le silence a travers le roman eugenie grandet d`honore de balzac
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le silence a travers le roman eugenie grandet d`honore de balzac
UNIVERSITE DE TOAMASINA FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DEPARTEMENT D’ETUDES FRANÇAISES TOAMASINA Mémoire de Maîtrise Es Lettres L E SILENC E A T RA VERS L E R O MAN E UGE N IE G RA ND ET D’HON OR E D E B ALZA C Présenté publiquement par : DJANFAR Mourdi Sous la direction de : Madame Monique DJISTERA Maître de conférences à l’Université de Toamasina. Année universitaire 2007-2008 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac 2 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac REMERCIEMENTS Le présent travail n’aurait été réalisé, sans le concours de certaines personnes à qui nous tenons à présenter nos vifs et sincères remerciements. Qu’elles trouvent ici notre reconnaissance et l’expression de notre profonde gratitude. Nous présentons nos sincères remerciements, en particulier à madame Monique DJISTERA, notre Directeur de recherche qui, malgré ses multiples occupations, a eu l’amabilité de diriger ce travail et nous a procuré de précieux documents se rapportant à notre étude. Le présent mémoire est le témoignage de notre profonde reconnaissance. Nous remercions également monsieur Abriol IMAGNAMBY, Directeur du département d’Etudes Françaises à l’Université de Toamasina et tous les enseignants qui nous ont formé durant notre cursus universitaire. Nous manquerions à un devoir de gratitude, si nous omettions de remercier notre famille, notamment notre chère mère Némati LAHADJI, notre père Mourdi ALI, notre oncle Tadjidiny El-LAHADJY, nos frères et sœurs qui, sans ménager leurs efforts, nous ont soutenu moralement et financièrement tout au long de nos études. Nous ne pouvons pas oublier de remercier mademoiselle TAHANIS Saïd Omar, une personne qui nous est très chère. Nous ne saurions passer cette page de remerciements, sans avoir présenté notre gratitude à mademoiselle CHAFAOUIA Anoir et toute sa famille pour leur patience à notre égard. Enfin, que tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à la réalisation de ce travail, trouvent ici notre sincère reconnaissance. 3 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Toutes les citations du roman étudié sont tirées de : Honoré de Balzac, Eugénie Grandet, Editions Carrefour, 1995. 4 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac « Eugénie Grandet n’est pas seulement une étude de l’avarice (le père Grandet meurt avant la fin du livre) ; elle n’est pas seulement un roman d’amour, et, si elle n’était rien de plus, les divers romans d’amour qu’a écrits Balzac disent ce qu’elle voudrait. Elle n’est pas seulement un de ces drames de la vie commune […] elle est plus et elle est mieux, elle est le poème des existences recluses et sans horizon, elle est le poème des vies muettes »1. 1 ANDRE Le Breton, Balzac, l’homme et l’œuvre, 1905, in Extrait commentés d’Eugénie Grandet, Ed. Bordas, Paris, 1996, p.190. 5 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac INTRODUCTION 6 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Le XIXe siècle est le champ de notre étude. Celui-ci est considéré comme le siècle des révolutions. Il a connu de nombreuses transformations dans tous les domaines, afin de structurer et améliorer la vie sociale. Nous citons en particulier la révolution industrielle. La France a été bouleversée et détruite par la Révolution de 1789. Cherchant à découvrir ce qui s’est produit après cette date, jusqu’à l’entrée en jeu de ces changements radicaux, nous avons choisi de centrer notre étude sur la première moitié du XIXe siècle. Plusieurs difficultés ont été constatées au début de ce siècle où l’on a connu beaucoup de révolutions. Les moyens de communication, au niveau des infrastructures, sont un exemple parmi tant d’autres. Ceux-ci conditionnent non seulement la structure de l’économie, la rapidité des échanges, mais aussi la manière dont l’homme se situe par rapport à ses semblables et comment il conçoit sa place dans la société. Or, nous apprenons, à travers l’ouvrage de Max Milner intitulé Romantisme I que « La France de la première moitié du XIXe siècle est une France cloisonnée » ; cela à la suite de la lenteur des moyens de communication. Il écrit qu’ « en 1820, les routes ne sont pas assez nombreuses (32000km de routes royales contre 80000km de routes nationales à l’heure actuelle) et surtout elles sont très mal entretenues par suite de l’abolition de la corvée sous la Révolution ».2 Le déplacement se faisait à pied, à cheval. De ce fait, les écrivains réfléchissent sur les phénomènes de la vie sociale pour donner leurs points de vue. C’est ainsi que naquirent plusieurs mouvements littéraires, à savoir le Romantisme, le Réalisme et le Symbolisme. Parmi les auteurs de ces courants littéraires, nous distinguons Victor Hugo, Honoré de Balzac et Charles Baudelaire. Honoré de Balzac est le précurseur du Réalisme. Voulant comprendre la réalité de la société française de la première moitié du XIXe siècle, nous allons nous pencher sur la doctrine réaliste de Balzac. Grâce à cet auteur, le concept de réalisme comme « doctrine littéraire » s’est imposé 2 Max Milner, Romantisme I, Ed. B. Arthaud, Paris, 1973. 7 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac dans la conscience littéraire moderne. Il est le premier à avoir théorisé la fonction référentielle. Balzac a dit dans la Comédie humaine qu’il allait embrasser à la fois l’histoire et la critique, l’analyse de ses maux et la discussion des principes de la société de son époque. Il a écrit : « l’écrivain est obligé d’avoir en lui je ne sais quel miroir concentrique où l’univers vient se réfléchir ».3 Cette métaphore du miroir pose l’adéquation de la réalité comme principe fondamental et définit un discours réaliste. Balzac cherche à ne peindre et à ne présenter que ce qu’il a vu. Si nous nous intéressons à Balzac, c’est pour avoir une vision réelle du XIXe siècle, car non seulement il reflète la réalité des faits, nous fournit des éléments importants pour notre étude, mais il est aussi l’enfant de ce siècle. Il est né en 1799 et meurt en 1850. Ces deux dates correspondent à l’intervalle de notre étude, la première moitié du XIXe siècle. Pour déceler la réalité provinciale, nous analyserons Eugénie Grandet de Balzac, un roman considéré comme l’œuvre qui évoque les mœurs de la province, tout en présentant une opposition entre des personnages victimes de la passion. L’avarice conduit Grandet à ruiner sa famille. Eugénie, quant à elle, est victime d’une passion pure pour son cousin de Paris qui l’abandonnera plus tard. Madame Grandet périt en voulant trop protéger sa progéniture. Cependant, après une lecture minutieuse d’Eugénie Grandet, nous avons senti une atmosphère mélancolique qui se dégage dès les premières lignes, un mouvement qui renvoie à une sorte de tristesse, d’enfermement. Impressionné par cet environnement calme et tranquille qui couvre la ville et saisit les habitants, nous allons essayer d’y porter notre réflexion. Cela nous amène à traiter le thème intitulé « LE SILENCE A TRAVERS LE ROMAN EUGENIE GRANDET D’HONORE DE BALZAC ». 3 HISTOIRE DE LA LITTERATURE FRANCAISE, Par l’Université de Bucarest, Faculté de Langues et Littérature. Ed. BUCARESTI, 1981. 8 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Dans le « Dictionnaire Alphabétique et Analogique de la Langue Française », Paul Robert définit le Silence par « une suspension de parole», c’està-dire, c’est « le fait de ne pas parler, de ne pas crier, de ne pas chuchoter »4. Le Silence peut se définir aussi comme une : - Absence de bruits, de communications, d’agitations. Cette forme de silence concerne un lieu, un cadre ; - Absence de mouvements. Le silence peut se rapporter au mode de vie d’une personne ; - Absence de dialogues. Il s’agit d’une interruption immédiate de paroles ; - Absence de mention d’événements, c’est quand les faits se réalisent dans le silence. Toutes ces formes de silence figurent dans Eugénie Grandet. La ville baigne dans le silence, des habitants mènent une vie silencieuse, ils parlent tout en économisant leurs mots et la plupart des faits qu’ils vivent se produisent dans la discrétion. Les constatations que nous venons de faire permettent d’expliquer le choix du thème du silence à travers ce roman. Cette intensité du silence est bien perçue par Balzac lui-même. Il a écrit dans Madame de La Chanterie que « le silence a peut-être ses degrés. Peut-être Godefroid, déjà saisi par le silence des rues Massillon et Chanoinesse où il ne roule pas deux voitures par mois, saisi par le silence de la cour et de la tour, dut-il se trouver comme au cœur du silence, dans ce salon gardé par tant de vieilles rues, de vieilles cours et de vieilles murailles ».5 Nous allons adopter l’approche narratologique pour traiter ce thème du silence. La narratologie, c’est l’étude des relations entre un discours et les événements qu’il relate. Elle consiste à analyser le fonctionnement de la narrativité d’une œuvre littéraire. Pour cela, nous nous référons à la méthode d’analyse du discours narratif préconisée par Gérard Genette dans sons ouvrage Figures III. Ce dernier définit la narratologie comme « une science qui cherche à formuler la théorie des 4 ROBERT Paul, Dictionnaire alphabétique et analogique de la Langue française tome 6e, Ed. Société Du Nouveau Littré, Paris, 1990. 5 Balzac (de) Honoré, Mme de La Chanterie, Œuvr. II, t. VII, p. 242. In ROBERT Paul, Dictionnaire alphabétique et analogique de la Langue française tome 6e, Ed. Société Du Nouveau Littré, Paris, 1990 9 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac relations existant entre Récit et Histoire, Récit et Narration et entre Histoire et Narration dans un discours littéraire ». Gérard Genette écrit : « je propose sans insister sur les raisons d’ailleurs évidentes du choix des termes, de nommer Histoire (appelée aussi diégèse) le signifié ou le contenu narratif, Récit proprement dit, le signifiant, l’énoncé, le discours narratif ou le texte lui-même, et Narration l’acte narratif, produit du discours narratif.»6La narration de Genette est appelée Mise en texte par Yves Reuter. Selon ce théoricien, ces trois situations fonctionnent simultanément dans l’analyse du discours narratif. Elles conduisent Gérard Genette à s’inspirer de la grammaire du verbe pour les nommer « Catégories narratives » se réduisant à « la Temporalité narrative, le Mode narratif et la Voix narrative ».7 La Temporalité narrative étudie le temps de l’histoire racontée et le temps mis à la raconter. Cette première catégorie narrative joue sur les relations entre Récit et Histoire. Le Mode narratif, deuxième catégorie narrative, traite la distance narrative, c’est-à-dire « le type de discours » utilisé par le narrateur et les perspectives narratives qui analysent les points de vue du narrateur et /ou de ses personnages, sur un même lieu ou sur une même personne. Cette catégorie narrative joue aussi au niveau des relations entre Récit et Histoire. La Voix narrative, troisième catégorie narrative, désigne à la fois les rapports entre Narration et Récit et entre Narration et Histoire. La première catégorie narrative, la Temporalité, est constituée de trois instances narratives : l’ordre, la durée et la fréquence narratifs. L’Ordre narratif « cherche à savoir » si la succession des événements dans le Récit coïncide avec celle des événements dans l’Histoire. On confronte donc cet ordre de succession des événements dans l’histoire à l’ordre de leur apparition dans le récit. La Fréquence narrative concerne les rapports entre le nombre d’occurrences d’un événement dans l’histoire et le nombre de fois que cet événement se répète dans le récit. D’où le récit singulatif, répétitif et le récit itératif. 6 7 Gérard Genette, Figures III, Ed. du Seuil Paris, 1972. p.72. Ibid., pp.75-76. 10 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Le rythme par lequel évolue l’histoire que nous raconte Balzac nous amène à étudier le silence à travers des mouvements narratifs, car nous avons remarqué que, dans l’intention de présenter les relations d’interdépendance qui relient l’homme au milieu où il vit, Balzac interrompt le récit des événements par de longs fragments descriptifs, dont il justifie la nécessité, l’intérêt, au début d’Eugénie Grandet. Il évoque à peine de longues périodes. De là, l’accélération et la précipitation du récit, le temps narratif progressif, l’un des aspects les plus originaux de la temporalité narrative se voient dans le roman. Dès la première page d’Eugénie Grandet, Balzac insère l’espace de référence de la contemporanéité, dans le contexte socio-historique à l’aide d’indications temporelles. Ces données sont relatives au temps. Aussi, Eugénie Grandet évolue dans une alternance des scènes dramatiques, à grande valeur « unimétique ».8 Il nous est donc nécessaire de traiter le silence à travers des mouvements narratifs. Les valeurs temporelles de ces mouvements narratifs à savoir Pause, Sommaire, Ellipse et Scène narratifs, se schématisent par les formules suivantes où par convention, TR désigne le temps du Récit et TH celui de l’Histoire. ➲ Pause narrative: TR = n, n étant une histoire quelconque; TH = 0; donc TR > TH. Dans la pause narrative, l’histoire s’interrompt et seul le récit progresse. Dans Eugénie Grandet, le narrateur décrit lui-même des lieux, tels que la maison, la cour de la maison et la rue conduisant à cette maison Grandet, des personnages, notamment monsieur Grandet, madame Grandet et Eugénie Grandet, sans faire intervenir aucun de ses personnages. Ces descriptions renvoient au silence de la ville de Saumur et de ses habitants. ➲ Sommaire narratif : TR < TH. Par cette formule, on explique la durée indéterminée de l’histoire résumée dans le récit d’une manière à produire un effet d’accélération. Ce qui veut dire que certains détails ne figurent pas dans le roman, car on les résume. 8 Qui réalise une coïncidence conventionnelle entre le Récit et la diégèse. 11 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Dans Figures III, Gérard Genette explique le sommaire narratif ainsi: « la première observation qui s’impose dans le sommaire est l’absence à peu près totale du récit sommaire sous la forme qui fut la sienne dans toute l’histoire antérieure du roman ; c’est-à-dire la narration en quelques paragraphes ou quelques pages de plusieurs journées, mois, années d’existence sans détail d’action ou de paroles ».9 ➲ Ellipse narrative: TR = 0; TH = n; donc TR < TH. Cela signifie que la durée de l’histoire est complètement passée sous silence. Des fragments de vie ne sont pas mentionnés dans le récit. Dans Eugénie Grandet, les ellipses narratives s’expliquent par l’absence de mention d’événements. Nous ne pouvons pas savoir ce qui s’est passé durant un temps déterminé. Gérard Genette montre dans Figures III que les ellipses narratives ne concernent que le temps de l’histoire : « Du point de vue temporel, l’analyse des ellipses se ramène à la considération du temps de l’histoire élidée ».10 Cette élision permet l’accélération du récit. C’est-à-dire que les événements sont réalisés dans le silence. Les ellipses se rapportent donc au silence. Elles nous permettent de déterminer la durée des faits non mentionnés. ➲ Scène narrative : TR = TH. Cela signifie que le temps du récit correspond au temps de l’histoire. Il y a donc une coïncidence entre ces deux temps. Ce dernier mouvement narratif se présente toujours sous forme de dialogue. Il nous intéresse dans la mesure où le silence est perçu à travers des dialogues. Nous avons constaté une interruption immédiate des paroles dans des dialogues. Cela nous amène à traiter ce mouvement narratif dans notre analyse. Nous n’allons aborder tous les problèmes tournant autour du silence à travers Eugénie Grandet, car notre travail se limité aux mouvements narratifs et non à la narratologie toute entière. A ce niveau, plusieurs interrogations méritent d’être soulevées : 9 Ibid., p.130 Ibid., p. 139 10 12 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac ♣ Comment peut-on observer le silence et ses degrés à travers Eugénie Grandet? ♣ Quelle est l’influence de ce silence sur les habitants de la ville de Saumur ? Pour répondre à ces deux questions cruciales, nous avons divisé notre travail en deux grandes parties. Dans la première partie, nous allons parler de Balzac, en mentionnant les grandes étapes de sa vie, les fondements de sa conception littéraire, sa théorie littéraire elle-même, et son œuvre La Comédie Humaine. Ainsi, nous avons intitulé cette partie « BALZAC ET SON ŒUVRE ROMANESQUE». La deuxième partie de ce travail, intitulée « L’ETUDE DU SILENCE A TRAVERS DES MOUVEMENTS NARRATIFS », est consacrée à l’étude du silence proprement dit. Nous allons essayer d’analyser les différentes formes du silence à travers des mouvements narratifs, tout en montrant pourquoi le cadre romanesque revêt une importance primordiale dans notre thème. A l’aide de ces mouvements narratifs, nous allons étudier le silence qui envahit les lieux où évoluent les personnages, le silence qui détermine le mode de vie de la famille Grandet, le silence qui interrompt les paroles des personnages, et le silence qui entoure quelques événements vécus par certains personnages. Puisque la structure temporelle est inséparable du déroulement de l’action, et que Balzac prend le soin de jalonner son récit d’indications précises qui permettent de mesurer la vitesse des différents épisodes, nous avons jugé nécessaire de présenter ici la structure narrative d’Eugénie Grandet: 13 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Structure narrative du roman Eugénie Grandet. CHAPITRE I CHAPITRE II Exposition Début de l’intrigue La maison Grandet Charles à Saumur 32pages (pp 9 à 40) 96 pages (pp 40 à 135) De la Révolution à 1819 Mi-novembre1819 : une soirée (scène inaugurale) +neuf jours CHAPITRE III CHAPITRE IV Le drame Dénouement L’attente La solitude 39 pages (pp 136 à 174) 23 pages (pp 174 à 197) Décembre 1819 à fin 1827 De 1827-1833 - Premier janvier 1820 : affrontement - juin 1827 : Charles arrive en entre Grandet et sa fille ; France ; - Séquestration durant six mois - août 1827 : la lettre ; (« vers la fin du printemps ») ; - Octobre 1822 : mort de madame - même année : mariage d’Eugénie avec Cruchot ; Grandet ; - Fin 1827 : agonie du père Grandet. - 1829 : Eugénie veuve à 33 ans ; - 1833 : manœuvres des Froidfond Source: Pour élaborer cette structure, nous nous sommes référé à Eugénie Grandet de Balzac, Œuvre 102, BALISES, Ed. Nathan, 2002, P. 109. 14 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac 15 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac CHAPITRE I : LES GRANDES ETAPES DE LA VIE DE BALZAC 1. La naissance et l’enfance malheureuse de Balzac Honoré de Balzac est né à Tours le 20 mai 1799, un an après la mort de son frère Louis-Daniel. Il aura deux sœurs, Laure, née le 29 septembre 1800, et Laurence, née le 18 avril 1802.Il naît provincial et tourangeau, et cette donnée est essentielle. Toute son œuvre porte les images de la province française et de cette Touraine où il reviendra souvent, où il situera bon nombre de ses romans. Le Curé de Tours, L’Illustre Gaudissart, La Grenadière, La femme de trente ans, Le Lys dans la vallée. En effet, la famille qui est le premier environnement de l’enfant, présente un milieu naturellement plaisant, protecteur, accueillant et chaleureux pour celui-ci. Hélas ! cette conception n’est pas toujours valable pour tout le monde. Pour Balzac, le milieu familial était un lieu de perpétuel tourment et de frustration. Balzac eut une enfance malheureuse, et il en a gardé un souvenir indélébile. Sa mère ne l’aimait pas. Dès sa naissance, il a été envoyé en nourrice chez un gendarme en demi pension, et puis après au collège de Vendôme chez les Oratoriens. Quand sa mère l’avait pris chez elle, elle lui rendait la vie si dure qu’à dix huit ans, en 1817, Balzac quitta la maison paternelle pour s’installer dans un grenier. Balzac présentait l’aspect d’un enfant timide et replié sur lui-même. C’est évident car un enfant détesté n’a jamais droit à la parole. Mais, en compensation de sa timidité, il fut intelligent, et devint un génie de la littérature française. C’était un génie qui a pris le parti d’insérer ses douloureuses expériences dans son œuvre. 16 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac 2. Les années de formation Balzac a effectué ses études au collège des Oratoriens de Vendôme. Lorsqu’on entrait dans ce collège, c’était pour longtemps : il n’y avait pas de vacances, les visites étaient rarement autorisées. Honoré de Balzac a effectué dans ce collège le rude apprentissage des relations sociales, dans ce milieu où le confinement et la discipline engendrent, par contrecoup, des colères, des moqueries, d’implacables violences entre enfants. Les résultats scolaires de Balzac n’étaient pas bons. A partir de 1814, la famille Balzac s’installe à Paris où Honoré achève sans prouesses ses études secondaires au lycée Charlemagne. « Bachelier en droit » depuis le début de l’année 1819, le jeune homme, que ses parents souhaitaient orienter vers le notariat, a réclamé qu’il était destiné à la littérature et devait suivre des études littéraires. L’annonce de cette vocation a causé un choc dans la famille. 3. Les débuts littéraires de Balzac Afin de pouvoir répondre aux conditions de son père qui attend des résultats probants, Honoré de Balzac vit seul pour ne pas être troublé dans ses travaux. Sa mère dote son fils d’un budget insuffisant pour que ce dernier mette vite fin à cette vie qu’elle juge fantaisiste. Cette image du jeune homme pauvre, dans la solitude d’une mansarde, a donné des œuvres de génie, car Balzac ne faisait qu’écrire. 4. Une vie conjugale brève Nous pouvons ici parler de la brève vie conjugale de Balzac, dans la mesure où, fougueux dans ce domaine, certainement pour rattraper le temps perdu, il n’a connu qu’un seul grand amour dans toute sa vie. Cette vie amoureuse 17 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac n’a duré que quelques mois. Cependant, quatre figures de femmes y compris ce grand amour, ont été sorties de ses relations amoureuses. C’est pendant la période où les Balzac habitaient à Villeparisis qu’Honoré de Balzac a fait la connaissance de Laure de Berny ; les Balzac et les Berny étaient voisins. Née à Versailles le 24 mai 1777, fille d’un musicien ordinaire du roi et d’une femme de chambre de la reine, madame de Berny avait vingt-deux ans de plus que Balzac, lorsqu’ils ont fait connaissance. Madame de Berny a su prendre dans ce cœur, toutes les places susceptibles d’appartenir à une femme. Mais Balzac s’éloignera d’elle, la trompera, sans que cela puisse nuire à l’amour qu’elle lui portait. Ce dévouement ne s’arrêtera que le jour de sa mort, un phénomène qui ébranla Balzac. En 1825, encore en pleine idylle avec madame de Berny, Balzac fait connaissance avec la duchesse d’Abrantès. Cette fois-ci, c’était une femme qui avait plus de quinze ans que lui. Tout en continuant à fréquenter madame de Berny, Balzac entamait cette seconde relation avec la duchesse. C’était une femme qui connaissait Napoléon, son enfance et ses différents exploits. En 1831, Balzac tomba amoureux d’une autre femme, tout aussi noble de titre que les autres. Il s’agit de madame de Castries. L’enthousiasme de Balzac se transforma en déception. Après douze heures de travail acharné pour terminer une œuvre, il ne recevait en récompense que le droit de baiser les mains de la marquise. La dernière aventure amoureuse de Balzac, avant qu’il ne soit complètement accaparé par un véritable amour, était celle qu’il a connue avec Sarah Lowell. Les deux amants allaient souvent au bal et au théâtre. Cette liaison était riche de plaisir car la comtesse avait alors trente ans et possédait une certaine maîtrise de soi. 18 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Un an avant cette dernière aventure, en 1832, Balzac avait reçu une lettre de l’une de ses admiratrices, signée « l’Etrangère ». Il a répondu chaleureusement, sans deviner un seul instant que cette femme serait le grand et l’unique amour de sa vie. Descendante d’une riche et célèbre famille polonaise, Evelyne Hanska était l’épouse du comte Hanska et mère de cinq enfants, mais quatre d’entre eux ne restèrent pas longtemps en vie. La mère, malheureuse, se passionna pour la lecture, d’où sa découverte d’un grand écrivain français. C’est cette polonaise qui a accaparé Balzac corps et âme. A partir de cette relation, l’amour fut pour Balzac une lutte perpétuelle. Son travail d’écrivain devait assurer une fortune lui permettant de vivre pleinement sa passion, car pour lui, sans le loisir et l’argent, l’amour ne pouvait pas être. Madame Hanska était la deuxième passion de Balzac. Il s’établit entre eux une correspondance assez régulière qui s’étale sur presque vingt ans. Les lettres que Balzac lui a envoyées sont les plus importants commentaires de ce qu’il appellera La Comédie Humaine. Balzac a fini par être admis dans la famille Hanska après la mort du comte Hanska en 1842. Balzac ne se contenait plus de joie parce qu’il pourrait enfin avoir sa comtesse tout à lui. Mais son rêve de voir la comtesse devenir madame Balzac ne se réalisera qu’après neuf ans. Les problèmes de surmenage que Balzac a connus dans son adolescence persistaient à cause de son excessive passion et son activité intellectuelle. Nous pouvons déduire que Balzac fait partie du monde immense qu’il a fait vivre sous sa plume, un monde social, agité surtout par la passion qui tue. Car après son mariage avec madame Hanska, Balzac meurt de passion littéraire le 18 Août 1850, à cinquante et un ans, quelques heures après la visite de Victor Hugo, qui prononcera son éloge funèbre au cimetière du Père Lachaise le 21 Août. Il semblerait qu’il aurait confondu le monde réel et le monde fictif, car des témoins ont affirmé qu’il avait appelé Horace Bianchon, le célèbre médecin de la Comédie Humaine, à son secours dans son agonie. 19 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac S’il y a une conclusion à tirer de tout ce que nous venons d’exposer dans ce chapitre, c’est ceci : Balzac était un enfant malheureux dans sa famille. Il a eu un manque d’affection maternelle dans son jeune âge. C’est pourquoi les femmes qu’il avait connues dans son âge adulte étaient toutes, reconnaissons-le, plus âgées que lui, à part madame de Castries et la comtesse Visconti qui avaient à peu près son âge. La recherche de l’affection maternelle a-t-elle persisté chez l’écrivain ? Cela semble évident ; cependant, ce phénomène était aussi lié à l’époque. 5. Ses lectures Au collège de Vendôme, pour compenser la carence d’affection maternelle, notre auteur s’est refugié dans la lecture. C’est pendant les deux années de réclusion dans la mansarde de la rue Lesdiguières (1818-1820) que Balzac s’est passionné pour la lecture. A ce temps-là (1818-1820), la lecture était pour lui « une espèce de faim que rien ne peut assouvir, il dévorait des livres de tous genres, et se repassait indistinctement d’œuvres religieuses, d’histoire, de philosophie et de physique ».11 Les renseignements dont nous disposons, concernent la partie la plus studieuse et la plus inconnue de la vie de Balzac. Refugié dans un grenier près de la bibliothèque de l’Arsenal, il lisait sans relâche pour comparer, analyser et résumer des œuvres que les philosophes, les historiens et les médecins de l’Antiquité, du Moyen âge et des deux siècles précédents, avaient laissées sur le cerveau de l’homme. Les lectures secrètes de Balzac lui ont permis d’enrichir ses œuvres romanesques. Pendant cette période d’enfermement, les lectures de Balzac englobaient à la fois des œuvres de physiologistes, de biologistes, de chimistes, et de philosophes de la génération précédente. Pour Balzac, cette passion pour la lecture lui faisait non seulement oublier la souffrance morale que lui infligeait sa 11 Gaétan Picon, Balzac par lui-même, Ed. du Seuil, 1956, P.37. 20 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac mère, mais surtout aussi assouvissait sa curiosité à l’endroit de la science et de la technique. La réflexion philosophique de Balzac qui n’a pas varié durant toute sa vie est basée sur l’idée de l’unité des phénomènes du monde, du dynamisme universel qui fonde l’univers dans sa variété. Dans les années 1820 Balzac avait aussi parcouru des œuvres d’intrigue sentimentale des écrivains de son époque, écrites surtout par des femmes. Ainsi, nous citons Madame Cottin, Madame de Souza ou Madame de Staël. Il a aussi particulièrement lu le roman gai de Pigaul-Lebrun pour connaître le modèle à suivre pour sa future Comédie Humaine. Animé par une confiante curiosité dans les pouvoirs illimités de la science, Balzac manifeste très tôt une curiosité avide pour les découvertes spectaculaires et les disputes dans le domaine des sciences naturelles pour les recherches d’anatomie et de paléontologie. Il a pu construire, à l’aide de ses lectures, sa conception littéraire. 21 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac CHAPITRE II: L’ŒUVRE ROMANESQUE DE BALZAC I. Les sources de son inspiration Pour écrire son Œuvre romanesque, Balzac précise dans l’Avant-propos de 1842 qu’il va écrire l’histoire des mœurs oubliée par tant d’historiens. Il s’est donc inspiré de la réalité sociale de son époque et du milieu dans lequel cette société évolue. 1/ La création littéraire balzacienne dans son contexte historique et social Si nous pouvons remarquer une ressemblance entre les personnages balzaciens et certains contemporains que Balzac n’a pas connus, ce n’est pas un simple effet du hasard. Peintre des mœurs, Balzac prête volontiers à ses créatures une mentalité, des aspirations et des activités en accord avec l’atmosphère particulière de l’époque qu’il peint, la première moitié du XIXe siècle, et avec les champs d’action que cette époque peut offrir. a) Aspects historiques et politiques de la vie Dans Eugénie Grandet, Balzac s’attache à décrire, telle qu’elle se présente dans la ville de Saumur, la vie provinciale à l’époque de la Restauration. Sous cette période de la Restauration, les banques ne connaissaient pas le régime des comptes-courants, et les particuliers n’avaient pas encore pris l’habitude d’y déposer leur argent, qu’ils confiaient généralement aux notaires. Elles n’étaient pas organisées pour rassembler et utiliser au profit des entreprises industrielles les revenus de l’épargne. Et d’ailleurs, les sociétés anonymes par actions étaient rares et soumises à l’agrément du Conseil d’Etat. 22 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Aussi la bourgeoisie possesseur de capitaux s’oriente-t-elle vers les achats des propriétés et des terres, à moins qu’elle ne place sa fortune en fonds d’Etat, pour s’assurer un revenu régulier et substantiel. La fortune permet d’être influent politiquement, car le roi peut appeler à la Chambre des pairs même un roturier, pourvu qu’il puisse constituer un majorat, un bien inaliénable qui passera, en même temps qu’un titre de noblesse, à son fils ainé. La province et Paris forment deux mondes à part. Le prix prohibitif des voyages, leur durée, leur inconfort font que les provinciaux ne se rendent guère à Paris, sinon pour y régler une affaire d’importance ou pour y faire leurs études. Quant aux Parisiens, ils ne quittent autant dire jamais la capitale. Toutefois, province et capitale se rejoignent dans leurs ambitions. Dans cette peinture de mœurs de province, quelle peut être la place réservée à la société ? Cette question nous amène à présenter le contexte socioéconomique de la France dans la première moitié du XIXe siècle. b) Aspects sociaux et économiques de la vie En accord avec la logique même de son propos, Balzac donne à ces aspects l’importance qu’ils revêtent pour la bourgeoisie provinciale aux vues étroites et intéressées. L’épopée révolutionnaire est envisagée et rapportée selon l’optique du père Grandet. C’est une occasion pour asseoir la notoriété, la prospérité, la fortune, sur la sécularisation des biens du clergé. L’épopée crée une situation à la faveur des bouleversements sociaux et de l’abolition des privilèges. Cela permet à la bourgeoisie de tenter sa chance afin de s’enrichir et conquérir les honneurs qui vont de pair avec la fortune. A ce titre, le souci constant, chez les bourgeois, d’accroître leur fortune apparaît presque moins l’indice d’un trait de caractère que comme un signe des temps. Ils savent saisir, chaque fois que cela se présente, l’occasion la plus favorable de faire fructifier leur fortune. Il suffit de suivre, tout au long de sa 23 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac carrière, les opérations financières que Grandet réalise successivement pour se tenir au courant de ce qui fut le climat des affaires durant cette période troublée, et quelles transactions se révélaient les plus favorables, « les placements que réalise Grandet sont précisément ceux qui, dans le contexte historique et compte tenu des circonstances, se seraient imposés au même moment comme les plus avantageux aux yeux d’un homme de finance averti »12. Après la Révolution de 1789, la bourgeoisie acquit aux meilleures conditions les biens nationaux. Les plus avisés des viticulteurs vendent le produit de leurs vignobles à des commerçants belges et hollandais. L’Etat se charge de l’entretien du bord des cours d’eau qui sont du domaine public, ce qui permet aux autres de planter leurs peupliers en bordure du fleuve pour en tirer un meilleur profit. La bourgeoisie pratique aussi des prêts d’argent, sous l’Empire, à l’époque où ce genre d’opération était considérée le plus lucratif, et elle obtint « un taux de 11%, alors que l’intérêt le plus habituel est de 8% »13. Elle achète aussi des fonds d’Etat qui sont, depuis la Restauration, devenus des valeurs sûres. Si Balzac a pris pour référence les réalités socio-historiques pour écrire la future Comédie humaine, c’est pour archiver l’histoire des mœurs, les mémoires du demi-siècle qui viennent de s’écouler. C’est-à-dire, en écrivant Eugénie Grandet, la principale préoccupation de Balzac était de fournir un témoignage qui représente une valeur socio-historique et qui réponde à un titre qu’il a envisagé pour définir l’ensemble de son Œuvre : Etudes de mœurs au XIXe siècle. « Balzac a voulu suivre l’ascension de la bourgeoisie de 1789 jusqu’à la Restauration en décrivant les moyens particuliers qu’elle a employés pour agrandir sa fortune sous les régimes successifs : Révolution, Consulat, Empire et Restauration »14, soit pendant près de quarante ans. Fortement marqués par leur socialité, les personnages de la Comédie humaine illustrent la dialectique sociale, les classes sociales en devenir, 12 Jean Thoraval, Extraits commentés Eugénie Grandet, Ed. Bordas, 1980, P. 177 Ibid. P.19 14 Communication faite au colloque Balzac publiée dans la revue Europe Janvier-février 1965. 13 24 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac l’ascension économique et politique de la bourgeoisie pendant la Restauration et la Monarchie de Juillet, accompagnée par l’aggravation des contradictions sociales et par la capitalisation de l’activité spirituelle. En ce temps troublé où l’appétit se déchaîne, l’argent est décidément le maître. C’est là une des idées directrices qui inspirent Balzac. Mais cette idée n’est pas la seule, Balzac a aussi emprunté des théories scientifiques. Ce qui nous conduit à présenter brièvement ces théories. 2/ Les motivations scientifiques Balzac s’est référé à plusieurs théoriciens naturalistes français, notamment Geoffroy Saint-Hilaire, l’auteur de la théorie de « Milieux-Personnages » et Georges Cuvier. Cela nous permet d’aborder respectivement les fondements de leurs théories. a) La théorie de la composition organique d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire Naturaliste français, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) établit, à partir de 1796, l'idée que « tous les animaux sont constitués suivant un même plan d'organisation »15. Ses recherches l'amènent à classer les espèces animales suivant une unité de composition organique : les organismes du règne animal sont soumis à un « plan général », modifié au cours des âges par l'environnement ; ils descendent tous d'une espèce primitive unique, modifiée par les arrêts successifs du développement ou par le développement d'un organe aux dépens d'un autre. « Chaque pièce des insectes, dit-il, retrouve sa place semblable chez les animaux vertébrés, elle y est toujours à sa place et toujours aussi elle y reste fidèle à l'une des fonctions pour le moins. » 16 Il recherche donc, par de profondes études d'anatomie comparée, les « analogies » entre les espèces. 15 E. GEOFFROY SAINT-HILAIRE & G. CUVIER, La Querelle des analogues, Éd. d’Aujourd'hui, Placidela-Tour, 1983. P. 136 16 J. ROSTAND, Esquisse d'une histoire de la biologie, Ed. Gallimard, 1964. P.43 25 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Dans sa Philosophie anatomique (1818), dans L'Histoire naturelle des mammifères (1819) ainsi que dans de nombreux volumes ou articles, il énonce la loi des connexions (les organes conservent toujours entre eux les mêmes relations), la loi de permanence (aucun organe nouveau ne se crée), la loi du balancement (un organe ne peut se développer qu'au détriment d'un autre). Geoffroy Saint-Hilaire est le premier savant à philosopher à partir de l'anatomie comparée pour en faire la clé des lois scientifiques humaines. Pour démontrer le processus de l'évolution, Geoffroy Saint-Hilaire étudie les monstres humains et animaux, chez lesquels il voit une transformation imparfaite de l'être. Balzac, après avoir connu l’expérience du milieu et celui qui l’habite, a dédié son roman Le Père Goriot à ce théoricien en guise de « témoignage d’admiration de ses travaux et de son génie ». b) La théorie de la corrélation des organes de Georges Cuvier Georges Cuvier, né en 1769 à Montbéliard, est un des grands naturalistes du début du XIXe siècle. À partir de ses travaux sur l'anatomie comparée, il établit les bases de la science paléontologique. Il défend la variété de composition chez les animaux : « Il existe quatre plans principaux d'après lesquels tous les animaux semblent avoir été modelés et dont les divisions ultérieures ne sont que des modifications assez légères, fondées sur le développement ou l'addition de quelques parties qui ne changent rien à l'essence du plan » (Le Règne animal in Georges Cuvier, Archives municipales, Ed. Montbéliard, 1982. P.51). Jusqu'à Cuvier, l'anatomie comparée n'était qu'un recueil de faits particuliers concernant la structure des animaux. Cuvier en fit la science des lois de l'organisation animale. Certains organes ont, sur l'ensemble du fonctionnement, une influence prépondérante, d'où la loi de subordination : « les organes d'un animal ne sont pas simplement juxtaposés, mais agissent les uns 26 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac sur les autres et coopèrent à une action commune par une réaction réciproque ».17 Autrement dit, certains traits d'organisation s'appellent nécessairement les uns les autres, tandis qu'il en est d'autres qui s'excluent par incompatibilité physiologique, d'où la loi des corrélations organiques. En se fondant sur leur organisation interne, Cuvier allait tenter d'établir les rapports des êtres vivants entre eux, et il publiera ainsi en 1817 Le Règne animal distribué d'après son organisation. Ainsi le génie novateur de Cuvier a-t-il puissamment contribué au développement des sciences de la vie depuis le début du XIXe siècle. La théorie littéraire de Balzac est basée sur les réalités socio-historiques de la première moitié du XIXe siècle et sur ces théories scientifiques des naturalistes. 17 Georges Cuvier, Archives municipales, Ed. Montbéliard, 1982. P. 82. 27 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac CHAPITRE III - LA THEORIE LITTERAIRE DE BALZAC La théorie de Balzac se fonde et se définit par le Réalisme, une doctrine qui consiste à étudier objectivement et impartialement la vie contemporaine. 1. La réalité romanesque Le réalisme se définit, au sens large, comme la volonté de rendre par les mots la réalité elle-même, à partir d’une observation scrupuleuse des faits. Il consiste à choisir et à ordonner ces faits, et non à les retranscrire dans le foisonnement de la vie. Le Réalisme, qui s’est développé en France en plein épanouissement du Romantisme, marque la convergence d’un fait de culture héritée de la tradition antique, le concept de la « mimésis » formulé par Platon et Aristote, conçoit la littérature comme imitation, comme représentation du réel et d’un contexte sociohistorique. La référence à la réalité devient « l’existence fondamentale, le programme esthétique des écrivains qui, en pleine époque romantique, affirment la prééminence de la vérité sur la fiction, de l’observation sur l’imagination, de l’objectivité sur la subjectivité »18 Ainsi, le Réalisme, en tant que représentation objective de la réalité sociale contemporaine, a imposé la forme littéraire la plus apte à représenter la complexité des phénomènes liés au développement de la société moderne, de reproduire le réel, ou plutôt de créer son illusion, illusion référentielle. Balzac, le créateur du mouvement réaliste, se propose de décrire l’histoire des mœurs, généralement négligée jusqu’ici par les historiens de profession. La création rigoureuse, à laquelle prétend Balzac, concerne non seulement l’environnement social, les mœurs, mais aussi les caractères et les passions. C’est un réalisme social et psychologique. 18 Histoire de la littérature française par l’Université de Bucarest, Faculté de Langues et Littérature, Ed. BUCARESTI, 1981, P. 150. 28 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Cette histoire des mœurs, nourrie des faits quotidiens, aura moins d’éclat sans doute que l’histoire officielle, mais elle ne sera pas moins passionnante, ni moins sublime, car elle sera aussi l’histoire du cœur humain. Balzac est lui-même fasciné par l’argent et ses pouvoirs. Sa véritable manière de « s’enrichir » va consister à inventer dans le roman, ou plutôt dans une « somme » romanesque « un monde qui soit l’exacte métaphore, dans sa consistance et son expansion, de la réalité sociale et historique »19. Les romantiques rêvaient d’une totalité idéale, d’un être plus, les bourgeois aspirent au pouvoir et à l’avoir plus ; Balzac, lui, assume complètement cette double ambition à laquelle sa fécondité d’écrivain donne une dimension et un sens nouveau. 2. La doctrine littéraire de Balzac Influencé par des naturalistes de son époque, Balzac veut « la nomenclature », la classification des espèces humaines en fondant l’hypothèse d’un corps social identique à la faune naturelle. Mais il voit plus loin encore. L’œuvre ne doit pas être seulement reproduction du monde, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une production myope de la réalité, elle doit en fournir l’explication ; il faut faire la part de la créativité de Balzac, capable de mettre au monde un prodigieux univers de fiction par la seule force de son imagination. Selon Balzac « La société devait porter avec elle la raison de son mouvement»20. Or, seule la fiction, l’invention peuvent permettre à Balzac d’adopter ce point de vue transcendant qui avait été, par exemple, celui de Dante dans La Divine Comédie. D’où, en 1842, le choix du titre de La Comédie Humaine. Cette dernière dénonce l’hypocrisie, le jeu de rôles qui gouverne la société, mais surtout, désigne l’œuvre comme l’entreprise par laquelle le romancier fait figurer fictivement, comme dans les modèles explicatifs des scientifiques, les mécanismes explicites ou obscurs de l’« inhumaine » condition. 19 20 Henri Mitterand, La littérature du XIe siècle, Ed. Nathan, Paris 1986, p. 213 Idem, p. 214. 29 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac a) Le Déterminisme du milieu La comparaison entre le système de la nature et le système social suggère à Balzac un modèle pour son organisation romanesque. Les naturalistes se sont entendus sur la conclusion suivante : « La nature, en créant les animaux, a prévu toutes les sortes possibles de circonstances dans lesquelles ils avaient à vivre et a donné à chaque espèce une organisation constante, ainsi qu’une forme déterminée et invariable dans ses parties, qui force chaque espèce à vivre dans les lieux et les climats où on la trouve et à conserver les habitudes qu’on lui connaît. »21 Geoffroy Saint-Hilaire s’attache surtout à cette idée du milieu. Selon lui, les différences que nous pouvons constater entre différentes espèces, à l’intérieur d’un même groupe, sont dues à des modifications survenues sous l’influence du milieu externe de chaque espèce. En empruntant les procédés de classification par espèce des naturalistes, notamment ceux du naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire, Balzac conçoit son œuvre, La Comédie Humaine, pour représenter toute la diversité des « espèces sociales », en dépendance étroite avec les milieux sociaux qui les ont créées. D’après ce théoricien, c’est « l’influence du milieu qui explique les différences entre les espèces zoologiques »22. Balzac s’est servi de cette classification des espèces pour raconter l’histoire de la société française, oubliée par les historiens de profession. « Le concept de milieu » apparaît, pour la première fois chez Balzac avec son sens sociologique. Il représente aussi l’une des grandes innovations que Balzac a introduites dans ses romans. Pour Balzac, ce concept implique un rapport de détermination, de conditionnement réciproque, l’individu étant déterminé par le système social, et ce dernier le détermine à son tour par un mécanisme de connexion inverse. Mais, à la différence du monde animal, la vie sociale est compliquée à cause de l’intervention des conditions matérielles, car l’homme tend à représenter ses mœurs, sa pensée et sa vie dans tout ce qu’il approprie à ses besoins, et les 21 Geoffroy Saint-Hilaire et George Cuvier, La Querelle des analogues, Ed. d’Aujourd’hui, Placide-la-tour, 1983, P. 25. 22 LAGARDE ET MICHARD, Le XIXe siècle, Ed. Bordas, 1969, P.305. 30 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac mœurs diffèrent pour chaque espèce sociale et changent au gré des civilisations. Cela rend plus difficile la tâche de l’historien. En s’inspirant de ces deux théories naturalistes, Balzac, parvient à la conception selon laquelle ; « il est hors de question d’effectuer une étude sur la vie et le comportement d’un individu en dehors de son milieu social »23. C’est-à-dire, avant d’aborder la quintessence de la vie de qui que ce soit, il est indispensable d’étudier le milieu où il évolue. Cette notion de lien entre l’homme et son milieu explique pourquoi la plupart des romans balzaciens commencent par une large description du cadre. La théorie des milieux a pour conséquence de longues descriptions préliminaires : les cadres doivent passer avant les portraits. Dans l’optique balzacienne, milieux et personnages sont inséparables. Selon sa doctrine, le cadre ne constitue pas seulement la toile de fond sur laquelle les personnages se détachent. Il exerce sur les êtres une influence profonde et contribue étroitement à former leur personnalité. Nous pouvons donc expliquer la place de premier plan que le cadre occupe dans la plupart des romans balzaciens. Ce cadre est intimement lié aux êtres dont Balzac façonne et reflète les mœurs et le caractère. Si le caractère d’un individu n’est guère concevable que dans un lieu, c’est parce que ce milieu, loin d’expliquer ce caractère, le reflète. La pension Vauquer et ses pensionnaires s’impliquent et s’expliquent réciproquement. La maison Grandet révèle la personnalité de celui qui l’habite. L’avarice de Grandet se manifeste dans l’atmosphère calme et silencieuse de la maison. 23 Gaëtan Picon, Balzac par lui-même, Ed. du Seuil, 1956, P.73. 31 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac b) La notion de l’énergie vitale Les romans balzaciens partent toujours d’un but déterminé à travers lequel Balzac veut démontrer une réalité. Il est le créateur incontesté des passions humaines. La passion qui tue est la première intrigue passionnante et intéressante qui prédomine dans l’ensemble romanesque de Balzac. Il a démontré avec sa parfaite logique que « tout besoin, tout désir, tout sentiment, peut être un germe de passion »24. C’est ce début de passion qui est le plus dangereux, surtout s’il suit une croissance illimitée. Car, dans son intrigue romanesque, Balzac fait croître ce germe jusqu’à ce qu’il atteigne une proportion si excessive qu’il entraîne ses victimes au sacrifice, au crime, à la folie ou, irréversiblement à la mort. Rares sont les personnages balzaciens qui sortent vainqueurs de la passion, que ce soit la haine, la vengeance, l’avarice, la science, l’argent ou l’amour. Ces passions sont de puissants leviers pour qui sait les manier. Si l’avare excite « une prodigieuse curiosité », c’est parce qu’il concentre en lui l’essentiel des passions humaines, et l’aptitude à les mettre en œuvre. C’est sa volonté et l’unité de toutes ses forces tendues vers un but unique qui font sa puissance. Or, ce but c’est l’argent, instrument de pouvoir par excellence de la société moderne. L’individu passionné n’a au cœur qu’une seule idée : satisfaire sa passion. Cet amour fait table rase de tout autre sentiment qu’il aurait pu éprouver. Grandet maudit sa fille quand il découvre la perte de son or. L’homme mobilise toutes ses facultés et toute son intelligence pour assouvir sa passion. Cette dernière consomme l’énergie du passionné. C’est une de ces énergies univoques, typiques de l’humanité balzacienne, et souvent déployées, mais remarquables tout de même, que l’individu épuise, car il va continuer de vivre dans cette perpétuelle réflexion. Balzac montre le danger que la passion peut entraîner chez un individu qu’elle subjugue. 24 Jean Thoraval, Extraits commentés d’Eugénie Grandet, Ed. Bordas, 1996, P 16. 32 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac A mesure que l’individu avance en âge, cette passion prend une forme plus tyrannique et plus desséchante. Lorsque ses forces physiques décroissent, l’homme perd son dynamisme, mais trouve, malgré lui, la force de s’attacher à sa passion, un amour démesuré et exclusif qui finit par le tuer. Une idée chère à Balzac est ici mise en évidence, une de ces lois qui lui paraissent régir la vie sociale et la vie individuelle : « Dans quelque domaine qu’elle exerce, le grand ressort de l’homme c’est la passion, dont le romancier se plaît à mettre en lumière les dangers qu’elle présente pour l’individu, pour son entourage et pour la société »25. Possédés par la soif de connaître, par l’idée de l’absolu dans l’art ou le roman, par l’amour ou la haine, par l’ambition de s’élever dans la hiérarchie sociale ou par le désir de s’enrichir, les héros de Balzac vivent l’épopée de la volonté mise au service de la passion dominante, et se consument au fur et à mesure que cette passion est satisfaite. Nous pouvons donc retenir que la passion est bien sûr le ressort de la vie humaine, cependant, ce ressort est aussi capable d’anéantir l’être humain d’une manière accélérée, à force de trop s’y attacher. C’est en quelque sorte une maladie qui détruit l’homme, sans que celui-ci le sache. La passion ne peut engendrer que la démesure. c) La création de types humains Un «type » est un personnage qui résume en lui-même les traits caractéristiques de tous ceux qui lui ressemblent plus ou moins, il est le modèle du genre. On peut deviner, à travers son comportement, les stigmates d’une passion dominante, voire exclusive. Le type balzacien apparaît comme le produit d’une construction que justifient encore les prémisses scientifiques de l’invention romanesque. De même que le naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire a montré que les espèces animales sont issues d’un principe unique et tiennent leurs différences 25 Henri Mitterand, La littérature du XIe siècle, Ed. Nathan, Paris 1886, p. 213 33 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac des « milieux » où ils se développent, de même les être humains, selon Balzac, forment des « espèces » liées dans un processus d’interaction avec le milieu social qui les secrète et qu’elles contribuent à façonner. Mais, si le type balzacien se « dilate » si souvent en type psychologique ou sociologique, ce n’est pas seulement par goût ou volonté de rassembler le foisonnement de millions de figures humaines en quelques caractères symboliques, mais pour dépasser cette image fictive et devenir de véritables personnes en chair et en os. Nous constatons, également, chez les personnages balzaciens une passion simple mais dominante, qui constitue leur caractère propre ; puis il leur attribue les habitudes, les gestes, les paroles, les professions qui leur conviennent et crée ainsi des types inoubliables par leur intense réalité : Grandet représente l'avare, Goriot la paternité, Gaudissart le commis voyageur, Rastignac l'arriviste, Vautrin le forçat. Après avoir observé et étudié tous les phénomènes de la société française de son époque, Balzac choisit le grand titre de l’ensemble de ses romans qu’il appellera la Comédie humaine. 34 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac CHAPITRE IV- LA COMEDIE HUMAINE En 1842, en même temps qu’il choisit pour son œuvre le titre définitif de la Comédie Humaine, Balzac la dote d’un Avant-propos qui en décrit les ambitions et en justifie la structure. La Comédie Humaine consiste à « faire l’inventaire de la société française de la première moitié du XIXe siècle ».26 Telle est la formule qui résume le mieux l’ambition d’un créateur qui voulait à la fois « reproduire » et « expliquer » la société de son époque. L’individu, la société et l’histoire, pôles corrélatifs, composent dans les romans balzaciens un système capable de rendre compte de toute la vérité humaine. Balzac a pu écrire l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs en dressant l’inventaire des vices et des vertus, en rassemblant les principaux faits des passions, en peignant les caractères, en choisissant les événements principaux de la société, en composant des types par la réunion des traits de plusieurs caractères homogènes. Il a envisagé d’étudier « les raisons des effets sociaux, surprendre le sens caché dans l’immense assemblage de figures, de passions et d’événements qui caractérisent la France au XIXe siècle ».27 L’histoire et la société constituent la base de la Comédie Humaine de Balzac. Ce dernier le dit dans l’Avant-propos : « Un plan qui embrasse à la fois l’histoire et la critique de la société, l’analyse de ses maux et la discussion de ses principes, m’autorise, je crois, à donner à mon ouvrage le titre sous lequel il parait aujourd’hui : la Comédie Humaine ».28 Pour tracer l’immense physionomie d’un siècle en peignant les principaux personnages, Balzac conçoit un vaste système romanesque fondé sur l’unité de pensée et de composition. 26 Henry Mitterand, la Littérature du XIXe siècle, Ed. Nathan, Paris, 1986, P.217 Histoire de la littérature française par l’Université de Bucarest, Faculté de Langues et Littérature, Ed. BUCARESTI, 1981, P. 162 28 Henry Mitterrand, La Littérature du XIXe siècle, Ed. Nathan, Paris, 1986, P.162 27 35 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac A. La structure de la Comédie humaine Quatre vingt onze ouvrages, essentiellement des romans, deux à trois mille personnages constituent La Comédie Humaine, l’ensemble des romans balzaciens, sans compter les différentes correspondances aussi prodigieuses que les romans, et qui présentent de véritables commentaires de ses travaux. D’ailleurs, la Comédie Humaine de Balzac constitue la plus vaste fresque romanesque dépeignant la littérature française du XIXe siècle. Lui-même l’a écrit à son amie Mme Hanska : « Mes romans sont les Mille et Une nuits de l’Occident ! »29 Afin de mener à bien sa doctrine réaliste, Balzac a décidé de mettre en évidence toutes les scènes susceptibles d’exister dans la société du XIXe siècle. En effet, son œuvre comporte trois volets : Les études de mœurs, les études philosophiques, et les études analytiques. Dans le premier volet, six aspects de la société française sont développés : les scènes de la vie de campagne, les scènes de la vie parisienne, les scènes de la vie politique, les scènes de la vie privée, les scènes de la vie militaire et les scènes de la vie de province. Ces études de mœurs qui sont les plus importantes, nous amènent à la découverte du vrai monde français du XIXe siècle. La Comédie humaine englobe tous les romans qu’il a écrits depuis 1829 jusqu'en 1847. - Le Dernier Chouan, publié en 1829 (ce roman deviendra Les Chouans en 1834), est le premier roman signé « Honoré de Balzac ». Cependant, la même année, paraît la Physiologie du mariage, mais signé “un jeune célibataire“. - En 1830, les Scènes de la vie privée voient le jour. Elles sont constituées de six nouvelles dont le thème est l'échec. Ces nouvelles sont La Vendetta, Les Dangers de l'inconduite (le futur Gobseck), Le Bal de Sceaux, Gloire et malheur, La Femme vertueuse et La Paix du ménage. 29 Honoré de Balzac, Lettres à Madame Hanska. Ed. Robert Laffont, S.A. Paris 1990. 36 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac A partir de cette année 1830, d’autres nouvelles enrichiront les Scènes de la vie privée. La section comprendra vingt-sept titres, dont Modeste Mignon, écrit en 1844. - À la fin du mois de septembre 1831, certains titres non classés en 1830 se joignent à La Peau de chagrin, « roman philosophique » paru le 1er août, et quelques autres nouvelles parues en revue au cours de cette année 1831, soit douze contes plus La Peau de chagrin. - En 1832, La Femme abandonnée et La Transaction, futur Colonel Chabert, non encore intégrées à ces Scènes, constituent une deuxième édition des Scènes de la vie privée, apparue en 4 volumes, ainsi que d’autres Nouveaux Contes philosophiques dont Louis Lambert, voient le jour. - En 1833, Balzac signe un contrat pour la publication des Études de mœurs au XIXe siècle, comprenant : les Scènes de la vie privée, Scènes de la vie de province et Scènes de la vie parisienne. La publication, composée du début des Scènes de la vie de province, Eugénie Grandet et L'Illustre Gaudissart voient le jour le mois de décembre. - En 1834 les Scènes de 1830, de 1832 et de 1833 s’étendent et sont classées d’une manière ordonnée et selon un système d’ensemble. La lettre du dimanche 26 octobre 1834 à Mme Hanska révèle que le plan d'ensemble de l'œuvre à venir est déjà au point. Romans et Contes philosophiques de 1831 sont remplacés par les Études philosophiques. Les Études analytiques sont le troisième volet de la Comédie Humaine. « L'édifice aura la forme d'une pyramide : en bas, les Études de mœurs représentent les « effets sociaux » ; les Études philosophiques forment la « seconde assise » et indiquent les « causes » ; les Études analytiques recherchent les « principes ». Et, sur les bases de ce palais, moi enfant et rieur, j'aurai tracé l'immense arabesque des Cent Contes drolatiques »30. 30 Honoré de Balzac, Lettres à Madame Hanska. Ed. Robert Laffont, S.A. Paris 1990.p. 270 37 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac En décembre 1834, la première livraison des Études philosophiques voit le jour et dont l'introduction est signée Félix Davin, mais « guidé par la main de Balzac ». Cette introduction met en valeur l'économie des différentes Scènes déjà constituées. Chaque type de scène correspond à un âge de la vie humaine : les Scènes de la vie privée révèlent des fautes commises moins par volonté que par inexpérience des mœurs et par ignorance du train du monde, mais les Scènes de la vie de province expliquent la vie humaine à l’état conscient, à l’âge adulte, cette phase de la vie humaine où les passions, les calculs et les idées prennent la place des sensations, des mouvements irréfléchis. Enfin, les Scènes de la vie parisienne peignent la vieillesse, un moment où les passions ont fait place à des goûts ruineux, à des vices. On ajoute à ces scènes, les Scènes de la vie de campagne et les Scènes de la vie politique. Seules les Scènes de la vie militaire resteront et ne paraîtront qu’en 1845. Elles seront constituées de Les Chouans et Une passion dans le désert. - Entre 1836 et 1839, les Études de mœurs prennent fin et les Études philosophiques s’enrichissent davantage. Dans la même période, les éditions de romans en revue se multiplient. Ainsi, paraissent La Vieille Fille en1836, Le Cabinet des Antiques en 1838, Une fille d'Ève entre 1838 et 1839, Le Curé de village en 1839, Béatrix, ou les Amours forcées (1839), La Princesse parisienne (Les Secrets de la princesse de Cadignan) en 1839. - En 1842, pendant que l’on publie les nouvelles œuvres de Balzac, l’auteur signe un contrat de publication avec quatre libraires, dont Furne, un contrat pour la publication de ses œuvres complètes, qui auront comme titre La Comédie humaine : cette édition sera désignée comme « Edition Furne » par les lecteurs et les commentateurs. C’est aussi en ce moment que Balzac rédige un Avant-propos à la Comédie humaine où il expose avec précision son ambition scientifique, philosophique, historique et littéraire. 38 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac - De 1842 à 1846 les seize volumes de La Comédie Humaine apparaissent. Balzac possédait un exemplaire de ces seize volumes où figuraient tous les romans écrits depuis 1829. Certaines corrections ont été apportées à ces volumes. Un dix-septième volume fut publié par Furne en 1848 : il contenait La Cousine Bette et Le Cousin Pons. Enfin, un dix-huitième volume fut publié en 1855 par Houssiaux, qui avait succédé à Furne, cinq ans après la mort de Balzac. Ce dernier volume était constitué par la quatrième partie de Splendeurs et misères des courtisanes, la deuxième partie de L'Envers de l'histoire contemporaine, Les Paysans (roman inachevé) et Petites Misères de la vie conjugale. Bref, la Comédie humaine trace le chemin de son auteur. Il explique aussi sa conception du monde de son époque. On voit exposer, dans la Comédie humaine, toutes les scènes susceptibles d’exister dans la société de son époque. Nous pouvons dire que l’œuvre de Balzac est le plus grand « magasin de documents » que la littérature française possède. Elle embrasse toutes les scènes possibles de la société. Ce qui nous permet d’aborder, dans la partie suivante, un des romans qui étudie les mœurs pour découvrir la réalité de la vie provinciale de la première moitié du XIXe siècle. 39 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac 40 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Dans cette partie, nous allons étudier les différentes formes de silence décelables à travers quelques types de mouvements narratifs. Gérard Genette schématise ces mouvements narratifs comme suit : La Pause narrative : TR = n et TH = O; TR > TH où TH est le temps de l’histoire et TR celui du récit. A l’aide de ce mouvement narratif (la pause narrative), nous allons d’abord étudier le silence qui envahit les lieux où évoluent les personnages (la maison Grandet, la cour de cette maison et la rue conduisant à cette maison). Ensuite, nous mettrons en relief le silence qui détermine le mode de vie des habitants de cette maison silencieuse, notamment de la famille Grandet. Dans les Scènes narratives nous analyserons le silence qui interrompt les dialogues des personnages. Ce mouvement narratif se définit par la formule TR = TH. Le silence qui entoure certains faits et événements vécus par les personnages sera abordé dans les ellipses narratives se définissant par TR < TH. 41 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac CHAPITRE I- : L’ETUDE DU SILENCE A TRAVERS DES PAUSES NARRATIVES I- LE SILENCE ENVAHISSANT LES LIEUX OU EVOLUENT LES PERSONNAGES A TRAVERS DES PAUSES NARRATIVES. Selon Gérard Genette, la Pause narrative est un mouvement narratif qui se définit par la formule suivante: TR = n et TH = 0⇒ TR > TH. La formule signifie que le narrateur interrompt une histoire pour décrire une personne, un lieu ou un spectacle. Cela explique que le temps de l’histoire est infiniment inférieur à celui du récit. Rappelons que le Récit est le discours narratif; c’est-à-dire le texte luimême. L’Histoire est le contenu narratif, le signifié. Et, la Narration est définie comme l’acte qui produit le discours narratif. A. Le silence claustral des maisons de Saumur La pause descriptive est en général introduite par un discours narratif. Cependant, dans Figures III, Gérard Genette constate chez Balzac : « … que le roman balzacien, au contraire, a fixé un canon descriptif typiquement extratemporel, où le narrateur, abandonnant le cours de l’histoire (ou, comme dans le père Goriot ou La recherche de l’absolu, avant de l’aborder), se charge, en son propre nom et pour la seule information de son lecteur, de décrire un spectacle qu’à proprement parler, en ce point de l’histoire, personne ne regarde».31 Cela signifie que Balzac insère, dans certains de ses romans, des descriptions (ou des Pauses narratives selon la terminologie de Gérard Genette), sans tenir compte de ce discours narratif qui doit les introduire32. 31 Gérard Genette, Figures III, Ed. Du Seuil 1972. 27 rue Jacob VI, P.135 Dès les premières lignes par lesquelles s’ouvre Eugénie Grandet, nous avons une pause narrative avant même que Balzac aborde l’histoire qu’il veut raconter dans Eugénie Grandet: 32 42 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Nous constatons que l’histoire des personnages d’Eugénie Grandet, qui devait normalement figurer au début du roman, n’est pas racontée. L’auteur commence son roman par des descriptions. Pour effectuer cette étude des pauses narratives, nous interrogerons la position textuelle, le contenu narratif et la fonction des pauses décelées. Soit le passage suivant, contenu dans le premier chapitre d’Eugénie Grandet et qui s’articule ainsi : Segments narratifs. 1 « Il se trouve dans certaines provinces des maisons dont la vue inspire une mélancolie égale à celle que provoquent les cloîtres les plus sombres, les landes les plus ternes ou les ruines les plus tristes. Peut-être y a-t-il à la fois dans ces maisons et le silence du cloître, et l’aridité des landes, et les ossements des ruines. La vie et le mouvement y sont si tranquilles qu’un étranger les croirait inhabitées, s’il ne rencontrait tout à coup le regard pâle et froid d’une personne immobile dont la figure à demi monastique dépasse l’appui de la croisée, au bruit d’un pas inconnu. Ces principes de mélancolie existent dans la physionomie d’un logis situé à Saumur, au bout de la rue montueuse qui mène au château, par le haut de la ville ». 2 - « Cette rue, maintenant, peu fréquentée, chaude en été, froide en hiver, obscure sonorité de son en petit quelques endroits, est remarquable pavé caillouteux, toujours propre et par sec la par l’étroitesse de sa voie tortueuse, par la paix de ses maisons qui appartiennent à la vieille ville et que dominent les remparts » […] 33. 3- « Quand Nanon avait lavé sa vaisselle, serré les restes du dîner, éteint son feu, elle quittait sa cuisine, séparée de la salle par un couloir, et venait filer du chanvre auprès de ses maîtres. La servante se couchait au fond de ce couloir, dans un bouge éclairé par un jour de souffrance. Sa robuste santé lui permettait d’habiter impunément cette espèce de trou d’où elle pouvait entendre le moindre bruit 33 Eugénie Grandet, P. 9 43 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac par le silence profond qui régnait nuit et jour dans la maison […] » 34. 4- « Il est maintenant facile de comprendre toute la valeur de ce mot, la maison à monsieur Grandet, cette maison pâle, froide, silencieuse, située en haut de la ville et abritée par les ruines des remparts ».35 a) Pour mettre en relief l’atmosphère silencieuse qui imprègne le cadre où évoluent les personnages, nous allons étudier les relations entre le Récit, l’Histoire et la Narration (trois situations narratives), ainsi que le préconise Gérard Genette pour analyser le fonctionnement de la narrativité du discours narratif que constitue le segment narratif 1. Le Récit correspond au segment narratif 1 « Il se trouve dans certaines provinces…, par le haut de la ville », = 10L, soit TR = 10L. TH = 0, la diégèse est nulle car Balzac n’aborde pas encore l’histoire des personnages, mais décrit d’abord les maisons provinciales, d’où TR∞ > TH. Nous avons alors une pause narrative. La Narration de Balzac s’appuie sur le vocabulaire (champ lexical, champ sémantique), les figures de style et sur l’omniprésence de l’auteur pour mettre en valeur le caractère claustral de ce silence. La « paix » veut dire absence de trouble dans un lieu, et un rapport calme entre les habitants. Ce mot « paix » appartient au champ lexical du silence. Il s’ajoute donc au silence des maisons, car une maison où la paix règne est une maison où tout est calme, tout est silencieux. Les maisons semblent inhabitées. « Les cloîtres » servent à enfermer un religieux, un lieu ou un objet. Dans notre cas, ‘‘cloîtres’’, “ landes’’, “ruines’’ et “remparts’’ suggèrent une idée d’isolement. Et cet isolement peut provoquer nécessairement le silence. Ces cloîtres, landes et remparts constituent le champ sémantique du silence. 34 35 Eugénie Grandet, P. 27 Ibid., P21-22 44 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Balzac a recours à des figures de style pour illustrer ce silence claustral. Les superlatifs « les plus sombres», « les plus ternes » et « les plus tristes » sont des hyperboles qui poussent à leur plus haut degré le caractère mélancolique des lieux. “ Cloîtres les plus sombres “, “ silence du cloître“, “ aridité des landes“, “ ossements des ruines“ “vie et mouvements si tranquilles“, “figure à demi monastique“ et “la paix dans ces maisons“ sont des images associées au thème de l’enfermement. L’omniprésence de Balzac se traduit d’abord par ses impressions exprimées par les superlatifs « les plus sombres», « les plus ternes » et « les plus tristes ». Ensuite, la consécutive « si tranquilles que » atteste les perceptions de l’auteur. Ces impressions et ces perceptions sont des évocations personnelles de Balzac. Elles témoignent sa présence dans les maisons qu’il décrit. Nous constatons que l’idée d’isolement et d’enfermement, dont nous avons parlé précédemment, annonce déjà le destin d’Eugénie Grandet, l’héroïne du roman. Nous verrons dans le chapitre suivant que la maison où s’écoule la triste vie d’Eugénie est comparée à une prison. La fille va être séquestrée dans sa chambre pendant six mois (voir tableau structure narrative, page 8). Donc selon Balzac, les maisons provinciales sont un lieu de la réclusion. b) En voulant poursuivre la description du lieu, avant de raconter l’histoire de la famille Grandet, Balzac décrit l’intérieur de la maison Grandet, dans le premier chapitre. Observons le segment narratif 3 suivant, il représente le Récit « Quand Nanon avait lavé sa vaisselle,…par le silence profond qui régnait nuit et jour dans la maison ». TR = 6 L. 45 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac TH = 0 car, la diégèse n’est pas encore racontée. L’adjectif « profond » qualifie un nom qui est à un degré élevé. Qualifiant le mot « silence », cet adjectif veut dire que le silence envahit toute la maison Grandet. L’adjectif « profond » renforce donc le silence. L’adjectif « moindre » qui signifie aussi le plus petit, le moins important, met l’accent sur le caractère silencieux de la chambre de Nanon, car le moindre bruit pourrait réveiller cette dernière. Les expressions « au fond du couloir », « espèce de trou » et le mot « bouge » sont des figures de style appelées animalisation. Ressemblant à un réduit pour les animaux, le bouge doit être éloigné des autres chambres de la maison. Cela explique le silence profond qui y régnait nuit et jour. C’est dans ce trou profond que dort la servante de la famille Grandet. c) Considérons ensuite le segment narratif 4 du passage du premier chapitre, introduit après le portrait de Grandet « Il est maintenant facile…et abritée par les ruines des remparts ». Ce segment narratif est le Récit. Il couvre 3 lignes, soit TR = 3 L. L’Histoire est nulle, Balzac décrit la maison Grandet avant de relater l’histoire de ses personnages; donc TH = 0. Pour la Narration, nous allons nous intéresser au vocabulaire attestant le silence monacal de la maison Grandet. La protection de la maison, qu’exprime l’emploi du verbe « abriter », constitue un des facteurs renforçant le silence. Ce verbe renvoie à l’idée de cloître, donc d’isolement, d’enfermement. Cet endroit, caché par les ruines des remparts, n’attire personne. D’où le règne du silence. 46 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac « Les remparts », nous l’avons vu, isolent la maison Grandet. Non seulement ces remparts dominent, mais ils sont aussi en ruine et ne donnent pas l’image d’un lieu habité, fréquenté. Le choix du verbe « abriter » justifie la présence de l’auteur dans ce lieu. Il constate que la maison est au cœur des ruines des remparts. Cette omniprésence de l’auteur est le principe de la pause narrative. La description se fait toujours par lui. Les passages relevés suggèrent des descriptions qui portent l’accent sur l’isolement, l’enfermement. Les mots « cloitres », « landes » et « remparts » sont les causes du silence qui imprègne les lieux et les rendent mélancoliques. En d’autres termes, l’isolement et l’enfermement des lieux, définis par les cloîtres, les landes et les remparts, sont les causes du silence, et la mélancolie en est la conséquence. Les pauses narratives (Gérard Genette) qui présentent les causes du silence des lieux nous informent sur le devenir de l’héroïne (elle vivra dans l’isolement, la solitude à la fin du roman). B. Le silence total de la cour de la maison Grandet a) Considérons le passage suivant contenu dans le deuxième chapitre: Segment narratif « En échangeant quelques mots avec sa cousine au bord du puits, dans cette cour muette, en restant dans ce jardinet, assis sur un banc moussu jusqu’à l’heure où le soleil se couchait, occupés à se dire de grands riens ou recueillis dans le calme qui régnait entre le rempart et la maison, comme on l’est sous les arcades d’une église, Charles comprit la sainteté de l’amour […]36 ». 36 Eugénie Grandet, P. 128 47 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac 1e objet narratif « Silence complet de la cour de la maison Grandet ». La position du segment narratif 1 suivant, qui représente le Récit invoque l’histoire des rêveries d’Eugénie: « En échangeant quelques mots…, Charles comprit la sainteté de l’amour ». TR = 5L. La diégèse est nulle car Balzac suspend l’histoire des rêveries d’Eugénie avec son cousin Charles pour décrire la cour de la maison Grandet. La Narration de Balzac nous permet d’appuyer l’idée que le silence de la cour est absolu. L’adjectif « muette » qualifie un lieu qui, par nature, ne produit aucun son, un lieu tranquille. Le choix de l’adjectif « muette » témoigne le degré du silence de la cour de la maison Grandet. Le nom « calme » désigne, comme le silence, l’absence d’agitation, de trouble et de bruit dans un lieu. Ce nom explique aussi la même atmosphère silencieuse de la cour, tout comme l’adjectif « muette », mais cette fois-ci en délimitant l’espace : c’est « entre le rempart et la maison » que le silence règne. L’adjectif « muette » et le nom « calme », appartiennent au champ lexical de silence. Le verbe « régner » renvoie à un pouvoir. La cour est donc imprégnée de calme. Balzac a comparé la cour de la maison Grandet à une église. Ce lieu purement religieux où le silence prime avant tout, permet de comprendre qu’aucun son n’est perçu, donc le silence est absolu. Pour montrer l’intensité du silence dans cette cour, l’auteur a recours à des images : « ou recueillis dans le calme », « les arcades d’une église », « la sainteté » qui se rapportent au silence religieux. Dans ce cas, le silence exprime le bonheur d’être seul. Eugénie et son cousin se sentent heureux de se retrouver tout seuls. 48 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Nous comprenons maintenant l’importance de l’utilisation des images dans ce passage. Le passage relevé est une pause narrative qui atteste le silence complice entre Eugénie et son cousin ; il exprime le bonheur. C. Le silence morne de la rue conduisant à la maison Grandet Balzac, après avoir décrit d’une manière générale l’atmosphère silencieuse des maisons de Saumur, avant de pénétrer dans la maison Grandet, nous fait découvrir la rue. Il peint cette rue où est située la maison. a) Observons le segment narratif 2 suivant, il se trouve après le segment narratif où Balzac évoque de nouveau les maisons provinciales, dans le premier chapitre. Segment narratif : « Cette rue, maintenant, peu fréquentée, chaude en été, froide en hiver, obscure en quelques endroits, est remarquable par la sonorité de son petit pavé caillouteux, toujours propre et sec par l’étroitesse de sa voie tortueuse, par la paix de ses maisons qui appartiennent à la vieille ville et que dominent les remparts »37. Signalons que la pause narrative ci-dessus est insérée sans un récit introductif. Ce segment narratif 2, « Cette rue, maintenant,…et que dominent les remparts », constitue le Récit. TR = 5L. 37 Eugénie Grandet, P. 9 49 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac L’histoire est nulle car Balzac continue la description des lieux, sans raconter l’histoire des personnages. Donc TH = O. C’est-à-dire qu’il n’y a pas d’interruption d’histoire, mais, une introduction immédiate de la pause narrative. Le lexique, les figures de style et l’omniprésence de l’auteur affirmeront le silence morne de la rue. Le choix de l’expression « peu fréquentée » met l’accent sur le fait que peu de gens passent dans cette rue. Cette expression évoque le caractère morne de la rue. Un endroit « peu fréquenté » est un endroit où peu d’activités se produisent. Les adjectifs « propre » et « sec », qualifiant la rue, expliquent que ce lieu n’est pas fréquenté. Balzac a recours au terme « sonorité de son petit pavé caillouteux » pour annoncer l’arrivée de Charles Grandet, un étranger à Saumur qui ignore la mentalité de la ville. Parmi tous les silences que nous avons étudiés, celui de la maison Grandet est à son plus haut degré, car il est lié à l’idée d’isolement, d’enfermement exprimée par le terme « cette espèce de trou ». Il est à signaler que toutes les pauses narratives étudiées sont des fragments courts, mais suggestifs. Elles permettent de comprendre, de connaître la cause de l’atmosphère silencieuse de la maison Grandet. L’isolement et l’enfermement de la maison située en haut de la ville et abritée par des landes et remparts en sont les causes. C’est cet isolement qui engendre le silence dans la maison dont la conséquence est la mélancolie du lieu. D’ailleurs, à deux reprises, Balzac a employé le terme « mélancolie » à travers une triple comparaison. La première phrase du roman évoque les lieux, les cloîtres, les landes, les ruines, associés aux 50 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac adjectifs « sombres » « ternes » et tristes » qui expriment l’enfermement et la mélancolie permanente. Cela nous conduit à étudier, en deuxième lieu, l’interdépendance entre ce milieu silencieux et les personnages qui y habitent. En d’autres termes, nous allons essayer d’analyser le mode de vie de chacun des hôtes de la maison Grandet, imprégnés par le silence de la maison, de la cour, et celui de la rue. 51 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac II. LE SILENCE DETERMINANT LE MODE DE VIE DE LA FAMILLE GRANDET A TRAVERS DES PAUSES NARRATIVES. Dans cette partie, nous allons dégager des pauses narratives rapportant le mode de vie des résidants de la maison silencieuse de Grandet. Comportements (silencieux) et conduite (silencieuse) des affaires. Observons le passage suivant, il est constitué de cinq textes dont le premier et le troisième sont situés dans le premier chapitre et les autres dans le deuxième. Segments narratifs : 1- « Il n’allait jamais chez personne, ne voulait ni recevoir ni donner à dîner ; il ne faisait jamais de bruit, et semble économiser tout, même le mouvement. »[…]38. 2- « Ayant dit, Grandet remonta dans son laboratoire, où Nanon l’entendit remuant, fouillant, allant, venant, mais avec précaution. Il ne voulait évidemment éveiller ni sa femme ni sa fille, et surtout ne point exciter l’attention de son neveu, qu’il avait commencé par maudire en apercevant de la lumière dans sa chambre… La voiture partit. Nanon verrouilla la grande porte, lâcha le chien, se coucha l’épaule meurtrie, et personne dans le quartier ne soupçonna ni le départ de Grandet ni l’objet de son voyage. La discrétion du bonhomme était complète. Personne ne voyait jamais un sous dans cette maison pleine d’or » […].39 3- « Dans la croisée la plus rapprochée de la porte, se trouvait une chaise de paille dont les pieds étaient montés sur des patins, afin d’élever madame Grandet à une hauteur qui lui permît de voir les passants. Une travailleuse en bois de merisier déteint remplissait l’embrasure, et le petit 38 39 Eugénie Grandet, P 18 Ibid., pp. 110-111-112 52 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac fauteuil d’Eugénie Grandet était placé tout auprès. Depuis quinze ans, toutes les journées de la mère et de la fille s’étaient paisiblement écoulées à cette place, dans un travail constant, à compter du mois d’avril jusqu’au mois de novembre » […]40. « La mère et la fille s’assirent en silence, l’une sur sa chaise à patins, l’autre sur son petit fauteuil ; et, toutes deux, elles reprirent leur ouvrage […]41. 4- « Elles descendirent, reprirent en silence leurs places près de la croisée, et travaillèrent pendant une heure environ sans se dire un mot» […]42. Objet narratif : « Accomplissements des affaires se réalisant dans le silence». Pour analyser le mode de vie de la famille Grandet, nous allons étudier les relations entre Récit, Histoire et Narration dans tous les segments narratifs suivants. A) Le segment narratif 1 Le segment narratif 1 suivant « Il n’allait jamais chez personne,…, même le mouvement » est le Récit = 3lignes, donc TR = 3L. TH = 0 car le narrateur suspend la diégèse pour décrire le comportement discret de Grandet. Cette description correspond à la pause narrative, selon l’appellation de Gérard Genette. La narration de Balzac justifiera le comportement discret de Grandet. 40 Eugénie Grandet, P. 24 Ibid., P. 72 42 Ibid., P. 86 41 53 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac La phrase négative« Il ne faisait jamais de bruit », signifie qu’il n’y a pas de dialogue entre le bonhomme et son entourage, surtout avec sa famille. Elle explique le comportement habituellement silencieux de Grandet, quand il est au logis. L’attitude silencieuse de Grandet, le fait qu’il ne faisait jamais de bruit, est due à l’environnement calme et silencieux de la maison. L’auteur met l’accent sur le comportement calme de Grandet à l’aide de la négation « ne…jamais ». B) Le segment narratif 2. Soit le segment narratif 2 suivant « Ayant dit, Grandet remonta dans son laboratoire,…cette maison pleine d’or »43 situé dans le deuxième chapitre après que Grandet décide d’aller vendre son or à Angers à un prix doublé. Le Récit correspond à ce segment narratif 2 couvrant 9 lignes, soit TR = 9. TH = 0, car Balzac interrompt l’histoire du dévouement de Grandet envers son frère de Paris. Balzac utilise la narration pour attester la conduite silencieuse de Grandet dans les affaires. La phrase « Ayant dit, Grandet remonta dans son laboratoire, où Nanon l’entendit remuant, fouillant, allant, venant, mais avec précaution » renvoie à la prudence de Grandet. Malgré ses mouvements exprimés par les participes présents « remuant, fouillant, allant, venant », Grandet ne fait pas de bruit pour n’éveiller ni sa femme ni sa fille, et surtout ne point exciter l’attention de son neveu,car il veut réaliser cette vente de l’or dans la discrétion la plus totale. 43 Eugénie Grandet, pp. 110-111-112 54 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac La proposition « personne dans le quartier ne soupçonna ni le départ de Grandet ni l’objet de son voyage» renvoie à l’accomplissement silencieux de la vente de l’or. Cela signifie que personne n’était au courant de l’opération conclue par le vieil avare. Nous pouvons justifier cette réalisation secrète à l’aide de la phrase « la discrétion du bonhomme était complète » que Balzac a employée dans ce segment narratif 2. La pause narrative dénote suffisamment la manière dont Grandet gère ses affaires, indépendamment de l’avis de sa famille. Grandet ne consulte personne quand il s’agit d’affaires. Ces dernières se passent dans le profond silence. C) Segment narratif 3 Considérons le Récit suivant « Dans la croisée la plus rapprochée de la porte… et travaillèrent pendant une heure environ sans se dire un mot»44.On relate les activités d’Eugénie et de sa mère dans ce récit. Il s’étend sur 13 lignes, soit TR = 13L. TH = 0, car la diégèse est nulle. L’auteur décrit les travaux d’ouvrage des deux femmes. La Narration de Balzac attestera que les actions de la mère et de sa fille s’accomplissent en silence, de manière répétitive. Les expressions « s’assirent en silence », « reprirent en silence leurs places » et « sans » se dire « un mot » suggèrent la répétition des mêmes activités laborieuses faites en silence par Eugénie et sa mère et montrent que les deux femmes étaient proches l’une de l’autre. 44 Le Récit est constitué par les textes 3(p24), 4(p72) et 5(p86). Ces derniers décrivent les mêmes occupations d’Eugénie et de sa mère. 55 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac La proposition (Elles) « travaillèrent pendant une heure environ sans se dire un mot » renvoie à un effet de contraste. C’est-à-dire que malgré ce rapprochement étroit, Eugénie et sa mère travaillent dans cette maison silencieuse, pendant une longue durée, une heure environ, sans se parler. Les verbes au passé simple « s’assirent », « reprirent », « travaillèrent » expriment des actions qui se répètent. Pour présenter le mode de vie de madame Grandet et d’Eugénie, Balzac a employé la répétition. Il a utilisé le terme « en silence » à deux reprises, et deux fois le verbe « reprirent ». Ces répétitions montrent dans quelle condition les deux femmes travaillent. Balzac a recours à ces répétions dans le but de montrer le caractère monotone de la vie silencieuse de la famille Grandet. Notons que les journées des deux femmes s’écoulaient paisiblement en ce même lieu depuis quinze ans. Balzac se moque de la bourgeoisie provinciale à travers l’emphase «, et toutes deux, elles reprirent leur ouvrage ». Elles n’avaient que cet exercice d’activité à effectuer. La répétition des actions, les habitudes constantes de madame Grandet et de sa fille Eugénie régissent les moindres actes, comme un rituel. Le déroulement paisible des gestes quotidiens engendre le silence chez ces deux femmes. D’ailleurs, l’omniprésence de Balzac se justifie par ces descriptions ironiques. Nous sentons sa présence quand il se moque de cette vie silencieuse et monotone de la province. Nous pouvons conclure que l’atmosphère silencieuse de Saumur engendre une attitude silencieuse chez ses habitants. La vie de la famille Grandet baigne dans le silence de sa maison. 56 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Notons que cette vie silencieuse, de madame Grandet et sa fille Eugénie, était favorable à la réalisation secrète des affaires de Grandet. Elle donnait libre cours à l’avarice de Grandet. Les femmes ne demandaient rien concernant la fortune qui devait être commune. Tout au long de notre étude des pauses narratives (Gérard Genette), nous avons remarqué une absence de communications, correspondant au silence du cadre, c’est-à-dire, de la maison et ses alentours (cour et rue), ainsi qu’au mode de vie de la famille Grandet. Les mots « cloîtres », « landes » et « remparts », mettent l’accent sur cette absence de communication dans ces lieux enfermés, isolés, cachés et en ruine. Il est à souligner que Saumur n’a pas de contact avec les villes voisines. Signalons qu’un mois s’écoule sans qu’il passe deux voitures dans la rue du haut de la ville. Ce silence du cadre se traduit par les pauses narratives. Dès le début du roman, Balzac décrit des maisons vétustes claustrées où dominent des remparts, la rue sinistre du haut de la ville de Saumur où règne le silence qui, nous l’avons vu, est inévitable, avant de présenter l’attitude, le mode de vie de chacun des habitants d’une de ces maisons silencieuses, notamment de la famille Grandet. L’auteur voulait décrire l’atmosphère silencieuse dans laquelle Grandet, un avare, va exploiter sa famille pour voir croître sa fortune, et où sa fille Eugénie, amoureuse de son cousin de Paris, va réaliser son projet de mariage avec ce dernier. Les pauses narratives que nous avons présentées permettent de comprendre les causes de cette atmosphère silencieuse du lieu où l’histoire de « l’amour-passion » va se dérouler. Nous avons vu que le silence est dû à l’isolement et à l’enfermement des maisons de Saumur. Les pauses narratives permettent aussi de justifier la théorie littéraire de Balzac selon laquelle, il est hors de question d’étudier le comportement de qui que ce soit en dehors du milieu où évolue sa vie. C’est-à-dire que les pauses 57 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac narratives que nous avons dégagées servent à expliquer la relation d’interdépendance entre les personnages et le milieu où ils évoluent. La vie de ces derniers manque de communication comme l’est le cadre. Tout en nous conformant à ce déterminisme du milieu, nous pouvons dire que la maison où s’écoulera la triste vie d’Eugénie et de sa mère est comparée à un désert ou à un cimetière. Le silence et l’immobilité dans la maison Grandet, sont le reflet de la vie des habitants de Saumur. Car après avoir analysé le mode de vie de la famille Grandet, nous avons remarqué une attitude silencieuse, comme si le lieu (la maison) qui baigne dans le silence, nous disait à l’avance le destin des êtres. Cette relation d’interdépendance entre milieux et personnages donne à ces pauses narratives la fonction diégétique, car elles font progresser l’histoire. Les descriptions des lieux sont à la fois une entrée en matière et une préparation à l’action : milieux et personnages sont inséparables dans l’optique balzacienne. Eugénie va être enfermée dans sa chambre par son père et vivra seule à la fin du roman. Comment les personnages du roman Eugénie Grandet profondément silencieux se manifestent dans les dialogues ? Pour répondre à cette question, nous allons essayer d’analyser les dialogues des personnages, interrompus par le silence. 58 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac CHAPITRE II : LE SILENCE INTERROMPANT LES DIALOGUES DES PERSONNAGES A TRAVERS DES SCENES NARRATIVES. Nous allons prendre le modèle de Genette pour analyser le silence dans ce chapitre. Dans les scènes narratives, se définissant comme suit : TR = TH, le silence va interrompre des dialogues. Rappelons que les scènes narratives sont toujours dialoguées. La formule TH = TR signifie qu’il y a une coïncidence entre le temps du Récit et celui de l’Histoire. Nous allons étudier les relations entre Récit, Histoire et Narration, en interrogeant le mode d’insertion de chaque scène narrative, les objets narratifs et la fonction des scènes narratives. Grandet gérera d’abord ses affaires dans le silence. Ensuite, l’amour entre Eugénie et son cousin se réalisera dans la discrétion totale. Le silence de madame Grandet lui permettra de protéger sa progéniture. L’interruption immédiate des paroles Segments narratifs 1: « - Eh !eh !monsieur Grandet, si ça vous gênait, lui dit un marchand de drap, son plus proche voisin, je vous en débarrasserais. - Ouin !ce sont des sous, répondit le vigneron. - D’argent, dit le facteur à voix basse. - Si tu veux que je te soigne, mets une bribe à ta margoulette, dit le bonhomme au facteur en ouvrant sa porte. - Ah ! le vieux renard, je le croyais sourd, pensa le facteur, il paraît que quand il fait froid il entend. - Voilà vingt sous pour tes étrennes, et motus ! Détale ! lui dit Grandet[…]45. 2 :- J’ai lu ces deux lettres. 45 Eugénie Grandet, p.145 59 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac - Comment cela s’est-il fait ? reprit-elle, pourquoi suis-je montée ? En vérité, maintenant je ne le sais plus. Mais je suis tentée de ne pas trop me repentir d’avoir lu ces lettres, puisqu’elles m’ont fait connaître votre cœur, votre âme et… - Et quoi ? demanda Charles. - Et vos projets, la nécessité où vous êtes d’avoir une somme… - Ma chère cousine… - Chut, chut, mon cousin, pas si haut, n’éveillons personne. Voici, dit-elle en ouvrant la bourse, les économies d’une pauvre fille qui n’a besoin de rien. Charles, acceptez-les. Ce matin, j’ignorais ce qu’était l’argent, vous me l’avez appris, ce n’est qu’un moyen, voilà tout […]46. 3- Je ne savais rien de tout ceci, répondit-elle en se tournant du côté de la ruelle du lit pour ne pas subir les regards étincelants de son mari. Je souffre tant de votre violence, que si j’en crois mes pressentiments, je ne sortirai d’ici que les pieds en avant. Vous auriez dû m’épargner, en ce moment, monsieur, moi qui ne vous ai jamais causé de chagrin, du moins, je le pense. Votre fille vous aime, je la crois innocente autant que l’enfant qui naît ; ainsi ne lui faites pas de peine, révoquez votre arrêt. Le froid est bien vif, vous pouvez être cause de quelque maladie. - Je ne la verrai ni lui parlerai. Elle restera dans sa chambre au pain et à l’eau jusqu’à ce qu’elle ait satisfait son père. Que diable, un chef de famille doit savoir où va l’or de sa maison. Elle possédait les seules roupies qui fussent en France peut être, puis des génovines, des ducats de Hollande […]47. 4- C’est-y vrai, dit Nanon effarée en arrivant, que voilà mademoiselle au pain et à l’eau pour le reste des jours ? -Qu’est-ce que cela fait, Nanon ? dit tranquillement Eugénie. -Ah ! pus souvent que je mangerai de la fripe quand la fille de la maison mange du pain sec. Non, non. -Pas un mot de tout ça, Nanon, dit Eugénie. -J’aurai la goule morte, mais vous verrez […]48. 46 Eugénie Grandet, p.121 Ibid., p.151 48 Ibid., p. 153 47 60 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac 5- Messieurs, dit-elle en s’avançant par un mouvement plein de fierté, je vous prie de ne pas vous occuper de cette affaire. Mon père est maître chez lui. Tant que j’habiterai sa maison, je dois lui obéir. Sa conduite ne saurait être soumise à l’approbation ni à la désapprobation du monde, il n’en est coupable qu’à Dieu. Je réclame de votre amitié le plus profond silence à cet égard. Blâmer mon père serait attaquer notre propre considération. Je vous sais gré, messieurs, de l’intérêt que vous me témoignez ; mais vous m’obligerez davantage si vous vouliez faire cesser les bruits offensants qui courent par la ville, et desquels j’ai été instruite par hasard. - Elle a raison, dit madame Grandet […]49. 6 - Vous voilà donc veuf, monsieur, lui dit Nanon. C’est bien désagréable d’être veuf avec deux femmes dans sa maison. -Je ne te parle pas à toi. Tiens ta margoulette ou je te chasse. Qu’est-ce que tu as dans ta casserole que j’entends bouillotter sur le fourneau ? […]50». Objet narratif « La suspension soudaine des paroles ». La scène narrative est, nous l’avons dit, toujours dialoguée. Le discours rapporté est un dialogue. Il présente tous les aspects d’un dialogue. Il reproduit ou est censé reproduire littéralement les paroles qu’un personnage a prononcées. S’inscrivant en rupture avec la narration ou l’argumentation dans lesquelles il est inséré, le discours rapporté est facilement identifiable par : - Des marques typographiques appelées en linguistique éléments graphiques. Les paroles rapportées sont parfois encadrées par des guillemets (« ») précédés ou non de deux points, ou signalées par un tiret « - », surtout dans le dialogue pour indiquer un changement de réplique. - Des phrases introductrices ou éléments énonciatifs. Ce sont des verbes à 49 50 Eugénie Grandet, P.158 Ibid., p.153 61 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac sujets inversés, situés le plus souvent après les paroles rapportées. Ce sont les verbes déclaratifs (verbes de parole ou de pensée), synonymes plus ou moins proches du verbe dire « dit Grandet, reprit-elle, dit-elle, demanda Charles … ». - Le système des pronoms personnels ou éléments pronominaux. Nous avons les pronoms personnels de la première personne (« je » et « nous »). Ces pronoms désignent le locuteur. Les pronoms personnels de la deuxième personne (« tu » et « vous ») renvoient à l’interlocuteur. - Le système des pronoms personnels permet de comprendre les relations interpersonnelles. - Une ponctuation expressive ou éléments stylistiques. Ces éléments traduisent le ton, les sentiments ou les intentions du locuteur. On trouve les points d’interrogation « ? », d’exclamation « ! » ou de suspension « … ». - On peut aussi rencontrer des adverbes tels que maintenant, ici, là. Ces éléments linguistiques caractérisent le discours rapporté. A travers le passage que nous avons articulé (voir pages 58-59-60), nous rencontrons certains de ces éléments linguistiques, signifiant qu’il s’agit de scènes narratives. A) Segment narratif 1. Observons d’abord le segment narratif 1. Il tient place au moment où Grandet revient du quai avec le facteur qui transporte l’argent de la vente de son or à Angers : « Eh ! eh ! monsieur Grandet, si ça vous gênait..., et motus ! Détale ! lui dit Grandet »51. Ce segment narratif 1 constitue le récit qui est égal à 9L, soit TR = 9L. 51 Eugénie Grandet, p. 145 62 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Le temps de l’histoire est indéterminé. Donc TH indéterminé. Quant à la narration de Balzac, nous allons avoir recours aux lexiques et aux figures de style. La faible intensité de voix que révèle l’expression « à voix basse » veut dire produire un son sans être entendu, c’est-à-dire, parler moins fort, cela renvoie au silence. Le facteur parle à voix basse. Ce discours se rapporte à l’idée de silence. Nous remarquons que le facteur, qui accompagne Grandet, se demande s’il s’agit vraiment d’argent. Mais, bien que les propos du facteur soient à voix basse, Grandet les a entendus et sa réaction est immédiate. Il doit le faire taire. La bribe est un menu morceau qui permet de boucher un trou. La margoulette est une gueule, une bouche. Et quand Grandet dit au facteur de mettre ce morceau dans sa bouche, il veut l’empêcher de parler, lui ordonner de se taire. Etant le maître dans sa maison, Grandet exige le silence au facteur. L’expression « Mets une bribe à ta margoulette » peut donc suggérer le silence. Elle renvoie au silence. Grandet impose le silence au facteur. Pour ce faire, le bonhomme lui promet quelques sous. L’interjection « motus ! » invite quelqu’un à ne pas répéter, dévoiler un secret. C’est-à-dire, elle empêche une personne de parler. Elle interrompt le discours du facteur. Grandet, pour assurer que son affaire se passe dans la discrétion, insiste sur le silence du facteur, en prononçant cette interjection : « motus ! ». Il lui demande de ne plus parler de sa fortune, en lui donnant « vingt sous ». Cet argent achète en quelque sorte le silence du facteur et assure la discrétion dans l’affaire de Grandet. On constate que Grandet profite de la faiblesse du facteur pour que son projet d’Anger se passe dans l’incognito. Signalons que l’argent est prioritaire dans le monde de Balzac. Pour empêcher le facteur de parler de son argent, le vigneron lui promet quelques sous. 63 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Le silence de Grandet lui permet de réaliser ses affaires dans la discrétion. Selon lui, celles-ci doivent toujours rester secrètes. B) Segment narratif 2 Considérons ensuite le segment narratif 2 situé après la décision d’Eugénie de faire don de sa bourse à son cousin Charles. La fille a su qu’il était tout à fait dénué d’argent. Le Récit correspond à ce segment narratif 2 : « J’ai lu ces deux lettres…, ce n’est qu’un moyen, voilà tout »52 qui est égale à 11L. L’Histoire est indéterminée, car le temps de la parole est aussi indéterminé. Dans cette scène narrative, deux éléments expriment directement la rupture du dialogue entre Eugénie et son cousin Charles. L’interjection « chut » exige le silence, le calme. Elle renvoie donc directement au silence. Balzac a utilisé cette interjection pour permettre à Eugénie d’interrompre son cousin, afin de maintenir l’atmosphère silencieuse de la maison Grandet. N’oublions pas que la demeure de Grandet est si tranquille que le moindre bruit y retentit. Et puis, la négation « pas si haut », sert à diminuer l’intensité d’un son. Elle rompt la voix. Tous ces mots ne font que renforcer le silence. Eugénie demande à Charles de baisser sa voix. On comprend, à l’aide de ces mots « chut » et « pas si haut », que toute la conversation des deux cousins est réalisée à voix basse, avant d’être complètement interrompue par l’interjection « chut ». Les points de suspension «… » mentionnés dans les phrases «, la nécessité d’avoir une somme… » et « Ma chère cousine… » indiquent une interruption de paroles. L’auteur les a passées sous silence. 52 Eugénie Grandet, P121 64 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac C) Segment narratif 3 Le segment narratif 3 suivant se trouve au moment où Grandet demande violemment à sa femme à qui Eugénie a donné son trésor : « - Je ne savais rien de tout ceci...jusqu’à ce qu’elle ait satisfait son père »53. Ce segment narratif 3 révèle une scène narrative. Il est le Récit. TR = 12L. Ici l’histoire est indéterminée. La narration correspond à l’étude du vocabulaire suivant. Le verbe « épargner » signifie économiser les mots. Il se rapporte au silence. Quand madame Grandet demande à son mari de l’épargner, c’est pour l’interrompre, suspendre ses propos. Elle veut lui dire de rester calme et silencieux pour ne pas lui causer de la souffrance. Le silence de Grandet est donc un moyen efficace pour madame Grandet pour protéger sa fille contre les réprimandes de son père. Malheureusement, l’amour pour l’or de Grandet est plus fort que l’amour pour sa femme. Celui-ci décide, malgré sa femme, de séquestrer Eugénie, car la fille refuse de dévoiler son secret, alors que voir l’or est le seul moyen qui puisse apaiser son père. La phrase négative « Je ne la verrai ni lui parlerai » signifie une rupture de la parole. Grandet, évitant de parler à sa fille, cherche à éloigner celle-ci de son entourage, précisément de lui. Il la séquestre dans sa chambre. Cet emprisonnement causera la solitude de la fille; elle restera dans sa chambre toute seule au pain et à l’eau. Cette solitude engendrera sûrement le silence chez Eugénie puisqu’elle n’aura personne avec qui parler. La solitude est donc la cause du silence d’Eugénie. 53 Eugénie Grandet, p. 151 65 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac D) Segment narratif 4. Le Récit correspond au segment narratif 4 suivant « C’est-y vrai, dit Nanon…j’aurai la goule morte, mais vous verrez »54. Il couvre 7 lignes, soit TR = 7L. Le temps de l’histoire est indéterminé, donc TH est indéterminé. Pour expliquer l’interruption de paroles des personnages, nous allons nous intéresser à la narration de Balzac. L’expression « Pas un mot de tout ça » interdit de produire la parole dans une situation donnée. Elle est alors associée au silence. Pour que Nanon ne parle plus de sa détention, Eugénie lui demande de rester silencieuse. Nous comprenons que la fille est prête à recevoir tout châtiment de la part de son père, quand il s’agit de dissimuler son secret concernant l’or. Elle ne veut pas entendre parler de son enfermement. Autrement dit, l’expression « pas un mot de tout ça » met l’accent sur l’injonction au silence. Eugénie se rend responsable de son acte. Dans les légendes orientales, la « goule » est un démon qui suce le sang des vivants et dévore les cadavres. Reliée à la mort qui est la fin de toute action, cette goule ne peut ni sucer le sang ni dévorer les cadavres. L’expression « avoir la goule morte », exprimée dans la phrase « j’aurai la goule morte », correspond alors à une animalisation. L’auteur, en utilisant cette figure, compare Nanon à un animal domestique qui obéit à sa maîtresse. Les paroles de Nanon sont en quelque sorte suspendues par Eugénie. Quand Nanon promet qu’elle aura « la goule morte », elle veut dire qu’elle ne dira rien. Elle ne parlera plus de la réclusion d’Eugénie, elle restera silencieuse. 54 Ibid, p. 153 66 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac E) Segment narratif 5 Le segment narratif 5 suivant est situé à l’endroit où Eugénie entend la conversation entre sa mère et le notaire. Le segment narratif « Messieurs, dit-elle en s’avançant…Elle a raison, dit madame Grandet »55 équivaut au Récit, TR = 10L. Le temps de l’’histoire est indéterminé, donc TH = indéterminé. La narration de Balzac justifie l’interruption des paroles. La demande « je vous prie de ne pas vous occuper de cette affaire » (sa réclusion) signifie une interdiction d’intervention. Elle interrompt le dialogue entre sa mère et les Cruchot. Elle empêche aussi le dialogue entre Cruchot et son père et favorise le silence. Nous comprenons, dans cette scène narrative, qu’Eugénie cherche à rester dans le silence en demandant aux Cruchot de ne pas s’occuper de sa réclusion, de ne pas parler à son père. Bien que Cruchot soit capable de la libérer, la fille « réclame son plus profond silence » au sujet de son emprisonnement. Le verbe « réclamer », évoqué dans la phrase « Je réclame de votre amitié le plus profond silence à cet égard», veut dire insister sur le silence de Cruchot. Eugénie revendique un profond silence. Ce verbe renforce le silence. Il est utilisé pour couper la conversation entre madame Grandet et les Cruchot. La fille souhaite que Cruchot reste indifférent à sa détention. Elle l’empêche de parler. La locution verbale « faire cesser les bruits » signifie couper la parole à quelqu’un. Eugénie propose aux Cruchot de réduire plutôt les Saumurois au silence au lieu d’aller parler à son père de sa liberté. Eugénie demande aux 55 Eugénie Grandet, p. 158 67 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Cruchot de faire en sorte que les Saumurois arrêtent de parler de sa séquestration. Retenons qu’Eugénie empêche à qui que ce soit de parler à son père et cherche à avoir le silence de la ville de Saumur concernant son enfermement. Dans ce cas, Eugénie est responsable de son silence. F) Segment narratif 6 Grandet « déjeune, pour la première fois, tout seul » après avoir décidé de séquestrer sa fille. Le segment narratif qui suit ce déjeuner présente une scène narrative. Le Récit correspond au segment narratif 6 « Vous voilà donc veuf, monsieur,…que j’attends bouillotter sur le fourneau »56. Il couvre 4 lignes, soit TR = 4L. TH est indéterminé. Le vocabulaire et les figures de style constituent la narration de Balzac. À travers la phrase négative « je ne te parle pas à toi », nous retenons que Grandet ne veut pas engager de dialogue avec Nanon. Cette négation « je ne te parle pas » signifie rompre la communication. Disant cela, Grandet évite d’établir une conversation avec sa servante. Il veut suspendre la parole de Nanon. L’expression, « tenir sa margoulette » signifie fermer la bouche, ne pas parler. L’expression a été choisie pour mettre l’accent sur le silence. Nous pouvons donc dire que la phrase « tiens ta margoulette ou je te chasse » interrompt Nanon. Grandet empêche Nanon de continuer à parler. Le verbe « chasser » signifie que Grandet oblige Nanon à se taire. Quand il lui ordonne de tenir sa margoulette, il lui coupe la parole, il lui impose donc le silence. 56 Eugénie Grandet, p. 153 68 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Dans ce chapitre, nous avons pu mettre en évidence six scènes narratives tout au long de notre étude du silence. A travers ces scènes narratives, nous avons d’abord constaté qu’il y a une interruption de dialogues des personnages. Nous pouvons donc parler d’absence de dialogues dans ce chapitre, car les propos des personnages sont entrecoupés de silence. Il n’y a pratiquement pas d’échange de paroles entre les membres de la famille Grandet qui habitent ce lieu silencieux. Ensuite, nous avons retenu que le silence dans le segment narratif 6 est imposé. Il est donc total. Grandet réduit Nanon au silence tout en menaçant de la chasser si elle ne lui obéit pas. La servante garde un silence absolu concernant la détention d’Eugénie pour respecter son maître et parce qu’elle a peur d’être chassée. Enfin, la narration de Balzac nous permet de conclure que les scènes narratives que nous avons extraites, ont une fonction de « caractérisation psychologique et sociale ».57 Psychologique parce que Grandet, en voulant dissimuler ses affaires, est obligé de rompre les dialogues qui se rapportent à sa fortune. C’est le cas du facteur à qui Grandet a empêché de parler de son argent. Grandet suspend la parole de Nanon lorsqu’elle s’est préoccupée de la réclusion d’Eugénie, parce qu’il ne voulait pas entendre parler d’un sujet qui touche la perte de l’or qui le tourmente. La scène narrative détermine l’état psychologique de Grandet. Il est un vrai avare et veut que ses opérations se passent dans la discrétion. Aussi sociale car l’expression « mettre une bribe à sa margoulette » adressée au facteur montre que celui-ci appartient à une classe sociale démunie. 57 Gérard Genette, Figures III, Ed du Seuil, Paris, 1972, P. 143. 69 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Il mérite donc un certain langage approprié à la classe sociale à laquelle il appartient. Il est de même pour Nanon, quand Grandet lui dit de « tenir sa margoulette », nous comprenons que la servante appartient à une classe sociale inférieure. Nous pouvons observer et justifier la différence de cette détermination sociale à travers les scènes narratives chez Eugénie, quand elle s’adresse aux Cruchot. Les termes utilisés ne relèvent pas du même registre de langue que celui prononcé à l’endroit du facteur et de Nanon. L’auteur a employé les verbes de prière, « je vous prie, je réclame, si vous vouliez faire cesser », pour interrompre les Cruchot. Contrairement au facteur et à Nanon, ces formules montrent que ces derniers, les Cruchot, appartiennent à une classe sociale aisée. Il ne faut pas oublier que Cruchot est un notaire. Nous pouvons donc dire que les scènes narratives que nous avons étudiées ont une valeur, une fonction déterminante. Elles évoquent l’état d’esprit de Grandet dans les affaires et nous montrent les classes sociales des personnages, tels que le facteur, Nanon et les Cruchot. 70 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac CHAPITRE III : LE SILENCE ENTOURANT DES EVENEMENTS VECUS PAR LES PERSONNAGES A TRAVERS DES ELLIPSES NARRATIVES. Pour analyser le silence à l’aide des ellipses narratives, nous allons donner, dans chaque étude, des indications temporelles signifiant que certains événements ne sont pas mentionnés dans le roman. Cela justifiera la formule TR ∞ < TH. Les événements se produisant dans le silence. Dans cette étude des ellipses narratives, le silence se percevra à travers des faits passés sous silence. Soit le passage suivant que nous avons articulé comme suit : Segments narratifs: 1- « Un mois après le départ du banquier, Grandet possédait une inscription de cent mille livres de rentes achetée à quatre-vingts francs net.»[…]58. 2- « Personne ne pensait à passer sa créance au compte de Profits et Pertes, et chacun se disait : - Grandet de Saumur paiera ! six mois s’écoulèrent ». […]59 3- «Malgré sa parole, à la fin de la première année, le vieux tonnelier n’avait pas encore donné un sou des cent francs par mois si solennellement promis à sa fille» [...]60. 4- « Comment, Nanon, dit un soir Eugénie en se couchant, il ne m’écrira pas une fois en sept ans ? »61. 58 Eugénie Grandet, P. 135 Ibid., P. 136 60 Ibid., P.169 59 71 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Objet narratif « Les événements, vécus par des personnages, passés sous silence ». Pour effectuer l’analyse des ellipses narratives, nous allons étudier les relations entre le Récit, l’Histoire et la Narration, tout en interrogeant, dans chaque segment, la position textuelle, le contenu narratif et la fonction. A) Segment narratif 1 Soit le segment narratif 1 suivant « Un mois après le départ du banquier… achetée à quatre-vingts francs net.» se positionne au deuxième chapitre après le départ de Charles pour les Indes, au moment où Eugénie n’apercevait plus le mouchoir que celui-ci agitait. Ce segment narratif est le Récit, TR = 2L. TH = 1mois, les démarches de liquidation des dettes de Grandet passées sous silence ont duré 1mois. L’indication temporelle « 1mois » justifiera le paiement discret de des Grassins à Paris. L’auteur a recours à l’ellipse rétrospective pour expliquer les opérations secrètes qu’a effectuées des Grassins à Paris. Il a fallu attendre un mois, depuis ce départ de des Grassins, pour savoir comment le banquier a mené les démarches de liquidation des dettes de Grandet à Paris. A l’aide de l’indication temporelle « un mois après », nous pouvons dire que l’auteur a raconté en deux (2) lignes la procédure de liquidation des dettes de Grandet durant un mois. Nous avons ici une ellipse narrative dont la durée est d’un mois. L’ellipse nous permet d’expliquer que des Grassins a réalisé dans le silence les premières opérations concernant les dettes de Guillaume Grandet. Autrement 61 Eugénie Grandet, P.177 72 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac dit, le narrateur n’a pas raconté les événements vécus par des Grassins à Paris avant un mois. B) Segment narratif 2 Observons ensuite le segment narratif 2 suivant « personne ne pensait sa créance… six mois s’écoulèrent.». Ce segment se situe au début du troisième chapitre, après l’accord du banquier avec les créanciers de Grandet de Paris, consistant à faciliter la transaction des dettes de celui-ci. Il correspond au Récit, soit TR = 3L. L’attente des créanciers pour le paiement de leurs dettes a duré six mois, donc TH = 6 mois. La phrase « six mois s’écoulèrent » est le seul renseignement que l’on peut retenir de toute cette période. On n’est pas en mesure de savoir ce qui s’est produit pendant ce laps de temps. L’indication temporelle « six mois » signifie que nous sommes en présence d’une ellipse narrative dont la durée est de six mois. En nous appuyant sur cette indication temporelle « six mois », nous pouvons dire que Balzac n’a pas mentionné les événements relatifs aux affaires de des Grassins et les créanciers de Grandet qui se sont produits durant cette période. Il les a passés sous silence. Les créanciers attendaient avec espoir la réaction de Grandet de Saumur. Mais durant « six mois », Grandet n’a pas contacté les liquidateurs. Ayant obtenu la confiance des créanciers, Grandet s’est tu pour ne pas payer les dettes de son frère de Paris. Et six mois se passèrent sans qu’il s’acquitte de ces dettes. C) Segment narratif 3 Le segment narratif 3 recèle une ellipse narrative. Il est inséré dans le troisième chapitre, après la mort de madame Grandet, quand Balzac ne raconte 73 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac pas ce qui s’est produit entre Grandet et sa fille, depuis la signature de la renonciation d’Eugénie. Le segment narratif 3 « Cependant, malgré sa parole, à la fin de la première année,…cent francs par mois si solennellement promis à sa fille » constitue le Récit = 3L, soit TR = 3L. TH = 1 an, les faits non mentionnés dans le roman ont duré un an. La Narration de Balzac permet d’attester ces événements non cités. L’indication temporelle « à la fin de la première année » justifie qu’aucun événement marquant ne vient ponctuer la vie d’Eugénie et de son père. C’est-àdire que Balzac raconte les événements qui se sont passés chez Grandet durant une année depuis la mort de madame Grandet en trois lignes. Autrement dit, le fragment de vie durant une année nous est presque inconnu. Cette ellipse narrative met encore l’accent sur le silence de Grandet, car après la mort de sa femme, en présence de Cruchot le notaire, Grandet, pour convaincre sa fille à renoncer à la succession de sa mère, avait promis à Eugénie de lui donner cent francs par mois. Mais après avoir eu ce qu’il voulait, la renonciation d’Eugénie, Grandet fait semblant d’oublier la promesse qu’il a faite à sa fille. Un « an » s’est passé sans qu’il ait, une seule fois honoré sa promesse. Remarquons que le silence du vieil avare l’a beaucoup aidé à ne pas respecter la promesse d’offrir cent francs par mois à sa fille. D) Segment narratif 4 Considérons enfin le segment narratif 4 suivant, introduit dans le quatrième chapitre, quand madame des Grassins essaie de convaincre Eugénie pour se 74 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac marier avec son fils Adolphe « Comment, Nanon,…, il ne m’écrira pas en sept ans ». Ce segment narratif 4 est le Récit. Il couvre deux lignes, donc TR = 2L. TH = 7ans car Eugénie a passé sept ans sans connaître les événements survenus dans la vie de Charles aux Indes. La Narration de Balzac montre que les événements vécus par Charles aux Indes ne sont pas mentionnés dans le roman. L’utilisation de l’interro-négation « ne m’écrira pas une fois en sept ans ?» atteste que la fille (Eugénie) ignore ce que son cousin fait aux Indes depuis son départ. C’est-à-dire que Balzac n’a pas raconté la situation dans laquelle se trouvait Charles qu’après sept ans. Cela atteste qu’il s’agit d’une ellipse narrative dont la durée est de sept ans. Retenons que le segment narratif 4 renvoie au silence de Charles. Il a rompu ses relations avec la famille Grandet de Saumur, depuis son départ aux Indes. Même la mort de Grandet et de sa femme lui était indifférent quand il l’avait apprise. Le silence de Charles peut s’expliquer par l’ambition. Il voulait à tout prix paraître riche à son retour à Paris. Il ne pensait qu’à cette idée de conquérir la vie parisienne, le seul moyen pour sauver son honneur et celui de ses parents et ses descendants, en se mariant avec une femme riche. On peut même dire que le seul lien qui restait entre les deux cousins était l’échange de l’or et du nécessaire qu’ils avaient réalisé. Et s’il n’y avait pas eu cet échange, peut-être Eugénie n’aurait rien de son cousin. C’est-à-dire que le silence de Charles allait être absolu. 75 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Nous pouvons conclure que dans toutes les ellipses étudiées, la dernière, celle qui renvoie au silence de Charles aux Indes est très longue par rapport aux autres. Le silence a duré sept ans. C’est cet indice temporel « sept ans » qui détermine que cette durée a été plus longue que les autres. Nous avons constaté dans ce dernier chapitre de notre travail l’absence de mention d’événements vécus par les personnages ; cela se traduit par les ellipses narratives (selon l’appellation de Gérard Genette), et ces dernières correspondent au silence. Beaucoup d’indices temporels, tels que « vers la troisième année »62, « cinq ans se passèrent »63, révèlent la présence d’ellipses narratives. Ils marquent la rapidité avec laquelle le récit progresse et veulent dire, comme nous l’avons vu, que le narrateur n’a pas relaté certains événements. Le silence est relatif à la pratique du récit court. Ce dernier se poursuit rapidement car le narrateur élimine certains événements de l’histoire qu’il raconte dans Eugénie Grandet. C’est le cas des faits se rapportant aux actions de des Grassins à Paris. Le narrateur n’a pas relaté ces événements pour engendrer un effet d’accélération du récit. Cela se traduit par le silence. Nous avons également constaté une omission de mention d’événement durant une année concernant le non respect de la promesse que Grandet a faite à sa fille. Balzac voulait mettre l’accent sur l’avarice du vieux tonnelier. N’oublions pas qu’en écrivant Eugénie Grandet, Balzac veut mettre en exergue l’avarice. Le silence de Grandet lui permet de résoudre tous les problèmes dans les affaires, en refusant, indirectement, de donner les cent francs promis. L’ellipse narrative dénote donc suffisamment l’avarice de Grandet. Le silence de Charles qui a duré sept ans, participe également à la diégèse, car elle contribue à la souffrance d’Eugénie qui espérait rester en contact avec Charles. C’est-à-dire que les « sept ans » de silence amplifie le chagrin d’Eugénie 62 63 Eugénie Grandet, P.169 Ibid., P.170 76 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac dans l’attente de son cousin, car l’auteur, en écrivant Eugénie Grandet, veut aussi peindre l’amour de la jeune héroïne. Malgré l’absence de longue durée, la fille reste fidèle à cet amour, jusqu’au jour où Charles lui annonce qu’il l’abandonne. 77 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac CONCLUSION 78 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Les descriptions ou pauses narratives(Genette) rigoureuses que présente Balzac dans le premier chapitre de son roman concernent, non seulement les lieux des villes provinciales, notamment Saumur, mais surtout les personnages qui y habitent. Ces détails ne sont jamais gratuits chez Balzac. Ils renvoient à l’étude du milieu et des êtres qui s’y rattachent. Ayant étudié ces descriptions, nous avons remarqué une certaine atmosphère silencieuse qui se dégage de ces lieux. Cette atmosphère silencieuse se traduit par l’absence de communication. Elle est engendrée par l’enfermement, la claustration du lieu, et provoque la tristesse dans la ville. Nous avons aussi constaté un mode de vie calme et silencieux chez les habitants de la ville de Saumur. C’est comme si cette peinture de l’atmosphère ambiante couvrant la ville de Saumur reflète déjà le destin des êtres qui y vivent. Car en analysant le mode de vie de la famille Grandet, nous avons remarqué que leurs actions se réalisent fréquemment dans le silence. Selon Balzac, « la mélancolie et la monotonie sont les grands principes de la province». La province étouffe les personnalités qui n’ont d’issue que la résignation ou l’exil. La plupart du temps, la médiocrité des ambitions va de pair avec l’absence de mouvement et de communication. Ce que le roman nous donne à voir, ce sont les univers cachés, les replis secrets et les drames muets de la province. Le début et la fin du premier chapitre (chapitre d’exposition) sont marqués très nettement, et à chaque fois, par une référence à Saumur claustrée, soulignant entre-temps la difficulté de comprendre, voire de connaître vraiment monsieur Grandet. Cet encadrement met l’accent sur un thème important : le mystère de la vie du personnage. Ce thème se rapporte au silence. En approfondissant notre étude du silence sur les personnages, nous avons pu constater que les dialogues ou scènes narratives chez Genette, des personnages dont la vie évolue dans le calme, sont entrecoupés de long silence et 79 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac renvoient à la caractérisation psychologique et sociale. Cette forme de silence correspond à l’absence de dialogues. De la même manière, certains faits et événements, survenus dans la vie des personnages de Balzac, sont entièrement passés sous silence. Nous avons justifié cette non- mention d’événements à l’aide d’indications temporelles comme « deux mois passèrent », « cinq ans se passèrent » qui jalonnent les deux derniers chapitres du roman (le troisième et le quatrième chapitres). Le silence correspond donc à l’absence de mention d’événements. Ayant adopté l’approche narratologique de Gérard Genette pour effectuer notre étude du silence à travers l’œuvre de Balzac, Eugénie Grandet, en choisissant des mouvements narratifs, nous nous sommes rendu compte du caractère scientifique de l’approche. Le choix de ces mouvements narratifs, à savoir la Pause narrative, la Scène narrative et l’Ellipse narrative, nous a permis de mettre en rapport la théorie littéraire de Balzac qui est le déterminisme du milieu, et l’approche narratologique. D’abord, les pauses narratives appliquées à l’étude du silence des lieux et du mode de vie des personnages correspondent aux descriptions faites par Balzac pour présenter l’atmosphère silencieuse du cadre et les degrés du silence. D’ailleurs, nous avons retenu que dans la maison Grandet, le silence atteint son plus haut degré. Et puis, à l’aide de ces descriptions ou pauses narratives, selon la terminologie de Genette, nous avons déterminé le mode de vie des Saumurois. L’enfermement et l’isolement des lieux décrits dans notre étude, à travers des pauses narratives, ont annoncé le destin d’Eugénie Grandet, vivant enfermée et seule dans la maison silencieuse de son père. Le rôle de la description de l’atmosphère silencieuse du cadre se rattache à la conception littéraire de Balzac sur l’univers, une conception inspirée par la théorie du milieu de Geoffroy SaintHilaire : « Comme les animaux, les êtres humains impriment leur marque à leur cadre de vie »64. Ainsi, l’environnement silencieux de la maison Grandet renvoie-t64 GEOFFROY SAINT-HILAIRE Etienne& CUVIER George, La Querelle des analogues, Éd. d'Aujourd'hui, Placide-la-Tour, 1983 p.32 80 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac il aux êtres qui l’habitent. Inversement, les êtres sont influencés par leur milieu ; l’effacement d’Eugénie et de sa mère sont le fruit de ce lieu sans activité ni joie. Ensuite, les scènes narratives qui ont mis en relief l’interruption des dialogues des personnages par le silence, ne font qu’accentuer cette théorie du milieu, car imprégnée par le silence de la maison, dû à l’enfermement, la famille Grandet vit au cœur du silence. C’est dans ces scènes narratives que nous avons remarqué qu’Eugénie, l’héroïne, est enfermée dans sa chambre toute seule pendant six mois. Dès le début, Balzac annonce déjà le devenir de son personnage à l’aide des éléments du cadre où il va évoluer. Nous pouvons dire que les scènes narratives nous ont servi d’illustration de l’interdépendance entre milieux et personnages. Enfin, l’étude du silence à travers des ellipses narratives a renforcé la relation « milieux-personnages ». Les ellipses narratives permettent de passer sous silence certains événements observés par les personnages du roman. Le réalisme balzacien, touchant le milieu et les personnages, se rapporte à l’approche narratologique par le biais des mouvements narratifs étudiés. En outre, appliquer la narratologie à notre étude du thème du silence n’est pas le fruit du hasard. Ayant basé notre étude sur le rythme par lequel progresse le roman, nous avons retenu que, pour raconter l’histoire des personnages dans Eugénie Grandet, Balzac élargit son texte en insistant sur la description des lieux et sur les actions des personnages. Ensuite, il présente des scènes parfois à valeur dramatique et psychologique. Et enfin, il passe des événements sous silence, pour provoquer un peu plus loin, un effet dramatique puissant. Tout comme Balzac, Gérard Genette propose ces procédés rythmiques pour étudier le fonctionnement de la narrativité. Selon lui, les pauses narratives correspondent à un ralentissement de la narration : « le narrateur interrompt la diégèse par une pause narrative (description) ». Les interventions du narrateur ne renvoient pas explicitement à l’histoire. Il appartient au lecteur de découvrir la fonction des 81 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac pauses narratives. Dans notre étude, les pauses narratives ont une fonction diégétique, elles font avancer l’histoire (voir l’étude du silence à travers les pauses narratives p. 16). Dans la vision de Genette, les scènes narratives correspondent à un temps fort de l’histoire. Développant un spectacle dialogué, les scènes narratives, tout comme les pauses narratives, ralentissent le rythme de la narration et permettent de concentrer l’attention du lecteur sur la psychologie d’un personnage, ou sur un événement clé de l’action. C’est le cas de l’interruption des dialogues dans Eugénie Grandet. Gérard Genette considère les ellipses narratives comme le degré ultime de l’accélération de la narration. Elles consistent à faire passer sous silence une période plus ou moins longue, en la déterminant, c’est-à-dire, ne pas mentionner des événements tout en précisant la durée temporelle de l’ellipse narrative. Nous avons étudié cette tendance dans notre étude et nous avons constaté que les ellipses narratives produisent, non seulement un effet d’accélération, mais attestent aussi la patience des personnages balzaciens, illustrée par l’attente de l’héroïne, pendant sept ans d’absence de son cousin. Le but que se propose Gérard Genette pour le fonctionnement de la narrativité est donc confirmé dans Eugénie Grandet de Balzac. Les procédés de ralentissement et d’accélération, ou mouvements narratifs (Gérard Genette) correspondant aux descriptions des lieux, aux présentations des scènes et aux sauts des événements dans le roman, nous ont permis de mesurer la vitesse de l’histoire des personnages. Nous pouvons donc dire que Balzac et Genette ont emprunté cette théorie, l’un pour raconter la vie provinciale, l’autre pour montrer le caractère scientifique de son approche. L’argent qui est le thème dominant dans le roman a été un peu délaissé à travers notre étude. Cependant, on ne peut presque pas tirer une conclusion sur une œuvre de Balzac, sans faire allusion à l’argent. Il n’a pas été totalement exclu de notre analyse. Toutefois, comme il n’entre pas dans le cadre de notre travail, nous l’avons à peine évoqué. 82 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac Dans notre premier chapitre, nous l’avons montré, de façon succincte, sans qu’on l’ait approfondi, que le silence du cadre est propice à l’avarice de Grandet. C’est parce que notre objectif est d’étudier le silence et non l’avarice. Nous avons aussi brièvement montré dans les scènes narratives que l’attitude silencieuse des femmes (Eugénie et sa mère), dans le roman, contribue à mettre en valeur la personnalité de Grandet. De ce fait, madame Grandet paraît, pour le père Grandet, l’épouse qui lui convient parfaitement. Le travail que nous avons effectué, nous a permis de voir l’image de la vie provinciale dans la première moitié du XIXe siècle. Nous avons répondu à la problématique initialement posée, en montrant que le silence dans la maison Grandet est à son paroxysme. Nous avons aussi retenu que la vie calme et monotone des personnages est liée à l’atmosphère des lieux où ils évoluent. 83 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac BIBLIOGRAPHIE 84 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac ROMANS BALZAC (de) Honoré ° Les Chouans, Paris, Ed. Carrefour, 1995. °La Physiologie du Mariage, Paris, Ed. Carrefour, 1995. ° Le père Goriot, Genève, éd. de Fernier, 1969. ° Le Lys dans la Vallée, Paris, Ed. Garnier, 1997. ° La recherche de l’absolu, Paris, éd. Garnier, 1995. ° La Femme de trente ans, coll. Folio, Paris, éd. Gallimard, 1994. °Madame de la Chanterie, Genève, éd. de Fernier, 1969. ◦Lettres à Madame Hanska, t. I, Paris, Ed. Robert Laffont S.A, 1990. ZOLA Emile ° Au bonheur des Dames, Paris, éd. Librairie Générale Française, 1998, pour la Préface, le Dossier et les Notes.204p PROUST Marcel ° A la recherche du temps perdu, texte établi par Pierre Clarac et André Ferré, coll. de la Pléiade, Paris, éd. 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Aspects historiques et politiques de la vie……………… 21 b. Aspects sociaux et économiques de la vie……………... 22 2/ Les motivations scientifiques………………………………… 24 a. La théorie de la composition organique d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire ……………………………………….. 24 b. La théorie de la corrélation des organes de Georges Cuvier………………………………………………………….. 25 CHAPITRE III - LA THEORIE LITTERAIRE DE BALZAC………………. 27 1. La réalité romanesque…………………………………………. 27 2. La doctrine littéraire de Balzac………………………………… 28 a/ Le Déterminisme du milieu………………………………… 29 b/ La notion de l’énergie vitale………………………………… 31 c/La création de types humains……………………………… 32 CHAPITRE IV- LA COMEDIE HUMAINE ………………………………… 34 A/ La structure de la Comédie humaine………………………… 35 91 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac DEUXIEME PARTIE : L’ÈTUDE DU SILENCE Ầ TRAVERS DES MOUVEMENTS NARRATIFS……………………………………………………. 39 CHAPITRE I- : L’ETUDE DU SILENCE Ầ TRAVERS DES PAUSES NARRATIVES…………………………………………………………………. 41 I. LE SILENCE ENVAHISSANT LES LIEUX OU EVOLUENT LES PERSONNAGES A TRAVERS DES PAUSES NARRATIVES………. 41 A/ Le silence claustral des maisons de Saumur…………………… 41 B/ Le silence total de la cour de la maison Grandet……………….. 46 C/ Le silence morne de la rue conduisant à la maison Grandet….. 48 II. LE SILENCE DETERMINANT LE MODE DE VIE DE LA FAMILLE GRANDET A TRAVERS DES PAUSES NARRATIVES………………. 51 Comportements (silencieux) et conduite (silencieuse) des affaires………………………………………………………………….. 51 A. Segment narratif 1…………………………………………. 52 B. Segment narratif 2…………………………………………. 53 C. Segment narratif 3…………………………………………. 54 CHAPITRE II : LE SILENCE INTERROMPANT LES DIALOGUES DES PERSONNAGES A TRAVERS DES SCENES NARRATIVES………….. 58 L’interruption immédiate des paroles…………………………. 58 A. Segment narratif 1……………………………………… 61 B. Segment narratif 2……………………………………… 63 C. Segment narratif 3……………………………………… 64 D. Segment narratif 4……………………………………… 65 E. Segment narratif 5……………………………………… 66 F. Segment narratif 6……………………………………… 67 CHAPITRE III : LE SILENCE ENTOURANT DES EVENEMENTS VECUS PAR LES PERSONNAGES A TRAVERS DES ELLIPSES NARRATIVES…………………………………………………………………. 70 Les événements se produisant dans le silence…………… 70 A. Segment narratif 1…………………………………………. 71 92 Le silence à travers Eugénie Grandet d’Honoré de Balzac B. Segment narratif 2…………………………………………... 72 C. Segment narratif 3…………………………………………... 72 D. Segment narratif 4…………………………………………... 73 CONCLUSION……………………………………………………………………... 76 BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………….. 83 TABLE DES MATIÈRES…………………………………………………………. 90 93