2012 - IRTS Paris
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Samedi 14 janvier 2012 Épreuve écrite d’admissibilité Educateur spécialisé – Niveau III Durée : 3 heures Délinquance : comment interpréter les chiffres ? Faut-il croire les statistiques officielles sur la délinquance des jeunes en France? Cette question donne lieu à des querelles d’autant plus violentes qu’elles interfèrent avec le débat politique. La criminologie a-t-elle sa place en France? Ne souriez pas si la question vous semble saugrenue, elle a récemment fait couler beaucoup d’encre. Une poignée d’experts sur les questions d’insécurité menés par le «criminologue» Alain Bauer, président de l’Observatoire national de la délinquance, a récemment cherché à institutionnaliser la discipline, jusque-là marginale dans l’université française. Pourquoi pas ? Après tout, la criminologie existe déjà officiellement dans de nombreux autres pays. Mais gare… L’initiative a provoqué un tollé auprès de nombreux chercheurs français, et notamment des sociologues de la délinquance. Ces derniers reprochent à la discipline son manque de cohérence scientifique : définie par son objet d’études (le crime, la délinquance), la criminologie peut puiser en effet dans de nombreuses disciplines : sociologie, philosophie, droit, psychologie, économie, médecine… sans se référer précisément à aucune d’entre elles. Mais les universitaires frondeurs reprochent aussi aux «nouveaux criminologues» leur collusion avec le gouvernement actuel et leur volonté de mettre sciemment la nouvelle discipline au service de l’administration publique (Intérieur, Défense, Justice), ce qui poserait des problèmes d’indépendance pour la recherche. De l’autre côté, A. Bauer dénonce le fossé qui existerait jusqu’à présent entre le savoir produit à l’université par certains «chercheurs militants» et les besoins des professionnels de la défense et de la sécurité… Un contexte politique lourd Derrière les polémiques se cachent aussi des problèmes scientifiques importants (la vocation générale de la recherche, la référence à telle ou telle discipline, le choix de focaliser son attention sur les déterminismes sociaux ou sur les choix de l’individu…) situés dans un contexte politique lourd. Le Code pénal français connaît un durcissement depuis les années 2000, notamment en ce qui concerne les mineurs : le gouvernement a affirmé en décembre 2008 son souhait de réformer l’ordonnance de 1945, qui encadrait les jeunes délinquants avec un modèle protectionniste. «Toujours plus jeunes et plus violents»? Pour les «nouveaux criminologues» rassemblés autour d’A. Bauer, l’étude de la délinquance prend place dans une analyse plus vaste sur toutes les formes de criminalité : violences urbaines, terrorisme, mafias et cartels, menaces nucléaires… Ce qui suppose un rapprochement des sciences humaines avec diverses disciplines telles que les relations internationales, la physique, ou l’informatique. S’appuyant largement sur les statistiques policières, leurs analyses sont très pessimistes et posent un problème : se fondant essentiellement sur les statistiques administratives leurs analyses présentent pour le moment un intérêt scientifique faible. Elles sont en tout cas vivement contestées par les sociologues Laurent Mucchielli et Véronique Le Goaziou qui réfutent la thèse d’une aggravation («augmentation», «durcissement», «rajeunissement») de la violence des mineurs, définie comme un ensemble d’infractions condamnées par le droit pénal. D’après eux, si les statistiques judiciaires et policières, régulièrement brandies dans les médias, montrent (à tort selon eux) un accroissement de la délinquance juvénile en France depuis une quinzaine d’années, c’est principalement en raison de deux phénomènes extérieurs : • Incrimination: depuis le début des années 1990, de plus en plus de comportements juvéniles sont «incriminés» par le droit français. Mécaniquement, si de plus en plus d’actes sont condamnés, les statistiques administratives s’aggravent, même si la délinquance «réelle» reste stable. • Judiciarisation: depuis 2002, le gouvernement chercherait, dans le domaine de la délinquance juvénile, à «faire du chiffre» pour justifier ses choix politiques. Une nouvelle fois, les actes délinquants augmentent car ils sont davantage poursuivis. IRTS PARIS Ile-de-France Des statistiques «faussées» ? Dès lors, selon ces auteurs, le discours alarmiste des médias, récurrent depuis une dizaine d’années et cyclique dans l’histoire française, serait une illusion fondée sur des statistiques faussées : Alors l’aggravation de la délinquance des jeunes, fantasme ou réalité ? En fait, il est tout simplement impossible de trancher. S’il est certain que les statistiques de police indiquent bien une augmentation globale du nombre de mineurs mis en cause entre 1997 et 2008 (154 437 en 1997, 218 000 en 2008), il est tout aussi certain que le droit a connu un durcissement ces dernières années… et il est probable que le «nouveau management de l’insécurité» visant à faire du chiffre a bien eu des effets administratifs et sociaux. Parmi les positions plus mesurées, citons ainsi celle du sociologue Gérard Mauger : «Avec toute la circonspection qu’exige la lecture des statistiques policières, il semble que, pendant le dernier quart du XXe siècle en France, la délinquance d’appropriation (vols avec violence, cambriolages, rackets…) des mineurs ne progresse plus que faiblement (excepté le trafic de drogue qui a très fortement augmenté), alors que les violences et la délinquance expressive des mineurs (violences scolaires, dégradations, bagarres entre bandes ou contre les policiers, agressions sexuelles…) sont en forte croissance.» Quand il est moins passionné, le discours scientifique est plus audible. Entre désespérance et plaisir Quelles sont les causes de la délinquance ? Un duel entre Laurent Mucchielli et Sébastian Roché révèle les multiples facettes du phénomène. Laurent Mucchielli et Sébastian Roché sont des figures majeures du débat scientifique sur l’insécurité en France. Ils sont souvent en conflit dans leurs interprétations des phénomènes délinquants : à travers leurs lectures divergentes, ce sont en fait deux postures théoriques qui s’affrontent. Pour le sociologue L. Mucchielli, l’environnement socio-économique joue un rôle-clé : dans des cités en voie de ghettoïsation, à taux de chômage et d’échec scolaire très importants, l’absence de perspectives d’avenir provoque désespoir et sentiment d’injustice. Un contexte propice au développement de la délinquance des jeunes, notamment pour les comportements les plus graves. Pour Sébastian Roché, davantage intéressé par les causes individuelles et se référant à plusieurs disciplines (de fait, on le rangerait plutôt du côté des «criminologues»), l’origine sociale de la délinquance n’est au contraire pas toujours évidente : « Les jeunes de milieux aisés volent autant en supermarché que ceux des couches modestes, ils fument plus de cannabis et en vendent également plus souvent.» Pour lui, la délinquance dépendrait aussi de la qualité des relations parents-enfants, de la fréquentation des copains ou du rapport à l’école. Des antagonismes qui reflètent des postures théoriques divergentes : dans la tradition de la sociologie française, L. Mucchielli se focalise sur les inégalités sociales ; S. Roché, qui se réfère davantage aux travaux anglo-saxons, privilégie les motivations individuelles comme facteur explicatif. Mais tous deux se rejoignent parfois sur les méthodes: ils préfèrent notamment consulter les enquêtes «de victimation»* ou de délinquance «autodéclarée»*, plutôt que les statistiques administratives. De la même manière, au sujet des solutions à apporter à la délinquance juvénile, les deux chercheurs privilégient les politiques de prévention sur celles de répression. Julien Bonnet Article de la rubrique « L'enfant violent de quoi parle-t-on ? » Mensuel N° 208 - octobre 2009 * Note de l’auteur : enquêtes de victimation et de délinquance autodéclarée L’intérêt des statistiques policières est très controversé car il est certain que la délinquance qu’elles enregistrent diffère de la délinquance «réelle» : elles ne peuvent pas déceler tous les vols, bagarres, trafics, etc. qui ont lieu. Il existe ainsi un «chiffre noir» de la délinquance non répertoriée. Pour tenter de résoudre le problème, il est possible de faire des enquêtes de victimation ou de délinquance autodéclarée*: dans les deux cas on demande directement aux enquêtés s’ils ont commis des actes de délinquance ou s’ils en ont été victimes. Ces types de sondages se développent en France depuis les années 1990… mais ils ont aussi leurs propres limites : en particulier, l’anonymat garanti par les enquêteurs ne suffit pas toujours pour inciter les délinquants à révéler leurs actes. IRTS PARIS Ile-de-France Travail à faire 1- Faites une synthèse de ce texte en dégageant les idées essentielles. 2- En vous aidant de votre expérience professionnelle et personnelle, quels liens peut-on faire entre les statistiques sur la délinquance des jeunes et les choix des programmes de politique sociale ? Épreuve notée sur 20 : Perception des idées essentielles = 6 points Construction d'un raisonnement, organisation des idées = 6 points Richesse des idées, implication personnelle = 4 points Expression écrite (style, orthographe, présentation générale et soin) = 4 points IRTS PARIS Ile-de-France