à Boston, je pris le T pour me rendre à
l’auberge de jeunesse. Je dînai dans un pub distant de deux
rues. Je ne jouis que d’un repos minimal, à cause du vacarme
s’invitant de la rue et du froid qui régnait dans le dortoir.
***
Le lendemain, je me levai très tôt, pris ma douche et descendis à la salle à manger. J’entendis deux hommes parler de
nutrition. Plus tard au cours de la matinée, tandis que je me
servais de l’eau à la cuisine, je rencontrai le plus bavard des
deux. Peter venait de Toronto. Le Canadien avait décidé de
passer le congé aux États-Unis. Je lui dis que j’étais en route
46
pour San Francisco où se tenait une conférence. Il pensait que
je me rendais au Trade Show dans le secteur minier. Je répondis que mon événement concernait les applications
mobiles. Il se montra intéressé par le sujet.
Dans l’après-midi, je quittai l’auberge pour me rendre à
l’aéroport international Logan. La dame que je rencontrai
dans le tram m’accompagna jusqu’à la navette. Elle allait voir
sa fille et ses petits-enfants en Floride. En apprenant que je
voyageais seule, elle me conta son histoire. Elle était arrivée
d’Italie à l’âge de vingt ans et me dit : « Travel is the best
education. »29 L’Italie lui manqua au début, mais elle
m’expliqua que si elle retournait dans son pays natal, son
pays d’adoption, à son tour, lui manquerait : « This is
home. »30
***
À bord du vol vers Atlanta, un jeune homme noir s’assit à
mes côtés. Étudiant en pharmacie à Boston, il rentrait chez lui
pour Thanksgiving. Bien qu’il avait prévu de ne rester que
deux jours sur place, il n’avait pas hésité à faire le voyage
pour passer cette fête en famille. Nous parlâmes des relations
entre hommes et femmes. Cette conversation, intéressante au
début, finit par m’irriter. Il croyait tout savoir. Nous nous
entendîmes sur un point : « Experience is the best teacher »31.
***
Le vol d’Atlanta à San Francisco se déroula en solitaire. À
mon arrivée à l’aéroport international de San Francisco,
29
« Le voyage est la meilleure éducation. »
« C’est chez moi. »
31
« L’expérience est le meilleur enseignant. »
30
47
j’attendis mes hôtes, qui m’avaient promis de venir me chercher. Il était presque minuit.
Finalement, mes colocataires pour la semaine firent leur
apparition. Je fis la connaissance de Dan et de son épouse
dans la voiture. Dans l’ascenseur de l’immeuble, je rencontrai
le cousin de Dan, franco-colombien, et sa petite amie, ainsi
que Nick, colocataire et associé de Dan, et l’amie de ce dernier, actrice à Los Angeles. Ils me proposèrent de manger de
la dinde, accompagnée d’un verre de vin. Nous ponctuâmes
la soirée par une partie de poker.
48
5. Quête spirituelle
Le lendemain, je m’accordai une grasse matinée. Liz me
proposa de l’accompagner au supermarché où je fis des courses pour la semaine. Dans l’après-midi, je résolus de rester
dans les environs et d’explorer Burlingame, en périphérie de
San Francisco.
Tout au long de mon séjour californien, je rédigeai plusieurs articles de blog, à la manière d’un carnet de voyage
consignant mes pensées et expériences.
A tourist in Burlingame
Je suis à San Francisco (enfin, en banlieue, dans une ville
qui s’appelle Burlingame). Faisant le lien avec l’article précédent (How do you get wise? And how to be a free
thinker?32), je suis venue seule ici, non seulement pour assister
à
la
conférence
sur
les
applications
mobiles APPNATION, mais aussi pour une raison personnelle, qui se révèle – chose plutôt surprenante en Californie –
spirituelle.
An experience that allows me to know who I am and
teaching me about life’s many possibilities, outside the box.33
Les États-Unis sont encore une nouvelle expérience par
rapport au Québec. Une créature étrange pour la Belge que
je suis. Heureusement ai-je vécu en Angleterre pendant un an
32
Comment devient-on sage ? Et comment être un libre penseur ?
Une expérience me permettant de savoir qui je suis et m’apprenant les
nombreuses possibilités de la vie, hors des sentiers battus.
33
49
et demi (en 2003, 2004-2005). Il y a tant à voir et à découvrir ! Le monde est fascinant.
Ma première impression des USA, en étant à Boston pour
la deuxième fois, est celle d’une société à deux vitesses : d’un
côté, le modèle Walmart, bon marché ; de l’autre… Je ne le
connais pas encore celui-là. Cela ressemble probablement à
Wall Street. San Francisco me montrera peut-être une autre
facette des États-Unis. La comparaison entre monde anglosaxon et francophonie est aussi pertinente.
Je ne peux m’empêcher de penser au roman Globalia de
Jean-Christophe Rufin : terrorisme, endoctrinement, honte de
vieillir…
Les chocs en Amérique du Nord sont aussi vivaces qu’en
Afrique. Ils se confrontent à un trop-plein d’idées reçues,
d’acquis accumulés tout au long d’une vie. Entre l’Europe et
l’Amérique du Nord, il y a un océan de la taille d’un continent (même si l’Europe a été américanisée).
Je me suis promenée cet après-midi à Burlingame. C’est
calme. Les gens sont polis. Il y a de gros arbres le long des
routes, et des palmiers. Les maisons reflètent la Californie.
Un côté Midi de la France. Il y a déjà des décorations de
Noël, alors que subsistent citrouilles et épouvantails
d’Halloween.
J’ai croisé un monsieur et son petit-fils. Je pense que
l’homme m’a confondue avec quelqu’un d’autre (encore un
sosie ?) car il m’a demandé si j’étais allée travailler – chose
étonnante pour lui en ce jour de congé, lendemain de Thanksgiving. Je lui ai répondu que j’étais une touriste. Les
passants étaient peut-être surpris de me voir prendre des
photos. Je ne suis pas certaine que ce soit courant dans les
rues de cette banlieue de San Francisco.
***
50
Le deuxième jour, je pris à nouveau mon temps avant de
m’aventurer au dehors. Je montai dans le train à destination
de San Francisco et descendis au croisement de Fourth Street
et King Street. Je parcourus la ville à pied, au gré du vent.
Après avoir profité de la connexion Wi-Fi du Washington
Square pour envoyer quelques e-mails, en mangeant mon
sandwich, je dénichai le point culminant naturel de la ville et
gravis une colline où se dresse Coit Tower. Le site me fit
immanquablement penser à Cabot Tower à Bristol, perchée
sur Brandon Hill. Je descendis par l’autre versant, curieuse de
voir où l’escarpement me mènerait. Entre jardins luxuriants et
maisons ravissantes, je suivis un chemin sinueux. J’atteignis
une place gardée par un château : le Julius’ Castle. Un coup
de klaxon me sortit de ma rêverie. Je vis une voiture vert bouteille et m’approchai. Le conducteur me proposa une visite
gratuite de la ville. Je montai devant, un couple se trouvant à
l’arrière. Nous traversâmes les divers quartiers de San Francisco avant de marquer un arrêt sur la plage en face du
Golden Gate Bridge et de l’île d’Alcatraz où gît la prison du
même nom.
Notre guide me raconta une anecdote à propos d’une maison bleue qui avait inspiré une chanson. Le chanteur français,
à son retour de France, fut plongé dans la consternation lorsqu’il découvrit que la maison avait été peinte en vert. Il
décida de la remettre dans son état initial. Je ne parvins pas à
identifier le titre de la chanson. Je ne trouvai la réponse à
cette énigme que bien plus tard : il s’agissait bien sûr de
« San Francisco » de Maxime Le Forestier.
Après plus de deux heures, Mister Toad34 déposa ses passagers au Fisherman’s Wharf. Peu inspirée par les lieux, je
décidai de quitter le quai touristique pour de nouveaux dé34
Monsieur Crapaud
51
cors. Je me dirigeai vers le quartier des affaires. Plus loin sur
ma route, un homme m’invita à visiter une exposition à
l’intérieur d’un prestigieux édifice, appartenant à l’Église de
scientologie. Je pensai : « pourquoi pas ; après tout,
j’apprendrai peut-être quelque chose sur ce courant religieux ». J’avais entendu dire que c’était une secte et que Tom
Cruise et Nicole Kidman étaient des adeptes. Je fis le tour de
la salle, survolant les panneaux d’informations et les témoignages vidéographiques. Mon hôte recueillit mon avis à la
sortie. Je ne me gênai pas pour lui exprimer ma réticence à
suivre un dogme ou une religion. Le prosélyte, ne se décourageant pas – l’Église l’ayant aidé à surmonter des moments
difficiles – m’offrit deux DVD : Scientology. An Overview35
et Dianetics. An Introduction36.
35
36
Scientologie. Un Aperçu.
Dianétique. Une Introduction.
52
6. Going with the flow37
Je consacrai le troisième jour à la visite de Palo Alto, où
Steve Jobs avait résidé. Liz m’avertit qu’il fallait une voiture
pour voir la maison du défunt, éloignée du centre-ville. Elle y
était allée avec Dan juste après le décès du grand homme. Ils
avaient été témoins des cadeaux déposés devant chez lui.
« Même des pommes ! » s’exclama-t-elle. Elle s’était étonnée
que l’habitation ne soit pas plus grande et souligna avec pétillement qu’un verger ornait l’entrée de la villa.
La voie ferrée se trouvait à quelques centaines de pas de
l’appartement. En attendant le train, je me mis à décrire mon
expérience sur le carnet qui ne me quitte jamais.
J’essaye de me laisser porter par le vent, tel un ballon
flottant dans l’air.
Je me sens légère tel l’oiseau volant dans le ciel.
Je m’enivre de l’embrun.
Je ressens une sensation de déjà-vu. Mais laquelle ?
Le fond de l’air est frais, mais le soleil me caresse le dos.
Je me laisse aussi envahir par la musique de mon iPod.
[Yaël Naïm, New Soul38]
We live in a beautiful world39. [Coldplay]
Mais qu’en faisons-nous ?
Nous émerveillons-nous encore ?
37
Se laisser porter
Âme neuve
39
Nous vivons dans un monde magnifique
38
53
Des arbres, du ciel, des oiseaux, de la pluie, du beau
temps.
Jusqu’où ira la bêtise humaine ?
Le progrès est-il encore bon ?
Nous en voulons toujours plus.
La preuve : pourquoi suis-je venue ici ? Comment ?
Nous voulons tout voir, tout contrôler, tout réinventer.
Mais le plus ironique est que tout nous échappe, même notre stupidité.
[Télépopmusik, Trishika]
Bien sûr des évolutions sont utiles, mais cela nous rend-il
plus heureux ?
Le bonheur n’est-ce pas plutôt tous ces petits moments
partagés entre nous ?
Loin du matérialisme ambiant.
Même si les technologies nous permettent de communiquer à distance, nous aident-elles à mieux communiquer pour
autant ?
Read in the train on the seat in front of me:
Bush lied
Thousands died40
Rien ni personne ne l’a arrêté.
Ni le Congrès, ni les médias, ni l’opinion publique.
Au moins la guerre du Golfe avait-elle été plus subtilement orchestrée et l’opinion publique manipulée pour un
prétexte de solidarité.
***
40
Lu dans le train sur le siège en face de moi :
Bush a menti
Des milliers sont morts
54
Sur quoi reposent nos vies si elles ne tiennent plus qu’à un
réseau sans fil ?
Un nuage de poussière ?
Un écran de fumée.
Une jeune femme organisait une veillée sur la Lytton
Plazza pour sensibiliser les gens au cancer du poumon.
D’après l’information d’une affiche, 80 pour cent des diagnostics du cancer du poumon concernent des non-fumeurs.
Il n’y a pas assez de prévention des maladies. Les gens qui
ont beaucoup d’argent pourraient donner plus de fonds à ces
causes.
What if Mrs Coit did donate money for medical research?
Instead of building a tower to beautify the city of San Francisco.
Of course everyone is free to choose what to do, all the
more with their money.41
La sphère publique est en train de se détériorer.
La société en train de se paupériser.
Nous sommes tous responsables.
Nous vivons dans un monde superficiel, consumériste, de
plus en plus virtuel pour satisfaire tous nos désirs.
Pour la première fois, j’ai proposé à un mendiant de parler avec lui, chose que je n’aurais jamais faite si je n’avais
été seule.
L’empathie n’existe que par l’expérience.
41
Que ce serait-il passé si Mme Coit avait versé de l’argent pour la recherche médicale ? Au lieu de faire construire une tour pour embellir la
ville de San Francisco.
Bien sûr, chacun est libre de choisir quoi faire, qui plus est avec son argent.
55
J’aimerais donner la parole à ceux qui ne sont pas écoutés. Ce doit être le devoir d’un(e) journaliste. C’est ainsi que
je le conçois.
Les pouvoirs, comme on les appelle – politique, médiatique, juridique – sont éloignés des gens. Qu’en est-il du
pouvoir économique ? Celui-ci dépend des gens !
So thanks to Steve Jobs for taking me to Palo Alto.
And thanks to DJ for triggering in me passion.42
À qui profite le progrès ? Les meilleures technologies ne
profitent-elles qu’aux plus aisés ?
L’économie est devenue business.
L’information, censée être un contre-pouvoir, est devenue
médias.
La science est devenue progrès.
La politique est devenue politique politicienne, puis pouvoir fantoche.
Par-dessus tout, le citoyen est devenu consommateur.
***
Le même jour, je découvris, émerveillée, Stanford University. Steve Jobs y avait donné son célèbre discours à la
cérémonie de remise des diplômes. Il s’était exprimé sur sa
vie, notamment sur le thème « Connecting the dots looking
backwards »43. Pensant qu’il fallait prendre le bus pour se
rendre à l’université, j’attendis qu’une navette se pointe à la
gare de Palo Alto. En vain. Je trouvai finalement le chemin,
franchi le prestigieux portail gardé par un dieu armé d’une
plume et marchai sur le trottoir longeant la route où circu42
Donc merci à Steve Jobs de m’avoir emmenée à Palo Alto.
Et merci à DJ d’avoir déclenché en moi la passion.
43
« Faire le lien en regardant en arrière »
56
laient des voitures. Des palmiers bordaient l’allée. Une plaine
verdoyante égayait un arboretum. Des panneaux directionnels
jalonnaient le trajet. Attirée par l’annonce du jardin de sculptures de Rodin, je pris la direction du Cantor Arts Center.
L’exposition « Rodin & America » présentait les œuvres
d’artistes influencés par Rodin. L’entrée du musée était gratuite, mais l’heure de fermeture approchait. J’appréciai
particulièrement la section consacrée à l’art africain.
Je sortis du musée à la tombée de la nuit. Je flânai dans le
jardin de Rodin à travers la pénombre quand, attirée par
l’illumination d’une tour, je m’élançai au cœur du campus.
Les vitraux de l’église Stanford Memorial Church resplendissaient dans le crépuscule. Jane Stanford dédia l’édifice à son
défunt mari, Leland Stanford. Beau témoignage d’amour en
corolles de grès rose.
L’université Stanford m’envoûta tant que je rechignais à la
quitter. Peu soucieuse de l’horaire des trains, je me laissai
bercer par les flots et couchai sur le papier les fruits de mon
inspiration, aux accents poétiques.
Stanford à la tombée de la nuit
It just feels like you want to be with the person you love.
I’ve never thought a university could be so romantic.44
Les arbres
Les roses
Les bâtiments flamboyants
Les lumières éparses
Les sculptures de bronze ornant les jardins
Le crépitement des fontaines
Les coups de carillon
I could stay here forever45
44
On a seulement envie d’être avec la personne aimée.
Je n’ai jamais pensé qu’une université puisse être aussi romantique.
57
Sensation d’éternité
La tour Hoover Tower comme un phare dans la nuit
Le lieu est un ravissement complet, me ramenant dans
l’enfance.
Apaisant
Il faut dire que c’est dimanche soir et les vacances.
La brume du soir
Je suis transportée.
***
Tandis que je marchai vers la sortie, je fus à nouveau envahie d’une vague de pensées.
It would not have been the same if I hadn’t traveled alone.
I would not have been with myself. I would not have dialogued with me and put my thoughts on paper. Of course, I
wouldn’t write like that if I didn’t hope there would be people
to read me.
I felt so free.46
L’instant present
Carpe Diem
[Jamiroquai, Corner of the Earth47]
45
Je pourrais rester ici pour toujours
Ça n’aurait pas été pareil si je n’avais pas voyagé seule. Je n’aurais pas
été avec moi-même. Je n’aurais pas dialogué avec moi-même et couché
mes pensées sur papier. Bien sûr, je n’écrirais pas ainsi si je n’espérais
pas qu’il y ait des gens pour me lire.
Je me sentais tellement libre.
47
Un coin de la Terre.
46
58
7. Expérience existentielle
Le matin du quatrième jour, je pris le temps, en déjeunant,
de chatter avec Pascal, Réunionnais vivant à Bristol. Mon
ami me fit partager son expérience avec le mouvement Occupy. Son compte rendu suscita mon envie de rendre visite à
Occupy San Francisco. Je trouvai sur Internet l’emplacement
du campement et me lançai dans l’aventure.
Un article, publié sur mon blog à la fin de la journée, résume mon expérience.
Les Indignés de San Francisco
J’ai démarré ma journée, un peu tard, en me posant cette
question :
What’s the meaning of life? Quel est le sens de la vie ?
J’ai rejoint le campement Occupy SF au 10 Market Street
près du port de San Francisco. Arrivée sur les lieux, je ne
savais pas très bien comment m’y prendre. À l’entrée, j’avais
vu sur le tableau des activités qu’il y aurait une réunion des
facilitateurs à 16 heures. Je me suis faufilée entre les tentes,
marchant sur des tapis et des carpettes. L’endroit n’était pas
des plus décents. Une tente rose abritait une réunion et je ne
voulais pas déranger. Quelques informations, pas toujours
compréhensibles, étaient affichées.
Heureusement, des gens m’ont abordée et je me suis vite
sentie plus à l’aise. L’un des premiers hommes à qui j’ai par-
59
lé est forgeron dans une autre région. Il a décidé de ne pas
avoir de logement. Pour lui, un abri devrait être fourni par
l’État. Il trouve que c’est ridicule de payer pour cela. Je crois
qu’il possède un lopin de terre. Il n’a pas souhaité que je le
prenne en photo. Un autre m’a dit qu’il a arrêté son voyage
ici et a proposé de partager sa tente avec d’autres. Un vendeur de téléphones m’a montré l’une des parcelles de terre
que les occupants cultivent.
Au début, les réunions m’ont semblé désorganisées,
d’autant que l’occupation a commencé le 17 septembre 2011.
Cela fait donc plus de trois mois. Les participants avaient du
mal à s’accorder, même sur les sujets des discussions. Ils
étaient mal préparés. Toutefois, au fur et à mesure des conversations, j’ai capturé une image plus positive : ils
essayaient de s’organiser vaille que vaille et d’être cohérents.
Il y avait des gens de tous horizons, certains au tempérament plus agressif, d’autres pacifique. Un homme plus âgé
que la moyenne a expliqué qu’il s’était rendu dans plusieurs
Occupy et qu’il fallait persévérer car les problèmes surgissent souvent au départ et qu’il est possible de les surmonter.
Apparemment, la semaine dernière avait été difficile. Il y
avait eu des problèmes à cause de ceux qui abusent de
l’alcool et des drogues et commettent des actes illégaux.
Quelques altercations se sont produites avec la police.
J’ai remarqué chez certains un comportement dénotant
une envie de reconnaissance. De là également la difficulté de
s’entendre, même si des règles ont été fixées, tels que le tour
de parole et le respect. C’est une dynamique de politique qui
se joue même s’ils mettent l’accent sur le consensus. Cela me
fait penser au film « The Beach », où malgré les meilleures
intentions, les protagonistes échouent à créer une commu-
60
nauté car l’une d’eux prend le pouvoir sur les autres et impose sa domination.
Au cours de la réunion, un « native American » a prôné le
modèle amérindien, évoquant l’importance d’un leader et
demandant d’accorder plus de valeur à la famille. L’un des
points de discussion fut d’ailleurs : « doit-on instaurer la
diversité dans les comités de liaison ? ». Ces comités, d’après
ce que j’ai compris, servent à faire le lien entre la communauté et la municipalité.
La réunion a abordé la question de l’éviction du campement, le maire ayant proposé de le déplacer à un autre
endroit. Des pour et contre ont émergé. Une jeune femme a
expliqué que, bien que ne campant pas, elle est très solidaire
du mouvement. Elle a lié la requête du maire au fait qu’en
janvier aura lieu un feu d’artifice au port et que cela ferait
mauvais genre d’avoir un campement juste à côté des festivités.
Plus d’humanité !
J’ai demandé à l’un d’entre eux, qui semblait averti, ce
qu’ils voulaient obtenir. Il m’a répondu qu’ils veulent que
soient garantis les droits humains fondamentaux tels que
l’accès à la santé et à l’éducation. Il a comparé les ÉtatsUnis à l’Europe et a cité l’exemple de San Francisco qui,
bien que ville riche, compte de nombreux sans-abri. Les
Américains ont investi beaucoup d’espoirs dans leur président, mais Obama les a déçus. Cet homme a expliqué que,
pour gagner les élections, il faut beaucoup d’argent, donc les
politiques ont besoin des riches. J’en conclus que les premiers rendent service aux seconds qui le leur rendent bien. Il
a déclaré, en outre, que les prisons sont pleines de pauvres et
qu’ici, on ne soigne pas les malades mentaux, on les laisse
plutôt dans la rue. Il a ajouté qu’il accueille le capitalisme,
mais qu’affirmer que le business va tout régler (“business
61
will take care of everything”) est un leurre car les gens
d’affaires s’intéressent uniquement au profit (“what interests
business is only profit”). Il aurait souhaité que les États-Unis
deviennent plus comme l’Europe, mais c’est le contraire qui
se produit : l’Europe se rapproche de nous (“Europe comes
to us”).
Avant la fin de la réunion, un jeune homme a pris la parole pour se présenter. Il se prénomme Arthur et vient de la
Provence en France. Nous avons passé un moment ensemble
à bavarder. Il m’a dit qu’il est arrivé il y a un mois avec un
visa de touriste. Il a un peu travaillé pour une agence de
voyage qui organise des tours à vélo. Il réparait les vélos et a
pris un vélo à son tour pour descendre bientôt la côte californienne, peut-être jusqu’au Mexique. Arthur m’a raconté
qu’il a laissé son appart et son matériel de sport en France
pour vivre une nouvelle expérience et améliorer son anglais.
Vers 19 heures, j’ai pris congé de ces personnes avec qui
j’avais sympathisé. J’avais froid depuis longtemps. La nourriture servie n’était que du riz rationné. Heureusement que
j’avais apporté un sandwich.
Je retire de cette expérience un regain de foi en
l’humanité. Cette communauté dont la vision est définie par
ses membres avec des mots simples comme « love »,
« peace », « solidarity », « liberty », « history », « revolution », concerne l’humanité. Que l’on soit optimiste ou
pessimiste, tout le monde – à part quelques exceptions près –
se préoccupe de l’humanité et de son avenir. Nous sommes
aussi nombreux à aspirer à un monde meilleur, plus juste,
plus égalitaire.
Je préconise de faire son devoir de citoyen : s’informer,
voter, mais aussi essayer de ne pas être indifférent et agir
chacun à son échelle. Pour moi, les gens dans la rue sont le
reflet de notre société, le signe qu’elle se déprécie. On laisse
62
des gens tomber. Il est difficile de savoir ce qu’être sans-abri
signifie sans jamais l’avoir vécu. J’ai vu l’envers du décor de
San Francisco : ses démunis. En empruntant Market Street
pour rentrer, j’ai croisé un nombre choquant de clochards
sur le trottoir bordé de grands magasins. Dans notre société
de surconsommation, trop de gens n’ont pas les moyens
d’assouvir les besoins primaires comme manger. Je prédis
que la situation ne fera qu’empirer si le dédain des plus riches, le 1 % de la population, et l’apathie générale des 99 %
restants continuent d’exister. Nous sommes à un moment critique de l’histoire. Nous avons le pouvoir d’écrire une
nouvelle page.
Ensemble, on est plus forts.
63
8. Absinthe
Le 30 novembre 2011 marqua le premier jour de la conférence sur les applications mobiles, APPNATION III. Je
dormis peu car je savais que je devais me lever tôt. Nick me
conduisit à la gare Millbrae, où je pris le BART. Après être
descendue à 16th Street Mission, je me dirigeai vers le Design
Center Concourse avec un plan de la ville. Je passai devant
un bâtiment en briques rouges arborant l’enseigne Adobe.
Arrivée à la conférence, je repérai d’abord les lieux avant
de m’acheter un café. Au moment où je m’apprêtai à descendre les escaliers pour rejoindre le centre de la salle, je croisai
un groupe dont la conversation sur les motifs de participation
à l’événement attira mon attention. Je m’immisçai dans le
cercle des trois hommes. Nous procédâmes aux présentations,
cartes de visite glissant d’une main à l’autre.
Je me retrouvai seule avec l’un des hommes café au lait.
Ce dernier, informé que j’habitais Montréal, me raconta qu’il
avait fréquenté une école canadienne dans son pays d’origine,
Haïti. Il me proposa de l’accompagner à un concert symphonique en soirée. Nous convînmes de nous retrouver à
l’extérieur après la clôture du programme.
La journée se déroula tranquillement. Après le lancement
de la conférence sur la grande scène, j’assistai à quelques
présentations. Je compris vite que l’intérêt de ce genre
d’événement résidait dans la mise en relation des protagonistes. Je visitai plusieurs stands où les exposants présentaient
65
leurs applications et je collectai les cartes d’autres participants.
J’eus l’occasion de parler avec le Directeur des Communications de Nuance, qui me laissa une bonne impression. Il
ponctua notre bref échange par cette phrase : « do not tell me
your idea »48. Ce qui en dit long sur l’inimitié en affaires.
***
Le soir, je retrouvai Sam à la sortie du Design Center
Concourse. Celui-ci héla plusieurs taxis avant que l’un ne
s’arrête. Je trouvai surréel de monter dans la même voiture
que ce quasi-inconnu. Après la course, nous parcourûmes à
pied Hayes Street à la recherche d’un restaurant à notre goût.
Le nom d’un établissement conquit mon intérêt : Absinthe.
J’insistai pour y entrer.
Nous pénétrâmes l’atmosphère intime du restaurant. Une
dame blonde, plutôt froide, nous plaça. Une fois assis, un
homme aux lunettes rondes vint prendre notre commande.
Son arrogance me froissa. Après avoir consulté le menu, je
suggérai d’entamer le repas par un verre d’absinthe, liqueur
que je croyais prohibée. Sam interrogea le serveur quant à la
détection de ce spiritueux dans le sang et reçut une réponse
rassurante. Intriguée par sa question, je voulus en connaître la
raison. Mon commensal m’expliqua que certaines compagnies demandent aux consultants d’effectuer un test de
drogues afin de prouver leur aptitude au travail.
Nous échangeâmes des tranches de nos vies. Le consultant
en informatique, résidant de New York, travaillait à San
Francisco. Sam me parla de ses problèmes avec sa femme,
qui se désintéressait de lui. Il arrivait qu’il rencontre des fil48
« Ne me parlez pas de votre idée. »
66
les, mais il l’aimait encore et espérait qu’elle lui témoigne
plus d’attention. Il se réveillait parfois la nuit, espérant avoir
reçu un message de sa part. Il s’inquiétait également pour ses
enfants, en particulier l’aîné, « un garçon doué ». Il pensait
que son fils devait ressentir le climat tendu entre ses parents.
Je lui suggérai de recourir à une thérapie de couple, mais Sam
répondit que le thérapeute leur conseillerait sans doute de se
séparer. Je trouvai cette réponse d’un cynisme déconcertant.
Après le repas, succulent, nous marchâmes en direction du
San Francisco Symphony. Dans le hall d’entrée, nous échangeâmes quelques mots avec une femme d’origine israélienne.
Celle-ci nous fit part de son plaisir de voyager en solitaire.
Elle prenait des vacances un mois par an sans son mari et
aimait découvrir l’Europe. Son époux la rejoignit à
l’ouverture de la salle.
Sam avait réservé deux places parmi les meilleures. Il me
fit remarquer que nous étions entourés de la crème de San
Francisco : des quinquagénaires, voire sexagénaires. Je lui
confiai mon opinion concernant la tenue vestimentaire des
Américains, en comparant avec le raffinement européen, surtout français. Nous nous laissâmes entraîner par la magie des
chants de Noël. Le tintement des cloches fit son impression.
Après le spectacle, nous admirâmes les édifices illuminés en
nous rendant à l’hôtel Hilton, où Sam m’invita à prendre un
dernier verre. Nous poursuivîmes nos confidences en sirotant
une coupe de champagne. Sam insista pour que j’admire les
décorations dans le hall. Enfin, mon nouvel ami me raccompagna à la gare.
À bord du train, je me sentais légère. L’absinthe me procurait un effet aphrodisiaque.
J’envoyai à David cette question avec mon téléphone portable :
67
« Do you know why the expression in vino veritas? Any
explanation? »49
Il m’envoya, en guise de réponse, le message suivant :
« The truth is revealed between the parties when wine has
been imbibed. »50
Je renchéris :
« Truth does apply to facts, like in law. Feelings are not so
much about truth. Does wine reveal feelings too? »51
Je reçus un éloquent « Yes ».
Je conclus :
« I got the answer. I drank absinthe tonight. »52
49
« Sais-tu pourquoi l’expression in vino veritas ? As-tu une explication ? »
50
« La vérité est révélée entre les parties lorsque le vin a été imbibé. »
51
« La vérité s’applique aux faits, comme en droit. Les sentiments ne
concernent pas tant la vérité. Le vin révèle-t-il aussi les sentiments ? »
52
« Je le savais déjà. J’ai bu de l’absinthe ce soir. »
68
9. Désillusions
Au cours du deuxième jour d’APPNATION, je rencontrai
un Français, fondateur d’une start-up. Clément occupait un
stand dans la section appelée « The Garage » pour promouvoir sa plateforme liée au cloud et aux applications. Il me
confiait n’avoir aucun regret d’avoir quitté la France pour
tenter sa chance dans la Silicon Valley. Nous abordâmes un
sujet on ne peut plus sérieux : la politique. Clément me fit
part de ses convictions libertariennes et s’attela à m’expliquer
la base de ce courant politique. Au cœur de ce mouvement, la
liberté de l’être humain et la conception que tout homme a un
bon fond. Partant de cette prémisse, la pensée libertarienne
préconise la limitation du rôle de l’État aux matières strictement nécessaires, telle la sécurité, mais pour le reste, comme
l’enseignement, la gestion par le secteur privé. Cela suppose
que les citoyens soient aptes à prendre des décisions par euxmêmes dans leur intérêt.
Hormis cet entretien à connotation politique, je profitai du
second jour de la conférence pour explorer tous les stands et
séminaires sans m’intéresser à l’une ou l’autre activité du
programme.
À l’heure du déjeuner, je m’assis à la table d’un quinquagénaire de Washington DC. Nous échangeâmes notre opinion
sur la conférence et le secteur des applications mobiles et
fûmes d’accord sur le point que les applications actuelles sont
loin d’être révolutionnaires, mais que le plus extraordinaire
reste à venir.
69
L’après-midi, je marquai une pause auprès d’un exposant
d’ethnie asiatique, qui parlait très bien le français. À son
stand nous rejoignit un développeur d’applications mobiles
basé à New York. Excité d’apprendre que je vivais à Montréal, il me présenta son collègue, originaire de cette ville. Ce
dernier se prénommait David et était anglophone. Je
m’entretins brièvement avec lui et son directeur, d’origine
cubaine, dont l’impertinence me piqua.
Avant la clôture de l’événement, j’assistai à la session
« 10 Good Minutes : Why SIRI and Speech-Recognition Apps
Will Change Man-Machine Interaction Forever »53. Gary
Morgenthaler de la firme d’investissement Morgenthaler et
Paul Ricci, PDG de Nuance Communications, discutaient de
la nouvelle interaction entre l’humain et la machine, en se
focalisant sur la technologie Siri disponible sur l’iPhone 4S.
Sur la scène principale, les deux hommes étaient assis face à
l’audience, tandis que Kara Swisher leur posait des questions
et réagissait à leurs commentaires sur un ton frisant
l’insolence. De toute évidence, la journaliste ne partageait pas
leur engouement pour l’intrusion des technologies dans les
rapports humains. Le visage de Morgenthaler reflétait un caractère affable. Il affirmait que Siri allait révolutionner le
monde et la relation que les humains entretiennent avec les
machines. À la fin de la séance, je me précipitai vers la sortie
de la scène et interpellai Morgenthaler : « Will there be a
platform to develop mobile applications with Siri? »54. Celuici prétexta un appel urgent. Un garçon, qui attendait derrière
moi, insinua que Morgenthaler ne voulait pas nous parler.
53
« 10 bonnes minutes : pourquoi SIRI et les apps de reconnaissance
vocale changeront l’interaction homme-machine pour toujours »
54
« Y aura-t-il une plateforme pour développer des applications mobiles
avec Siri ? »
70
Outrée, je concluais que les puissants de ce monde veulent
tout bonnement garder les nouvelles technologies entre eux
au lieu de les démocratiser.
L’observation du Hackaton avait confirmé un peu plus tôt
l’autre hypothèse que ce genre d’événement sert à mettre en
relation des génies développeurs avec des capitalistes, et que
les seconds exploitent d’une certaine manière les premiers
qui déploient leurs talents dans des conditions de travail grotesques.
Arriva justement la remise des prix du Hackaton. Là encore, les projets présentés étaient plutôt décevants.
Finalement, je me mis en tête de retrouver le groupe rencontré auparavant. Je retrouvai les trois collaborateurs. Le
plus sympathique d’entre eux, le premier que j’avais rencontré, m’apprit qu’il était égyptien. Je lui racontai mes
désillusions par rapport à la mascarade derrière l’événement.
L’Égyptien me dit que je ressemblais à une fille qu’il
connaissait, qui pense que tout le monde est gentil. Candide… Le Cubain était pour sa part très cynique. Quant à
David, il me posa quelques questions sur ma vie à Montréal,
mais ne s’attarda pas vraiment à mieux me connaître. Un
homme, sosie de Moby, rejoignit notre table. Apparemment,
le Cubain et lui envisageaient de conclure des affaires ensemble. Ils passèrent en revue les bons restaurants de San
Francisco.
J’annonçai à l’Égyptien que je me rendais aux toilettes.
Lorsque je retournai à la table, je vis que le groupe avait disparu. Je fus déçue, mais, quelques instants plus tard, me
ressaisis : il n’y avait plus rien d’autre à faire que partir.
Je marchais dans les rues de San Francisco à la recherche
d’une station de métro. Je grognais et j’avais l’impression de
71
tourner en rond. Je pensai à David et lui envoyai ce message :
« I’m down. Do you care? »55. Celui-ci était sur le point de
dormir. Il proposa de m’appeler. Je lui expliquai les déceptions que j’avais vécues à la fin d’APPNATION. Je
m’exclamai que c’était un monde de requins.
Je finis par trouver le métro, descendis par l’escalator et
me retirai dans une alcôve poursuivre la conversation.
J’évoquai mon inquiétude de me faire manipuler. Il me répondit que j’étais capable de décerner les bonnes des
mauvaises personnes. Rassurée, je lui dis :
— I’m obsessed with you.56
Notre appel me rasséréna.
55
56
« Je suis déprimée. Est-ce que ça t’importe ? »
— Tu m’obsèdes.
72
10. Coup de folie
Le 2 décembre 2011, pendant le voyage du retour vers
Boston, je communiquai avec David par SMS.
« On the plane departing soon to Milwaukee ☺ »57
« I’m already on the next plane to Boston. I like flying. I
wish I could plug my computer to write more easily. It’s kind
of quiet tonight. »58
Je reçus en guise de réponse :
« Safe flight. I’m walking the streets of downtown Toronto. »59
J’interprétai cette phrase de manière erronée, pensant qu’il
parlait du lendemain, d’où ma réplique décalée :
« You’re lucky. I’ll be on the bus back to Mtl. Life took its
turn on me. Does this sentence make sense? »60
Pour toute réaction, je reçus une rafale d’étranges messages :
V
B
B
57
« Dans l’avion partant bientôt pour Milwaukee ☺ »
« Je suis déjà à bord du prochain vol vers Boston. J’aime voler. Je souhaiterais brancher mon ordinateur pour écrire plus aisément. C’est assez
tranquille ce soir. »
59
« Bon voyage. Je marche dans les rues du centre-ville de Toronto. »
60
« Tu as de la chance. Je serai dans le bus du retour à Mtl. La vie a pris
un virage en moi. Est-ce que cette phrase a du sens ? »
58
73
V
V
BB
B
V
V
B
Tandis que ces lettres se succédaient sur l’écran de mon
cellulaire, d’autres pensées émergèrent :
« What I mean is that I cannot go back to where I was. »61
Le flot de lettres se poursuivit :
V
V
V
V
V
V
Il m’était difficile de caser un message dans le flux continuel.
« What I received from you now looks like an
enigma… »62
Les consonnes continuèrent à déferler sur mon écran de téléphone portable.
V
V
G
V
V
V
V
61
62
« Je veux dire que je ne peux pas retourner d’où je viens. »
« Ce que je viens de recevoir de toi ressemble à une énigme… »
74
V
Je tentais de placer une interrogation :
« Are you sending me emoticons? I’m only getting letters
like V, B and G. »63
Plusieurs autres bulles se succédèrent encore : treize V, un
G, un V, un message vide, dix V, un B, quarante-quatre V et,
finalement, quatre V.
Quatre-vingt-dix-neuf messages texte en tout avaient
inondé ma boîte de réception.
Peu de temps après, une pensée m’assaillit et j’envoyai cet
e-mail :
Do you think it’s crazy to want to meet you in Toronto? Of
course, it is but you see I figured it out that we’ve only one
life…
The difficulty is my lap top battery is dying and booking a
flight to Toronto on my phone isn’t easy.
So what do you think of booking the first flight so I walk
the streets of TRT with you?
I hope you say yes. 64
En retour, je reçus l’e-mail suivant :
Tonight? That’s crazy… but fun (although I don’t know
how much fun I’d be). You’d have to go via Toronto City
Centre (Billy Bishop).65
63
« Es-tu en train de m’envoyer des émoticônes ? Je reçois seulement des
lettres comme V, B et G. »
64
Penses-tu que ce soit fou de vouloir te rencontrer à Toronto ? Bien sûr
que oui, mais, tu vois, je me suis dit que nous n’avons qu’une vie…
Le problème, c’est que la batterie de mon ordinateur est en train de
s’éteindre et réserver un vol pour Toronto sur mon téléphone n’est pas
facile.
Que penses-tu donc de réserver le premier vol afin que je marche dans les
rues de TRT avec toi ?
J’espère que tu dises oui.
75
Je m’adressai au steward. L’homme noir enjoué nota sur
un bout de papier trois sites Internet pour dénicher des vols
moins chers.
Un autre e-mail de David arriva.
— Where are you now?
You want me to find a flight for you????66
— I’m on the plane arriving to Boston at 9.52 PM. There
seems to be no flight before tomorrow.
Don’t try to analyse the situation.
That’s what I meant: book me a one-way flight to Toronto
pls. It’s expensive, I know. It’s a one-life experience!67
— No flights left tonight on Air Canada and Porter to Toronto City Centre.
Only 1 left to go to Pearson (which is 35 minutes away)
and leaving Montreal at 10:30.68
Devant la complexité de la situation, je lançai :
— Only a woman can handle this. We’re landing soon.69
Au moment de sortir de l’avion, mon regard se porta sur le
tatouage d’un passager, dont le bras arborait le mot « Free65
Ce soir ? C’est dingue… mais amusant (bien que je ne sois pas sûr
d’être drôle). Tu devras passer par Toronto City Centre (Billy Bishop).
66
— Où es-tu ?
Tu veux que je te trouve un vol ????
67
— Je suis dans l’avion arrivant à Boston à 21 h 52. Il semble qu’il n’y
ait aucun vol avant demain.
N’essaye pas d’analyser la situation.
C’est ce que je voulais dire : réserve-moi un aller simple pour Toronto
STP. C’est cher, je sais. C’est l’expérience d’une seule vie !
68
— Plus de vol ce soir sur Air Canada et Porter vers Toronto City Centre.
Seulement 1 allant à Pearson (qui est à 35 minutes) et quittant Montréal à
22 h 30.
69
— Seule une femme est capable de gérer la situation. Nous atterrissons
bientôt.
76
dom »70. J’avais remarqué plus tôt le bel homme, accompagné de sa femme et de ses deux enfants, assis quelques
rangées devant moi. Tandis que je me tenais debout dans
l’allée, il vit mon iPhone et s’exclama :
— Broken screen!71
— I’m not the only one in this case.
— I know. I already had four and they all got the screen
broken.72
Je lui montrai les drôles de messages que j’avais reçus.
— Did this ever happen to you?
— Never.73
Je le consultai :
— How do you think this is possible?
— Someone must be making a joke.74
Son hypothèse atténua ma joie, seulement un bref instant,
puisque j’imaginais une autre explication, moins rationnelle
celle-là.
***
Au moment de reprendre mon sac à dos, l’inconnu au tatouage me lança :
— Nice bag!
— Thanks. Do you know how to go to Toronto at this
time?
70
« Liberté »
— Écran fêlé !
72
— Je ne suis pas la seule dans ce cas.
— Je sais. J’en ai déjà eu quatre et ils ont tous eu l’écran cassé.
73
— Cela vous est-il déjà arrivé ?
— Jamais.
74
— Comment croyez-vous que ce soit possible ?
— Quelqu’un doit vous faire une blague.
71
77
— No idea.
— OK. Good night.75
***
Je décidai de vérifier les vols dans la zone des départs. Je
traversai le hall et me plantai devant le panneau d’affichage.
Décontenancée, mais loin de renoncer, je tentai le tout pour le
tout en m’adressant à deux femmes qui bavardaient à un
comptoir :
— Is there still a flight for Toronto before tomorrow?
— No. Come back tomorrow early and present yourself at
the Porter check-in point.76
***
Plus tard, à l’auberge de jeunesse, je réservai en ligne le
premier vol du samedi 3 décembre et rédigeai ces lignes à
l’attention de David :
There are limits to last-minute traveling. I am taking a
Porter flight tomorrow at 9:00 AM.
I hope to see you tomorrow.77
***
75
— Chouette sac !
— Merci. Pouvez-vous me dire comment aller à Toronto à cette heure ?
— Aucune idée.
— OK. Bonne nuit.
76
— Y a-t-il encore un vol pour Toronto avant demain ?
— Non. Revenez tôt demain et présentez-vous à l’enregistrement chez
Porter.
77
Il y a des limites au voyage de dernière minute. Je prends un vol Porter
demain à 9 heures.
J’espère te voir demain.
78
Je lessivai des vêtements avant de sortir manger. Vu
l’heure tardive, je consultai le réceptionniste. L’homme me
recommanda le restaurant Nebo où il avait travaillé. Quand
j’atteignis le lieu indiqué, un serveur m’annonça que la cuisine était fermée. Il me dirigea vers Hanover Street,
mentionnant que le Pompeii Café serait sûrement ouvert.
Après avoir demandé la direction à deux jeunes hommes,
j’arrivai sur Hanover Street. Comment avions-nous pu ignorer cette rue, bordée de bars et restaurants, durant notre weekend ? Le Pompeii Café s’avéra animé. Un homme au crâne
blanc me plaça à une table près de la porte d’entrée. L’accueil
fut loin d’être chaleureux. Un serveur vint me donner le menu. Son attitude frisait la médiocrité. Devant les prix
excessifs, je commandai un calzone ricotta et une bière.
Deux jeunes hommes, assis à une table vers l’arrière, captèrent mon attention. Je tendis l’oreille pour décerner si leur
accent était français. Je passai devant eux en allant aux toilettes. À mon retour dans la salle, je priai l’homme pour changer
de place. Celui-ci m’envoya paître. Vexée, je retournai
m’asseoir, bien que j’eusse préféré partir.
Le serveur m’apporta mon plat. La présentation était vulgaire et la nourriture de faible qualité. Énervée, je feignis
d’être chroniqueuse d’un guide touristique et pris quelques
notes sur mon carnet. Je poussai la comédie en l’interrogeant
sur l’adresse exacte et les heures d’ouverture. Je crois qu’il ne
comprit pas mon amertume.
Je poussai plus loin le jeu en lui posant la question suivante :
— Do you do money laundry?78
Plutôt surpris, il me questionna :
— Who are you?
78
— Faites-vous du blanchiment d’argent ?
79
— I’m from everywhere.79
Il me ficha la paix. À la table d’à côté, un homme et une
femme avaient l’air de se disputer. J’envoyai à David le message suivant :
Je crois que je suis en train d’assister à une rupture dans
un resto. Ça ne m’étonne pas vu le type de resto ;-)
Je demandai un doggy bag pour emporter les restes, que je
ne voulais pas gaspiller, malgré tout. Après quelques pas sur
le trottoir, je croisai un homme en train de fumer. Je
l’abordai. Il se présenta comme le manager du restaurant
Lucca. Lui racontant mon expérience au Pompeii Café, je ne
m’attendais pas à ce qu’il compatisse autant.
— The Pompeii Café does business with students who
spend their parents’ money.80
Je m’aperçus soudain que j’avais oublié le doggy bag sur
la table. Ce fut la cerise sur le gâteau. Je jubilai.
***
Après une nuit courte, je pris mon petit déjeuner avant de
partir pour l’aéroport. Je contai au réceptionniste ma mésaventure au Pompeii Café. L’homme me trouva épanouie. Il
m’invita à le contacter à mon prochain passage à Boston,
promettant de me montrer le meilleur de la ville. La conversation me retarda.
Je pris le métro, puis la navette pour l’aéroport. Je n’osais
pas presser le chauffeur mais finis par l’avertir que j’étais en
retard. L’homme noir voulut connaître l’heure de mon vol et
79
— Qui êtes-vous ?
— Je suis de partout.
80
— Le Pompeii Café fait des affaires avec les étudiants qui dépensent
l’argent de leurs parents.
80
me dit que j’aurais dû le prévenir plus tôt. Bizarrement, il
demanda si j’allais au Portugal.
J’arrivai au guichet d’enregistrement au moment de
l’embarquement. Je craignis que mon plan ne s’effondre à
cause d’un stupide contretemps. L’hôtesse, compréhensive et
très professionnelle, tâcha de savoir si mon sac serait sur le
même vol ou le prochain. Cela m’était égal. Voyant le pendentif en croix qu’elle portait au bout d’une chaîne en or, je la
remerciai en employant l’expression fréquemment entendue
en Afrique : « Bless you »81.
Je franchis le contrôle de sécurité et remarquai que je
n’étais pas seule à embarquer en dernière minute. J’échangeai
un moment de complicité avec une femme élégante me devançant. La galeriste me tendit sa carte en m’invitant à passer
la voir à Toronto.
***
À bord du ferry qui me transportait de l’aéroport à la ville,
je fis la connaissance d’une étudiante en gynécologieobstétrique. Dans le bus vers le centre-ville, nous rencontrâmes un Hollandais effectuant une thèse de doctorat en
écologie à Québec. Bert se moqua de la mentalité des gens de
la capitale nationale auprès de la future doctoresse, qui en
était originaire. Celle-ci, peu rancunière, nous indiqua une rue
où trouver un café sympa. En marchant, Bert m’expliqua que
Queen Street était considérée comme l’une des rues les plus
branchées de Toronto. Notre attention se porta au même moment sur l’enseigne « Café Crêpe ».
Nous nous installâmes à une table et commandâmes chacun une crêpe et un café. Je partageai mon impression que les
81
« Soyez bénie. »
81
gens de Toronto sont moins sympathiques que les Américains. En tout cas, au premier abord. Ce fut l’objet d’une
boutade de la part de Bert qui constata que la serveuse devenait plus aimable au fur et à mesure que le pourboire
approchait. Nous échangeâmes nos expériences intimes
comme le feraient deux amis de longue date. Je lui racontai
ce qui m’avait amenée à Toronto. Après avoir écouté mon
histoire, Bert me surnomma : « The girl who broke free from
herself »82.
Nous évoquâmes la musique québécoise que je connaissais peu. Je citai l’artiste Lynda Lemay que j’appréciais. Bert
vanta l’artiste québécois Bernard Adamus, dont je sauvegardai l’album sur ma clé USB.
Après que Bert eut été reparti à l’aéroport prendre sa correspondance, je demandai à l’une des serveuses de
m’indiquer une auberge de jeunesse dans les environs. Il y en
avait justement une près du parking où elle avait l’habitude
de stationner.
Le Canadiana Backpackers Inn se trouvait à quelques mètres. La réceptionniste m’attribua une chambre à l’étage. Je
traversai la salle à manger, montai les escaliers et longeai le
couloir avant d’atteindre la chambre 33.
Je pénétrai dans la pièce où se trouvaient trois lits superposés. J’adressai la parole à une fille assise en dessous du lit
que j’allais occuper. Elle leva à peine les yeux de son ordinateur portable. Elle n’avait pas l’air bavarde. Elle venait
d’Allemagne.
— What are you doing here?
— Nothing.83
82
« La fille qui se libéra d’elle-même »
— Que fais-tu ici ?
— Rien.
83
82
Sa réponse lui valut ma sympathie. J’imaginai que ce
« rien » renfermait un secret digne d’intérêt. Peut-être avaitelle fugué. À cause de ses parents ou suite à un chagrin
d’amour.
Après avoir fait mon lit, j’essayai de dormir sans succès.
Mes autres compagnes de chambre, asiatiques, firent leur
apparition sans beaucoup de discrétion. J’échangeai quelques
mots avec elles, puis j’essayai de me reposer tout en écoutant
la musique de mon iPod.
***
Deux heures avant mon rendez-vous avec David, je me levai pour me préparer. Je me dirigeai vers la salle de bain pour
me laver. Sous la douche, je m’épilai les jambes avec mon
rasoir de voyage. Je me séchai, puis j’appliquai de la crème
hydratante sur le corps et le visage. Je revêtis des sousvêtements et bas noirs, un sous-pull et une minirobe pourpre,
avant de chausser mes bottes en cuir noir. Je me séchai les
cheveux et me maquillai légèrement. Une fois prête, je descendis au rez-de-chaussée.
83
11. Rêve éveillé
Mon cellulaire ne fonctionnant plus, j’essayai de joindre
David avec le téléphone de l’auberge. Sans succès. Je communiquai donc par e-mail.
— Can I walk to the Eaton Centre? Is it where we’re
meeting?
— Be there in 20 minutes or meet me at the Delta Chelsea
lobby (Gerrard + Yonge).
— Well, I’m leaving now to Eaton.84
J’étais nerveuse et j’avais hâte de sortir marcher vers le
lieu dit. Je me mis en route sans attendre et ne vis pas le message que David m’envoya :
— OK. I’ll be there in 15’.85
Après cinq à dix minutes de marche, j’atteignis le centre
Eaton. N’y voyant pas David à l’entrée, je décidai de me rendre au Delta Chelsea. Je m’égarai et demandai mon chemin à
plusieurs personnes. Ne trouvant pas David dans le lobby de
l’hôtel, je décrochai l’un des téléphones pour appeler sa
chambre. La standardiste m’annonça qu’il n’y avait aucune
réponse.
84
— Est-ce que je peux marcher jusqu’au Centre Eaton ? Est-ce là que
nous avons rendez-vous ?
— Sois là dans 20 minutes ou rencontre-moi dans le hall du Delta Chelsea
(Gerrard + Yonge).
— Bien, je pars maintenant pour Eaton.
85
— OK. J’y serai dans 15’.
85
Désemparée, je commençai à penser sérieusement que
David avait résolu de m’éviter. Troublée par
l’invraisemblance de la situation, je ne laissais toutefois pas
tomber. Je tentai une dernière chance, réussissant à me connecter à Internet avec mon cellulaire.
— I’m at the Delta Chelsea sitting near the Christmas tree
on the red sofa.
— OK. Leaving the Eaton Centre for the 3rd time. Be there
in 7-8 minutes.86
Entre-temps, j’entamai la conversation avec une dame assise sur le sofa d’en face. Elle avait travaillé à Bruxelles et
avait beaucoup apprécié la Belgique. Au moment où elle me
demandait ce qui m’amenait à Toronto, je reconnus David
derrière moi. Je me retournai vers la femme et prononçai :
« Him »87. Synchronisme parfait.
Pour la première fois, je voyais David porter des lunettes,
accentuant son caractère intellectuel. Nous marchâmes sur
Elm Street, jonchée de restaurants. David m’emmena au Barberian’s Steak House. Le gérant nous annonça que
l’établissement était complet. Je demandai à l’homme s’il
pouvait nous recommander un autre restaurant. Il conseilla
The Queen and Beaver non loin de là. Le gérant m’offrit une
bouteille d’épices pour s’excuser, ce qui déclencha une boutade de la part de David.
Je remarquai au cours de la soirée l’aisance avec laquelle
il interagissait avec les gens. Je me sentais inférieure mais, à
ma décharge, je ne connaissais pas la ville comme lui et
l’anglais n’était pas ma langue maternelle.
86
— Je suis au Delta Chelsea assise sur le sofa rouge près du sapin de
Noël.
— OK. Je quitte le Centre Eaton pour la 3e fois. Je serai là dans 7-8 minutes.
87
« Lui »
86
Nous nous rendîmes au Queen and Beaver, pub élégant.
L’endroit était chaleureux. Les tableaux rendaient hommage
à la couronne d’Angleterre. La serveuse nous conduisit à notre table et énuméra le menu du jour. Elle s’adressa à mon
commensal avec un air aguicheur. Je ne manquai pas
d’exprimer à David mon agacement. Je lui confiai que les
plats annoncés sur l’ardoise ne m’inspiraient guère. Il remarqua avec une pointe de sarcasme qu’ayant vécu à Bristol, je
devais être habituée à ce genre de gastronomie. Je rétorquai
que je n’avais pas mangé dans des restaurants aussi chics. Je
lui parlai, en revanche, du restaurant portugais près de la maison où mes colocataires et moi avions mangé à plusieurs
reprises.
À vrai dire, je n’avais pas beaucoup d’appétit. Après un
rapide survol du menu, je prononçai mon choix : « lamb »88.
David leva des yeux ébahis : « C’est aussi mon choix. ».
Je lui montrai les messages étranges que j’avais reçus dans
l’avion.
— Je sais. C’est la première fois que ça m’arrive.
— Comment cela a-t-il pu se produire ?
— Mon BlackBerry était dans la poche de mon manteau.
Tu n’as quand même pas décidé de me rejoindre pour cela ?
Je ne me souviens plus de la réponse que je lui ai donnée.
En mon for intérieur, je savais que ces messages, comme envoyés du ciel, avaient enclenché ma prise de décision.
La conversation était naturelle et fluide, comme toujours.
À un moment, constatant que l’assiette en face de moi était
vide, je demandai :
— Tu as déjà fini de manger ?
— Tu parles plus que moi.
88
« agneau »
87
Nous bûmes une dernière bière. Dans un exposé sur les
États-Unis et le libertarianisme, je sortis une pièce de monnaie sur laquelle était inscrite la devise « Liberty »89, ce que
signifiait pour moi cette nation. Par mégarde, je fis tomber la
pièce dans mon verre, ce qui fit rire David. Il enchaîna avec
la démonstration d’un jeu auquel s’adonnent les jeunes pour
se soûler. La pièce au fond de mon verre ne m’empêcha pas
de boire. Je demandai quelle reine représentait le tableau derrière lui. Il me répondit : « Victoria ». J’aurais dû le savoir. Je
lui dis que je la trouvais laide, contrairement à Elisabeth,
jeune sur le tableau auquel je tournais le dos. Avant de partir,
je récupérai la pièce au fond du verre en le vidant.
Nous allâmes à l’hôtel. David m’invita au bar. Je choisis
un tabouret face à l’écran diffusant un match de hockey. Nos
corps s’effleurèrent au fil de la conversation. Troublée, je
renversai un peu de whisky-Coca sur moi et, par la même
occasion, sur le pantalon de David, qui s’esclaffa de ma maladresse. Il se ressaisit et lança :
— There are many secrets in my room.
— I could stay here to watch the hockey.90
Je retardai de peu l’heure fatidique.
Sans plus attendre, nous quittâmes le bar. Dans
l’ascenseur, je fis remarquer le « X » sur le tableau digital.
David consulta la personne qui se trouvait avec nous :
— This is between the floors?91
L’inconnu acquiesça.
Nous parcourûmes le corridor jusqu’au fond. David fit
glisser le badge dans la fente. Au premier coup d’œil à
89
« Liberté »
— Il y a beaucoup de secrets dans ma chambre.
— Je pourrais rester ici regarder le hockey.
91
« C’est entre les étages ? »
90
88
l’intérieur, je m’étonnai de l’ordre qui régnait. La porte se
referma sur nos secrets pour ne se rouvrir qu’au petit matin.
***
Nous fûmes réveillés à l’aube. David prit une douche et se
rasa pendant que je méditais, assise sur le lit. Je finis par
m’habiller. Compulsivement, je m’emparai des flacons de
toilette de l’hôtel et les fourrai dans mon sac à main. David se
précipita dans la salle de bain pour y vérifier les serviettes de
bain. Il était d’humeur taquine. J’ouvris la porte coulissante et
je sortis sur le balcon avec mon appareil photos. Le lever de
soleil était apocalyptique. Je lui montrai l’écran, demandant
si Toronto était reconnaissable. Il fit semblant de poser pour
la photo. Nous nous gargarisâmes du caractère cocasse de la
situation.
Nous descendîmes déjeuner. David m’indiqua avec une
pointe d’humour le restaurant, insinuant que je me dirigeais
vers le bar. Après nous être servis au buffet, nous prîmes
place à une table. Je parlais encore plus que la veille et
j’abordais des sujets plutôt personnels. Nous souffrions tous
les deux de maux d’estomac. David se rendit aux toilettes.
Quand il eut disparu, je me surpris en train d’attendre impatiemment qu’il réapparaisse. Dans la nuit, je lui avais déclaré
que j’avais l’impression que nous étions faits l’un pour
l’autre.
Après avoir quitté l’hôtel, nous marchâmes côte à côte. Il
assistait à un cours de leadership… Un dimanche.
— Je peux te poser une question ?
— Cette histoire reste entre nous, si c’est ce que tu veux
savoir.
— Il ne s’agit pas de ça. Que feras-tu si tu es enceinte ?
— Ce sera le plus beau cadeau, rebondis-je.
— Tu es folle. Il faudra prendre plus de précautions à
l’avenir.
89
Il me dit que j’étais encore plus folle qu’il ne pensait car,
selon lui, il n’avait pas de temps à me consacrer. Il ajoutait
qu’il finirait par me décevoir. Tandis que nous approchions
du « carrefour de l’au revoir », la pluie commença à tomber.
Je m’exclamai : « Tears of God »92. David sourit.
Il m’indiqua de prendre à gauche pour rentrer à l’auberge
de jeunesse tandis qu’il partirait à droite. Je prononçai le mot
« hug »93, le serrant dans mes bras, et pivotai de mon côté. Je
m’éloignai sans me retourner, me rappelant le mythe
d’Orphée et d’Eurydice.
Quelques mètres plus loin, je vis une statue représentant
une femme enceinte, causant avec une femme en train
d’allaiter. Deux enfants jouaient à leurs pieds. Je les photographiai et découvris qu’il s’agissait du Hospital for Sick
Children.
Allant contre la volonté de David, je décidai de rebrousser
chemin et de visiter la partie haute de la ville. Je traversai
Queen’s Park, où m’apostrophèrent deux femmes. Celles-ci,
chinoises, avaient déposé sur le sol une banderole avec
l’inscription « Falun Dafa is Good »94.
Armée de mon appareil photos, je mitraillai les monuments, y compris la statue de la reine Victoria, et tous les
signes que je croisais. Je parcourus les rues bordant le parc. À
un moment, je m’arrêtai devant une pancarte accrochée au
poteau d’un feu de signalisation : « You’ll miss me when I’m
gone »95.
Après avoir visité les environs du parc, en me laissant porter, j’arrivai sur le campus de l’université de Toronto. Le
cadran sur une façade affichait 8 h 50. Me sentant légère et
92
« Larmes de Dieu »
« câlin »
94
« Falun Dafa est bon »
95
« Je te manquerai quand je serai partie »
93
90
d’humeur lyrique, je m’assis sur un banc en retrait pour
écrire.
Thank you God.96 Pour l’avoir mis sur ma route. Pour le
meilleur et pour le pire.
Tout était écrit et tout sera écrit.
Last night was almost like a dream. It’s not. It’s intangible, impalpable.97
Cela ne fait pas longtemps que l’on se connaît. Et pourtant, ça semble une éternité.
Je ne vais que survoler Toronto. Avec un nom pareil, on
ne peut pas rester en place.
On ne peut que se laisser porter par le vent.
***
J’estimai qu’il était temps de rentrer, mais, avant, je
m’assignai une mission. Je voulus laisser un mot à David. Je
croyais que son cours se terminait à midi. Je tentai
d’identifier le bâtiment où il se trouvait, mais je me dis qu’il
valait mieux retourner au Chelsea, 33, rue Gerrard. J’essayai
de me rappeler le numéro de la chambre où il avait laissé ses
bagages. Je me souvins lui avoir dit que le numéro ressemblait à l’année de ma naissance.
J’écrivis dans mon carnet : « I don’t know when but we
will meet again. At least I hope. »98 Je détachai le feuillet et le
glissai sous la porte de la chambre 1881. Le cœur en fête, je
m’en allai après avoir ramassé une carte d’affaires de l’hôtel
sur un présentoir.
96
Merci Dieu.
La nuit dernière était presque comme un rêve. Ça n’en est pas un. C’est
intangible, impalpable.
98
« Je ne sais pas quand mais nous nous reverrons. Du moins, je
l’espère. »
97
91
12. Dispute
Dans le courant de l’après-midi, je m’assis dans la salle
commune de l’auberge de jeunesse avec mon lap top. Mon
attention se porta sur une Belge discutant avec une Japonaise.
Je m’immisçai dans la conversation. La Bruxelloise, qui effectuait un séjour linguistique aux États-Unis, était loquace.
Elle m’exprima son contentement de rencontrer une compatriote. Sa famille lui manquait.
En fin d’après-midi, je reçus un e-mail de Charles insinuant qu’il savait que j’étais à Toronto avec David. L’une des
phrases parues sur mon blog lui avait mis la puce à l’oreille :
« L’Amour joue un rôle. De là l’importance de ne pas se
couper des autres, de ne pas lutter contre ses sentiments, de se
laisser porter par l’élan du cœur, la Passion. »
Pourtant, cette phrase s’intégrait dans un texte rédigé durant le vol San Francisco-Milwaukee, bien avant l’échange de
messages avec David et ma décision de le rejoindre.
Je transférai l’e-mail de Charles à David. Un échange
s’ensuivit, dans lequel David semblait peiné et ennuyé. Nous
décidâmes de nous rencontrer à l’hôtel avant son départ pour
l’aéroport.
***
En chemin, je me sentais à la fois vacillante et prête à affronter mon destin. Je n’avais d’autre choix, à vrai dire, que
celui de faire face à la réalité.
93
J’arrivai en avance. Je ne tenais pas en place. Je changeai
plusieurs fois de guet. David me rejoignit dans le lobby tandis
que je me tenais au centre, où nous nous étions retrouvés la
veille. Il avait récupéré ses bagages. Avait-il trouvé le message que j’avais glissé sous sa porte ? Je n’avais pas pensé, en
tout cas, le revoir de sitôt.
J’avais élaboré un scénario et j’entamai le dialogue en
prononçant ces mots :
— Je connais le chef d’accusation, mais je sais quoi dire
pour ma défense.
Au lieu de cela, devant l’expression sérieuse de David, je
prononçai une autre phrase, préparée également :
— Tu te fais l’avocat de Charles ?
Il n’avait pas vraiment envie de rire. David manifesta son
désir de s’écarter du monde alentour, « des gens de Toronto ».
Nous sortîmes. Un chauffeur de taxi nous interrompit. David le pria de patienter.
David parlait en anglais. Je m’exprimais en français.
Il voulut savoir si j’avais d’autres attentes par rapport à
notre relation. Je répondis « aucune ». Je ne sais pas si je feignais ou disais la vérité.
J’aurais pu lui dire : « Tes enfants sont une excuse pour ne
pas prendre de décision. »
Toutefois, cela ne m’a pas effleuré l’esprit.
Au lieu de cela, je lui dis : « Je comprends que tu as des
responsabilités, notamment envers tes enfants. »
David me dit avec un air de compassion que je n’avais pas
l’air bien.
— Ça va. C’est normal que tu partes de ton côté, moi du
mien. J’ai prévu d’aller au cinéma.
94
À un moment de la conversation, il s’approcha de moi, esquissa le geste de me serrer dans ses bras et me dit : « Thank
you »99.
— When are you going back to Montreal?100
— C’est déjà la troisième fois que tu me poses la question.
Je t’ai dit que je ne savais pas. I’m going to the cinema.101
En m’éloignant, je sentis le sol se dérober sous mes pas.
Je passai devant une vitrine représentant des scènes de
Noël avec des poupées. Je m’attardai avec émotion devant la
vitre. Je regagnai le quartier de l’auberge. Je ne me rappelle
plus m’être sentie aussi échouée, comme une épave au fond
de l’eau se laisse entraîner par le courant. J’allai au cinéma
comme prévu. Qu’avais-je à faire de mieux ?
Je vis le pire film de ma vie : The Descendants avec
George Clooney. Mon état n’y était peut-être pas étranger.
Mon monde intérieur s’était écroulé, avec moi engloutie dessous.
Plus tard, dans la soirée, j’envoyai cet e-mail :
Here is what I think from an honest point of view:
I had a great night with you. Something today messed it
all. I hope you realize that these things happen.
Anyway, I knew you are unwilling to change the way you
are living (and I am aware of your responsibilities).
I am upset because we separated upon a delicate discussion.
I am in love with you but the situation is complicated and
you are enigmatic.
99
« Merci »
— Quand rentres-tu à Montréal ?
101
Je vais au cinéma.
100
95
I am not expecting something from you. The way it had
been so far was fine with me. I even thought that your “business” would match my desire for liberty.
The incident of this afternoon trickles down from the way I
have been dealing with the situation emotionally. I may say,
even if this doesn’t concern you, that this problem emerges
from the choice I have made prior to meeting you. I totally
misconducted in my relation with C.
I have been in a transition for about two years. I would
like to believe that this is my time to aspire to a better life. We
could say it is possible to make it happen. My heart tells me
somehow that these things happen naturally.
I may be too confident or wrong. It is impossible to know
the truth regarding such issues.
I really wish you well.102
102
Voici ce que je pense d’un point de vue honnête :
J’ai passé une nuit formidable avec toi. Quelque chose aujourd’hui a tout
gâché. J’espère que tu réalises que cela arrive.
Je savais de toute façon que tu ne veux pas changer ta manière de vivre
(et je suis consciente de tes responsabilités).
Je suis contrariée parce que nous nous sommes séparés sur une discussion
délicate.
Je suis amoureuse de toi mais la situation est compliquée et tu es énigmatique.
Je n’attends rien de toi. Les choses me convenaient jusqu’à présent. Je
pensais même que ton « business » conviendrait à mon désir de liberté.
L’incident de cet après-midi découle de la manière dont j’ai géré la situation émotionnellement. Je pourrais dire, même si cela ne te concerne pas,
que ce problème émerge du choix que j’ai fait avant de te rencontrer. Je
me suis totalement méconduite dans ma relation avec C.
J’ai été dans une transition depuis environ deux ans. J’aimerais croire que
mon heure est venue d’aspirer à une vie meilleure. On pourrait dire qu’il
est possible de provoquer la chance. Mon cœur me dit en quelque sorte
que ces choses se font naturellement.
96
Je suis peut-être trop confiante ou j’ai tort. Il est impossible de connaître
la vérité à ce sujet.
Je te souhaite vraiment du bien.
97
Deuxième partie
1. Monologue
Je réservai le bus pour New York. Les noces étaient consommées avec Toronto, qui avait meurtri mon cœur. Trop de
souvenirs, qui plus est délicats vers la fin, restaient attachés à
cette ville.
Le 5 décembre au matin, je me rendis au Coach Terminal.
La compagnie Greyhound me réconcilia avec les voyages en
autocar. Je branchai mon lap top et écrivis durant le trajet.
I hope you are OK.
I am on my way to The Big Apple.
The theme I found for this trip is John J. Fitz Gerald, who
popularised the nickname of NYC.
I will also probably Occupy Wall Street. They are looking
for French translators.103
Je rédigeai un article que je publiai sur mon blog et diffusai par e-mail à mon groupe de contacts de Montréal.
Peut-on réussir en suivant son cœur et qu’est-ce que le
succès ?
103
J’espère que tu vas bien.
Je suis en route pour La Grande Pomme.
Le thème que j’ai trouvé pour ce voyage est John J. Fitz Gerald, qui a
popularisé le surnom de NYC.
Je vais aussi probablement occuper Wall Street. Ils cherchent des traducteurs français.
101
Un ami m’a dit que la plus grande réussite, c’est d’être
capable de garder ses amis. Ceci veut-il dire que le succès
équivaut à l’amitié ?
C’est une question importante dans un monde où « le
temps, c’est de l’argent ». Le temps est devenu un attribut
pour faire de l’argent, ce qui se traduit en travail. Le temps
qui reste à profiter de sa vie personnelle est rare, résultant en
choix difficiles concernant le temps partagé entre famille,
amis et hobbies.
En parallèle, l’argent est devenu une mesure de succès et
de bonheur. L’argent fut à l’origine utilisé pour remplacer le
troc qui se révéla impraticable tandis que les biens échangés
étaient substantiellement différents. Le premier critère utilisé
pour fixer la valeur de ces biens fut le temps requis pour la
production de chaque bien. Les choses se compliquèrent au
fur et à mesure que le commerce grandissait internationalement. Le temps ne devait plus être le seul élément pris en
considération : s’ajoutèrent, entre autres composantes, le
coût du transport et les salaires (après l’abolition de
l’esclavage). Avec la croissance de l’économie, l’offre se
diversifia en produits mais aussi en services.
Finalement, nous vivons dans un monde où l’argent a
remplacé le temps. Nous avons plus d’argent mais moins ou
pas de temps. Paradoxalement, nous aimerions avoir plus de
temps pour dépenser plus d’argent. Avec si peu de temps, le
boom d’Internet et des technologies dérivées émergea au bon
moment, facilitant les transactions et interactions et épargnant un temps précieux.
L’inconvénient que je perçois dans un monde semblable,
où l’argent gouverne et est au centre de nos vies, c’est que
l’argent influence de plus en plus nos choix. Par exemple,
j’ai rencontré un homme, né à Maurice et vivant à Montréal,
qui a voyagé dans une autre ville pour participer à une étude
102
pharmaceutique. Il a testé des médicaments pour l’épilepsie
pour voir comment il réagirait. Il a dit qu’il faisait seulement
cela pour l’argent afin de réaliser son rêve d’aller à Hawaii.
Tandis que certaines personnes, comme moi, peuvent voir
dans de telles expériences une façon d’aider la recherche à
progresser et soigner des gens – bien que les compagnies
pharmaceutiques fassent des affaires –, il voit uniquement
l’argent en retour.
Je me demande quel est l’impact de l’argent en ce qu’il est
lié à chacun de nos actes, à quelques exceptions près.
L’argent indique-t-il combien nous apprécions quelqu’un ?
Je ne pense pas que les riches aiment plus que les pauvres.
L’argent peut-il acheter les rêves ? La réponse est évidemment « non », mais nous lions généralement l’argent et ce
qu’il peut acheter avec nos désirs et comment ils peuvent être
satisfaits. Par conséquent, l’argent est devenu le moteur
principal de nos vies. D’instrument d’échange, l’argent a
évolué pour devenir un moyen de jugement, jouant un rôle
significatif dans la manière dont nous menons nos vies.
L’homme aspire encore à être heureux, signifiant également être riche. Pour atteindre ce but, les gens se reposent
sur Dieu, les drogues au sens large, l’argent, les technologies, etc. Je voudrais revenir à l’affirmation de mon ami en
concluant que garder ses amis dans ce monde qui est le nôtre
est ce qu’il y a de plus difficile, et si quelqu’un y réussit,
il/elle doit être, en effet, exceptionnel(le).
J’envoyai cet autre e-mail à David :
In case you didn’t notice, this article is dedicated to you.
I know you don’t like to attract interest. You don’t deserve
it, right?
I am getting to know myself better and I think we have the
following in common:
103
- Perfectionism (lack of self-esteem). This has a lot to
do with the education received at home, school, etc.
- Independence
- Philosopher
- Hypercritical (cf. first point)
I said you were enigmatic. Unfortunately for you I love
enigmas of that kind. This has been the subject of my life ever
since.104
Une réminiscence musicale, donc sensible, liée à mon vécu à Bristol se manifesta. Je téléchargeai l’album O de
Damien Rice.
Some find it depressing, but I don’t: it’s melancholic.
I just downloaded the album and saw it was released in
Ireland on February 1, 2002.
My relatives are getting worried about me and it pisses me
off.105
104
Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, cet article t’est dédié.
Je sais que tu n’aimes pas susciter l’intérêt. Tu ne le mérites pas, pas
vrai ?
J’apprends à mieux me connaître et je pense que nous avons ceci en
commun :
- Perfectionnisme (manque d’estime de soi). Cela dépend beaucoup de
l’éducation reçue à la maison, l’école, etc.
- Indépendance
- Philosophe
- Hypercritique (cf. premier point)
J’ai dit que tu étais énigmatique. Malheureusement pour toi, j’aime les
énigmes de ce genre. Cela a été le sujet de ma vie depuis lors.
105
Certains trouvent que c’est déprimant, mais pas moi : c’est mélancolique.
104
Tout en écoutant les morceaux, je partageai mes pensées
avec David :
En écoutant la chanson Amie, je pourrais ajouter une
qualité que nous partageons :
Sensibilité
Et je te comprends. Je suis contente de parler avec des
gens qui me comprennent. Je pense que j’en ai rencontré
quelques-uns ces derniers mois, dont toi.
Désolée de te déranger.
J’ai beaucoup de temps pour faire des recherches.
Bien que j’aie déjà lu l’article Wikipédia sur la mélancolie, ceci semble pertinent dans ce contexte :
« Une gravure allégorique célèbre d’Albrecht Dürer
s’intitule Melencolia I. Cette gravure représente la mélancolie comme l’état d’attendre que l’inspiration frappe, et pas
nécessairement comme une affliction dépressive. »
Es-tu un mélancolique ? Tu ne vas pas répondre à cette
question.
Je suis certainement une mélancolique. Cela aide de savoir qu’il y a plein de personnes talentueuses qui le sont : des
artistes, des politiciens… Je pense à Abraham Lincoln. Mais
c’est encore plus utile de rencontrer des personnes semblables.
Il y a un meilleur mot que « compliqué » pour nous décrire, suggéré par mon thérapeute, qui est « complexe ».
Celui-ci a une connotation plus positive.
Je ne pense pas que les thérapeutes savent quoi que ce soit
au sujet des gens comme nous. Ils ne vivent pas avec la mé-
Je viens de télécharger l’album et j’ai vu qu’il était sorti en Irlande le
1er février 2002.
Mes parents s’inquiètent pour moi et cela me fait chier.
105
lancolie et, personnellement, je ne suis pas bonne avec les
thérapeutes.
J’ai commencé à ressentir le mal de vivre adolescente. Je
vis mieux maintenant, je pense. Il y a aussi d’autres concepts
et ressources utiles : résilience (Boris Cyrulnik), douance
(Guy Corneau, blog de Suzanne LaBrie).
Quand je m’élève très haut, je m’attends toujours à tomber très bas. La dernière fois, c’était quand j’ai rencontré C.
au Liberia (mars 2008). Comme je te l’ai dit, j’étais euphorique, extrêmement heureuse. Je me suis précipitée pour vivre
sur la plantation avec lui parce que j’étais inspirée pour
écrire (inspirée par l’assassinat sur la plantation et l’amour).
Puis, j’ai succombé au doute, j’ai arrêté d’écrire quelque
temps et j’ai été dans l’impasse par la suite. Vivre au Cambodge m’a aidée à me concentrer sur la découverte d’un
nouveau pays et de nouvelles cultures (khmère et phnong).
La mélancolie est probablement la raison pour laquelle je
bouge constamment, plutôt que la raison que je t’ai donnée
auparavant, qui était de m’éloigner de ma famille.
Ce serait bien si je pouvais transformer cela en un moteur
pour avancer dans ma vie.
Si je peux ajouter quelque chose :
Lars von Trier a réalisé le film Melancholia.
***
Je fis la connaissance de Troy qui se rendait chez lui à
Buffalo. Nous entretînmes une conversation philosophique en
passant le contrôle de la douane.
Cette rencontre m’inspira un post de blog.
Les humains selon Troy, étudiant en philosophie
J’ai parlé avec Troy, étudiant américain en philosophie et
français, que j’ai rencontré dans le bus. Je lui ai demandé
s’il pense que les hommes sont bons ou mauvais dans
106
l’ensemble. Il a expliqué qu’il croit en l’évolution et que, selon cette conception, il considère que les êtres humains ont
gardé des mécanismes primitifs, tels que ceux liés à la survie,
comme voler et tuer, alors qu’il les juge obsolètes dans des
sociétés avancées comme la nôtre. Cela soulève beaucoup de
réflexions…
***
Salut.
Je suis encore dans le bus. J’ai dormi un peu et, quand je
me suis réveillée, j’ai éprouvé du doute.
Je suis allée aux toilettes et, de retour dans le bus, j’ai
commencé à me sentir claustrophobe. D’autant plus avec ces
gens autour de moi, comme ces deux voisins dont la musique
bruyante me tape sur les nerfs.
Je sens que Montréal me manque, mais ce qui est probable, c’est que j’ai peur d’aller trop loin, vers l’inconnu, et je
me sens seule. Personne à qui parler ;-)
Je doute de m’être déjà sentie chez moi quelque part.
Je suis sûre que je serai mieux une fois que j’arriverai à
NY. Je l’espère.
Oui, ces sentiments sont aussi bons et je vais jouir de la
liberté.
J’espère que ton estomac va mieux.
David, je suis inquiète pour toi.
J’apprécierais de savoir si tu es OK concernant la discussion que nous avons eue avant ton départ hier.
Ça me semble il y a bien longtemps.
Depuis que j’ai commencé à voyager, chaque jour semble
différent et j’ai remarqué que j’ai perdu la notion habituelle
du temps. Hier semble si lointain et la semaine dernière
paraît plus longue que d’habitude. L’intensité est tellement
107
plus forte que lorsque j’étais à Montréal. Ces sept mois me
semblent vides en comparaison à cette semaine.
Je vis au jour le jour. Je ne sais pas encore où je vais
dormir mais je sais que ce n’est pas un problème. À Toronto,
j’ai facilement trouvé une auberge en interrogeant les personnes locales.
Je vais écrire à présent (L’Histoire de O – je rigole).
Autre chose que j’ai remarquée, je ne me suis jamais réveillée aussi tôt en allant me coucher aussi tard. J’en conclus
que je m’ennuyais beaucoup avant.
Le plus gros problème auquel je puisse penser dans mon
voyage est le fait que mon permis de travail est seulement
valide au Canada et que je vais dans une autre direction !
Une femme de Paris m’a demandé si je travaillerais au
black. Comme j’y ai pensé par la suite, je l’ai déjà fait, en
réalité depuis que j’ai quitté la Belgique, c’est ce que j’ai
fait.
Je t’aime encore. C’est difficile d’arrêter. Pas sûre que ce
soit ce que tu veux.
108
2. Errances musicales
Débarqués au croisement de 7th Avenue et 28th Street, les
passagers attendirent de récupérer leurs bagages en soute.
Une jeune femme, aperçue dans les toilettes au cours d’un
arrêt, se tenait près de moi. Je lui demandai si elle pouvait
m’indiquer un endroit où loger. Elle me répondit qu’elle avait
réservé dans une auberge de jeunesse et que je pouvais
l’accompagner. Nous fîmes un détour par un distributeur
d’argent car elle voulait acheter un billet pour le concert de
Lady Gaga. Après qu’elle se fut renseignée sur le prix des
places en vente au guichet, elle décida de se rabattre sur le
commerce en ligne, malgré l’insécurité de ce mode d’achat.
Nous pénétrâmes dans une bouche de métro. J’appris que
ma compagne allemande travaillait dans une ferme de
l’Ontario où elle était logée, nourrie et blanchie dans le cadre
d’un programme intitulé Farmstay.
Nous arrivâmes au Hostelling International sur Amsterdam Avenue. Je déposai mes affaires dans la chambre 331
avant de partir à la découverte des lieux. Tout en arpentant
les différents étages de l’immeuble, je pensais à David et
marquai une pause dans l’intimité lumineuse de la salle de
projection pour lui faire part de mes sentiments.
Soul
I know you don’t want to listen to your heart.
But what’s your soul saying?
Mine is very expressive since I met you.
109
Although I’d like to be more rational, I see signs (the last
being the number 33) that make me think things are meant to
happen.
It doesn’t really matter. I just hope I can see you again
with serenity.106
Je partageai avec lui des chansons berçant des fragments
de mémoire associés à une époque particulière de ma vie.
Robbie Williams’ Angels: a meaningful song
I heard that song on the radio when I was in Ireland in
February 1997 and when I heard it again afterwards, it always brought me back to that period of my life. I bought
Robbie Williams’ best of when I was in Belgium on my own.
The message of this song is GREAT and relevant107.
Frozen, Madonna
This is another song I heard on the radio while in Ireland.
The clip is great.
I must have made a mistake about the year I was in Ireland because it is said this title was released as a single on
Feb. 23, 1998. (Wikipedia)
106
Âme
Je sais que tu ne veux pas écouter ton cœur.
Mais que te dit ton âme ?
La mienne est très expressive depuis que je t’ai rencontré.
Bien que j’aimerais être plus rationnelle, je vois des signes (le dernier
étant le nombre 33) qui me font penser que les choses sont censées arriver.
Ça n’a pas beaucoup d’importance. J’espère simplement que je puisse
encore te voir en toute sérénité.
107
Angels de Robbie Williams : une chanson pleine de sens
J’entendais cette chanson à la radio lorsque j’étais en Irlande en février 1997 et quand je l’ai réentendue par la suite, cela m’a toujours
ramenée à cette période de ma vie. J’ai acheté le Best of de Robbie Williams lorsque j’étais seule en Belgique.
Le message de cette chanson est GÉNIAL et pertinent.
110
Indeed, I had just turned 17.108
More music of 1998
In that same period, there was also
Céline Dion, My Heart Will Go on
Near, far
Wherever you are
I believe that the heart will go on
These songs were also playing around that time
Truly Madly Deeply by Savage Garden. Clip filmed in
Paris.
Torn by Natalie Imbruglia. I hope this one will never be
my destiny.
There was another song I’d like to remember. I am sure I
will at some point.109
***
108
Frozen, Madonna
Ceci est une autre chanson que j’entendais à la radio en Irlande.
Le clip est génial.
J’ai dû commettre une erreur à propos de l’année de mon séjour en Irlande parce qu’il est dit que ce titre est sorti comme single le 23 février
1998. (Wikipédia)
En effet, je venais juste d’avoir 17 ans.
109
Plus de musique de 1998
Durant cette même période, il y avait également
Céline Dion, My Heart Will Go on
« Près, loin
Où que tu sois
Je crois que le cœur continue de battre »
Ces chansons passaient également en ces temps-là
Truly Madly Deeply de Savage Garden. Clip filmé à Paris.
Torn de Natalie Imbruglia. J’espère que ceci ne sera jamais ma destinée.
Il y avait une autre chanson dont j’aimerais me souvenir. Je suis sûre que
ça va me revenir à un moment.
111
Last song
Here we go:
Lighthouse family, High110
Now my favorite film :-)
Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain
This film for me is about soulmate love and destiny.
I’m connecting the dots, looking backwards, as Steve Jobs
told students in a conference at Stanford Uni.
I also remembered today when I was at the marché JeanTalon an encounter with a so-called philosopher. He told me
that I looked “en carence”. I wasn’t feeling well. He asked
me which month in the year I was born. He told me that because I am a February born, thus in winter, I am the opposite
of the summer and I lack sun.111
***
You’re not responsible for what happens
Actually my life changed since I started letting myself go
with the music (could be the wind too). Now I am living one
day at a time.
110
Dernière chanson
La voici :
Lighthouse family, High
111
Maintenant mon film favori :-)
Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain
Ce film pour moi parle de l’amour entre âmes sœurs et du destin.
Je fais le lien, en regardant en arrière, comme Steve Jobs l’a dit aux étudiants lors de la conférence à Stanford Uni.
Je me suis aussi souvenue aujourd’hui d’une rencontre au marché JeanTalon avec un soi-disant philosophe. Il m’a dit que j’avais l’air « en carence ». Je ne me sentais pas bien. Il m’a demandé quel mois de l’année
j’étais née. Il m’a dit que parce que je suis née en février, donc en hiver,
je suis l’opposée de l’été et que je manque de soleil.
112
Wind of Change, Scorpions112
***
Précision
Ma vie a changé lorsque j’ai commencé à me laisser porter par la musique, et surtout par la personne que je suis en
réalité.
***
Writing is hard work, especially in a youth hostel where
people are here to have fun, mingle and be noisy. But overall
it is a good environment. I get to know people. The Chinese
guy at the cafeteria is friendly. I just met a guy who’s giving
a course on goal setting and a group of French teenagers
from Valenciennes (near my native town). I keep moving to
find quietness but it’s OK. The hostel is neat and I’m kind of
back to earlier years.113
112
Tu n’es pas responsable de ce qui se passe
En réalité ma vie a changé depuis que j’ai commencé à me laisser porter
par la musique (ça pourrait être le vent également). Maintenant, je vis un
jour à la fois.
Wind of Change, Scorpions
113
Écrire est un travail difficile, en particulier dans une auberge de jeunesse où les gens sont ici pour s’amuser, se fréquenter et faire du bruit.
Mais, dans l’ensemble, c’est un bon environnement. Je fais des connaissances. Le gars chinois de la cafétéria est sympa. Je viens de rencontrer
un homme qui donne un cours sur l’établissement d’objectifs et un groupe
d’adolescents français de Valenciennes (proche de ma ville natale). Je
continue à me déplacer pour trouver la tranquillité mais ça va. L’auberge
est propre et je vis comme un retour dans le passé.
113
3. Rencontre avec un ange
Assise sur mon lit, le regard fixant l’ordinateur posé sur
mes cuisses, j’entendis des voix s’approcher. Une femme
entra la première, escortée par un homme. Ils ne remarquèrent pas mon « hello » discret. Quand j’eus fini d’envoyer des
e-mails et de rédiger des articles pour mon blog, je me dirigeai vers la dame, en train de ranger.
— How are you?
— Fine. And you.114
Mon interlocutrice me dit qu’elle venait de « Miami, Florida ». Je me présentai à mon tour.
— Je suis belge et je vis à Montréal, Québec, depuis sept
mois.
— Quelle est ta profession ?
Je ne sus quoi répondre dans un premier temps.
— J’écris.
— Qu’écris-tu ?
— J’ai commencé un roman, mais je n’étais pas prête à
l’époque.
— Quel âge as-tu ?
— 30 ans.
— Tu es prête maintenant.
114
— Comment allez-vous ?
— Bien. Et vous ?
115
Je lui expliquai que j’étais venue à Montréal avec mon
compagnon, avec qui j’avais vécu trois ans, et que je l’avais
laissé pour voyager.
— Quel âge a-t-il ?
— 33 ans.
— Il est encore jeune.
Après un bref silence, elle affirma : « Ne t’encombre pas
d’un homme qui t’attire vers le bas. Tu as besoin d’un
homme qui a de l’argent. »
Elle me raconta qu’elle avait eu la chance de voyager, de
faire du bateau, de s’amuser et que tout ce qu’elle avait attendu des hommes, c’était de l’aventure.
« Ni argent, ni sexe, car ces derniers sont présents dans
toute relation. »
Je l’interrogeai pour savoir si, à son âge, elle ne regrettait
rien de sa vie et si elle vivait seule actuellement.
— Je fais ce qui me plaît, aujourd’hui encore.
Je m’assis sur le lit en face d’elle. Elle me montra comment elle se maquillait le visage sans fard. Elle préleva du
rouge sur ses lèvres et l’appliqua du bout des doigts sur les
pommettes et le front. Ses ongles rubis avaient été vernis
avec soin. Elle trouvait que nous étions pareilles, elle et moi,
et compara son visage et le mien. Elle remercia nos parents
de nous avoir donné de beaux yeux. Elle poursuivit en expliquant qu’elle préférait que ses cheveux soient plus courts,
qu’il convient de dégager le visage quand il est beau, qu’elle
aime tout de même quand les cheveux sont un peu longs dans
la nuque, comme moi. Je justifiai ceci par le fait que j’ai un
long visage. Elle acquiesça.
— Mon visage est plus court, mais tes lèvres sont plus
pleines. C’est ce que les hommes aiment.
Elle continua de m’examiner et me dit sur un ton paternaliste :
116
— Tu ne dois pas avoir peur d’être sexy.
Elle se mit en tête de m’enseigner l’art de la séduction.
Elle mima le sourire à adresser aux hommes en les saluant. Je
lui dis que les femmes heureuses attirent le regard des hommes.
— Ce n’est qu’en étant heureux soi-même que l’on peut
rendre les autres heureux.
— Tu as raison.
Lorsqu’elle remarqua que j’avais un nez européen, je rétorquai sur le vif :
— Juif !
— Es-tu juive ?
— Non, en principe.
— Je suis juive, me lança-t-elle.
Cette information alluma un point d’interrogation.
— Connaissez-vous le déficit en facteur XI ?
— Are you oversexed?115
Ce mot me laissa perplexe.
— C’est pour rire… Comment sais-tu que tu es atteinte de
cette pathologie ?
— Je l’ai appris à la suite d’une opération.
— Quel genre de chirurgie ?
Après un bref instant d’hésitation, je lui révélai :
— Liposuccion.
— Où ça ? s’étonna-t-elle.
— Les fesses et les cuisses.
Elle répliqua :
— Attention ! Il ne va plus rien te rester… C’est quoi cette
maladie ?
— Une légère hémophilie, répondis-je.
J’ajoutai :
115
— Es-tu obsédée par le sexe ?
117
— On ne peut pas prévoir quand ça arrive. Le médecin a
mentionné que cette anomalie prévaut chez les juifs.
Je questionnai ma nouvelle compagne de chambre sur son
âge.
— Je suis probablement plus vieille que tu ne penses, me
dit-elle, me mettant au défi de deviner.
Craignant de la vexer, j’affirmai mon respect à l’égard des
personnes âgées et exprimai l’estime que je leur voue. Je lui
donnai dans les soixante-dix ans, ce qu’elle confirma.
— Comment vous appelez-vous ?
— Barbara Abraham.
Barbara voulut savoir si j’avais des frères et sœurs.
— Deux sœurs.
— Quelle est leur profession ?
— L’une est psychologue et l’autre est pharmacienne.
— Elles ont une bonne éducation. Est-ce qu’elles te ressemblent ?
— Nous sommes très différentes.
— Elles ne sont pas jolies ?
— Non… Elles le sont.
— Quelle belle famille ! s’exclama-t-elle.
Je dis que mes parents se disputaient dans mon enfance,
parfois violemment, et que mes sœurs n’avaient pas été aussi
affectées que moi.
— Es-tu la deuxième ?
— La première. Ma cadette a quatre ans et demi de moins
que moi.
Barbara m’expliqua que mes sœurs étaient encore des bébés alors que j’étais assez grande pour être témoin des
disputes de mes parents. Elle me raconta qu’elle avait vu son
père rentrer à la maison et frapper sa mère dans la tête et le
ventre. Elle me conseilla de laisser ce bagage derrière moi.
118
Les larmes me montèrent aux yeux. Je porte encore ce fardeau.
Nous quittâmes la chambre. Dans l’ascenseur, Barbara
s’adressa à une fille qui descendait avec nous :
— D’où viens-tu ?
— De Russie.
— La Russie est mon pays d’origine !
En sortant au rez-de-chaussée, Barbara me questionna :
— As-tu des enfants ?
— Non.
— Tu es libre comme un écrivain… J’ai justement rencontré une dame charmante, qui a une galerie, dont le mari
est écrivain.
Nous parcourûmes le sous-sol où se trouvait la cuisine,
grande et moderne. Barbara tria la nourriture qu’elle avait
apportée, tout en continuant à me parler. Elle adressa un sourire enjôleur accompagné d’un « hello » à un homme qui
passait, et me jaugea avec malice :
— Tu m’as vu faire ?
— Oui. Je vous trouve gentille.
Elle murmura :
— Je voulais te faire passer un message. Il y a certainement beaucoup de garçons sympathiques dans cette auberge.
— Beaucoup d’entre eux sont trop jeunes, répondis-je. Je
devrais attendre d’être plus vieille pour m’intéresser à eux.
— Il ne faut pas attendre.
Barbara conclut que nous avions le même sens de
l’humour.
— J’ai rencontré un ange, lui confiai-je.
— Je suis tout simplement entrée dans la chambre au bon
moment.
***
119
I met an angel.
I met a seventy-year old lady, Barbara Abraham. She is
Jewish and she is a lot different from all the people I know.
She walked in my room, 331 (at Hostelling International),
at the right time…116
116
J’ai rencontré un ange.
J’ai rencontré une dame de soixante-dix ans, Barbara Abraham. Elle est
juive et est très différente de toutes les personnes que je connais.
Elle est entrée dans ma chambre, numéro 331 (au Hostelling International), au bon moment…
120
4. Liberté
Barbara makes me think. Although we’re different, she’s
much more experienced and self-confident.
I went out with kids tonight (clubbing led by the hostel). I
got bored even if I attracted some attention, and came back
alone to the hostel. People in the metro smell alcohol!
I have not visited the city yet. I was kind of working and
the weather was bad but tomorrow I may take part in the city
tour and on Friday I’m going with B. to Christie’s. 117
***
Soulmates and Dreams
I feel better today.
I had a good dream even though I don’t remember it.
I am aware that I am not like Barbara, who only use men.
I believe in win-win relations.
Seriously, I have to tell you this:
117
Barbara me fait réfléchir. Bien que nous soyons différentes, elle est
beaucoup plus expérimentée et sûre d’elle.
Je suis sortie en boîte avec des jeunes ce soir (sortie organisée par
l’auberge). Je me suis ennuyée même si j’ai attiré quelque attention, et je
suis rentrée seule à l’auberge. Les gens dans le métro sentent l’alcool !
Je n’ai pas encore visité la ville. J’étais comme occupée à travailler et le
temps était mauvais mais demain je vais peut-être prendre part au tour de
la ville et vendredi, je vais avec B. chez Christie’s.
121
I think we met for a good reason which is to help each
other accomplish our dreams in this world. That’s what
soulmates are for. Yes, we can.
In the shower, I also found a conclusion to the story I’m
writing – a surnatural one – which would surprise you.
James Brown, I Feel Good
Compare with this song, a great tune yet alarmist:
TLC, Waterfalls118
***
Tandis que j’achetais à la cafétéria de l’auberge un muffin
et une banane, je revis l’homme avec qui j’avais dansé la
veille.
— Comment as-tu trouvé la soirée d’hier ?
— Pas terrible. Beaucoup de gens très jeunes.
— Je trouve aussi.
— Quel âge me donnez-vous ?
— Trente ans ?
— Non, quarante.
118
Âmes Sœurs et Rêves
Je me sens mieux aujourd’hui.
J’ai fait un beau rêve même si je ne m’en souviens pas.
Je suis consciente que je ne suis pas comme Barbara, qui utilise seulement
les hommes. Je crois aux relations gagnant-gagnant.
Sérieusement, il faut que je te dise ceci :
Je pense que nous nous sommes rencontrés pour une bonne raison qui est
de s’entraider à accomplir nos rêves dans ce monde. C’est le rôle des
âmes sœurs. Oui, nous le pouvons.
Sous la douche, j’ai également trouvé une conclusion à l’histoire que
j’écris — surnaturelle — qui te surprendrait.
James Brown, I Feel Good
Compare avec cette chanson, un air génial, bien qu’alarmiste :
TLC, Waterfalls
122
— J’en ai trente. Si vous voulez, venez-vous asseoir avec
moi.
Je m’assis à une table. L’homme me rejoint au bout de
quelques minutes. Malgré son piètre anglais, nous entretînmes une conversation intéressante. Je lui dis que j’étais en
train d’écrire une histoire. Il me raconta qu’il travaillait
comme technicien pour un bureau d’ingénierie belgo-italien.
L’Italien avait décidé de vivre le plus simplement possible. Il
parla de son hobby, la peinture. Il reproduisait des œuvres
connues, dont celles de Munch.
Il me décrivit une toile chère à son cœur, contenant une
horloge.
— Le temps est fastidieux, me fit-il comprendre en pointant sa montre.
— Les gens courent après le temps et l’argent, dis-je, au
détriment de leurs vies.
Nous nous accordâmes sur le fait que nous sommes esclaves de l’argent au détriment du temps. Il continua à me
dépeindre le tableau en mélangeant anglais et italien : la
campagne, du blé, un arbre, une petite maison, des nuages.
Ceux-là ne se préoccupent pas du temps. Dans le ciel, il y a
des hirondelles. Selon l’adage, elles annoncent le printemps.
Il avait choisi de dessiner trois hirondelles.
— Pourquoi ?
— Les hirondelles sont le symbole de la liberté et le nombre 3 représente l’amour.
Je lui demandai si deux fois 3 – 33 – avait pour lui une signification, mais il ne saisit pas mon allusion. J’évoquai
Magritte, peintre belge, dont l’une des œuvres m’inspire la
liberté. Dans celle-ci, une colombe revient dans la nuit où
l’attend un nid : l’oiseau d’un bleu céleste, parsemé de nuages blancs, déploie le printemps.
Il me fit comprendre qu’il avait beaucoup travaillé de ses
mains et qu’il aimait cuisiner. « L’acte de cuisiner est un
123
don », me confia-t-il. Malicieusement, je lui proposai de me
mitonner un repas. J’admis que je n’étais pas bonne épouse,
faisant allusion à mon absence de derrière les fourneaux. Il
voulut savoir si j’avais été mariée. Je lui expliquai brièvement la situation.
— Quel est votre programme pour ce soir ?
— Je ne sais pas.
— Nous pourrions nous voir, enchaîna-t-il.
— Nous verrons bien si nous nous rencontrons à nouveau.
Nous échangeâmes nos adresses e-mail. Avant de le quitter pour retourner à ma chambre, je lui confiai que j’allais
m’inspirer de notre conversation. Il eut l’air content.
***
Barbara is in NYC for a lawsuit. We are both in the room.
I’m trying to write my encounter with an Italian who explained me a painting he made about liberty and Barbara is
rehearsing her speech.
From what I understand she was accused to have kidnapped a girl, maybe her daughter.
Crazy!119
***
119
Barbara est à NYC pour comparaître en cour. Nous sommes toutes les
deux dans la chambre. J’essaye d’écrire sur ma rencontre avec un Italien
qui m’a expliqué une peinture qu’il a réalisée sur la liberté et Barbara est
en train de répéter son discours.
D’après ce que je comprends, elle a été accusée d’avoir kidnappé une
fille, peut-être sa fille.
C’est fou !
124
Dans l’après-midi, je participai à la visite guidée de Manhattan. Je m’amusai beaucoup et sympathisai avec le guide et
d’autres touristes.
Au cours d’un arrêt à la Julliard School, j’aperçus à travers
la vitre du premier étage une danseuse en train de virevolter.
Cette vision me rappela mon enfance. Revenant du cours de
danse, le samedi, encore vêtue de mon tutu et portant mes
chaussons, je dansais devant la série télé « Fame ». Maman
avait poussé la table du salon. La maison sentait le parfum
frais du détergent.
Nous explorâmes Central Park et marquâmes un arrêt à
Bow Bridge, surplombant le lac, pour contempler les tours où
se niche le penthouse de Madonna. J’interrogeai le guide, né
à Israël :
— Pourquoi surnomme-t-on New York « The Big Apple » ?
— Il y a beaucoup d’explications. À mon sens, New York
est à la fois douce et acidulée, comme une pomme.
Une chanson de Damien Rice titilla mon oreille. Ravie, je
montrai mon pouce levé au chanteur grattant sa guitare.
Nous traversâmes plus tard le jardin intérieur Sculpture
Garden, où une grosse pomme attira mon attention. Ce kaléidoscope d’images juxtaposées s’intitulait A Day in The Big
Apple – 1001 de Billy The Artist.
Plus loin, à l’extérieur du MoMA, Museum of Modern
Art, une banderole rouge et blanc annonçait une exposition
sur Diego Rivera, peintre mexicain et époux de Frida Kahlo.
Nous foulâmes plusieurs places, dont la Sony Plaza,
l’Urban Plaza et la Rockefeller Plaza. Une patinoire en plein
air se blottissait entre les édifices. Un avion passa au-dessus
de nos têtes, réveillant le souvenir des attentats du
11 septembre.
Les anges lumineux claironnaient l’approche des fêtes.
Les slogans des magasins rappelaient le détournement com-
125
mercial de Noël. J’admirai la façade de style art déco de Sephora, ornée de volutes et dorures. Le guide pointa notre
attention vers l’antre des bijoutiers, Jewelers on Fifth. Le
vendeur de cigares Montecristo ajoutait à l’ensemble un
arôme exotique.
Le ciel azur éblouissait. Malgré la timidité du soleil couchant, la lumière douce flirtait avec les immeubles, caressait
les édifices chatoyants. Au Grand Central Terminal, la
pomme du magasin Apple resplendissait dans la pénombre du
hall de gare.
Nous ponctuâmes la visite à l’Empire State Building à la
tombée de la nuit. Seul un homme de mon âge entreprit avec
moi l’ascension. Je fis sa connaissance dans la file.
L’Allemand avait pris un congé prolongé pour voyager aux
États-Unis et en Amérique latine. Nous fîmes les pitres pour
la photo. De la cime du plus célèbre gratte-ciel, la vue plongeant sur New York était grandiose. La pleine lune ajoutait
une lueur féerique à l’éclairage urbain. Parodie de cinéma.
Après notre descente, Thomas et moi nous mîmes en quête
d’un restaurant. Au cours de notre marche dans le quartier
chinois, nous marquâmes un arrêt devant un étal de durians.
Le gros fruit à carapace épineuse me rappela le Cambodge. Je
fis découvrir à mon nouvel ami cette saveur du sud-est asiatique, nous mettant l’eau à la bouche pour le dîner.
126
5. Éducation féminine
Quand je fis irruption dans la cuisine de l’auberge le lendemain matin, Barbara était en pleine conversation avec le
jeune homme séduisant que j’avais croisé le premier jour.
J’avais besoin d’aide pour utiliser la machine à lessiver, mais
il était occupé au téléphone. J’ouvris la porte du frigidaire et
m’emparai de la moitié restante d’un bagel au fromage à la
crème, puis j’allai m’asseoir dans la salle à manger.
Un peu plus tard, Barbara vint vers moi.
— Désirez-vous la moitié d’une banane avec votre petit
déjeuner, madame ?
— Volontiers.
Je la suivis dans la cuisine.
— Je suis lente ce matin, me dit-elle.
— Vous n’en avez pas l’air. Vous étiez déjà en bonne
compagnie.
— Je suis rapide avec les hommes, plaisanta-t-elle.
— Je ne le trouve pas sympathique.
— C’est ton interprétation. Je le trouve sympathique. C’est
lui qui est venu vers moi.
Je lui ai demandé d’où il venait et il a engagé la conversation.
— D’où vient-il ?
— D’Espagne.
— Il me semblait bien que son anglais venait de là.
Barbara fit griller des tranches de pain aux raisins qu’elle
avait apportées avec elle. Elle était mécontente du comporte-
127
ment des gens. Elle prétendait qu’on lui avait volé des pommes dans la chambre et qu’elle avait retrouvé son pain
congelé en haut du frigidaire, alors qu’un membre du personnel lui avait dit que ses aliments seraient placés dans le bas.
— Avez-vous mis des étiquettes sur votre nourriture ?
— Ce n’est pas la peine, les gens voleront malgré tout.
Tu ne portes pas de rouge à lèvres ?
— Non. Seulement quand je sors.
— Et bien nous sortons ce soir. Quel âge as-tu ?
Je m’étonnais de cette question, car elle me l’avait déjà
posée la veille, mais je pensai qu’elle avait dû oublier à cause
de son âge avancé.
— Trente ans.
— Tu devrais mettre du rouge à lèvres. Les hommes adorent ça.
— Quelle couleur m’irait à votre avis ?
— Le mien est trop rose. Je pense que quelque chose de
plus orangé t’irait bien.
— Je vous montrerai le rouge à lèvres que j’ai. Vous me
direz ce que vous en pensez.
Barbara me demanda d’acheter deux billets en ligne pour
l’exposition d’Elizabeth Taylor chez Christie’s.
***
Barbara is trying to make my education. She wants to go
with me at Christie’s Elizabeth Taylor exhibition and make
me meet millionaires. She’s fun.120
***
120
Barbara essaye de faire mon éducation. Elle veut que nous allions à
l’exposition sur Elizabeth Taylor chez Christie’s et me faire rencontrer
des millionnaires. Elle est drôle.
128
I’m thinking of you or should I say I’m feeling you.
Going soon with Barbara to Christie’s. I’m taking care of
that old lady who’s still young in her mind. I wish I had a
grandma like her. However being friends is better.
X 121
***
Barbara s’adressa à un employé du Hostelling International afin de s’assurer que l’itinéraire de l’auberge au
Rockefeller Center comporterait le moins de marche possible. J’encourageai ma compagne à emmener son
déambulateur – au lieu qu’elle tienne mon bras durant toute
l’après-midi. Elle m’avait expliqué qu’elle marchait très bien,
mais qu’elle perdait parfois l’équilibre quand il y avait des
obstacles à franchir, telles que des marches et des dénivellations.
Dans le bus qui nous emmenait dans le centre-ville, Barbara aborda un homme, accompagné d’un jeune garçon. Mon
amie me raconta plus tard que le père était un comédien juif.
D’après leur style débraillé, jugea-t-elle, son fils et lui vivaient seuls et elle déplora l’absence d’une femme pour
s’occuper d’eux.
***
La première partie de l’exposition était consacrée aux tenues vestimentaires et aux accessoires. Une ribambelle de
121
Je pense à toi ou, devrais-je dire, je te sens.
Je pars bientôt avec Barbara chez Christie’s. Je prends soin de cette vieille
dame qui est encore jeune dans son esprit. Je voudrais avoir une grandmère comme elle. Cependant, c’est mieux que nous soyons amies.
X
129
mannequins en plastique exhibait des costumes colorés, parfois bariolés. Barbara loua l’aura d’Elizabeth Taylor et sa
beauté naturelle. Elle remarqua que je disposais d’un charme
similaire mais que je n’en tirais pas suffisamment parti. Elle
trouva également une ressemblance entre nos accents.
La deuxième partie de l’exposition présentait les meubles
et objets décoratifs. La personnalité de la star transparaissait à
travers la collection, pouvant se résumer en deux mots :
éclectisme et extravagance. Une photo de Michael Jackson
dédicacée illustrait l’intensité affective des deux amis. Un
écran diffusait des vidéos retraçant les moments phares de
l’actrice et activiste : la remise des Oscars et le discours au
Congrès pour le financement de la lutte contre le Sida.
Vint ensuite la dernière salle arborant la panoplie de bijoux portés par la célébrité, dont le fameux diamant offert par
son cinquième mari : la pierre majestueuse, symbole de
l’amour inépuisable de Richard Burton, d’une valeur de 33
carats.
***
Dans le bus du retour, Barbara me parla de ses conflits
familiaux. D’après elle, son beau-fils avait influencé sa fille.
Ils lui interdisaient de s’approcher de leurs deux enfants par
voie judiciaire. Barbara était déçue de l’issue de la séance du
tribunal. Elle maudissait la juge et son avocate. Elle ne pourrait pas voir ses petits-enfants avec qui elle avait prévu d’aller
au Children’s Center.
Barbara avait quitté New York après son divorce – son
mari s’étant révélé homosexuel – en emmenant sa fille « pour
la protéger et lui donner la meilleure éducation ». Je compris
que la mère avait placé beaucoup d’ambitions sur ses enfants.
Sa fille était médecin, mariée à un autre médecin, mais son
fils n’était pas devenu dentiste comme elle le prédestinait. De
130
plus, elle avait désapprouvé le mariage de ce dernier avec une
femme qu’elle jugeait ne pas être assez bien pour lui. Finalement, ni l’un ni l’autre de ses enfants ne lui adressait encore
la parole.
Je confiai à mon amie mon incapacité à garder un emploi.
Celle-ci conclut :
— All you’ve done so far was academic. It’s time to do
something more creative.122
122
— Tout ce que tu as fait jusqu’à présent était académique. Il est temps
de faire quelque chose de plus créatif.
131
6. Retraite en Alabama
Durant mon séjour à New York, je reçus un e-mail surprenant de Sam, me proposant de l’accompagner à Birmingham
en Alabama où il se rendait une semaine pour le travail.
Je m’attelai, avant de me prononcer, à lever toute ambiguïté.
Sounds good but I have a question: do you have any expectations towards me apart from the friendship?
When you answer this frankly I will get back to you about
this proposition. 123
***
Sam m’avait réservé un vol tôt le matin du lundi
12 décembre. Comme il n’y avait plus de chambre disponible
dans les auberges de jeunesse des environs, je décidai de ne
pas dormir la nuit précédente. Je passai l’après-midi en compagnie de Dean, Sud-Africain blanc dont les parents avaient
immigré en Australie. Le soir, je pris part au pub crawl organisé par le Hostelling International. L’attitude d’un Irlandais,
résidant en Suisse, m’irrita et je préférai quitter le troisième
bar pour rentrer à l’auberge de jeunesse. Je passai le reste de
123
Ça a l’air bien, mais j’ai une question : attends-tu de moi autre chose
que notre amitié ?
Quand tu y auras répondu franchement, je reviendrai vers toi concernant
cette proposition.
133
la soirée dans la New York Room du Hostelling International
dominée par la couleur rouge.
Vers 3 h 30, je partis avec tout mon barda en direction de
Broadway Street où j’attendis le bus qui – heureusement ! –
arriva avec quelques minutes de retard. Je descendis au premier terminal de l’aéroport La Guardia dans la
précipitation. J’appris d’un jeune homme, descendu au même
arrêt, que le terminal de la compagnie Delta se trouvait beaucoup plus loin. Je marchai jusqu’au terminal D, maudissant
mon incapacité et déstabilisée par un sentiment de doute suscité par l’aventure insolite vers laquelle j’avançais.
Enfin, j’atteignis l’aire d’enregistrement. Sam vint à ma
rencontre et s’occupa des formalités. J’étais exténuée et déprimée. Nous mangeâmes un petit déjeuner très matinal avant
l’embarquement. Peu de temps après avoir pris place à bord
de l’avion, je sombrai dans un sommeil assez profond pour
faire abstraction du bruit des enfants derrière moi. Je dormis
durant presque tout le trajet. Après ce court repos dans les
airs, je me sentais revigorée. Nous traversâmes l’aéroport de
Memphis, berceau du blues, et montâmes à bord du second
vol pour Birmingham.
***
Sam m’accompagna à l’hôtel avant de partir vers son lieu
de travail à une heure de route de Birmingham. Je pris un
bain, tant attendu et relaxant, et ne sortis de l’hôtel que pour
manger un plat grec dans un établissement voisin. Au mur de
celui-ci, un papyrus dévoilait l’origine égyptienne du propriétaire. J’emportai le reste de hummus et de pain libanais en
guise de souper. Entre-temps, je dévorais le livre que j’avais
trouvé sur l’étagère de l’hôtel : The Secret Language of Birthdays. Your Complete Personology Guide for Each Day of the
Year de Gary Goldschneider et Joost Elffers.
134
Je m’attardai longuement sur la description des personnes
nées le 1er février et le 1er novembre. La description de la
personnalité des personnes nées un 1er février me ressemblait
de manière frappante, particulièrement de par leur complexité. Elle me surprenait toutefois à certains égards, comme le
côté terre à terre et réaliste, alors que je croyais être tête en
l’air. Je me demandai si certains traits cités pour David
n’étaient pas plus proches de mon caractère, et vice-versa.
135
7. Jour de chance
Je savourai la nuit passée seule dans la chambre d’hôtel et
le réveil avec moi-même. Cela me changeait de l’auberge de
jeunesse. Une fois prête, je descendis au lobby, avec mes
bagages car j’avais décidé de rejoindre Sam près du lac Guntersville. Je replaçai le livre sur l’étagère du lobby.
Je me présentai à la réception. La réceptionniste crut que
j’étais française. En apprenant mon origine, elle me dit que sa
meilleure amie était belge, du côté flamand du pays. Megan
avait passé deux ans en Espagne et voulait vivre en Europe,
plus précisément aux Pays-Bas. Elle étudiait le néerlandais.
Le bistro de l’hôtel étant fermé, elle me conseilla d’aller
manger à la cafétéria de l’hôpital universitaire.
***
Je croisai dans le corridor des bénévoles pour une collecte
de sang. À l’une des femmes qui m’interpella, je dis que
j’avais vécu en Afrique et que, pour cette raison, je ne pouvais sans doute pas donner. La femme fit signe à sa collègue
de nous rejoindre afin qu’elle s’entretienne avec moi. La
dame, vêtue d’un costume de Noël, voulut savoir si j’avais
vécu en Europe et à quand remontait la dernière fois.
— De septembre 2010 à avril 2011.
— Avez-vous été en Europe de 1980 à 1996 ?
— Oui.
L’Américaine m’expliqua qu’en Grande-Bretagne les
bœufs avaient été nourris avec des farines animales et que
137
j’avais certainement consommé de la viande contaminée. Elle
conclut que le paludisme est une maladie à court terme, contrairement à la vache folle, qui a des conséquences à long
terme. Je ne m’attendais pas à une telle sentence et, médusée,
j’emportai une nouvelle aussi inquiétante que celle-là.
Je commandai un café et un sandwich en guise de breakfast au Starbucks. Je m’assis à une table avec mon brunch.
Des gens, probablement employés de l’hôpital pour la plupart, allaient et venaient. Je me levai pour obtenir un verre
d’eau. La caissière voulut savoir si mon café était assez
chaud. Je saisis la pertinence de sa question quand, à la première gorgée, le breuvage se révéla anormalement tiède.
***
En me dirigeant vers la sortie, je croisai une porte sur laquelle était inscrit « lieu de culte ». Ma curiosité me poussa à
l’intérieur. J’étais seule dans la pénombre de la pièce, baignée
de sérénité. Je fis rapidement le tour. Soudain, mon regard
s’arrêta sur une bible posée près de l’entrée. Je saisis le livre
et l’ouvris au marque-page, inséré à l’endroit du Psaume 33.
Sing joyfully to the LORD, you righteous;
it is fitting for the upright to praise him.
Praise the LORD with the harp;
make music to him on the ten-stringed lyre.
Sing to him a new song;
play skillfully, and shout for joy.
For the word of the LORD is right and true;
he is faithful in all he does.
The LORD loves righteousness and justice;
the earth is full of his unfailing love.
By the word of the LORD the heavens were made,
their starry host by the breath of his mouth.
He gathers the waters of the sea into jars;
138
he puts the deep into storehouses.
Let all the earth fear the LORD;
let all the people of the world revere him.
For he spoke, and it came to be;
he commanded, and it stood firm.
The LORD foils the plans of the nations;
he thwarts the purposes of the peoples.
But the plans of the LORD stand firm forever,
the purposes of his heart through all generations.
Blessed is the nation whose God is the LORD,
the people he chose for his inheritance.
From heaven the LORD looks down
and sees all mankind;
from his dwelling place he watches
all who live on earth
he who forms the hearts of all,
who considers everything they do.
No king is saved by the size of his army;
no warrior escapes by his great strength.
A horse is a vain hope for deliverance;
despite all its great strength it cannot save.
But the eyes of the LORD are on those who fear him,
on those whose hope is in his unfailing love,
to deliver them from death
and keep them alive in famine.
We wait in hope for the LORD;
he is our help and our shield.
In him our hearts rejoice,
for we trust in his holy name.
May your unfailing love be with us, LORD,
139
even as we put our hope in you. 124
124
Justes, réjouissez-vous en l’Éternel ! La louange sied aux hommes
droits.
Célébrez l’Éternel avec la harpe, Célébrez-le sur le luth à dix cordes.
Chantez-lui un cantique nouveau ! Faites retentir vos instruments et vos
voix !
Car la parole de l’Éternel est droite, Et toutes ses œuvres s’accomplissent
avec fidélité ;
Il aime la justice et la droiture ; La bonté de l’Éternel remplit la terre.
Les cieux ont été faits par la parole de l’Éternel, Et toute leur armée par le
souffle de sa bouche.
Il amoncelle en un tas les eaux de la mer, Il met dans des réservoirs les
abîmes.
Que toute la terre craigne l’Éternel ! Que tous les habitants du monde
tremblent devant lui !
Car il dit, et la chose arrive ; Il ordonne, et elle existe.
L’Éternel renverse les desseins des nations, Il anéantit les projets des
peuples ;
Les desseins de l’Éternel subsistent à toujours, Et les projets de son cœur,
de génération en génération.
Heureuse la nation dont l’Éternel est le Dieu ! Heureux le peuple qu’il
choisit pour son héritage !
L’Éternel regarde du haut des cieux, Il voit tous les fils de l’homme ;
Du lieu de sa demeure il observe Tous les habitants de la terre,
Lui qui forme leur cœur à tous, Qui est attentif à toutes leurs actions.
Ce n’est pas une grande armée qui sauve le roi, Ce n’est pas une grande
force qui délivre le héros ;
Le cheval est impuissant pour assurer le salut, Et toute sa vigueur ne
donne pas la délivrance.
Voici, l’œil de l’Éternel est sur ceux qui le craignent, Sur ceux qui espèrent en sa bonté,
Afin d’arracher leur âme à la mort Et de les faire vivre au milieu de la
famine.
Notre âme espère en l’Éternel ; Il est notre secours et notre bouclier.
Car notre cœur met en lui sa joie, Car nous avons confiance en son saint
nom.
Éternel ! Que ta grâce soit sur nous, Comme nous espérons en toi !
140
Je trouvai également une définition des Nombres au début
de la Bible Thompson et consultai celle correspondant au
Nombre 33 : Stages in Israel’s Journey125. Je m’agenouillai
sur l’un des sièges de génuflexion et formulai une prière
avant de quitter les lieux.
Je partis à la découverte de la ville en me laissant guider
par mon intuition. J’amarrai devant la vitrine d’un magasin
de musique. Une guitare capta mon attention, la lettre epsilon
me portant à croire qu’elle était pour moi. Au moment de
franchir la porte, je lus sur une pancarte « No public toilets
here »126. J’entrai et j’interrogeai l’homme derrière le comptoir :
— If I buy a guitar, may I use your toilets?127
— Sure. We just want to avoid attracting crazy people.128
J’allai aux toilettes au fond du magasin, puis je revins vers
le vendeur.
— Are there many crazy people here? I think it’s fine to be
crazy.129
Le caissier me sourit et appela son collègue noir à la rescousse. Je lui dis que j’étais débutante. Nous allâmes tester la
guitare, de la marque Epiphone, dans la salle acoustique. Les
parois de la pièce étaient couvertes de bois. J’essayai
l’instrument sur un tabouret devant un miroir. J’achetai également un accordeur, une housse légère, des cordes de
rechange, ainsi qu’un tutoriel.
125
Étapes du voyage d’Israël.
« Pas de toilettes publiques ici »
127
— Si j’achète une guitare, puis-je utiliser vos toilettes ?
128
— Bien sûr. Nous voulons juste éviter d’attirer les fous.
129
— Y a-t-il beaucoup de fous ici ? Je trouve que c’est bien d’être fou.
126
141
Au moment de payer, le lecteur de code-barres ne détecta
pas le prix de l’instrument. Je m’exclamai que c’était mon
jour de chance, la date étant le 13. Ma remarque fit sourire le
vendeur.
Ce n’était pas un jour de chance pour tous : j’appris plus
tard une mauvaise nouvelle de Belgique : un homme de 33
ans avait tiré sur la foule dans le centre de Liège, faisant cinq
morts et 100 blessés.
Je parcourus la ville pendant quelques heures. Le temps
était ensoleillé et chaud pour le mois de décembre. Je rentrai
à l’hôtel où je retrouvai la réceptionniste. Nous comparâmes
le temps du Sud avec celui du Canada et de la Belgique. Megan regretta que les Américains ne soient pas plus appréciés
dans le reste du monde.
Les gens ne savent pas de quoi ils parlent. Ils s’en tiennent
avant tout aux préjugés.
***
Le chauffeur que Sam m’avait envoyé me conduisit à
Guntersville, à une heure de route de Birmingham. Nous passâmes prendre Sam sur son lieu de travail avant d’aller à
l’hôtel.
Les deux jours suivants, je restai tranquillement au Best
Western pour écrire et gratter ma guitare. La vue sur le lac,
bien que plutôt banale, me revigora.
La veille de notre départ, Sam et moi passâmes la soirée à
Birmingham. Nous découvrîmes The Fish Market où les étals
de poissons frais et aquariums côtoient les condiments et bouteilles de vin, alignés sur des étagères, ainsi que des aliments
d’épicerie fine. En mangeant, Sam et moi savourâmes le concert de jazz donné par un guitariste blanc, un saxophoniste
noir et une chanteuse noire.
142
8. Alea jacta est
Dans l’avion nous ramenant d’Alabama à New York, je
me remémorai un épisode du dîner au Best Western. Le fils
de la Chef était venu nous saluer. Le Suisse allemand charmeur se plaisait en Alabama, où il avait oublié son français.
Pendant la conversation, je remarquai les dés ornant sa ceinture.
— What’s the number indicated on the dice?
— Seven.
— Alea jacta est.
— Exactly.
— Do you have a cigarette?
— Certainly. I have got some in my car. Would you like to
come with me?130
Sa mère nous interrompit :
— What are you doing with my son?131
Je restai abasourdie. Le jeune homme s’absenta un instant
avant de revenir avec une cigarette.
130
— Quel est le chiffre indiqué sur les dés ?
— Sept.
— Alea jacta est.
— Exact.
— As-tu une cigarette ?
— Bien sûr. J’en ai dans ma voiture. Voudrais-tu m’y accompagner ?
131
— Que voulez-vous à mon fils ?
143
L’image de ces dés attira une pensée jumelle. Je me souvins d’un conte que j’avais écrit des années plus tôt. J’avais
21 ans et j’étais étudiante en journalisme. J’avais offert ces
quelques pages, reliées grossièrement, à mon petit ami de
l’époque pour son anniversaire. Ce souvenir m’inspira les
lignes suivantes :
Once upon a time I wrote a fairy tale. It was about some
kind of angel, in the shape of a girl, who appeared in the life
of a business man. She showed up in his office, like coming
out of the blue. She only explained to him, to his astonishment
and incredulity, that she had come to make him happy.
Will you let me make you happy?
It was in December 2002, I believe, when I offered this
tale to my ex-boyfriend for his birthday. A tale completely
unrelated to who he was. I don’t even think he appreciated.
And now, we are in December 2011, nine years later. I am
currently living this fairy tale.
I know things in your life are the most complicated, as it
seems. I wish to believe love will solve all our problems.
However we live, unconditional love can make us happy.
Whatever you do, love will make things good for you.
Please, say yes to my request to make you happy.132
132
Il était une fois un conte de fée que j’écrivis. Il s’agissait d’une sorte
d’ange, dans la peau d’une fille, surgissant dans la vie d’un homme
d’affaires. Elle apparut dans son bureau, comme venue de nulle part. Elle
lui expliqua simplement, face à son étonnement et incrédulité, qu’elle
venait pour le rendre heureux.
Me laisseras-tu te rendre heureux ?
C’était en décembre 2002, je crois, lorsque j’offris ce conte à mon excopain pour son anniversaire. Un conte complètement étranger à ce qu’il
était. Je ne pense même pas qu’il ait apprécié. Et maintenant, nous sommes en décembre 2011, neuf ans plus tard. Je suis en train de vivre ce
conte de fée.
144
En relisant ces lignes, je nuançai :
En fait, tout ça c’est dans ma tête.
Que je t’aime et que mes sentiments ne soient pas réciproques, ce n’est pas ça le plus important.
Je t’ai rencontré pour une raison.
Ce qui est important, c’est que ce soit arrivé et c’est la
plus belle chose qui me soit arrivée.
Je suis portée à croire que notre rencontre n’est pas le
simple fruit du hasard, que notre histoire était écrite, même
avant de t’avoir rencontré, il y a presque dix années, peutêtre même plus tôt.
Cela fait peut-être trente ans que je t’attends et je ne suis
pas prête de laisser tomber.
Je me sens incomprise. Est-ce que tu me comprends ou
non ? Tu me sembles si loin, distant, non seulement géographiquement, ce qui n’est rien comparé à la barrière
émotionnelle, à la fermeture affective que tu t’infliges. Pourquoi ? Pour quelles raisons ?
Les blessures sont inévitables, cependant se priver de vivre les sentiments du registre humain me semble malsain,
pour ne pas dire malfaisant.
Si je ne te sers pas à secourir ton mariage, que notre rencontre serve au moins à quelque chose. Je te supplie
d’accorder une chance à l’Amour. Ton bien-être physique et
mental en dépend. Ne me laisse pas me battre seule contre un
Je sais que ta vie est des plus compliquées, semble-t-il. Je souhaite croire
que l’amour résoudra tous nos problèmes. Quelle que soit la manière dont
nous vivons, l’amour inconditionnel peut nous rendre heureux. Quoi que
tu fasses, l’amour fera bien les choses pour toi.
S’il te plaît, dis oui à ma requête de te rendre heureux.
145
géant imaginaire. Tu es David, toi seul peux vaincre Goliath.
Je ne peux me résoudre à la sentence de « lost cause »133.
J’espère seulement que ma volonté ne te laisse pas de
marbre, qu’elle insuffle ne serait-ce qu’un peu d’espoir dans
ton sang glacé.
Non, je ne peux me résigner à une image négative de toi,
car tu m’as montré tes qualités, des qualités qui m’inspirent
et me rassurent sur ton fond humain. De toute façon, l’amour
est plus fort que la raison.
Ne te laisse pas abattre car je sais qu’ensemble nous pouvons réaliser de belles choses, que nous pouvons nous
épanouir et viser « haut », en tout cas aspirer à nos idéaux et
rêver d’une vie meilleure.
J’aurais pu me souvenir plus tôt de ce conte, quand, le
2 décembre, à bord de l’avion, avant le décollage pour Boston, j’avais envoyé à Jérémy un texto lui souhaitant bon
anniversaire. J’ignorais alors tout de la décision, que j’allais
prendre brusquement, de partir à Toronto pour rencontrer
David.
À l’approche de l’atterrissage à New York, j’assistai à un
magnifique lever de soleil. Un drapeau jaune, orangé et rosé
se hissait à l’horizon, telle une auréole, au-dessus d’un océan
anthracite moutonneux.
133
« cause perdue »
146
9. Solitude
De retour à New York, je me rendis à l’auberge de jeunesse Jazz on the Park, aux abords de Central Park. Il ne
restait que deux chambres disponibles. J’optai pour la privée
sur les conseils de la réceptionniste. Ayant été prévenue que
tout était réservé pour le lendemain, j’allai au Hostelling International m’informer pour la nuit suivante. Là aussi,
l’auberge était complète, mais un désistement n’était pas exclu.
En sortant, j’aperçus l’établissement Busters de l’autre côté de la rue. Ce restaurant de quartier accueillait surtout des
habitués. Je pris place à une table proche de la fenêtre et
commandai. Quelques instants passèrent. Une élégante rousse
rejoignit une femme pianotant sur son iPad. La voyageuse,
probablement quinquagénaire, narra les préparatifs d’un safari avec son mari, tandis que l’autre raconta ses déboires
professionnels dans le milieu du cinéma. Je me présentai. Fay
était écrivaine et traductrice. Outre l’anglais, elle parlait le
français et le russe. Nous échangeâmes nos coordonnées. Son
amie m’incita à goûter le gâteau au chocolat, cuisiné par le
chef, un homme dont l’amabilité contribuait certainement à la
fidélité de sa clientèle.
***
Plus tard, tandis que je contemplais l’opportunité d’une
sieste, la réceptionniste à l’auberge frappa à la porte et
s’excusa de m’avoir donné la mauvaise chambre. Je trouvais
147
en effet que cette chambre n’avait rien à voir avec celle que
sa collègue m’avait promise, mais j’étais trop fatiguée pour
contester. La jeune femme me conduisit à une chambre plus
guindée. Je me reposai avant de prendre une douche.
Après m’être habillée, je m’attardai sur un élément du décor. Au-dessus de la tête de lit, sur le mur en briques, se
dressait un cadre représentant plusieurs portraits miniatures
de la Joconde. Y étaient insérés, çà et là, des détails grossissants. Le contour des images ressemblait à des billets de
banque contenant une suite de 0 et de 1. Ce tableau évoqua
dans mon esprit le roman de Dan Brown, Da Vinci Code.
Mes idées commencèrent par s’affoler. Je crus que j’allais
devenir folle. Paniquée, je sortis de la chambre avec mon
ordinateur, descendis au rez-de-chaussée et m’assis dans la
pièce commune pour écrire à David.
Hey.
Can you help me make sense of what is happening to me?
I have the impression that I am losing control.
I am panicking.
I haven’t drunk or taken any drugs. I didn’t sleep much
last night…
I’m staying alone in a room tonight in NYC. I think I will
go to Times Square at the BXL Café.
Have you ever experienced such sensation?
I’m scared to lose my mind, but I will do anything not to
and only me can.
I feel at a point of no-return.
It’s risky and at the same time irresistible because it is
more meaningful than the dull life I used to have.
If you can help me at some point, your help would be welcome even though I understand that you are intrinsically
related to the situation.
148
I understand that this is caused by my imagination and it
makes me think of the film A Beautiful Mind.
I think I need some help, someone who understands what
I’m going through. Do you?134
Tentant de me ressaisir, je résolus de sortir pour me calmer. Je partis en direction du métro. Petit à petit, je
commençai à retrouver pied. Je débarquai de la rame de métro à Times Square. Je tournai plusieurs fois en rond pour
tenter de retrouver en vain le bar belge BXL. La foule
m’oppressait. Mon regard finit par croiser le pub irlandais où
j’avais bu deux Irish coffee avec Dean. Soulagée, je poussai
la porte et pris place au comptoir où je revis le charmant
barman bulgare à qui je commandai un Irish coffee. Je lui
demandai de m’expliquer à nouveau le chemin pour aller au
134
Salut.
Peux-tu m’aider à comprendre ce qui m’arrive ?
J’ai l’impression de perdre le contrôle.
Je suis prise de panique.
Je n’ai pas bu d’alcool, ni pris de drogue. Je n’ai pas beaucoup dormi la
nuit dernière…
Je reste seule ce soir dans une chambre à NYC. Je pense que je vais aller
à Times Square au BXL Café.
As-tu jamais éprouvé une telle sensation ?
J’ai peur de perdre la tête, mais je vais tout faire pour que cela n’arrive
pas et moi seule en est capable.
Je me sens à un point de non-retour.
C’est risqué et en même temps irrésistible parce que cela a plus de sens
que la vie terne que je menais.
Si tu pouvais m’aider à un certain moment, ton aide sera la bienvenue,
même si je comprends que tu es intrinsèquement lié à la situation.
Je comprends que ceci est causé par mon imagination et cela me fait penser au film A Beautiful Mind.
Je pense que j’ai besoin d’aide, de quelqu’un qui comprenne ce que je
traverse. Est-ce ton cas ?
149
BXL. Il me donna en prime un message à remettre au gérant
dans lequel il exprimait ses salutations.
***
Je ne rencontrai pas le gérant belge mais j’échangeai quelques mots avec le serveur français à qui je donnai le bout de
papier. Je me régalai de moules-frites et bus deux Leffe – la
seconde suite à un malentendu avec la serveuse. Je trouvais la
soirée morose.
J’aurais aimé rencontrer du monde. Je passai aux toilettes
où étaient diffusées des chansons flamandes, dont j’essayais
de saisir les paroles. Finalement, je rentrai à l’auberge, sans
aucune idée de ce que le lendemain m’apporterait.
150
10. Dernière nuit
Thanks for trying to understand :-) I must be a pain in the
ass.
I infer you haven’t experienced this yourself. I must admit
that I am also probably unconsciously trying to attract (your)
attention as I have a memory of doing something bizarre as a
child at school to attract the attention of my teacher.
I am better today. It wasn’t fun last night but at least I
stopped thinking too much (thanks to the ugly noise).
I have a few reasonable plans in mind, including going
back to Mtl (this coming week). I may have some work for
one month or so.
I also have some ideas to share with you about the chicken
and wine, including a concept from Birmingham, similar to
something a Basque told me about.
Love from the crazy girl in NYC.135
135
Merci d’essayer de me comprendre :-) Je dois être une casse-***
J’en déduis que tu n’as pas vécu une telle expérience. Je dois admettre
que je cherche aussi probablement inconsciemment à attirer l’attention (la
tienne). Je me souviens, lorsque j’étais enfant, d’avoir fait quelque chose
de bizarre pour capter l’intérêt de mon institutrice.
Je me sens mieux aujourd’hui. Ce n’était pas amusant hier soir, mais j’ai
au moins arrêté de trop penser (grâce au bruit épouvantable).
J’ai quelques projets raisonnables en tête, dont celui de revenir à Mtl
(cette semaine). J’ai peut-être du travail pour un mois ou deux.
151
***
Pendant que je prenais mon petit déjeuner dans la salle à
manger, Jazz, qui travaillait à l’auberge – Jazz on the Park ! –
en échange d’une couche, s’assit pour me parler. Le Londonien s’apprêtait à rentrer chez lui. Je l’informai qu’il était
impossible de trouver une chambre pour le soir même et que
j’envisageai de retourner à Montréal. Jazz me vanta les mérites du voyage en train entre New York et la ville québécoise.
***
Après avoir quitté l’auberge, je me mis à la recherche d’un
logement dans les environs. Je traînai mes bagages jusqu’à la
rue bordant Central Park. Une femme me proposa son aide.
Ayant eu de sérieux problèmes de logement par le passé, elle
me mit en garde contre les locations illégales et m’expliqua
que de nombreux hôtels avaient dû fermer leurs portes.
J’échangeai mes coordonnées avec celle qui se révéla être
une cinéaste d’origine italienne.
Après de vaines tentatives pour prolonger mon séjour à
New York, je me résignai à réserver sur Internet le train pour
Montréal.
***
Je déposai mon sac à dos à la gare Penn Station et partis
en direction d’Union Square. Un prof d’arts, à qui j’avais
parlé dans la rame de métro, m’avait conseillé ce lieu hauteJ’ai également quelques idées à partager avec toi au sujet de volaille et de
vin, y compris un concept de Birmingham, semblable à quelque chose
dont m’a parlé un Basque.
Amoureusement de la folle à NYC.
152
ment concentré en artistes. Je visitai le quartier tout en poursuivant ma recherche d’une chambre pour la nuit.
Découragée par les prix, je laissai finalement tomber la
quête d’un lit et résolus de passer la nuit à la gare. Il devait y
avoir une salle d’attente. Au pire, je dormirais pendant le
voyage.
***
Je dînai dans une sorte de buffet de gare. En mangeant
mes spaghettis, je regardais par la fenêtre les gens aller et
venir. J’aurais volontiers donné la moitié de mon assiette à un
clochard. Le nom de la rue retint mon attention. J’écrivis
dans mon carnet. « This is where the journey ends: on 33rd
Street (West). It started on 33rd Gerrard Street. »136
***
J’eus l’idée de clore mon voyage avec l’envoi de cartes
postales à David, Charles, mes parents et grands-parents. Cela me sembla opportun après avoir vu, en traversant la rue,
que la Poste se trouvait juste en face de la gare.
J’achetai des cartes et des timbres au drugstore. Je rédigeai
mes cartes dans le hall du Post Office en commençant par
inscrire en haut à gauche la date du jour : le 17 décembre
2012. À David, j’écrivis une phrase laconique : « I love you
so much for what you made me achieve. »137 Après une brève
hésitation, j’adressai l’enveloppe à son bureau.
***
136
« C’est ici que se termine mon voyage : sur la 33e Rue (Ouest). Il
commença au 33, rue Gerrard. »
137
« Je t’aime tellement pour ce que tu m’as permis d’accomplir. »
153
Je me mis à la recherche d’un cinéma et arrivai à Madison
Square Garden où m’avait conduite l’Allemande le premier
soir. Un agent de sécurité m’indiqua le cinéma le plus proche.
Face à une affiche peu attrayante, je questionnai la vendeuse :
— Which film do you recommend to see?
— Sherlock Holmes: A Game of Shadows is supposed to
be good.138
Je m’assis à côté d’un adolescent obèse. Le volume du son
pendant les spots publicitaires était fort, à la limite du supportable. Peu après le début du film, une carte fut lancée au
milieu d’une scène d’action. La carte révéla à l’écran le nombre 33.
Après le film, je passai aux toilettes, avant de sortir dans la
rue. Je marchai sur le trottoir, tirant mon bagage à roulettes
d’une main et portant ma guitare, lorsqu’un jeune homme
m’interpela :
— Which instrument is it?139
Il pointait la housse dans mon dos.
— A guitar.
— I give guitar lessons.
— I should take some.140
Koen, blond aux yeux bleus, avait quitté la Norvège pour
tenter sa chance dans la musique aux États-Unis. Il composait
et était déjà connu dans son pays natal. Mon interlocuteur
ayant faim, nous nous mîmes à la recherche d’un endroit où
138
— Quel film recommandez-vous ?
— Il paraît que Sherlock Holmes : Jeu d’ombres est bon.
139
— De quel instrument s’agit-il ?
140
— Une guitare.
— Je donne des cours de guitare.
— J’en aurais bien besoin.
154
manger. Comme il était tard, de nombreux établissements
étaient fermés. Nous finîmes par trouver un pub qui servait
encore de la nourriture. Koen commanda un hamburger-frites
et un coca tandis que je pris une Guinness.
— Tu ne bois pas d’alcool ?
— Je n’ai pas l’âge légal.
Koen m’impressionna par son audace et sa débrouillardise.
Il savait ce qu’il voulait et s’en donnait les moyens. Il ne lui
avait pas fallu longtemps pour décrocher un emploi et nouer
des relations. Il était arrivé à New York le 22 octobre, soit
moins de deux mois auparavant, et avait déjà obtenu un contrat de mannequinat. Il avait été repéré à Union Square. Sans
doute son apparence androgyne avait fait mouche. Il avait
aussi rencontré des personnes intéressantes dans l’industrie
de la musique. De nouvelles pistes s’offraient déjà à lui.
Koen me parla des techniques de séduction masculine
qu’il avait apprises dans les livres.
— Tell me a princess of fairy tales.
— Snow White.
— I would say to you: Snow White, you are the most beautiful. And everything I’d say afterwards will never be as
strong as this first compliment.
— I have experienced that.141
La perspicacité de Koen me fascina. À un moment, je vis
clairement qu’il me draguait. Je sortis du pub en commettant
un acte de grivèlerie. Ce qui provoqua notre amusement. Un
141
— Cite-moi une princesse de contes de fées.
— Blanche Neige.
— Je te dirais : Blanche Neige, tu es la plus belle. Et tout ce que je te
dirais ensuite ne sera plus jamais aussi fort que ce premier compliment.
— Je l’ai vécu.
155
peu plus loin dans la rue, je jouai une farce en sonnant à la
porte d’une voyante, avant de prendre la fuite.
Koen me proposa d’aller chez lui. Dans le métro, une
femme soûle l’aborda sous prétexte de chercher son chemin.
Il lui dit de monter dans la même rame que nous. Elle me
félicita pour la gentillesse de mon fils. Son comportement fit
rire les autres passagers. Elle insista plusieurs fois sur le fait
que mon fils était exceptionnellement serviable. Son compagnon affichait un sourire gêné.
Koen m’emmena dans son appartement. Ses colocataires
dormaient. Nous nous glissâmes dans sa chambre. Assez petite, celle-ci ressemblait à une chambre d’étudiant. Nous
prîmes place sur le lit. Koen démarra un film, dont il avait
composé la bande sonore. Il avait caché son travail à ses parents car il s’agissait de pornographie. Nous regardâmes le
début de ce film amateur, n’ayant rien à envier aux œuvres du
genre. Au bout d’un moment, je suggérai d’arrêter le film et
rabattis l’écran d’ordinateur. Koen était assis derrière moi,
une jambe de part et d’autre. Nous nous embrassâmes. En
touchant son buste, je me rendis compte qu’il était presque
imberbe. J’avais l’impression d’être un imposteur tant il était
de loin l’homme le plus fin que j’avais caressé jusqu’alors.
Nous nous étreignîmes jusqu’à ce que mon réveil retentisse.
Je demandai l’âge de mon ami. Il avait 17 ans. Quand je lui
dis que j’en avais 30, bientôt 31, il exprima sa satisfaction :
« That’s great. I thought you were only 25. »142
142
« C’est génial. Je pensais que tu n’avais que 25 ans. »
156
Troisième partie
1. Retour
Dimanche 18 décembre, je montai à bord du train Adirondack pour Montréal. Au cours du voyage, qui dura dix
heures, je fis la connaissance de Joseph, Égyptien doctorant
en génie des matériaux à l’université de Philadelphie. Nous
sympathisâmes et parlâmes pendant presque tout le trajet,
excepté le temps que je dormis pour récupérer un peu de ma
nuit blanche.
Le train arriva comme prévu le soir à Montréal. Charles
m’attendait à la Gare Centrale. Je lui avais proposé de venir
m’accueillir s’il le souhaitait. Je voulais que l’on se retrouve
en bons termes. Je n’étais pas très heureuse de rentrer. Je
craignais de ne pas pouvoir me réhabituer à Montréal après le
mode de vie que j’avais suivi durant mon séjour, particulièrement à New York. À côté de la Grosse Pomme, Montréal
me semblait mortelle. Les rues étaient vides et silencieuses,
très loin du tapage des rues frémissantes et grouillantes de
NYC. Il faisait plus froid aussi.
Je crois que ce dont j’avais le plus peur, c’était de redevenir comme avant, de retrouver ma vie terne et morose et de
sombrer dans la déprime, voire la dépression. Je m’autorisai à
récupérer mon manque de sommeil le lendemain, puis me
mis doucement à la recherche d’un logement.
Mes pensées étaient toujours autant occupées par le souvenir de David. Je savais qu’il rentrerait d’Europe au cours de
la semaine.
159
***
Je le rencontrai…
Je tendis devant lui les deux poings serrés en l’invitant à
choisir. Ne lui laissant pas le temps de se prononcer, je
m’exclamai : « celui-ci est pour toi, celui-ci est pour moi. » Il
s’agissait de deux fortune cookies rapportés du Chinatown de
New York. Le mien énonçait : « You have an active mind and
a keen imagination. »143 Le sien disait : « The physician
heals, nature makes well. »144
— Comment se fait-il que tu en aies deux ?
— J’ai toujours pris quelque chose pour toi durant mon
voyage : deux Irish coffee, deux Leffe blonde, deux fortune
cookies…
Son visage esquissa un sourire, qui s’évanouit ensuite
lorsqu’il prononça :
— Did I raise your expectations?
— No, you didn’t. My expectations rose anyway. It’s not
your fault.145
En vérité, cette réunion ne se produisit que dans mon imagination.
J’aurais encore pu lui poser cette question :
— What do you want for Christmas? Do you want me to
leave you alone? Get out of your life?146
***
143
« Vous avez un esprit actif et une imagination vive. »
« Le médecin soigne, la nature fait bien les choses. »
145
— Est-ce que je t’ai fait espérer ?
— Non. Je me suis fait moi-même des idées. Ce n’est pas ta faute.
146
— Que veux-tu pour Noël ? Que je te laisse tranquille ? Que je sorte
de ta vie ?
144
160
Le jour marquant officiellement le début de l’hiver, le
21 décembre 2011, la carte postale, que j’avais envoyée avant
mon départ de New York, arriva au bureau de David. J’appris
sa réception par SMS. David me remerciait, mais souligna
que la carte avait été ouverte par une collègue. J’en fus stupéfaite. Quoique cette éventualité m’eût effleuré l’esprit au
moment d’écrire l’adresse. Je lui envoyai en retour un SMS
lui demandant comment quelqu’un d’autre avait pu ouvrir
une enveloppe portant son nom. Il répondit que sa collègue
l’avait tout simplement ouverte.
— Qui ?
— My assistant.147
— Mélanie ?
— Non.
— Suzanne ? J’espère qu’elle ne sera pas jalouse.
Je n’obtins plus de réponse.
Je pensais que cette mésaventure serait prétexte à annuler
notre réunion. Je ne reçus pas de confirmation pour notre
rendez-vous du lendemain. Je n’envoyai pas non plus de
message à ce sujet.
J’acceptais la situation. J’embrassais la peine, sans pleurs,
juste avec une sérénité du cœur ou de l’âme. Seule la tête
était embrouillée… Ironiquement… David m’avait dit qu’il
ne voulait que penser avec la tête, que son cœur était fermé.
Ne serait-ce là pas une erreur de sa part ? En tout cas, ma tête
à moi me servait moins bien que le reste.
D’ailleurs, les doutes venaient toujours de cette partie de
moi et me desservaient au plus haut point, car c’est à partir de
ces doutes que je sabordais toute entreprise.
David se trompait-il en voulant s’empêcher de ressentir ?
En tout cas, lui était convaincu que de là viendrait son salut.
147
— Mon assistante.
161
Sauf qu’il m’avait dit ne pas être heureux dans sa vie en général.
Que penser en outre, si la description de son jour
d’anniversaire était correcte, celle-ci voulant que les personnes nées ce jour-là soient avant tout guidées par les
sentiments ? Je pouvais peut-être en déduire qu’il avait été
blessé par le passé. Dans son amour ? Dans son amourpropre ? Par ses parents ? Chose plutôt commune. Il m’avait
également dit qu’il manquait de confiance en lui et que c’est
pour cela qu’il avait poursuivi sans relâche son éducation. Il
apprenait aussi deux langues supplémentaires. Le travail était
pour lui le moteur de son existence. À ce rythme-là, peut-on
encore concevoir que le travail c’est la santé ?
Finalement, je lui envoyai un e-mail lui souhaitant qu’il
passe un bon Noël en famille, car en fin de compte « la famille est tout ce qu’il nous reste quand tout va mal ». Mais
qu’en était-il de la sienne ? Était-il vrai, comme il me l’avait
confié, qu’il y avait des problèmes dans son couple. Était-il
responsable ?
Pourquoi déversais-je tant de bonté envers cet homme ?
Quel intérêt se dissimulait sous cette émergence d’affection ?
Pourquoi voulais-je l’aider, même contre son gré ? Quelle
raison se cachait sous tant d’attention ? L’amour ? La passion ? Je ne voyais pas comment ces deux mots, même
combinés, pouvaient satisfaire une explication à une situation
de nature aussi complexe. La nature elle-même était-elle
source de tant d’acharnement de ma part ? Avais-je encore
quelque chose à me prouver ? Ce qui est sûr, c’est que David
lui-même ne croyait pas sérieusement à la sincérité ou à la
pureté de mes sentiments. Peut-être avait-il raison…
J’imaginais que je lui lançais sans cesse des perches qu’il
aurait préféré ne pas recevoir. Il devait finir par se lasser,
voire se sentir obligé de répondre à mes « avances ». En fin
162
de compte, Noël et la famille étaient des arguments perspicaces pour attirer son attention. Quel type de personne se jouait
en moi ? Poursuivais-je une mission ? Qu’attendais-je de
cette relation ? De toute évidence, je ne pouvais formuler
aucune explication. Les choses avaient pris une telle tournure
que je ne pouvais plus être impartiale, ni à mes yeux ni aux
siens. Avais-je tout perdu ? L’ami, l’amour, l’amant ?
Ces trois mots m’effrayaient car ils résumaient tout ce
qu’il y a de plus important pour tout être humain normalement constitué. David était-il tout cela à la fois ? Bien sûr que
non, puisqu’il était si loin à présent.
Je ne lui envoyai pas la chanson que je voulais partager
avec lui initialement, Have Yourself a Merry Little Christmas
de Judy Garland :
Next year all our troubles will be miles away
Someday soon, we all will be together
If the Fates allow
Until then, we’ll have to muddle through somehow
So have yourself a merry little Christmas now.148
148
L’année prochaine, tous nos problèmes seront loin
Un jour prochain, nous serons tous réunis
Si le Destin le permet
D’ici-là, nous devrons nous débrouiller
Alors passe un joyeux petit Noël.
163
2. Renaissance
Je me réveillai tard. J’étais en train de prendre mon petit
déjeuner quand je reçus un appel de David. J’entendis le vent
souffler autour de lui. Il n’avait pas le temps de me voir. Il
venait de rentrer du Portugal et Noël était à nos portes. Le
travail ne semblait jamais cesser pour lui. Je plaisantai en
disant qu’il n’était pas toujours bon de monter dans la hiérarchie. J’énumérai mon programme d’activités pour les
prochains jours. Il remarqua que j’étais occupée. Je déclarai
qu’être occupé empêchait de réfléchir. Quant à lui, il me confia qu’il pourrait prendre une semaine de vacances pour
réfléchir. Je lui dis que s’il tombait malade, il devrait prendre
des congés forcés. Il me donna raison.
J’avais rendez-vous avec Aurélie pour déjeuner au Grand
Comptoir. En me rendant là-bas, je pensais que peut-être
j’avais paru à David trop occupée. Je lui envoyai un message
pour lui dire que je serai dans les environs de son bureau dans
l’après-midi, insinuant que nous pourrions nous voir. Durant
notre conversation en mangeant, Aurélie conclut que je vivais
une renaissance. Je trouvai le terme juste.
***
Après le déjeuner, en me laissant porter sur la rue Sherbrooke, j’arrivai devant le pavillon Claire et Marc Bourgie du
Musée des Beaux-Arts, devant lequel la statue d’un homme
ailé me fit penser à Icare. L’entrée était gratuite. Je visitai les
différents niveaux et m’intéressai aux peintures et sculptures.
165
À un moment, je marquai une pause, m’assis et couchai
dans mon carnet :
17 ans, l’âge déterminant où le théâtre se joue pour la
prochaine décennie. À 17 ans, osez être vous-même et vous
montrer aux autres tel que vous êtes. Sinon, vous vous perdriez pour ne vous retrouver que longtemps plus tard.
En route pour reprendre le métro, je descendis l’avenue
McGill College. Je croisai le banc avec les enfants et la
pomme. La pomme d’un rouge éclatant ressortait du décor
sombre et enneigé. Instant de complicité figé pour l’éternité.
En comparaison, mon attachement à David me semblait
saugrenu. Qu’aurions-nous à partager ? Nos vies, surtout la
sienne, étaient déjà tracées. Bien que plusieurs éléments aient
semblé nous associer, des différences essentielles existaient,
telles que la nationalité, la langue, l’âge, le choix de carrière
et de vie.
***
Trois jours plus tard, tandis que je me préparais dans la
salle de bain, je remontai le temps. Je me souvins avoir relu
un journal intime que j’avais rédigé en 1995-1996. Je l’avais
retrouvé dans ma chambre et emporté avec moi durant un
trajet en voiture vers une destination de vacances avec Charles. Je savais exactement ce que je voulais être alors. L’âge
critique n’était plus dix-sept ans. L’âge critique pour moi
devint quatorze ans. Non quinze : quand on a quinze ans, on
s’intéresse déjà trop aux garçons. En tout cas, c’était mon cas.
Encore moins dix-sept : à dix-sept ans, on est déjà trop attiré
par toutes les expériences de la vie, voire de la mort.
Me vint en tête la chanson d’une compilation que Jérémy
m’avait concoctée : Femme X de Karin Clercq. « Être personne ça me dérange ». J’eus l’idée d’écrire un scénario pour
un long-métrage qui raconterait le passage de l’enfance à
166
l’adolescence, ensuite à l’âge adulte, puis le retour à la petite
fille qui sommeille en la femme, et mettrait en lumière
l’importance de réaliser ses rêves. Selon la phrase consacrée,
il n’est jamais trop tard.
***
Il neigea toute la journée. Je restai à la maison et je vaquai
à une variété d’occupations : le ménage, l’écriture et la lecture. Charles était parti pour deux jours en Estrie. Je pris
conscience que je me sentais bien seule. L’appartement revêtait une nouvelle dimension. Je me sentais chez moi. Cela ne
durerait pas longtemps car j’avais visité un appartement, dont
une chambre se libérait, dans le Mile End, et je m’apprêtais à
y emménager début janvier.
167
3. Réveillon de Noël
Je suis seule et pourtant je me sens bien.
Je pense à l’histoire de la naissance de Jésus-Christ,
quand les rois mages suivent l’étoile jusqu’à Bethléem – neigeait-il ? – et qu’ils arrivent à l’étable où le petit enfant
repose dans la paille – la crèche de Noël.
Ici, rien ne montre que c’est Noël : ni sapin, ni boules, un
peu de chants de Noël ce matin, sinon rien. Juste moi et la
musique mélancolique de Damien Rice.
Plus tôt dans la journée, je me la suis coulée douce. J’ai
pris mon petit déjeuner dans l’après-midi. J’ai traîné en pyjama devant mon ordi. J’ai reçu un appel vidéo de ma famille
via Skype. C’était avant que je ne prenne ma douche. Après
m’être habillée, je suis sortie faire des courses pour les deux
repas du lendemain. J’ai acheté des choses qui ne demandent
aucune préparation. C’était juste avant la fermeture du supermarché.
J’avais faim. J’ai ouvert le congélateur et j’ai eu la surprise de trouver un restant de saumon accompagné de
poireaux que j’ai réchauffé dans une poêle. J’ai mangé en
compagnie de ma famille grâce à Internet. Dommage que les
nouvelles technologies ne permettent pas encore de goûter
aux saveurs à distance !
Je prévois de sortir bientôt. J’irai peut-être à l’église et
voir les feux d’artifice.
***
169
J’écoutai Cannonball de Damien Rice. Cette chanson évoque les peines de cœur, l’amour et ses conséquences néfastes.
Je l’envoyai à David. Pour lui prouver que je comprenais ce
qu’il ressentait ? J’écoutai également la chanson de Simple
Plan Jet Lag et regardai le clip sur YouTube. Sur Wikipédia,
il est dit que la vidéo a été tournée à l’aéroport international
Pearson et dans une chambre du Sheraton Gateway à Toronto.
***
Je sortis à la station de métro Place-des-Arts et passai devant la Place Phillips. Je marchai au hasard dans les rues
couvertes de neige. Les églises croisées en chemin étaient
fermées. J’arrivai ensuite dans la rue Cathcart où se trouve le
Old Dublin. En descendant, puis en suivant le boulevard René-Lévesque, j’atteignis finalement la basilique Saint Patrick
où se tenait la veillée de Noël. Je pénétrai le lieu saint vers la
fin de la messe.
L’église était remplie de monde. Je repérai une place libre
à côté d’un homme. Peu de temps après que je me sois assise,
il m’interrogea sur le numéro de la rangée :
— 28?
— 283.
— 283?
— Yes.
J’avais déjà relevé ce détail avant qu’il ne me pose la
question.
***
Après la veillée, je foulai la côte du Beaver Hall dans le
Quartier international. Je descendis jusqu’au Square Victoria
où se dresse la statue de la Reine. Accablée par le froid, je
170
finis par m’engouffrer dans le métro de style art nouveau,
réplique du métro parisien.
Je changeai de ligne à la station Berri-UQAM. En descendant l’escalator, j’aperçus deux affiches publicitaires de la
compagnie aérienne WestJet assurant des vols entre Montréal
et Toronto. Ceci me rappela le clip de Simple Plan. En attendant sur la plateforme, mes yeux se posèrent sur un cadre
publicitaire annonçant les « Grands Salons Marions-Nous ».
À un mètre de là, un autre tableau présentait de la lingerie
affriolante pour promouvoir le Salon de l’amour et de la séduction. Je trouvai la scène absurde et j’optai dans ma tête
pour le second.
Sur le chemin de la station Frontenac à la maison, j’eus
l’idée d’écrire à David l’e-mail suivant :
I was wondering if we would see each other again because
I have a simple plan.
It may not be the most appropriate question, coming from
Saint Patrick’s Basilica, but God and I are reconciled.
Glory to the new-born King: Peace on earth, and mercy
mild, God and sinners reconciled.149
149
Je me demandais si nous allions nous voir à nouveau parce que j’ai une
idée.
Ce n’est peut-être pas la question la plus appropriée, en revenant de la
basilique Saint-Patrick, mais Dieu et moi sommes réconciliés.
Gloire au Roi nouveau-né : Paix sur terre, et miséricorde, Dieu et les
pécheurs réconciliés.
171
4. Obsession
J’aime un homme hors d’atteinte, dont la vie est totalement indépendante de la mienne.
Je pense à sa vie, à son mariage, à son couple. Que puisje faire ? Rien car cet homme ne m’appartient pas.
Je dois donc être capable de lâcher prise, ce que je parviens à faire assez bien la majeure partie de la journée.
J’oscille entre nostalgie et concentration, pour être rattrapée
– vers la fin de la journée ? – par l’obsession.
Aujourd’hui, Boxing Day, j’ai fait des recherches sur Internet. Je me suis levée tard, une fois encore. J’aurais pu me
rendre dans les magasins pour acheter des chaussures et
accessoires pour compléter ma tenue pour le réveillon du
Nouvel An. Au lieu de cela, je me suis retrouvée scotchée
devant l’ordinateur. J’ai envoyé quelques e-mails et regardé
un documentaire sur YouTube au sujet du 21 décembre 2012,
date sur laquelle plusieurs prophéties s’accordent pour prédire l’apocalypse. Qu’est-ce que l’apocalypse ? L’apocalypse
ne serait pas la fin du monde, mais une transformation : un
nouveau monde, éclipsant l’ancien.
Je me souviens du tsunami qui s’est produit le
26 décembre 2004. À l’époque, j’étudiais mon Master en Développement International à l’université de Bristol. Je louais
une chambre au rez-de-chaussée d’une maison située sur
Saint Michael’s Hill. Au mur de ma chambre, j’avais accroché une reproduction de l’estampe de Hokusai, The Great
Wave, que je m’étais procurée dans une vente en même
173
temps qu’un portrait d’Audrey Hepburn. La coïncidence
m’avait surprise.
***
En soirée, je proposai à Charles une promenade au VieuxPort. Au moment de sortir, j’eus l’idée d’aller d’abord au
mont Royal avec la voiture qu’il avait louée pour quelques
jours. Du parking nous marchâmes sur les sentiers enneigés
jusqu’au Belvédère où la vue surplombe le sud de la ville.
L’atmosphère enveloppant notre marche sur la neige à travers
les bois était sereine. Avant de regagner la voiture, j’insistai
pour aller voir le cimetière. Je l’avais entraperçu le jour de
Noël en rentrant en voiture avec ma voisine et son ami. Nous
avions emprunté la route du mont Royal. La beauté du paysage m’avait époustouflée.
Nous reprîmes la voiture et traversâmes la ville immaculée. Je découvrais un nouveau charme à Montréal et trouvais
la ville plus belle l’hiver. Nous descendîmes au Vieux-Port et
marchâmes en direction de Notre-Dame Ouest. La ville était
paisible. Après avoir mangé une pizza à la Gare Union sur la
rue McGill, nous longeâmes les quais pour regagner la voiture. Nous posâmes devant l’arbre paré de guirlandes
lumineuses, près du musée Pointe-à-Callières, tandis qu’un
couple passant par là nous photographiait.
Plus loin, nous franchîmes la passerelle vers les terrasses
Bonsecours, où des gens patinaient au son de la musique
classique. Nous allâmes jusqu’à la tour de l’horloge. Tandis
que je lisais le panneau touristique, Charles me fit remarquer
l’inscription « I ♥ David », tracée dans la couche de neige
coiffant un muret.
Ce message fut la cerise sur le gâteau : j’avais beaucoup
pensé à David durant la soirée, pensant même le croiser quelque part, depuis le mont Royal, où un jour il m’avait proposé
174
de me déposer, jusqu’à la patinoire, en passant par le restaurant et les rues du Vieux-Montréal.
***
Comment venir à bout de cette obsession ? Je ne m’y
prends sans doute pas bien. Le problème est que je ne suis
pas encore prête à m’en sortir. La seule chose qui pourrait
m’exorciser serait de subir de plein fouet un comportement
nauséabond de sa part, ce qui n’est pas encore arrivé. Je
m’accroche encore à ce rêve, même si la réalité me talonne.
Je ne fuis pas la réalité. Je m’en accommode. Jusqu’à quel
prix ? J’ai envisagé plusieurs scénarios tels que celui d’être
la maîtresse – ce qui n’est ni d’actualité ni attrayant. Je ne
me résous pas non plus à devenir la prochaine compagne.
Hier, en étant avec d’autres personnes, dont des couples, je
me suis rendu compte que je préfère être seule pour l’instant.
J’aurais voulu être l’amie, complice, aimante et amante. On
pourrait dire que la relation a mal commencé. C’est la faute
des circonstances. De toute façon, je nage dans une réelle
incertitude, ne sachant pas ce qu’il pense, ce qu’il ressent, ce
qu’il vit. Même si je le rencontrais, je n’aurais aucune réponse. Seul le temps le dira, comme un graffiti près de La
Baie l’énonce : « Time Will Tell… ».
***
En faisant le ménage, je m’imaginai ce dialogue :
— Personne ne me comprend.
— Moi non plus. Tu es si patiente.
— J’ai exercé ma patience pendant deux ans. J’ai attendu
30 ans pour te trouver. Ce n’est pas maintenant que je vais
abandonner.
— Que comptes-tu faire maintenant que tu m’as trouvé ?
175
— Profiter de toi jusqu’à la fin de mes jours.
— Je ne serai pas souvent là. Je ne serai peut-être même
pas là pour ton anniversaire.
— Dommage, j’aurais voulu aller au restaurant Verseau.
De toute façon, on peut très bien reporter.
— Je ne suis pas sûr de vouloir des enfants quand j’aurai
55 ans.
— J’ai bientôt 31 ans. Ça n’attendra peut-être pas jusquelà. Je ne suis pas contre l’adoption.
— Je ne suis pas encore arrivé là où tu en es.
— Pas grave. Je serai ton éclaireur. Combien de temps
crois-tu qu’il te faille ? Un an ?
Je n’avais pas de réponse toute faite à cette dernière question.
***
En prenant mon bain, je lus un peu, mais je n’étais pas tout
à fait concentrée. Je m’imaginai faire l’amour avec lui. Je le
désirais tant.
Un autre dialogue me vint en tête :
— J’ai tout avoué à ma femme.
— Qu’est-ce qu’elle a dit ?
— Qu’elle m’aimait.
— Tu la crois ?
— Elle est jalouse.
— Jalousie ne veut pas dire amour. J’espère que tu es assez intelligent pour le savoir.
— Elle a dit qu’il fallait rester ensemble pour les enfants.
— Les enfants ont besoin d’un père. Tu ne penses pas
qu’ils sentent que tu es malheureux ? Moi, j’arrivais à prévoir
les crises de mon père car je savais quand il allait mal.
— Je ressentais la même chose avec mes parents.
176
5. Énamourement
Je me souviens de l’une des rares confidences avec ma
mère. Un jour, alors que maman et moi étions en voiture – je
devais déjà avoir la vingtaine, je l’interrogeai :
— Comment sait-on que l’on a trouvé l’homme de sa vie ?
— On le sait, c’est tout.
Je ne sais pas si un seul homme est fait pour moi. En tout
cas, je reconnaissais pour David un amour peu banal, voire
exceptionnel. J’avais d’ailleurs partagé avec lui ce poème,
envoyé par e-mail le 19 novembre :
A little poem for you
I wrote this “poem” on October 22 after I had sent you the
text message in which I said I like the cold, that I find romantic to be outside in the cold (if it was with you). I was sitting
on a bench at the Old Port waiting for C. to arrive. Then, we
went to that place in front of Hotel Nelligan.
I preferred not to change a word and thought I would
share it with you earlier… I guess today’s feelings brought
me back in time and I am sending it to you at last (don’t
laugh).
My world turns around you
My thoughts lean towards you
My night rest relies on dreams of you
My morning awakening brings you back on my mind
My daily activities make me feel your absence
My past is brightened by your encounter
My present is cherished like a gift
177
The future is uncertain
But full of hope
[Last sentence censured]
I am curious to know if someone before has ever written
something like that to you (not for you because you could not
know).150
David me fit remarquer que j’avais omis la dernière
phrase.
I knew (of course) you would mention the last sentence.
It’s quite easy to figure out what it is. If not, then I will give a
bit of suspense… until I become talkative again.151
150
Un petit poème pour toi
J’ai écrit ce « poème » le 22 octobre après t’avoir envoyé le texto dans
lequel je disais que j’aime le froid, que je trouve romantique d’être dehors
dans le froid (si c’était avec toi). J’étais assise sur un banc au Vieux-Port
en train d’attendre que C. arrive. Ensuite, nous sommes allés à cet endroit
en face de l’Hôtel Nelligan.
J’ai préféré ne changer aucun mot et je pensais que je le partagerais avec
toi plus tôt… J’imagine que les sentiments d’aujourd’hui m’ont ramenée
dans le temps et je te l’envoie finalement (ne ris pas).
Mon monde tourne autour de toi
Mes pensées s’inclinent vers toi
Mon repos nocturne s’appuie sur des rêves de toi
Mon réveil matinal te ramène à mon esprit
Mes activités quotidiennes me font sentir ton absence
Mon passé est éclairé par notre rencontre
Mon présent est chéri comme un cadeau
Le futur est incertain
Mais plein d’espoir
[Dernière phrase censurée]
Je suis curieuse de savoir si quelqu’un, auparavant, a jamais écrit quelque
chose de tel (à toi non pour toi car tu pourrais ne pas le savoir).
151
Je savais (bien sûr) que tu mentionnerais la dernière phrase. C’est
assez facile d’imaginer ce dont il s’agit. Sinon, je laisserai un peu de suspense… jusqu’à ce que je redevienne bavarde.
178
Le 6 décembre, tandis que j’étais à New York, j’avais révélé à David par e-mail le poème au complet :
Finally, the last sentence of the poem
My world turns around you
My thoughts lean towards you
My night rest relies on dreams of you
My morning awakening brings you back on my mind
My daily activities make me feel your absence
My past is brightened by your encounter
My present is cherished like a gift
The future is uncertain
But full of hope
You’ll belong to my heart forever152
***
Je n’avais obtenu aucune réponse et n’avais plus revu David depuis notre discussion à Toronto avant son départ pour
l’aéroport. Je continuais à lui écrire de temps à autre, tantôt
un e-mail, tantôt un SMS. Je comprenais qu’il devait se sentir
à la fois coupable et responsable envers sa famille. Sans pouvoir prédire l’issue de cette tragédie, ni même savoir ce que
je voulais qu’elle soit, je m’en remettais au Temps, me rappe152
Finalement, la dernière phrase du poème
Mon monde tourne autour de toi
Mes pensées s’inclinent vers toi
Mon repos nocturne s’appuie sur des rêves de toi
Mon réveil matinal te ramène à mon esprit
Mes activités quotidiennes me font sentir ton absence
Mon passé est éclairé par notre rencontre
Mon présent est chéri comme un cadeau
Le futur est incertain
Mais plein d’espoir
Tu appartiendras à mon cœur pour toujours
179
lant ces mots de Mariane, ma prof d’allemand, voisine et
amie : « Le temps est notre allié le plus précieux. »
Time will tell…153
***
Le 28 décembre au soir, j’arrivai par hasard devant la vitrine d’une librairie dans laquelle certains livres attirèrent
mon intérêt. Je poussai la porte d’entrée et me mis à fouiller
dans les rayons de psychologie et d’ésotérisme. Je ressortis
avec quatre livres, dont Je t’aime de Francesco Alberoni.
L’auteur s’était attelé à élaborer une science de l’amour et à
expliquer à travers son ouvrage le phénomène de
l’énamourement.
L’énamourement transfigure le monde, c’est une expérience sublime. C’est un acte de folie, mais aussi la
découverte de sa propre vérité, de son propre destin.
La vie, la naissance, c’est le point central et essentiel de
l’énamourement. (…) C’est un réveil, une vision, un étonnement.
(…) c’est dans cet univers merveilleux que l’individu naissant sent qu’il possède un endroit créé pour lui et qu’il a un
but et un destin.154
Nous devenons amoureux quand nous sommes prêts à
nous transformer, quand nous sommes prêts à abandonner
une expérience déjà faite et usée, et que nous avons l’élan
vital nécessaire pour accomplir une nouvelle exploration,
pour changer de vie. Quand nous sommes prêts à exploiter
une capacité que nous n’avions pas exploitée, à explorer des
mondes que nous n’avions pas encore explorés, à réaliser des
153
154
L’avenir le dira…
Francesco Alberoni, Je t’aime. Tout sur la passion amoureuse.
180
rêves et des désirs auxquels nous avions renoncé. Nous devenons amoureux quand nous sommes profondément
insatisfaits du présent et que nous avons assez d’énergie intérieure pour entamer une nouvelle étape de notre expérience.
L’énamourement suppose un malaise dans le présent, la
lente accumulation d’une tension, beaucoup d’énergie vitale
et, enfin, un facteur déclenchant, un stimulant approprié. En
termes sociologiques, cela suppose la crise des rapports entre le sujet et sa communauté, puis quelque chose qui pousse
le sujet vers un nouveau type de vie, jusqu’à un seuil, à un
point de rupture, d’où il se lance vers le nouveau.155
J’acquiesçai : (…) une vie longue et intense a peu de
chance d’être caractérisée par un seul et unique amour.
Un amour vient donc des profondeurs de l’être et regarde
vers le futur. Il exige cependant que le sujet l’accepte, plus
qu’il le veuille. Dans le conflit entre le processus
d’énamourement et les résistances du sujet, il y a des sauts,
des reculs discontinus et des prises de conscience soudaines.
Il [l’individu] a subi une mutation intérieure, la metanoia
dont parle saint Paul, la mort-re-naissance. L’individu
amoureux est un mort re-né. Sans cette expérience de renaissance, il n’y a pas de vrai énamourement.156
Un passage du livre me rappela ce que j’avais écrit au
cours du voyage de San Francisco à Boston, le 2 décembre, la
veille de ma virée à Toronto :
The difference with almost all relations, if not all experiences in the past, including love, is that the common
denominator I define for those is Death, whereas I see Life as
predominant in my relation to you. It is difficult not to ana155
156
Idem
Idem
181
lyse and imagine that everything that happened before led me
on the path to you.157
Puisque nous sommes re-nés, nous construisons notre
nouvelle identité. Nous retournons dans notre passé pour
comprendre tout ce qui nous est arrivé, pour juger de ce que
nous avons accompli. Pour comprendre ce qui nous a éloignés de la bonne voie, et comment nous avons trouvé le
véritable amour. C’est l’historicisation. (…) Les amoureux
accomplissent ensemble ce processus, chacun racontant sa
propre vie. Ils se confient leurs faiblesses et leurs erreurs. Ils
découvrent aussi les signes et les présages de l’amour qui les
unit aujourd’hui.158
***
Le 29 décembre, jour de la saint David, je parlai à une
amie de longue date qui vit à Bruxelles. Elle me raconta avoir
rencontré à La Salsa un homme dans la quarantaine avec qui
elle était sortie. Celui-ci lui avait avoué qu’il allait bientôt se
marier. Je fus surprise que cet homme trompe sa femme avant
même de l’avoir épousée. Amélie m’expliqua qu’il avait eu
avec elle un enfant, âgé maintenant de six mois, et qu’il se
mariait pour cette raison.
***
157
La différence avec presque toutes les relations, sinon toutes les expériences dans le passé, y compris l’amour, c’est que le dénominateur
commun que je définis pour celles-là est la Mort, tandis que je vois la Vie
comme prédominant dans ma relation à toi. Il est difficile de ne pas analyser et d’imaginer que tout ce qui s’est produit avant m’a amenée sur la
voie vers toi.
158
Francesco Alberoni, Je t’aime. Tout sur la passion amoureuse.
182
En fin d’après-midi, on sonna à la porte. Martin, mon ancien propriétaire, venait dire au revoir et me demanda si je
savais qu’il partait. Je lui répondis par l’affirmative sur un ton
embarrassé. Je lui annonçai que j’allais aussi bientôt déménager. Il n’en fut pas étonné.
***
J’allai rencontrer une amie curieuse de savoir comment
s’était passé mon périple. En me rendant au métro, j’eus une
pensée que je m’empressai d’écrire :
Il y a au moins deux manières de « tomber » amoureux de
quelqu’un ; celui que l’on apprend à aimer et celui que l’on
reconnaît. Aimer celui-là, c’est encore une autre histoire.
Dans le même ordre d’idée, je me rappelai l’un de mes
monologues sur les âmes sœurs :
Everyone dreams of meeting his/her soulmate. Right?
When you meet him/her, don’t think this is going to get
any easier than how your life has been in the past, since you
were born.159
***
En attendant le métro, je m’imaginai en train de parler
avec David :
— Tu as changé de bague.
— C’est le cadeau de Noël d’une amie.
— Que veut-dire le poisson ? Tu penses que c’est un signe ?
— Je le saurai peut-être un jour.
159
Tout le monde rêve de rencontrer l’âme sœur. Pas vrai ?
Quand vous la rencontrez, ne pensez pas que cela sera en rien plus facile
que l’a été votre vie par le passé, depuis que vous êtes né.
183
Dans la rame de métro, mes yeux se posèrent sur une affiche appelant à s’investir dans une campagne pour la
persévérance scolaire. Cela déclencha en moi un scepticisme
et entraîna cette pensée :
La seule chose en laquelle je crois, c’est l’amour et sa
puissance (qui peut déplacer des montagnes).
***
Je retrouvai Stéphanie à la station Mont-Royal. Nous allâmes au salon de thé Orienthé. Ironie du sort : c’est là même,
sur la terrasse, en été, que j’avais avoué à Charles être tombée
amoureuse de David. Nous prîmes place sur les canapés du
salon. Tout en dégustant du thé, je lui narrai les moments
forts de mon voyage.
Nous parlâmes aussi beaucoup des relations humaines, en
particulier parentales et entre hommes et femmes.
— Comment te sens-tu ?
— C’est comme si tout remontait à la surface. Tout ce que
j’avais enfoui, oublié, surtout de manière inconsciente.
— Que comptes-tu faire ?
— C’est la plus belle chose qui me soit arrivée. Parfois, ça
fait mal, mais je compte vivre toutes les émotions, de la joie à
la tristesse, et mener à terme mes projets.
Nous avions faim toutes les deux et grignotâmes une pâtisserie.
— C’est bizarre. Je tombe toujours amoureuse de gars que
j’ai envie d’aider. Je suis une Samaritaine.
— Un psy dirait sûrement ceci…
Mon amie pausa et reprit :
— Tu veux sans doute aider le père. Comme tu n’as pas
pu aider ton père, tu essayes de l’aider à travers les autres
hommes.
Je lançai à un moment :
184
— Je pense qu’il y a des femmes qui ne demandent pas
mieux que leur homme aille voir ailleurs.
Mon amie acquiesça.
— J’étais en train de devenir une femme comme celles-là,
dis-je, d’un ton navré.
***
Peu de temps après mon retour à la maison, je perçus un
changement dans mon état d’esprit. Je me sentais plus posée.
Résignée ? Je n’avais pas de nouvelle de David et j’avais
l’impression qu’il me menait en bateau. Je tentai une dernière
fois d’initier un dialogue. Je lui envoyai un SMS. Évidemment, je ne reçus aucune réponse. Il était presque 23 heures.
Je commençai à penser qu’il essayait de détourner mon attention et avait mis en œuvre le filtrage de mes messages et emails. Je me dis que je devais peut-être essayer de l’appeler
le lendemain… À quoi bon ? Il semblait muré dans son silence. Avec moi en tout cas. J’envisageai de mettre les choses
à plat.
I don’t know if you’ll receive or read this e-mail.
Tonight I noticed a change in my state of mind.
I am not getting any reaction from you. I am even wondering if you are not trying to “noyer le poisson”.
As you may know I wanted to help you, even though I
don’t have a clue on how to do it.
I had more things I wanted to tell you and share with you.
Of course, I understand your situation but I think there are
always solutions. I guess it is too easy for me to say that now
(as I am not depressed).
The point is that I have discovered that another way of living is possible and I am not to give up on this.
185
I just hope that this happens to you as well someday.
Maybe it has already in the past. Or maybe I am just trying to
have a good conscience.
At least, I’d like you to know that I care about you, especially about your health. And I may not be the best remedy.
I would appreciate if you say now if you want me or not in
your life.
xox160
Je n’en restai pas là.
Did I say anything that scared you?
I realise that sometimes I say things that do not hold in the
future and also tend to act unsafely. For instance, I don’t
want to have a baby.
I also want you to know that when my psy tried to sleep
with me – I am proud of me – I told him that he had taught
160
Je ne sais pas si tu recevras ou liras cet e-mail.
Ce soir, j’ai remarqué un changement dans mon état d’esprit.
Je n’obtiens aucune réaction de ta part. Je me demande même si tu n’es
pas en train d’essayer de « noyer le poisson ».
Comme tu le sais peut-être, je voulais t’aider, même si je n’ai aucune idée
sur la manière de le faire.
Il y avait plus de choses que je voulais te raconter et partager avec toi.
Bien sûr, je comprends ta situation mais je pense qu’il y a toujours des
solutions. Je suppose que c’est trop facile pour moi de dire cela maintenant (puisque je ne suis pas déprimée).
L’important est que j’ai découvert qu’une autre façon de vivre est possible et je ne suis pas prête de renoncer à cela.
J’espère juste que cela t’arrivera également un jour. Peut-être que ça a
déjà eu lieu par le passé. Ou peut-être suis-je simplement en train
d’essayer de me donner bonne conscience.
Au moins, j’aimerais que tu saches que je me soucie de toi, en particulier
pour ta santé. Et je ne suis peut-être pas le meilleur remède.
J’apprécierais que tu dises maintenant si tu veux de moi ou non dans ta
vie.
xox
186
me to say “no” and that I was now saying “no” to him. That
was hilarious!
I don’t want to lose our “friendship”. I don’t know what
word to use. Perhaps you have a better one.161
161
Ai-je dit quelque chose qui t’a effrayé ?
Je réalise que parfois je dis des choses qui ne tiennent pas dans l’avenir et
que j’ai également tendance à agir dangereusement. Par exemple, je ne
veux pas avoir d’enfant.
Je veux aussi que tu saches que quand mon psy a essayé de coucher avec
moi — je suis fière de moi — je lui ai dit qu’il m’avait appris à dire
« non » et que, maintenant, c’était à lui que je disais « non ». C’était hilarant !
Je ne veux pas perdre notre « amitié ». Je ne sais pas quel nom donner.
Peut-être en as-tu un meilleur.
187
6. Sauver le père
Le soir du 30 décembre, je reçus un message de David. Je
compris, contre mon gré, que je ne pouvais rien faire pour lui.
Voici ce qu’au bout d’un moment je lui envoyai par SMS :
Je comprends que je suis un schéma destructeur et que je
dois apprendre à faire le deuil de mon père. Je ne l’ai pas
aidé et voilà que j’essaye d’aider les autres hommes sans
pouvoir y arriver, ni même me rendre heureuse.
Toute cette culpabilité me pourrit la vie. Le fait de toujours se remettre en question doit changer sans tomber dans
l’autre extrême.
Je m’endormis sur mes préoccupations.
Quand je me réveillai le lendemain, je retrouvai l’énergie
de la guerrière. Je me sentais capable de déplacer des montagnes par la force de l’amour.
J’écoutais des chansons sur YouTube, dont Balavoine et
Jean-Jacques Goldman, et je les partageais sur Facebook.
Soudain, une impulsion me poussa à écrire à mon père :
Libération
Bonjour Papa.
Je voulais te dire que le voyage que j’ai entrepris récemment m’a ouvert les yeux.
Je regrette ce qui s’est passé entre nous. Ce n’est la faute
de personne car les dés étaient pipés. Les parents lèguent
leurs peines à leurs enfants, inconsciemment ou pas, et continuellement.
189
J’ai toujours su qu’entre nous existait un lien plus fort que
tout. Tu es mon père.
Je veux faire la paix avec toi et je suis en train de pacifier
notre relation, mais réconciliation ne veut pas dire oublier.
Malheureusement, le mal est toujours en moi, prêt à resurgir.
C’est pour ça que je suis loin et que je ne me sens plus
bien au bout d’une semaine passée à la maison.
Ce qui ne m’empêche pas de t’aimer à distance. Tu seras
toujours avec moi, papa.
Je t’aime.
***
Paix
Papa,
Je connais tes qualités et je sais que j’ai hérité certains de
tes défauts.
Ta vie, ton enfance, n’a pas été comme elle aurait dû être.
Maman et toi n’auriez jamais dû vous installer près de vos
familles respectives. En tout cas, moi je n’aurais pu le supporter.
Je vous suis reconnaissante de m’avoir donné la vie et
d’avoir donné naissance à mes deux sœurs.
Je suis contente de te dire tout ça aujourd’hui, car je sais
que le Nouvel An n’est pas une partie de plaisir, ni pour toi,
ni pour moi.
Je pense que j’ai toujours senti quand tu allais mal, mais
les choses de la vie ont transformé cet amour paternel en
rancune. Pendant trop longtemps.
Je voulais te dire aussi que j’ai apprécié quand tu as dit à
l’hôpital que tu avais frappé maman. C’était courageux de ta
part.
Je sais aussi que j’ai hérité d’une de tes forces : la volonté.
190
J’espère que tu vas bien, que tu puisses être heureux et
que tu parviennes à faire la paix avec toi-même et avec ceux
qui t’ont blessé.
Je t’aime Papa.
La veille, je m’étais dit que Papa aurait pu venir me rendre
visite seul à Montréal, que nous aurions pu passer des moments privilégiés entre père et fille.
Montréal
En fait, Papa, je ne sais pas si je te connais vraiment.
J’aimerais bien essayer de mieux te connaître. Peut-être
que tu viennes un jour me rendre visite à Montréal. Rien que
toi et moi.
***
Et toi, penses-tu vraiment me connaître ?
***
Pourquoi je ne te connais pas ? Parce que j’ai eu peur de
toi.
Pourquoi ? À cause d’elle.
Ma grand-mère a façonné l’image que j’ai de mon père.
Elle n’en est pas elle-même responsable. Elle-même a hérité
de maux dont elle souffre, qu’elle ne peut pas guérir.
Je ne sais même pas si mon père va me comprendre.
***
La victoire de l’amour
Mon père a été gardé hors de ma portée d’une manière
perverse. Il a été tué. Il ressuscite à présent sous un jour qui
le replace dans mon cœur, à la place qu’il n’aurait jamais dû
perdre.
191
7. Jugement dernier
Après avoir déversé les larmes de mon cœur, je décidai de
me faire couler un bain. J’emportai avec moi le livre de Francesco Alberoni. Je lus péniblement. Mes pensées étaient
ailleurs.
L’auteur italien, citant les déceptions amoureuses de Goethe et de Nietzsche, tira une conclusion :
Pour guérir d’un énamourement déçu, la thérapie efficace
consiste à continuer le processus de transformation déjà
commencé. À accélérer le changement par l’exploration de
nouvelles voies. Et surtout, à s’engager dans une grande tâche qui exige de l’énergie et de la créativité. C’est seulement
ainsi que les forces libérées par l’état naissant ont la possibilité d’être canalisées dans un nouveau projet. Et la douleur,
la colère, la volonté de vengeance deviennent des pouvoirs
constructifs.162
***
Charles entra dans la salle de bain. Il voulait savoir comment j’allais. Je lui proposai de me rejoindre dans le bain. Il
ôta ses vêtements et vint s’asseoir derrière moi. Je continuai à
lire, certains passages à voix haute.
Soudain, je fus prise d’un remords et je me tournai pour
m’asseoir en face de lui.
162
Francesco Alberoni, Je t’aime. Tout sur la passion amoureuse.
193
— Comment te sens-tu ?
— Dans ce bain ?
— Maintenant. Présentement.
— Bien.
— Es-tu prêt à entendre ce que j’ai à te dire même si cela
est difficile ?
— Je pense que oui.
— Nous sommes dans ce bain, nus. Nous sommes nousmêmes. Il faut que je te dise quelque chose. Mais enlève
d’abord ta chaîne et ta chevalière.
Charles passa sa chaîne autour de la tête et la posa sur le
couvercle de la cuvette, à côté de sa chevalière.
— Je t’ai menti. Je suis allée retrouver David à Toronto à
mon retour de San Francisco.
J’expliquai le déroulement des événements. Charles réagit
avec la dignité des hommes bons et accepta la vérité. Toutefois, il digéra mal le fait que j’aie trahi sa confiance en
envoyant son e-mail à un autre, dévoilant par-là ses sentiments profonds.
Je lui dis que je l’avais fait sans réfléchir et que j’avais
compris la leçon. Je nuançai cependant en disant que les gens
jouent un rôle, en se faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas.
Au cours du « baptême », rite d’initiation, à l’Université
libre de Bruxelles, les comitards, comme on appelle les bizuteurs, reportent sur les bleus – les bizutés – ce qu’eux-mêmes
ont subi. C’est probablement ainsi que ma grand-mère a agi
et, sans le savoir, gâché nos vies.
J’urinai dans le bain comme je le faisais enfant.
Je m’allongeai sur le torse de Charles et conclus paisiblement avec ces mots :
« Un jour ou l’autre, les masques doivent tomber. Ce jourlà s’appelle le jugement dernier. »
194
Épilogue
Selon moi, Dieu n’est pas cette entité sacrée qui juge nos
actes au seuil de notre mort, à l’image, véhiculée par la
croyance populaire, d’une figure paternelle pesant le bien et
le mal sur une balance.
En lieu et place, chacun, soi-même, se trouve confronté à
sa propre vie, à ses actions et inactions, à ses bonnes et mauvaises conduites.
Nous serons seuls face à nous-mêmes, comme quand nous
nous regardons dans le miroir, à évaluer ce que nous laissons
derrière nous. Comme l’exprime Francis Cabrel dans sa
chanson Des roses et des orties.
195
Remerciements
Tout d’abord, je remercie les personnages, dont les noms
ont été modifiés.
Merci à la vie pour ce qu’elle m’a permis de vivre.
Merci à ma famille, en particulier mes parents et mes
sœurs, pour leur soutien et amour inconditionnels.
Merci à mon fils, Raphaël, dont la seule présence me procure la force de déplacer des montagnes.
Merci à Leonardo de m’encourager dans mes projets de
création.
Merci à Noël dont le manuscrit a été une grande source de
perfectionnement.
Merci à Bob qui m’a accueillie dans son chalet au bord de
l’eau et a bercé son filleul pendant la finalisation du manuscrit.
Merci à Lupita pour sa gentillesse et sa générosité indéfectibles.
Un remerciement spécial à ma brillante relectrice, Micheline, et à Catherine pour avoir ajouté la cerise sur le gâteau.
Et merci aux lecteurs de nourrir ce roman de leur imagination.
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Cet ouvrage a été édité par la
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Imprimé au Québec
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