Leadership et conscience – Vivre – Mars 2010
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Leadership et conscience – Vivre – Mars 2010
Dossier par Marie-Josée Tardif Journaliste, auteure et conférencière POUR MIEUX LA CONNAÎTRE Conférences-ateliers en milieu de travail : Découvrir la richesse de notre être Mieux se connaître pour pouvoir mieux interagir Mieux se centrer et s'adapter aux transformations Ateliers grand public : OSEZ être vous-même et faire ce que vous aimez Découvrez ce qui vous fait vibrer Entrez sur votre chemin véritable Auteure du livre : La Leçon de Sitar chez Québécor. Rémi Tremblay Nouveau leader tranquille Rémi Tremblay est un leader résolument pas comme les autres. Avec son tout dernier livre sur le thème de la tranquillité, il réconcilie le monde des affaires et l’humain. Tour de force ou nécessité de notre siècle? Pendant une heure, on a ratissé le lac. Plus on remuait la boue, plus c’était difficile de la repérer. Au bout d’une heure, on a finalement trouvé la maudite montre, mais la journée avait été gâchée. Je conclus le livre en me demandant : « Et si j’avais été plus tranquille, probablement que j’aurais tout simplement dit à mes fils : Oups! J’ai laissé tomber ma montre, on ne bouge plus, on attend que le sable retombe dans le fond du lac et un rayon de soleil va faire apparaître la montre. Probablement qu’en deux ou trois minutes, j’aurais retrouvé ma montre, je n’aurais mobilisé personne et je n’aurais surtout pas gâché ce moment de plaisir que nous partagions. » près avoir connu beaucoup de succès comme un des jeunes leaders les plus prometteurs au pays et dirigé les 11 000 employés d’Addeco Canada, Rémi Tremblay a effectué un virage à 180 degrés dans sa carrière. Convaincu qu’il lui fallait désormais donner du sens à son travail, il a pris son bâton de pèlerin et fondé Esse Leadership, une toute petite boîte de deux employés qui fait de grandes choses. Son pari : nous faire découvrir qu’en tant que leaders (que ce soit dans le monde du travail, à la tête de notre famille ou dans notre propre vie), il est urgent d’aller à la rencontre de nous-mêmes. Dans ses bureaux du Vieux-Québec, c’est-à-dire un appartement à la fois zen et douillet, j’ai eu l’immense plaisir de m’installer au coin du feu en compagnie de Rémi. Puis, à nouveau, je l’ai écouté refaire le monde... du travail! Et cette fois, sous le signe de la tranquillité. Rémi Tremblay Parcours professionnel 1990-2002, Addeco Quebec 2002-2004, Addeco Canada 2004 à ce jour, création de Esse Leadership 18 Vivre moi, ce qui demande le plus de courage à un être humain, ce n’est pas tant le courage d’agir, de dire ou de faire. C’est le courage d’être. Rencontre avec Rémi Tremblay A Information : (450) 227-0164 www.mariejoseetardif.com Pour Votre tout dernier livre s’intitule « J’ai perdu ma montre au fond du lac ». Pouvez-vous nous expliquer ce titre? Ce livre est sur le thème de la tranquillité. Ma tante Francine, qui travaille avec les autochtones depuis des années, me dit toujours à quel point on se souvient plus souvent des symboles que des paroles. Au moment de l’écriture, je me suis rappelé cet Pour moi, cette métaphore exprimait tellement clairement ce qu’on vit comme leader quand on s’agite. Quand on s’énerve, on énerve tout le monde, on mobilise tout le monde pour tellement peu de résultats. Aujourd’hui, je fais vraiment un lien direct entre la tranquillité intérieure et la performance de nos organisations. Je fais également la même constatation comme père vis-à-vis de mes fils. Plus je suis tranquille, plus ils le sont. Puis au-delà de tout ça, je trouve qu’on doit se donner le droit d’être tranquille. Kyudô épisode d’« intranquillité » totale où, lors d’une baignade avec mes fils dans le Lac StJean, j’avais perdu ma montre à laquelle je tenais beaucoup. Je traversais déjà, à cette époque, une période de grande intranquillité en tant que patron chez Adecco. Ce jourlà, alors qu’on avait beaucoup de plaisir en famille, je me suis complètement énervé et j’ai énervé tout le monde. Vous pensez vraiment que les leaders de famille ou d’entreprise ne se donnent pas même le droit à la tranquillité? Je pense qu’on est devenus pratiquement fatalistes par rapport à cela. Nous sommes tellement plongés dans un monde d’« intranquillité » : la pression des actionnaires, la pression des ministres, la pression des scandales, la pression de la santé... Les médias, la vitesse, la technologie... C’est comme si nous avions accepté l’« intranquillité » et qu’il ne nous restait plus qu’à nous convaincre d’apprendre à la gérer. Or, moi je découvre que c’est possible de devenir plus tranquille. C’est un choix. Le Kyudô ou l’art de se détacher du résultat h Ce que je trouve intéressant, c’est que vous ne dénoncez pas l’esprit de performance. Pour vous, la tranquillité peut donner des ailes à la performance? Tout à fait! Il faut sortir de la performance pour qu’elle advienne. Il faut se détacher du résultat, de l’objectif, parce que, en fait, c’est l’ego qui veut performer, réussir ou être meilleur que les autres. Quand on se détache doucement de cette tendance, on tombe dans le processus. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler des maîtres Kyudô? Un jour, alors que je donne une conférence à Paris, un jeune Japonais vient me voir : « M. Tremblay, à vous entendre, vous devez sûrement faire du Kyudô. » Je réponds : « Écoutez, sûrement pas, puisque je ne sais pas du tout ce que c’est. » Alors, il m’explique que le Kyudô est l’art du tir à l’arc japonais. Il me dit : « Vous avez parlé de vous détacher de l’objectif ou de la cible. Eh bien, ce qui fait qu’on devient un grand maître Kyudô après des années de pratique, ce n’est pas très complexe en soi. Il n’y a que quatre mouvements de base à développer pour atteindre la cible. Ce qui prend des années et des années d’entraînement, c’est le fait d’arriver à se détacher de la cible. » Autrement dit, il faut mettre toute notre attention sur le processus, donc sur les quatre mouvements nous permettant d’atteindre la cible, plutôt que de se concentrer sur la cible elle-même. J’aime être performant. J’aime le fait que la performance permette la création d’emplois. Cela permet la croissance, l’évolution, la créativité. Donc, je me préoccupe de la performance, mais j’essaie de la suspendre momentanément pour me focaliser sur le processus qui y mène. Pour moi, le processus passe par la tranquillité. Si je suis tranquille, si je suis bien, si les autres sont bien autour de moi, la performance devrait advenir. Leader courageux h Votre livre est divisé en trois grands thèmes, dont le courage. Faut-il être courageux pour devenir un leader tranquille? Pour moi, ce qui demande le plus de courage à un être humain, ce n’est pas tant le courage d’agir, de dire ou de faire. C’est le courage d’être. Pourquoi est-ce si difficile d’être? Parce qu’on a peur de perdre. J’ai peur qu’en étant moi-même, qu’en osant être le leader que je suis, par exemple, je ne conviendrai pas à mes patrons. Pendant des années, inconsciemment, j’ai essayé d’être le patron qu’on voulait que je sois, que mes actionnaires voulaient que je sois, que les écoles de gestion me disaient que je devais être. Je me disais : « Si je suis le patron qu’ils veulent que je sois, je vais être aimé, je vais être apprécié, je vais être promu. Ils doivent savoir de quoi ils parlent. » Mais finalement je me suis beaucoup égaré et j’ai réalisé qu’à ne jamais vouloir perdre, je me perdais moi-même. 19 Vivre Dossier Le courage doit me permettre d’être dans le vrai et de me mettre au service du bien commun. Le courage pour, pas le courage contre... Je pense que le plus grand perdant, quand il y a absence de courage dans nos boîtes, c’est le bien commun. Cela me préoccupe. Quand on n’a pas le courage d’être nous-mêmes, cela veut dire qu’on se sert soi-même inconsciemment. On agit pour être aimé, pour être apprécié, donc on se sert soi-même. Quand vous avez commencé à mettre ce genre d’idées en œuvre chez Adecco, y a-t-il eu des gens en désaccord avec le leader que vous étiez? Les premiers furent mes patrons. Même si j’étais président d’une filiale mondiale, certains patrons à l’international auraient préféré que je sois le patron qu’ils voulaient que je sois. La journée où je me suis dit : « Je vais désormais être le patron que je suis, sans demander la permission », mon slogan est devenu : « C’est plus facile de demander pardon que de demander la permission! » Je me suis donc mis à agir en fonction de ce que je croyais être la bonne chose à faire avec mes équipes. Quand je suis entré dans le monde des affaires, on valorisait beaucoup les conquérants, courageux de partir en guerre pour une cause, pour gagner un territoire ou protéger un pays. On associait le mot courage à aller contre quelque chose, se battre contre les autres, conquérir des marchés, convaincre, convertir les autres..., des verbes qui commencent tous par « con ». Je n’admire plus ce type de courage. Le courage doit me permettre d’être dans le vrai et de me mettre au service du bien commun. Le courage pour, pas le courage contre... Leader humble h Dans votre livre, vous abordez également le thème de l’humilité. Je me souviens vous avoir entendu dire dans une conférence intitulée L’éloge des faiblesses que vous aviez plu- 20 Vivre sieurs faiblesses en tant que leader. Il fallait avoir beaucoup d’humilité pour l’avouer. Nous venons de parler de courage. Eh bien, premièrement, il faut avoir le courage de son talent. J’ai peut-être une mauvaise nouvelle pour vos lecteurs, mais vous savez, la plupart d’entre nous n’avons pas beaucoup de talent. On peut développer une multitude de compétences, mais un vrai talent reçu à la naissance, on n’en possède pas plusieurs. On a donc le devoir d’honorer notre talent. Il y a le courage d’être le leader que je suis avec ma singularité, avec mon talent. Ensuite, ce qui s’impose, c’est de reconnaître que je suis un être humain comme les autres, avec ses limites. Et en reconnaissant mes limites, je me rends compte à quel point j’ai besoin des autres. Un leader qui n’a pas besoin des autres, ça m’inquiète un peu. Cela veut dire qu’il est le tout-puissant, capable de répondre à toutes les attentes. J’ai été un peu ça. C’est drôle! À l’époque où j’étais probablement le plus incompétent de ma carrière, j’avais la conviction d’être des plus compétents! Qu’il s’agisse des leaders politiques, des leaders de famille, de nos professeurs... Dès que quelqu’un doit faire preuve de leadership, on est en droit d’exiger de sa part un minimum d’humilité, de courage et d’amour. Pourquoi est-ce si rare? Peut-être nous faut-il avoir un ego démesuré pour en arriver à ces conclusions. Au fond, je suis allé au bout de ma folie en devenant patron d’une boîte de 11 000 employés. J’ai finalement réalisé que dès qu’on arrive au sommet, il faut rapidement s’en détacher. Sinon, vous avez vu les dégâts qu’on peut faire. C’est très tentant de s’asseoir sur ses lauriers et de jouir de son pouvoir. Oui, mais on réalise plus souvent qu’on s’écroule dessous. L’humilité pour moi, c’est un chemin non seulement de reconnaissance de ses limites, mais de reconnaissance de son humanitude. Je suis un être humain comme les autres, un être humain qui est venu au monde, qui va mourir et qui, entre les deux, va vivre de la joie et de la souffrance. Cela m’amène automatiquement, en tant que leader, à comprendre que je devrai toujours prendre des décisions pour le plus grand bonheur et pour le moins de souffrances, pour le plus grand nombre de personnes qui soit. Leader aimant h Dans votre livre, vous parlez aussi d’amour. C’est très osé de parler d’amour dans le monde des affaires et dans le monde du travail en 2010. Vous croyez que c’est réellement possible? Ce qui est révolutionnaire, ce n’est pas d’en parler, c’est de penser qu’on a passé autant d’années sans en parler! On a tous besoin d’aimer et d’être aimés. Pourtant, c’est comme si on s’était construit des organisations complètement mécaniques. On laissait une partie de nous-mêmes au stationnement — dont notre capacité à aimer et à être aimés — et on allait travailler. Il est urgent que l’on revienne à cela. La première fois que j’ai ouvert la question en public, j’ai eu un léger choc. Dans une conférence prononcée devant des financiers au Capitole de Québec, j’avais parlé de l’amour. Parmi les commentaires reçus, quelqu’un avait déclaré : « Quelle conférence inspirante, mais il est triste que le conférencier ait perdu de la crédibilité en parlant d’amour. » Ce n’est quand même pas arrivé il y a vingt ans; cela s’est produit il y a peut-être six ou sept ans. Quelqu’un m’avait alors proposé d’aborder d’autres sujets. J’ai rétorqué : « Mais non, on va en parler davantage! » En même temps, c’est un peu dangereux parce que ce mot peut être très « fourre-tout ». Comment cela peut-il se vivre, concrètement? Concrètement : aimer ses collègues, c’est déjà pas mal. Pour moi, il n’y a pas de petite boîte où j’inclus le travail, puis une autre petite boîte où j’enferme ma vie personnelle. En ce qui me concerne, ce n’est plus possible. Je pense qu’on a occulté ce mot pour éviter de souffrir. Pourtant, de nos jours, c’est précisément ce qui nous fait souffrir. Je crois que nous sommes tous relativement à l’aise avec la possibilité d’aimer notre métier. Aimer son entreprise, bon, ça peut aller. Aimer ses clients, c’est quand même possible... Cependant, quand on arrive à l’idée d’aimer ses collègues, aimer son patron, aimer ses actionnaires et aimer aussi le moins beau dans l’autre, alors là, ça commence à être plus difficile, n’est-ce pas? Je pense néanmoins à des leaders extraordinaires qui osent parler d’amour comme Pierre-Marc Tremblay, de Pacini, ou le chef d’orchestre Jean-Marie Zeitouni. La différence avec ce genre de leaders, c’est qu’ils ne cherchent pas à être aimés, ils cherchent à aimer. On doit aimer les gens qui sont autour de nous. Donc, on doit développer notre capacité de bonté aimante envers les autres et la capacité à reconnaître la capacité aimante de l’autre, même s’il nous tombe sur les nerfs. C’est très exigeant parce que cela nous oblige à retourner constamment le miroir vers nous-mêmes... Cela m’oblige à regarder ma capacité à aimer l’autre. Ma souffrance vient-elle uniquement du fait que je ne me sens pas aimé ou ne pourrait-elle pas venir aussi du fait que je n’aime plus? On aime aimer! C’est extraordinaire d’aimer. D’ailleurs, je pense que j’ai trouvé la raison pour laquelle il y a tant de célibataires au Québec. Je ne suis pas sûr que c’est la réponse, mais je fais ce lien : beaucoup trop de gens cherchent à être aimés. Autrement dit, il y a une personne qui cherche à être aimée qui rencontre une autre personne qui cherche à être aimée, mais en réalité il n’y a pas de rencontre. Est-ce donc par le courage, l’humilité et l’amour qu’on finit par trouver la tranquillité? Je dirais tout simplement que je ne le sais pas. Je ne parle que de moi. Je ne suis pas un grand philosophe, mais plutôt un expérientiel, un jeune entrepreneur. J’ai découvert très récemment que j’avais voulu contrôler bien des choses dans ma vie. C’est sûr que la Dans l'ordre : Rémi Tremblay – Esse Leadership, fondateur Céline Charron – Illico-Hodès, présidente François Béchard – TOHU, Directeur gestion humaine Danielle Sauvageau – Coaching exécutif et sportif Serge Marquis – Md, Santé mentale au travail, T.O.R.T.U.E. Sylvie Laganière – CSSS Des Pays-d’en-Haut, DG Pierre Marc Tremblay – Restaurants Pacini et Commensal, propriétaire Danielle Savoie – Mouvement Desjardins, V-P. Technologies, Serv. entreprises Une approche puissante combinant la sagesse équine et le coaching Coaching individuel et ateliers en groupe Parce que, pour nous, gérer…, c’est gérer de la vie ! Esse Leadership est une entreprise qui conçoit et anime des rencontres de développement : - pour des leaders qui souhaitent que leur rôle soit l’expression de ce qu’ils sont; - pour des dirigeants et leur équipe afin qu’ils trouvent davantage de sens et d’harmonie à travailler ensemble. Esse Leadership explore le leadership à travers les univers de la science, de l’art, de la philosophie et de la spiritualité Esse Leadership www.esseleadership.ca tranquillité n’est jamais totalement permanente et égale, mais j’ai l’impression que je ne descends plus jamais très bas dans l’« intranquillité », comparativement à autrefois. La vie est tellement plus douce ainsi, autant pour soi-même que pour les autres et pour la santé de nos entreprises. J’aimerais qu’on apprenne tous à mieux danser avec la vie. Pour ma part, en tout cas, à travers la découverte de ces grandes vertus que sont le courage, l’humilité et l’amour, je me suis senti plus tranquille, capable de faire confiance à l’autre, à la vie et à danser avec elle. l VIVRE c'est… Oser… Oser être vrai. Oser reconnaître son talent. Oser l’exprimer. Oser se libérer des moules préétablis qui n’ont plus de sens. Oser habiter nos paroles, nos gestes. Oser notre courage, notre humilité, notre capacité d’aimer. Oser notre humanitude. Oser reconnaître nos limites. Oser les respecter. Oser vivre. Sylvain Poirier, Ph.D. Coach professionnel Hélène Bernier, md Psychothérapeute Instructeur Epona www.ecuriesnamaste.com 21 Vivre