Chronique 104 mars 2009
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Chronique 104 mars 2009
1 CHRONIQUE BENGALIE 104 Mars 2009 Et revoici le temps des mariages : Nous avons enfin finalisés l’ union de Jahanara Reine du Monde, dont le ‘non’ retentissant avait défrayé la chronique de janvier, en le scellant par une cérémonie de fiançailles et l’enregistrement officiel par l’Etat. Son mariage aura lieu le 19 avril. Deux jours plus tard, ce fut l’accord de bénédiction finale pour « Mamoni-Prunelle-des-yeux » en présence de quinze membres de sa nouvelle famille : les épousailles ont eu donc lieu quelques jours plus tard, ce 11 mars. Je ne décrirai pas en long et en large ces trois jours de réjouissances qui ressemblent en tous points, mais en beaucoup plus solennel et recherché, au mariage hindou que je vous avais exposé en juin 2007. Je n’en soulignerais que quelques aspects. Mamoni n’a jamais connu ses parents. Sa grand-mère s’en était occupé, semble-t-il à contre cœur, car de curieuses et troubles histoires de famille l’obligera à nous la confier il y a 12 ans à Bélari. Elle avait huit ans. Elle en a vingt. Sa grand-mère décédée, on a eu toutes les peines du monde pour faire ‘cracher’ à son reste de parentèle, le revenu du petit lopin qu’elle avait hérité de son père mais qu’un oncle s’était approprié. Il nous a fallu menacer et faire intervenir le Député. Bref, elle a terminé ses études, excellentes par ailleurs, et a manifesté le désir de se marier. On cherche depuis un an...et on a trouvé la perle. Sans effort, comme ça, Gopa lui a proposé un jour Probash-l’Onctueux, le jeune électricien qui venait nous aider lors des décorations des fêtes. Elle a accepté d’emblée. Timide mais fort sympathique, lui aussi était d’accord, mais pas avant que son père ne la voit. Elle est plutôt noire et pas vraiment belle, mais elle a beaucoup d’expérience avec les enfants, s’étant occupée du petit Rana depuis sa naissance. De plus, le ménage n’a aucun secret pour elle. Son seul défaut est d’être têtue comme un chameau (Non, non, elle n’a aucune parenté avec moi!) Bref, ils ne se sont jamais parlés et à peine vus, mais avec le temps, pendant qu’on arrangeait tout ça avec la famille, ils sont tombés amoureux l’un de l’autre...à distance. La petite pleurait quand elle a su qu’il était malade. Le gars ne mangeait plus quand il a appris que sa maman n’était pas chaude de prendre une fille sans famille. Gopa a fait le va et vient, car elle la considère presque comme sa fille, moi-même deux fois, comme tuteur. Et tout s’est arrangé rapidement sans aucune dispute ou exigence : « Ce que vous donnerez sera bienvenu. Nous ne demandons rien de plus. Et nous bâtissons à l’étage une nouvelle chambre pour le couple » Tope-là. Le jour dit, 350 personnes se pressaient dans une grande tente décorée de façon absolument superbe et artistique au milieu du parc des grandes filles. Pouja d’Adieu (cérémonie religieuse) par la mère (Gopa) pour sa fille. Pouja d’Adieu par moi. Puis, Pouja pour le gars par tous deux. Chaque cérémonie dure environ une heure. Enfin, Pouja du mariage proprement dit pour les deux par le mari de Gopa (un brahmane) qui prend ma place. En tant que chrétien, je ne peux accomplir les rites sacrés en sanscrit (le prêtre hindouiste n’y voit aucune objection, mais moi j’en vois!) Commencé à 22 heures, tout se termine à deux heures trente du matin. Le mari quitte alors son père et ses amis (la maman, selon la coutume, ne vient jamais au mariage) et va avec et un de ses plus jeunes frère, et la nouvelle épouse dans le pavillon où les attendent toutes les grandes filles de ICOD qui passeront toute la nuit à les empêcher de dormir par des chants, des danses, des plaisanteries et surtout des taquineries sur le pauvre époux tombé aux mains (et aux langues) des amies de la fille qui essayent de lui faire payer le ‘rapt’ de leur copine. Tout s’est passé dans une fort bonne humeur, mais il n’en va pas de même partout, car parfois les filles exagèrent et cela dépasse la bienséance voire frise l’indécence. Mais si cela est, le mari se vengera alors le soir suivant chez lui, où l’épousée devra passer toute la nuit seule avec une de ses jeunes sœurs et le mari et tous ses copains qui s’en donneront à cœur joie pour la taquiner...Là aussi, cela tourne parfois au vinaigre...ou pire. Mais tout fut parfait des deux côtés. Et le troisième jour, nous partîmes cinquante de ICOD pour aller fêter dans la nouvelle famille la dernière étape d tout mariage, celle des cadeaux. Il y en eu des centaines, dont certains fort beaux et très 2 artistiques. Ce qui racheta les gadgets en plastique « made in China » et fort appréciés, dont le goût exécrable me rappellent les saints-sulpiçades de mon enfance. Retour à deux heures du matin avec toutes nos filles super enchantées. Aux dernières nouvelles, ils filent l’amour parfait et la belle-mère n’a assez de mots pour encenser sa belle-fille...qui le lui rend bien et nous affirme être à Brindavan (Nirvana ou septième ciel) En priant qu’aucun ciel ne tombe un jour sur sa tête, nous nous réjouissons avec elle de son bonheur d’orpheline enfin comblée. Je fus également invité dans les Sundarbans pour la noce de la plus jeune des filles de Wohab, à SHIS. Mariage presque exclusivement musulman, et avec plein de beau monde vu la réputation quasi nationale du papa. Bien trop beau pour moi d’ailleurs. A cause de la distance, je ne pu rester que quelques heures. Mais cela me suffit pour participer à la joie de la maman qui était toute émue en pensant que maintenant ses quatre filles étaient placées, et avec d’excellents maris. Pour moi qui l’ai connu à sa naissance, ce bonheur fut évidemment profondément partagé Deux jours plus tard, Fête de Kali la Noire dans un village proche. Son immense statue de trois mètres de haut trône au sommet d’une estrade superbement décorée. Noire jais, elle tire une longue et large langue rouge pendant jusqu’à ses pieds et dégoulinante de sang. Elle porte un collier de crânes et de têtes décapitées, représentant à la fois les divers délits capitaux, et ceux et celles qui commettent les crimes. Des serpents menaçants l’enlacent de toute part. Elle est horrible à voir et danse sur le corps du grand dieu Shiva dont elle est la parèdre pour le punir d’une grande faute... car les dieux hindous sont parfois fort humains, si grands soient-ils. Et de honte, elle en tire la langue. (Ce qui est à l’origine du geste curieux que j’ai moi-même appris à faire spontanément : quand un indien a honte, regrette un mot ou un geste, il tire la langue et se la cache avec la main, geste fréquent qui intrigue toujours les occidentaux) Elle est envoyée par l’Etre Suprême sans nom, pour signifier la vengeance contre les ennemis du bien et récompense pour ceux et celles qui luttent contre le mal. « Kali-la Miséricordieuse » est son titre premier inscrit sur le devant de la scène, avec « Protectrice de tous » Mon vieux frère moine se lance dans une longue et interminable rhapsodie tirée de quelques unes des 9000 strophes d’un des 98 livres de la Kallika Purana du XI e siècle. A près de 90 ans, il semble rajeuni et son énergie est admirable. Car, il parle à sa Mère, celle que vénerait le grand saint bengali Ramakrishna. Il conclue sa litanie par un émouvant dialogue où il y met tout son cœur : « Maman, viens à notre aide, etc.» J’en suis vraiment impressionné. Puis vient mon tour de vénérer cette ‘idole’, qui pour moi n’est qu’une simple statue racontant toute une légende datant des débuts des temps. Sans me prosterner puisque je n’adore que Christ, j’offre mes respects profonds à cette image représentant la Miséricorde du Père. Et pourtant, je ressens chaque fois un malaise réel. Car il faut être né ici pour comprendre cette dévotion et confiance enfantine à cette statue qui pour moi restera toujours horrible. Ramakrishna est comme le Francois d’Assise hindou. Il vénérait Jésus comme une incarnation de Vishnou et considérait Muhammad comme un des plus grands prophètes de tous les temps. Comme moi. Et Gandhi vénérait et ces saints et cette idole. Alors ? Qui suis-je pour faire la fine bouche ? Autant avouer que je n’arriverais jamais à comprendre de l’intérieur l’âme hindouiste et le génie indien. De toute façon, condamné à part égale par les intégristes chrétiens et ceux des autres religions, je me contente de témoigner du bien qui se trouve partout, comme par exemple chez Kali, même si je n’approuve résolument pas, ni les bains de sang des chèvres décapitées par centaines à Kalighat (temple le plus célèbre de Kolkata), ni les cérémonies tantriques en son honneur (qu’elles soient hindouistes ou...bouddhistes !) pas plus que la secte des ‘thugs’ dont les membres fanatiques étranglaient en son nom sous les banyans les voyageurs au XIXe siècle. Invité pour inaugurer la cérémonie avec mes vieux amis le Maharaj (Moine Abbé) de la Ramakrishna Mission, un ministre communiste qui est en plus notre Député ainsi que le responsable politique du territoire, j’en profite pour faire un discours de circonstance, basé sur les 3 événements : « Vous venez implorer la bénédiction de la Mère Kali. Mais si vous vous êtes gorgés de ‘bangla’ (liqueur frelatée qui apparemment était appréciée dans les arrières de la foule) en son honneur et que vous battez vos femmes et enfants en rentrant, alors, cela ne sert de rien. Si lorsque les musulmans ont été égorgés au Gujrât vous n’avez pas bougés, vous ne recevrez aucune bénédiction. Quand l’extrême droite hindouiste (citation des partis en détail) a massacré les chrétiens en Orissa et brûlé les églises, vous n’avez pas ressenti de la répulsion, votre dévotion est vaine ! Vous n’êtes même pas des hindous pour la Mère, vous êtes des criminels de cœur. Si les musulmans que j’aperçois parmi vous (tout le monde participe souvent aux ‘Poujas’ même si les Mollahs tonnent contre cette pratique) ne se sont pas désolidarisés des attaques terroristes de Mumbay et d’un peu partout, vous n’êtes pas musulmans, et le saint Coran ne vous appartient plus ! Et moi qui suis le seul chrétien par ici, si j’accepte que l’Amérique et d’autres pays dits chrétiens entretiennent d’horribles guerres la Bible en main, alors, je en suis pas chrétien. Je suis un assassin et je n’aurais pas le droit de vous parler aujourd’hui.. Jésus-Christ, vous le savez, était comme Gandhi un non-violent. Les jeunes de votre village qui ont violentés cette femme folle venue d’Assam nuit après nuit, s’ils ne se sont pas repentis, ils n’ont pas le droit de venir toucher les pieds de Kali. Et les plus âgés qui, quand une ONG a voulu envoyer cette folle à ICOD s’y sont opposés en disant « Ne l’envoyez pas là-bas. Le sahib chrétien responsable convertit tout le monde », et bien, je vous le dis au nom même du Dieu unique qui vous envoie aujourd’hui sa ‘Shakti-Energie » de miséricorde, vous êtes des menteurs et des semeurs d’animosité. Le Grand Dieu veut la paix. Il veut la tolérance. Il veut l’amour... Et maintenant que les élections sont toutes proches, Il ne veut certainement pas que chacun. au nom de son parti, vilipende et même malmène les autres. Tu appartiens à tel parti et toi à tel autre totalement opposé. Fort bien. Tu dois dire tout haut ce que tu penses des autres partis même si cela ne leur plait pas. Parfait. Mais tu n’as pas le droit de toucher à sa réputation ou sa famille. C’est sacré aux yeux de la grande déesse. Et je suis sûr que mon frère aîné le grand Ministre qui est à côté de moi approuve...» Je n’en n’étais d’ailleurs pas si sûr que cela, car son impressionnante moustache blanche n’a pas frémi d’un poil. Les hauts parleurs placés comme à l’habitude sur plusieurs kilomètres à la ronde ont portés un peu partout ces mises au point.... Les communistes eux-mêmes ne sont pas en reste pour les cérémonies. Bien que les quelques cadres supérieurs marxistes et athées interdisent aux ministres de présider les Poujas ou même simplement d’y être, 90 % d’entre eux le font. On est dans un autre monde. Une autre civilisation...C’est ainsi que notre Ministre et Député a coupé avec moi le cordon d’inauguration et a fait ses dévotions et ses salamalecs comme le meilleur dévot de la déesse. Mais il a ensuite parlé d’autre chose, pour se ménager les pieux croyants en vue des élections toutes proches. Cependant et à ma grande surprise, le responsable politique du parti révolutionnaire ainsi que le ‘Sabhadipatti’, Maire responsable des quinze maires de la région, ont repris plusieurs de mes thèmes, notamment l’amour des autres, le scandale d’aller se faire bénir par Kali tout en ne suivant aucune des pratiques de charité et de compassion qu’elle recommande et enfin que le village soit fier d’avoir à sept kilomètres un Foyer où sont recueillis toutes les détresses ‘y compris celles de notre village’. « Je demande aux membres élus de notre Parti de ne pas les négliger et de répondre à leurs demandes quand ils font appel à nous » Cela ne tomba pas dans des oreilles de sourd car le comité de Bélari, passant sur la grand route (à deux kilomètres), s’arrêta pour écouter tous ces discours et vint nous en raconter la teneur le lendemain, exprimant leur satisfaction de ce qui ne peut jamais se dire dans ces réunions quasi planifiées à l’avance... Mais de plus en plus, je pense que c’est le seul petit rôle public que je puis jouer, c’est pourquoi j’accepte toujours réunions, mariages et autres manifestations apolitiques où j’aurais la possibilité de parler amour et service au nom de l’Etre Suprême aux noms si divers avec spécialement ce nom d’Abba Père révélé par le Fils, et loin des discours insipides et de circonstance qui me rappellent les 14 juillet dans des villages français avec maires enrubannés, la fête de Jeanne d’Arc à Orléans avec préfet et sous-préfet (« Vive Jeanne, vive la France.. ! ») voire même certains prêches 4 hors saison et imbuvables de componction lors des Fête-Dieu de Fribourg. Tous les rites figés m’horripilent dans leur nocivité même. Et lorsque je dois écouter sans mot dire les banalités et contrevérités que d’important politiciens assènent devant les statues de Gandhi dont ils ont largué depuis longtemps les enseignements, j’ai envie de fichez le camp sur le champ. « Jésus, oh doux Jésus » chantent à l’unisson et les yeux au ciel un groupe de nonnes et de braves prêtres pour racheter l’odieux viol d’une sœur dans le lointain Orissa, alors que cette même paroisse n’a pas émis un seul ‘Ave’ de repentir lors du viol de plusieurs intouchables juste à côté. A mon humble avis, le charpentier de Nazareth aurait sorti son rouleau d’Isaïe et fustigé ces catholiques pas trop chrétiens ! Evidemment, si je m’étais trouvé dans ce groupe, je n’aurais pas le même avis, le fort du pharisien que je suis étant de toujours soigneusement mettre « Dieu à ses côtés » ! Revenons en donc à nos moutons de ICOD. Quelques nouvelles admissions. Tout d’abord un jeune IMC complètement paralysé, dune trentaine années, sans famille. Je connaissais Oudoy-soleilmontant-à-l’horizon » depuis son tout jeune âge. Il avait passé par les centres de réhabilitations du Père Laborde. Mais à 25 ans, après de bonnes études, ils l’ont rendu à ses tantes, qui n’ont eu de cesse de s’en débarrasser. Kamruddin l’avait admis dans un de ses centres depuis un an en attendant qu’on termine notre bungalow Dr Sen. Comme il n’a aucun contrôle locomoteur, il peut juste se traîner à genoux...Par contre ses mains complètement déformées lui permettent quand même de manier avec vigueur sa chaise roulante, car il a acquis des muscles de catcheur. Il parle très lentement et de façon si bizarre qu’on a beaucoup de peine à le suivre. Exceptionnellement intelligent, il comprend tout, mais ne peut l’exprimer vraiment. Un sourire permanent illumine son visage disgracieux le rendant extrêmement attirant. Il a cependant quelque peine à s’intégrer, car les vieux avec lesquels il est ont eux quelque peine à l’accepter...Marcus fait de son mieux pour qu’il se sente chez lui. Un autre petit infirme vient de le rejoindre, Shantonu-le-roi-dévôt (roi du Mahabharata, connu pour sa dévotion filiale. Il avait le pouvoir de rajeunir les gens âgés. Cela tombe à pic pour moi. Il va falloir que je m’en occupe tout spécialement pour bénéficier de son pouvoir!). Il a 13 ans et est aliéné à 100 %, ne reconnaissant personne et ne comprenant rien à rien. Sa seule joie est de déambuler à pas cassés quelques mètres puis de s’effondrer tout en tenant son précieux (et crasseux) sac de jute sur lequel il s’asseoit dans tous les coins toute la journée et dort, en plusieurs endroits, la nuit. Impossible de lui retirer son sac pour le laver. Contrairement à notre Oudoy, et bien que des plus étriqué, il a la physionomie gracieuse d’un bel adolescent mais au visage anguleux et au sourire typique du ravi classique. Ce qui ne l’empêche pas de piquer de splendides crises si quelqu’un qu’il ne connaît pas l’approche de trop près ou quand on veut lui enfiler sa culotte quand il est tout nu, tenue qu’il préf`ere à toute autre. Sa mère est morte il y a six ans. Son père s’est remarié il y a trois mois et les a abandonné, lui et sa grande sœur de 17 ans, maintenant seule au monde. Les voisins qui sont venus l’admettre la protègent. Comme elle a du interrompre ses études de terminale cette année, nous lui avons proposée de les continuer à partir d’ICOD, sa situation étant dangereuse... Un beau jour de printemps nous est arrivé Roupali-l’Argentée, jeune maman de 22 ans toute menue, toute frêle et toute timide, ressemblant à une poupée Barbie, mais des plus tristes. Elle tient dans ses bras sa fillette de 18 mois Sharmila-la-Timide, et traîne à la main un bambin d’un peu plus de cinq ans Soujoy-le-Victorieux. Son mari, un fameux buveur qui les battait tous régulièrement, s’est empoisonné il y a quinze jours. Depuis, la belle-mère accuse la jeune épouse d’en être la responsable et la tabasse à mort. Cette famille habite dans un groupe de huttes à cent mètres de ICOD et on les connaît bien. On fait appeler ladite belle-mère qui sanglote sur la mort de son fils et nous supplie de la débarrasser de sa femme et des gosses. Ce qu’on accepte avec joie, pour les séparer de cette Shouparnaka (fée carabosse) qui n’a vraiment pas une fameuse réputation dans la localité. Mais je m’en voudrais de la charger dans sa propre souffrance...Bref, le petit garçon fera un excellent 5 camarade de jeu pour notre Rana qui arrive tout pimpant et baragouinant l’anglais pour trois semaines de vacances. Une nouvelle addition est une fille de 25 ans, complètement hors d’elle-même...Probablement temporaire Mais nous en avons de nombreux cas semblables. Ces six admissions viennent à point pour compenser six départs : nos deux nouvelles mariées, puis une sourde-muette transférée au nouveau centre spécialisé de ABC où elle pourra progresser à pas de géant en étant doublement appareillée, et enfin nos trois petites aborigènes de Jalpaiguri. En effet, Smita-la-Souriante, Susmita-Riant-Oiseau (Pael) et Nandita-la-Joyeuse (Borsa) qui avaient été admises il y a un an à cause de leur impossible situation de famille dans le Teraï, parlent toutes l’Hindi. Elles n’ont donc guère d’avenir ici. Nous venons de les faire admettre dans la pension nouvellement créée par Ephrem, notre frère du Prado, à Howrah, à côté de son école de 800 élèves de langue hindi. Ce sont des Sœurs adibassis de l’Orissa hautement qualifiées qui en assurent la responsabilité. Elles ont aussi un dispensaire avec une Sœur Docteur. Nous prendront nos fillettes (12, 11 et 8 ans) durant les vacances, mais au moins elles pourront terminer là leur scolarité. C’est un grand souci en moins pour nous, encore que nous ayons ici tous le cœur bien gros de les avoir vu partir les six en pleurant...Mais joie et tristesse sont à jamais notre lot. Telle est la vie d’ailleurs, partout et pour tous. Donc, pas de plaintes indues. Evénement national. Naissance d’un bébé. Félicitations de la Présidente de l’Union Indienne. Le fils du Premier Ministre ? D’une grande star ? D’un milliardaire ? D’un des Nobel ? Que non pas ! C’est une humble ‘sauvagesse’, de la tribu des Onges dans l’archipel des îles Andamans. Ils étaient 104 il y a vingt ans et cent l’an dernier. En pleine voie d’extinction pour cause de consanguinité dans leur réserve forestière de Dugong Creek, ils sont interdits d’approche par le gouvernement pour éviter toutes les contagions de la civilisation. Il y a trois mois, huit sont mort par empoisonnement accidentel (nourriture avariée venant d’un marché local). Ils n’étaient donc plus que 82. Un seul espoir : du dernier mariage, lui aussi événement national, un heureux événement était attendu. Avec crainte car beaucoup d’enfants mourraient à la naissance. Pas celui-ci. Nos Onges sont donc 93, à la grande joie des anthropologues qui suivent l’une des ethnies les plus anciennes du monde. L’Inde se peuple ! Encore que voilà au moins une famille qui ne contribuera pas à la surpopulation. Donc n’aidera pas la « Bombe P » (de la population) des malthusiens d’éclater, ni ne sera prise en ‘ flagrant délit d’environnement’ ou en infraction de ‘boulimie de viande’ comme le sont devenus certains richissimes indiens ! Curieusement, presque dans le même temps et à quelques kilomètres de là, à Hut Bay dans les Petites Andaman, la police interpelle un groupe de 412 hommes dont la barge vient de s’échouer sur la berge. Trop tard pour plusieurs dizaines d’entre eux déjà morts de faim et de soif. Chaque année, les gardescôtes indiens ramènent quelques centaines de survivants des naufrages dont sont victimes les Rohingyas du Myanmar. Persécutés par la junte, ils essayent de s’enfuir en Thaïlande pour rejoindre un pays musulman. Mais la police, au lieu de les aider, leur confisque systématiquement, moteurs, vivres et eau potable et les renvoie désemparés (au sens de la marine) en haute mer. Où ils périssent par milliers, affirme le Haut Commissariat pour les réfugiés. Le Sud de la Thaïlande a déjà assez avec son propre conflit ethnique (caché du monde) où il y aurait eu près de 4000 morts depuis huit ans. L’histoire des Rohingyas est captivante. Venus s’installer en commerçants dans la région au VIIe siècle (juste après la mort du Prophète Muhammad) ils furent durant treize siècles considérés comme une des ethnies birmanes. Certains d’entre eux se firent même une triste réputation en pratiquant le piratage et la traite d’esclaves dans les îles des Sundarbans à partir de l’Arakan (aujourd’hui Etat de Rakhine) et avec l’aide des boucaniers portugais. J’ai fréquemment parlé de leurs maraudages dans ces 6 chroniques. Depuis l’accès à l’indépendance, le Myanmar les a considéré comme des apatrides, sans aucun droit reconnu. Un million d’entre eux ont déjà réussis à émigrer, au Bangladesh, au Pakistan, en Inde même. Encore de bien amers ‘juifs errants !’ Et pour en rester aux conflits voisins ignorés, qui a entendu parler des chagosiens ? Ce sont les malheureux habitants des îles Chagos, un archipel de sept îles en l’exact milieu de l’Océan Indien, au sud du Sri Lanka, anciennement Diego Garcia. Au XVIIe siècle, les français y créèrent des plantations de copra avec des esclaves venant des Indes et d’Afrique du Sud, dont la langue devint le français. La France se fit voler ‘ses îles’ par les anglais en 1814. Les chagosiens y vivaient paisiblement jusqu’en 1967, date où ils se virent purement et simplement expulsés par Londres, car un accord venait être signé avec les américains pour transformer le paisible atoll en une de ses plus grandes bases océaniennes. Et une clause de l’accord stipulait que Washington ne tolérerait aucun habitant dans le secteur. Ceux-ci, exilés, font des pieds et des mains pour y retourner, car la place n’y manque pas. La Haute Cour de Londres leur a donné raison mais le gouvernement refuse de faire pression sur les responsables de la base. L’histoire ne serait qu’un fait divers si elle ne reflétait pas exactement les événements de la plupart des soi-disant territoires d’outre-mer de la France, de l’Angleterre., voire des Etats-Unis encore aujourd’hui. A qui fera-t-on croire que les habitants de la Guyane, par exemple, n’aient pas voulu leur indépendance après la guerre, si on n’avait pas assassiné leur remarquable et charismatique député indépendantiste Jean Galmet ? Et je ne parle pas des Malvinas (Malouines), de la Nouvelle Calédonie et autres Hawaï appartenant à une ex (mais toujours réelle) puissance coloniale. Les injustices, même légalisées, restent des injustices ! Et le petit nombre n’excusera jamais une action illégale arbitraire. Allons bon ! Voici qu’on m’accusera encore de faire de la politique. Mais les Andamans, c’est le Golfe du Bengale. Et les Chagos, c’est l’océan indien. Donc dans les coordonnées de cette chronique. Mais j’accepte que les flèches tirées contre les territoires divers d’outremer ne devraient pas faire partir de mon carquois. L’ennui pour moi c’est que quand une ethnie souffre, si petite soit-elle, je ne peux m’empêcher de vibrer. Comme une arbalète quoi, en bon (ex) fils de Guillaume Tell. Au vu d’une pomme qui ne semble pas à sa place, je tire. Et le fais savoir au bailli. Et à bien d’autres. (Référence pour les non-initiés : histoire helvétique, 1292) Revenons donc sur nos terres pour admirer le demi hectare de tournesols qui transforment en vaisseau sur océan d’or notre Maison de Prière. Une belle récolte d’huile en perspective, si nous arrivons à éloigner les nuées de perruches qui festoient avec leurs graines. Nos vieillards et jeunes garçons sont mis à contribution pour organiser un orchestre cacophonique permanent pour les tenir à distance. Nous espérons aussi que le demi hectare de cotonniers offerts par le gouvernement nous sera d’un bon rapport lors de la cueillette dans deux mois. Et en attendant, on se régale des toutes premières noix des cocotiers plantés avant même notre arrivée, je pense en 2002. De même pour les fruits du Jackfruit (jacquier) qui, poussant à même le tronc n’atteignent encore que dix kilos alors que dans quelques années, on peut en espérer de plus de 20 kilos. Les préludes de l’été sont là : les bourgeons des arbres à fleurs s’ouvrent les uns après les autres, mais ils ne s’épanouiront vraiment que quand la température ne descendra plus en dessous de 36 degrés. On y est presque. Et les oiseaux sont en effervescence. J’ai même pu observé de fort près un espèce de petit dragon, grand lézard verdâtre de près de quarante centimètres avec une grande crête sur la tête et le long du dos et un museau camus comme un bouledogue. C’est un ‘Calote’ qui change de couleur comme un caméléon. Toute la tête et la gorge étaient rouge cramoisi, et il secouait son corps avec des soubresauts comiques pour attirer une femelle. Ils sont assez fréquents ici, mais jamais si gros. 7 Joyeux printemps à vous tous, très fraternellement, Gaston Dayanand 30.03.09 PS.1 Je me suis fais tirer l’oreille pour accepter de recevoir le prix international Mère Teresa que je suis allé recevoir hier à Kolkata. Je ne vous en parlerai qu’en avril car je sens encore trop combien j’en suis indigne. PS.2 J’essaye pour la première fois d’envoyer deux photos d’un événement décrit dans la chronique. Ici Mariage de « Mamoni-Prunelle-Des-Yeux » avec le paon du bonheur, et une autre avec Gopa et sa fille aînée à droite, et la plus jeune à gauche. Si cela réussit (et intéresse), j’essayerai de le faire régulièrement. Mais n’ayant pas Internet, je en garantis rien...