De Suse à Avigliana - Via-Alta

Transcription

De Suse à Avigliana - Via-Alta
32,6 km
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De Suse à Avigliana
À présent, nous parcourons la vallée dans sa partie
centrale en suivant parfois la voie de chemin de fer.
Des deux côtés s’élèvent des montagnes majestueuses,
mais c’est le groupe du parc Orsiéra-Rocciavré qui
domine sur la droite. Avant de pénétrer dans le village de Foresto, on rencontre la chapelle de la NôtreDame-des-Grâces avec ses fresques du XVe siècle
(visite possible uniquement sur réservation), qui
invite tout naturellement à un moment de répit et de
recueillement.
À Bussoleno, le pèlerin a le choix entre deux chemins
possibles, un sur la droite orographique de la Doire
et l’autre sur la gauche, tous deux largement documentés en tant que chemins empruntés pour aller
vers ou provenir de la France. Les deux parcours se
réunissent à l’entrée de Turin, mais le voyageur pourra passer de l’un à l’autre à sa guise, créant ainsi son
propre cheminement grâce à plusieurs croisements
qui servent de liaison.
Le tracé de droite part de la gare ferroviaire et traverse
la Doire Ripaire grâce à un des ponts les plus anciens
aux alentours. En traversant le pont on pourra apprécier une belle vue sur les Alpes en arrière-plan
Le Lac Grand et le château d’Avigliana.
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d’où l’on provient et qui progressivement s’éloignent.
Encore un coup d’œil à l’antique auberge de la Croce
Bianca qui accueillait les pèlerins et les voyageurs, et
puis on continue en traversant le centre ville qui, désormais, a pris des airs d’agglomération de plaine. En
passant devant les vitrines des commerces et les différents affichages on remarquera l’activité culturelle et
sociale très présente qui la caractérise.
À partir de maintenant et durant tout le reste de la
journée, le chemin est comme « guidé » par la présence de l’omniprésente silhouette de la Sacra di San
Michele, abbaye de Saint-Michel-de-la-Cluse, qui se
détache au sommet de la montagne, comme pour
nous indiquer clairement le lieu de destination de
l’étape d’aujourd’hui.
On avance en traversant une succession de centres
habités qui s’alternent avec des chemins secondaires
dans les campagnes de la basse vallée, des petites
routes qui, par la toponymie « Strada Antica di Francia », « Route Antique de France », rappellent les
nombreux siècles d’histoire que nous traversons.
Le nom de Chiusa di San Michele, Saint-Michel-de-laCluse, est un témoin de l’histoire de la bataille entre
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De Suse à Avigliana
32,6 km
DISTANCE
32,6 km
TEMPS DE PARCOURS
(9 h avec la variante pour la Sacra di San Michele)
DÉNIVELÉ
(800 m avec la variante de la Sacra di San Michele)
(41 km avec la variante de la Sacra di San Michele)
6 h 10
250 m
Avertissement : ce parcours
propose également la déviation par la Sacra di San Michele, sachant que pour visiter le monument il faudra
compter au moins 2 heures.
C’est la raison pour laquelle nous vous suggérons de
dédier plutôt deux jours à
cette étape : le premier pour
arriver à Avigliana, le second
pour monter à la Sacra.
CENTRES D’INTÉRÊT CULTUREL
FERALP (Musée du Transport Ferroviaire à travers
les Alpes), via Suse, 2, Bussoleno. Ouverture :
jeudi matin et samedi, les autres jours sur réservation en téléphonant au : Tél + 39 335 8003983
ou + 39 011 6652653.
Infos : [email protected], www.feralpteam.com
(actuellement le musée ne peut pas se visiter à
cause des conséquences d’un récent incendie
criminel).
Musée d’archeologie expérimentale, Vaie.
Ouverture : le samedi 14h 30 - 16h 30 ; le
dimanche et jours fériés : 10h - 12h et 14h 30 16h 30, fermé à Pâques. Les jours et les horaires
peuvent changer selon les saisons.
Infos : Tél + 39 339 8274420,
[email protected],
www.museopreistoriavaie.it.
Museo del dinamitificio Nobel - Musée de la dynamiterie Nobel, via Galiniè, 38 (zone industrielle
ouest), Avigliana. Ouverture : du lundi au vendredi
(10h - 12h et 14h - 18h) ; samedis et dimanches
(14h - 18h) d’octobre à mars ; d’avril à septembre
du lundi au vendredi (10h - 12h et 14h - 19h),
samedis et dimanches (10h 30 - 19h). Infos et
réservation : Tél + 39 011 9327447.
Pour les visites guidées : Tél + 39 338 7124386.
Sacra di San Michele. Ouverture : du 16 octobre
au 15 mars : du mardi au samedi 9h 30 - 12h 30
et 14h 30 - 17h ; dimanches et fériés 9h 30 - 12h
et 14h 30 - 17h 30. Du 16 mars au 15 octobre : du
mardi au samedi 9h 30 - 12h 30 et 14h 30 - 18h ;
dimanche et fériés 9h 30 - 12h et 14h 30 - 18h
30. De juin à septembre inclus ouverte aussi le
lundi. Infos : Tél + 39 011 939130,
[email protected].
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les lombards et Charlemagne dont l’essor facilita la
naissance du Sacro Romano Impero, Sacré Empire
Romain moyenâgeux.
Enfin, on poursuivra vers Sant’Ambrogio ou Avigliana (splendide bourg médiéval) qui marqueront la fin
de l’étape, mais on pourra également opter pour l’ascension à la Sacra di San Michele. Là, il sera possible
de trouver l’hospitalité uniquement sur réservation
étant donné l’isolement du lieu.
La montée, à la fin d’une étape malgré tout assez
longue, requiert un réel effort avec ses 500 m de dénivelé, ce pourquoi le pèlerin pourra tout aussi bien
décider de dédier une journée entière à la montée
suivie de la visite et de la redescente dans la vallée
avant de reprendre le chemin. Ceci permettra de se
concéder, en quelque sorte, une journée de repos qui
sera largement remplie par la visite de ce monument
magnifique, symbole de la Région Piémont.
Le chemin, comme la vie, n’est pas une compétition.
Ne jamais céder à l’envie de trop en faire :
ton organisme t’en demandera très vite des comptes.
Regarder autour de soi, observer, s’arrêter, apprécier.
Voilà ce que t’enseignera le chemin. (M. D.)
ITINÉRAIRE
Entre Suse et Turin, on a le choix entre deux parcours possibles, un sur la droite orographique de la
Doire Ripaire, l’autre sur la gauche. Cependant, les
deux ont en commun la première partie entre Suse
et Bussoleno.
De la gare ferroviaire de Suse, suivre la route goudronnée et traverser Urbiano (502 m ; 1,5 km),
faubourg dépendant de Mompantero, bien connu
pour le rituel Fora l’ours « L’Ours dehors », qui le
31 janvier fête le réveil imminent de l’ours de sa
léthargie hivernale. Le parcours traverse ensuite
San Giuliano et Chiodo, hameaux dépendants de
Suse et, après avoir traversé une zone cultivée, dépasser la chapelle de Nôtre-Dame-des-Grâces (avec
des fresques du XVe siècle) afin d’atteindre le centre de Foresto, non loin
de la Réserve naturelle du gouffre de Foresto (488 m ; 6,8 km ; 1h 20).
Laisser sur la droite le siège de l’Organisme de gestion des Zones Protégées des Alpes Cottiennes et suivre l’Antique Route de Foresto en se
dirigeant vers le centre de la vallée par la Rue Cascina del Gallo, puis
à gauche par la Rue Moletta qui suit la voie ferrée. Une fois dépassée
la gare de Bussoleno, on arrive à un croisement (442 m ; 8,4 km ; 1h
40). En continuant tout droit, en prenant la Rue Chianocco, on suivra le
parcours sur la gauche orographique. Pour le parcours qui conduit à Avigliana, par contre, il faudra prendre à droite, en utilisant le passage piéton
qui conduit dans la Rue Guido Carli au feu rouge de la Rue Traforo ; là,
tourner à gauche et, au prochain feu, tourner à droite, traverser la Doire
Ripaire puis le bourg médiéval de la petite ville. Non loin de la gare de
Bussoleno, le long de la SS 25 (RN), se trouve également le musée
FERALP (Musée du Transport Ferroviaire à travers les Alpes), qui n’est
pas ouvert aux visites pour le moment suite aux dommages causés par
un incendie récent. Après Bussoleno, poursuivre le long d’une route en
terre qui traverse des champs cultivés jusqu’à San Giorio di Susa, où se
trouvent le château médiéval, ainsi que les chapelles de Saint-Sébastien
et de Saint-Laurent (XIVe siècle), la Garitte et la paroisse de Saint-Georges
martyre (424 m ; 12,5 km ; 2h 30).
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Auberge Croce Bianca.
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De Suse à Avigliana
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LE CHÂTEAU DE SAN GIORIO
Le village de San Giorio, étape fondamentale de
l’Antique Via Francigena qui passe par la vallée
de Suse, fut confié à la famille Bertrandi par la
maison de Savoie. Le village qui a su conserver de
nombreux vestiges médiévaux, est dominé par les
restes d’un château imposant, érigé sur une colline rocheuse connue sous le nom de « Mollare »,
« Molaire ». Probablement, le château existait
déjà dans la première moitié des années 1200,
lorsque le marquis de Turin Olderico Manfredi
et sa femme Berthe le donnèrent au monastère
Saint-Just de Suse qui en fut propriétaire jusqu’au
début du XIVe siècle. Après avoir appartenu à des
familles illustres de la vallée comme les Bertrand
de Montmélian, les Calvi d’Avigliana, les Chignin
de Villarbasse et les Aschieri de Suse, il devint
propriété des Savoie au XVIe siècle. CharlesEmmanuel Ier en fit don à son fils naturel, père
Emmanuel de Savoie, qui lui-même en fit don par
la suite à son frère Victor-Amédée. Le premier
roi de Sardaigne l’inféoda au colonel Ressano
de Pinerolo, gouverneur de Suse et capitaine des
troupes ducales, pour les mérites acquis lors de
la bataille d’Avigliana qui fut combattue en 1630
contre les Français de Louis XIII. En 1691, alors
que le château était défendu par les troupes de
Victor-Amédée II, il fut conquis, puis en partie
détruit par le général français Catinat.
Château de San Giorio.
LES BRIGANDS DE MALPASSO ET LA CASCINA (FERME) ROLAND
À la frontière entre les communes de San Giorio
et Villarfocchiardo se trouve une localité connue
sous le nom de Malpasso, dont le nom est relié
à la légendaire présence de brigands qui dérobaient les voyageurs. C’est l’endroit où la Route
de France se resserrait, prise entre la montagne
et le torrent, un passage obligé où il était facile
de tendre des pièges et d’attendre l’occasion, ca-
chés dans les fourrés ou dans une cavité dans la
montagne. Il semblerait que les brigands de Malpasso ait eu pour habitude de se mettre d’accord
avec les domestiques de la Giaconera et avec les
employés du relais de poste Roland, non loin, où
l’on changeait les chevaux et qui se trouvent sur
l’actuelle route nationale 24. Les servants disaient
aux garçons d’écurie si les passagers étaient des
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gens aisés selon leur comportement à l’hôtel. Si
c’était le cas, ces derniers mettaient des petites
clochettes qui faisaient un bruit particulier aux
harnais des chevaux qui tiraient le carrosse, ce
qui permettait d’avertir les brigands qu’une proie
intéressante arrivait.
La Cascina Roland se trouve un peu plus loin que
Malpasso (environ 2 km), en ne déviant du chemin que de quelques centaines de mètres. Cette
ferme est composée de deux corps de bâtiment,
un qui servait de relais de poste pour le change
des chevaux et l’autre qui était une maison forte,
elle aussi sur l’Antique Route de France. La légende raconte que son nom dériverait du passage
du célèbre paladin de Charlemagne, en proie à la
folie, suite au refus d’Angélique qui lui avait préféré Médor. Roland ayant perdu la raison, sur son
passage il détruisait tout ce qui pouvait porter le
nom des deux amants. C’est ainsi que le paladin
s’en pris même à un gros rocher dans un pré non
loin de la ferme, qu’il fendit en deux en le frappant avec sa fameuse épée magique Durendal.
Voilà les légendes qui accompagnent le chemin.
La réalité historique, cependant, est un peu différente. Il est fort probable que les trois bâtiments
de la Giaconera, le relais de poste Roland et la
ferme Roland aient été à l’origine des maisons
fortes, c’est-à-dire des édifices fortifiés qui hébergeaient des services ou qui surveillaient des
endroits stratégiques. Dans les différents documents, ces édifices sont indiqués de plusieurs
façons comme Giaconera, maison forte Giaconera, Colombaro, ferme Giaconera, relais de
poste Giaconera, relais de poste Roland, Giaconera supérieur, maison forte de Roland, ferme de
Cascina Roland.
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Roland. Ceci laisse à penser que, dans le passé, la
zone toute entière qui inclut les édifices et qui se
trouve le long de la route en correspondance d’un
pont et d’un croisement, étaient indiqués sous le
nom de « Jaconeriam » (La Giaconera).
La « maison Roland » a été en grande partie restaurée et, de nos jours, c’est un centre multi-activités avec un espace musée et dont les parties
latérales ont été réhabilitées en appartements.
Sur la façade, on remarquera des fenêtres en
ogive encadrées par des petites briques façonnées
et, par endroit, on distingue encore d’antiques
fresques. Au-dessus du portail d’entrée sur le côté
oriental de la clôture se trouvent les restes du
mur d’enceinte crénelé, seules parties encore présentes de l’ancienne fortification. À l’extérieur se
trouve la fameuse et légendaire « roche Roland ».
Roche de Roland.
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De Suse à Avigliana
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À la sortie de San Giorio, suivre sur une partie la route goudronnée, puis
la laisser et dévier à gauche pour traverser des champs, potagers et
vignes. Traverser la RN dans la zone de Malpasso pour arriver au hameau
Pianverso où, grâce à une déviation de quelques centaines de mètres,
on arrive à Cascina Roland et à la Giaconera. Revenir sur le parcours et
poursuivre jusqu’à Villarfocchiardo, village bien connu pour sa Fête du
Marron et où se trouve la paroisse du XVIIIe siècle de Sainte-Marie-del’Assomption (419 m ; 18,5 km ; 3h 20). En amont de Villarfocchiardo se
trouve la Chartreuse de Montebenedetto, dans le parc Orsiéra-Rocciavré.
LE PARC NATUREL ORSIÉRA-ROCCIAVRÈ ET LA CHARTREUSE DE MONTEBENEDETTO
La rive gauche orographique de la vallée de Suse,
depuis le Col des Fenêtres jusqu’à la commune de
Villarfocchiardo, fait partie du Parc Naturel Orsiéra-Rocciavré ; 11 000 hectares de territoire protégé
par la Région Piémont depuis 1980 qui, au sud,
s’avancent jusqu’à la vallée Chisone et, à est, vont
jusqu’à l’entrée de la vallée Sangone.
C’est une zone de montagne (les frontières du
parc se situent au-dessus des 1000 m d’altitude),
comme en témoignent les dizaines de sommets
qui, outre le Monts Orsiéra (2878 m) et Rocciavré
(2778 m), dépassent les 2600 m.
Contrairement à de nombreuses zones de montagne, celle-ci est restée en marge du développement du tourisme de masse. C’est resté un coin
de nature presque intact où, en plus d’une faune
et d’une flore particulièrement riches, la présence
humaine a su s’intégrer avec des activités agricoles
de montagne, des petits hameaux dispersés dans
les bois, des alpages et des antiques zones habitées
riches d’histoire comme pour la Chartreuse de
Montebenedetto.
Son origine remonte au XIIe siècle, elle fut
construite par les moines chartreux dont le premier groupe s’implanta entre Meana et Gravere
pour fonder l’abbaye de Nôtre-Dame-de-la-Lose
(1189) où, cependant, ils ne restèrent qu’une
dizaine d’années. Le territoire était déjà sous la
juridiction de Novalesa qui, à cette époque-là,
était bien plus puissante, poussant les moines à se
L’église de la chartreuse de Montebenedetto.
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déplacer vers Villarfocchiardo où ils bâtirent leur
nouveau monastère à 1600 m d’altitude. Pendant
leur permanence à Montebenedetto, les moines
mirent en place une communauté économiquement autosuffisante, capable de vivre du travail des
frères lais ou convers (qui ne sont pas des frères de
chœur) et des paysans salariés, tous soumis aux
ordres du père supérieur, véritable administrateur.
Les locaux alloués aux travailleurs se trouvaient
en dehors des murs de la chartreuse, là où, de nos
jours, se trouvent encore les restes des murs qui
jadis étaient ceux de la chapelle et les habitations
des frères lais ainsi que des familles qui y travaillaient. Entre 1468 et 1498, la chartreuse fut abandonnée et, progressivement, elle fut remplacée par
l’abbaye non loin de Banda suite à des inondations
(selon les chroniques, celle de 1473 fut très grave)
provoquées par les crues imprévues des petits
ruisseaux qui drainaient les eaux vers la vallée.
Aujourd’hui, une bonne partie de ce qui reste des
édifices est utilisée comme ferme d’alpage, mais
on peut toujours visiter l’église construite en bloc
de pierre de taille sans enduit, avec un intérieur
très sobre, à nef unique, dominée par une voûte
en berceau à arc brisé. Les édifices alentours, qui
jadis constituaient les locaux communs (cuisine,
réfectoire, lieux d’accueil des visiteurs), ainsi que
les cellules des moines et un petit cloitre, ont été
détruits par les inondations. À l’entrée principale
de l’abbaye qui a été murée, on peut encore voir les
restes d’une fresque du XVe siècle représentant la
Vierge à l’Enfant trônant parmi les anges.
À la sortie de Villarfocchiardo, dépasser le hameau de Comba en suivant
le tracé de l’Antique Route de France jusqu’à Sant’Antonino di Susa
(380 m ; 22 km ; 4 h), où se trouve une des plus antiques églises de la
vallée, avec une tour-clocher du XIe siècle et des cycles de peinture du
XIVe siècle. Suivre la rue centrale du village et, un peu avant de rejoindre
la RN, dévier à droite pour reprendre l’Antique Route de France en se
dirigeant vers Vaie (381 m ; 23,7 km). Là, un parcours archéologique et
naturalistique très intéressant conduit au sanctuaire de Saint-Pancrace
(XIe siècle) pour terminer au Musée d’Archéologie expérimentale.
Église
de Saint-Antoine,
à Sant’Antonino
di Susa.
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De Suse à Avigliana
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LES MARRONS DE LA VALSUSA
Entre
septembre et octobre,
en
promenant
le long de la rive
droite orographique de la basse
vallée de Suse,
dans la partie
comprise entre
Vaie et Villarfocchiardo, on remarquera des sous-bois riches,
soigneusement entretenus, caractérisés par des
châtaigniers séculaires plantés sur de nombreuses parcelles étroitement surveillées par leurs
propriétaires. Le fruit du châtaignier représente
un revenu considérable pour l’économie locale :
le marron de Vaie. Une parmi les plus cultivées
de la région est la dénommée châtaigne poilue
de Vaie, qui produit des fruits ovales de grosses
dimensions dont le rapport du diamètre entre
hauteur et largeur est de 0,81 - 0,85, tandis que
les fruits les plus gros ont tendance à s’élargir sur
les côtés.
C’est le type de châtaignes qui se prête tout particulièrement à la préparation des marrons glacés,
spécialité qu’il semblerait qu’elle ait été inventée
et servie pour la première fois par un cuisinier du
duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier (1562-1630)
dont on ne connait pas le nom. Cette hypothèse
serait confortée par la recette retrouvée pour la
première fois dans le traité Confiturier piémontais, édité à Turin en 1766. La préparation de ces
fruits confits demande plusieurs jours de travail.
Les marrons sont bouillis une première fois pour
pouvoir les éplucher plus facilement, puis ils sont
cuits à plusieurs reprises durant une semaine,
dans un sirop à 50% d’eau et de sucre. La préparation se termine par le glaçage des marrons, ce
qui leur donne un aspect à la fois blanchâtre et
translucide, très original.
La Sacra di San Michele.
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Après Vaie, on arrive à Chiusa San Michele (377 m ; 26,8 km ; 5h),
nom évocateur de la bataille historique entre Charlemagne et Didier de
Lombardie où, en face de la paroisse du XVIIe siècle de Saint-Pierre-Apostolique, se trouve le départ du sentier muletier qui conduit à la Sacra di
San Michele, monument symbole du Piémont (936 m ; 7 h).
Attention : il faudra au moins 2h pour monter à la Sacra et 1h pour
redescendre à Sant’Ambrogio (8h). Pour ceux qui décideront de visiter la
Sacra le lendemain, il suffira de poursuivre environ une demi-heure sur
l’Antique Route de France pour arriver à Sant’Ambrogio (356 m ; 28,6
km ; 5h 30).
Le panneau signalétique
qui indique le départ
du sentier muletier pour
la Sacra di San Michele.
LA SACRA DI SAN MICHELE - SAINT-MICHEL-DE-LA-CLUSE
L’abbaye de la Sacra di San Michele a été édifiée sur
un éperon rocheux du Mont Pirchiriano, duquel elle
domine l’entrée de la vallée de Suse. Sa construction
débuta dans les années 983-987 apr. J.-C., lorsque,
selon la légende, l’ermite Giovanni Vincenzo voulut
édifier une église en l’honneur de Saint-Michel-Archange. Son premier choix fut pour le mont Caprasio, dans la localité dénommée Celle, sur le versant
de la vallée de Suse opposé à celui où se dresse l’abbaye.
Tandis que l’homme travaillait toute la journée à
préparer les matériaux nécessaires à la construction,
chaque matin, lorsqu’il revenait sur le chantier, il
découvrait que tout ce qu’il avait fait avait disparu.
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Le religieux se tourna alors vers Saint Michel qui lui
apparut dans un rêve pour l’accompagner de l’autre
côté de la vallée, sur le mont Pirchiriano, où anges
et colombes avaient commencé à ériger une église
avec les matériaux dérobés. Selon la volonté du
saint, Giovanni abandonna les travaux à Celle et se
transféra à l’endroit indiqué où il put terminer son
œuvre sans plus être interrompu. Pour la consécration, l’évêque de Turin Amizone fut convié mais, la
nuit où celui-ci dormit à Avigliana, le mont s’illumina d’une lumière vive. L’évêque se rendit immédiatement au pied de l’édifice alors que le parfum des
huiles célestes, que les anges avaient utilisées pour
consacrer l’église, flottaient encore dans les airs.
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De Suse à Avigliana
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Sacra di San Michele : la porta du Zodiaque (détail).
Depuis ce jour, la Sacra di San Michele fut considérée comme un lieu miraculeux. Ce n’est qu’une
légende, une parmi tant d’autres qui entourent de
leur voile l’abbaye, dont l’origine quoi qu’il en soit
reste quelque peu entourée de mystère. Certains en
attribuent le mérite à Guglielmo de Volpiano, des
Arduinidi d’Ivrea, d’autres à san Romualdo, d’autres
encore à san Giovanni Vincenzo. En fait, les informations restent incertaines même si, en 999, Hugo
de Montboissier, en revenant de Rome chargé par
le pape de construire un hospice pour les pèlerins,
se retrouva devant le travail accompli par Giovanni
Vincenzo qui avait restauré les antiques chapelles
byzantines et lombardes et, au même endroit, en
Sacra di San Michele : le grand escalier des Morts.
avait construit une troisième. Les restes de ces trois
chapelles sont toujours présents à peine en dessous
de l’actuelle église de la Sacra. L’abbaye Saint-Michelde-la-Cluse, ainsi que celle de Novalesa et de Montebenedetto-Banda, furent parmi les plus grandes
et puissantes abbayes de la basse vallée de Suse. Son
influence sur le territoire alentours perdura pendant
plusieurs siècles et alla jusqu’à une bonne partie de la
vallée Sangone, qui fut inféodée à l’abbé par investiture de la maison de Savoie du 22 juin 1103 jusqu’en
1622. Les armoiries de la commune de Giaveno
(une étoile d’or à six branches sur un fond azur),
par exemple, reproduisent fidèlement le drapeau de
l’abbaye sous lequel, si nécessaire, militaient les soldats de Giaveno. Dans l’abbaye, essentiellement au
XIIe siècle, des ouvriers venus de la plaine padane
travaillèrent à l’édifice, ceux-là même qui pendant
plusieurs décennies travaillèrent dans d’autres cathédrales importantes en Émilie. Des artistes qui réalisèrent des œuvres très précieuses comme la porte
du Zodiaque en 1130 par Niccolò, puis les chapiteaux de la nef, les sculptures de l’abside, le cycle des
fresques du XVIe siècle et un important triptyque de
Defendente Ferrari (en 1531, également auteur du
polyptyque de Saint-Antoine-de-Ranvers).
Durant les cinq siècles de majeure splendeur et
jusqu’en 1379, la Sacra fut dirigée par des abbés,
jusqu’à ce qu’ils soient destitués par le Conte Verde
(Comte Vert), puis par des commanditaires. Par
la suite, en 1622, Grégoire XV supprima le monachisme dans l’abbaye.
L’édifice vécut donc une longue période de déclin et
d’abandon qui dura jusqu’en 1836, lorsque Charles
Albert décida d’en financer la renaissance à l’occasion
du transfert de vingt-sept dépouilles de la famille des
Savoie, et en confiant la tâche à Antonio Rosmini.
Cette forte volonté laïque convainquit également les
pouvoirs ecclésiastiques et, le 23 août de la même
année, le pontefice Grégoire XVI concéda à jamais
le monastère aux pères rosminiens. Au début de ce
nouveau millénaire, le Conseil Régional a défini la
Sacra di San Michele comme monument symbole
du Piémont.
De nombreuses légendes accompagnent ces lieux
riches d’histoire et de mystère, dont deux sont tout
particulièrement connues dans les vallées de Sangone et de Suse. Outre celle sur les origines du monument que nous avons vu plus haut, la légende qui
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est toujours aussi présente dans l’esprit des habitants
de ces vallées est celle de la belle Alda. Une magnifique jeune fille qui, pour échapper aux outrages des
troupes armées de Frédéric Ier Barberousse, se lança
dans le vide du haut d’un des bastions de la Sacra
et, avec l’aide de la Madone, toucha le sol indemne.
Cependant, peu de temps après, la vaniteuse voulu
répéter le geste ; Massimo d’Azeglio écrit qu’après le
vol « l’toc pi gross a l’è staita l’ouria » (en langue locale, le piémontais : « le morceau le plus gros qui en
resta fut l’oreille »). La version fournie par Edoardo
Calandra, selon laquelle Alda se serait lancée pour
fuir à Corbo, l’incarnation de l’infamie et de la turpitude, est tout aussi intéressante ; elle se serait posée
au sol indemne grâce à l’aide divine. Se croyant une
sainte, la pauvre fille, peu de temps après, tenta à
nouveau l’expérience mais cette fois-ci elle s’écrasa
au sol. Alors Arduino, son fiancé et seigneur de la
vallée, décida de la venger en tuant le mauvais Corbo et, à l’instant même où ce dernier arriva en enfer,
un terrible tremblement de terre accompagné d’un
ouragan d’une violence unique s’abattirent sur Avigliana. Le jour suivant, la ville avait disparu. À sa
place se trouvaient deux lacs séparés par une étroite
langue de terre sur laquelle se dressait, seule, la maison de la belle Alda.
L’itinéraire touche aussi le couvent de Saint-François, monastère bien plus modeste et de mineure
importance que la Sacra di San Michele. Una
légende en attribue la fondation à saint François
lui-même, mais en réalité c’est l’œuvre de Tomma-
Sacra di San Michele : le sépulcre
des moines.
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so Schiavone, père franciscain qui vécut quelques
siècles plus tard, réalisé grâce à une donation d’un
noble d’Avigliana, Ludovico Berta di Celle, le 15 juillet 1515. L’ensemble des édifices se trouve en un lieu
stratégique, à cheval entre les vallées de Suse et Sangone, il vécut des périodes plus ou moins fortunées,
mais sans jamais cependant réussir à s’imposer dans
le cadre des activités monastiques locales. Le couvent fut construit trop tard pour pouvoir récolter
les fruits de l’époque des monastères et il resta sans
nul doute dans l’ombre de la Sacra di San Michele, il
vécut par ailleurs une histoire difficile.
Pour preuve nous avons une supplication que les
frères franciscains adressèrent à la Sainte-MèreÉglise le 10 mai 1800. Ils demandaient l’autorisation
de vendre certains bâtiments et arbres fruitiers et
de dépenser la somme de 3500 lires qu’ils avaient
en dépôt parce que, depuis le mois de septembre
1799, cela faisait « sept fois que les soldats français passaient en prélevant tout le vin (1000 litres),
tout le pain, tout le linge, les meubles ; ils avaient
dévasté et emporté tous les fruits de la terre, à tel
point que les frères avaient dû se réfugier ailleurs.
De plus, les frères avaient donné 415 livres de foin et
115 de paille, 25 toises de bois à brûler [environ 130
m3]. Ils avaient logé les troupes militaires en place
à Giaveno, mais il n’était resté plus rien, même pas
les grilles aux fenêtres » (S. Chiaberto, Francescani
e certosine alla Mortera, in AA.VV., La Mortera e la
strada dei Principi, Parco naturale di Avigliana, Avigliana 2000).
04
De Suse à Avigliana
32,6 km
SANT’AMBROGIO DE TURIN
Petite ville de la basse vallée de Suse au pied du
Mont Pirchiriano, Sant’Ambrogio de Turin fut anciennement lieu de frontière, jusqu’en 733, entre le
royaume des Burgondes et des Lombards. Le nom
actuel de la Commune remonte à peu près à cette
même période et, très probablement, il lui fut attribué par les Lombards, christianisés depuis peu
et dévots envers le saint évêque milanais. Comme
tous les centres habités de la vallée, entre le IXe et
le Xe siècle, la zone subit les passages des Sarrasins
tout comme ceux des armées d’Ardouin qui les
pourchassaient. À peu près au IXe siècle, Sant’Ambrogio fut donné à la Sacra di San Michele, puis à
l’abbaye de Suse San Giusto et puis, sur ordre de
l’empereur Frédéric Ier Barberousse de nouveau à
la Sacra. Le bourg et le palais abbatial de Sant’Ambrogio furent détruits par les milices mercenaires
anglaises de Filippo d’Acaja en 1363 et ne se reprirent qu’au XVIe siècle après avoir été achetés
par la maison de Savoie. Cependant, ils furent à
nouveau détruits en 1630, durant le conflit entre
Charles Emmanuel Ier de Savoie et Louis XII de
France, et puis encore en 1706, durant le siège de
Turin.
Dénommé Sant’Ambrogio de Turin dès 1862 sur
décret royal de Victor-Emmanuel II, la ville a pu
conserver un beau centre historique, qui recèle
certains monuments plutôt intéressants, comme
le clocher roman du XIe siècle, le palais abbatial
du XIIe siècle et la tour communale qui lui est
rattachée, décorée de belles fresques à l’intérieur,
deux tours jadis intégrées dans les murs d’enceinte,
quelques restes du mur d’enceinte et, dans le hameau San Pietro, les restes de l’antique église du
même nom.
Sant’Ambrogio, une tour dans les murs.
Sant’Ambrogio, palais abbatial.
57
CHARLEMAGNE ET DIDIER DE LOMBARDIE AUX CLUSES
La Chiusa di San Michele et la plaine qui s’étend
devant elle évoquent des faits historiques qui
remontent à la seconde moitié du VIIIe siècle,
lorsque les Francs repoussèrent les Lombards et
conquirent une ample partie de la plaine padane.
Un évènement auquel les Italiens, trop occupés
par leur petits intérêts et leur négoce, ne prêtèrent
guère attention et qui fut décrit par Alessandro
Manzoni au XIXe siècle avec sa synthèse poétique
et la force du conteur dans un extrait du second
acte de l’Adelchi :
Dagli atrii muscosi, dai fori cadenti,
dai boschi, dall’arse fucine stridenti,
dai solchi bagnati di servo sudor,
un volgo disperso repente si desta ;
intende l’orecchio, solleva la testa
percosso da novo crescente romor.
[...]
E il premio sperato, promesso a quei forti,
sarebbe, o delusi, rivolger le sorti
d’un volgo straniero, por fine al dolor ?
Tornate alle vostre superbe ruine,
all’opere imbelli dell’arse officine,
ai solchi bagnati con servo sudor.
Il forte si mesce col vinto nemico,
col nuovo signore rimane l’antico ;
l’un popolo e l’altro sul collo vi sta.
Dividono i servi, dividon gli armenti ;
si posano insieme sui campi cruenti
d’un volgo disperso che nome non ha.
L’histoire est bien connue : les Francs, dans leurs
conquêtes de nouveaux territoires, avaient jeté leur
dévolu sur les terres fertiles de la plaine du Po que
les Lombards ne voulaient pas céder. Une question
qu’il fallait régler au fil de la lame mais, pour déclarer la guerre, il fallait une occasion, tandis que
la raison formelle, selon les dires de l’historien de
Giaveno Claretta, ce fut une question d’honneur :
« Charlemagne avait épousé, et après une brève
période répudié, une des filles de Didier (Ermengarda) ; et Didier avait également hébergé à sa cour
des neveux de Charlemagne privés de leur héritage
légitime » ; même si, toujours Claretta insiste en
soulignant la ténacité de Didier qui ne voulait pas
« rendre au pontéfice Adrien Ier la ville que celui-ci
avait occupé avec les armes, en menaçant Rome ;
58
tandis que le roi franc, en tant que romain patricien, devait protéger le siège apostolique ».
Nous ne sommes pas ici pour mettre en discussion
ce qui pouvait alors être l’honneur ou l’intérêt. Les
faits fournissent au lecteur les éléments qui lui permettent de juger. Les frontières entre les royaumes
franc-burgond et lombard, alors, traversaient la
basse vallée de Suse. C’est pourquoi Charlemagne,
en 773, descendit en Italie avec une importante
armée en se cantonnant non loin de Novalesa,
abbaye fondée quelques dizaines d’années plus
tôt grâce au sponsoring (dirait-on de nos jours)
du royaume des Francs. De son côté, Didier avait
réalisé un système de défense dans la plaine qui se
trouve entre les actuelles petites villes d’Avigliana,
Sant’Ambrogio, Caprie, Villar Dora et Chiusa di
San Michele, entre les pentes du Mont Pirchiriano
et le contrefort de Rocca Sella.
Charlemagne se trouvant devant une route barrée,
il décida de se placer au croisement entre les vallées Cenischia et Suse, en attendant l’arrivée de son
oncle Bernardo qui devait conduire la cavallerie à
travers le Col du Grand Saint-Bernard et prendre
l’ennemi à revers.
Très probablement, les défenses préparées par
Didier n’étaient pas un véritable bastion protégé
par une vallée, ainsi que le suggère le Chronicon
Novalicense, mais plutôt un système mixte qui,
en exploitant les caractéristiques du territoire, se
composait de zones inondées, de fossés et de barrières. La situation d’immobilité dura pendant des
mois, avec la bénédiction de l’abbé de Novalesa et
de la population de la Valsusa qui devait pourvoir
au ravitaillement des troupes. Les armées étaient
épuisées et Charlemagne était sur le point d’abandonner la lutte lorsque, à l’improviste, la possibilité
de prendre à revers les Chiuse, et par là même les
troupes de Didier, se présenta.
C’est à ce moment-là que l’histoire devint légende.
Est-ce que ce fut le diacre Martino ou un moine
de Novalesa envoyé par l’archevêque de Ravenna qui indiqua le chemin aux Francs ? Ce fut un
ménestrel lombard qui trahit les siens en vendant
l’information, ou bien ce fut une patrouille hardie
en reconnaissance qui découvrit par où passer ?
Ou bien la suggestion vint-elle d’un habitant de la
vallée ? Il n’existe aucun fait historiquement prouvé
qui puisse confirmer une de ces théories. Cepen-
04
De Suse à Avigliana
dant, l’évènement fut déterminant pour la bataille :
« Cumque de predicto discendissent montem, devenerunt in planiciem vici, cui nome erat Gavensis inique se adunantes struebant aciem contra
Desiderium (Une fois descendus de la montagne,
La statue de Charlemagne sur la Place de Nôtre-Dame à Paris.
32,6 km
ils arrivèrent [les Francs] dans un village en plaine
dont le nom était Giaveno et là, une fois réunis, ils
alignèrent leurs troupes contre Didier) ». La suite
est connue, Didier fut battu, il se retira à Pavia et ce
fut la fin du règne des lombards.
59
Laisser Sant’Ambrogio et continuer tout droit vers la zone industrielle
d’Avigliana, où se trouve le Musée de Dynamiterie Nobel, dédié à
l’usine d’explosifs la plus importante d’Europe. Après le musée, remonter la petite colline qui mène au centre historique d’Avigliana (372 m ;
32,6 km ; 6h 10 ; 9h en comptant la déviation à la Sacra di San Michele) où, parmi les nombreux monuments, se trouve aussi le palais de
Humbert le Bienheureux (XIVe siècle), qui était déjà le siège de l’ancien
hôpital où les pèlerins qui transitaient sur la Via Francigena étaient
accueillis.
Centre historique d’Avigliana : Place Santa Maria.
LE BOURG MÉDIÉVAL D’AVIGLIANA
Les premières traces qui attestent de la présence
humaine dans la zone d’Avigliana remontent au
Néolithique, ainsi qu’en témoignent les objets retrouvés dans les tourbières au sud et au nord des
deux lacs (une hache en bronze, une broche et un
fragment de pagaie conservés dans les musées de
Turin). Mais, à peine quelques millénaires plus
tard, entre le 58 et 50 av. J.-C., suite à la conquête
des Gaules par Jules César, Avigliana entra dans
l’histoire grâce à sa position stratégique qui la
transforma en point très important pour le recouvrement de la quadragesima galliarum, l’équivalent de ce que nous définirions de nos jours un
péage de douane.
En observant la morphologie du terrain on ne
peut que comprendre le choix des Romains. Le
Pezzulano (endroit où se dressent les ruines du
60
château) et les reliefs de Montecapretto sont les
seuls passages dans une zone où, en ces tempslà, le terrain était pratiquement impraticable à
cause des vastes paluds. Et surtout, la vallée était le
point de croisement des routes commerciales qui
du Nord, Sud et surtout de l’Est, permettaient de
rejoindre la France. En fait, par la suite, ce réseau
routier deviendra la Via Francigena pour passer
les Alpes ou Via Romea pour ceux qui partaient
dans le sens opposé.
Au début, on suppose que les premiers à s’implanter furent les composants d’un groupe puissant –
on pense que le nom de la ville dérive en effet du
nom de la famille romaine des Avilii – qui avaient
également le droit de cultiver les terres d’inondations fertiles de la zone. Ce dont on est certain
c’est que, très rapidement, la zone devint un centre
04
De Suse à Avigliana
Avigliana : la porte de l’Ancien Bourg (ou de Sainte-Marie).
avec des commerces très prospères et, malgré les
hauts et les bas, déjà au Moyen-Âge ce centre était
devenu une petite ville accrochée aux pentes de la
montagne, là où de nos jours se dresse le Borgo
Vecchio, Ancien Bourg.
Cependant, ce fut à partir du XIIe siècle, avec
l’arrivée des comtes de Savoie, qu’Avigliana vécut
sa période de splendeur. Le centre habité grandit
en s’élargissant jusqu’à la zone de
nos jours dénommée Borgo Nuovo, Nouveau Bourg, et, pendant
au moins trois siècles, il continua de grandir sous la protection
de Humbert III le Bienheureux
(XIIe siècle) et d’Amédée VII (le
Conte Rosso, XIVe siècle). C’est
à cette époque que l’architecture
d’Avigliana passa du roman au
gothique. Ce furent des siècles
durant lesquels on construisit
d’importants édifices comme les
églises Sainte-Marie, Saint-Jean
32,6 km
et Saint-Pierre, le château, les tours, les portes, les
portiques et les habitations seigneuriales qui vont
de la Place Conte Rosso à la placette Santa Maria.
À partir du XVIe siècle, ce fut le début du déclin
d’Avigliana, lorsque le duc Emmanuel-Philibert
choisit Turin comme capitale du règne de la maison de Savoie, en laissant à la petite ville uniquement un rôle défensif secondaire, avec une petite
garnison en place au château. Une lente agonie
et un coup de grâce en 1691, lorsque le maréchal
Catinat, au commandement des troupes du Roi
Soleil, mit à sac la ville et réduisit le château en
ruines qui aujourd’hui encore se dressent fières.
L’Avigliana historique apparait au visiteur comme
un réseau de routes qui entourent le centre historique pour défendre les habitations de la force du
vent qui souffle souvent violemment dans la vallée. Des ruelles tortueuses qui débouchent sur des
placettes abritent des commerces et sont parées de
portiques avec des arcs en ogive en unissant l’utile
à l’esthétique, témoins de l’activité d’une vie civile
et commerciale importante. Et puis les églises,
qui plongent leurs origines au tout début du millénaire passé et qui continuent d’offrir en témoignage le goût artistique qui, au cours des siècles,
s’est exprimé dans l’âme de la ville, avec la réalisation de chefs-d’œuvres d’architecture et d’art et
qui continue d’en faire, selon l’humble avis de celui
qui écrit, le plus beau faubourg médiéval de tout
le Piémont.
Le centre historique d’Avigliana se visite en moins
de deux heures, en suivant des panneaux qui indiquent le parcours tout en décrivant les sites, en
partant plus ou moins de la Place del Popolo pour
aller toucher tous les points les plus caractéristiques et importants de la ville.
Place Conte Rosso à Avigliana.
61
On peut éventuellement rejoindre le centre historique d’Avigliana grâce
à une déviation (qui rallonge le parcours de 4 km) en traversant le Parc
naturel des Lacs d’Avigliana. Du Musée de la Dynamiterie, tourner direction sud en traversant la zone industrielle et poursuivre, sur route en
terre, dans la zone protégée dans les paluds de Mareschi. La petite
route rejoint la rive du Grand Lac, avant de continuer jusqu’à Avigliana,
accompagnés par la silhouette du château.
L’ÉCOMUSÉE DE LA DYNAMITERIE NOBEL D’AVIGLIANA
L’écomusée occupe une partie de la vieille Dynamiterie Nobel et se trouve à l’entrée de la zone
industrielle d’Avigliana, à quelques centaines de
mètres de la RN 25. Sa localisation est signalée par
des panneaux situés le long de la voie d’accès. La
construction d’une usine d’explosifs à Avigliana
remonte à 1872 par volonté de cinq banquiers
parisiens et de la Société Anonyme Dynamite
Nobel d’Hambourg. Le premier établissement fut
construit dans la localité Valloja, aux frontières de
la Commune avec Sant’Ambrogio, où de nos jours
se trouve l’écomusée. Cet emplacement était particulièrement intéressant car proche du train (la
gare à Avigliana se trouvait à quelques centaines
de mètres) et pour la morphologie du terrain, où
l’alternance de collines et zones plus plates représentait une bonne protection pour les habitations
en cas d’accident, et l’abondance de l’eau que garantissait le Grand Lac, en plus de deux gros canaux d’irrigation.
Dès ses débuts, la construction de grands ouvrages
de génie civil – les tunnels routiers et ferroviaires,
par exemple – et les exigences liées aux guerres
firent la fortune de la dynamiterie qui, en 1892,
employait déjà 800 personnes pour la production
de dynamite, gélatine, fulmicoton, balistite et,
comme sous-produits en complément de la production principale, des intermèdes chimiques et
des engrais. Les commandes continuaient d’arriver toujours plus nombreuses et, en 1908, dans
la localité Allemandi aux frontières avec la Commune de Buttigliera Alta, un second établissement
fut construit pour la production d’explosif plastic.
Puis vint la Première Guerre mondiale et la demande augmenta encore. L’Allemandi et la Val62
loja ne suffirent plus à satisfaire la demande et ce
fut alors que l’on construisit une troisième usine
dans la localité Mareschi, aujourd’hui partie intégrante du Parc naturel des Lacs d’Avigliana, connu
comme Dynamiterie Nobel. Dans cet édifice, pendant le Seconde Guerre mondiale, on produisit la
cyclotriméthylènetrinitramine, également connue
sous le nom de RDX, qui est l’un des explosifs les
plus puissants après la bombe à hydrogène.
Les périodes plus ou moins prospères de la dynamiterie s’alternèrent au gré des carnets de commandes. Aussi, avec la fin de la Grande Guerre,
la demande en explosif diminua au point que les
ouvriers passèrent de 5000 à 350. À cette période,
afin de se diversifier, les propriétaires décidèrent
de se lancer dans la production de peinture et ils
constituèrent une société autonome, la DUCO.
Primo Levi travailla dans cette usine, au retour de
la dramatique expérience d’Auschwitz (nous avons
les écrits de l’écrivain sur cette période dans un de
ses récits de Il sistema periodico - Le système périodique).
L’activité de la dynamiterie profita d’une réelle reprise au moment de la guerre coloniale italienne,
entre 1933 et 1935, période durant laquelle mille
ouvriers furent embauchés. Puis à nouveau la crise
et enfin la Seconde Guerre mondiale, avec 4000
ouvriers au travail.
Après 1945 l’usine repris son activité, mais à
rythme réduit et, tandis que la crise se poursuivait,
la Società Dinamite Nobel fut rachetée par la société Montecatini qui décida de transférer la production à Orbetello et de fermer définitivement
l’usine d’Avigliana. C’était le 22 novembre 1965.
La Dynamiterie Nobel représenta sans nul doute
04
De Suse à Avigliana
une ressource essentielle pour l’économie locale,
mais la communauté en paya le prix cher.
Les 92 ans d’activité de la fabrique furent
funestés par de nombreux accidents avec
morts et blessés. Parmi les nombreux
épisodes, les plus graves furent l’incendie
du 13 mai 1890 et l’explosion dans le secteur dynamite et dans l’endroit réservé au
mélange des différents composants avec
l’eau, du 16 janvier 1900. Cet accident fit
13 morts et plus de 50 blessés ; tandis que
celui du 14 novembre 1961 fit un mort
et 22 blessés, ce qui poussa l’entreprise à
prendre la décision de fermer l’usine.
L’écomusée fut inauguré en 2002 et il
constitue un des exemples les plus représentatifs de l’archéologie industrielle piémontaise. La mise en scène est interactive
et propose des vidéos, des documentaires,
des descriptifs montés sur panneaux, des
photos d’époque et des outils utilisés pour la production des explosifs. Le parcours à l’intérieur des
bâtiments conduit le visiteur au contact de la réalité
de l’usine et nous montre quels étaient les moyens
Chemin dans la zone de production des explosifs
de la Dynamiterie Nobel d’Avigliana.
32,6 km
Les restes de la chapelle Santa Barbara (Sainte-Barbe)
dans la Dynamiterie Nobel d’Avigliana.
mis en œuvre enfin d’éviter les accidents et, grâce
aux effets sonores et aux reconstitutions, les sensations sont proches du réel. Nous parcourons les
galeries sinueuses aux nombreux virages et cheminées d’évacuation qui servaient à réduire l’impact
du déplacement d’air lors d’une éventuelle déflagration ; nous remarquerons le contraste entre les
structures en ciment armé des locaux destinés au
travail le plus à risque et les toits en bois ou fibrociment ainsi que les enduits faits en mortier et en
bois prévus pour éviter le cumul des décombres
en cas d’effondrement. Enfin, l’expérience dans le
refuge est intéressant car le visiteur pourra revivre
les sensations d’un bombardement aérien pendant
la Seconde Guerre mondiale.
L’explosion de 1961 de la Dynamiterie Nobel d’Avigliana.
63
LE PARC NATUREL DES LACS D’AVIGLIANA
Avigliana : le Petit Lac.
Constitué par la Région Piémont en 1980, le Parc
naturel des Lacs d’Avigliana couvre une zone de 410
hectares à quelques centaines de mètres au sud-est
du chemin de la Haute Voie.
La zone protégée, gérée par l’Ente di Gestione dei
Parchi e Riserve delle Alpi Cozie – l’Institut de Gestion des Parcs et Réserves des Alpes Cottiennes –,
est de grand intérêt naturalistique et historique.
Grâce à sa position stratégique dans la basse vallée
de Suse, tout au long des siècles, toute la zone et surtout Avigliana s’est massivement peuplée, ainsi qu’en
témoignent les précieux objets préhistoriques retrouvés lors de l’extraction de tourbe dans les zones
autour des lacs, connues sous le nom de Mareschi, et
l’importance de la ville durant la période médiévale
ainsi que nous venons de le voir en ce qui concerne
le centre historique d’Avigliana.
D’un point de vue naturalistique, la zone protégée
présente de nombreux intérêts essentiellement pour
la cohabitation de trois biotypes distincts, bien que
dépendants l’un de l’autre, que constituent les reliefs
des collines, la zone des paluds et les deux lacs. Ces
derniers se sont formés durant les deux grandes glaciations du Pléistocène – Riss (il y a 230.000 ans) et
Würm (il y a 120.000 ans) – et de nos jours, dans ce
secteur de l’arc alpin occidental, ils représentent le
plus important lieu de repos des anatidés de passage
lors de leur migration de printemps ou d’automne.
Entre fin octobre et début novembre, on peut compter ces oiseaux par centaines, délicatement posés sur
l’eau le temps d’un bref repos sur cette longue route.
Dans les Grand et Petit lacs vivent de grandes colonies de canards colverts, de foulques et de grèbes
huppés qui se sont également établies. Au printemps, en particulier au début du mois de février
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ou tout au moins lorsque les glaces
commencent à libérer les eaux, les
grèbes huppés offrent au visiteur un
spectacle magnifique lors de leurs
parades d’amour – familièrement
dite « danse du miroir » – lorsque
les deux partenaires, l’un en face de
l’autre, s’affrontent avec des mouvements synchronisés et spéculaires.
La zone des paluds des Mareschi,
à nord-ouest du Grand Lac, est
aussi très importante car elle abrite
une flore particulièrement riche de
nymphéas, de lys d’eau, prêle des
champs, cannes et salicornes, habitat idéal pour
une avifaune spécifique et parfois même exclusive,
comme le butor qui a refait son apparition à la fin
du siècle dernier. Au début des années 1900, des
objets de l’âge de bronze ont été retrouvés dans cette
zone et dans la tourbière similaire qui se trouve en
direction de Trana, témoins de la très ancienne occupation des terres autour des lacs. Sur le côté est
des Mareschi, bien que quelque peu cachés par la
végétation, on peut encore voir les restes de la Dynamiterie Nobel, qui produisit jusqu’en 1965 (cf. le
chapitre dédié). Enfin, les reliefs collinaires à l’ouest
du Petit lac : une colline morainique résultat du travail des glaciers où, en quelques mètres, on passe
d’une végétation particulièrement dépendante de la
présence de l’eau – dite « hygrophile » –, jusqu’à la
zone dominée par la présence des châtaigniers qui
nécessitent d’un sol sec.
Par contre, les collines centrales de Montecapretto
et de Pezzulano (où se dressent les ruines du château de la maison de Savoie) sont complètement
différentes car très rocheuses. La différence
de leur origine géologique par rapport à la
moraine glacière fait
qu’elles sont privées de
cours d’eau, que leur
sommet profite d’un
climat chaud et sec, ce
qui est idéal pour le
chêne et le micocoulier.
Grèbe huppé (photo
de Valentina Mangini).