MARC MICHIELS
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MARC MICHIELS
ARTIST - WRITER MARC MICHIELS Textes critiques : - Arnaud Zucker NEOGONIE DES REVES Odyssée entre l’Extrême-Orient : L’Enfer, le Purgatoire et l’Occident : Le Paradis et l’Amour des hommes, 2005-16. Préface : Arnaud Zucker. Avez-vous vu passer Ulysse ? Il s’est faufilé, le furet grec, comme la toile de sa femme araignée. Il ne s’est pas arrêté à Ithaque et court encore?: à chacun de le voir, s’il l’ose, et de croire l’attraper, comme le poisson qu’il est devenu, à force de nager. L’OdySsÉe de Marc Michiels (M2) est un moteur à trois temps qui, sans suivre les traces du premier aventurier de l’existence humaine, tâche d’exprimer quelques stations de l’âme en butte à elle-même. Des passions joyeuses aux figures de l’effacement, la traversée fut longue. Ulysse se ressemble-t-il encore ? Dans ce périple qui commence par « la mer noire » et s’achève sur un « lac gelé », M2 cherche un remède à l’immobilité qui menace les grands voyageurs. Trois recueils tressent son anneau?: la pierre, d’abord, puis l’air des nuages, et l’eau enfin du retour à Ithaque où il n’est pas encore parvenu. Parti de rien mais poussé à prendre un départ – se taire, c’est mourir un peu –, M2 tâtonne comme un aveugle dans les mâchoires d’une pierre. C’est à qu’il l'appelle à le suivre, moins spectacle que ligne ténue qui sonde l’épaisseur de la matière, à la pointe du nerf. Un destin ne se conçoit pas en un jour. Il a fallu que l’élan vienne, après l’évasion d’Ulysse hors du chapelet d’îles qui bornait son horizon et où il croyait tout contenu, tout préservé. Il a fallu se mettre en route, page à page, pour éviter que l’espace ne se referme tout à fait. Quitter la cellule d’éternité pour cette plaine d’eau ondulante où, en s’enfonçant, le regard ne sait pas s’il s’approfondit ou s’il ricoche et se regarde. Car l’espace du voyage n’est pas la terre, morne butte hirsute et calcaire, mais l’eau, curieuse de tous les espaces, qui ne se drape pas dans ses augustes vallons mais tremble, toujours, malgré sa secrète raideur. La pierre, l’air et l’eau. La joie fébrile d’abord pour fêter un départ. Bousculade dans l’archipel?: les rochers tentent un rapprochement. Ils voudraient presque former un pays – mais n’est-ce pas trop ambitieux quand tant d’eau vitale les sépare?? Alors ils s’adressent des pointes, se rangent en files, en vers complets, côte à côte. Comme les phoques du vieux Protée en ordre de veille enchantée. Et le poème, petit orgue à tuyaux, récite sur divers tons sa question parfois improvisée. D’un pied sur l’autre. Intense balancement du M qui s’ébranle, dans un rythme surtout binaire d’expressions comme des coquilles, où chaque mot a son complément qui contre lui se retourne ? : « rosée des yeux », « nuit des temps », « vent des ténèbres »… Il va l’amble, Narcisse au désert, dans les dunes mornes et liquides qui ne feront jamais miroir. Et comme détaché, au bout du poème, comme le dard ou la dernière goutte qui fait déborder le vase, un scrupule, une question, un post-scriptum tendu. D’emblée la joie est noire et c’est dans la nuit seulement que l’on parle, perchoir du faux dormeur. Dans la prison de l’être, M2 casse des cailloux, mâche des graviers, émiette sa moie, taille des galets obtus dont il a attendu longtemps – et pourtant ce ne sera pas la fin – la métamorphose en pierres reverdies. La vision de la déesse est le doute du voyageur. M2 au carré s’arme de lui-même et change de viseur. Le sens tient-il vraiment aux choses ou à notre regard, ou à nos questions ? Les postures prises par les brins – qui enfin se coalisent, qui enfin coagulent, qui enfin coagulisent pour faire un peigne, une pince, un peigne pincé, un œil, un marteau, un œil de marteau, un aileron de requin, de requin-marteau – dissolvent les cadres un peu guindés de passions mal assurées, raides de ferveurs ontologiques. Il faut lire comme on marche. M4 lâche l’ombre de la vérité pour la proie de l’art. Mister Black & White plante son stroboscope sur le tranchant d’un nuage. Le décollement de la goutte d’air, la voie des bulles, la divagation d’Ulysse, la rencontre des femmes vues. La «?pensée avisible?» fait son petit bonhomme de chemin, à cheval sur son flux, acceptant de croiser plus loin, sans se recroqueviller, à l’issue de chaque élan, même si la page 1ique est le diaphragme obligé et maximal de ses respirations. Déjà dans cette évasion M4 se met à entendre des voix. Dans l’affolement, Ulysse, qui s’est confié aux nuages, s’abandonne à des airs de fortunes, à des inspirations, à l’épaule élue arbitrairement des sirènes. Et l’amie aux seins tombés d’une comète, est-elle bien réelle ? est-elle plus ou moins que la vérité – que l’image de la vérité qui fascinait M2 ? Et dans un froufrou de mikados la troisième aube se lève, la troisième lèvre se livre : dans l’eau qui délie les gorges et refonde les formes, des ailes de papillons sur l’axe central de la page, des phrases et des cris dans le miroir. Dupliqués en tous sens. L’aventure du miroir est passée dans la page, prend les mots à bras-le-corps, à bras- le-blanc. L’esprit est soulagé. L’esprit qui croyait être le seul à se voir, le seul à se fuir, le seul à se refléter, détache dans les eaux de l’encre son mâchouillage et ses transes. Troisième pas. Première palme. D’emblée la joie est noire et c’est dans la nuit seulement que l’on parle, perchoir du faux dormeur. Dans la prison de l’être, M2 casse des cailloux, mâche des graviers, émiette sa moie, taille des galets obtus dont il a attendu longtemps – et pourtant ce ne sera pas la fin – la métamorphose en pierres reverdies. Faut-il un rêve au verbe ? Faut-il qu’M s’avoue qu’il rêve d’aimer dans l’R ? Que dans ce piège de la noèse compacte où il a toujours un orteil coincé, il attend l’aile qui brise et hisse les nards ? M2 se demande ce qui a pris à Ulysse de se prendre pour lui. À vrai dire – mais la vérité a-t-elle gardé assez de charmes pour séduire encore quelqu’un ici-bas ? M2 ne sait pas s’il est en haut ou en bas, s’il est dedans ou dehors, s’il doit se regarder à l’envers pour se voir à l’endroit et s’il suffit de retirer au point la virgule qui le surmonte pour remplacer la question par une réponse. La géométrie est là, avant la parole. Et M2 est au milieu des formes, des espaces domestiques où l’esprit affamé se mouche entre les portes : caveau, portes, couloirs, murs. Portes surtout. Où se tourner le dos. « Mourir,ça n'existe pas. » Ulysse est gonflé. À son chevet M2 raconte, parfois en termes cassants et matériels, les aventures de l’abstraction dans la chair, du beau de l’air au revers dit, dans l’attente d’un écho que ne remplacera jamais l’espoir. Voyant que le blanc, il n’y a rien à faire, les mots doivent s’y coucher, ceux qui tiennent lieu de M2 – les brins de parole qu’il délègue à cette tâche et le liquident, car il faut reconnaître que M2 est totalement dépassé et se laisse composer par ses brins qui fragmentent son mot à dire – cherchent à le cerner, à leur guise, calligramment leur secteur. C’est le passage aux bulles. La deuxième marche. Dans ce triptyque vaporeux, les passions deviennent subtiles, prennent leurs aises, dans la page. La conquête commence. Le voyage qui nous conduit loin des rivages vers les visages ignorés des miroirs. Le je qui surnage timidement, « chargé de doutes », ne se fait plus illusion, sur son SAUR. « Je suis vous », chuchote-t-il aux « planètes rouges de notre existence ». Exalté M16 se prend les pieds dans le monde et sourit. Si nombreux, on peut échapper aux face-à-face. La pierre, l’air, l’eau. Le troisième pas était dans l’eau. Mais les eaux ne sont pas plus paisibles d’être habitées désormais par des frères. La bulle sait d’où elle vient et l’enveloppe du nuage aquatique a la mémoire des visiteuses. Nous et Vous. Le pluriel, c’est l’aventure de l’effacement. La brisure du miroir suspendu de Narcisse, où le papillon ne parvient plus à se voir – tant mieux. Quel bonheur de grimper sur ses propres épaules ! ARTIST - WRITER MARC MICHIELS Textes critiques : - Briséis LEENHARDT-JAN NEOGONIE DES REVES Odyssée entre l’Extrême-Orient : L’Enfer, le Purgatoire et l’Occident : Le Paradis et l’Amour des hommes, 2005-16. Confessions? aux passions joyeuses, Marc Michiels procède en photographie comme en poésie. Les corps qui apparaissent sur sa pellicule sont comme sur le papier : des ombres, des êtres diaphanes de passage sur la rive du souvenir. Tel Virgile entre l’Enfer et le Paradis, il nous conduit dans un entre-deux-mondes où le jour se confond avec la nuit, où la vie se mêle à la mort et où l’amour, cet être présent-absent, accueille ce visiteur, chantre des âmes perdues. Tout ce qui était n’est plus - les impressions, les sensations, des ombres fugaces apparaissent pour mieux s’effacer au fond d’un océan de matière noir. Demain est déjà hier, tandis que l’incertain devient le vrai. Le poète est à la dérive, ses muses l’ont trompé. Puis, soudain, au coeur de la souffrance, une lueur et une voix se lèvent, la passion vient à côtoyer la joie, les souvenirs de l’absent murmurent le chant de l’aube et de l’être aimé. Alors dans les mots se dessinent un sourire, un regard, la chaleur des corps étreints et le temps de l’oubli laisse la place à celui du « je t’aime ». aux doigts de bulles, Marc Michiels nous emmène dans un monde où la géographie de l’amour s’instaure comme le seul mode de repère du poète : l’ici et l’ailleurs, le monde intérieur et extérieur fusionnent et dès lors que l’être aimé s’absente, on ne peut vivre « sans s’avoir où se poser ». Virgile était son guide, ici, Marc a décidé de marcher dans les pas de Paul Eluard, celui qui fit de l’amour la poésie, et de la femme, le miroir de l’univers. Mais quand l’amour se fait égoïste, les lettres se mettent à danser, les espaces de blanc-silence emplissent la page comme le coeur et dans « les grandes marges de silence, la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé ». Ainsi, le poète délaissé, revisite ses souvenirs où passé, présent et futur ne font plus qu’un : la vie, sans cesse recommencée, s’ancre dans une mémoire oublieuse. Les visages s’estompent, l’âme soeur s’en est allée pour se glisser au creux des nuages et filer entre les doigts d’Apollon... désormais de bulles. Tout devient « invisible, indicible, “a-visible” ; forme, multiforme, formel » ; et seuls les mots parvien- nent à dire l’impossible, tentant de préserver la frêle existence de ce(ux) qui reste(nt) : un arbre, une fleur, une goutte de rosée. Mais le langage pour le poète est une promesse de transformation de la réalité. Tel un pygmalion à force de sculpter de ses mots les traits de ce visage qui s’évanouit au milieu d’un nuage, il fait advenir un souffle de vie là où il n’y avait que matière. Cette « larme de rosée », n’est pas sans évoquer la naissance de l’aube, l’aurore aux doigts de rose en charge d’ouvrir les portes du ciel. Ainsi, peu à peu, le néant se lève, découvrant un paradis retrouvé où les couleurs jaillissent avec la renaissance de la muse. Le fleuve s’habille de rouge, la femme se vêt d’un bleu azur tandis que le poète s’arme d’écailles pour entamer son chant et atteindre cette « étoile nommée azur/Et dont la forme est terrestre ». Le jour et la nuit n’ont plus d’heure, nous entrons dans un monde où le rêve se fait rêvélation au coeur d’une « nuit bleue apaisée » laissant entendre la voix de l’amant qui voyage vers ce je devenu nous. L’univers des strass et des bulles qui élèverait le poète sur les hautes sphères du néant, Marc Michiels s’en éloigne, humble, préférant les « déserts à boire » où pourrait surgir son astre une « orange au goût de nuage ». Terre Promise Aux figures de l’effacement, nous invite à redécouvrir le pouvoir des mots et des images dans le cheminement spirituel d’un homme. Car s’il est avant tout question de poésie, du plaisir qu’éprouve le poète à faire, défaire re renverser les mots, comme dans les liens que l’on peut tisser, parfois si fragiles : « Les pétales de nos liens font face à notre image / Font l’image à notre face » ; à effeuiller les lettre des mots pour en découvrir toute la force, comme Pierre Reverdy le lui a montré, car au coeur même des dés/astres, on peut y voir des astres. Ainsi, il ne suffit pas de vivre, mais il faut être ivre de vivre. A travers ce Poèsis, me porte avance aussi dans la quête de soi, ou plutôt dans l’antre-soi. L’espace du dedans s’ouvre alors sur un nouveau monde parcouru par une eau vive et claire ; le poète, immergé dans l’eau du Léthé, désormais enterré ses morts et ses ombres, sa mémoire - de pluie - s’est fait oublieuse, pour laisser la place au poissons rouges et collines avec lesquels il aime prendre des « cafés à la cannelle ». Au terme de cette Odyssée, une certaine sérénité semble en effet s’être installé dans le coeur du poète. Bien que coulant encore goutte-à-goutte, oscillant entre les larmes et les gouttes de rosée, ces dernières semblent l’emporter et annoncer l’aube d’un nouveau Printemps. Dès lors, des yeux s’élèvent pour chanter, des lèvres dévoilent des champs d’étoiles, l’être aimé, cet « être de grande beauté blanche », apparaît drapé dans une aube diaphane, ouvrant les porte du ciel à son amant pour l’amener enfin à sa terre promise : Tokyoto. C’est alors que des être d’eau - mi-vague, mi sirène, peut-être nés de la grande vague d’Hokusai se dessinent sous les doigts du poète, les mots ne suffisant plus à traduire ce sentiment encore inconnu, car c’est toute la beauté et la plénitude du je t’aime qui s’affirme sous nos yeux. Qu’est-ce qu’une image’s ? Dans le précédent recueil de Marc Michiels, Aux figures de l’effacement, les ombres - âmes aimées et errantes étaient devenues gardiennes de sa vie, se fondant dans des paysages fantastiques où le poète prenait des cafés à la cannelle avec des poissons rouge sous un ciel peuplé « d’étoiles oranges et de kakis ». Mais toutes ces images ne sont-elles pas des mirages ? Ce dernier recueil qui vient fermer ce long chemin parcouru des enfers à la sérénité d’un ciel bucolique nous met face à un abîme qui échappe de nouveau aux mots. L’œil du photographe se résigne aussi, ayant cru apercevoir des femmes dansant pieds nu, des « indolentes posant à moitié nu », mais les films restent transparents et les papiers mélancoliques. Alors comment continuer à dire, à vivre ? Car le titre lui-même l’indique : l’image d’un visage s’avère toujours être multiple, fragmentée et à jamais désunie. Le singulier serait-il toujours pluriel, comme si ce « ‘s » en suspend nous plongeait dans une interminable attente, l’attente d’un autre soi, d’un autre sens ? Comme « ces masques de vie », ne seraient-ils finalement pas des masques de morts… vastes illusions perdues ? Mais tel le Baudelaire du XXIe siècle, face à ce désespoir béant qui s’ouvre, Marc Michiels décide de « partir au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau » pour tenter de percer une fois encore le mystère de la beauté, telle que peintres visionnaires ont pu l’approcher, les secrets de l’autre rive que les voix des monastères font parfois entendre et enfin, sans cesse recommencer, comme a pu le dire le poète, à s’enivrer « De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. » Alors Marc Michiels choisit la poésie, la photographie et le « pinceau du feu » pour peindre ceux qu’il aime, ceux qui ne sont plus, sa vérité et ses songes qu’une Vierge vient écarter d’un tombeau trop pressant. Tandis que les plaques de gélatine s’agglutinent pour effacer le noir et blanc et dire un monde en couleurs. ARTIST - WRITER MARC MICHIELS Textes critiques : - Gildas Le Moigne NEOGONIE DES REVES Odyssée entre l’Extrême-Orient : L’Enfer, le Purgatoire et l’Occident : Le Paradis et l’Amour des hommes, 2005-16. NOTES ODYSSÉE - ENFER : AUX PASSIONS JOYEUSES FLEURS DE L’OMBRE Ce titre fait référence au recueil Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire. Dans cette sous-partie, Marc Michiels fait de nombreuses allusions à son travail photographique (Pictorialisme, Lumière de l’âme, Abstractions mélancoliques et Impermanence) où les couleurs rouge et noir dominent sa représentation du monde. Pour lui, la quête qu’il entreprend à travers l’écriture est à l’image de celle de Dante embarquant pour l’Enfer. « Mon guide, cependant, descendit dans la barque, Puis il m’y fit entrer derrière lui ; Quand j’y fus seulement, elle parut chargée ». Extrait : Dante, La Divine Comédie, Editions Diane de Selliers, 2008. .Te souviens-tu de cet homme souffrant la mort ? Ce poème relate une expérience vécue par Marc Michiels dans une première partie de sa vie. Confronté à la mort d’un proche, l’auteur se rappelle avoir formulé une promesse devant le lit du défunt. Quelques jours plus tard, il l’a rencontré en train de marcher à l’angle de l’immeuble où vit encore sa famille. Cet événement a profondément bouleversé la relation de l’auteur au monde. .La mer noire nous transporte 1) « sourire rouge » : l’expression « sourire rouge » puise sa source dans le poème « L’héautontimorouméos » de Charles Baudelaire. « Je suis de mon coeur le vampire, - Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés, Et qui ne peuvent plus sourire ! » Extrait : Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Bibliothèque de la Pléiade, 1961. 2) « Eau mémoire de vie, mort de l’oubli » : « la mer noire » et « Eau mémoire de vie, mort de l’oubli » font référence au poème « Notre mouvement » du recueil Le Dur Désir de durer de Paul Éluard. « Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses Le jour est paresseux mais la nuit est active Un bol d’air à midi la nuit le filtre et l’use La nuit ne laisse pas de poussière sur nous » Extrait : Paul Eluard, « Notre mouvement », le Dur Désir de durer, Bibliothèque de la Pléiade, 1968. 3) « ormeaux » : il s’agit d’une métaphore. L’intérieur de la coquille de l’ormeau rappelle le tracé de l’Ordonnance de l’Univers imaginé par Dante dans La Divine Comédie. . Le commencement est la fin 1) « pierre - symbole de la connaissance du monde » : la pierre en question provient du résultat d’une prise de vue effectuée par Marc Michiels au Musée de Minéralogie à la demande de l’Association Artistique de la Ville de Paris (P. 44.). LA PAIX DES CHIENS La paix des chiens fait référence à la chanson « Le chien » de Léo Ferré, comme un hommage à la réflexion de ce chanteur sur la place de l’artiste dans la société. . Sortir du temps, c’est choisir son origine 1) « et remplissons la terre sans être de Virgile » : ce vers fait référence au Chant VI de L’Énéide de Virgile, qui raconte la descente aux enfers d’Énée. Descendant au plus profond des entrailles de la terre, Énée et Sibylle se retrouvent devant le Styx où ils rencontrent des âmes errantes. Sibylle explique alors à Enée que ces âmes sont celles des morts n’ayant jamais reçu de sépulture. Elles sont condamnées à errer cent ans avant de pouvoir franchir le Styx. 2) « Ô radeau » : cette expression renvoie au tableau de Géricault : Le Radeau de la Méduse (1818-1819). . Forces vitales invues 1) « forces vitales invues » : Marc Michiels a créé ce néologisme en s’appuyant sur sa pratique de la photographie. Selon lui, l’art de la photographie est un moyen de rendre visibles « des sensations invisibles ». L’auteur perpétue ainsi le questionnement de Cézanne, Bacon : la notion de la « sensation » au travers de la Figure et de l’Abstraction. . Pouvons-nous voir sans contrainte ? 1) « corpuscules » : l’emploi de termes scientifiques (« isomère », « optique »), philosophiques (« immanence ») et la réflexion sur la place de l’art dans le spirituel font références aux ouvrages d’Henri Bergson, dont Matière et Mémoire (1896) qui traite du problème des rapports entre le corps et l’esprit, L’Évolution créatrice (1907) et L’énergie spirituelle (1919). S’EN REMETTRE AUX ANGES Fait référence à la tendance artistique de l’orphisme et s’inspire des œuvres de Kupka, Matisse et Kandinsky. Dans son recueil Aux doigts de bulles, Marc Michiels s’inspire des propositions de poésie de Guillaume Apollinaire pour rédiger ses calligrammes. . Ayant parcouru tous mes rêves et tous abandonnés 1) « je tire le voile rouge » : ce vers fait écho à deux autres poèmes de l’auteur et clôt l’image du linceul : - « ombre du sourire rouge » (extrait du poème « La mer noire nous transporte... ») - « il me sourit et me recouvre le visage d’un drap blanc » (extrait du poème « Te souviens-tu de cet homme souffrant la mort ?... »). 2) « Psyché » : dans la mythologie grecque, Psyché est l’allégorie de l’âme. Elle est représentée communément sous sa forme humaine en train de chercher à retrouver l’amour d’Eros. Il s’agit également d’une peinture réalisée par Pierre-Paul Prud’hon, intitulée L’Enlèvement de Psyché (1808) - Musée du Louvre que Marc Michiels prit en photographie pour la série Corps et Corpuscules. . La nudité est parfois plus épaisse que l’eau salée 1) « Aurons-nous un regard aimé ? » : ce vers fait référence à la légende d’Orphée descendant chercher Eurydice aux enfers. « Orphée, tremblant qu’Eurydice ne disparût et avide de la contempler, tourna, entraîné par l’amour, les yeux vers elle ; aussitôt elle recula, et la malheureuse, tendant les bras, s’efforçant d’être retenue par lui, de le retenir, ne saisit que l’air inconsistant. » Extrait : Ovide, Les Métamorphoses, Gallimard, 1992. . Que connaissez-vous de la mort ? 1) « ême » : ce néologisme est une contraction des mots « être » et « âme ». AUX TEMPS SUSPENDUS Les trois premiers poèmes de cette sous-partie ont été créés au cours de voyages que Marc Michiels a effectués au Japon. Les trois derniers ont été écrits à son retour en France. Véritables « tableaux » à part entière, ces poèmes expriment des sensations vécues et laissent entrevoir un monde à part, comme suspendu aux temps anciens.? . Merci pour l’eau 1) « Toi qui sais m’abreuver, quelle est ton nom ? » : l’île du Japon est synonyme de féminité, d’origine, de fidélité, d’existence et de mémoire. Le mot « quelle » renvoie à cette notion et non à la recherche du nom. 2) « Au jour des cendres, cet endroit est le mien » : la première photographie que Marc Michiels a réalisée dans ce pays a été prise du haut de la tour Mori à Tokyo. Cette photographie laisse entrevoir une immense explosion, comme l’écho d’une catastrophe humaine toujours présente (P. 54-55.). . Passage à la vie des fragments 1) « Des carpes tatouées au mur de ma mélancolie » : dans ce poème, Marc Michiels se projette au lendemain de sa propre mort. Les carpes tatouées, tout comme le Saké, symbolisent les offrandes que les japonais laissent auprès du défunt, en vu de son voyage vers d’autres mondes. Ce vers rappelle également le rôle symbolique des hommes réalisant les premières peintures rupestres. Ces images ancestrales, comme autant de signes du vécu, illustrent la place de l’homme dans le Cosmos. 2) « tu sauras d’elle tout le voyage de ta vie » : il s’agit d’une citation du chant X de La Divine Comédie de Dante : « “Garde en mémoire ce que tu viens d’entendre contre toi“, me commanda ce sage ; “et à présent sois attentif”, et il dressa le doigt : “quand tu seras devant le doux regard de celle dont les beaux yeux voient toutes choses, tu sauras d’elle tout le voyage de ta vie.” » Extrait : Dante, La Divine Comédie, Editions Diane de Selliers, 2008. ODYSSÉE - ENFER : AUX DOIGTS DE BULLE UNE ORANGE AU GOUT DE NUAGE Les poèmes de cette sous-partie font référence à de multiples voyages effectués au Japon et s’inspirent de l’expression « mono no aware » qui peut se traduire par « monde flottant ». Ces poèmes forment un prologue annonçant la sous-partie suivante Un amour chaque nuit voyage en grand secret, dont le titre fait référence à un poème de Paul Eluard, « Une femme chaque nuit voyage en grand secret », du recueil A Toute Epreuve (1930). . Dans le mouvement infini des traces du vécu La forme de ce poème représente un pétale de fleur de cerisier, en forme de goutte d’eau. A travers ce poème et les deux qui le précèdent, l’auteur explique ce que signifie le Figural : « une précarité amnésique de la pensée ». 1) « Hana Gumo » : cette expression japonaise signifie « nuage de fleurs » en Japonais. C’est également le titre d’une série de photographies que Marc Michiels a réalisée à partir de la série des Nymphéas de Claude Monet. Ces photographies sont toutes proposées en forme de gouttes d’eau (p. 67.). . Que nous reste-t-il ? 1) « Je Me Day » : la mise en exergue stylistique des lettres formant l’expression « Je Me Day » est un hommage à Léo Ferré interprétant « Night and Day », extrait de l’album Il n’y a plus rien (1973). Ici, « Je Me Day » peut signifier « je me souviens du jour où je t’ai vu ». . Après toutes ces années 1) « imvisible » : il s’agit d’un néologisme, construit à partir des mots « image » et « invisible ». 2) « Galatée » : dans la mythologie grecque, Galatée est une des Néréides, fille de Nérée et de Doris. On trouve notamment la figure de Galatée dans trois œuvres qui ont inspiré Marc Michiels : Les Métamorphoses d’Ovide - Le Triomphe de Galatée, fresque de Raphaël réalisée en 1513 pour la Villa Farnesina (Rome) et Galatée, une peinture de Gustave Moreau (vers 1880). 2) « Avisible » : ce poème est construit autour d’un ensemble de deux structures de trois mots: « 1forme » - « multiforme » - « flux formel » « imvisible » - « indicible » - « avisible » « Avisible » - lié à la structure d’un Haîku : « corps d’une pensée Avisible aux côtés des gouttes de rosée sur le seuil du printemps » initialement écrit par Marc Michiels. UN AMOUR CHAQUE NUIT VOYAGE EN GRAND SECRET Marc Michiels mêle ses vers à ceux de Paul Eluard, dont la poésie semble dire « Tout est possible pour qui sait voir autrement ». Chaque poème s’accompagne d’une photographie réalisée au Japon, extraite de la série Catharsis. Deux de ces clichés (p. 182-183.) ont été pris à Nara, au Grand temple de l’est Kegon-shû daihonzan Tôdai-ji. PENETRER DU REGARD L’ETOFFE DES ETRES Son titre fait écho à cette capacité qu’ont certaines personnes de « ressentir » l’âme des autres. Dans Les secrets de la maturité, extrait du journal d’Angermann, Hans Carossa écrivait en 1941 : « l’homme est la seule créature de la terre qui ait la volonté de regarder à l’intérieur d’une autre. Sur cette volonté de regarder à l’intérieur des choses, de regarder ce qu’on ne voit pas, ce qu’on ne doit pas voir, se forment d’étranges rêveries rendues. » ANANKÈ Dans la mythologie grecque, Ananké est la personnification de la destinée. Elle marque aussi le début du cosmos dans la mythologie romaine. Dans ce poème, la question de ce qu’est la réalité formelle d’une idée est posée : « comment peut-on libérer le langage pour changer la vie? ». . Hommes d’un siècle pour vous connaître 1) « Moires » : Anankè est la mère d’Adrastée et des Moires. Elle était peu vénérée avant la création de l’Orphisme, culte dans lequel l’être humain erre de réincarnation en réincarnation pour avoir oublié son origine divine. Les Moires sont les trois déesses responsables du sort des âmes de retour dans le monde des vivants. Elles représentent ainsi le destin, associé à la notion de récompense et de punition selon la vie passée du défunt. ODYSSÉE - PURGATOIRE : AUX FIGURES DE L’EFFACEMENT OE L’ensemble des textes composant Oe forment une seule et même narration fragmentée. « Oenisme » au lieu de « Orphisme », « soe » anagramme de « ose » et pluriel imaginaire du « soi ». De la mise en forme spécifique des poèmes naissent des cris, des sons venant pour la plupart de l’enfance, qui se superposent à la narration. L’ensemble des textes présentés ici ne forment en réalité qu’un seul et même poème. . Nous ne savons pas 1) « filigrames » : ce néologisme est construit à partir des termes “filigrane” et “âme”. . Mentale de la denrée 1) « Mentale de la denrée » : ce texte s’inspire du poème « Au hasard » de Paul Eluard (Capitale de la douleur -1926). 2) « Allégorie d’une beauté vénustée » : ce vers fait référence au tableau La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli, peint vers 1485 et conservé aux Offices de Florence. . Sometimes Les vers « les textes sont parfois des images silencieuses » (P.92.) et « Le souffle d’un fil nature du fils » (P.91.) font référence au film Le sacrifice d’Andrei Tarskovski paru en 1986. FACE A LA NUIT Les poèmes présentés dans Face à la nuit font apparaître des vers de Pierre Reverdy. Marc Michiels a souhaité rendre hommage à cet artiste qui, comme lui, a habité Montmartre. Quand Pierre Reverdy décide de se retirer du monde, en 1926, il choisit de séjourner à l’abbaye bénédictine de Solesmes. Ce village Marc Michiels la connaît bien puisque, enfant, il y a séjourné régulièrement. A l’instar du héros de Natsume Sôseki, dans son livre Oreiller d’herbes paru en 1906, qui se retire dans la montagne pour peindre et réfléchir à l’acte de création, Marc Michiels choisit le Monastère de Saorge en novembre 2010 pour expérimenter la solitude créatrice et l’introspection artistique. . Mon coeur goutte-à-goutte L’eau représente pour Marc Michiels le voyage vers l’autre monde. Selon lui, il existe une relation entre l’homme, sa quête personnelle de la vérité et la nature des choses. L’eau, sous forme de pluie battante, représente symboliquement la vie moderne des hommes. A l’opposé, l’eau fraîche des montagnes rappelle à l’ermite que la source de la vie se trouve dans cette nature qu’il affectionne. 1) « Point de ligne en demi-cercle » : `Marc Michiels prend appui sur une série de peintures de Joan Miró (“bleu I, bleu II, bleu III - 1961”) afin de mettre en valeur l’idée du « signifié par le vide ». . N°5 d’une cellule au tombeau C’est le numéro de la cellule qu’a occupé Marc Michiels lors de son séjour au Monastère de Saorge. Le poème se veut être une synthèse des émotions ressenties pendant ce séjour, aux côtés d’écrivains - traducteurs tels que Françoise Pillet, Jeanne Painchaud, Arnaud Zucker, Donal McLaughlin, Jean-Jacques Boin alors responsable de la résidence d’écriture et Eva Kanine son assistante. . Je suis une âme Le titre fait référence aux poissons rouges qui nageaient dans l’abreuvoir à proximité du Monastère. A la fin de son séjour, une heure avant son départ, Marc Michiels s’est rendu près de cet abreuvoir pour faire ses adieux à « l’esprit de la colline ». Il remercia les poissons et il les vit alors se regrouper et dessiner une flèche qui lui indiquait le chemin du retour. Cette expérience, magnifiée par un paysage idyllique, fut pour l’auteur l’un des moments d’émotion les plus intenses de sa vie. TOKYOTO Les illustrations de cette sous-partie ont été créées au Japon, un mois après le séjour de Marc Michiels au Monastère de Saorge. Pendant plusieurs semaines, il n’a pas pu écrire une seule ligne ni produire aucune photographie. Seules des illustrations ont vu le jour et ont été regroupées sous le néologisme « Tokyoto », contraction de Tokyo et de Kyoto. Ces dessins expriment le sentiment qu’il a éprouvé lors de ses différents voyages, entre un Kyoto classique et un Tokyo moderne. Mis bout à bout, ces illustrations préfigurent, à la manière des kanji japonais, l’écriture de l’expression « Je t’aime » en japonais. Après la catastrophe du 11 mars 2011 survenu à Fukushima, l’auteur a été incapable d’écrire quoi que ce soit durant une année entière. ODYSSÉE - PARADIS : AILLEURS LE MONDE DES FORMES, FORMES DES MONDES . Sans cesse à mes côtés s’agite le créateur 1) « profil des diacres surveillent le sens des destructions ! » : ce vers fait référence à « l’Etude d’après le portrait du Pape Innocent X de Vélasquez » de Francis Bacon (1953). « Ce qui m’intéresse, c’est saisir dans l’apparence des êtres la mort qui travaille en eux. » Citation de Francis Bacon . Quand les hommes de l’aube à l’arme blanche Ce texte fait référence à une prise de vue réalisée par Marc Michiels dans l’atelier du maître tatoueur Yasuda-San à Tokyo et ancien forgeron des lames de sabres japonais. 1) « l’âme de Kuniyoshi » : Utagawa Kuniyoshi (1797 - 1861) était l’un des derniers grands maîtres japonais de l’estampe sur bois (« ukiyo-e »). . Lieux chargés d’histoire toi qui jusqu’à l’aurore de ta vie 1) « Glyphe huit » : cette expression renvoie au nombre de tableaux constituant la série Les Nymphéas de Claude Monet, exposés à L’Orangerie à Paris. . L’eau coulait de mes doigts... 1) « Shadows of Death » : l’auteur fait référence à un ensemble de peintures intitulé « Shadows » (1978-1979) d’Andy Warhol. . À la recherche de l’oubli’e Tiraillé entre son appartenance au monde moderne et cette impression de n’appartenir véritablement à aucun monde, Marc Michiels termine ce recueil en mettant face-à-face la mélancolie du souvenir (« le temps des image’s n’est plus ») et la délivrance par l’oubli (« à la recherche de l’oubli’e »). D’où ce questionnement permanent dans l’oeuvre de Marc Michiels : le poète doit-il être de son temps ou doit-il s’en extraire pour s’interroger sur « l’idéal de la beauté ? ». « Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie : « N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde ! ».Extrait : Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1961.