De Suse à Avigliana - Via-Alta
Transcription
De Suse à Avigliana - Via-Alta
32,6 km 04 De Suse à Avigliana À présent, nous parcourons la vallée dans sa partie centrale en suivant parfois la voie de chemin de fer. Des deux côtés s’élèvent des montagnes majestueuses, mais c’est le groupe du parc Orsiéra-Rocciavré qui domine sur la droite. Avant de pénétrer dans le village de Foresto, on rencontre la chapelle de la NôtreDame-des-Grâces avec ses fresques du XVe siècle (visite possible uniquement sur réservation), qui invite tout naturellement à un moment de répit et de recueillement. À Bussoleno, le pèlerin a le choix entre deux chemins possibles, un sur la droite orographique de la Doire et l’autre sur la gauche, tous deux largement documentés en tant que chemins empruntés pour aller vers ou provenir de la France. Les deux parcours se réunissent à l’entrée de Turin, mais le voyageur pourra passer de l’un à l’autre à sa guise, créant ainsi son propre cheminement grâce à plusieurs croisements qui servent de liaison. Le tracé de droite part de la gare ferroviaire et traverse la Doire Ripaire grâce à un des ponts les plus anciens aux alentours. En traversant le pont on pourra apprécier une belle vue sur les Alpes en arrière-plan Le Lac Grand et le château d’Avigliana. 46 d’où l’on provient et qui progressivement s’éloignent. Encore un coup d’œil à l’antique auberge de la Croce Bianca qui accueillait les pèlerins et les voyageurs, et puis on continue en traversant le centre ville qui, désormais, a pris des airs d’agglomération de plaine. En passant devant les vitrines des commerces et les différents affichages on remarquera l’activité culturelle et sociale très présente qui la caractérise. À partir de maintenant et durant tout le reste de la journée, le chemin est comme « guidé » par la présence de l’omniprésente silhouette de la Sacra di San Michele, abbaye de Saint-Michel-de-la-Cluse, qui se détache au sommet de la montagne, comme pour nous indiquer clairement le lieu de destination de l’étape d’aujourd’hui. On avance en traversant une succession de centres habités qui s’alternent avec des chemins secondaires dans les campagnes de la basse vallée, des petites routes qui, par la toponymie « Strada Antica di Francia », « Route Antique de France », rappellent les nombreux siècles d’histoire que nous traversons. Le nom de Chiusa di San Michele, Saint-Michel-de-laCluse, est un témoin de l’histoire de la bataille entre 04 De Suse à Avigliana 32,6 km DISTANCE 32,6 km TEMPS DE PARCOURS (9 h avec la variante pour la Sacra di San Michele) DÉNIVELÉ (800 m avec la variante de la Sacra di San Michele) (41 km avec la variante de la Sacra di San Michele) 6 h 10 250 m Avertissement : ce parcours propose également la déviation par la Sacra di San Michele, sachant que pour visiter le monument il faudra compter au moins 2 heures. C’est la raison pour laquelle nous vous suggérons de dédier plutôt deux jours à cette étape : le premier pour arriver à Avigliana, le second pour monter à la Sacra. CENTRES D’INTÉRÊT CULTUREL FERALP (Musée du Transport Ferroviaire à travers les Alpes), via Suse, 2, Bussoleno. Ouverture : jeudi matin et samedi, les autres jours sur réservation en téléphonant au : Tél + 39 335 8003983 ou + 39 011 6652653. Infos : [email protected], www.feralpteam.com (actuellement le musée ne peut pas se visiter à cause des conséquences d’un récent incendie criminel). Musée d’archeologie expérimentale, Vaie. Ouverture : le samedi 14h 30 - 16h 30 ; le dimanche et jours fériés : 10h - 12h et 14h 30 16h 30, fermé à Pâques. Les jours et les horaires peuvent changer selon les saisons. Infos : Tél + 39 339 8274420, [email protected], www.museopreistoriavaie.it. Museo del dinamitificio Nobel - Musée de la dynamiterie Nobel, via Galiniè, 38 (zone industrielle ouest), Avigliana. Ouverture : du lundi au vendredi (10h - 12h et 14h - 18h) ; samedis et dimanches (14h - 18h) d’octobre à mars ; d’avril à septembre du lundi au vendredi (10h - 12h et 14h - 19h), samedis et dimanches (10h 30 - 19h). Infos et réservation : Tél + 39 011 9327447. Pour les visites guidées : Tél + 39 338 7124386. Sacra di San Michele. Ouverture : du 16 octobre au 15 mars : du mardi au samedi 9h 30 - 12h 30 et 14h 30 - 17h ; dimanches et fériés 9h 30 - 12h et 14h 30 - 17h 30. Du 16 mars au 15 octobre : du mardi au samedi 9h 30 - 12h 30 et 14h 30 - 18h ; dimanche et fériés 9h 30 - 12h et 14h 30 - 18h 30. De juin à septembre inclus ouverte aussi le lundi. Infos : Tél + 39 011 939130, [email protected]. 47 les lombards et Charlemagne dont l’essor facilita la naissance du Sacro Romano Impero, Sacré Empire Romain moyenâgeux. Enfin, on poursuivra vers Sant’Ambrogio ou Avigliana (splendide bourg médiéval) qui marqueront la fin de l’étape, mais on pourra également opter pour l’ascension à la Sacra di San Michele. Là, il sera possible de trouver l’hospitalité uniquement sur réservation étant donné l’isolement du lieu. La montée, à la fin d’une étape malgré tout assez longue, requiert un réel effort avec ses 500 m de dénivelé, ce pourquoi le pèlerin pourra tout aussi bien décider de dédier une journée entière à la montée suivie de la visite et de la redescente dans la vallée avant de reprendre le chemin. Ceci permettra de se concéder, en quelque sorte, une journée de repos qui sera largement remplie par la visite de ce monument magnifique, symbole de la Région Piémont. Le chemin, comme la vie, n’est pas une compétition. Ne jamais céder à l’envie de trop en faire : ton organisme t’en demandera très vite des comptes. Regarder autour de soi, observer, s’arrêter, apprécier. Voilà ce que t’enseignera le chemin. (M. D.) ITINÉRAIRE Entre Suse et Turin, on a le choix entre deux parcours possibles, un sur la droite orographique de la Doire Ripaire, l’autre sur la gauche. Cependant, les deux ont en commun la première partie entre Suse et Bussoleno. De la gare ferroviaire de Suse, suivre la route goudronnée et traverser Urbiano (502 m ; 1,5 km), faubourg dépendant de Mompantero, bien connu pour le rituel Fora l’ours « L’Ours dehors », qui le 31 janvier fête le réveil imminent de l’ours de sa léthargie hivernale. Le parcours traverse ensuite San Giuliano et Chiodo, hameaux dépendants de Suse et, après avoir traversé une zone cultivée, dépasser la chapelle de Nôtre-Dame-des-Grâces (avec des fresques du XVe siècle) afin d’atteindre le centre de Foresto, non loin de la Réserve naturelle du gouffre de Foresto (488 m ; 6,8 km ; 1h 20). Laisser sur la droite le siège de l’Organisme de gestion des Zones Protégées des Alpes Cottiennes et suivre l’Antique Route de Foresto en se dirigeant vers le centre de la vallée par la Rue Cascina del Gallo, puis à gauche par la Rue Moletta qui suit la voie ferrée. Une fois dépassée la gare de Bussoleno, on arrive à un croisement (442 m ; 8,4 km ; 1h 40). En continuant tout droit, en prenant la Rue Chianocco, on suivra le parcours sur la gauche orographique. Pour le parcours qui conduit à Avigliana, par contre, il faudra prendre à droite, en utilisant le passage piéton qui conduit dans la Rue Guido Carli au feu rouge de la Rue Traforo ; là, tourner à gauche et, au prochain feu, tourner à droite, traverser la Doire Ripaire puis le bourg médiéval de la petite ville. Non loin de la gare de Bussoleno, le long de la SS 25 (RN), se trouve également le musée FERALP (Musée du Transport Ferroviaire à travers les Alpes), qui n’est pas ouvert aux visites pour le moment suite aux dommages causés par un incendie récent. Après Bussoleno, poursuivre le long d’une route en terre qui traverse des champs cultivés jusqu’à San Giorio di Susa, où se trouvent le château médiéval, ainsi que les chapelles de Saint-Sébastien et de Saint-Laurent (XIVe siècle), la Garitte et la paroisse de Saint-Georges martyre (424 m ; 12,5 km ; 2h 30). 48 Auberge Croce Bianca. 04 De Suse à Avigliana 32,6 km LE CHÂTEAU DE SAN GIORIO Le village de San Giorio, étape fondamentale de l’Antique Via Francigena qui passe par la vallée de Suse, fut confié à la famille Bertrandi par la maison de Savoie. Le village qui a su conserver de nombreux vestiges médiévaux, est dominé par les restes d’un château imposant, érigé sur une colline rocheuse connue sous le nom de « Mollare », « Molaire ». Probablement, le château existait déjà dans la première moitié des années 1200, lorsque le marquis de Turin Olderico Manfredi et sa femme Berthe le donnèrent au monastère Saint-Just de Suse qui en fut propriétaire jusqu’au début du XIVe siècle. Après avoir appartenu à des familles illustres de la vallée comme les Bertrand de Montmélian, les Calvi d’Avigliana, les Chignin de Villarbasse et les Aschieri de Suse, il devint propriété des Savoie au XVIe siècle. CharlesEmmanuel Ier en fit don à son fils naturel, père Emmanuel de Savoie, qui lui-même en fit don par la suite à son frère Victor-Amédée. Le premier roi de Sardaigne l’inféoda au colonel Ressano de Pinerolo, gouverneur de Suse et capitaine des troupes ducales, pour les mérites acquis lors de la bataille d’Avigliana qui fut combattue en 1630 contre les Français de Louis XIII. En 1691, alors que le château était défendu par les troupes de Victor-Amédée II, il fut conquis, puis en partie détruit par le général français Catinat. Château de San Giorio. LES BRIGANDS DE MALPASSO ET LA CASCINA (FERME) ROLAND À la frontière entre les communes de San Giorio et Villarfocchiardo se trouve une localité connue sous le nom de Malpasso, dont le nom est relié à la légendaire présence de brigands qui dérobaient les voyageurs. C’est l’endroit où la Route de France se resserrait, prise entre la montagne et le torrent, un passage obligé où il était facile de tendre des pièges et d’attendre l’occasion, ca- chés dans les fourrés ou dans une cavité dans la montagne. Il semblerait que les brigands de Malpasso ait eu pour habitude de se mettre d’accord avec les domestiques de la Giaconera et avec les employés du relais de poste Roland, non loin, où l’on changeait les chevaux et qui se trouvent sur l’actuelle route nationale 24. Les servants disaient aux garçons d’écurie si les passagers étaient des 49 gens aisés selon leur comportement à l’hôtel. Si c’était le cas, ces derniers mettaient des petites clochettes qui faisaient un bruit particulier aux harnais des chevaux qui tiraient le carrosse, ce qui permettait d’avertir les brigands qu’une proie intéressante arrivait. La Cascina Roland se trouve un peu plus loin que Malpasso (environ 2 km), en ne déviant du chemin que de quelques centaines de mètres. Cette ferme est composée de deux corps de bâtiment, un qui servait de relais de poste pour le change des chevaux et l’autre qui était une maison forte, elle aussi sur l’Antique Route de France. La légende raconte que son nom dériverait du passage du célèbre paladin de Charlemagne, en proie à la folie, suite au refus d’Angélique qui lui avait préféré Médor. Roland ayant perdu la raison, sur son passage il détruisait tout ce qui pouvait porter le nom des deux amants. C’est ainsi que le paladin s’en pris même à un gros rocher dans un pré non loin de la ferme, qu’il fendit en deux en le frappant avec sa fameuse épée magique Durendal. Voilà les légendes qui accompagnent le chemin. La réalité historique, cependant, est un peu différente. Il est fort probable que les trois bâtiments de la Giaconera, le relais de poste Roland et la ferme Roland aient été à l’origine des maisons fortes, c’est-à-dire des édifices fortifiés qui hébergeaient des services ou qui surveillaient des endroits stratégiques. Dans les différents documents, ces édifices sont indiqués de plusieurs façons comme Giaconera, maison forte Giaconera, Colombaro, ferme Giaconera, relais de poste Giaconera, relais de poste Roland, Giaconera supérieur, maison forte de Roland, ferme de Cascina Roland. 50 Roland. Ceci laisse à penser que, dans le passé, la zone toute entière qui inclut les édifices et qui se trouve le long de la route en correspondance d’un pont et d’un croisement, étaient indiqués sous le nom de « Jaconeriam » (La Giaconera). La « maison Roland » a été en grande partie restaurée et, de nos jours, c’est un centre multi-activités avec un espace musée et dont les parties latérales ont été réhabilitées en appartements. Sur la façade, on remarquera des fenêtres en ogive encadrées par des petites briques façonnées et, par endroit, on distingue encore d’antiques fresques. Au-dessus du portail d’entrée sur le côté oriental de la clôture se trouvent les restes du mur d’enceinte crénelé, seules parties encore présentes de l’ancienne fortification. À l’extérieur se trouve la fameuse et légendaire « roche Roland ». Roche de Roland. 04 De Suse à Avigliana 32,6 km À la sortie de San Giorio, suivre sur une partie la route goudronnée, puis la laisser et dévier à gauche pour traverser des champs, potagers et vignes. Traverser la RN dans la zone de Malpasso pour arriver au hameau Pianverso où, grâce à une déviation de quelques centaines de mètres, on arrive à Cascina Roland et à la Giaconera. Revenir sur le parcours et poursuivre jusqu’à Villarfocchiardo, village bien connu pour sa Fête du Marron et où se trouve la paroisse du XVIIIe siècle de Sainte-Marie-del’Assomption (419 m ; 18,5 km ; 3h 20). En amont de Villarfocchiardo se trouve la Chartreuse de Montebenedetto, dans le parc Orsiéra-Rocciavré. LE PARC NATUREL ORSIÉRA-ROCCIAVRÈ ET LA CHARTREUSE DE MONTEBENEDETTO La rive gauche orographique de la vallée de Suse, depuis le Col des Fenêtres jusqu’à la commune de Villarfocchiardo, fait partie du Parc Naturel Orsiéra-Rocciavré ; 11 000 hectares de territoire protégé par la Région Piémont depuis 1980 qui, au sud, s’avancent jusqu’à la vallée Chisone et, à est, vont jusqu’à l’entrée de la vallée Sangone. C’est une zone de montagne (les frontières du parc se situent au-dessus des 1000 m d’altitude), comme en témoignent les dizaines de sommets qui, outre le Monts Orsiéra (2878 m) et Rocciavré (2778 m), dépassent les 2600 m. Contrairement à de nombreuses zones de montagne, celle-ci est restée en marge du développement du tourisme de masse. C’est resté un coin de nature presque intact où, en plus d’une faune et d’une flore particulièrement riches, la présence humaine a su s’intégrer avec des activités agricoles de montagne, des petits hameaux dispersés dans les bois, des alpages et des antiques zones habitées riches d’histoire comme pour la Chartreuse de Montebenedetto. Son origine remonte au XIIe siècle, elle fut construite par les moines chartreux dont le premier groupe s’implanta entre Meana et Gravere pour fonder l’abbaye de Nôtre-Dame-de-la-Lose (1189) où, cependant, ils ne restèrent qu’une dizaine d’années. Le territoire était déjà sous la juridiction de Novalesa qui, à cette époque-là, était bien plus puissante, poussant les moines à se L’église de la chartreuse de Montebenedetto. 51 déplacer vers Villarfocchiardo où ils bâtirent leur nouveau monastère à 1600 m d’altitude. Pendant leur permanence à Montebenedetto, les moines mirent en place une communauté économiquement autosuffisante, capable de vivre du travail des frères lais ou convers (qui ne sont pas des frères de chœur) et des paysans salariés, tous soumis aux ordres du père supérieur, véritable administrateur. Les locaux alloués aux travailleurs se trouvaient en dehors des murs de la chartreuse, là où, de nos jours, se trouvent encore les restes des murs qui jadis étaient ceux de la chapelle et les habitations des frères lais ainsi que des familles qui y travaillaient. Entre 1468 et 1498, la chartreuse fut abandonnée et, progressivement, elle fut remplacée par l’abbaye non loin de Banda suite à des inondations (selon les chroniques, celle de 1473 fut très grave) provoquées par les crues imprévues des petits ruisseaux qui drainaient les eaux vers la vallée. Aujourd’hui, une bonne partie de ce qui reste des édifices est utilisée comme ferme d’alpage, mais on peut toujours visiter l’église construite en bloc de pierre de taille sans enduit, avec un intérieur très sobre, à nef unique, dominée par une voûte en berceau à arc brisé. Les édifices alentours, qui jadis constituaient les locaux communs (cuisine, réfectoire, lieux d’accueil des visiteurs), ainsi que les cellules des moines et un petit cloitre, ont été détruits par les inondations. À l’entrée principale de l’abbaye qui a été murée, on peut encore voir les restes d’une fresque du XVe siècle représentant la Vierge à l’Enfant trônant parmi les anges. À la sortie de Villarfocchiardo, dépasser le hameau de Comba en suivant le tracé de l’Antique Route de France jusqu’à Sant’Antonino di Susa (380 m ; 22 km ; 4 h), où se trouve une des plus antiques églises de la vallée, avec une tour-clocher du XIe siècle et des cycles de peinture du XIVe siècle. Suivre la rue centrale du village et, un peu avant de rejoindre la RN, dévier à droite pour reprendre l’Antique Route de France en se dirigeant vers Vaie (381 m ; 23,7 km). Là, un parcours archéologique et naturalistique très intéressant conduit au sanctuaire de Saint-Pancrace (XIe siècle) pour terminer au Musée d’Archéologie expérimentale. Église de Saint-Antoine, à Sant’Antonino di Susa. 04 De Suse à Avigliana 32,6 km LES MARRONS DE LA VALSUSA Entre septembre et octobre, en promenant le long de la rive droite orographique de la basse vallée de Suse, dans la partie comprise entre Vaie et Villarfocchiardo, on remarquera des sous-bois riches, soigneusement entretenus, caractérisés par des châtaigniers séculaires plantés sur de nombreuses parcelles étroitement surveillées par leurs propriétaires. Le fruit du châtaignier représente un revenu considérable pour l’économie locale : le marron de Vaie. Une parmi les plus cultivées de la région est la dénommée châtaigne poilue de Vaie, qui produit des fruits ovales de grosses dimensions dont le rapport du diamètre entre hauteur et largeur est de 0,81 - 0,85, tandis que les fruits les plus gros ont tendance à s’élargir sur les côtés. C’est le type de châtaignes qui se prête tout particulièrement à la préparation des marrons glacés, spécialité qu’il semblerait qu’elle ait été inventée et servie pour la première fois par un cuisinier du duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier (1562-1630) dont on ne connait pas le nom. Cette hypothèse serait confortée par la recette retrouvée pour la première fois dans le traité Confiturier piémontais, édité à Turin en 1766. La préparation de ces fruits confits demande plusieurs jours de travail. Les marrons sont bouillis une première fois pour pouvoir les éplucher plus facilement, puis ils sont cuits à plusieurs reprises durant une semaine, dans un sirop à 50% d’eau et de sucre. La préparation se termine par le glaçage des marrons, ce qui leur donne un aspect à la fois blanchâtre et translucide, très original. La Sacra di San Michele. 53 Après Vaie, on arrive à Chiusa San Michele (377 m ; 26,8 km ; 5h), nom évocateur de la bataille historique entre Charlemagne et Didier de Lombardie où, en face de la paroisse du XVIIe siècle de Saint-Pierre-Apostolique, se trouve le départ du sentier muletier qui conduit à la Sacra di San Michele, monument symbole du Piémont (936 m ; 7 h). Attention : il faudra au moins 2h pour monter à la Sacra et 1h pour redescendre à Sant’Ambrogio (8h). Pour ceux qui décideront de visiter la Sacra le lendemain, il suffira de poursuivre environ une demi-heure sur l’Antique Route de France pour arriver à Sant’Ambrogio (356 m ; 28,6 km ; 5h 30). Le panneau signalétique qui indique le départ du sentier muletier pour la Sacra di San Michele. LA SACRA DI SAN MICHELE - SAINT-MICHEL-DE-LA-CLUSE L’abbaye de la Sacra di San Michele a été édifiée sur un éperon rocheux du Mont Pirchiriano, duquel elle domine l’entrée de la vallée de Suse. Sa construction débuta dans les années 983-987 apr. J.-C., lorsque, selon la légende, l’ermite Giovanni Vincenzo voulut édifier une église en l’honneur de Saint-Michel-Archange. Son premier choix fut pour le mont Caprasio, dans la localité dénommée Celle, sur le versant de la vallée de Suse opposé à celui où se dresse l’abbaye. Tandis que l’homme travaillait toute la journée à préparer les matériaux nécessaires à la construction, chaque matin, lorsqu’il revenait sur le chantier, il découvrait que tout ce qu’il avait fait avait disparu. 54 Le religieux se tourna alors vers Saint Michel qui lui apparut dans un rêve pour l’accompagner de l’autre côté de la vallée, sur le mont Pirchiriano, où anges et colombes avaient commencé à ériger une église avec les matériaux dérobés. Selon la volonté du saint, Giovanni abandonna les travaux à Celle et se transféra à l’endroit indiqué où il put terminer son œuvre sans plus être interrompu. Pour la consécration, l’évêque de Turin Amizone fut convié mais, la nuit où celui-ci dormit à Avigliana, le mont s’illumina d’une lumière vive. L’évêque se rendit immédiatement au pied de l’édifice alors que le parfum des huiles célestes, que les anges avaient utilisées pour consacrer l’église, flottaient encore dans les airs. 04 De Suse à Avigliana 32,6 km Sacra di San Michele : la porta du Zodiaque (détail). Depuis ce jour, la Sacra di San Michele fut considérée comme un lieu miraculeux. Ce n’est qu’une légende, une parmi tant d’autres qui entourent de leur voile l’abbaye, dont l’origine quoi qu’il en soit reste quelque peu entourée de mystère. Certains en attribuent le mérite à Guglielmo de Volpiano, des Arduinidi d’Ivrea, d’autres à san Romualdo, d’autres encore à san Giovanni Vincenzo. En fait, les informations restent incertaines même si, en 999, Hugo de Montboissier, en revenant de Rome chargé par le pape de construire un hospice pour les pèlerins, se retrouva devant le travail accompli par Giovanni Vincenzo qui avait restauré les antiques chapelles byzantines et lombardes et, au même endroit, en Sacra di San Michele : le grand escalier des Morts. avait construit une troisième. Les restes de ces trois chapelles sont toujours présents à peine en dessous de l’actuelle église de la Sacra. L’abbaye Saint-Michelde-la-Cluse, ainsi que celle de Novalesa et de Montebenedetto-Banda, furent parmi les plus grandes et puissantes abbayes de la basse vallée de Suse. Son influence sur le territoire alentours perdura pendant plusieurs siècles et alla jusqu’à une bonne partie de la vallée Sangone, qui fut inféodée à l’abbé par investiture de la maison de Savoie du 22 juin 1103 jusqu’en 1622. Les armoiries de la commune de Giaveno (une étoile d’or à six branches sur un fond azur), par exemple, reproduisent fidèlement le drapeau de l’abbaye sous lequel, si nécessaire, militaient les soldats de Giaveno. Dans l’abbaye, essentiellement au XIIe siècle, des ouvriers venus de la plaine padane travaillèrent à l’édifice, ceux-là même qui pendant plusieurs décennies travaillèrent dans d’autres cathédrales importantes en Émilie. Des artistes qui réalisèrent des œuvres très précieuses comme la porte du Zodiaque en 1130 par Niccolò, puis les chapiteaux de la nef, les sculptures de l’abside, le cycle des fresques du XVIe siècle et un important triptyque de Defendente Ferrari (en 1531, également auteur du polyptyque de Saint-Antoine-de-Ranvers). Durant les cinq siècles de majeure splendeur et jusqu’en 1379, la Sacra fut dirigée par des abbés, jusqu’à ce qu’ils soient destitués par le Conte Verde (Comte Vert), puis par des commanditaires. Par la suite, en 1622, Grégoire XV supprima le monachisme dans l’abbaye. L’édifice vécut donc une longue période de déclin et d’abandon qui dura jusqu’en 1836, lorsque Charles Albert décida d’en financer la renaissance à l’occasion du transfert de vingt-sept dépouilles de la famille des Savoie, et en confiant la tâche à Antonio Rosmini. Cette forte volonté laïque convainquit également les pouvoirs ecclésiastiques et, le 23 août de la même année, le pontefice Grégoire XVI concéda à jamais le monastère aux pères rosminiens. Au début de ce nouveau millénaire, le Conseil Régional a défini la Sacra di San Michele comme monument symbole du Piémont. De nombreuses légendes accompagnent ces lieux riches d’histoire et de mystère, dont deux sont tout particulièrement connues dans les vallées de Sangone et de Suse. Outre celle sur les origines du monument que nous avons vu plus haut, la légende qui 55 est toujours aussi présente dans l’esprit des habitants de ces vallées est celle de la belle Alda. Une magnifique jeune fille qui, pour échapper aux outrages des troupes armées de Frédéric Ier Barberousse, se lança dans le vide du haut d’un des bastions de la Sacra et, avec l’aide de la Madone, toucha le sol indemne. Cependant, peu de temps après, la vaniteuse voulu répéter le geste ; Massimo d’Azeglio écrit qu’après le vol « l’toc pi gross a l’è staita l’ouria » (en langue locale, le piémontais : « le morceau le plus gros qui en resta fut l’oreille »). La version fournie par Edoardo Calandra, selon laquelle Alda se serait lancée pour fuir à Corbo, l’incarnation de l’infamie et de la turpitude, est tout aussi intéressante ; elle se serait posée au sol indemne grâce à l’aide divine. Se croyant une sainte, la pauvre fille, peu de temps après, tenta à nouveau l’expérience mais cette fois-ci elle s’écrasa au sol. Alors Arduino, son fiancé et seigneur de la vallée, décida de la venger en tuant le mauvais Corbo et, à l’instant même où ce dernier arriva en enfer, un terrible tremblement de terre accompagné d’un ouragan d’une violence unique s’abattirent sur Avigliana. Le jour suivant, la ville avait disparu. À sa place se trouvaient deux lacs séparés par une étroite langue de terre sur laquelle se dressait, seule, la maison de la belle Alda. L’itinéraire touche aussi le couvent de Saint-François, monastère bien plus modeste et de mineure importance que la Sacra di San Michele. Una légende en attribue la fondation à saint François lui-même, mais en réalité c’est l’œuvre de Tomma- Sacra di San Michele : le sépulcre des moines. 56 so Schiavone, père franciscain qui vécut quelques siècles plus tard, réalisé grâce à une donation d’un noble d’Avigliana, Ludovico Berta di Celle, le 15 juillet 1515. L’ensemble des édifices se trouve en un lieu stratégique, à cheval entre les vallées de Suse et Sangone, il vécut des périodes plus ou moins fortunées, mais sans jamais cependant réussir à s’imposer dans le cadre des activités monastiques locales. Le couvent fut construit trop tard pour pouvoir récolter les fruits de l’époque des monastères et il resta sans nul doute dans l’ombre de la Sacra di San Michele, il vécut par ailleurs une histoire difficile. Pour preuve nous avons une supplication que les frères franciscains adressèrent à la Sainte-MèreÉglise le 10 mai 1800. Ils demandaient l’autorisation de vendre certains bâtiments et arbres fruitiers et de dépenser la somme de 3500 lires qu’ils avaient en dépôt parce que, depuis le mois de septembre 1799, cela faisait « sept fois que les soldats français passaient en prélevant tout le vin (1000 litres), tout le pain, tout le linge, les meubles ; ils avaient dévasté et emporté tous les fruits de la terre, à tel point que les frères avaient dû se réfugier ailleurs. De plus, les frères avaient donné 415 livres de foin et 115 de paille, 25 toises de bois à brûler [environ 130 m3]. Ils avaient logé les troupes militaires en place à Giaveno, mais il n’était resté plus rien, même pas les grilles aux fenêtres » (S. Chiaberto, Francescani e certosine alla Mortera, in AA.VV., La Mortera e la strada dei Principi, Parco naturale di Avigliana, Avigliana 2000). 04 De Suse à Avigliana 32,6 km SANT’AMBROGIO DE TURIN Petite ville de la basse vallée de Suse au pied du Mont Pirchiriano, Sant’Ambrogio de Turin fut anciennement lieu de frontière, jusqu’en 733, entre le royaume des Burgondes et des Lombards. Le nom actuel de la Commune remonte à peu près à cette même période et, très probablement, il lui fut attribué par les Lombards, christianisés depuis peu et dévots envers le saint évêque milanais. Comme tous les centres habités de la vallée, entre le IXe et le Xe siècle, la zone subit les passages des Sarrasins tout comme ceux des armées d’Ardouin qui les pourchassaient. À peu près au IXe siècle, Sant’Ambrogio fut donné à la Sacra di San Michele, puis à l’abbaye de Suse San Giusto et puis, sur ordre de l’empereur Frédéric Ier Barberousse de nouveau à la Sacra. Le bourg et le palais abbatial de Sant’Ambrogio furent détruits par les milices mercenaires anglaises de Filippo d’Acaja en 1363 et ne se reprirent qu’au XVIe siècle après avoir été achetés par la maison de Savoie. Cependant, ils furent à nouveau détruits en 1630, durant le conflit entre Charles Emmanuel Ier de Savoie et Louis XII de France, et puis encore en 1706, durant le siège de Turin. Dénommé Sant’Ambrogio de Turin dès 1862 sur décret royal de Victor-Emmanuel II, la ville a pu conserver un beau centre historique, qui recèle certains monuments plutôt intéressants, comme le clocher roman du XIe siècle, le palais abbatial du XIIe siècle et la tour communale qui lui est rattachée, décorée de belles fresques à l’intérieur, deux tours jadis intégrées dans les murs d’enceinte, quelques restes du mur d’enceinte et, dans le hameau San Pietro, les restes de l’antique église du même nom. Sant’Ambrogio, une tour dans les murs. Sant’Ambrogio, palais abbatial. 57 CHARLEMAGNE ET DIDIER DE LOMBARDIE AUX CLUSES La Chiusa di San Michele et la plaine qui s’étend devant elle évoquent des faits historiques qui remontent à la seconde moitié du VIIIe siècle, lorsque les Francs repoussèrent les Lombards et conquirent une ample partie de la plaine padane. Un évènement auquel les Italiens, trop occupés par leur petits intérêts et leur négoce, ne prêtèrent guère attention et qui fut décrit par Alessandro Manzoni au XIXe siècle avec sa synthèse poétique et la force du conteur dans un extrait du second acte de l’Adelchi : Dagli atrii muscosi, dai fori cadenti, dai boschi, dall’arse fucine stridenti, dai solchi bagnati di servo sudor, un volgo disperso repente si desta ; intende l’orecchio, solleva la testa percosso da novo crescente romor. [...] E il premio sperato, promesso a quei forti, sarebbe, o delusi, rivolger le sorti d’un volgo straniero, por fine al dolor ? Tornate alle vostre superbe ruine, all’opere imbelli dell’arse officine, ai solchi bagnati con servo sudor. Il forte si mesce col vinto nemico, col nuovo signore rimane l’antico ; l’un popolo e l’altro sul collo vi sta. Dividono i servi, dividon gli armenti ; si posano insieme sui campi cruenti d’un volgo disperso che nome non ha. L’histoire est bien connue : les Francs, dans leurs conquêtes de nouveaux territoires, avaient jeté leur dévolu sur les terres fertiles de la plaine du Po que les Lombards ne voulaient pas céder. Une question qu’il fallait régler au fil de la lame mais, pour déclarer la guerre, il fallait une occasion, tandis que la raison formelle, selon les dires de l’historien de Giaveno Claretta, ce fut une question d’honneur : « Charlemagne avait épousé, et après une brève période répudié, une des filles de Didier (Ermengarda) ; et Didier avait également hébergé à sa cour des neveux de Charlemagne privés de leur héritage légitime » ; même si, toujours Claretta insiste en soulignant la ténacité de Didier qui ne voulait pas « rendre au pontéfice Adrien Ier la ville que celui-ci avait occupé avec les armes, en menaçant Rome ; 58 tandis que le roi franc, en tant que romain patricien, devait protéger le siège apostolique ». Nous ne sommes pas ici pour mettre en discussion ce qui pouvait alors être l’honneur ou l’intérêt. Les faits fournissent au lecteur les éléments qui lui permettent de juger. Les frontières entre les royaumes franc-burgond et lombard, alors, traversaient la basse vallée de Suse. C’est pourquoi Charlemagne, en 773, descendit en Italie avec une importante armée en se cantonnant non loin de Novalesa, abbaye fondée quelques dizaines d’années plus tôt grâce au sponsoring (dirait-on de nos jours) du royaume des Francs. De son côté, Didier avait réalisé un système de défense dans la plaine qui se trouve entre les actuelles petites villes d’Avigliana, Sant’Ambrogio, Caprie, Villar Dora et Chiusa di San Michele, entre les pentes du Mont Pirchiriano et le contrefort de Rocca Sella. Charlemagne se trouvant devant une route barrée, il décida de se placer au croisement entre les vallées Cenischia et Suse, en attendant l’arrivée de son oncle Bernardo qui devait conduire la cavallerie à travers le Col du Grand Saint-Bernard et prendre l’ennemi à revers. Très probablement, les défenses préparées par Didier n’étaient pas un véritable bastion protégé par une vallée, ainsi que le suggère le Chronicon Novalicense, mais plutôt un système mixte qui, en exploitant les caractéristiques du territoire, se composait de zones inondées, de fossés et de barrières. La situation d’immobilité dura pendant des mois, avec la bénédiction de l’abbé de Novalesa et de la population de la Valsusa qui devait pourvoir au ravitaillement des troupes. Les armées étaient épuisées et Charlemagne était sur le point d’abandonner la lutte lorsque, à l’improviste, la possibilité de prendre à revers les Chiuse, et par là même les troupes de Didier, se présenta. C’est à ce moment-là que l’histoire devint légende. Est-ce que ce fut le diacre Martino ou un moine de Novalesa envoyé par l’archevêque de Ravenna qui indiqua le chemin aux Francs ? Ce fut un ménestrel lombard qui trahit les siens en vendant l’information, ou bien ce fut une patrouille hardie en reconnaissance qui découvrit par où passer ? Ou bien la suggestion vint-elle d’un habitant de la vallée ? Il n’existe aucun fait historiquement prouvé qui puisse confirmer une de ces théories. Cepen- 04 De Suse à Avigliana dant, l’évènement fut déterminant pour la bataille : « Cumque de predicto discendissent montem, devenerunt in planiciem vici, cui nome erat Gavensis inique se adunantes struebant aciem contra Desiderium (Une fois descendus de la montagne, La statue de Charlemagne sur la Place de Nôtre-Dame à Paris. 32,6 km ils arrivèrent [les Francs] dans un village en plaine dont le nom était Giaveno et là, une fois réunis, ils alignèrent leurs troupes contre Didier) ». La suite est connue, Didier fut battu, il se retira à Pavia et ce fut la fin du règne des lombards. 59 Laisser Sant’Ambrogio et continuer tout droit vers la zone industrielle d’Avigliana, où se trouve le Musée de Dynamiterie Nobel, dédié à l’usine d’explosifs la plus importante d’Europe. Après le musée, remonter la petite colline qui mène au centre historique d’Avigliana (372 m ; 32,6 km ; 6h 10 ; 9h en comptant la déviation à la Sacra di San Michele) où, parmi les nombreux monuments, se trouve aussi le palais de Humbert le Bienheureux (XIVe siècle), qui était déjà le siège de l’ancien hôpital où les pèlerins qui transitaient sur la Via Francigena étaient accueillis. Centre historique d’Avigliana : Place Santa Maria. LE BOURG MÉDIÉVAL D’AVIGLIANA Les premières traces qui attestent de la présence humaine dans la zone d’Avigliana remontent au Néolithique, ainsi qu’en témoignent les objets retrouvés dans les tourbières au sud et au nord des deux lacs (une hache en bronze, une broche et un fragment de pagaie conservés dans les musées de Turin). Mais, à peine quelques millénaires plus tard, entre le 58 et 50 av. J.-C., suite à la conquête des Gaules par Jules César, Avigliana entra dans l’histoire grâce à sa position stratégique qui la transforma en point très important pour le recouvrement de la quadragesima galliarum, l’équivalent de ce que nous définirions de nos jours un péage de douane. En observant la morphologie du terrain on ne peut que comprendre le choix des Romains. Le Pezzulano (endroit où se dressent les ruines du 60 château) et les reliefs de Montecapretto sont les seuls passages dans une zone où, en ces tempslà, le terrain était pratiquement impraticable à cause des vastes paluds. Et surtout, la vallée était le point de croisement des routes commerciales qui du Nord, Sud et surtout de l’Est, permettaient de rejoindre la France. En fait, par la suite, ce réseau routier deviendra la Via Francigena pour passer les Alpes ou Via Romea pour ceux qui partaient dans le sens opposé. Au début, on suppose que les premiers à s’implanter furent les composants d’un groupe puissant – on pense que le nom de la ville dérive en effet du nom de la famille romaine des Avilii – qui avaient également le droit de cultiver les terres d’inondations fertiles de la zone. Ce dont on est certain c’est que, très rapidement, la zone devint un centre 04 De Suse à Avigliana Avigliana : la porte de l’Ancien Bourg (ou de Sainte-Marie). avec des commerces très prospères et, malgré les hauts et les bas, déjà au Moyen-Âge ce centre était devenu une petite ville accrochée aux pentes de la montagne, là où de nos jours se dresse le Borgo Vecchio, Ancien Bourg. Cependant, ce fut à partir du XIIe siècle, avec l’arrivée des comtes de Savoie, qu’Avigliana vécut sa période de splendeur. Le centre habité grandit en s’élargissant jusqu’à la zone de nos jours dénommée Borgo Nuovo, Nouveau Bourg, et, pendant au moins trois siècles, il continua de grandir sous la protection de Humbert III le Bienheureux (XIIe siècle) et d’Amédée VII (le Conte Rosso, XIVe siècle). C’est à cette époque que l’architecture d’Avigliana passa du roman au gothique. Ce furent des siècles durant lesquels on construisit d’importants édifices comme les églises Sainte-Marie, Saint-Jean 32,6 km et Saint-Pierre, le château, les tours, les portes, les portiques et les habitations seigneuriales qui vont de la Place Conte Rosso à la placette Santa Maria. À partir du XVIe siècle, ce fut le début du déclin d’Avigliana, lorsque le duc Emmanuel-Philibert choisit Turin comme capitale du règne de la maison de Savoie, en laissant à la petite ville uniquement un rôle défensif secondaire, avec une petite garnison en place au château. Une lente agonie et un coup de grâce en 1691, lorsque le maréchal Catinat, au commandement des troupes du Roi Soleil, mit à sac la ville et réduisit le château en ruines qui aujourd’hui encore se dressent fières. L’Avigliana historique apparait au visiteur comme un réseau de routes qui entourent le centre historique pour défendre les habitations de la force du vent qui souffle souvent violemment dans la vallée. Des ruelles tortueuses qui débouchent sur des placettes abritent des commerces et sont parées de portiques avec des arcs en ogive en unissant l’utile à l’esthétique, témoins de l’activité d’une vie civile et commerciale importante. Et puis les églises, qui plongent leurs origines au tout début du millénaire passé et qui continuent d’offrir en témoignage le goût artistique qui, au cours des siècles, s’est exprimé dans l’âme de la ville, avec la réalisation de chefs-d’œuvres d’architecture et d’art et qui continue d’en faire, selon l’humble avis de celui qui écrit, le plus beau faubourg médiéval de tout le Piémont. Le centre historique d’Avigliana se visite en moins de deux heures, en suivant des panneaux qui indiquent le parcours tout en décrivant les sites, en partant plus ou moins de la Place del Popolo pour aller toucher tous les points les plus caractéristiques et importants de la ville. Place Conte Rosso à Avigliana. 61 On peut éventuellement rejoindre le centre historique d’Avigliana grâce à une déviation (qui rallonge le parcours de 4 km) en traversant le Parc naturel des Lacs d’Avigliana. Du Musée de la Dynamiterie, tourner direction sud en traversant la zone industrielle et poursuivre, sur route en terre, dans la zone protégée dans les paluds de Mareschi. La petite route rejoint la rive du Grand Lac, avant de continuer jusqu’à Avigliana, accompagnés par la silhouette du château. L’ÉCOMUSÉE DE LA DYNAMITERIE NOBEL D’AVIGLIANA L’écomusée occupe une partie de la vieille Dynamiterie Nobel et se trouve à l’entrée de la zone industrielle d’Avigliana, à quelques centaines de mètres de la RN 25. Sa localisation est signalée par des panneaux situés le long de la voie d’accès. La construction d’une usine d’explosifs à Avigliana remonte à 1872 par volonté de cinq banquiers parisiens et de la Société Anonyme Dynamite Nobel d’Hambourg. Le premier établissement fut construit dans la localité Valloja, aux frontières de la Commune avec Sant’Ambrogio, où de nos jours se trouve l’écomusée. Cet emplacement était particulièrement intéressant car proche du train (la gare à Avigliana se trouvait à quelques centaines de mètres) et pour la morphologie du terrain, où l’alternance de collines et zones plus plates représentait une bonne protection pour les habitations en cas d’accident, et l’abondance de l’eau que garantissait le Grand Lac, en plus de deux gros canaux d’irrigation. Dès ses débuts, la construction de grands ouvrages de génie civil – les tunnels routiers et ferroviaires, par exemple – et les exigences liées aux guerres firent la fortune de la dynamiterie qui, en 1892, employait déjà 800 personnes pour la production de dynamite, gélatine, fulmicoton, balistite et, comme sous-produits en complément de la production principale, des intermèdes chimiques et des engrais. Les commandes continuaient d’arriver toujours plus nombreuses et, en 1908, dans la localité Allemandi aux frontières avec la Commune de Buttigliera Alta, un second établissement fut construit pour la production d’explosif plastic. Puis vint la Première Guerre mondiale et la demande augmenta encore. L’Allemandi et la Val62 loja ne suffirent plus à satisfaire la demande et ce fut alors que l’on construisit une troisième usine dans la localité Mareschi, aujourd’hui partie intégrante du Parc naturel des Lacs d’Avigliana, connu comme Dynamiterie Nobel. Dans cet édifice, pendant le Seconde Guerre mondiale, on produisit la cyclotriméthylènetrinitramine, également connue sous le nom de RDX, qui est l’un des explosifs les plus puissants après la bombe à hydrogène. Les périodes plus ou moins prospères de la dynamiterie s’alternèrent au gré des carnets de commandes. Aussi, avec la fin de la Grande Guerre, la demande en explosif diminua au point que les ouvriers passèrent de 5000 à 350. À cette période, afin de se diversifier, les propriétaires décidèrent de se lancer dans la production de peinture et ils constituèrent une société autonome, la DUCO. Primo Levi travailla dans cette usine, au retour de la dramatique expérience d’Auschwitz (nous avons les écrits de l’écrivain sur cette période dans un de ses récits de Il sistema periodico - Le système périodique). L’activité de la dynamiterie profita d’une réelle reprise au moment de la guerre coloniale italienne, entre 1933 et 1935, période durant laquelle mille ouvriers furent embauchés. Puis à nouveau la crise et enfin la Seconde Guerre mondiale, avec 4000 ouvriers au travail. Après 1945 l’usine repris son activité, mais à rythme réduit et, tandis que la crise se poursuivait, la Società Dinamite Nobel fut rachetée par la société Montecatini qui décida de transférer la production à Orbetello et de fermer définitivement l’usine d’Avigliana. C’était le 22 novembre 1965. La Dynamiterie Nobel représenta sans nul doute 04 De Suse à Avigliana une ressource essentielle pour l’économie locale, mais la communauté en paya le prix cher. Les 92 ans d’activité de la fabrique furent funestés par de nombreux accidents avec morts et blessés. Parmi les nombreux épisodes, les plus graves furent l’incendie du 13 mai 1890 et l’explosion dans le secteur dynamite et dans l’endroit réservé au mélange des différents composants avec l’eau, du 16 janvier 1900. Cet accident fit 13 morts et plus de 50 blessés ; tandis que celui du 14 novembre 1961 fit un mort et 22 blessés, ce qui poussa l’entreprise à prendre la décision de fermer l’usine. L’écomusée fut inauguré en 2002 et il constitue un des exemples les plus représentatifs de l’archéologie industrielle piémontaise. La mise en scène est interactive et propose des vidéos, des documentaires, des descriptifs montés sur panneaux, des photos d’époque et des outils utilisés pour la production des explosifs. Le parcours à l’intérieur des bâtiments conduit le visiteur au contact de la réalité de l’usine et nous montre quels étaient les moyens Chemin dans la zone de production des explosifs de la Dynamiterie Nobel d’Avigliana. 32,6 km Les restes de la chapelle Santa Barbara (Sainte-Barbe) dans la Dynamiterie Nobel d’Avigliana. mis en œuvre enfin d’éviter les accidents et, grâce aux effets sonores et aux reconstitutions, les sensations sont proches du réel. Nous parcourons les galeries sinueuses aux nombreux virages et cheminées d’évacuation qui servaient à réduire l’impact du déplacement d’air lors d’une éventuelle déflagration ; nous remarquerons le contraste entre les structures en ciment armé des locaux destinés au travail le plus à risque et les toits en bois ou fibrociment ainsi que les enduits faits en mortier et en bois prévus pour éviter le cumul des décombres en cas d’effondrement. Enfin, l’expérience dans le refuge est intéressant car le visiteur pourra revivre les sensations d’un bombardement aérien pendant la Seconde Guerre mondiale. L’explosion de 1961 de la Dynamiterie Nobel d’Avigliana. 63 LE PARC NATUREL DES LACS D’AVIGLIANA Avigliana : le Petit Lac. Constitué par la Région Piémont en 1980, le Parc naturel des Lacs d’Avigliana couvre une zone de 410 hectares à quelques centaines de mètres au sud-est du chemin de la Haute Voie. La zone protégée, gérée par l’Ente di Gestione dei Parchi e Riserve delle Alpi Cozie – l’Institut de Gestion des Parcs et Réserves des Alpes Cottiennes –, est de grand intérêt naturalistique et historique. Grâce à sa position stratégique dans la basse vallée de Suse, tout au long des siècles, toute la zone et surtout Avigliana s’est massivement peuplée, ainsi qu’en témoignent les précieux objets préhistoriques retrouvés lors de l’extraction de tourbe dans les zones autour des lacs, connues sous le nom de Mareschi, et l’importance de la ville durant la période médiévale ainsi que nous venons de le voir en ce qui concerne le centre historique d’Avigliana. D’un point de vue naturalistique, la zone protégée présente de nombreux intérêts essentiellement pour la cohabitation de trois biotypes distincts, bien que dépendants l’un de l’autre, que constituent les reliefs des collines, la zone des paluds et les deux lacs. Ces derniers se sont formés durant les deux grandes glaciations du Pléistocène – Riss (il y a 230.000 ans) et Würm (il y a 120.000 ans) – et de nos jours, dans ce secteur de l’arc alpin occidental, ils représentent le plus important lieu de repos des anatidés de passage lors de leur migration de printemps ou d’automne. Entre fin octobre et début novembre, on peut compter ces oiseaux par centaines, délicatement posés sur l’eau le temps d’un bref repos sur cette longue route. Dans les Grand et Petit lacs vivent de grandes colonies de canards colverts, de foulques et de grèbes huppés qui se sont également établies. Au printemps, en particulier au début du mois de février 64 ou tout au moins lorsque les glaces commencent à libérer les eaux, les grèbes huppés offrent au visiteur un spectacle magnifique lors de leurs parades d’amour – familièrement dite « danse du miroir » – lorsque les deux partenaires, l’un en face de l’autre, s’affrontent avec des mouvements synchronisés et spéculaires. La zone des paluds des Mareschi, à nord-ouest du Grand Lac, est aussi très importante car elle abrite une flore particulièrement riche de nymphéas, de lys d’eau, prêle des champs, cannes et salicornes, habitat idéal pour une avifaune spécifique et parfois même exclusive, comme le butor qui a refait son apparition à la fin du siècle dernier. Au début des années 1900, des objets de l’âge de bronze ont été retrouvés dans cette zone et dans la tourbière similaire qui se trouve en direction de Trana, témoins de la très ancienne occupation des terres autour des lacs. Sur le côté est des Mareschi, bien que quelque peu cachés par la végétation, on peut encore voir les restes de la Dynamiterie Nobel, qui produisit jusqu’en 1965 (cf. le chapitre dédié). Enfin, les reliefs collinaires à l’ouest du Petit lac : une colline morainique résultat du travail des glaciers où, en quelques mètres, on passe d’une végétation particulièrement dépendante de la présence de l’eau – dite « hygrophile » –, jusqu’à la zone dominée par la présence des châtaigniers qui nécessitent d’un sol sec. Par contre, les collines centrales de Montecapretto et de Pezzulano (où se dressent les ruines du château de la maison de Savoie) sont complètement différentes car très rocheuses. La différence de leur origine géologique par rapport à la moraine glacière fait qu’elles sont privées de cours d’eau, que leur sommet profite d’un climat chaud et sec, ce qui est idéal pour le chêne et le micocoulier. Grèbe huppé (photo de Valentina Mangini).