BEATRIX POTTER ET LES LICHENS Par Daniel MARIN Non, je ne

Transcription

BEATRIX POTTER ET LES LICHENS Par Daniel MARIN Non, je ne
BEATRIX POTTER ET LES LICHENS
Par Daniel MARIN
Non, je ne vous raconte pas l'histoire de la grand-mère d'Harry, mais celle, véridique, d'une jeune fille anglaise
née en 1866, donc sous le règne de la reine Victoria, appelée Beatrix Potter. Elle appartenait à la « bonne société », son
père ayant fait fortune dans le coton.
Les mois d'été, la famille s'installait dans le nord de l'Angleterre, dans la région des Grands Lacs et là, Beatrix trompait
son ennui par l'étude passionnée de la nature. Elle s'enthousiasme pour la mycologie, en particulier les lichens : elle
récolte des spécimens, les dissèque, les étudie au microscope, les dessine dans les moindres détails et développe une
théorie sur la propagation des lichens, mais s'aperçoit bientôt que les lichens sont le sujet d'une chaude bataille
scientifique.
Linné, père de la taxonomie moderne, négligea
les lichens et ses successeurs les considéraient,
soit comme des mousses primitives, soit comme
des champignons particuliers, les classant avec
mépris sous le terme de végétaux inférieurs.
Un botaniste suisse, Schwendener, émit
l'hypothèse, entre les années 1860 et 1869, que les
lichens sont formés d'un champignon et d'une
algue chlorophyllienne (ou d'une cyanobactérie)
L'association de deux êtres ne se nuisant pas
paraissait insolite à cette époque et cette idée fut
vivement rejetée par de nombreux botanistes
avant que leur double nature ne soit démontrée
par d'autres spécialistes (de Bary, ..)
La nature exacte des relations très intimes qui
unissent les deux protagonistes a fait couler
beaucoup d'encre dans les revues scientifiques. Y
aurait-il plus de parasitisme que d'harmonie,
autrement dit
mariage forcé ou union
harmonieuse ?
L'algue apporte par photosynthèse des produits
organiques (glucides,...) au champignon qui en
retour la protège de la sécheresse et lui fournit de l'eau, du dioxyde de carbone et des substances nutritives dissoutes.
L'association lichénique apporte également des propriétés qu'on ne trouve ni chez l'un, ni chez l'autre des partenaires,
telles la reviviscence, la résistance aux températures extrêmes et un fort pouvoir lithogène qui leur permet de s'installer
sur des substrats difficiles.
Les lichens sont donc des organismes pionniers, capables de coloniser les milieux les plus divers et les plus défavorables
tels que rochers, troncs d'arbres et même le sommet de l'Everest.
Je m'aperçois que j'oublie Béatrix Potter et devançant les
reproches de mes lecteurs, je vais poursuivre son histoire :
Son oncle, un chimiste, a toute confiance en elle et il la
persuade de publier un article dans la revue d'une société
savante, La Linnéenne. C'était devant les membres de cette
société que Darwin et Wallace avaient présenté leur
théorie de l'évolution. On aurait pu penser que les statuts
de La Linnéenne avaient évolué depuis ce temps, il n'en
était rien. Si son oncle pouvait participer aux réunions,
elle, en 1896, en tant que femme, en était exclue.
Elle fit une seconde tentative, aussi catastrophique, avec le
directeur des Jardins botaniques royaux de Kew et
démoralisée, abandonna l'idée d'apporter sa contribution à
la science. Elle rangea ses précieuses aquarelles et passa à
autre chose, aux livres pour enfants, avec leurs
magnifiques illustrations sur chaque page.
Deux atouts les différencient des publications de l'époque :
- La précision anatomique de son trait. Ses lapins ressemblent à des lapins au poil près et se conduisent comme tels. Leurs
rapports avec les humains ne sont jamais édulcorés. Ainsi le père de Peter Rabbit finit ses jours dans une tourte cuisinée
par Mme Mc Gregor.
- Son exigence du mot juste. Convaincue que les enfants sont sensibles aux mots
qu'ils apprennent, elle s'est
toujours refusée à remplacer un
terme, si difficile soit-il, par un
autre, plus simple mais moins
précis.
Elle publia son premier livre à
compte d'auteur, mais connut
rapidement un véritable succès ;
Conan Doyle en achète pour ses
enfants. 23 livres verront le
jour, deux par an en moyenne,
jusqu'en 1913, où elle se marie
à 47 ans, abandonne sa carrière
littéraire pour se consacrer,
avec son mari, à la vie rurale et
à l'élevage des moutons
Herdwick dans la région des
grands lacs de son enfance.
A sa mort, en 1943, elle laissera au National Trust (Conservation du Patrimoine) 14 fermes, 16 km2 de terres et ses
troupeaux de moutons.
Il faudra attendre 1967 pour que le président de la Société (anglaise) de Mycologie, W. Findlay utilise ses aquarelles – des
études scientifiques exceptionnelles – pour son manuel sur les champignons et lichens des îles britanniques.
En 1997, exactement 100 ans après qu'on l'eut empêchée de s'exprimer, Beatrix Potter recevait les excuses posthumes de
la Société Linnéenne. On admettait enfin ses mérites.
Parents, grands-parents, je me permets de vous conseiller l'achat pour vos enfants, petits-enfants du Grand livre de Beatrix
Potter, l'intégrale de ses 23 contes (Gallimard Jeunesse). Plus de 100 millions de ses livres ont été vendus dans le monde
et continuent à faire la joie des enfants.
L'histoire de sa vie a été adaptée en un film, Miss
Potter, sorti en 2006, avec Renée Zellweger dans le
rôle titre.
Une aquarelle d'un lapin a été estimée 15000 £
dans une vente aux enchères. Je n'ai
malheureusement pas trouvé de reproduction d'une
aquarelle consacrée aux lichens pour illustrer cet
article.
Ce récit doit beaucoup au livre de Tom Wakeford :
Aux origines de la vie. Quand l'homme et le
microbe s'apprivoisent, chapitre «Béatrix contre les
botanistes » (de Boeck).
Cladonia macilenta