CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun

Transcription

CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun
Service public
CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun
Faits
Des administrés avaient demandé aux représentants de l'association "Melun-Culture-Loisirs" de leur communiquer
les comptes de cette association afférents aux exercices 1972 à 1983 ainsi que tous justificatifs correspondants. Mais
les représentants de l'association refusèrent de leur communiquer ces documents.
N.B. : Le litige opposant ces mêmes administrés au maire de la ville de Melun n'apportant rien à l'état du droit applicable, il ne sera pas traité.
Procédure
Saisi d'un recours pour excès de pouvoir formé à l'encontre de la décision de refus opposée par les représentants de
l'association "Melun-Culture-Loisirs", le Tribunal administratif de Versailles rendit le 5 juillet 1985 un jugement par
lequel il annula cette décision.
Les représentants de l'association "Melun-Culture-Loisirs" interjetèrent appel du jugement du 5 juillet 1985 devant
le Conseil d'Etat.
N.B. : Lorsque le Conseil d'Etat fut saisi en appel, les cours administratives d'appel, qui venaient d'être mises en place, n'étaient pas encore
compétentes pour statuer sur des recours relevant du contentieux de l'excès de pouvoir.
Problème juridique
L'article 2 de la loi du 17 juillet 1978 disposait que "sous réserve des dispositions de l'article 6 les documents
administratifs sont de plein droit communicables aux personnes qui en font la demande, qu'ils émanent des
administrations de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics ou des organismes, fussent-ils de
droit privé, chargés de la gestion d'un service public" .
Pour savoir si ces dispositions juridiques étaient applicables au présent litige, il convenait donc de déterminer si
l'association "Melun-Culture-Loisirs" assurait une mission de service public.
Pour ce faire, il fallait, en l'état du droit applicable alors (voir CE, 28 juin 1963, Narcy ), se demander successivement
si cette association était placée sous le contrôle suffisamment étroit d'une personne morale de public, si elle menait
une activité servant prioritairement l'intérêt général et si elle était habilitée à exercer des prérogatives de puissance
public afin de pouvoir justement mener cette activité.
N.B. : Si le Conseil d'Etat considérait que l'association "Melun-Culture-Loisirs" n'était pas en charge d'une mission de service public, il pouvait
écarter l'application de l'article 2 de la loi du 17 juillet 1978 et annuler le jugement rendu par le Tribunal administratif de Versailles, mais pas
trancher véritablement le litige. En effet, si cette association était en charge d'une telle mission, alors il était vraisemblable que cette dernière aurait
été qualifiée de mission de service public à caractère administratif (par application de la jurisprudence USIA ), ce qui aurait permis au Conseil d'Etat
de qualifier la décision de refus attaquée de décision administrative (par application de la jurisprudence Monpeurt /Magnier ) et donc de retenir sa
compétence pour statuer sur le litige (par application du principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil
constitutionnel dans sa décision Conseil de la concurrence ). A l'inverse, si l'association concernée n'était pas en charge d'une mission de service
public, sa décision de refus n'aurait pu être qualifiée que d'acte juridique de droit privé, ce qui aurait conduit le Conseil d'Etat à annuler le jugement
du Tribunal administratif de Versailles au motif que la juridiction administrative n'était pas compétente pour statuer sur ce litige (par application du
principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, issu de la loi des 16-24 août 1790) et à renvoyer les parties devant les juridictions
de l'ordre judiciaire.
On voit ainsi que le problème juridique de cet arrêt pourrait tout à fait commercer par la question de la compétence des juridictions
administratives pour trancher ce litige.
Solution
Le Conseil d'Etat rejeta la requête de l'association "Melun-Culture-Loisirs".
Service public
CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun
Portée
Les deux premiers critères ne faisaient guère difficulté. En effet, l'association concernée était très largement
dépendante de la ville de Melun sur le plan financier, outre que son conseil d'administration était ouvertement
contrôlé par des conseillers municipaux de cette ville. Par ailleurs, ladite association était en charge de diverses
missions en matière culturelle et socio-éducative et notamment une mission de coordination des efforts de toutes
personnes physiques et morales pour l'animation culturelle de la ville.
En revanche, il était manifeste que l'association "Melun-Culture-Loisirs" ne disposait d'aucune prérogative de
puissance publique. On aurait donc pu s'attendre à ce que le Conseil d'Etat écarte la qualification de mission de service
public et partant l'application de l'article 2 de la loi du 17 juillet 1978 au présent litige.
Pourtant, le Conseil d'Etat considéra que cette association était bien en charge d'une mission de service public.
Reste que la portée de cette solution a été longtemps discutée par la doctrine. Pour les uns, cet arrêt constitue un
revirement de jurisprudence conduisant à ne plus faire de l'exercice de prérogatives de puissance publique une
condition nécessaire à la reconnaissance d'une mission de service public mais seulement une condition facultative. Ces
auteurs arguent du fait que le Conseil d'Etat soutient dans cet arrêt que l'association concernée doit "être regardée,
alors même que l'exercice de ses missions ne comporterait pas la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique
comme gérant, sous les contrôle de la commune, un service public communal" . Pour les autres, cet arrêt aurait un
champ d'application beaucoup plus restreint, puisqu'il ne concernerait pas le cas des véritables personnes privées,
mais seulement celui des "personnes privées transparentes" , c'est-à-dire des organismes dont l'autonomie vis-à-vis
des personnes publiques est si faible que le juge en vient à nier le fait qu'ils soient dotés d'une personnalité juridique
propre (CE, 11 mai 1987, Divier). Pour l'essentiel, outre que la syntaxe du considérant de principe laisse perplexe, ces
auteurs mettent en avant le fait que le Conseil d'Etat a considéré que l'association concernée assurait un "service
public communal " . Et finalement, la jurisprudence Ville de Melun ne concernerait que les personnes publiques !
Reste qu'il faut justifier cette idée selon laquelle les personnes publiques et les (véritables) personnes privées ne
seraient pas exactement dans la même situation lorsqu'il s'agit de qualifier les missions qu'elles assurent
respectivement (on remarquera, au passage, que l'arrêt Narcy concernait des personnes privées et non des personnes
publiques) : les activités servant prioritairement général assurées par les premières pourraient être qualifiées de
missions de service public alors même qu'elles ne sont pas assurées au moyen de prérogatives de puissance publique,
au contraire des activités servant prioritairement général assurées par les secondes et cela même lorsqu'elles sont
placées sous le contrôle étroit d'une personne morale de droit public. [Il faudrait prendre le temps de creuser ce
problème de justification...]
Textes appliqués :
Article 2 de la loi n° 78-753, du 17 juillet 1978 , portant diverses mesures d'amélioration des relations entre
l'administration et le public
Situation dans la jurisprudence :
CE, 28 juin 1963, Narcy : Le Conseil d'Etat a interprété les articles 1er et 2 de la loi du 22 juillet 1948 pour parvenir à
établir que le législateur avait entendu confier aux "centres techniques industriels", qu'il avait pourtant qualifiés luimême de personnes morales de droit privé, une mission d'intérêt général tout en leur confiant des prérogatives de
puissance publique de nature à leur permettre d'exécuter cette mission et en "[assurant] à l'administration [ - par la
mise en place de divers contrôles - ] un droit de regard sur les modalités d'accomplissement de cette mission" .
CE, 22 février 2007, APREI : "Considérant qu’indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu
reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous
le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un
service public ; que, même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de
la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa
création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour
vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission" .