Conversion à l`agriculture biologique, quels scénarios en

Transcription

Conversion à l`agriculture biologique, quels scénarios en
Agriculture
Biologique
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Conversion à
QUELS SCÉNARIOS EN
• Conversion non simultanée des
surfaces et du troupeau
L’agriculteur conduit les surfaces agricoles selon les prescriptions du
cahier des charges AB durant 24
mois, tandis que le troupeau est
maintenu en agriculture conventionnelle. Dès la labellisation des surfaces
agricoles (24 mois après l’engagement avec l’organisme certificateur),
l’éleveur peut engager son troupeau
en conversion vers l’AB. Cette
période de transition varie selon le
produit considéré : le lait peut être
vendu en filière biologique au bout
de 6 mois : pour la viande bovine, il
faut un an de conversion, et il faut
aussi que l’animal ait été élevé en suivant le cahier des charges AB durant
les trois quarts de sa vie.
Sur le GAEC où Patrick Déléris (gauche) et Alexandre Saurel (droite) sont associés, la mission
Références a étudié plusieurs hypothèses de passage en Bio, sous les aspects techniques et économiques.
L
Passer de l'agriculture
conventionnelle à
l'agriculture biologique
implique une période de
conversion, pour laquelle
différentes modalités
existent. Quelles sont-elles et
comment faire son choix ?
Plus largement, quelles
peuvent être les conséquences techniques et économiques d'un passage en
Bio ? Les missions agriculture
Bio et Références nous livrent
le fruit de leur réflexion,
centrées ici sur
la production bovin lait.
n°131 Juin - Juillet 2010
a période de conversion est
l’étape de transition entre l’agriculture conventionnelle et l’agriculture biologique. Durant cette
période, l’agriculteur applique les
règles du cahier des charges de l’AB
mais ne peut pas valoriser ses productions dans la filière biologique et
doit donc les vendre dans les circuits classiques.
Trois modalités
de conversion
Les éleveurs peuvent choisir l’un des
trois dispositifs suivants.
• Conversion simultanée des surfaces et du troupeau
La période de conversion est fixée à
24 mois. Durant ces deux années,
l’agriculteur doit respecter les exigences du cahier des charges AB,
après quoi il peut commercialiser ses
produits sous le label AB.
• Variante de la conversion non
simultanée
A partir de 12 mois après l’engagement des surfaces en conversion vers
l’agriculture biologique, l’éleveur
peut engager le troupeau. Cette
option permet de commercialiser le
lait sous label AB 18 mois (minimum)
après l’engagement des terres auprès
d’un organisme certificateur. Elle est
soumise au respect de certaines
règles et conditions durant la période
de conversion des animaux :
- ils doivent uniquement consommer
des aliments en conversion vers
l’agriculture biologique produits sur
l’exploitation, ou des aliments certifiés AB,
- les stocks fourragers d’herbe (foin,
ensilage, etc.) récoltés sur l’exploitation en 1ère année de conversion, et
consommés durant ces 6 mois, ne
peuvent pas dépasser 20 % des
besoins alimentaires du troupeau. Les
cultures annuelles récoltées (maïs
ensilage, céréales immatures, etc.)
et les céréales moissonnées en
1ère année de conversion ne peuvent
pas être utilisées durant ces 6 mois.
Agriculture
Biologique
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l’agriculture biologique
EXPLOITATION BOVINE LAITIÈRE ?
Quels éléments
prendre en compte,
du côté économique ?
• Données générales
- Les aides à la conversion (CAB1 et
CAB2) sont accessibles dans les trois
modalités.
- La plus-value proposée par la laite-
rie durant la phase de conversion,
d’un montant de 30 € /1000 l actuellement, est accessible dans les trois
modalités, durant 24 mois au maximum.
- Une conversion simultanée sol troupeau s’accompagne : d’un surcoût alimentaire par l’achat d’aliments bio sur une durée plus longue
avant l’obtention du label AB sur le
Hypothèses retenues pour la simulation de conversion en AB
d’une exploitation bovins lait
SOL
TROUPEAU
70 vaches laitières
99 ha SAU
6 200 litres / VL
Concentré VL : 130 g / litre
Production : 434 000 l
Livraison : 423 000 l
10 ha céréales x 35 qx
89 ha SFP
dont 12 ha maïs
18 génisses renoullement / an
Concentré génisses : 700 kg / animal,
de la naissance au vêlage
lait ; d’une meilleure valorisation de la
viande avec la labellisation de l’ensemble des animaux après les 24
mois de conversion.
- Une conversion non simultanée (sol
puis troupeau) engendre : une maîtrise du surcoût alimentaire du fait de
l’achat d’aliments bio sur une
période plus courte avant de commercialiser le lait en AB ; une valorisation de la viande bovine en filière AB
reportée dans le temps. En effet, les
animaux âgés de 2 ans et plus au
moment de la conversion du cheptel
dans la filière AB ne seront valorisés
avec la plus-value bio qu’à partir de 8
ans d’âge au moins (règle des ¾ de
vie...).
• Simulation de l’impact économique d’une conversion
Nous avons réalisé une simulation
pour évaluer l’impact économique
des trois formes de conversion sur
une exploitation laitière spécialisée
en zone Ségala. Pour cela, nous
avons centré nos calculs sur les
Postes de charges et de recettes impactés significativement selon les différentes modalités de conversion
à l’agriculture biologique (avec les hypothèses ci-dessus)
Conversion
simultanée sol et troupeau
Conversion
non simultanée
Conversion
non simultanée (variante)
24 mois avant
obtention du label AB
sur le lait et la viande
Conversion sol (24 M)
puis troupeau (6 M)
avant obtention
du label AB sur le lait
Conversion sol (12 M)
puis troupeau (6 M)
avant obtention
du label AB sur le lait
2 ans en conversion
à 330 € / 1 000 l
et 1 an en AB à 360 € / 1 000 l
= 431 500 €
2 ans en conversion
à 330 € / 1 000 l puis 6 mois
sans aide laiterie,
à 300 € / 1 000 l puis 6 mois
en AB à 360 € / 1 000 l
= 419 000 €
1,5 année en conversion
à 330 € / 1 000 l puis 1,5 année
en AB à 360 € / 1 000 l
= 438 000 €
Valorisation des
70 vaches de
réforme
Vente en AB
(hypothèse : 150 € / VL)
10 500 €
Vente sans plus value AB
0€
Vente sans plus value AB
0€
Achats
d’aliment / 3 ans
96 000 €
56 000 €
76 000 €
325 000 €
363 000 €
362 000 €
Recettes
laitières
sur 3 ans
BILAN
n°131 Juin - Juillet 2010
Agriculture
Biologique
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postes de charges et de recettes
impactés significativement par le
choix du mode de conversion (voir
tableau en page précédente).
La conversion non simultanée apparaît la plus intéressante. Cela se justifie d’autant plus que la quantité de
concentré consommée par litre de
lait est élevée et que la dépendance
de l’exploitation aux achats de
concentrés est forte.
Le choix entre les trois modes de
conversion est à examiner au cas par
cas. Cependant, dans beaucoup de
situations, la conversion des surfaces
agricoles dans un premier temps, suivie par celle du cheptel laitier 12
mois minimum après l’engagement
avec l’organisme certificateur, est
l’option la plus intéressante :
- économiquement, elle génère des
surcoûts liés à l’achats d’aliments
biologiques maîtrisés et l’obtention la
plus rapide du label AB sur le lait,
- techniquement, l’éleveur peut
d’abord se concentrer sur la
conduite des surfaces agricoles en
AB avant d’aborder les spécificités
de la conduite des animaux en AB.
Sol et troupeau :
critères clés pour
la conduite en BIO
• Le niveau de rendement fourrager accessible en AB
Afin d’étudier la conversion d’une
exploitation bovin lait en AB, il est
essentiel d’analyser d’abord le fonctionnement de son système fourrager
actuel et d’identifier les conséquences d’une conduite en bio sur
les rendements fourragers. Pour cela,
nous pouvons utiliser la grille des
chargements potentiels (UGB/ha SFP),
qui représente le niveau de rendement que le système fourrager peut
exprimer couramment : elle tient
compte des contraintes du milieu
physique et des options techniques
retenues par l’exploitant. Pour
l’Aveyron, il existe deux grilles, une
pour la zone Ségala et une autre pour
la zone «herbagère», élaborées à partir du réseau références (en lien avec
l’Institut de l’Elevage), des expertises
réalisées sur des exploitations bio
aveyronnaises, etc.
n°131 Juin - Juillet 2010
• La rotation
Compte tenu des caractéristiques du
parcellaire, des besoins du troupeau,
des objectifs de l’éleveur...., il est
nécessaire d’examiner la faisabilité
de la mise en place de rotations
longues (ex : luzerne et dactyle 5 ans
- céréales 2 ans). Dans tous les cas, il
faudra veiller à la maîtrise des légumineuses, aux rotations avec maïs et/ou
céréales, à la place et à la bonne gestion de la pâture, à la qualité des
coupes précoces, à la bonne valorisation des effluents d’élevage, etc.
Pour bien gérer les rotations, on évitera de semer deux maïs en suivant.
L’implantation d’une culture intercalaire l’hiver, entre une céréale d’hiver
et une céréale de printemps par
exemple, sera privilégiée. Pour maîtriser le parasitisme sur luzerne, on tentera d’intégrer dans la rotation
luzerne / céréales des implantations
d’autres espèces comme des associations graminées x légumineuses
(trèfle, lotier, sainfoin, etc.).
• La maîtrise du concentré
L’équilibre entre production laitière
et concentré consommé est un critère de rentabilité décisif en conventionnel et déterminant en agriculture
biologique, étant donné le coût des
aliments bio. Une bonne gestion du
pâturage permettra de valoriser au
mieux la matière sèche produite, y
compris sous forme de stocks. C’est
aussi une façon de réduire la dépendance de l’exploitation aux sources
azotées extérieures, très coûteuses.
• Le niveau de production par
vache
Ce critère est important et peut
impacter significativement la viabilité
d’un projet de conversion. Au vu des
résultats des exploitations bovines
laitières aveyronnaises engagées
actuellement en filière AB et des castypes étudiés par le service références et l’Institut de l’Elevage, la
fourchette de productivité se situe
entre 4 500 et 6 500 l / vache.
Michel Weber,
conseiller Références,
et Stéphane Doumayzel,
conseiller en agriculture bio
Un exemple d’analyse
du passage en bio
sur une exploitation
laitière spécialisée en
zone Ségala
• Situation de départ
Alexandre et Patrick sont en GAEC depuis
2002, suite à un regroupement d’exploitations. Leur ferme compte 70 vaches laitières, essentiellement des Prim’Holstein
et leur suite (123 UGB au total), sur 100 ha
répartis sur 2 sites. Le chargement apparent est de 1,4 à 1,5 UGB / ha. A ce niveau
l’exploitation est en principe autonome
en fourrages.
Les laitières produisent un peu plus de
500 000 litres de lait (7200 l / vache) avec
1400 g de concentré (200 g / l). Les 25
génisses gardées chaque année vêlent à
28 - 30 mois.
Il y a 16 ha de maïs ensilé (dont 12 ha irrigués), 15 ha de céréales et le reste en
herbe (dont 25 ha de PN). Il manque 10
à 15 tonnes de paille par an.
Le produit hors aides est de 1702 € par
UGB avec un prix du lait à 352 € /1000 l
en 2008 (en conventionnel). Les aides
totales représentent 17 % du produit
total, cas assez classique en bovins lait.
Dans les hypothèses qui suivent, le montant des annuités est celui de la situation
initiale (18 % du produit principal).
Les charges de structure s’élèvent à
1280 € / ha SAU. Cependant la MSA a
été recalculée pour correspondre à un
niveau plus attendu dans les prochains
mois. On garde cette même base pour
toutes les hypothèses.
• Les hypothèses
Dans les différentes hypothèses que nous
avons retenues, les produits et charges
peuvent varier. Par contre, nous n’avons
pas regardé en détail les changements
d’activité lié au sol : le travail de saison sur
les surfaces sera probablement un peu
accru. Aucun investissement supplémentaire n’a été envisagé et c’est toujours l’incidence sur l’EBE, hors aides spécifiques
bio, qui a été mesurée.
- Hypothèse 1 : l’exploitation reste en
conventionnel, diminue notablement
ses charges animales (concentré en particulier) mais pas celles du sol. Le volume
produit reste celui de la situation initiale
(SI). Cette hypothèse H1 sert de second
Agriculture
Biologique
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Quelques éléments techniques et économiques des situations étudiées
(avec 100 ha de SAU dans toutes les hypothèses)
SI Situation
2008
H1 Actuel
économe
H2
transition
H3
Bio
H4 Bio
prix bas
H5 Bio
non maîtrisé
Vaches
72
72
70
70
70
70
UGB
123
123
106
106
106
106
Chargement (UBG / ha)
1,47
1,47
1,19
1,19
1,19
1,19
Ha céréales
15,3
15,3
9,8
9,8
9,8
9,8
Produit hors aides / UGB (€)
1622
1622
1622
1820
1748
1820
Charges troupeau / UGB (€)
190
175
151
151
151
151
Concentré / UGB (€)
347
210
386
386
386
554
Charges SFP / ha (€)
224
224
50
50
50
50
Charges structure hors MSA (€)
118 868
118 868
116 239
116 239
116 239
116 239
EBE hors aides BIO* (€)
79 967
94 210
74 245
91 237
86 138
79 218
* Aides Bio : elles sont de trois types : les aides à la conversion, l’aide des laiteries (2 ans maxi pendant la conversion), et les aides au soutien
de l’agriculture biologique (lorsque la production est labellisée).
témoin pour comparer les conséquences
économiques d’un passage en bio.
- Hypothèse 2 : phase de conversion.
Le prix du lait reste celui du conventionnel. Le chargement descend à
1,19 UGB / ha (même nombre d’UGB
qu’en bio). Les charges animales sont
celles du bio (voir H3) en particulier la
quantité et le prix du concentré.
- Hypothèse 3 : passage en bio avec
prix du lait à 418 € /1000 l (+ 65 € / SI).
Comme il n’y aura plus d’utilisation d’engrais minéraux (contre 24 t d’ammonitre
et 15 t de complet en conventionnel),
nous avons estimé que le chargement
baisserait de 0,30 environ (de 1,47 à
1,19 UGB /ha). Il faut cependant noter
qu’avec moins de maïs dans la SFP, le
chargement baisserait sans doute à 1,10
voire à 1 UGB /ha SFP.
Pour cette hypothèse nous avons 10 ha
de céréales et 89 ha de SFP avec 106 UGB
(70 vaches et 18 génisses par génération).
La surface en céréales est un compromis
entre augmentation de SFP et couverture
des besoins en grain.
Les vaches à 6200 litres par an produisent
434 000 litres, dont 423 000 l livrés.
Les 12 ha de maïs sont possibles avec
des rotations du type «maïs / céréale / PT
3 ans» sur 24 ha et «maïs / céréale / PT 5
ans» sur 50 ha.
Les céréales produisent 35 qx de grain et
3 t de paille à l’hectare. Les besoins en
paille par UGB sont les mêmes que dans
la situation initiale mais comme la surface
en céréales est moindre il faut prévoir
d’en acheter 38 t.
Le concentré par vache a été fortement
réduit, c’est une des clefs de la réussite
du projet : 800 kg par vache, soit 130 g / l.
Il faudra acheter 40 t de tourteau et produire 32 t de grain.
- Hypothèse 4 : passage en bio avec
prix du lait à 400 € / 1000 l (+ 47 € /
SI). Cette hypothèse permet de prendre
en compte une fluctuation du marché
et/ou des problèmes de qualité du lait.
Tous les éléments de fonctionnement
technique et de niveau de charges sont
les mêmes que dans H 3. Seuls le produit, la MSA et bien sûr l’EBE vont changer.
- Hypothèse 5 : passage en bio avec
prix du lait à 418 € / 1000 l, mais avec
une mauvaise maîtrise du concentré :
1240 kg par vache, soit 200 g / l. Les
charges animales hors concentré restent
identiques à celles de H3.
• Constats
- Nous n’avons pas retenu de plus-value
sur les vaches vendues dans un circuit
bio à la réforme et les calculs ont été faits
hors aides à la conversion.
- La maîtrise des charges d’alimentation
dans le système actuel (H2) permettrait
d’améliorer l’EBE de 10 à 12 000 € et de
l’amener au niveau de celui de H3…,
mais sans les aides bio.
- La phase de transition (H2) peut paraître
n°131 Juin - Juillet 2010
délicate pour la trésorerie mais il faut
prendre en compte l’aide laiterie de
30 € /1000 litres (+ 12 000 €) et les aides
à la conversion.
- Le passage en bio, maîtrisé (H3), est
rémunérateur sans les aides (+ 10 000 €).
Mais attention, un système bio mal maîtrisé (H5) fait perdre cette plus-value.
- Notons enfin que le passage en bio
avec des vaches à 5500 l (au lieu de
6200) donne un résultat intermédiaire
entre la situation initiale et H3, soit
84 800 € d’EBE, hors aides bio.
• Perspectives
Sur le plan strictement économique, le
passage en bio semble donc intéressant.
Reste la question de la maîtrise technique
des concentrés, de la pâture et du sol.
Les outils d’aide à la bonne gestion de
l’alimentation et des surfaces pâturées
existent en conventionnel : ils peuvent
être repris en bio. Pour le troupeau, l’homéopathie, Obsalim, etc., sont des techniques déjà connues depuis quelques
années.
Le développement de l’agriculture biologique, en Aveyron et ailleurs, laisse penser que les connaissances des agriculteurs et des techniciens vont encore progresser sur la maîtrise du sol. Il le faut, car
les hypothèses présentées ici reposent,
entre autres, sur une baisse raisonnable
de chargement qui, on le sait, est un
levier économique fort.